LA CHAMBRE DAPPEL
Composée comme suit : | M. le Juge Antonio Cassese, Président M. le Juge Adolphus Karibi-Whyte M. le Juge Haopei Li M. le Juge Ninian Stephen M. le Juge Lal Chand Vohrah |
Assistée de : | Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier |
Arrêt rendu le : | 29 octobre 1997 |
LE PROCUREUR
C/
TIHOMIR BLASKIC
__________________________________________
ARRÊT RELATIF A LA REQUÊTE DE LA RÉPUBLIQUE DE CROATIE AUX FINS DEXAMEN DE LA DÉCISION DE LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II RENDUE LE 18 JUILLET 1997
__________________________________________
Le Bureau du Procureur : Mme Louise Arbour, Procureur |
M. Mark Harmon |
La République de Croatie : M. l'Ambassador Ivan Simonovic M. David B. Rivkin Jr. |
M. Ivo Josipovic M. Lee A. Casey |
Le Conseil de la défense représentant Tihomir Blaskic
M. Russell Hayman |
M. Anto Nobilo |
SOMMAIRE
1. La Chambre dappel du Tribunal pénal international pour lex-Yougoslavie ("Tribunal international") a été saisie de la question relative à la validité dune injonction de produire (subpoena duces tecum)* décernée par le Juge Gabrielle Kirk McDonald à la République de Croatie ("Croatie") et à son Ministre de la Défense, M. Gojko Susak, le 15 janvier 1997. Cette question se pose suite à lappel interjeté par la Croatie de la Décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 19971, qui confirmait la délivrance de ladite injonction de produire par le Juge McDonald et ordonnait à la Croatie de sy conformer dans les 30 jours. La Croatie a contesté le fait que le Tribunal international ait le pouvoir et lautorité juridiques de décerner des ordonnances contraignantes aux États et aux hauts responsables officiels. Les questions juridiques débattues devant cette Chambre portent sur le point de savoir si un juge ou une chambre de première instance du Tribunal international ont le pouvoir de décerner une injonction de produire en règle générale et notamment aux États, sils ont le pouvoir de décerner une injonction de produire aux hauts responsables officiels dun État et à dautres personnes, quelles sont les voies de recours appropriées en cas de non-respect dune telle injonction de produire ainsi que dautres questions comme celle des intérêts dun État souverain en matière de sécurité nationale.
2. Suite aux requêtes non contradictoires introduites le 10 janvier 1997 par le Bureau du Procureur ("Accusation"), le Juge McDonald a décerné, le 15 janvier 1997, une injonction de produire à la Croatie et à son ministre de la Défense, M. Susak2, ainsi quà la Bosnie-Herzégovine et au Dépositaire des archives centrales de lex-Ministère de la défense de la Communauté croate de Herceg-Bosna3. Les requêtes relatives à linjonction de produire ont été adressées au Juge McDonald, qui a décerné lesdites injonctions de produire en sa qualité de juge ayant confirmé lacte daccusation contre Tihomir Blaskic4, laccusé en lespèce.
3. Dans une lettre en date du 10 février 19975, la Croatie déclarait "quelle était prête à coopérer entièrement sous réserve des conditions applicables à tous les États" mais contestait lautorité juridique du Tribunal international de décerner une injonction de produire à un État souverain et la désignation dun haut responsable officiel dans une demande dassistance faite en vertu de larticle 29 du Statut du Tribunal international ("Statut").
4. Il avait été demandé aux destinataires de linjonction de produire de comparaître en audience le 14 février 1997 pour répondre aux questions concernant la production des documents faisant lobjet de linjonction. Un représentant du gouvernement de Bosnie-Herzégovine comparut et expliqua les mesures prises à cette date en vue dexécuter linjonction de produire. La Croatie ne sétant pas présentée, le Juge McDonald a décerné une Ordonnance dun Juge aux fins de faire exécuter une injonction de produire6 demandant à la Croatie et à M. Susak la production des documents ou, en cas de non-respect, la comparution personnelle devant elle, le 19 février 1997, dun représentant du Ministre de la défense afin dexpliquer les raisons de ce non-respect.
5. Des représentants de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine ont assisté à laudience du 19 février 1997. Le 20 février 1997, le Juge McDonald a suspendu lexécution de linjonction de produire décernée à la Croatie et àM. Susak7 aux fins de permettre aux parties de résoudre la question de façon informelle et compte tenu de la contestation de la Croatie relative à lautorité du Tribunal de décerner de telles injonctions. La Croatie a ensuite fourni à lAccusation certains documents requis et informé le Tribunal international quelle était à la recherche dautres documents.
Les audiences relatives à linjonction de produire décernée à la Bosnie-Herzégovine et au Dépositaire des archives centrales de lex-Ministère de la défense de la Communauté croate de Herceg-Bosna se sont tenues les 24 février 1997, 28 février 1997 et 7 mars 1997.
6. Le 28 février 1997, le Conseil de la défense représentant Tihomir Blaskic a déposé une Requête aux fins de délivrer une injonction de produire à la Bosnie-Herzégovine exigeant la communication de moyens de preuve à décharge, suite à laquelle une ordonnance requérant la production des documents fut décernée8.
7. Le 7 mars 1997, le Juge McDonald a décerné une ordonnance prescrivant à toutes les parties de déposer, le 1er avril 1997 au plus tard, des mémoires sur les questions du pouvoir dun Juge ou dune Chambre de première instance du Tribunal international de décerner une injonction de produire aux États, aux hauts responsables officiels et des voies de recours appropriées en cas de non-exécution9. Le 16 avril 1997 fut retenu comme date daudience.
8. Vu limportance de ces questions, le 14 mars 1997, le Juge McDonald a ordonné quelles soient présentées à la Chambre de première instance II afin dêtre entendues par cette chambre au complet, composée delle-même en qualité de Président, du Juge Elizabeth Odio Benito et du Juge Saad Saood Jan10. Elle a également invité lesamici curiae à déposer des demandes dautorisation aux fins de présenter des mémoires sur les questions susmentionnées, en application de larticle 74 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international ("Règlement").
9. Le 20 mars 1997, lAccusation a présenté une Requête relative aux questions faisant lobjet dexposés pour laudience du 16 avril 1997 concernant linjonction de produire, par laquelle elle cherchait à réduire le champ des questions traitées dans les mémoires et, le 21 mars 1997, une Requête pour la remise en vigueur de linjonction de produire. La Croatie a fait opposition aux deux. Le 27 mars 1997, la Chambre de première instance a rejeté les deux requêtes de lAccusation11.
10. La Bosnie-Herzégovine a soumis son Mémoire sur les questions relatives à l'injonction de produire le 25 mars 199712. Une Ordonnance invitant la Défense à déposer un mémoire et à participer à laudience aux fins de débattre des questions relatives à linjonction de produire a été délivrée le 1er avril 1997. LAccusation, le Ministre de la défense de Bosnie-Herzégovine et la Croatie ont soumis des mémoires relatifs à linjonction de produire le 1er avril 1997. La Croatie a répondu au Mémoire de lAccusation le 11 avril 1997. Les Mémoires desamici curiae suivants ont également été soumis avant laudience du 16 avril 1997, après autorisation :
11. Dans une lettre du 15 avril 1997, au nom de la Croatie, M. Jelinic demandait, entre autres, que le Juge McDonald sabstienne de participer à laudience du 16 avril 1997, puisquelle était "le Juge qui a décerné lordonnance dont il sera débattu". Le 16 avril 1997, le Bureau du Tribunal international, composé du Président Antonio Cassese, du vice-président Adolphus Karibi-Whyte et des deux juges présidant les Chambres de première instance, le Juge Claude Jorda et le Juge McDonald, sest réuni pour examiner cette requête. Après avoir exprimé son avis sur la question, le Juge McDonald sest retiré et le Bureau a examiné la question en son absence. Il a conclu que limpartialité du Juge McDonald nétait en aucune manière atteinte par sa participation antérieure à la délivrance dune injonction de produire et quil navait pas à se récuser en application de larticle 15 A) du Règlement13.
12. Laudience sest tenue les 16 et 17 avril 1997 devant la Chambre de première instance II. LAccusation, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, un représentant de son Ministre de la défense, M. Ante Jelavic, et le Conseil de la défense représentant Tihomir Blaskic ainsi que plusieurs autres personnes ayant soumis des Mémoires damicus curiae14, ont exposé leurs arguments. Le 8 mai 1997, avec lautorisation de la Chambre de première instance, la Croatie a soumis un Mémoire final en opposition à linjonction de produire, auquel lAccusation a répondu le 28 mai 1997, après avoir obtenu une prorogation de délai.
13. La Chambre de première instance II a rendu sa "Décision relative à linjonction de produire" le 18 juillet 1997. La délivrance de linjonction de produire à la Croatie et à son Ministre de la défense par le Juge McDonald le 15 janvier 1997 était maintenue, ladite injonction de produire, suspendue le 20 février 1997, était remise en vigueur et la Croatie se voyait enjoindre den exécuter les dispositions dans les 30 jours. La Chambre décidait quun juge ou une chambre de première instance du Tribunal international avait le pouvoir et lautorité de décerner des ordonnances du type des injonctions de produire aux États, aux hauts responsables officiels et aux personnes privées. Si le droit international dispose bien quil revient aux États de choisir la manière de remplir leurs obligations internationales, cela ne signifie pas pour autant quils peuvent promulguer une législation interne imposant des conditions à lexécution de telles obligations, notamment en ce qui concerne les obligations des États visées au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Les résolutions 827 et 1031 du Conseil de sécurité montrent que celui-ci entend que les États exécutent et soient tenus de respecter sans réserve les ordonnances du Tribunal international. Leurs responsables officiels sont également tenus dexécuter les injonctions de produire qui leur sont adressées ès qualités. La Décision insistait, dautre part, sur le fait que si ce sont les responsables officiels qui font lobjet des ordonnances du Tribunal international, les États ont également la responsabilité de les faire exécuter ou de réclamer leur exécution. Les considérations de sécurité nationale noffrent pas une immunité absolue, elles ne peuvent être valablement invoquées pour faire systématiquement obstacle à lexécution des ordonnances du Tribunal international. Un argument de sécurité nationale une fois soulevé, il revient à la Chambre de première instance de décider de la validité de cette assertion, par exemple au cours dune audience à huis clos, non contradictoire qui lui permette dexaminer ce type déléments de preuve. La Chambre de première instance a refusé dexaminer les remèdes disponibles en cas de non-exécution de telles ordonnances, au motif quelle jugeait cet examen prématuré à ce stade de la procédure.
14. Le 25 juillet 1997, en vertu de larticle 108 du Règlement, la Croatie a déposé un Acte dappel et une Requête aux fins de surseoir à lordonnance rendue par la Chambre de première instance le 18 juillet 1997. Il a été demandé à la Chambre dappel dexaminer la Décision relative à linjonction de produire et de linfirmer, de casser linjonction de produire décernée par le Juge McDonald à la Croatie et à son Ministre de la défense le 15 janvier 1997 et de suspendre lordonnance de la Chambre de première instance du 18 juillet 1997 dans lattente de larrêt en appel. Il a également été demandé à la Chambre dappel dordonner à la Chambre de première instance et à lAccusation quaucune nouvelle ordonnance contraignante sous peine de sanctions ne soit décernée aux États ou à leurs responsables officiels par le Tribunal international.
15. Le 29 juillet 1997, en application de larticle 108 bis du Règlement, la Chambre dappel a déclaré recevable la Requête de la Croatie aux fins dun examen de la Décision relative à linjonction de produire15. Elle a suspendu lexécution de linjonction de produire décernée par le Juge McDonald à la Croatie et à son Ministre de la défense le 15 janvier 1997 ainsi que lordonnance de la Chambre de première instance II à la Croatie du 25 juillet 1997 en attendant larrêt en appel sur ces questions. En application de larticle 74 du Règlement, la Chambre dappel a également invité les amici curiae intéressés à soumettre des Mémoires pour le 15 septembre 1997 sur les points suivants :
1) le pouvoir dun juge ou dune chambre de première instance du Tribunal international de décerner une injonction de produire ;
2) le pouvoir dun juge ou dune chambre de première instance du Tribunal international de demander une assistance ou de décerner une injonction de produire aux hauts responsables officiels dun État ;
3) les remèdes appropriés en cas de non-exécution dune injonction de produire ou dune requête décernée par un juge ou une chambre de première instance et
4) tout autre point concernant cette affaire, comme la question des intérêts de sécurité nationale dun État souverain.
16. Le 4 août 1997, lAccusation a déposé une Requête aux fins dannuler la décision de la chambre dappel du 29 juillet 1997. Cette requête a été suivie le 8 août par le dépôt dune Opposition de la République de Croatie à cette Requête du Procureur. Le 12 août 1997, la Chambre dAppel a rejeté la requête de lAccusation aux fins dannuler sa décision du 29 juillet 1997, confirmé la suspension de lexécution de linjonction de produire et lordonnance aux fins dexécution de la Chambre de première instance II à la Croatie ainsi que lordonnance portant calendrier et fixé laudience dappel aux 22 et 23 septembre 199716.
17. Le Mémoire relatif à lappel de la République de Croatie en opposition à linjonction de produire a été déposé le 18 août 1997 et suivi du Mémoire en Réponse du Procureur le 8 septembre 1997. La Croatie a répliqué au Mémoire du Procureur le 15 septembre 1997. Suite à linvitation de la Chambre dappel du 29 juillet 1997, des Mémoires ont été soumis par les amici curiae suivants :
18. Le 22 septembre 1997, la Chambre dappel constituée du Président Antonio Cassese, des Juges Adolphus Karibi-Whyte, Haopei Li, Ninian Stephen et Lal Chand Vohrah a entendu lappel interjeté par la Croatie contre linjonction de produire décernée par le Juge McDonald et la Décision relative à linjonction de produire. La Croatie a présenté ses exposés, accompagnés dune déclaration de lAmbassadeur Simonovic, et lAccusation et le Conseil de la défense représentant Tihomir Blaskic ont également exposé leur position.
19. Après avoir dûment examiné les mémoires et entendu les exposés des parties et après avoir également examiné les mémoires des amici curiae, la Chambre dappel rend larrêt suivant.
1. Signification juridique de lexpression "injonction de produire"
20. La Chambre dappel estime quil est approprié de traiter ici deux points qui sont, en un sens, préliminaires aux diverses questions dont elle est saisie. Daucuns pourraient considérer que le premier relève davantage de la terminologie que du fond mais, en réalité, il intéresse les deux: le terme subpoena signifie-t-il une injonction sous peine de sanctions en cas de non-respect ? Ou doit-on plutôt retenir linterprétation exposée par le Procureur devant la Chambre de première instance et accueillie par celle-ci, à savoir que ce terme recouvre une ordonnance contraignante qui "nimplique pas nécessairement lassertion dun pouvoir dimposer des amendes ou des peines de prison, comme cela pourrait être le cas en droit interne" ?17
21. Comme nous venons de le faire remarquer, la Chambre de première instance a décidé que le terme injonction doit recevoir le sens neutre d"ordonnance contraignante". Cependant, elle na pas tranché la question de savoir si une peine pourrait être imposée en cas de non-respect de ce type dordonnance. La Chambre de première instance a remarqué que, en vertu des dispositions de larticle 54 du Règlement, "il serait incorrect de conclure quune peine était envisagée tout comme il serait incorrect dinférer quelle ne létait pas" (Non souligné dans loriginal)18.
Pour interpréter correctement le terme subpoena utilisé à larticle 54 du Règlement, la Chambre dappel part des prémisses que (i) dans les juridictions de common law, qui emploient le terme en question comme terme technique, il désigne généralement les ordonnances obligatoires décernées par les tribunaux dont le non-respect peut être "sanctionné" en tant quoutrage à la Cour et (ii) dans le texte français de larticle 54, comme la souligné avec justesse la Chambre de première instance, léquivalent de "subpoena", à savoir "assignation", "nimplique pas nécessairement limposition dune peine"19. En se fondant sur ces prémisses, deux interprétations sont possibles. Premièrement, comme la proposé un amicus curiae, il est possible de soutenir que "les concepts juridiques figurant dans le Règlement sont détachés de leur contexte dorigine appartenant à une culture juridique spécifique. En dautres termes, le sens de certains des termes employés dans le Règlement du TPIY nest pas prédéterminé par linterprétation de ces termes dans leur culture juridique dorigine mais doit faire lobjet dune nouvelle définition indépendante, tenant compte des missions et finalités spécifiques du TPIY"20. En conséquence, "il semble inconcevable que lemploi du termesubpoena dans larticle 54 du Règlement autorise des chambres de première instance et/ou des juges à imposer des peines en cas de non-respect injustifié"21. Un autre amicus curiae a proposé une interprétation différente. Selon celui-ci, afin de concilier les deux textes de larticle 54 du Règlement et, dans le même temps, de tenir compte du fait que les États ne peuvent faire lobjet de peines ou de sanctions prononcées par une juridiction internationale, le terme subpoena du texte anglais ne devrait pas être interprété comme signifiant toujours une ordonnance obligatoire quon ne peut faire appliquer au moyen dune pénalité mais, plutôt, en se fondant sur le principe de leffet utile (ut res magis valeat quam pereat), il conviendrait de lui donner une interprétation restreinte. Il devrait faire référence uniquement à des ordonnances obligatoires, impliquant léventuelle imposition dune peine, visant des personnes agissant à titre privé
.
La Chambre dappel retient cette dernière interprétation. Larticle 7 du Règlement prévoit quen cas de divergence entre les textes anglais et français du Règlement, "le texte qui reflète le plus fidèlement lesprit du Statut et du Règlement prévaut". Conformément à ce principe dinterprétation, la Chambre dappel doit tenir compte de certains facteurs. Certes, larticle 29 2) du Statut ne mentionne que les "ordonnances" et les "demandes", sans mentionner les injonctions. Cependant, il serait contraire au principe général de leffet utile, en donnant au terme subpoena le sens neutre d"ordonnance contraignante", de le rendre superflu dans le texte anglais de larticle 54 du Règlement. Puisque, comme nous le verrons ci-après (para. 24-25 et 38), le Tribunal international nest pas habilité à décerner des ordonnances contraignantes sous peine de sanction aux États ou à leurs responsables officiels, il est fidèle à lesprit du Statut et du Règlement de donner une interprétation restreinte au terme technique en question et de lentendre comme se référant seulement et exclusivement aux ordonnances contraignantes décernées par le Tribunal international, sous peine de sanctions, aux personnes agissant à titre privé. Il en va de même pour le terme français "assignation", que lon doit interpréter comme se référant exclusivement aux ordonnances visant de telles personnes et assorties dune peine pour non-respect.
2. La question des remèdes juridiques est-elle "mûre pour examen" ?
22. La seconde question préliminaire concerne le fait de savoir si, en statuant sur les diverses questions soumises à lexamen de la Chambre dappel, celle-ci devrait également se prononcer sur les remèdes disponibles en cas de non-respect des ordonnances contraignantes ou des injonctions du Tribunal international. La Chambre de première instance a conclu que cette question "nest pas encore mûre pour examen"23, bien quelle ait évoqué en passant un ensemble de remèdes et de pénalités24. La Chambre de première instance a ainsi appliqué la "doctrine de la maturité" quaccueillent les juridictions des États-Unis. Aux termes de cette "doctrine", une cour devrait sabstenir dexaminer des points hypothétiques, voire spéculatifs et qui, de toute façon, ne sont pas dune urgence et dune réalité suffisantes pour justifier un jugement. Il est bien connu quaux États-Unis cette doctrine provient de la clause "case or controversy" (affaire ou controverse) de larticle III de la constitution des États-Unis et vise à éviter que les juridictions entendent les plaintes concernant des actions dorganes gouvernementaux qui nont pas encore porté préjudice au plaignant25. Avec tout le respect dû, la Chambre dappel décide quil nest pas approprié dinvoquer cette "doctrine" en lespèce.
23. Cette conclusion repose sur deux motifs. Dune part, quels que soient les mérites de ladite "doctrine", il semble à la Chambre dappel quil nest pas pertinent de la transposer dans une procédure pénale internationale. La Chambre dappel est davis que les points de vue ou les approches judiciaires internes doivent être maniés avec la plus extrême prudence au plan international, de crainte de ne pouvoir tenir compte des caractéristiques uniques de la procédure pénale internationale.
24. Dautre part, même si la Chambre dappel acceptait la transposition de cette doctrine dans les procédures pénales internationales, son application ne produirait pas les résultats envisagés par la Chambre de première instance. Le Conseil de la Croatie a avancé que, dans une situation semblable, les juridictions des États-Unis soutiendraient probablement que la controverse était réelle et mûre pour examen, ou décideraient du moins que la partie concernée est en droit de demander un jugement déclaratif26. La Chambre dappel souligne que la Croatie a contesté à la fois le pouvoir du Tribunal international de décerner des injonctions aux États et son pouvoir dadopter des sanctions en cas de non-respect. Cétait là le fond du différend. En conséquence, dans son Ordonnance du 14 mars 1997, le Juge McDonald a énuméré quatre catégories de questions adressées aux amici curiae et lune delles concernait les mesures à prendre en cas de non-exécution dune injonction de produire ou une requête décernée par un juge ou une chambre de première instance du Tribunal international. Cette question a été largement traitée dans les Mémoires de la Croatie, du Procureur et des divers amici curiae et débattue en détail dans leurs exposés devant la Chambre de première instance. Elle a donc fait lobjet darguments et de désaccords, notamment entre la Croatie et le Procureur, qui ont présenté des opinions opposées. De plus, il nest guère convaincant de soutenir que, puisque la Chambre de première instance na examiné que les questions de catégories et de caractéristiques des ordonnances que le Tribunal international est habilité à décerner, la question des remèdes restait hypothétique ou spéculative à ce stade. En effet, étant donné que la Chambre de première instance avait conclu que la Croatie était dans lobligation de respecter linjonction de produire, il était pertinent quelle sache de quels remèdes ou sanctions disposerait le Tribunal international en cas de non-respect de celle-ci.
B. DU POUVOIR DU TRIBUNAL DE DÉCERNER DES ORDONNANCES CONTRAIGNANTES AUX ÉTATS
1. Le Tribunal international peut-il décerner des injonctions aux États ?
25. La Chambre dappel est davis que le terme subpoena (dans le sens dassignation sous peine de sanctions) ne peut sappliquer ou sadresser à un État. Cette conclusion se fonde sur deux raisons.
Premièrement, le Tribunal international nest pas investi du pouvoir de prendre des mesures coercitives contre les États. Si les rédacteurs du Statut avaient eu lintention de lui conférer un tel pouvoir, ils lauraient expressément prévu. Ce pouvoir ne peut être considéré comme inhérent aux fonctions dune instance judiciaire internationale27. Aux termes du droit international actuellement en vigueur, les États peuvent seulement être lobjet de contre-mesures prises par dautres États ou de sanctions adoptées par la communauté internationale organisée, à savoir les Nations Unies ou dautres organisations intergouvernementales.
Deuxièmement, la Chambre de première instance28 et le Procureur29 ont tous deux souligné que, sagissant des États, la "peine" accompagnant une injonction ne serait pas de nature pénale. Aux termes du droit international en vigueur, il est évident que les États, par définition, ne peuvent faire lobjet de sanctions pénales semblables à celles prévues dans les systèmes pénaux internes.
La Chambre dAppel arrête donc que le terme dinjonction ne peut sappliquer aux États et que seules des "ordonnances" ou des "requêtes" contraignantes peuvent leur être adressées.
2. Le Tribunal international peut-il décerner des ordonnances contraignantes aux États ?
26. La Croatie a ensuite contesté le pouvoir du Tribunal international de décerner des ordonnances contraignantes aux États et déclaré que, aux termes du Statut, le Tribunal international na compétence que sur les personnes et non sur les États30. Cette opinion se fonde sur une idée manifestement fausse. De toute évidence, larticle premier du Statut prévoit expressément que le Tribunal international a uniquement compétence sur "les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis [ le 1er janvier] 1991". Le Tribunal international peut poursuivre et juger ces personnes. Cest là sa compétence principale. Cependant, il est évident que le Tribunal international, afin de traduire en justice les personnes dépendant de la compétence dÉtats souverains, ne possédant pas lui-même de force de police, doit pouvoir compter sur la coopération des États. Le Tribunal international doit donc se tourner vers les États sil tient effectivement à enquêter sur les crimes, assembler les moyens de preuve, assigner les témoins à comparaître, faire arrêter les accusés et les transférer au Tribunal international. Les rédacteurs du Statut ont tenu compte de cette situation avec réalisme en imposant aux États lobligation dapporter leur collaboration et une entraide judiciaire au Tribunal international. Cette obligation est prévue à larticle31 29 et réaffirmée au paragraphe 4 de la résolution 827 (1993) du Conseil de sécurité32. Ainsi, sa force contraignante découle des dispositions du Chapitre VII et de larticle 25 de la Charte des Nations Unies ainsi que de la résolution susmentionnée du Conseil de Sécurité prise en application desdites dispositions. Le fondement juridique exceptionnel de larticle 29 explique la nouveauté et, de fait, le caractère unique du pouvoir conféré au Tribunal international de décerner des ordonnances aux États souverains (en droit international coutumier, les États, par principe, ne peuvent recevoir d"ordre", quils proviennent dautres États ou d'organismes internationaux). De surcroît, il convient dajouter que lobligation, exprimée dans les termes les plus clairs à larticle 29, incombe, en vertu de larticle 2 6) de la Charte des Nations Unies, à tous les États vis-à-vis de tous les États membres des Nations Unies. Le Conseil de sécurité, autorité suprême pour le maintien de la sécurité et de la paix internationales, a solennellement enjoint à tous les États de se conformer aux ordonnances et requêtes du Tribunal international. La nature et le contenu de cette obligation, ainsi que la source dont elle découle, montrent clairement que larticle 29 na pas pour objet linstauration de relations bilatérales. Larticle 29 dispose que les États ont des obligations "envers la communauté internationale dans son ensemble" ou, en dautres termes, des "obligations erga omnes"33. Il pose également en principe que son observance est dintérêt collectif. En dautres termes, tout autre membre des Nations Unies est investi dun intérêt juridique à lexécution de lobligation prévue à larticle 29 34(sagissant des modalités dexercice erga omnes de cet intérêt juridique, cf. ci-après, paragraphe 36).
Quant aux États qui ne sont pas membres des Nations Unies, en conformité avec le principe général inscrit à larticle 35 de la Convention de Vienne sur le droit des traités35, il peuvent sengager à respecter lobligation visée à larticle 29 en lacceptant expressément par écrit. Cette acceptation peut sexprimer de diverses manières. Ainsi, par exemple, ladoption par la Suisse en 1995 dune loi mettant en oeuvre le Statut du Tribunal international, implique clairement une acceptation de larticle 2936.
27. Lobligation examinée concerne à la fois des actions que les États ne peuvent entreprendre quà travers leurs organes exclusivement (par exemple en cas dune ordonnance enjoignant à un État de produire des documents effectivement en la possession dun de ses responsables officiels) et les actions que lon peut demander aux États dentreprendre concernant les personnes privées relevant de leur compétence (comme cest le cas lorsque le Tribunal international ordonne que des personnes soient arrêtés ou quelles produisent des éléments de preuve sous menace dune peine nationale, ou quelles soient conduites à La Haye pour témoigner à la barre).
28. Le Procureur a avancé que larticle 29 confère expressément au Tribunal international "une compétence accessoire sur les États"37. Cependant, il convient dêtre prudent en utilisant le terme de compétence pour deux catégories dactions différentes du Tribunal international. Comme nous lavons dit ci-dessus, la compétence principale du Tribunal international, à savoir son pouvoir dexercer des fonctions judiciaires, concerne uniquement les personnes physiques. Le Tribunal international peut poursuivre et juger les personnes qui sont présumées responsables de crimes définis dans les articles 2 à 5 du Statut. Bien sûr, sagissant des États concernés par larticle 29, le Tribunal international nexerce pas les mêmes fonctions judiciaires. Il ne dispose que du pouvoir de décerner des ordonnances et des requêtes contraignantes. Pour éviter toute confusion terminologique qui entraînerait également une confusion conceptuelle, il est probablement plus exact, lorsquil sagit dÉtats, de parler simplement de pouvoirs contraignants accessoires (ou incidents) dans le cadre de larticle 29.
29. Il convient à nouveau de souligner que le libellé même de larticle 29 indique manifestement que tous les États membres sont tenus de respecter lobligation quil crée, quil sagisse ou non dÉtats issus de lex-Yougoslavie. La Chambre dappel ne perçoit donc pas la valeur de laffirmation dun amicus curiae selon laquelle seuls les anciens belligérants, cest-à-dire les États ou entités de lex-Yougoslavie seraient tenus de respecter cette obligation38. Cette opinion semble faire la confusion entre les obligations découlant des Accords de Dayton et Paris des 21 novembre et 14 décembre 1995, qui sappliquent uniquement aux États ou entités de lex-Yougoslavie, et les obligations prévues à larticle 29, qui sont de portée beaucoup plus large. Il est évident que les États autres que ceux impliqués dans le conflit armé peuvent avoir en leur possession des éléments de preuve concernant des crimes commis en ex-Yougoslavie ou il se peut quils aient initié des procédures contre les personnes accusées de crimes en ex-Yougoslavie. De même, des suspects, des accusés ou des témoins peuvent résider sur leur territoire ou des documents probants peuvent sy trouver. La coopération de ces États avec le Tribunal international est donc tout aussi impérative que celle des États ou entités de lex-Yougoslavie.
La Chambre dappel naccorde, par ailleurs, aucune valeur à un autre argument possible, à savoir, puisque le Tribunal international a pour mission principale dexercer des fonctions que les juridictions nationales des États ou des entités issus de lex-Yougoslavie nont pas exercées ou nexercent pas, cest essentiellement sur ces États et entités que le Tribunal international pourrait exercer sa primauté ; ainsi, et ce nest quà leur égard quil pourrait exiger lobservance de larticle 29 et, par conséquent, décerner des ordonnances contraignantes. Le Tribunal international na pas pour mission de remplacer les juridictions daucun État, quel quil soit. En vertu de larticle 9 du Statut, le Tribunal international et les juridictions nationales sont concurremment compétents. Les juridictions nationales des États de lex-Yougoslavie, comme celles de tout État, sont tenues par le droit coutumier de juger ou dextrader les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire39. La primauté du Tribunal prévue à larticle 9 2) sexerce sur lensemble des juridictions nationales ou, si ces juridictions manquent à cette obligation coutumière, il peut intervenir et juger. Le fait que les crimes relevant de sa compétence principale ont été commis sur le territoire de lex-Yougoslavie ne préjuge en rien de lidentité des États visés à larticle 29 ; tous les États doivent coopérer avec le Tribunal international.
30. Même si elle naccueille pas largument précédent, la Chambre dappel reconnaît une certaine valeur à la distinction faite par le Procureur dans son Mémoire40 entre "les États faisant partie du territoire de lex-Yougoslavie et les États tiers qui nétaient pas directement impliqués dans le conflit et dont le rôle, encore aujourdhui, est celui dobservateurs concernés". A la différence de lamicus curiae susmentionné, le Procureur ne tire aucune conséquence juridique de cette distinction. Selon lui, elle ne peut avoir quune valeur pratique du fait que "les pouvoirs contraignants expressément conférés par larticle 29 2) du Statut seront rarement, voire jamais, invoqués pour de tels États tiers."41. Que ces pouvoirs contraignants aient besoin ou non dêtre invoqués vis-à-vis dÉtats tiers relève de la spéculation. La Chambre dappel comprend cependant la différence pratique entre les deux catégories dÉtats : il est plus probable que lon demande à ceux de lex-Yougoslavie de coopérer selon les modalités de larticle 29. En tant quanciens belligérants, ils sont davantage susceptibles de détenir des éléments de preuve importants nécessaires au Tribunal international.
31. Ayant précisé le champ et le but de larticle 29, la Chambre dappel estime nécessaire dajouter quelle partage également largument du Procureur selon lequel il faut distinguer deux modes dinteraction avec le Tribunal international : la coopération et lexécution obligatoire42. La Chambre dappel accepte largument de lAccusation selon lequel :
"aussi bien en terme de politique générale que de mise en place de bonnes relations avec les États, ... les processus de coopération devraient être utilisés chaque fois que possible et systématiquement lors de la première demande, le recours aux pouvoirs contraignants et coercitifs expressément conférés par larticle 29 2) devant être réservé aux cas où il simpose réellement"43.
En dernière analyse, le Tribunal international ne peut sacquitter de ses fonctions que sil peut compter sur lassistance et sur la coopération de bonne foi des États souverains. Il serait donc de bonne politique pour le Procureur et pour les conseils de la défense de chercher dabord à obtenir, par des mesures de coopération, lassistance des États et de ne demander à un juge ou à une chambre de première instance de recourir à une action contraignante, prévue à larticle 29, que sils refusent de prêter leur concours.
3. La teneur possible des ordonnances contraignantes
32. La Chambre dappel va maintenant se pencher sur la question de savoir si les ordonnances faisant obligation à un État de produire des documents peuvent avoir une portée très large ou si elles doivent, au contraire, être spécifiques.
La Croatie a soutenu que la Chambre de première instance a ordonné la production "de documents non spécifiés, uniquement identifiés par catégorie et dont la pertinence nest pas prouvée", adoptant par là même "une procédure fortement contestable dobligation de communication de type américain"44. [La Chambre de première instance, dans sa Décision relative à linjonction de produire, a conclut quil appartenait au juge ou à la Chambre de première instance ayant délivré linjonction "de procéder à une évaluation préliminaire aux fins de savoir si les pièces demandées se révèlent pertinentes et admissibles et sont identifiées de façon assez précise"45]. La Chambre dappel accueille ce point de vue. Toute requête aux fins dune ordonnance de production de document, en vertu de larticle 29 2) du Statut, quelle intervienne avant ou après le commencement du procès, doit :
i) identifier des documents précis et non pas seulement indiquer de larges catégories. En dautres termes, les documents doivent être identifiés autant que possible et doivent, de plus, être limités en nombre. La Chambre dappel se range à lavis du Conseil de la défense46 selon lequel, lorsque la partie déposant la requête relative à une ordonnance aux fins de production de document est incapable de préciser le titre, la date et lauteur des documents, ou autres éléments didentification, elle ne devrait être autorisée à omettre de tels détails que si elle en explique les raisons, tout en restant tenue didentifier les documents précis en cause dune manière appropriée. Vu lesprit du Statut et lexigence dun procès équitable visée aux articles 89 B) et D) du Règlement, la Chambre de première instance peut juger quil est approprié de permettre lomission de ces détails, si elle est convaincue que la partie requérant lordonnance, agissant de bonne foi, na aucun moyen de fournir lesdits détails ;
ii) énoncer succinctement les raisons pour lesquelles ces documents sont considérés comme pertinents pour le procès. Si cette partie est davis que le fait dexposer les raisons de la requête peut compromettre sa stratégie daccusation ou de défense, elle devrait le déclarer et signaler au moins les motifs généraux sur lesquels repose sa requête ;
iii) être dune exécution relativement aisée. Ceci implique que, comme nous y avons fait allusion ci-dessus, une partie ne peut requérir la production de centaines de documents, en particulier lorsquil est manifeste que lidentification, la localisation et lexamen de ces documents par les autorités nationales pertinentes seraient excessivement laborieux et non strictement justifiés par les exigences du procès ; et
iv) laisser à lÉtat concerné suffisamment de temps pour sexécuter. Ceci bien évidemment nautoriserait pas cet État à prendre des délais indus. Des dates butoirs raisonnables et réalistes peuvent être fixées par la Chambre de première instance après consultation de lÉtat concerné.
4. Les remèdes juridiques disponibles en cas de non respect dune ordonnance par un État
33. Quels sont les remèdes qui soffrent au Tribunal international lorsquun État ne se conforme pas à une ordonnance portant obligation de produire des documents ou, plus généralement, à nimporte quelle ordonnance contraignante ?
Comme nous lavons indiqué ci-dessus, le Tribunal international nest pas investi dun quelconque pouvoir de coercition ou de sanction vis-à-vis des États. Cest à son organe de tutelle, le Conseil de sécurité, quil appartient essentiellement de se prononcer le cas échéant sur des sanctions contre un État récalcitrant, dans les conditions prescrites par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cependant, le Tribunal international est doté du pouvoir inhérent deffectuer une détermination formelle sur le manquement par un État à lune des dispositions du Statut ou du Règlement de procédure et de preuve. Il détient également le pouvoir dinformer le Conseil de sécurité de cette détermination formelle.
Le pouvoir deffectuer cette détermination formelle est un pouvoir inhérent : le Tribunal international doit détenir le pouvoir de dresser tous les constats formels nécessaires à lexercice de sa compétence principale. Ce pouvoir inhérent sexerce au bénéfice du Tribunal international afin quil puisse sacquitter pleinement de ses fonctions judiciaires fondamentales et que son rôle judiciaire soit protégé. Le pouvoir du Tribunal international dinformer le Conseil de sécurité tient à la relation qui existe entre ces deux institutions. Le Conseil de sécurité a établi le Tribunal international au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies dans le but de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie. Le corollaire logique de la manière dont le Tribunal international a été créé est quà chaque fois quun État ne respecte pas son obligation au titre de larticle 29 du Statut, lempêchant ainsi de remplir la mission que lui a confiée le Conseil de sécurité, le Tribunal international est en droit dinformer le Conseil de sécurité de ce non-respect.
34. Les pouvoirs susmentionnés ont été intégrés par le Tribunal international dans son Règlement de procédure et de preuve. Larticle 7 bis dispose :
A) Outre les cas visés aux articles 11 [ Non-respect dune demande officielle de dessaisissement] , 13 [ Non bis in idem] , 59 [ Défaut dexécution dun mandat darrêt ou dun ordre de transfert] et 61 [ Procédure en cas dinexécution dun mandat darrêt] , lorsquune Chambre de première instance ou un Juge est convaincu quun État a manqué à lune des obligations au titre de larticle 29 du Statut en rapport avec une affaire dont ils sont saisis, la Chambre ou le Juge peut demander au Président dinformer le Conseil de sécurité de ce manquement.
B) Si le Procureur convainc le Président quun État ne sest pas acquitté de lune de ses obligations au titre de larticle 29 du Statut en réponse à une demande formulée par le Procureur au titre des articles 8 [ Demande dinformation] , 39 [ Déroulement des enquêtes] ou 40 [ Mesures conservatoires] , le Président en informe le Conseil de sécurité.
À la lumière de ce qui précède, ladoption de larticle 7 bis doit clairement être considérée comme relevant de lautorité du Tribunal international. Cette conclusion est également confirmée par le fait que, jusquà présent, suite à une requête dune Chambre de première instance ou proprio motu, le Président du Tribunal international a dû, en cinq occasions différentes, informer le Conseil de sécurité du manquement dun État ou dune entité à son obligation au titre de larticle 2947. Le Conseil de sécurité, loin de sopposer à cette procédure, la, en général, faite suivre dune déclaration de son Président au nom de lorgane tout entier et sadressant à lÉtat ou à lentité récalcitrant.48
35. Il est judicieux à ce stade dillustrer le pouvoir du Tribunal international deffectuer cette détermination formelle. Lorsquils sont confrontés au non-respect présumé dune ordonnance ou dune requête émise au titre de larticle 29 du Statut, un juge, une Chambre de première instance ou le Président doivent être convaincus que lÉtat a clairement failli à son obligation de se conformer à lordonnance ou à la requête. Cette détermination est totalement différente de celle à laquelle peut aboutir, à la demande du Conseil de sécurité, un organe détablissement des faits ou, a fortiori, un organe politique ou quasi politique. Les constats dressés par ce dernier type dorganes peuvent constituer indéniablement, en fonction des circonstances, un rapport faisant autorité sur la situation dans un domaine dintérêt particulier du Conseil de sécurité. Ce rapport peut présenter lopinion de lorgane concerné sur la question de savoir si un État a failli aux normes internationales. De surcroît, les conclusions des organes concernés peuvent inclure des suggestions ou des recommandations de mesures pour le Conseil de sécurité. Par contre, le Tribunal international (cest-à-dire une Chambre de première instance, un juge ou le Président) sengage dans une activité proprement judiciaire : se fondant sur tous les principes et les règles reconnus en droit, il examine soigneusement le comportement dun certain État afin détablir formellement si oui ou non celui-ci a manqué à ses obligations internationales de coopérer avec le Tribunal international49.
36. De plus, la détermination formelle du Tribunal international ne doit comprendre aucune recommandation ou suggestion relative aux mesures que pourrait prendre le Conseil de sécurité suite à cette détermination.
Comme exposé ci-dessus, le Tribunal international ne peut empiéter sur les pouvoirs de sanction revenant, aux termes du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, au Conseil de sécurité. De surcroît, comme la affirmé ci-dessus la Chambre dappel (para. 26), tout État membre des Nations Unies a un intérêt juridique à demander le respect par tout autre État membre des ordonnances et des requêtes du Tribunal international décernées en application de larticle 29 du Statut. Confronté à une situation où le Tribunal international informe le Conseil de sécurité de sa détermination formelle dune violation de larticle 29, chaque État membre des Nations Unies peut se prévaloir de lintérêt juridique susmentionné. Il peut, en conséquence, demander à lÉtat récalcitrant de mettre fin à sa violation de larticle 29. En plus de ces éventuelles actions unilatérales, on peut également envisager une réponse collective par le biais dautres organisations intergouvernementales. Les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies et lesprit du Statut du Tribunal international visent à limiter, autant que possible, les risques darbitraire et de conflit. Ils encouragent donc les actions collectives ou communes entreprises à travers une organisation intergouvernementale. Il convient de souligner que cette action collective
i) ne peut être entreprise quaprès que le Tribunal international ait effectué la détermination formelle susmentionnée ; et
ii) peut revêtir, entre autres, la forme dune condamnation politique ou morale, dune requête collective de mettre fin à la violation ou de sanctions économiques ou diplomatiques.
De plus, laction collective serait justifiée en cas de violations répétées et flagrantes de larticle 29 par le même État et, à condition que le Conseil de sécurité ne se soit pas réservé des pouvoirs exclusifs sur la question, la situation sinscrivant dans le cadre dun état général de menace à la paix (art. 39).
37. Il convient dajouter quà lexception des cas prévus à larticle 7 bis B), le Président du Tribunal international na quun rôle de nuncius, cest-à-dire quil ne fait quinformer le Conseil de sécurité de la détermination formelle émanant de la Chambre de première instance ou le juge concernés.
1. Le Tribunal international peut-il décerner des injonctions aux responsables officiels des États ?
38. La Chambre dappel rejette la possibilité que le Tribunal international puisse décerner des injonctions aux responsables officiels des États agissant ès qualités. Ces officiels ne sont que des agents de lÉtat et leurs actions officielles ne peuvent être attribuées quà lÉtat. Ils ne peuvent faire lobjet de sanctions ou de pénalités pour une action qui nest pas privée mais entreprise au nom dun État. En dautres termes, les responsables officiels des États ne peuvent subir les conséquences des actes illicites que lon ne peut leur attribuer personnellement mais qui sont imputables à lÉtat au nom duquel ils agissent : ils jouissent dune immunité dite fonctionnelle. Cest là une règle bien établie du droit international coutumier qui remonte aux dix-huitième et dix-neuvième siècles50 et qui, depuis, a été réaffirmée à de nombreuses reprises. Plus récemment, la France a adopté dans laffaire duRainbow Warrior51 une position fondée sur cette règle. Celle-ci a aussi été clairement énoncée par la Cour Suprême dIsraël dans laffaire Eichmann52.
39. La Chambre dappel va maintenant examiner la question, distincte mais connexe, de savoir si les responsables officiels des États peuvent être les destinataires dordonnances contraignantes rendues par le Tribunal international.
La Croatie a avancé que le Tribunal international ne peut adresser des ordonnances contraignantes à des organes de lÉtat agissant ès qualités. Elle allègue quun tel pouvoir, sil existait, contredirait les principes bien établis du droit international, en particulier le principe affirmé à larticle 5 du Projet de codification de la responsabilité des États, adopté par la Commission du droit international, selon lequel la conduite de tout organe de lÉtat doit être assimilée à un acte de lÉtat en question, ce qui implique que tout acte internationalement illicite de responsables officiels dun État engage la responsabilité internationale de lÉtat en tant que tel et non pas celle du responsable officiel53. Le Procureur défend une opinion diamétralement opposée. Daprès lui, le pouvoir du Tribunal international de décerner des ordonnances avec force obligatoire aux responsables officiels des États est fondé essentiellement sur deux motifs : en premier lieu, larticle 7, paragraphes 2 et 4 et larticle 18 2) du Statut
. LAccusation affirme que ces dispositions montrent que "les représentants des États agissant ès qualités peuvent être liés par les décisions, les conclusions et les ordonnances du Tribunal"55. En particulier, larticle 18 2) du Statut, en stipulant que "le Procureur peut, selon que de besoin, solliciter le concours des autorités de lÉtat concerné", envisage que le Tribunal international puisse directement sadresser à des responsables officiels des États56. Lautre argument avancé par le Procureur repose essentiellement sur un syllogisme. La majeure du syllogisme consiste à dire que le Tribunal international doit être investi, au titre de larticle 29, du pouvoir de décerner des ordonnances contraignantes à des États. De même, il est habilité à délivrer de telles ordonnances à des personnes physiques car il nest pas possible quune cour pénale internationale dotée des pouvoirs du Tribunal international "nait pas celui dadresser ses ordonnances à des individus. Ses pouvoirs seraient autrement tout à fait inférieurs à ceux des juridictions pénales nationales sur lesquelles il prime"57. La mineure de ce syllogisme consiste à dire que, bien sûr, les responsables officiels des États sont des personnes physiques, même sils agissent ès qualités. La conclusion du syllogisme est que le Tribunal international doit nécessairement être investi du pouvoir dadresser ses ordonnances aux responsables officiels des États58.
40. La Chambre dappel entend souligner demblée que le raisonnement du Procureur, accueilli par la Chambre de première instance dans sa Décision relative à linjonction de produire59, repose clairement sur ce que lon pourrait appeler "lanalogie interne". Il est bien établi que, dans de nombreux systèmes juridiques internes, où les juridictions font partie intégrante de lappareil dÉtat et en constituent, de fait, la branche judiciaire, elles sont habilitées à décerner des ordonnances à dautres organes (par exemple administratifs, politiques ou même militaires), y compris aux responsables officiels de haut rang, au Premier Ministre ou au Chef de lÉtat. Ces organes, sauf exceptions bien définies, peuvent être assignés à témoigner, à produire des éléments de preuve, à comparaître devant la cour, etc. Ceci est considéré comme allant de soi dans les démocraties modernes où personne, pas même le Chef de lÉtat, nest au dessus des lois (legibus solibus).
La situation au plan international est totalement différente. Il est connu, omnibus lippis et tonsoribus, que la communauté internationale ne dispose pas dun gouvernement central, ni de la séparation et de léquilibre concomitants des pouvoirs. En particulier, les juridictions internationales, y compris le Tribunal international, ne constituent pas la branche judiciaire dun quelconque gouvernement central. La communauté internationale est essentiellement composée dÉtats souverains, tous jaloux de leurs prérogatives et privilèges de souveraineté et insistant sur leur droit respectif à légalité et au respect total par les autres États de leur domaine réservé. Tout organe international doit, par conséquent, tenir compte de cette structure fondamentale de la communauté internationale. Il sensuit que les juridictions internationales ne possèdent pas nécessairement, vis-à-vis des organes des États souverains, les mêmes pouvoirs quexercent les juridictions internes sur les organes administratifs, législatifs et politiques de lÉtat. Cest pourquoi la transposition au plan de la communauté internationale dinstitutions, interprétations ou approches juridiques prévalant dans un contexte national peut être source de confusion et derreurs. En plus de susciter lopposition des États, cette approche pourrait finir par gommer les caractéristiques distinctives des juridictions internationales.
41. Par conséquent, il semble tout à fait naturel que la Chambre dappel, pour traiter la question soulevée ci-dessus, commence par explorer les principes et règles généraux du droit international coutumier relatifs aux responsables officiels des États. Il est bien établi que le droit international coutumier protège lorganisation interne de chaque État souverain. Il laisse à chacun deux le soin de déterminer sa structure interne et, en particulier, de désigner les individus qui agiront en tant quorganes ou agents de lÉtat. Chaque État souverain a le droit dadresser des instructions à ses organes, aussi bien ceux opérant au plan national que ceux opérant dans le champ des relations internationales, de même quil peut prévoir des sanctions ou autres remèdes en cas de non-respect de ces instructions. Le corollaire de ce pouvoir exclusif des États est que chacun deux est en droit dexiger que les actes ou opérations accomplis par lun de ses organes agissant ès qualités soient imputés à lÉtat, si bien que lorgane en question ne peut être tenu de répondre de ces actes ou opérations.
La règle générale en cause est bien établie en droit international et repose sur légalité souveraine des États (par in parem non habet imperium). Les rares exceptions concernent une conséquence particulière de cette règle. Ces exceptions naissent des normes du droit international pénal prohibant les crimes de guerre, les crimes contre lhumanité et le génocide. Daprès ces normes, les responsables de ces crimes ne peuvent invoquer limmunité à légard des juridictions nationales ou internationales, même sils ont commis ces crimes dans le cadre de leurs fonctions officielles. De même, dautres catégories de personnes (par exemple les espions, tels que définis à larticle 29 du Règlement concernant les lois et coutumes de guerre sur terre annexé à la Convention IV de La Haye de 1907), bien quagissant en tant quorganes de lÉtat, peuvent être tenues pour personnellement responsables de leurs actes illicites.
La règle générale en cause a été appliquée en de nombreuses occasions, même sil sagissait principalement de lappliquer à travers son corollaire, à savoir le droit pour un État de réclamer pour ses organes une immunité fonctionnelle à légard des juridictions étrangères (cf. supra, para. 38)60. Cette règle sapplique indubitablement aux relations des États entre eux. Cependant, il convient également, et cela a de fait toujours été le cas, que les organisations et les juridictions internationales en tiennent compte. À chaque fois que ces organisations ou juridictions ont souhaité adresser à des États des recommandations, des décisions (dans le cas du Conseil de sécurité agissant au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies) ou des ordonnances ou requêtes judiciaires, elles se sont abstenues de sadresser à un responsable officiel particulier de lÉtat. Elles ont adressé la recommandation, décision ou lordonnance judiciaire à lÉtat pris comme entité, ou à ses "autorités"61. Dans le cas des juridictions internationales, elles ont, bien sûr, transmis leurs ordonnances ou requêtes par lintermédiaire de lagent représentant lÉtat devant la juridiction ou des agents diplomatiques habilités.
42. La question dont la Chambre dappel est saisie sénonce donc comme suit : le Statut du Tribunal international contient-il des dispositions ou principes qui autoriseraient une dérogation à cette règle bien établie du droit international ?
Comme nous lavons déjà évoqué, le Procureur a fortement mis laccent sur larticle 7, paragraphes 2) et 4) et sur larticle 18 2) du Statut62. La Chambre dappel va, à présent, examiner si cette insistance était justifiée. Commençons par larticle 7, paragraphes 2) et 4) du Statut. Il sagit à lévidence de dispositions qui envisagent la responsabilité pénale des organes dÉtats, confirmant ainsi lexception à la règle générale susmentionnée relative à la protection de lorganisation interne des États. Ces dispositions ne peuvent donc conforter les conclusions du Procureur.
Larticle 18 2) du Statut ne vient pas non plus étayer les conclusions du Procureur. Comme la souligné à juste titre la République de Croatie63, larticle 18 2) ne fait quenvisager le pouvoir du Procureur de solliciter le concours dun responsable officiel dun État dans le cadre de linstruction. Il serait fallacieux de déduire dune disposition, qui ne fait quénoncer le pouvoir de rechercher le concours dun responsable officiel dun État, lexistence dune quelconque obligation de coopérer pour ce même responsable officiel. Il découle de larticle 18 2) que lÉtat ne peut empêcher le Procureur de solliciter le concours dun responsable officiel particulier. Toutefois, ceci ne signifie pas que ce dernier est soumis à une obligation internationale dassistance. Cette obligation ne concerne que lÉtat. De plus, le fait que la disposition en question nest pas formulée en termes impératifs est dautant plus manifeste si on la compare avec la phrase précédente du même paragraphe, notamment dans la version anglaise ("Le Procureur est habilité à interroger les suspects, les victimes et les témoins, à réunir les preuves et à procéder sur place à des mesures dinstruction." "The Prosecutor shall have thepower to question suspects, victims and witnesses, to collect evidence and to conduct on-site investigations".). Larticle 18 2) a été conçu dans la perspective de "coopération" susmentionnée, soulignée à juste titre par le Procureur dans son mémoire. On ne peut lui attribuer de caractère obligatoire qui contredirait la teneur littérale de la disposition.
Quant à lautre argument avancé par le Procureur, reposant sur un syllogisme, il nest pas convaincant car il ne prend pas en considération la règle susmentionnée du droit international coutumier. Comme nous lavons noté ci-dessus (paragraphe 40), il est principalement fondé sur "une analogie interne".
43. Par conséquent, la Chambre dappel conclut que, daprès le droit international général aussi bien que daprès le Statut lui-même, les Juges ou les Chambres de première instance ne peuvent décerner dordonnances contraignantes aux responsables officiels des États. Sans aller jusquà qualifier lobligation visée à larticle 29 dobligation de résultat, comme la avancé un amicus curiae64, il est indéniable que les États, qui sont destinataires de telles obligations, disposent pour sy conformer dune relative liberté au plan du choix des personnes responsables et des modalités dexécution. Il appartient à chaque État concerné de déterminer les organes internes pertinents et compétents pour lexécution de lordonnance. Il sensuit que si un Juge ou une Chambre entendent décerner une ordonnance aux fins de production de documents, de saisie déléments de preuve, darrestation de suspects, etc., ils doivent sadresser à lÉtat concerné car il sagit dactes impliquant des mesures à prendre par un État, ses organes ou ses responsables officiels.
44. La Chambre dappel considère que la conclusion ci-dessus nest pas seulement fondée au plan du droit international mais quelle constitue également la seule conclusion acceptable dun point de vue pratique. Si, arguendo, lon devait accepter le pouvoir du Tribunal international de décerner des ordonnances contraignantes aux responsables officiels des États, disons, aux fins de production de documents, deux situations hypothétiques pourraient naître du manquement par le destinataire à son obligation de produire les documents sans retard indu et de lassignation subséquente à comparaître devant la Chambre de première instance compétente du Tribunal international qui sen suivrait. Il se pourrait, dune part, que le responsable officiel de lÉtat ait reçu lordre de ses autorités de refuser de produire les documents. Dans ce cas, quels seraient les avantages pratiques de lassigner à comparaître devant le Tribunal international, comme cela était indiqué dans linjonction de produire en cause ? A lévidence, le responsable officiel de cet État serait dans limpossibilité de passer outre les instructions de son gouvernement : ad impossibilia nemo tenetur. Même lavantage consistant à entendre le responsable officiel expliquer publiquement à la barre que son État refuse de produire les documents pourrait être obtenu simplement en rendant public le refus officiel des autorités compétentes de lÉtat de se conformer à larticle 29 du Statut. Il se pourrait, dautre part, quun responsable officiel de lÉtat refuse, de son propre chef, de remettre les documents, alors même que ses autorités supérieures entendent coopérer avec le Tribunal international. Ce pourrait, par exemple, être le cas si le responsable officiel donne à la législation nationale relative à ses fonctions et obligations, une interprétation différente de celle prônée par ses autorités supérieures. Dans ce cas et dans dautres cas similaires, la Chambre dappel narrive pas à entrevoir lavantage quil y aurait à lassigner devant le Tribunal international. Cest à son État quil revient de lobliger, par tous les remèdes juridiques internes disponibles, à se conformer à linjonction de produire décernée par le Tribunal international (cf. toutefois lexception envisagée infra par la Chambre dappel, paragraphe 51). De toute évidence, comme les responsables officiels des États ne sont que des instruments aux mains des États souverains, il ny a aucun intérêt pratique à les désigner individuellement, à les obliger à produire des documents et à les contraindre à comparaître devant la Cour. Cest lÉtat qui est lié par larticle 29 et cest lÉtat au nom duquel le responsable officiel ou lagent agit qui constitue linterlocuteur légitime du Tribunal international. Les États encourent donc une responsabilité internationale pour toute violation grave de cette disposition par leurs responsables officiels.
45. Alors que dun point de vue juridique le Tribunal international ne peut adresser des ordonnances aux responsables officiels des États agissant ès qualités, la Chambre dappel accepte quil puisse se révéler utile en pratique pour le Greffier du Tribunal international de notifier aux responsables officiels les ordonnances décernées à lÉtat. Cette notification répond au seul objectif dinformer de lordonnance décernée à lÉtat les responsables officiels qui, daprès le Procureur ou le Conseil de la défense, pourraient détenir les documents. Si les autorités centrales sont disposées et prêtes à se conformer à larticle 29, cette procédure pratique peut savérer propice à laccélération du processus interne de production des documents.
46. Ni la Croatie ni le Procureur ne nient que le Tribunal international puisse adresser des ordonnances contraignantes sous forme dinjonctions (cest-à-dire portant sanction en cas de non exécution), à des personnes physiques agissant à titre privé. Cependant, la Chambre dappel considère quil est nécessaire de se pencher sur cette question, en se demandant notamment si les responsables officiels des États peuvent faire lobjet dune injonction à titre privé. De surcroît, il semble que la question des remèdes éventuels dont disposerait le Tribunal international en cas de non-respect fasse lobjet de désaccords.
47. La Chambre dappel est davis que lesprit du Statut, ainsi que les buts poursuivis par le Conseil de sécurité lorsquil a établi le Tribunal international, démontrent quun Juge ou une Chambre sont investis de lautorité dassigner des témoins à comparaître, denjoindre à la production de documents, etc. Cette autorité nest cependant pas fondée sur le raisonnement selon lequel, le Tribunal international jouissant dune primauté par rapport aux juridictions pénales nationales, il ne peut que posséder au moins les mêmes pouvoirs que ces juridictions. Cet argument est vicié car le Tribunal international est doté dun certain nombre de caractéristiques qui le différencient notablement des juridictions nationales. Par conséquent, cela revient à un petitio principii : ce nest quaprès avoir prouvé que les pouvoirs et fonctions essentiels des deux types de juridictions (le Tribunal international et les tribunaux nationaux) sont similaires que lon pourrait en déduire que le Tribunal international a les mêmes pouvoirs que les tribunaux nationaux de contraindre des individus à produire des documents, comparaître devant la Cour, etc. Comme indiqué ci-dessus, le pouvoir du Tribunal international de décerner des ordonnances contraignantes à des personnes physiques découle plutôt de lobjet et du but général du Statut, ainsi que du rôle que le Tribunal international est appelé à jouer dans ce cadre. Le Tribunal international est une juridiction pénale internationale qui constitue une nouveauté dans la communauté mondiale. Normalement, les individus soumis à lautorité souveraine des États ne peuvent être jugés que par des tribunaux nationaux. En règle générale, si un tribunal national entend juger un individu relevant de la juridiction dun autre État, il aura recours aux traités dentraide judiciaire ou, si de tels traités nexistent pas, à une coopération volontaire entre États. Ainsi, la relation entre les juridictions nationales des différents États est de nature "horizontale". En 1993, le Conseil de sécurité a, pour la première fois, établi une juridiction pénale internationale dotée dune compétence à légard de personnes physiques résidant dans des États souverains, quil sagisse des États de lex-Yougoslavie ou dÉtats tiers et a, de surcroît, conféré au Tribunal international une primauté sur les juridictions nationales. De la même manière, le Statut dote le Tribunal international du pouvoir de décerner à des États des ordonnances contraignantes relatives à un vaste éventail de questions juridiques (y compris lidentification et la recherche des personnes, la réunion de témoignages et la production déléments de preuve, la signification de documents, larrestation ou la détention de personnes et la remise ou le transfert des accusés au Tribunal international). Il a donc clairement été établi une relation "verticale", pour autant que les pouvoirs judiciaires et dinjonction du Tribunal international soient concernés (alors que, dans le domaine des mesures coercitives, le Tribunal international reste dépendant des États et du Conseil de sécurité).
De plus, le pouvoir susmentionné est énoncé dans des dispositions telles que larticle 18 2), première phrase ("Le Procureur est habilité à interroger les suspects, les victimes et les témoins, à réunir des preuves et à procéder sur place à des mesures dinstruction" ; non souligné dans loriginal) et larticle 19 2) ("Sil confirme lacte daccusation, le juge saisi, sur réquisition du Procureur, décerne les ordonnances et mandats darrêt, de détention, damener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès" ; non souligné dans loriginal).
48. Lesprit et le but du Statut, ainsi que les dispositions susmentionnées, confèrent au Tribunal international une compétence incidente ou accessoire sur des personnes physiques autres que celles quil peut poursuivre et juger. Il sagit des individus qui seraient susceptibles dassister le Tribunal international dans sa mission dadministration de la justice pénale. De plus, comme signalé ci-dessus, larticle 29 impose également aux États lobligation de prendre, suite aux requêtes du Tribunal international, les mesures nécessaires vis-à-vis des personnes physiques relevant de leur compétence.
2. Catégories de personnes visées par lexpression "personnes agissant à titre privé"
49. Il convient de faire remarquer que la catégorie des "personnes agissant à titre privé" comprend aussi les agents dun État qui ont, par exemple, assisté à un crime ou découvert ou reçu des éléments de preuve pertinents pour lAccusation ou la Défense, avant de prendre leurs fonctions officielles. Dans ce cas, ces personnes peuvent, à juste titre, se voir adresser une injonction. Leur importance pour les poursuites ou les actions judiciaires devant le Tribunal international na aucun rapport avec leurs fonctions actuelles de responsables officiels dun État.
50. Il peut en aller de même dans le cas de lexemple avancé par le Procureur dans son Mémoire65: le cas d"un représentant officiel [qui], dans lexercice de ses fonctions, est témoin dun crime relevant de la compétence du [T]ribunal [international], commis par un officier supérieur". Selon le Procureur, "[o]n ne peut avancer que ce représentant est exempt des ordonnances aux fins de témoigner de ce qui a été vu"66. Dans ce cas, lindividu était indéniablement présent lors de cet acte en raison de sa qualité de responsable officiel; cependant, on peut soutenir quil a vu cet acte en sa qualité de personne privée. On peut illustrer cet argument par lexemple dun colonel qui, au cours dun transfert de routine vers une autre zone de combat, entend par hasard un général donner lordre de bombarder des civils ou des objectifs civils. Dans ce cas, il faut considérer que la personne a agi à titre privé et quelle peut, par conséquent, être contrainte par le Tribunal international à déposer sur les événements dont elle a été le témoin. Si, par contre, au moment où il a assisté au crime, le responsable officiel dun État exerçait bel et bien ses fonctions, cest-à-dire que le contrôle et linspection faisaient partie de ses fonctions officielles, il a alors agi à titre dorgane de lÉtat et ne peut donc faire lobjet dune injonction. Cette hypothèse est illustrée par lexemple où notre colonel fictif a entendu lordre alors quil était en mission officielle dinspection de la conduite des belligérants sur le champ de bataille.
La situation est différente en ce qui concerne un responsable officiel (par exemple, un général) agissant en qualité de membre dune force internationale de maintien ou dimposition de la paix telle la FORPRONU, lIFOR ou la SFOR. Même sil a été témoin de la perpétration ou de la planification dun crime en sa qualité dobservateur dans lexercice de ses fonctions officielles, le Tribunal devrait le considérer comme une personne agissant à titre privé. En effet, un tel officier se trouve en ex-Yougoslavie en tant que membre dune force armée internationale chargée du maintien ou de limposition de la paix et non en tant que membre de la structure militaire de son propre pays. Lorigine de son mandat est la même que celle du Tribunal international, à savoir une résolution du Conseil de sécurité67 et, par conséquent, il doit témoigner, sous réserve du respect des conditions stipulées dans le Règlement68.
51. On peut envisager un autre cas qui, bien que plus complexe, nest pas irréaliste dans des pays devant faire face à des circonstances extraordinaires comme une guerre ou les conséquences dune guerre. Suite à la délivrance dune ordonnance contraignante adressée à un État se trouvant dans la situation susvisée aux fins de produire les documents nécessaires à un procès, un responsable officiel de cet État, qui détient ces éléments de preuve à titre officiel et à qui ses autorités ont demandé quil les remette au Tribunal international, peut refuser de le faire et il se peut que les autorités centrales naient pas les moyens juridiques ou matériels de faire exécuter la demande du Tribunal international. Dans ce scénario, le responsable officiel de lÉtat ne se conduit plus comme un instrument de lappareil de lÉtat quil représente. Pour les objectifs limités de la procédure pénale, il est sage de ramener, pour ainsi dire, le responsable officiel dun État au rang dindividu agissant à titre privé et de prendre contre lui toutes les mesures et toutes les sanctions auxquelles on peut avoir recours contre les personnes qui ne se conforment pas à une assignation et auxquelles il est fait référence ci-après (paragraphes 57-59). Il pourrait faire lobjet dune injonction et, sil ne comparaît pas à laudience, des procédures pour outrage au Tribunal international pourraient être engagées contre lui. En effet, dans ce scénario, le responsable officiel dun État, en dépit des instructions reçues de son gouvernement, entrave délibérément la procédure pénale internationale, compromettant ainsi la fonction essentielle du Tribunal international: rendre la justice. Il incombera par ailleurs à la Chambre de première instance de décider si lÉtat doit également rendre compte de ses actes. La Chambre de première instance devra décider sil convient deffectuer une détermination formelle constatant que lÉtat ne sest pas conformé à larticle 29 du Statut (en se fondant sur larticle 11 du Projet de codification de la responsabilité des États préparé par la Commission du droit international69) et demander au Président du Tribunal international de la transmettre au Conseil de sécurité.
52. La Chambre dappel se doit dexaminer deux questions supplémentaires: les modalités suivant lesquelles le Tribunal international peut entrer en contact avec les personnes et les remèdes juridiques disponibles en cas de non-respect par des individus.
53. La Chambre dappel souhaite faire deux remarques générales et préliminaires. Premièrement, il conviendrait détablir une distinction entre les anciens États ou entités belligérants de lex-Yougoslavie et les États tiers. La première catégorie vise les États: i) sur le territoire desquels des crimes peuvent avoir été commis; et, en outre, ii) dont il se peut que certaines autorités soient, dune manière ou dune autre, impliquées dans la perpétration de ces crimes. En conséquence, dans le cas de ces États, passer par les voies officielles pour identifier, citer à comparaître et interroger les témoins ou pour mener des enquêtes sur le terrain, pourrait compromettre les enquêtes menées par le Procureur ou le Conseil de la défense. En particulier, la présence de responsables officiels au cours de linterrogatoire dun témoin peut dissuader le témoin de dire la vérité et peut aussi mettre en péril non seulement sa propre vie ou son intégrité personnelle mais peut-être aussi celles des membres de sa famille. Il en résulte que la présence de responsables officiels au cours de ces enquêtes serait contraire à la mission et à la fonction mêmes du Tribunal international. Les États et entités de lex-Yougoslavie sont tenus de coopérer avec le Tribunal international de façon à lui permettre de sacquitter de ses fonctions. Cette obligation (qui, il faut le souligner, a été réitérée dans les Accords de Dayton et Paris), implique aussi que les États doivent permettre au Procureur et à la Défense de remplir leurs tâches sans rencontrer le moindre obstacle ou la moindre difficulté.
54. Deuxièmement, les lois de mise en oeuvre du Statut du Tribunal international édictées par certains États70 stipulent que toute ordonnance ou requête du Tribunal international doit être adressée à un organe central précis du pays, qui le transmet ensuite aux instances compétentes en matière judiciaire ou de poursuites. On peut en conclure que toute ordonnance ou requête devrait, par conséquent, être adressée à cet organe central national.
De toute évidence, ces lois tendent à appliquer aux relations entre les autorités nationales et le Tribunal international la même approche que celle adoptée normalement par les États dans leur traités bilatéraux ou multilatéraux dentraide judiciaire. Ces traités sont, bien sûr, conclus entre des États souverains et égaux. Tout est donc placé sur un plan "horizontal" et chaque État se préoccupe de ses attributs souverains lorsquil sagit de sacquitter de fonctions juridictionnelles ou de poursuites. Il en résulte que toute manifestation dactivité en matière judiciaire ou denquêtes (recueillir des éléments de preuve, saisir des documents, interroger des témoins, etc.) demandée par lun des États contractants doit être exercée exclusivement par les autorités compétentes de lÉtat à qui la demande est faite. La même approche a été adoptée par les États susmentionnés vis-à-vis du Tribunal international, en dépit de la primauté reconnue à celui-ci en application du Statut et de la relation "verticale", à laquelle il est fait allusion ci-dessus71. Cependant, chaque fois quune loi dexécution de ce type savère être en contradiction avec lesprit et la lettre du Statut, on peut se fonder sur un principe bien connu de droit international pour empêcher les États de se réfugier derrière leur législation nationale pour se soustraire à leurs obligations internationales72.
55. Après ces remarques générales, la Chambre dappel souligne quune distinction devrait être établie entre deux catégories dactes ou opérations :
i) ceux qui peuvent exiger la coopération dinstances judiciaires ou dorganes chargés des poursuites de lÉtat où la personne se trouve (mener des enquêtes sur le terrain, exécuter des mandats darrêt, saisir des éléments de preuve, etc.); et
ii) ceux qui peuvent être exécutés par la personne privée à qui lordonnance ou linjonction est adressée et qui agit soit delle-même soit conjointement avec un enquêteur désigné par le Procureur ou le Conseil de la défense (recueillir des déclarations de témoins, produire des documents, communiquer des cassettes vidéos ou dautres éléments de preuve documentaires, comparaître à laudience à La Haye, etc.).
Pour la première catégorie dactes, à moins quils ne soient autorisés par la législation interne ou par des accords spéciaux, le Tribunal international doit sadresser aux autorités nationales compétentes73. Cette procédure est soumise à lexception qui frappe les États ou entités de lex-Yougoslavie: dans leur situation, pour les raisons susmentionnées, certaines opérations comme, en particulier, les enquêtes sur le terrain, peuvent être menées à juste titre par le Tribunal international lui-même.
Sagissant de la deuxième catégorie, le Tribunal international sadressera normalement, une fois encore, aux autorités nationales pour obtenir leur coopération74. Cependant, on peut citer deux catégories de cas où le Tribunal international peut sadresser directement à une personne privée :
i) lorsque la législation de lÉtat concerné ly autorise75 ;
ii) lorsque les autorités de lÉtat ou de lEntité en question, après avoir été priées de se conformer à une ordonnance du Tribunal international, empêchent celui-ci de remplir ses fonctions. Cette hypothèse est illustrée par lexemple précité (paragraphe 49) dun responsable officiel qui a été le témoin dun crime ou qui est entré en possession dun document avant de devenir un responsable officiel de lÉtat ou par les autres exemples de responsables officiels susmentionnés (paragraphes 50). Dans ces exemples, les autorités de lÉtat peuvent, en vertu de leur législation ou de leur usage, être en mesure dempêcher une personne de témoigner ou de communiquer un document particulier76.
Dans les scénarios susmentionnés, lattitude de lÉtat ou de lentité peut compromettre lexercice des fonctions fondamentales du Tribunal international. Il faut, par conséquent, supposer que le pouvoir inhérent de sadresser directement à ces personnes sexerce au bénéfice du Tribunal international. Sil nétait pas investi de ce pouvoir, le Tribunal international se trouverait dans limpossibilité de garantir un procès équitable aux personnes accusées davoir commis des atrocités en ex-Yougoslavie. Comme la déclaré avec force le Procureur devant la Chambre dappel :
Donc si, en théorie, un État adoptait une loi qui interdit à ses citoyens de témoigner, nous dirions que cette législation nest pas valable en droit international. Nous affirmerions alors le droit du Tribunal à sadresser directement à la personne en décernant une ordonnance à cet effet, permettant vraisemblablement à cette personne dobéir à lordre supérieur du droit international, même si elle doit pour ce faire désobéir à son propre droit interne. Je pense quil irait à lencontre du but recherché de laisser entendre que nous sommes à la merci de lappareil dun État lorsque ses citoyens sont plus désireux que leur gouvernement de sacquitter de leurs obligations envers cette institution.
....
[Si] nous avons des raisons de croire que le témoin serait prêt à exécuter lordonnance mais que lÉtat, soit en raison de sa législation soit de son attitude, sil na pas adopté de législation, nest pas disposé à aider, ... nous aurions incontestablement le droit de nous adresser directement à cette personne. Par courrier, ce serait préférable, plus prudent que denvoyer à cette seule fin des membres de notre personnel dans un territoire hostile"77. (Traduction non officielle)
56. Dans les deux situations susmentionnées, le Tribunal international peut convoquer directement un témoin, ordonner à une personne de remettre des éléments de preuve ou de comparaître devant un juge ou une Chambre de première instance. En dautres termes, le Tribunal international peut sadresser sans intermédiaire à une personne subordonnée à lautorité souveraine dun État. Cette personne, qui est soumise à la compétence pénale accessoire (ou incidente) du Tribunal international, a le devoir de se conformer aux ordres, requêtes et citations à comparaître.
4. Les remèdes disponibles en cas de non-respect
57. La deuxième question que la Chambre dappel va à présent examiner est celle
des remèdes juridiques disponibles lorsquune personne refuse de donner effet à une
ordonnance ou à une injonction du Tribunal international. Il convient ici détablir
une distinction entre :
i) les sanctions et les peines qui peuvent être imposées par les autorités de
lÉtat dans lequel la personne réside, et
ii) les sanctions et les peines qui peuvent être imposées par le Tribunal international.
Les sanctions entrant dans la première catégorie sont citées ou invoquées dans plusieurs lois de mise en oeuvre adoptées par les États. Ces lois disposent que, en cas de non-respect dune ordonnance du Tribunal international, les autorités nationales appliquent les mêmes sanctions et peines que celles prévues dans le cas où une personne ignore une ordonnance ou une injonction décernée par une autorité nationale78. En outre, comme la démontré les excellentes études soumises au titre damicus curiae79, la plupart des États, quils appliquent la common law ou le droit romain, prévoient en général lexécution des citations à comparaître et des injonctions décernées par les juridictions internes. Il est plausible que, dans ces États, les autorités nationales soient prêtes à aider le Tribunal international en ayant recours à leur propre législation pénale interne.
58. La Chambre dappel est davis que, normalement, le Tribunal international devrait sadresser aux autorités nationales compétentes afin de requérir des remèdes ou des sanctions pour le non-respect par une personne dune ordonnance ou injonction décernée par un juge ou une Chambre de première instance. Les sanctions et peines juridiques mises en place par les autorités nationales elles-mêmes ont plus de chance daboutir efficacement et rapidement. Cependant, il faudrait tenir compte des cas où le recours aux remèdes ou sanctions nationaux savérerait impossible. Cest la situation rencontrée dans les cas où, demblée, le Tribunal international décide de sadresser directement à des personnes, à la demande du Procureur ou de la défense, en se fondant sur lhypothèse que les autorités de lÉtat ou de lentité, soit lempêcheraient de remplir sa mission (cf. supra, para. 55), soit seraient incapables de contraindre un responsable officiel dÉtat à se conformer à une ordonnance décernée en application de larticle 29 du Statut (cf. supra le cas cité au paragraphe 51). Dans ces cas, il pourrait savérer sans objet de demander à ces autorités nationales dexécuter lordonnance du Tribunal en ayant recours à des procédures internes.
59. Les remèdes à la disposition du Tribunal international peuvent aller dun pouvoir général de déclarer des personnes coupables doutrage au Tribunal international (si on a recours au pouvoir inhérent de punir pour outrage, mentionné à juste titre par la Chambre de première instance80) au pouvoir précis de punir pour outrage prévu à larticle 77 du Règlement. Il convient dajouter que si la personne qui fait lobjet de linjonction et qui refuse de communiquer les documents ou de comparaître à laudience, refuse aussi de se présenter lors des audiences relatives à loutrage, des audiences par défaut (in absentia) ne sont pas à exclure. Dans son exposé, le Procureur a soutenu quil serait "tout à fait hypothétique et spéculatif denvisager un procès par défaut pour outrage"81. À linverse, le Conseil représentant la Croatie a reconnu dans son exposé que des audiences par défaut seraient acceptables à condition quelles respectent "les exigences dune bonne administration de la justice" et quelles sapparentent à ce que lon appelle, dans les juridictions des États-Unis dAmérique, des "outrages civils", "qui nimposeraient pas de sanctions pénales mais pourraient, néanmoins, contraindre un individu, éventuellement par lemprisonnement, jusquà ce quil décide de respecter lordonnance rendue par ce Tribunal"82.
La Chambre dappel conclut que dans de telles circonstances, il ne serait pas judicieux dintenter des poursuites par défaut (in absentia) contre des personnes relevant de la compétence principale du Tribunal international (cest-à-dire des personnes accusées des crimes visés aux articles 2 à 5 du Statut). De fait, même lorsque laccusé a clairement renoncé à son droit dêtre présent à son procès (article 21 4) d) du Statut), une cour pénale internationale trouverait extrêmement difficile, voire impossible, de déterminer son innocence ou sa culpabilité. Par contre, une action engagée par défaut pourrait exceptionnellement se justifier dans des cas doutrage au Tribunal, lorsque lauteur de loutrage ne comparaît pas, faisant ainsi obstruction à la bonne administration de la justice. De telles affaires tombent sous la compétence incidente ou accessoire du Tribunal international.
Si de telles actions par défaut étaient établies, tous les droits fondamentaux de laccusé relatifs à lexigence dun procès équitable devraient être préservés. Entre autres choses, bien que labsence de la personne doive être considérée, dans certaines conditions, comme une renonciation à son "droit à être présente au procès", cette personne devrait pouvoir choisir son conseil. La Chambre dappel estime quil faudrait également remplir les autres garanties prévues dans la Convention européenne des droits de lhomme83.
60. Bien sûr, si un juge ou une Chambre décide de décerner une injonction de produire ou une citation à comparaître directement à une personne résidant dans un État précis et que, au même moment, ce juge ou cette Chambre en informe les autorités nationales de cet État, cette procédure permettra à ces autorités nationales daider plus facilement le Tribunal international en faisant exécuter les ordonnances. Si, au contraire, le juge ou la Chambre décide de ne pas en informer ces autorités nationales, le seul moyen quaura le Tribunal international de répondre au refus dune personne de donner effet à une injonction ou à une ordonnance sera nécessairement de recourir à ses propres procédures relatives à loutrage.
E. LA QUESTION DES PRÉOCCUPATIONS DE SÉCURITÉ NATIONALE
61. La Croatie a avancé que le Tribunal international nest habilité ni à juger ni à statuer sur les arguments de la Croatie touchant à sa sécurité nationale84. Se référant à laffaire duDétroit de Corfou, elle soutient que "la définition des exigences de la sécurité nationale de chaque État est un attribut essentiel de sa souveraineté"85. La Chambre de première instance, dans sa Décision relative à linjonction de produire86, tout comme le Procureur87, adopte le point de vue opposé. Dans son examen exhaustif de cette question délicate, la Chambre de première instance conclut:
"[De] même, un État invoquant un argument touchant à sa sécurité nationale comme raison de ne pas produire les éléments de preuve demandés par le Tribunal international ne peut, par conséquent, être dispensé de son obligation en prétextant de façon générale que sa sécurité est en jeu. Il incombe donc à lÉtat de faire la preuve de son objection."88
Et la Chambre de première instance de poursuivre:
"aux fins de statuer sur la validité des affirmations formulées par un État particulier et relatives à des préoccupations de sécurité nationale, la Chambre de première instance [saisie de laffaire criminelle en cause] peut tenir des audiences à huis clos, conformément aux dispositions des articles 66 C) et 79 du Règlement. En outre, dans le but de sauvegarder la confidentialité des informations, elle peut initialement organiser une audience non contradictoire dune manière analogue à celle prévue à larticle 66 C) du Règlement."89
Dans son Mémoire, le Procureur affirme, entre autres, que la position de la Croatie "empêcherait le Tribunal de remplir le mandat dont la chargé le Conseil de sécurité, à savoir poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, faisant ainsi obstacle à son but principal et à sa mission première. Cela nuirait gravement à ladministration efficace de la justice."90
62. La Chambre dappel conclut que largument de la Croatie doit être rejeté, pour trois raisons.
Premièrement, la référence à laffaire du Détroit de Corfou est inappropriée. Il est vrai que la Cour internationale de justice sest contentée de prendre note du refus britannique de produire les documents relatifs à la navigation requis par la Cour91, motivé par "le secret naval". Cependant, cette requête était formulée en vertu des articles 49 du Statut92 et 54 du Règlement93 de la Cour internationale de justice. La première de ces deux dispositions, naturellement investie dune plus grande autorité, est indéniablement libellée en termes non obligatoires. Il en va autrement dans le cadre du Tribunal international: le libellé de larticle 29 de son Statut est clairement impératif. Parmi les précédents plus pertinents en lespèce, citons les affaires dites du Sabotage, portées devant la Commission mixte des différends États-Unis / Allemagne dans les années 193094; laffaire Ballo, tranchée par le Tribunal administratif de lOrganisation internationale du travail en 197295 ; laffaire Chypre c/ Turquie, portée devant la Commission européenne des droits de lhomme en 197696 et enfin la décision du 20 janvier 1989 rendue par la Cour interaméricaine des droits de lhomme dans laffaire Godinez Cruz97. Ces affaires montrent quen certaines occasions les États se sont conformés aux requêtes judiciaires aux fins de production de documents sensibles ou confidentiels. Lexamen de ces documents par linstance judiciaire sest alors déroulé à huis clos. Dans laffaireChypre c/ Turquie, lÉtat en cause sétant refusé à se conformer à la requête de la Commission, celle-ci a dressé constat de ce refus et en a informé lorgane politique compétent98.
63. Deuxièmement, une interprétation littérale de larticle 29 du Statut fait clairement ressortir quil nest envisagé aucune exception à lobligation faite aux États de se conformer aux requêtes et ordonnances émanant dune Chambre de première instance. Chaque fois que le Statut entend limiter les pouvoirs du Tribunal international, il le fait expressément, comme le démontre son article 21 4) g), qui interdit au Tribunal international de "forcer" une personne accusée à "témoigner contre elle-même ou de savouer coupable". Par conséquent, il serait injustifié de trouver dans larticle 29 des limites ou restrictions aux pouvoirs du Tribunal international qui ne sont pas expressément envisagées soit à larticle 29 soit aux autres dispositions du Statut.
64. La Croatie a allégué que, le Statut sinscrivant dans le cadre du droit international coutumier, ses rédacteurs nétaient pas tenus dy rappeler les principes de la souveraineté des États, de la sécurité nationale et de la "doctrine du fait du prince". Selon elle, puisque ces principes sont fermement ancrés dans le Statut, il nétait "absolument pas nécessaire de prévoir des dérogations explicites [à ces principes] dans le Statut"
. La Chambre dappel est davis que cet argument ne peut sappliquer aux questions relatives à la sécurité nationale.
Certes, les règles du droit international coutumier protègent effectivement la sécurité nationale des États en interdisant à tous les État de singérer ou de simmiscer dans les affaires intérieures dautres États, y compris dans les questions relevant de la sécurité nationale. Larticle 2 7) de la Charte des Nations Unies reflète ces règles pour ce qui concerne les rapports entre les États membres des Nations Unies et lOrganisation. Cependant, larticle 2 7) de la Charte prévoit, pour ce qui est des mesures coercitives visées au Chapitre VII de la Charte, une exception significative à la règle de linviolabilité du domaine réservé des États100. Puisque le Statut du Tribunal international a été adopté au titre de ce chapitre même, il peut passer outre cette règle dinviolabilité.
De surcroît, même sil est vrai que les règles du droit international coutumier peuvent, sur certains points tels que "la doctrine du fait du prince", se révéler pertinentes là où le Statut est muet, il nest nul besoin dy recourir lorsque le Statut contient une disposition explicite en la matière, comme cest le cas à larticle 29. Vu la nature même de lobligation novatrice et radicale visée à larticle 29 et son effet indéniable sur la souveraineté des États et la sécurité nationale, il ne peut être allégué que lomission dexceptions dans sa formulation résulte dun oubli. Si les "pères fondateurs" avaient entendu imposer des limites à cette obligation, ils lauraient fait, comme ils lont fait dans le cadre de larticle 21 4) g). Larticle 29, par conséquent, déroge clairement et délibérément aux règles du droit international coutumier que la Croatie met en avant. En un mot, alors que dans le cas des responsables officiels des États, le Statut suit manifestement le droit international général, comme la Chambre dAppel la établi ci-dessus (paragraphe 41 et 42), dans le cas des préoccupations touchant à la sécurité nationale, il se démarque nettement du droit international coutumier. Cette différence dattitude à légard de règles générales sexplique aisément. Dans le cas des responsables officiels, aucune raison convaincante ne justifie de sécarter des règles générales. Pour mettre en oeuvre les pouvoirs qui découlent de larticle 29, il suffit que le Tribunal international adresse ses ordonnances et ses requêtes aux États (qui sont précisément visés par les obligations énoncées dans cette disposition). Par contre, comme la Chambre dappel sapprête à le démontrer au paragraphe suivant, permettre aux intérêts de sécurité nationale dempêcher le Tribunal international dobtenir des documents pouvant se révéler dune importance décisive pour la conduite des procès, reviendrait à saper lessence même de la mission fondamentale du Tribunal international.
65. Troisièmement, comme le Procureur la avancé de manière convaincante101, accorder aux États un droit général de refuser de communiquer des documents nécessaires au procès, pour raison de sécurité, pourrait mettre en échec la fonction même du Tribunal international, et ferait "ainsi obstacle à son but principal et à sa mission première". Le Tribunal international a été créé pour poursuivre les personnes présumées responsables de crimes de guerre, de crimes contre lhumanité et de génocide. Ces crimes sont liés au conflit armé et aux opérations militaires. Il est donc évident que des documents militaires ou dautres éléments matériels de preuve se rapportant, aux opérations militaires, peuvent se révéler dune importance cruciale pour le Procureur comme pour la Défense, afin détablir la culpabilité présumée dun accusé, surtout lorsque la responsabilité du supérieur hiérarchique est en cause (en lespèce, des documents militaires pourraient être nécessaires pour établir, ou réfuter, la chaîne de commandement, le degré de contrôle exercé sur les troupes par un commandant militaire, la mesure dans laquelle ce dernier était au courant des actes de ses subordonnés, etc.). Admettre quun État détenteur de tels documents puisse unilatéralement invoquer des motifs de sécurité nationale pour refuser de les produire, risquerait de rendre vaine la procédure pénale internationale. Ces documents pourraient se révéler cruciaux pour établir si laccusé est innocent ou coupable. Laraison dêtre même du Tribunal international serait atteinte.
66. Les considérations qui précèdent entraînent une conséquence importante. Celles des législations nationales de mise en oeuvre qui, telles les lois adoptées par lAustralie102 et la Nouvelle Zélande103 autorisent les autorités nationales à refuser de se soumettre aux requêtes du Tribunal international lorsque celles-ci portent atteinte à la "souveraineté, la sécurité ou les intérêts nationaux" de lÉtat, ne semblent pas entièrement compatibles avec le Statut104.
2. Modalités permettant éventuellement de faire droit aux préoccupations de sécurité nationale.
67. Ayant affirmé le principe de base selon lequel un État ne peut invoquer la sécurité nationale pour refuser de produire des documents, la Chambre dappel souhaite, cependant, ajouter que le Tribunal international ne devrait pas rester indifférent aux préoccupations légitimes de lÉtat en matière de sécurité nationale, dautant que, comme la Chambre de première instance la justement fait remarquer105, le Tribunal international prend déjà en compte les intérêts liés à la sécurité nationale aux articles 66 C) et 77 B) du Règlement.
Dans le respect des directives générales visées à larticle 89 B) et D) du Règlement, la meilleure façon de concilier, dune part, le pouvoir qua le Tribunal international dordonner aux États de produire les documents intéressant directement le procès et de les obtenir avec, dautre part, les exigences légitimes des États liées à leur sécurité nationale, a été correctement indiquée par la Chambre de première instance dans sa Décision relative à linjonction de produire. Elle suggérait que des audiences pourraient être tenues à huis clos et de manière non contradictoire ex parte pour examiner la validité de largument de sécurité nationale invoqué par les États. La Chambre dappel, tout en adoptant la même approche, suggère ici des méthodes et des procédés concrets qui pourraient se distinguer de ceux recommandés par la Chambre de première instance.
68. Premièrement, il convient de considérer si lÉtat concerné a agi et continue dagir de bonne foi. Comme la Cour internationale de justice la fait remarquer dans laffaire des Essais nucléaires, "[L]un des principes de base qui président à la création et à lexécution dobligations juridiques, quelle quen soit la source, est celui de la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale, surtout à une époque où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indispensable"106. Le degré de bonne foi de lÉtat concerné dans sa coopération avec le Tribunal international, lassistance quil lui prête, son attitude générale à son égard (quil soppose à laccomplissement de la mission du Tribunal ou, au contraire, que régulièrement il lassiste et lui apporte son soutien sans défaillance) sont indubitablement des facteurs que le Tribunal international peut souhaiter prendre en compte tout au long de lexamen des documents dont lÉtat allègue quils touchent à sa sécurité nationale.
Deuxièmement, lÉtat en cause pourrait être invité à soumettre ces documents à lexamen dun juge de la Chambre de première instance, mandaté par celle-ci. De toute évidence, le fait que leur examen soit confié à un juge et un seul devrait rassurer lÉtat sur le risque de voir ses secrets en matière de sécurité nationale tomber accidentellement dans le domaine public.
Troisièmement, pour garantir un maximum de confidentialité, si les documents ne sont pas rédigés dans lune des deux langues officielles du Tribunal international, lÉtat concerné devrait fournir, en sus des originaux, les traductions authentiques correspondantes, afin déviter que les documents ne soient vus par les traducteurs du Tribunal international.
Quatrièmement, le juge devrait procéder à leur examen à huis clos, en audience non contradictoire, sans établir de compte-rendu daudience.
Cinquièmement, les documents que le juge estimera finalement non pertinents en lespèce, et ceux à légard desquels il considérera que le souci de sauvegarder les intérêts légitimes de sécurité nationale doit primer sur la pertinence, devraient être rendus à lÉtat sans dépôt ni enregistrement au Greffe du Tribunal international. LÉtat pourrait encore être autorisé à expurger partiellement les autres documents, par exemple en noircissant une ou plusieurs parties du texte. Cependant, il conviendrait alors quun haut responsable officiel joigne une déclaration sous serment exposant brièvement les motifs de ces expurgations.
Enfin, il conviendrait peut être de permettre une exception, lorsquun État, de bonne foi, considère quil est préférable de ne pas soumettre au juge un ou deux documents spécifiques, parce que particulièrement sensibles du point de vue de la sécurité nationale et peu pertinents à la fois pour linstance. Dans ce cas, lÉtat devra remplir une condition minimale, à savoir la présentation dune déclaration sous serment signée par le Ministre concerné, dans laquelle ce dernier i) déclarera avoir procédé en personne à lexamen des documents en cause; ii) en exposera brièvement la teneur; iii) indiquera précisément les motifs avancés par lÉtat pour conclure au peu dintérêt des informations contenues pour linstance; iv) expliquera, brièvement, les principales raisons pour lesquelles lÉtat souhaite exclure ces documents de la production. Il reviendra au juge de peser les motifs invoqués. En cas de doute, il pourra demander une déclaration sous serment plus détaillée, ou une explication circonstanciée en audience à huis clos, ex parte. Si le juge estime que les raisons invoquées par lÉtat ne sont ni valables ni convaincantes, il pourra demander à la Chambre de première instance deffectuer une détermination formelle constatant le non respect par lÉtat de ses obligations au titre de larticle 29 du Statut et demander au Président du Tribunal international de la transmettre au Conseil de sécurité.
69. Il va sans dire quil reviendra à la Chambre de première instance compétente soit dadopter les méthodes ou procédés énoncés ci-dessus soit de prévoir dautres mesures de protection ou dautres modalités concrètes, si besoin est en consultant lÉtat intéressé.
PAR CE MOTIFS,
LA CHAMBRE D'APPEL
1) ARRETE à lunanimité que le Tribunal international est habilité à décerner des ordonnances et des requêtes contraignantes aux États, qui sont tenus de sy conformer en application de larticle 29 du Statut et que, en cas de non-respect de ces ordonnances ou requêtes, une Chambre de première instance peut parvenir à une détermination formelle sur ce point et demander au Président du Tribunal international de la transmettre au Conseil de sécurité des Nations Unies ;
2) ARRETE à lunanimité que le Tribunal international ne peut pas décerner dordonnances contraignantes en application de larticle 29 du Statut aux responsables officiels des États agissant ès qualités ;
3) ARRETE à lunanimité que le Tribunal international peut citer à comparaître des personnes agissant à titre privé ou leur décerner des injonctions ou dautres ordonnances contraignantes et que, en cas de non-respect de ces citations, injonctions ou ordonnances, soit lÉtat compétent peut prendre les mesures coercitives prévues par sa législation, soit le Tribunal international peut engager des procédures pour outrage ;
4) ARRETE à lunanimité que les États ne sont pas autorisés, en invoquant les intérêts relatifs à leur sécurité nationale, à refuser de remettre des documents et autres éléments de preuve matériels requis par le Tribunal international ; cependant, une Chambre de première instance peut adopter des dispositions pratiques afin de tenir compte des préoccupations légitimes et bona fide des États ;
5) CASSE et annule à lunanimité linjonction de produire décernée par le Juge McDonald et rétablie par la Chambre de première instance II à ladresse de la Croatie et du Ministre croate de la défense, M. Gojko Susak, étant entendu que le Procureur a toute faculté dintroduire devant la Chambre de première instance I, à présent saisie de la procédure en lespèce, une requête aux fins dobtenir une ordonnance contraignante adressée uniquement à la Croatie.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre dappel
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Antonio Cassese
Le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte joint au présent Arrêt une Opinion individuelle.
Fait le vingt-neuf octobre 1997
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal international]
* Note de l'auteur : l'expression anglaise "subpoena
duces tecum" recouvre à la fois les notions d'injonction et d'astreinte.
** N.d.T. : Les notes afférentes aux comptes rendus d'audience et à
tous les documents ou ouvrages faisant l'objet d'une traduction non officielle renvoient
aux pages du texte anglais.
1. Décision relative à l'opposition de la République de Croatie quant
au pouvoir du Tribunal de décerner des injonctions de produire (subpoenae duces tecum),
Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT, Chambre de première
instance II, 18 juillet 1997 ("Décision relative à l'injonction de produire").
2. Injonction de produire décernée à la République de Croatie et au
Ministre de la défense Gojko Susak, ibid., Juge McDonald, 15 janvier 1997.
3. Injonction de produire décernée à la Bosnie-Herzégovine et au
Dépositaire des archives centrales de l'ex-Ministère de la défense de la Communauté
Croate de Herceg-Bosna, ibid., Juge McDonald, 15 janvier 1997.
4. Acte d'accusation., 10 novembre 1997.
5. Lettre de M. Srecko Jelinic, ibid., 10 février 1997.
6. Ordonnance d'un juge aux fins de faire exécuter une injonction de
produire, Juge MacDonald, 14 février 1997. Le Juge McDonald a également décerné, le 14
février 1997, une Ordonnance aux fins de faire exécuter une injonction de produire à la
Bosnie-Herzégovine et à M. Ante Jelavic, Ministre de la défense ; le 20 février, le 28
février et le 7 mars 1997, elle a décerné d'autres ordonnances aux fins de faire
exécuter une injonction de produire à la Bosnie-Herzégovine et à M. Jelavic, toutes
relatives à l'affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT.
7. Ordonnance aux fins de suspendre une injonction de produire, ibid.,
20 février 1997.
8. Ibid., Juge McDonald, 28 février 1997.
9. Ordonnance relative à l'injonction de produire, ibid., 7 mars
1997.
10. Ordonnance soumettant la question des injonctions de produire à la
Chambre de première instance II et invitant à présenter des mémoires d'amicus
curiae à ce sujet, ibid., 14 mars 1997.
11. Ordonnance portant rejet de la requête relative aux questions
concernant l'injonction de produire, ibid., Chambre de première instance II, 27
mars 1997.
12. Ibid., 1er avril 1997.
13. Décision relative à la requête de la Croatie aux fins de
récusation du Juge McDonald, ibid., Décision du Bureau, 16 avril 1997.
14. Se sont adressés à la Chambre de première instance Alain Pellet,
Luigi Condorelli, Vladimir Lujbanovic au nom de l'Association croate de science et de
pratique pénales, Andreas Zimmermann pour l'Institut Max-Planck, Ruth Wedgwood, Peter
Malanczuk et Donald Donovan pour Le Comité des Juristes pour les droits de l'homme.
15. Arrêt relatif à la recevabilité d'une demande d'examen déposée
par la République de Croatie concernant une décision de la Chambre de première instance
et ordonnance portant calendrier, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire No.
IT-95-14-AR108bis, Chambre d'appel, 29 juillet 1997.
16. Arrêt relatif à la requête de l'accusation aux fins d'annuler
l'arrêt de la Chambre d'appel du 29 juillet 1997, ibid., Chambre d'appel, 12 août
1997.
17. Décision relative à l'injonction de produire, supra note 1,
para. 62 et cf. aussi para. 64 et 78.
18. Ibid., para. 61.
19. Ibid., para. 6.
20. Cf. Mémoire amicus curiae déposé par B. Simma, Le
Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT, 14 avril 1997, ("Mémoire
Simma") p. 9.
21. Ibid., p. 12. Il convient de noter que d'après cet amicus
curiae, dans toutes les affaires, même celles des systèmes judiciaires
anglo-américains, "la délivrance d'une injonction ne déclenche pas inévitablement
l'imposition de pénalités en cas de non-respect" (ibid., p. 10).
22. Cf. Mémoire amicus curiae déposé par M.A. Pellet et
Juristes sans Frontières, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire No.
IT-95-14-AR108bis, 11 avril 1997.
23. Décision relative à l'injonction de produire, supra note 1,
para. 1
24. Ibid., para. 62, 77 et 92.
25. Comme l'a avancé la Cour Suprême des États-Unis d'Amérique dans
l'affaire Abbot Laboratories v. Gardner, 387 U.S. 136 (1967), la maturité est à
soumettre à un double test : premièrement les questions sont-elles adaptées à un
examen en appel ? Deuxièmement, quel préjudice menace les parties si l'appel est
déclaré irrecevable ?
26. Compte rendu d'audience, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic,
affaire n°. IT-95-14-AR108bis, 22 septembre 1997, ("Compte rendu d'appel"),
p. 26-27.
27. Dans l'esprit de la jurisprudence de la Cour de justice
internationale, la Chambre d'appel préfère parler de "pouvoirs inhérents"
pour ce qui est des fonctions du Tribunal international de caractère judiciaire et qui ne
sont pas expressément prévues dans le Statut, plutôt que de "pouvoirs
implicites". La doctrine des "pouvoirs implicites" a généralement été
appliquée dans la jurisprudence de la Cour dans le but d'étendre les compétences des
organes politiques d'organisations internationales. Cf., par exemple, Recueil de la
C.I.J., Compétence de l'Organisation internationale du travail (Avis consultatif
du 23 juillet 1926), Série B, n° 13, p.18 ; Recueil de la C.I.J., Compétence de la
Commission européenne du Danube (Avis consultatif du 8 décembre 1927), Série B,
n°14, p.25-37 ; Réparations des dommages subis au service des Nations Unies,
Recueil de la C.I.J. 1949, p. 182-183 ; Statut international du Sud-Ouest africain,
Recueil de la C.I.J. 1950, p. 136 ; Effet de jugements du Tribunal administratif des
Nations Unies accordant indemnité, Recueil de la C.I.J. 1954, p. 56-58 ; Certaines
dépenses des Nations Unies, Recueil de la C.I.J. 1962, p. 167-168 ; Conséquences
juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du sud en Namibie,
Recueil de la C.I.J. 1971, p. 47-49,52.
On le sait, la Cour internationale de justice a fait référence à ses "pouvoirs
inhérents" dans l'affaireCameroun septentrional (Recueil de la C.I.J. 1963,
p. 29) et dans l'affaire des essais nucléaires. Dans cette dernière affaire, la
Cour a déclaré qu'"elle possède un pouvoir inhérent qui l'autorise à prendre
toute mesure voulue, d'une part pour faire en sorte que, si sa compétence au fond est
établie, l'exercice de cette compétence ne se révèle pas vain, d'autre part pour
assurer le règlement régulier de tous les points en litige... Un pouvoir inhérent de ce
genre, sur la base duquel la Cour est pleinement habilitée à adopter toute conclusion
éventuellement nécessaire aux fins qui viennent d'être indiquées, découle de
l'existence même de la Cour, organe judiciaire établi par le consentement des États, et
lui est conféré afin que sa fonction judiciaire fondamentale puisse être
sauvegardée" (Affaire des essais nucléaires, Recueil de la C.I.J. 1974, p.
260-261).
28. Décision relative à l'injonction de produire, supra note 1,
para. 61-64, 78.
29. Mémoire du Procureur en réponse au mémoire de la République de
Croatie en opposition à l'injonction de produire., 8 septembre 1997, ("Mémoire
du Procureur") para. 24, Compte-rendu d'appel, supra note 26, p. 90-91,
93.
30. Mémoire relatif à l'appel de la République de Croatie en
opposition à l'injonction de produire, 18 août 1997, ("Mémoire de la Croatie"),
p. 4-11 ; Compte-rendu d'appel, supra note 26, p. 10-12, 36-37. Cf. aussi ibid.,
p. 38 et p. 42-43, où la Croatie affirmait qu'en vertu de l'article 29 du Statut, le
Tribunal international a le droit de décerner des ordonnances contraignantes aux États.
31. "1. Les États collaborent avec le Tribunal à la recherche et
au jugement des personnes accusées d'avoir commis des violations graves du droit
international humanitaire.
2. Les États répondent sans retard à toute demande d'assistance ou à toute ordonnance
émanant d'une Chambre de première instance et concernant, sans s'y limiter :
a) L'identification et la recherche des personnes ;
b) La réunion des témoignages et la production des preuves ;
c) L'expédition des documents ;
d) L'arrestation ou la détention des personnes ;
e) Le transfert ou la traduction de l'accusé devant le Tribunal."
32. "Le Conseil de sécurité, ... Agissant en vertu du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
....
4. Décide que tous les États apporteront leur pleine coopération au Tribunal
international et à ses organes, conformément à la présente résolution et au Statut du
Tribunal international et que tous les États prendront toutes mesures nécessaires en
vertu de leur droit interne pour mettre en application les dispositions de la présente
résolution et du Statut, y compris l'obligation des États de se conformer aux demandes
d'assistance ou aux ordonnances émanant d'une Chambre de première instance en
application de l'article 29 du statut ".
33. On le sait, dans l'affaire Barcelona Traction, Light and Power
Company, Limited, la Cour internationale de justice a mentionné les obligations des
États "envers la communauté internationale dans son ensemble" et les a
définies comme des obligations erga omnes (Recueil de la C.I.J. 1970, p. 33, para.
33). La Commission du droit international a, à juste titre, procédé à une distinction
entre ces obligations et celles erga omnes partes (Annuaire de la Commission du
droit international, 1992, Vol. II, Deuxième partie, p. 39, para. 269). Cette
distinction a été avancée en premier lieu par le Rapporteur spécial, G. Arangio-Ruiz,
dans son Troisième rapport sur la responsabilité de l'État (cf. ibid. 1991, vol.
II, Première partie, p. 35, para. 121 ; cf. aussi son Quatrième rapport, ibid.,
vol. II, première partie, p. 34, para. 92).
34. Il convient de mentionner que, dans l'affaire Lockerbie, les
États-Unis ont soutenu devant la Cour internationale de justice "que, sans égard au
droit revendiqué par la Libye au titre de la Convention de Montréal, la Charte impose à
la Libye l'obligation d'accepter et d'appliquer les décisions contenues dans la
résolution [784 (1992)] et impose aux autres États l'obligation de s'efforcer d'amener
la Libye à se conformer aux dites décisions" (Recueil de la C.I.J. 1992, p. 126,
para. 40). Cependant, la Cour n'a pris aucune position sur cet argument dans son
Ordonnance du 14 avril 1992 (ibid.). Le fait que l'obligation incombe à tous les
États tandis que l'intérêt juridique concomitant n'est conféré qu'aux États membres
des Nations Unies ne devrait pas surprendre. Seule cette dernière catégorie d'États
couvre les "États lésés" habilités à revendiquer la cessation de toute
violation de l'article 29 ou à demander l'adoption de remèdes. Se reporter sur ce point
à l'article 40 du Projet de codification du droit de la responsabilité des États,
adopté en première lecture par la Commission du droit international (ancien article 5 de
la partie II). Il dispose au paragraphe 2 c) : "[l'expression "État
lésé" désigne] si le droit auquel le fait d'un État porte atteinte résulte d'une
décision obligatoire d'un organe international autre qu'une Cour ou un tribunal
international, l'État ou les États qui, conformément à l'instrument constitutif de
l'organisation internationale concernée, sont bénéficiaires de ce droit". Dans
Commission du droit international, Rapport à la quarante-huitième session de
l'Assemblée générale, 1996, Documents officiels de l'Assemblée générale,
Quarante-huitième session, Supplément n° 10 (A/51/10), ("Projet de code de la
CDI").
35. Cet article dispose que :
"Une obligation naît pour un État tiers d'une disposition d'un traité si les
parties à ce traité entendent créer l'obligation au moyen de cette disposition et si
l'État tiers accepte expressément par écrit cette obligation".
36. Cf., l'Ordonnance fédérale sur la coopération avec les
tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit
international humanitaire (21 décembre 1995). S'agissant de la République fédérale de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro), même si l'on devait douter, à la lumière de la
résolution 47/1 de l'Assemblée générale en date du 22 septembre 1992, de son statut de
membre des Nations Unies, il est en tout état de cause évident que sa signature de
l'Accord de Dayton et de Paris en 1995 entraînerait son acceptation volontaire de
l'obligation découlant de l'article 29 (cf. article IX de l'Accord-cadre général pour
la paix en Bosnie-Herzégovine, Assemblée générale - Conseil de sécurité, A/50/790,
S/1995/999, 30 novembre 1995), p. 4.
37. Mémoire du Procureur, supra note 29, p. 4-5, 29-31 ; Compte
rendu d'appel, supra note 26, p. 77-79.
38. Cf Mémoire amicus curiae déposé par R. Wedgwood, Le
Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-AR108bis, 15 septembre 1997,
p. 3 et suivantes.
39. Concernant cette obligation coutumière, cf. le manuel
militaire des États-Unis d'Amérique, The Law of Land Warfare, 1956, para. 506 b).
40. Cf. Mémoire du Procureur, supra note 29, p. 15.
41. Ibid.
42. Ibid., p. 14-16, para. 27 ; cf. aussi Compte-rendu
d'appel, supra note 26, p. 74-75.
43. Mémoire du Procureur, supra note 29, p. 19-20.
44. Mémoire de la Croatie, supra note 30, p. 50 et cf. p.43-52.
45. Décision relative à l'injonction de produire, supra note 1,
para. 105.
46. Compte-rendu d'appel, supra note 26, p. 140.
47. Dans l'affaire Le Procureur c/ Dragan Nikolic, affaire n°
IT-94-2-R61, cf. le Rapport du Président du 31 octobre 1995 (S/1995/910) relatif
au manquement ou au refus de l'administration serbe de Bosnie de Pale de coopérer avec le
Tribunal international ; dans l'affaire Le Procureur c/ Mile Mrksic, Miroslav Radic et
Veselin Sljivan~anin, IT-95-13-R61, cf. le Rapport du Président au Conseil de
sécurité en date du 24 avril 1996 (S/1996/319) relatif au manquement ou au refus de la
République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de coopérer avec le
Tribunal international ; cf. aussi le Rapport du Président du 22 mai 1996
(S/1996/364) établissant que la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) avait manqué à son obligation de coopérer avec le Tribunal international
en n'arrêtant pas le Général Ratko Mladic et le Colonel Veselin Sljivan~anin alors
qu'ils étaient sur son territoire ; dans les affaires Le Procureur c/ Radovan Karadzic,
IT-95-5-R61 et Le Procureur c/ Ratko Mladic, IT-95-18-R61, cf. le Rapport du
Président du 11 juillet 1996 (S/1996/556) relatif au refus de la République fédérale
de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de signifier les mandats d'arrêts aux accusés ;
dans l'affaire Le Procureur c/ Ivica Rajic, IT-95-12-R61, cf. le Rapport du
Président du 16 septembre 1996 (S/1996/763) relatif au refus de la Fédération de
Bosnie-Herzégovine et de la République de Croatie de coopérer avec le Tribunal
international.
48. Cf. le paragraphe 7 du préambule de la résolution du
Conseil de sécurité du 9 novembre 1995 (S/1995/940) se référant au Rapport du
Président (S/1995/910) relatif à l'affaire Le Procureur c/ Dragan Nikolic,
affaire IT-94-2-R61 ; Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 8 mai 1996
relative la non-coopération par la République Fédérale de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) décrite dans le Rapport du Président du Tribunal international
(S/1996/319); cf. Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 8 août 1996
(S/PRST/1996/34 - SC/6253) en réponse au Rapport du Président du Tribunal international
du 11 juillet 1996 (S/1996/556) ; cf. la Déclaration du Président du Conseil de
sécurité du 20 septembre 1996 (S/PRST/1996/39) en réponse au Rapport du Président du
Tribunal international du 16 septembre 1996 (S/1996/763)
49. La signification de cette conclusion du Tribunal international a
été mise en valeur dans le Mémoire d'amicus curiae soumis par Luigi Condorelli, Le
Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT, 11 avril 1997, ("Mémoire
Condorelli"), para. 6.
50. Cf., par exemple, la déclaration faite dès 1797 par le
Ministre de la justice des États-Unis dans l'affaire Governor Callot. Un plainte
au civil avait été déposée contre M. Collot, Gouverneur de l'île française de
Guadeloupe. Le Ministre de la justice des États-Unis écrivit : "Je suis enclin à
penser, si la saisie du vaisseau est reconnue comme étant un acte officiel, effectué par
le défendeur en vertu, ou sous couvert, des pouvoirs desquels il est investi en sa
qualité de gouverneur, qu'elle constituera en elle-même une réponse suffisante à
l'action du plaignant ; que le défendeur ne devrait pas répondre devant nos cours d'une
quelconque simple irrégularité dans l'exercice de ses pouvoirs ; et que l'étendue
de son autorité ne peut, lorsque cela est approprié ou convient, être déterminée que
par les autorités constituées de sa propre nation" (Traduction non officielle),
J.B. Moore, A Digest of International Law, 1906, vol. II, p. 23. La célèbre
affaire McLeod devrait également être mentionnée. Lors de la rébellion
canadienne de 1837 contre les autorités britanniques (le Canada était à l'époque sous
souveraineté britannique), les rebelles furent assistés par des citoyens américains qui
traversèrent plusieurs fois le Niagara (frontière entre le Canada et les États-Unis) à
bord du navire Caroline, afin de fournir aux insurgés des renforts et des
munitions. Une partie des troupes britanniques dirigée par le Capitaine McLeod a alors
été envoyée pour attaquer le navire. Il l'abordèrent dans le port de Fort Schlosser,
aux États-Unis, tuèrent nombre d'hommes et mirent le feu au navire. Quelques années
plus tard, en 1840, le Capitaine McLeod fut arrêté à Lewiston (territoire de New York)
pour répondre des charges de meurtre et d'incendie volontaire. Un échange de notes
diplomatiques entre les deux gouvernements s'ensuivit. La position officielle des
États-Unis - qui avait déjà été avancée en des termes similaires par la
Grande-Bretagne en 1838, par rapport à un éventuel procès contre un autre membre de
l'équipe britannique qui avait attaqué le Caroline - a été clairement énoncée
par le Secrétaire d'État Webster des États-Unis d'Amérique :"Le fait qu'un
individu faisant partie d'une force publique et agissant sous l'autorité de son
gouvernement ne doive pas répondre à titre privé en tant qu'auteur d'un acte illicite,
est un principe de droit public sanctionné par les usages de toutes les nations
civilisées et que le Gouvernement des États-Unis n'entend pas contester . . . Que le
procès soit pénal ou civil, le fait d'avoir agi sous l'autorité publique et en
obéissance aux ordres de supérieurs légaux doit être considéré comme une défense
valable. Autrement, les individus seraient tenus responsables des préjudices résultant
des actes du Gouvernement et même des opérations de guerre", British and Foreign
State Papers, vol. 29, p. 1139.
51. Quand les deux agents français qui avaient coulé le Rainbow
Warrior en Nouvelle-Zélande ont été arrêtés par la police locale, la France a
déclaré que leur emprisonnement en Nouvelle-Zélande n'était pas justifié "compte
tenu en particulier du fait qu'ils ont agi sur ordre de l'autorité militaire et que la
France est prête à présenter des excuses à la Nouvelle-Zélande et à lui verser une
indemnité pour le préjudice subi" (cf. Décision du 6 juillet 1986 du
Secrétaire général des Nations Unies, Revue générale de droit international public,
Tome LXXXXI, 1987, p. 1055).
52. La Cour a déclaré, notamment, que la "théorie de
l'"Acte d'État" signifie que l'acte réalisé par une personne en tant
qu'organe de l'État, qu'elle soit Chef de l'État ou un responsable officiel agissant aux
ordres du gouvernement, doit être considéré comme un acte du seul État. Il s'ensuit
que ce dernier est le seul responsable et, aussi, qu'un autre État n'a pas le droit de
punir l'auteur de l'acte, sauf avec le consentement de l'État dont il a exécuté la
mission. Si ce n'était pas le cas, le premier État s'ingérerait dans les affaires
intérieures du second, ce qui est contraire à la conception de l'égalité des États
fondée sur leur souveraineté". International Law Reports, vol. 36, p.
308-309. Il convient de noter que, après ce passage, la cour a exprimé des réserves sur
cette doctrine de l'Acte d'État. Ces réserves avaient pour but principal d'étayer
encore la proposition que la doctrine ne s'applique pas aux crimes de guerre ou crimes
contre l'humanité.
53. Mémoire de la Croatie, supra note 30, p. 44-48.
54. Mémoire du Procureur, supra note 29, para. 56-60, p. 40-42.
55. Ibid., para. 56.
56. Ibid., para. 58.
57. Ibid., para. 49.
58. Cf. aussi compte rendu d'appel, supra note 26, p. 76, 85-87,
108-109.
59. Décision relative à l'injonction de produire, supra note 1,
para. 67-69.
60. Ce n'est que naturel : les États ont toujours tenu comme acquis
qu'ils n'étaient pas autorisés à adresser des instructions ou ordonnances
contraignantes à des autorités étatiques étrangères. Le seul domaine dans lequel des
problèmes pratiques se sont faits jour se rapporte aux affaires dans lesquelles des
juridictions nationales ont siégé pour juger des personnes physiques étrangères ayant
agi en tant qu'autorités étatiques.
61. S'agissant des décisions du Conseil de sécurité, se reporter au Mémoire
Condorelli, supra, supra note 49, para. 4 et note 9. D'après cet éminent auteur, le
Conseil de sécurité a aussi adressé ses résolutions à des organes ou institutions
nationales.
62. Cependant, dans ses exposés devant la Chambre d'appel, le Procureur
a nettement réduit l'accent qu'il mettait sur ce point. Cf, compte rendu d'appel,
supra note 26, p. 106-109.
63. Mémoire de la Croatie, supra note 23, p. 47.
64. Comme l'a fait remarquer Simma, cet article 29 énonce une
obligation de résultat. Cf. Mémoire Simma, supra note 20, p. 15.
Aux termes de l'article 21, paragraphe 1 du Projet de codification du droit de la
responsabilité des États, "Il y a violation par un État d'une obligation
internationale le requérant d'assurer, par un moyen de son choix, un résultat
déterminé si, par le comportement adopté, l'État n'assure pas le résultat requis de
lui par cette obligation", Projet de code de la CDI, supra note 35.
65. Mémoire du Procureur, supra note 29, para. 63.
66. Ibid.
67. Cela s'appliquerait aussi aux forces déployées en vertu de
l'article 53 de la Charte des Nations Unies.
68. Cela devrait s'appliquer à une subpoena ad testificandum..
Par contre, il pourrait ne pas être approprié de décerner à ce responsable une subpoena
duces tecum visant par exemple, un mémoire qu'il aurait soumis aux autorités
supérieures concernant l'incident dont il a été témoin. Il semblerait plus judicieux
de s'adresser à l'organisation internationale au nom de laquelle il devait produire le
document.
69. Cet article stipule que :
"1. N'est pas considéré comme un fait de l'État d'après le droit international le
comportement d'une personne ou d'un groupe de personnes n'agissant pas pour le compte de
l'État.
2. Le paragraphe 1 est sans préjudice de l'attribution à un État de tout autre
comportement qui est en rapport avec celui des personnes ou groupes de personnes visés
audit paragraphe et qui doit être considéré comme un fait de l'État en vertu des
articles 5 à 10".
Les articles 5 à 10 traitent de l'imputabilité d'actes illicites aux États et couvrent
la responsabilité des États pour les actes illicites de personnes. Projet de code de
la CDI, supra note 34.
70. Cf. par exemple, section 7 1) de la Loi australienne sur les
crimes de guerre internationaux ; article 5 de la Loi belge sur la reconnaissance du
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international
pour le Rwanda de 1996 ; articles 7 et 8 de la Loi française n° 95-1 du 2 janvier 1995 ;
article 2 de la Loi hongroise XXXIX de 1996 ; article 2 2) du Décret-loi italien n° 544
du 28 décembre 1993 ; section 4 2) de la Loi néo-zélandaise relative au Tribunal
international sur les crimes de guerre de 1995 ; article 3 1) de la loi espagnole sur
l'organisation 15/1994 de 1994 ; section 2 de la Loi suédoise modifiant la Loi relative
à l'établissement d'un Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de 1995 ;
article 4 de l'ordonnance fédérale suisse relative à la coopération avec le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie de 1995 ; articles 4 et 15 de l'instrument
réglementaire du Royaume-Uni de 1996 n° 716. Cf. également l'article 7 2) du
Décret de Bosnie-Herzégovine sur l'extradition à la demande du Tribunal international
de 1995 ; article 2 de la Loi constitutionnelle croate de 1996 relative à la coopération
avec le Tribunal pénal international.
Il convient, cependant, de faire remarquer que d'autres législations nationales
s'avèrent plus souples. Ainsi, par exemple, alors que la section 6 1) de la loi
autrichienne relative à la coopération avec les tribunaux de 1996 retient le principe
général que la communication avec le tribunal international passe par l'intermédiaire
du Ministère des affaires étrangères, la section 6 3) dispose que : "Dans les cas
d'urgence et dans le cadre de l'aide officielle à la police criminelle, la communication
directe entre les autorités autrichiennes et le Tribunal international ou la
communication par la voie d'INTERPOL est autorisée". De même, la section 2 de la
Loi finlandaise relative à la compétence du Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie de 1995, après avoir désigné le Ministère de la justice comme
l'autorité compétente pour recevoir les "requêtes et notifications" du
Tribunal international prévoit que celui-ci est autorisé à entrer directement en
contact avec les autorités compétentes soit par les circuits diplomatiques soit par
INTERPOL. De surcroît, en vertu de la section 3 de la loi norvégienne relative à
l'incorporation dans le droit norvégien de la résolution du Conseil de sécurité de
Nations Unies sur l'établissement d'un Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (1994), l'assistance judiciaire au tribunal international incombe aux
"juridictions et autres autorités norvégiennes".
71. Ainsi qu'il est relevé avec perspicacité dans le Mémoire d'amicus
curiae soumis par J.A. frowein et al. au nom de l'Institut Max-Planck de droit public et
de droit international comparés, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n°
IT-95-14-PT, ("Mémoire de Frowein"), le Statut du Tribunal international
reflète, dans une certaine mesure, une oscillation, dans l'esprit de ses rédacteurs,
entre les approches "horizontale" et "verticale". La première se
reflète dans l'expression, utilisée à l'article 29 2) "demande d'assistance"
et la seconde dans le terme "ordonnance" utilisé dans la même disposition.
72. Cf par exemple, l'affaire Traitement des nationaux
polonais et des autres personnes d'origine ou de langue polonaise dans le territoire de
Dantzig, où la Cour permanente de justice internationale déclarait que "Il faut
observer cependant que ... d'après les principes généralement admis ... un État ne
saurait invoquer, vis-à-vis d'un autre État, sa propre constitution pour se soustraire
aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur".
(Recueil de la C.I.J., série A/B, n° 44, 1931, p. 24 ).
Dans l'affaire Georges Pinson, traduite devant la Commission d'arbitrage franco-mexicaine,
l'arbitre a écarté l'opinion que, en cas de conflit entre la constitution d'un État et
le droit international, la première devrait l'emporter, en faisant remarquer que cette
optique était "absolument contraire aux axiomes mêmes du droit international".
(Décision du 18 octobre 1928 dans United Nations reports of International Arbitral
Awards, vol. V, p. 393-394). Cf également, art. 27, première phrase de la
Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités : "Une Partie ne peut invoquer
les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution d'un
traité".
73. Par exemple, la section 9, para. 1 de la Loi fédérale autrichienne
de 1996, autorise le Tribunal international à "... entendre indépendamment des
témoins et accusés en Autriche, inspecter les lieux et recueillir des éléments de
preuve, sous réserve que le ministère fédéral des affaires étrangères ait été
averti au préalable de la date et de l'objet de ces enquêtes". De même, la section
7 de la Loi finlandaise de 1994 autorise le Tribunal international à opérer sur le
territoire finlandais pour recueillir des preuves ou obtenir d'autres formes d'entraide
judiciaire de la part des tribunaux finlandais.
74. C'est la pratique du Tribunal international. Par exemple, le 16
octobre 1997, la Chambre de première instance II a décerné une subpoena ad
testificandum à cinq témoins et, simultanément, une requête au Gouvernement de
Bosnie-Herzégovine lui ordonnant de signifier les subpoenas aux cinq témoins et
également d'obtenir la comparution devant la Chambre du Dépositaire des Archives du
même gouvernement. Cf. Requête adressée au Gouvernement de Bosnie-Herzégovine, le
Procureur c/ Delalic et consorts, affaire n°IT-96-21-T, 16 octobre 1997.
75. Il convient de noter que, en vertu de la section 11, paragraphe 1 de
la loi fédérale autrichienne, le Tribunal international peut transmettre par courrier
une assignation et d'autres "documents" à des personnes domiciliées en
Autriche. Aux termes de la section 11, paragraphe 2, un témoin a l'obligation juridique
d'exécuter une assignation qui lui est notifiée personnellement. De surcroît, l'article
23 de la loi suisse dispose que les décisions procédurales du Tribunal international
peuvent être directement adressées au destinataire domicilié en Suisse. La section 8 de
la loi finlandaise dispose qu'un témoin "qui en Finlande a été cité par le
Tribunal international à comparaître devant lui est tenu de s'exécuter". La
section 4, paragraphe 2 de la Loi allemande prévoit que "si le Tribunal requiert la
comparution en personne d'un individu ... sa comparution peut être obtenue en recourant
aux mêmes moyens judiciaires que ceux qui peuvent être ordonnés dans le cas d'une
assignation à comparaître décernée par un tribunal allemand ou le parquet
allemand". Selon Frowein, "cette formule indique que le Tribunal peut
directement citer des individus à comparaître",Mémoire de Frowein, supra
note 71, p. 45.
Cf. également, section 7 para. 2 de la Loi néerlandaise (référence y est faite
aux personnes "transférées aux Pays-Bas par les autorités d'un État étranger en
tant que témoin ou expert dans le cadre de l'exécution d'une assignation décernée par
le Tribunal).
76. A cet égard, il convient de faire remarquer que [l]e 20 août 1996,
le Président de la Chambre de première instance II, Juge McDonald, a décerné à la
demande de la Défense, des citations à comparaître adressées à certains témoins leur
ordonnant de venir à La Haye témoigner dans l'affaireTadic. Les citations
faisaient remarquer que, en vertu de l'article 77 du Règlement "un témoin qui
refuse sans motifs suffisants de comparaître devant le Tribunal est passible d'une amende
ne dépassant pas 10 000 dollars E.U. ou d'une peine de prison de six mois maximum" (cf.
le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire IT-94-1-T, Citations à comparaître devant une
Chambre de première instance, 20 août 1996). Les citations à comparaître ont été
remises en main propre aux témoins par le conseil de la défense et les témoins ont
déposé à la barre.
77. Cf. compte rendu d'appel, supra note 26, p. 118-120.
78. Cf, par exemple, les Lois de Finlande (section 8, para. 2) ;
Allemagne (section 4, para. 2 et 4) ; Italie (art. 10, para. 7) ; Pays-Bas (section 6) ;
Norvège (section 7) qui renvoie aux sections 163-167 du Code pénal relatives aux
sanctions visant les témoins qui ont fait un faux témoignage devant le Tribunal
international) ; Espagne (section 7, para. 1) ; Royaume-Uni (art. 9).
79. Cf le Mémoire d'amicus curiae soumis par l'Institut Max
Planck de droit public et de droit international comparés, Le Procureur c/ Tihomir
Blaskic, affaire n° IT-95-14-AR108bis ("Mémoire Max Planck"), 15
septembre 1997, p. 3-10.
80. Décision relative à l'injonction, supra note 1, para. 62.
81. Compte rendu d'appel, supra note 26, p. 121.
82. Ibid., p. 59.
83. Dans l'affaire Colozza (Arrêt du 12 février 1985), la Cour
européenne des droits de l'homme a conclu que les procès par défaut, qui ne sont pas
interdits par l'article 6 , paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de
l'homme (aux termes duquel tout accusé d'un crime a droit à participer à l'audience)
doivent cependant remplir certaines conditions fondamentales requises par la notion de
"droit à un procès équitable". Il en résulte, entre autres, que toute
renonciation au droit d'être présent "doit se trouver établie de manière non
équivoque" (Publications de la Cour européenne des droits de l'homme, Série
A, vol. 89, p. 14, para. 28) ; de sérieux efforts doivent être faits pour retrouver
l'inculpé et lui signifier l'ouverture du procès pénal (Ibid.) ; de plus,
l'inculpé "doit, une fois au courant des poursuites, pouvoir obtenir qu'une
juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien fondé de l'accusation
portée contre lui" (Ibid., p. 15, para. 29).
84. Mémoire de la Croatie, supra note 30, p.59-64.
85. Ibid., p. 60 ; cf aussi, compte rendu de l'appel, supra
note 26, p. 65.
86. Décision relative à l'injonction, supra note 1, para.
107-149.
87. Mémoire du Procureur, supra note 29, para. 67-73.
88. Décision relative à l'injonction, supra note 1, para. 147.
89. Ibid., para. 148.
90. Mémoire du Procureur, supra note 29, para. 73.
91. Cf. affaire du Détroit de Corfou, Recueil de la C.I.J. 1949,
p. 32
92. "La Cour peut, même avant tout débat, demander aux agents de
produire tout document et de fournir toutes explications. En cas de refus, elle prend
acte".
93. L'article 54 du Règlement de la Cour adopté le 6 mai 1946 dispose
comme suit : "La Cour peut inviter les parties à présenter des témoins ou experts
ou demander la production de tous autres moyens de preuve sur des points de fait au sujet
desquels les parties ne sont pas d'accord. S'il y a lieu, la cour fait application des
dispositions de l'article 44 du Statut". L'article 44 dispose que :
"1. Pour toute notification à faire à d'autres personnes que les agents, conseils
et avocats, la Cour s'adresse directement au gouvernement de l'État sur le territoire
duquel la notification doit produire effet.
2. Il en est de même s'il s'agit de faire procéder sur place à l'établissement de tous
moyens de preuve. Il semblerait que cette disposition ait été remplacée dans l'actuel
Règlement de la Cour (adopté le 14 avril 1978) par l'article 62, paragraphe 1, qui
stipule : "La Cour peut à tout moment inviter les parties à produire les moyens de
preuve ou à donner les explications qu'elle considère comme nécessaires pour préciser
tout aspect des problèmes en cause ou peut elle même chercher à obtenir d'autres
renseignements à cette fin".
94. L'agent allemand a demandé à être autorisé à inspecter certains
dossiers du Ministère de la justice des États-Unis. L'arbitre a rejeté la requête,
notant qu'il était "évident que la Commission n'avait aucun pouvoir pour assigner
soit le gouvernement à produire des éléments de ses dossiers confidentiels, ce que,
pour des raisons d'État, il considérait comme contraire à ses intérêts de produire ou
causerait la révélation inopportune et inutile de personnes privées et de leur
conduite" (texte reproduit dans Sandifer, Evidence Before International Tribunals,
(première édition), 1939, p. 266). Cependant, avant de parvenir à cette conclusion,
l'arbitre avait déclaré : "je suis allé voir le Ministre de la justice des
États-Unis et il m'a ouvert les dossiers en toute confidentialité et bien que je pense
que ce ne soit pas pertinent en l'espèce, j'ai pu constater que les conditions étaient
identiques à celles que M. Martin (conseil de l'agent des États-Unis) avait décrit dans
sa déclaration à la Commission. Le Ministre de la justice a déclaré que, pour des
raisons d'État, le ministère ne pouvait pas autoriser un étranger ou même un citoyen
américain à examiner ces dossiers. Il m'a autorisé à examiner autant de dossiers
intéressant les questions allemandes que je le souhaitais et il est peut-être juste que
je dise après leur examen que je comprends parfaitement la position du Ministre de la
justice sur la question et qu'elle est judicieuse compte tenu du contenu des
dossiers" (ibid., p. 266-267).
95. Le Tribunal administratif a ordonné à l'organisation pertinente
(UNESCO) de lui communiquer les dossiers confidentiels. "L'organisation ayant refusé
de verser ces pièces au dossier, par les motifs qu'elles n'étaient pas relatives à la
situation de M. Ballo et que certaines d'entre elles présentaient un caractère
confidentiel, le Tribunal a ordonné leur production et en a pris connaissance en Chambre
du conseil. Constatant le caractère confidentiel desdites pièces, il a décidé de
ne pas les communiquer au requérant et s'est borné à lui donner connaissance de la
conclusion provisoire qu'il en avait tirée ... Toutefois, après plus ample examen, le
Tribunal a fait abstraction de ces pièces pour prendre sa décision". Cf. OIT,
Tribunal administratif, Ballo c/ UNESCO, Jugement n° 191, in Bureau International du
Travail, Bulletin officiel, 15 mai 1972, vol. LV, n° 2,3 et 4, 1972, p. 232.
96. L'article 28 a) de la Convention européenne des droits de l'homme
dispose que la Commission "afin d'établir les faits", "procède ... à une
enquête pour la conduite efficace de laquelle les États intéressés fourniront
toutes facilités nécessaires" (non souligné dans le texte original). En
l'espèce, la Turquie, l'État défendeur, refusait de permettre le recueil d'éléments
de preuve dans le nord de Chypre sous contrôle turc. La Commission européenne, privée
du pouvoir de faire assurer l'exécution de l'obligation énoncée à l'article 28 a),
s'est limitée à soumettre un rapport sur la défaillance de la Turquie vis-à-vis du
respect de cette disposition au Comité ministériel du Conseil de l'Europe (cf.
Demande 6780/74, Rapport du 10 juillet 1976, p. 21-24 du texte anglais).
97. Dans une ordonnance du 7 octobre 1987, la Cour demanda au
Gouvernement du Honduras de "communiquer l'organigramme hiérarchique montrant la
structure organisationnelle du Bataillon 316 et sa position au sein des Forces Armées du
Honduras. En réponse à cette ordonnance, le Gouvernement du Honduras, "s'agissant
de la structure organisationnelle du Bataillon 316, demanda que la Cour écoute le
témoignage de son Commandant en audience à huis clos "en raison de strictes raisons
de sécurité de l'État du Honduras" " (Traduction non officielle). En dépit
des objections soulevées par la Commission interaméricaine des droits de l'homme, la
Cour décida d'écouter en audience à huis clos ce témoignage sur la structure du
Bataillon 316 (Organisation des États Américains, Cour interaméricaine des droits de
l'homme, Série C, n° 5, affaire Godinez Cruz, Jugement du 20 janvier 1989, p.
96-97).
98. Il convient de mentionner que dans l'affaire McIntire le
défendeur (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) avait
refusé de divulguer une lettre, alléguant qu'elle provenait du gouvernement d'un État
souverain (les États-Unis) et qu'elle doit "pour cette raison être traitée comme
s'il s'agissait d'une communication diplomatique". Le Tribunal administratif pris
note de ce refus et affirma ce qui suit : "Attendu que le Tribunal, s'il n'a pas le
pouvoir de se prononcer sur le bien-fondé du motif invoqué par l'Organisation
défenderesse, estime inadmissible que la considération alléguée par elle puisse
préjudicier en quoi que ce soit à l'intérêt légitime du requérant ; que l'existence
d'un document secret concernant celui-ci, dont le contenu lui est inconnu, et contre
lequel il est par conséquent impuissant à se défendre, vicie évidemment l'application
équitable du statut au requérant, et porte atteinte non seulement à l'intérêt du
personnel tout entier, mais à celui de la justice elle-même."(Non souligné
dans l'original) Cf. Tribunal administratif de l'OIT, Jugement n° 13, 3 septembre
1954, McIntire c/ FAO, in Bureau International du Travail, Bulletin officiel, 15
décembre 1954, Vol. XXXVII, N° 5, p. 292.
99. Compte-rendu d'appel, supra note 26, p. 151.
100. L'article 2 7) dispose que :
"Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir
dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ni
n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement
aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à
l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII."
101. Mémoire du Procureur, supra note 29, para. 70-73. Cf.
aussi le Mémoire amicus curiae présenté par A. Ciampi et G. Gaja, Le
Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT, 7 avril 1997, p. 5-6.
102. Cf. Australian International War Crimes Tribunal Act 1995,
Section 26, para. 3.
103. Cf. New Zealand International War Crimes Tribunal Act 1995,
Section 57.
104. Il semblerait que la loi autrichienne relative à la coopération
avec le Tribunal international est plus conforme au Statut en ce sens qu'après avoir
prévu le pouvoir des autorités autrichiennes de ne pas communiquer des pièces affectant
la sécurité nationale, elle ajoute que le Tribunal international sera consulté par les
autorités autrichiennes pour savoir s'il peut garantir que les informations soient tenues
secrètes, si elles lui sont communiquées (Section 12, para. 2 et 3)
105. Décision relative à l'injonction de produire, supra note
1, para. 113-115.
106. Affaire des Essais nucléaires, supra note 27, para. 46, p.
268.