Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL                           AFFAIRE N° IT-95-16-T

  2   POUR L'EX-YOUGOSLAVIE  

  3   Lundi 31 Août 1998

  4   L'audience est ouverte à 9 heures 30.

  5   Mme Glumac (interprétation). - Bonjour. Madame le Greffier,

  6   pouvez-vous annoncer l’affaire, s’il vous plaît ?

  7   Mme le Greffier (interprétation). - Il s’agit de l’affaire 95-

  8   16-PT, le Procureur contre Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic,

  9   Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Dragan Papic, Vladimir Santic, alias

 10   « Vlado ».

 11   M. le Président. - Bonjour. Est-ce que les conseils de défense

 12   sont prêts à interroger le témoin ?

 13   M. Pavkovic (interprétation). - Le témoin sera contre-interrogé

 14   par Me Glumac et Me Radovic et par Me Susak.

 15   M. le Président. - Merci. Madame Glumac ?

 16   Mme Glumac (interprétation). - Bonjour, M. Akhavan. Je ne sais

 17   pas si j'écorche votre nom en le prononçant. Nous avons entendu dire que

 18   vous êtes juriste. Je sais que vous travaillez avec le Bureau du

 19   Procureur.

 20   J'aimerais vous poser la question suivante. Avez-vous eu

 21   l'occasion de voir les déclarations de Sakib Ahmic qui ont été présentées

 22   ultérieurement au Bureau du Procureur ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Non, je n'ai pas vu cette

 24   déclaration.

 25   Mme Glumac (interprétation). - Au moment où ce rapport sur les


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  1   droits de l'homme a été rédigé, vous avez évoqué un certain nombre de

  2   données. Vous pouvez nous dire de quelle manière ces données ont été

  3   traitées par la suite ? Est-ce que les informations sont allés à Genève

  4   pour les traiter ? Où est-ce vous-même qui les avez traitées ? Pourriez-

  5   vous nous donner une réponse plus précise là-dessus ?

  6   M. Akhavan (interprétation). - En fait, il s'est agi d'un effort

  7   collectif entre l'officier sur le terrain C, à Zagreb, et le siège à

  8   Genève. Les officiers, sur le terrain, jouaient un rôle important pour

  9   l'analyse des données puisqu'ils se trouvaient sur le terrain et donc ils

 10   connaissaient au mieux les faits. En ce qui concerne le Bureau à Genève,

 11   ils formataient le document, ils en faisaient la mise en page de manière à

 12   pouvoir ensuite le soumettre à la Commission des droits de l'homme.

 13   Mme Glumac (interprétation). - Par conséquent, le texte que nous

 14   avons sous les yeux a été rédigé par qui, s'il vous plaît ?

 15   M. Akhavan (interprétation). - Ce texte a été préparé en partie

 16   par moi-même, en ce qui concerne la rédaction, et en partie par deux de

 17   mes collègues à Genève.

 18   Mme Glumac (interprétation). - Quelle est, s’il vous plaît, la

 19   partie que vous avez écrite ? Vous en souvenez vous ? Etaient-ce les

 20   parties avec les détails, les précisions, ou éventuellement les

 21   conclusions, ou le préambule, ou l'introduction ? Quelle est la partie que

 22   vous avez rédigée vous-même, s'il vous plaît ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Plus spécifiquement, les

 24   paragraphes 9 à 12 en ce qui concerne la ville de Vitez et les

 25   paragraphes 13 à 25 concernant le village d’Ahmici. En ce qui concerne la


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  1   ville de Mostar, les paragraphes ont été rédigés par d’autres personnels.

  2   Le paragraphe 37, sur les exécutions sommaires par le gouvernement

  3   bosniaque, a été rédigé par moi-même. Le reste a été rédigé par le Premier

  4   ministre Mazowiecki lui-même, le rapporteur donc.

  5   Mme Glumac (interprétation). - Eh bien, la partie qui porte sur

  6   le détail, tout ce que vous avez vu vous-même, c'est le texte que vous

  7   avez rédigé vous-même, n'est-ce pas ? Vous avez cité un certain nombre de

  8   paragraphes. Là, il n’y avait aucune intervention. C'est vous qui les

  9   aviez rédigés. (expurgée) a participé également au traitement

 10   du texte ; c’est lui qui a rédigé ensemble avec vous ?

 11   M. Akhavan (interprétation). - Oui. Mon collègue et moi-même,

 12   nous avons mené l'enquête ensemble. Ce qui veut dire que nous avons

 13   collecté les informations ensemble. Dans certaines réunions nous étions

 14   ensemble et dans d'autres nous ne l'étions pas. En ce qui concerne la

 15   rédaction et l’analyse juridique du rapport, ils relevaient principalement

 16   de ma responsabilité.

 17   Mme Glumac (interprétation). - Au moment où vous avez rencontré

 18   les personnes qui étaient les témoins des événements dont vous donnez la

 19   description, vous avez utilisé les notes, les bandes vidéos. Avez-vous

 20   enregistré éventuellement ces personnes-là où avez-vous tout simplement

 21   collecté les informations ?

 22   M. Akhavan (interprétation). - Nous avons pris des notes.

 23   Mme Glumac (interprétation). - Par conséquent, il n'y avait pas

 24   d'autres moyens auxquels vous avez eu recours ?

 25   M. Akhavan (interprétation). - Non, il n'y en avait pas d'autre.


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  1   Mme Glumac (interprétation). - Ce qui m'intéresse c'est le

  2   point 17 de votre rapport où vous avez donné la description de

  3   Sakib Ahmic. Je pense avoir bien compris que c'est vous qui avez rédigé

  4   cette partie du rapport.

  5   M. Akhavan (interprétation). - Oui. Cela se fonde sur le

  6   témoignage de Sakib Ahmic. Mon collègue (expurgée) avait interviewé le

  7   témoin. Je n'étais pas présent lors de cet entretien. Mais ce qui est dit

  8   ici reflète les informations que mon collègue a pu retirer de cet

  9   entretien, qui a été influencé par une visite à Ahmici, où nous avons

 10   visité la maison de la personne en question. Ce que nous avons trouvé là a

 11   très précisément confirmé ce qu'il avait dit : le nombre de personnes

 12   tuées, le nombre de pièces dans la maison, etc., etc..

 13   Mme Glumac (interprétation). - Bien. Vous affirmez que ces

 14   descriptions

 15   correspondent parfaitement à ce Sakib Ahmic avait dit à votre collègue ?

 16   M. Akhavan (interprétation). - Oui, dans la mesure où nous

 17   sommes informés, ceci est exactement ce qu'il a dit.

 18   Mme Glumac (interprétation). - C’est la raison pour laquelle

 19   j’aimerais donner lecture de ces paragraphes et vous allez me confirmer si

 20   c'était exact.

 21   "Un témoin oculaire a montré comment il s'était caché derrière

 22   le sofa alors que les soldats forçaient la porte pour entrer dans la pièce

 23   à côté. La famille était dans la pièce à côté : une mère, un père, un

 24   enfant de 4 ans et un bébé de 3 mois. Le témoin a entendu un tir de

 25   mitraillette et a vu la femme et le mari tomber par terre. Les soldats ont


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  1   ensuite versé du pétrole qu'ils avaient dans des bouteilles. Ils en ont

  2   mis partout dans les pièces, inclus le sofa derrière lequel le témoin

  3   était caché. Ensuite, on a allumé l'incendie avec des allumettes. Le

  4   témoin n'a pas été en mesure de dire si la famille avait été tuée par les

  5   tirs avant l'incendie".

  6   Est-ce exact s'il vous plaît ? Pouvez-vous nous dire si la

  7   description de l'événement est exact, donc l'événement que vous avez pu

  8   constater à travers le témoignage ?

  9   M. Akhavan (interprétation). - C'est correct.

 10   Mme Glumac (interprétation). - Merci. Est-ce que vous voulez

 11   bien me préciser si (expurgée) avait également interrogé Sakib à

 12   l'hôpital ?

 13   M. Akhavan (interprétation). - Oui, je le pense. Oui.

 14   Mme Glumac (interprétation). - En êtes-vous sûr ? Si j'ai bien

 15   compris ce que vous avez dit, vous avez passé une journée au centre à

 16   Zenica où vous avez interrogé un certain nombre de personnes qui ont

 17   survécu à Ahmici. Il y en avait entre 50 et 60, si j'ai bien compris. Par

 18   la suite, (expurgée) a eu un certain nombre d'autres entretiens qui

 19   devaient confirmer l'endroit exact où se trouvait la maison et puis vous

 20   avez parlé également d'une femme qui était sa cousine soit-disant, c'est

 21   comme ça que j'ai compris également que vous avez-vous même interrogé

 22   Sakib Ahmic tout au moins le premier entretien. Est-ce que vous pouvez

 23   vous

 24   souvenir de cet événement s'il vous plaît ?

 25   M. Akhavan (interprétation). - D'abord je ne me souviens pas


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  1   avoir dit quoi que ce soit d'une femme qui aurait été avec lui, que

  2   c'était sa cousine ou quelqu'un d'autre. Quand mon collègue Thomas est

  3   allé à Zenica ce jour-là je suis resté à Vitez et quand il est revenu,

  4   comme nous le faisions chaque fois, nous nous sommes informés mutuellement

  5   de nos notes, des personnes que nous avions interviewées ce jour-là et

  6   Thomas m'a dit qu'il était allé à l'hôpital à Zenica où il avait

  7   interviewé un Monsieur assez âgé qui était dans l'hôpital pour le

  8   traitement de ses brûlures. Je me souviens que Thomas m'a dit que le nom

  9   de cette personne était Sakib Ahmic et qu'il avait raconté l'histoire

 10   telle qu'on la retrouve dans le paragraphe 17, et qu'il avait dit que nous

 11   devrions retourner au village de manière à confirmer la véracité de son

 12   témoignage. Donc, je suis pratiquement certain que c'est bien là la

 13   personne interviewée par Thomas pour arriver à ces conclusions. Il se peut

 14   qu'il ait interviewé d'autres personnes, qu'il ait eu également des

 15   témoignages concernant ce même foyer, cette même maison, mais je n'en suis

 16   pas certain.

 17   Mme Glumac (interprétation). - Eh bien, ces entretiens que vous

 18   avez eu à Zenica, ils ont eu lieu où, s'il vous plaît, c'était un centre

 19   de réfugiés ou bien, comment ça se passait, s'il vous plait, si vous

 20   voulez bien nous donner la description ?

 21   M. Akhavan (interprétation). - Cela semblait être un centre de

 22   réfugiés dans un bâtiment qui avait pu être peut-être un cinéma ou quelque

 23   chose de genre. Ces personnes, 150 personnes à peu près, venaient d'être

 24   libérées d'une école à Dubravica où ils avaient été enfermés après

 25   l'attaque à Ahmici. Nous avons trouvé ces personnes grâce à un centre de


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  1   documentation sur les crimes de guerre ou les génocides, qui est une

  2   organisation qui se trouve à Zenica, mais ces interviews n'ont pas été

  3   préparées d'avance ; nous sommes allés à Zenica, nous avons rencontré les

  4   représentants de cette organisation et ils nous ont immédiatement emmenés

  5   dans ce centre et là, nous avons eu la possibilité d'interviewer les

  6   témoins sans interférence étant donné que Thomas avait été un traducteur

  7   serbo-croate, il n'était pas nécessaire d'avoir d'interprète pour ces

  8   interviews.

  9   Mme Glumac (interprétation). - En d'autres termes, c'est vous

 10   qui avez fait le choix des personnes parmi les présents ; il n'y avait

 11   aucune organisation, aucune préparation d'avance et vous ne saviez pas

 12   quelles étaient les personnes avec lesquelles vous alliez parler.

 13   M. Akhavan (interprétation). - C'est exact.

 14   Mme Glumac (interprétation). - D'après ce que vous avez dit, les

 15   personnes avec lesquelles vous avez parlé étaient des femmes, des enfants

 16   et des personnes âgées. Auriez-vous eu l'occasion de parler avec un homme

 17   d'Ahmici qui était à l'âge où il pouvait être appelé sous les drapeaux ?

 18   M. Akhavan (interprétation). - Lors de cette visite,

 19   spécifique ?

 20   Non, je ne me souviens pas d'une telle personne.

 21   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce qu'il y avait de telles

 22   personnes de tel âge au centre ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Parmi les gens qui venaient

 24   d'Ahmici, non, nous n'avons vu personne de ce genre, mais on nous a dit

 25   que les hommes d'âge militaire ou appelés sous les drapeaux n'avaient pas


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  1   été libérés par le HVO, et que seules les personnes âgées les femmes et

  2   les enfants avaient été libérés.

  3   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce que ce sont les gens avec

  4   lesquels vous avez parlé de la Défense Territoriale à Ahmici ?

  5   M. Akhavan (interprétation). - Je ne m'en souviens pas.

  6   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce qu'ils avaient parlé d'une

  7   résistance militaire le 16 avril 1993 qu'ils avaient organisée ?

  8   M. Akhavan (interprétation). - Non, il n'en ont pas parlé.

  9   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce qu'on vous a dit que les

 10   combats à Ahmici ont duré pendant deux jours et que ce n'est que le

 11   troisième jour qu'il y avait cette ligne de front qui a été démarquée ?

 12   M. Akhavan (interprétation). - Nous avons été informés du fait

 13   que les combats avaient duré environ un jour, mais pas deux.

 14   Mme Glumac (interprétation). - Qui vous a donné cette

 15   information ?

 16   M. Akhavan (interprétation). - Cette information, nous l’avons

 17   recueillie à différentes sources. Nous avons interviewé certains des

 18   témoins qui étaient des survivants des membres du bataillon anglais.

 19   Certains parmi eux étaient arrivés tout près d'Ahmici en fin de journée du

 20   16 avril, après que l'attaque ait eu lieu et nous savions que certaines

 21   personnes s'étaient sauvées, s'étaient cachées dans la forêt.

 22   Je ne sais pas... Si cela est considéré comme de la résistance,

 23   alors oui, ils n'ont été capturés qu'après le 16, mais en ce qui concerne

 24   la destruction et la prise du village, notre impression, en se fondant

 25   principalement sur les témoignages du bataillon britannique... la prise et


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  1   la destruction avaient commencé et s'étaient terminées le 16 avril.

  2   Mme Glumac (interprétation). - Pensez-vous, étant donné que,

  3   dans le compte rendu, vous avez parlé d'une centaine de personnes qui ont

  4   participé à l'attaque, et du fait que les combats duraient pendant quand

  5   même une journée entière, qu'une résistance avait quand même été

  6   organisée ?

  7   M. Akhavan (interprétation). - Dans notre rapport, il est dit

  8   cinquante, et peut-être jusqu’à cent cinquante soldats, au paragraphe 23.

  9   Nous sommes parvenus à cette conclusion en nous fondant sur les

 10   informations qui nous ont été données par des experts militaires, des

 11   membres du bataillon anglais qui ont estimé que l'importance de la

 12   destruction, le nombre de morts, le nombre de maisons incendiées,

 13   l'utilisation de mortiers, etc., ne pouvaient pas être le résultat d'une

 14   petite opération menée par une bande, mais qu'il s'agissait bien d'une

 15   opération militaire organisée. Nous n'avons pas de chiffres plus précis,

 16   mais qui représentent assez bien l'importance des destructions dans le

 17   village.

 18   Lorsque nous parlons de résistance militaire, là, la question

 19   est très complexe. Si nous entendons par là que quelqu'un qui se trouvait

 20   chez lui, qui a vu que des soldats arrivaient pour lui faire du mal, ou à

 21   sa famille, va prendre un fusil de chasse pour se défendre, alors à ce

 22   moment-là, il se peut qu'il y ait eu une telle forme de résistance, mais

 23   je ne pense pas que cela aurait modifié le caractère de l'attaque. Ahmici

 24   n'était pas un village défendu et il n'y avait pas d'objectif qui

 25   justifiait l'attaque ; s'il y avait eu une présence militaire,


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  1   l'importance de la destruction était totalement disproportionnée à une

  2   telle menace militaire qu'aurait pu poser ou représenter ce village.

  3   Et c'est en se fondant sur cela que nous n'avons pas pris en

  4   compte la possibilité qu'il y ait eu une véritable résistance, ou qu'une

  5   telle résistance aurait pu changer le caractère atroce de ce qui s'y est

  6   passé, ou l’illicéité.

  7   Mme Glumac (interprétation). - Eh bien auriez-vous l'amabilité

  8   de me dire que, lors des interviewes, vous avez également pu constater

  9   qu'il y avait un certain nombre de victimes du côté Croate parmi les

 10   soldats Croates ? Est-ce que vous êtes au courant que cinq soldats ont été

 11   victimes, lors de ce combat, et que neuf ont été blessés ? Est-ce que cela

 12   existe dans votre conclusion ? Etant donné que vous avez parlé d'une

 13   résistance qui était inexistante.

 14   M. May (interprétation). - Madame Glumac, est-ce un fait que

 15   vous voulez établir ? C'est cela que vous souhaitez ?

 16   Mme Glumac (interprétation). – Oui, Monsieur le Président,

 17   Messieurs les Juges, c'est effectivement une des preuves que nous aurions

 18   souhaité verser au dossier de la défense. Etant donné qu'il s'agit d'un

 19   expert, d'un témoin expert, je pense que nous devrons prendre en

 20   considération également ces faits-là et faire une analyse dans ce sens-là.

 21   Nous avions pris contact avec les autorités du HVO dans la

 22   région, comme je vous l’ai déjà dit. Nous avions parlé à Dario Kordic ;

 23   Blaskic et Cerkez. Aucun d’eux ne nous a dit qu'il y ait eu véritablement

 24   des pertes HVO dans cette opération. Il y a eu cinq blessés croates dans

 25   l'opération qui intéressait Vitez ; ceci, d'ailleurs, se retrouve dans le


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  1   rapport. Je ne sais pas si les cinq personnes dont vous parlez ne venaient

  2   pas plutôt de Vitez que d'Ahmici.

  3   A Vitez, la résistance des Musulmans de Bosnie a été beaucoup

  4   plus soutenue qu'à Ahmici où, comme je vous l’ai dit, le village a été

  5   détruit et pris. Et deux semaines après les événements du 16 avril, à

  6   Vitez, les Musulmans bosniaques contrôlaient encore une partie de la

  7   ville. Et des membres du Britbat avaient fait savoir que 96 Musulmans

  8   ainsi que 5 Croates avaient été enterrés.

  9   Et dans la mesure où nous étions en mesure d'obtenir des

 10   informations, on ne nous a pas indiqué de pertes du côté croate. Les

 11   autres pertes intéressent le hameau de Miletici, où trois ou cinq jeunes

 12   croates ont été attaqués par des bandes. Mais c’est toutes les pertes dont

 13   nous sommes au courant.

 14   Mme Glumac (interprétation). – Eh bien, si nous prenons en

 15   considération le fait que nous savons qu’il y avait les cinq victimes

 16   soldats et neuf blessés, ce que je vous ai posé comme question, est-ce que

 17   ça aurait changé quelque chose au niveau de votre attitude, ce qui s'était

 18   passé à Ahmici, ou non ? Car nous affirmons qu’il s'agissait tout

 19   simplement des victimes d'Ahmici.

 20   M. Akhavan (interprétation). – Non, cela ne modifierait

 21   certainement pas fondamentalement mon opinion. Le nombre de personnes

 22   tuées à Ahmici se chiffre à environ 200 personnes. Lorsque nous sommes

 23   arrivés, une centaine avait été confirmés morts ; la plupart étaient des

 24   enfants, des femmes et des personnes âgées qui avaient été brûlées dans

 25   l'incendie de leur maison, ou tuées sur le seuil, ou tuées par des tireurs


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  1   près du cimetière catholique.

  2   Et il y avait 200 personnes disparues ; probablement un certain

  3   nombre de personnes s'étaient cachées, mais le résultat en fin de compte,

  4   c'est qu'on peut dire que de 150 à 200 personnes -la plupart, des civils-

  5   ont été tuées pendant cette opération. Je ne pense pas que 5 soldats

  6   croates et 9 blessés, à la suite d’une résistance spontanée, auraient

  7   changé le caractère de cette attaque tout à fait illicite.

  8   Mme Glumac (interprétation). – Eh bien on ne parle pas de

  9   250 victimes à Ahmici, mais d'une centaine au total, tout au moins en ce

 10   qui concerne le Procureur. D'où tenez-vous ces informations ? Quelle est

 11   votre source ?

 12   M. Akhavan (interprétation). – Lorsque nous sommes arrivés dans

 13   la région, et conformément à nos sources, environ 100 morts ont été

 14   confirmés, car ils avaient été identifiés et enterrés. Mais on nous a dit

 15   qu'il y avait encore beaucoup de personnes qui étaient, en fait, enterrées

 16   sous les ruines ; et des personnes qui avaient péri par l'incendie ou qui

 17   avaient été tuées par tirs. Le Bataillon britannique a essayé d'identifier

 18   autant que faire se peut. Mais le fait que nous ayons trouvé 4 corps dans

 19   la maison de Sakib Ahmic est bien un signe que ce n’était pas un cas

 20   unique.

 21   Donc, qu'il y avait clairement beaucoup plus de cadavres dans le

 22   village que ceux qui avaient été identifiés parce que l'odeur, deux

 23   semaines après, était très très forte. Il se peut également qu'il y ait eu

 24   des mines et autres dangers qui faisaient qu'il était extrêmement

 25   difficile de retirer tous ces corps. Et, après avoir parlé à la Croix-


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  1   Rouge internationale, au Haut-commissariat des réfugiés, à des témoins,

  2   nous nous sommes dit qu'à ce moment-là et en plus des 100 personnes tuées,

  3   il y avait environ 200 personnes disparues. Et, comme je l’ai dit, un

  4   certain nombre de ces personnes pouvaient peut-être être cachées quelque

  5   part ; peut-être qu'elles sont réapparues ultérieurement. Mais en se

  6   fondant sur les descriptions de certains des témoins, nous avons estimé

  7   qu’il se pourrait qu'il y ait une centaine de personnes supplémentaires

  8   qui aient été tuées, mais que l'on n'avait pas encore pu trouver et

  9   identifier.

 10   Mme Glumac (interprétation). – Outre les hypothèses que vous

 11   avancez, y a-t-il des faits sur lesquels vous reposez votre témoignage ?

 12   M. Akhavan (interprétation). – Je ne suis pas au courant de cela

 13   mais, dans le cadre du rapport, nous n'avons pas avancé un nombre de tués

 14   aussi élevé. Je vais retrouver la partie pertinente du rapport. Cela se

 15   trouve au paragraphe 19 : "Sur les 89 corps retrouvés dans le village, la

 16   plupart étaient des corps de personnes âgées, de femmes et d'enfants. Une

 17   liste a été obtenue grâce aux témoignages de personnes déplacées qui

 18   faisaient état de 101 morts, ces personnes ayant assisté aux assassinats".

 19   Vers la fin de ce paragraphe, nous lisons : "Il est estimé que

 20   101 corps se trouvent peut-être toujours sous les débris du village, mais

 21   les tentatives pour les retrouver sont très difficiles compte tenu de

 22   l'instabilité des murs qui restent debout". Les villageois décrivent des

 23   odeurs pestilentielles dues aux cadavres.

 24   Et puis, il y a une autre partie du rapport, au paragraphe 22,

 25   où nous lisons que près de 300 des Musulmans qui habitaient le village


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  1   d'Ahmici sont encore à retrouver.

  2   Donc je pense que la formulation utilisée dans ce rapport et le

  3   contenu de ce rapport indiquent avec le plus grand soin quelle est la

  4   source de ces informations. Rien ne permet de savoir avec certitude que

  5   101 personnes ont été tuées. Simplement, d'après la formulation du

  6   rapport, il est stipulé que peut-être 101 habitants ont été tués. Mais en

  7   ce qui concerne les corps retrouvés, il y en a eu très peu -s'il y en a

  8   eu- qui étaient des corps d’hommes en âge de combattre. Nous nous rendons

  9   bien compte qu'il y a une distinction, en général, dans les activités de

 10   combat entre le fait de tuer des hommes en âge de combattre et le fait de

 11   tuer des vieillards, des femmes et des enfants. C'est la raison pour

 12   laquelle l'existence éventuelle de quelques victimes croates n'aurait pas

 13   modifié de façon considérable notre estimation.

 14   Mme Glumac (interprétation). – Encore une question liée à ces

 15   listes des victimes. Vous avez déclaré que, sur la liste, figurait le

 16   chiffre de 101 victimes à Ahmici, au paragraphe 19. C'est le chiffre que

 17   vous venez de citer, n'est-ce pas ?

 18   Eu égard à la ville de Vitez, vous dites également qu'il y a eu

 19   101 hommes, dont 96 Musulmans et 5 Croates qui ont été victimes de ces

 20   combats. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est une erreur, ce chiffre

 21   identique puisque, d'après nos informations, au cimetière, 101 personnes

 22   ont été enterrées et que ce sont donc les victimes d’Ahmici, de Vitez et

 23   des villages avoisinants. Donc, je vous demande si vous n'avez pas commis

 24   une erreur à ce niveau-là, car nous ne savons pas ce qui est arrivé aux

 25   autres 100 personnes. Et, pour les deux villes, vous avancez les mêmes


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  1   chiffres.

  2   M. Akhavan (interprétation). – Je vous répète que les membres du

  3   bataillon britannique, et notamment l'aumônier qui a participé aux

  4   cérémonies d'inhumation, ont dit qu'il y avait eu 101 personnes enterrées

  5   à Vitez. Il est possible que certains de ces corps aient pu être apportés

  6   des village avoisinants. Nous n'avons pas certifié ce fait.

  7   Pour ce qui est d'Ahmici, des membres du bataillon britannique

  8   nous ont dit qu'ils ont recueilli 89 corps du village d'Ahmici et qu'un

  9   grand nombre de ces corps se trouvaient dans ce pré qui se trouvait en

 10   face du cimetière catholique, et dont j'ai déjà parlé. Selon eux, il y

 11   avait donc 89 corps.

 12   Lorsque nous avons parlé à certains des survivants à Zenica, ils

 13   ont commencé à nous faire leur propre récit, ils nous ont dit qu'ils

 14   avaient vu des gens se faire tuer, ou s'ils n'avaient pas vu des gens se

 15   faire tuer, ils s'étaient rendu compte que des personnes qu'ils

 16   connaissaient étaient restées sur les lieux et qu'elles étaient

 17   probablement décédées.

 18   Sur la base de ces rapports, nous avons indiqué que la liste des

 19   victimes pouvait se chiffrer éventuellement à 101 personnes, qui

 20   s'ajoutent aux corps des personnes retrouvées.

 21   Mme Glumac (interprétation). - Donc à votre avis, c’est 202 au

 22   total : 101 corps à

 23   Vitez, 101 à Ahmici ? C’est ce que je crois comprendre.

 24   M. Akhavan (interprétation). - Eh bien, les 101 corps sont les

 25   corps de victimes possibles, nous n'avons pu en vérifier que 89, mais nous


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  1   considérons que ces 89 s'ajoutent aux 101 corps qui ont été enterrés à

  2   Vitez.

  3   Mme Glumac (interprétation). - Bien, je vous remercie.

  4   Dites-moi, qui a ramassé les corps dans les villages ? Est-ce

  5   que cela a été la charge de la Forpronu ou de la défense civile ? Est-ce

  6   que vous le savez ? Vous avez dit que la Forpronu a ramassé les cadavres

  7   avant de les conduire à Vitez. Je parle des cadavres d'Ahmici.

  8   M. Akhavan (interprétation). - On m'a informé que c'était la

  9   Forpronu qui avait ramassé la plupart de ces corps ; j'ai parlé à des

 10   soldats qui avaient personnellement participé à cette action impliquant de

 11   mettre les cadavres dans des sacs et je crois que la plupart de ces corps

 12   ont été apportés à Zenica où il y avait une morgue.

 13   Il y avait par exemple une famille qui, apparemment, avait été

 14   brûlée vive dans sa cave. Cela a été montré à la télévision. Ces corps ont

 15   été emportés à Zenica pour y subir une autopsie, mais je ne suis pas sûr

 16   du nombre de ces corps qui ont été enterrés à Vitez et du nombre de ces

 17   corps qui ont été emportés à Zenica pour y subir une autopsie avant d'être

 18   enterrés, et ce, notamment parce que la plupart des survivants se

 19   trouvaient à Zenica et donc, auraient pu souhaiter que ces corps soient

 20   enterrés dans un lieu où ils pouvaient accéder facilement.

 21   Mme Glumac (interprétation). - Et les corps de la famille de

 22   Sakib Ahmic, savez-vous où ils sont enterrés ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Je ne suis pas au courant de

 24   cela, cela s'est passé après notre départ.

 25   Mme Glumac (interprétation). - Vous avez dit qu'en-dessous de la


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  1   route, il y avait un plateau que vous avez appelé "le champ de la mort" et

  2   qui était une partie du cimetière

  3   catholique. Vous avez dit que 20 corps y ont été retrouvés. Ces corps y

  4   ont-ils été apportés par quelqu'un, un membre de la Forpronu ou des gens

  5   du village, ou bien ces gens ont-ils été tués dans ce pré ? Est-ce que

  6   vous le savez ?

  7   M. Akhavan (interprétation). - Selon les informations que j'ai

  8   reçues, ces personnes ont été tuées sur les lieux.

  9   Mme Glumac (interprétation). - Pouvez-vous dire au Tribunal d'où

 10   vous vient cette information ? Qui vous l'a donnée ? Pouvez-vous

 11   identifier la personne qui vous a donné cette information ?

 12   M. Akhavan (interprétation). - Je ne pourrais pas identifier

 13   précisément cette personne car cela s'est passé il y a cinq ans, mais il y

 14   avait des membres du Bataillon britannique avec lesquels nous avons parlé.

 15   Nous avons eu, avec ces membres du Bataillon britannique, 15 à 20 d'entre

 16   eux, des conversations prolongées.

 17   Mme Glumac (interprétation). - Vous avez dit dans votre

 18   déposition que vous vous êtes rendu en trois lieux différents : le lieu

 19   qui se trouve en-dessous de la route et puis à la mosquée haute et à la

 20   mosquée basse. Pouvez-vous vous rappeler où a été retrouvé le nombre

 21   important de douilles ? Vous avez dit qu'à un certain endroit, vous avez

 22   retrouvé un grand nombre de douilles auprès de maisons détruites.

 23   M. Akhavan (interprétation). - Il y avait de nombreux endroits

 24   où les maisons étaient détruites donc je ne crois pas que l'on puisse

 25   parler d'une concentration dans une partie particulière du village.


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  1   Mme Glumac (interprétation). - Mais vous avez circulé dans tout

  2   le village, vous avez dit que vous êtes allé au niveau de la mosquée,

  3   qu'ensuite, vous êtes remontés à Ahmici-le-Haut avant de vous rendre en-

  4   dessous de la route, donc ce sont des endroits tout à fait déterminés.

  5   Est-ce que ces douilles se trouvaient également autour des maisons qui se

  6   trouvaient à Ahmici-le-Haut, ce grand nombre de douilles ?

  7   M. Akhavan (interprétation). - Oui, il y en avait. Nous avons

  8   visité un grand nombre de maisons lorsque nous nous sommes trouvés dans le

  9   village, pas seulement une ou deux. Nous sommes allés de maison en maison

 10   pour inspecter les dommages et nous avons remarqué que, pratiquement sans

 11   aucune exception, nous trouvions de nombreuses douilles de balles aux

 12   alentours des maisons. Dans certains cas, il s'agissait de douilles

 13   provenant d'armes anti-aériennes, dans d'autres cas, de douilles qui

 14   provenaient de grenades lancées par des canons.

 15   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce que les réfugiés vous ont

 16   dit que les combats d'Ahmici-le-Haut ont commencé le deuxième jour, c'est-

 17   à-dire après la fuite des habitants ? Est-ce qu’ils vous ont dit à quel

 18   moment ils ont fui le village d'Ahmici et par quel chemin ils l'ont fait ?

 19   M. Akhavan (interprétation). - Non. L'information que nous avons

 20   reçue était que les combats ont commencé lorsque la plupart des habitants

 21   dormaient, c'est-à-dire très tôt le matin, à peu près au moment de l'appel

 22   à la prière du matin.

 23   Mme Glumac (interprétation). - Et en disant cela, vous parlez

 24   d'Ahmici-le-Bas, que vous avez bien localisé, c'est-à-dire le quartier qui

 25   se trouve autour de la mosquée basse et sur la route qui mène vers


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  1   Ahmichi-le-Haut ; je ne sais pas si vous avez remarqué que Ahmici-le-Haut

  2   est distinct d’Ahmici-le-Bas.

  3   M. Akhavan (interprétation). - Oui, c'est un quartier distinct,

  4   mais pas au point, à mon avis, que la différence ait pu être considérable

  5   étant donné l'importance de l'attaque. Au mieux de mes connaissances,

  6   l'attaque visait le village tout entier. Cette attaque a commencé par un

  7   pilonnage au mortier qui était destiné à la partie haute du village et

  8   destiné à faire fuir la plupart des habitants vers le sud. Et dans cette

  9   fuite, la plupart des habitants ont été tués par des balles ou blessés

 10   d'autres manières.

 11   Mon impression est que l'attaque globale a commencé très tôt le

 12   matin et que la

 13   plupart des habitants ont été totalement pris par surprise. Il est

 14   possible que certains quartiers du village ont été affectés un peu plus

 15   tard en fonction de l'endroit où l'attaque avait commencé, ce qui a pu,

 16   dans ce cas, permettre à ces habitants de mieux se préparer à la fuite.

 17   Mais je ne suis pas au courant des détails.

 18   Mme Glumac (interprétation). - Les personnes avec lesquelles

 19   vous avez parlé à Zenica, vous ont-elles dit quels ont été les moyens de

 20   sortir du village ?

 21   M. Akhavan (interprétation). - La plupart de ces personnes ont

 22   indiqué la forêt comme étant la meilleure voie d'évasion et je crois

 23   qu'elles parlaient de la forêt qui se trouve au nord du village. Certaines

 24   de ces personnes ont même dit que les coups de mortiers dirigés vers le

 25   nord du village étaient destinés à empêcher les gens de fuir par cette


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  1   forêt. Et si je me rappelle bien la topographie, je crois que certaines

  2   personnes ont également fui vers l'est du village où il y avait également

  3   une zone boisée permettant de s'enfuir.

  4   Mme Glumac (interprétation). - Dans le cadre de votre mandat,

  5   lorsque vous êtes allé dans la plaine de la Lasva, dans la vallée de la

  6   Lasva, vous étiez sans doute chargé de vérifier la situation dans

  7   l'ensemble de la vallée de la Lasva, pas seulement à Vitez et Ahmici et

  8   ce, bien entendu, sans faire de distinction entre les Musulmans et les

  9   Croates? Vous deviez vérifier les droits des uns et des autres. Cette

 10   mission vous a-t-elle permis de remplir vos deux obligations ?

 11   M. Akhavan (interprétation). - Notre mandat couvrait la totalité

 12   du territoire de l'ex-Yougoslavie, mais nous étions particulièrement

 13   responsables de la République de Croatie et de la République de Bosnie-

 14   Herzégovine. A cette époque-là, nous avions déjà publié dix rapports qui

 15   rendaient compte de divers incidents, de diverses situations. Ce qui s'est

 16   passé à ce moment-là, c'est que nous avons perçu l'existence d'une

 17   offensive bosno-croate dirigée contre les forces de l'armée de Bosnie-

 18   Herzégovine et contre la population musulmane de la vallée de la Lasva.

 19   Donc, à ce moment-là, nous nous sommes concentrés sur la région de Vitez

 20   et

 21   d'autres missions ultérieures se sont concentrées sur d'autre incidents

 22   survenus en d'autres lieux de la vallée de la Lasva. Nous avons examiné

 23   toutes les sources susceptibles de nous donner des informations, nous

 24   avons y compris interrogé les autorités du HVO et nous n'avons pas trouvé

 25   d'informations permettant de penser que, où que ce que soit dans la vallée


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  1   de la Lasva, il y avait eu persécution contre les Croates bosniaques, en

  2   tout cas pas une persécution de ce genre qui pouvait s'approcher,

  3   s'approximer de celles subies par les Musulmans.

  4   Miletici était un village très éloigné, très isolé, très

  5   difficiles d'accès ; nous avons eu des problèmes pour y accéder y compris

  6   avec des blindés. Nous avons dû marcher sur des distances assez

  7   importantes, mais nous y avons également trouvé des signes d'atrocités

  8   commises contre les Bosniens, les Musulmans de Bosnie.

  9   Mme Glumac (interprétation). - Mais les événements de Miletici

 10   semblent s'être produits le 16 ; donc il est possible qu'ils aient eu lieu

 11   le 16 ?

 12   C'est ce qui figure dans le rapport.

 13   M. Akhavan (interprétation). - J'aurais besoin de consulter mes

 14   notes.

 15   Mme Glumac (interprétation). - Page 8.

 16   M. Akhavan (interprétation). - Ah oui, oui. Il est possible,

 17   mais nous n'étions pas sûrs de la date exacte. L'impression que nous avons

 18   retirée est qu'il s'agissait de meurtres, de représailles, de vengeances ;

 19   c'était notre impression.

 20   Mme Glumac (interprétation). - Mais vous ne l'avez pas écrit ?

 21   M. Akhavan (interprétation). – Non, nous ne l'avons pas écrit

 22   parce que ce n'était pas pertinent. Dans ces rapports, ce qui nous

 23   intéresse n'est pas tellement la séquence des événements, si vous voulez,

 24   que la nécessité de rendre compte des atrocités commises. Ces rapports ont

 25   pour objet tout d'abord d'informer la communauté internationale des


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  1   événements qui sont survenus de façon à fournir des sources objectives

  2   d'information quant à ce qui se passe dans la région ; et le deuxième

  3   objectif consiste à informer les autorités locales de la

  4   nécessité de respecter les droits de l'homme. Donc le point qui est

  5   indiqué au paragraphe 37 figure dans le texte, de façon à indiquer que le

  6   rapporteur spécial n'avait aucune intention de fermer les yeux sur les

  7   atrocités commises contre les Croates de Bosnie ou les Serbes de Bosnie.

  8   D'ailleurs, simplement parce que les Musulmans de Bosnie subissaient des

  9   souffrances disproportionnées par rapport à ces deux communautés. Donc,

 10   dans pratiquement tous les rapports, nous avons accompli des efforts

 11   importants pour inclure également des paragraphes relatifs au atrocités

 12   éventuellement commises par les forces gouvernementales. Mais cela ne

 13   signifiait pas que ces atrocités étaient équivalentes à celles qui étaient

 14   commises par la force adverse.

 15   Mme Glumac (interprétation). – Vous parlez de la possibilité

 16   d'existence des Mudjahidins. Est-ce que vous avez vérifié leur existence ?

 17   Est-ce que vous avez vérifié qu’ils aient été éventuellement inclus, d’une

 18   façon ou d’une autre, dans l’armée de Bosnie-Herzégovine, d’après les

 19   informations dont vous disposiez ? Je parle du paragraphe qui traite de

 20   Miletici.

 21   M. Akhavan (interprétation). – Ce qui est écrit ici s’appuie sur

 22   le témoignage des villageois croates dont nous avons parlé. Bien sûr, le

 23   terme Mudjahidin était utilisé de façon très souple. En général, ce terme

 24   s'appliquait à des éléments étrangers à la Bosnie. Certains villageois

 25   nous ont indiqué qu'il s'agissait de personnes qui avaient un aspect


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  1   physique différent et qui parlaient une langue différente, ce qui eût

  2   permis de penser qu'il s'agissait de mercenaires venant de l'étranger et

  3   non de Bosnie.

  4   On nous a dit qu'il y avait également un officier en uniforme

  5   qui portait l’uniforme de l'armée de Bosnie-Herzégovine, ce qui, bien sûr,

  6   n'était pas rare. Tout homme en âge de combat portait un uniforme. Et

  7   puis, on nous a dit aussi que certains hommes résidaient dans les environs

  8   de Miletici et que ces hommes ont été connus comme participant à des

  9   activités délictueuses : marché noir, par exemple, etc. Donc l'impression

 10   que nous avons retirée a été

 11   qu'il existait un groupe de ce qu’on appelait des Mudjahidins, qui étaient

 12   accompagnés d'un, deux ou trois habitants locaux. Bien entendu, il n'était

 13   pas question d'opérations de grande envergure ; au total, il pouvait

 14   s'agir de huit à dix individus qui sont arrivés dans un hameau, un hameau

 15   très petit qui ne regroupait qu'une dizaine de maisons dans le but de tuer

 16   quelques personnes, de voler des biens et de s'en aller.

 17   Mme Glumac (interprétation). – Mais vous avez dit que les

 18   victimes avaient la tête coupée et que, selon le rapport que vous avez

 19   rédigé, 27 Croates ont fui de ce village. Donc, ce qui a été fait n'était

 20   pas insignifiant.

 21   M. Akhavan (interprétation). – Bien entendu, couper la tête de

 22   quelqu'un n'est jamais insignifiant. Mais, dans ce paragraphe, il n'y a

 23   rien qui est dit à demi-mot. Il s'agit d'un rapport qui reflète fidèlement

 24   les souvenirs narrés par les survivants. Je ne suis pas sûr de la nature

 25   des motivations de ces personnes : peut-être que ces motivations étaient


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  1   simplement des motivations sadiques ou le besoin de s'approprier des biens

  2   qui appartenaient à d'autres. En tout cas, le résultat a été que la

  3   terreur a été semée par les villageois et que ces villageois ont fini par

  4   fuir ; ce qui n'avait rien de surprenant.

  5   Mais on nous a dit que de nombreuses personnes, particulièrement

  6   âgées, notamment, n'ont pas pu fuir et ont choisi de rester sur place. Les

  7   villageois nous ont dit également qu'une personne, un homme, portait

  8   l'uniforme de l'armée de Bosnie-Herzégovine et qu’en général, ces attaques

  9   n'étaient pas des attaques organisées sur le plan militaire mais

 10   uniquement des agressions dues à des voyous, à des ruffians, à des

 11   criminels : en général, en cas de telles attaques, un individu de ce genre

 12   était sensé les protéger. Or, il ne l’a pas fait. Rien n'indique que c'est

 13   cet homme qui a coupé les têtes des victimes, mais simplement il ne s’est

 14   pas opposé aux actes des auteurs de ces actes délictueux dans le village.

 15   Mme Glumac (interprétation). – Merci beaucoup. Vous avez aussi

 16   dit, au paragraphe 40 : « qu'il a été établi que des forces

 17   gouvernementales ont perpétré un certain

 18   nombre d'exécutions, de tortures dans la région de Zenica ». Compte tenu

 19   que les dates mentionnées sont préalables à votre arrivée dans la vallée

 20   de la Lasva, compte tenu du fait qu'à Zenica, à cette époque, 600 Croates

 21   ont été arrêtés, n'avez-vous pas pensé que cette situation était alarmante

 22   et qu'elle aurait pu justifier une enquête plus approfondie ?

 23   M. Akhavan (interprétation). – Excusez-moi, vous êtes en train

 24   de dire que cette information figure dans le rapport ou qu'il s'agit d'une

 25   allégation ?


Page 1273

  1   Mme Glumac (interprétation). – Dans les conclusions.

  2   Paragraphe 40.

  3   M. Akhavan (interprétation). – Oui, oui. Nous avons obtenu des

  4   informations quant au fait que certains incidents de ce genre s'étaient

  5   produits à Zenica, mais nous n'avons obtenu aucune information permettant

  6   de penser que ces incidents ont été de grande importance, en tout cas pas

  7   contre 600 personnes. Il était manifeste qu’il existait un climat de

  8   violence, de crainte, de terreur dans cette région ; les tensions y

  9   étaient très importantes et, en de nombreux cas, des incidents isolés

 10   d'assassinat ou de torture ont eu lieu. Malheureusement, ces incidents

 11   étaient très fréquents dans l'ensemble de la Bosnie pendant toute la

 12   guerre.

 13   L'un des problèmes que nous subissions, compte tenu des

 14   ressources limitées dont nous disposions par rapport à l'énormité de la

 15   tâche, consistait à déterminer quelles étaient les violations les plus

 16   graves qui pouvaient justifier notre action. Dans le cas de Zenica, nous

 17   n'avons obtenu aucune indication, aucun indice quant aux fait que les

 18   assassinats étaient très nombreux, donc qu'il y avait -je dirais- des

 19   dizaines d'assassinats. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes

 20   concentrés plutôt sur les incidents de Vitez et, notamment, d’Ahmici, où

 21   il existait des signes très manifestes d'assassinats en masse. Donc, je

 22   dis que, dans le but d'être impartial, dans le but également de vérifier

 23   les allégations quant à ces incidents isolés, nous avons travaillé pour

 24   avertir le gouvernement bosniaque, notamment, que les Musulmans de Bosnie

 25   étaient visés de façon disproportionnée.


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  1   Mais je ne crois pas qu'il serait exact de dire ou permis de

  2   dire que les atrocités commise contre les Croates à Zenica en tous cas vu

  3   les chiffres cités, étaient crédibles à l'époque.

  4   Mme Glumac (interprétation). - Dites-moi, est-ce que vous avez

  5   parlé avec des habitants de nationalité Croate des villages environnants

  6   d'Ahmici, je parle de Kruscica, Gacica, Poculica, Bukva, d'où les Croates

  7   ont été expulsés le 16, et où il y a eu des cas d'assassinat. Est-ce que

  8   vous avez donc parlé avec ces habitants, outre le fait d'avoir parlé aux

  9   habitants d'Ahmici ?

 10   M. Akhavan (interprétation). - Nous avons fait une tentative

 11   pour établir un contact avec certains habitants Croates d'Ahmici, et à ce

 12   moment-là deux tireurs isolés du HVO apparemment, ont tenté de tuer mon

 13   collègue, ce qui nous a fait comprendre que nous n'étions pas les

 14   bienvenus, et bien entendu, cela a influencé le reste de notre notre

 15   mission. Donc, nous avons décidé, au lieu d'agir de la sorte, de nous

 16   concentrer sur les représentants de la direction bosnienne qui avaient les

 17   informations les plus précises quant à ce qui s'était passé dans la

 18   région. C'est la raison pour laquelle nous avons contacté Dario Kordic,

 19   Blaskic et Cerkez, que nous avons invités à nous fournir des informations

 20   et des explications, et les informations et explications qui nous sont

 21   fournis par eux, se retrouvent dans notre rapport.

 22   Il faut bien se rendre compte qu'il était particulièrement

 23   difficile de se déplacer dans cette région, notamment après que les

 24   Croates de Bosnie ont indiqué leur intention de nous tuer. Donc, dans la

 25   région de Vitez, nous devions nous déplacer avec les plus grandes


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  1   précautions, car nous craignions toujours les intentions des tireurs

  2   embusqués qui souhaitaient nous tuer.

  3   Mme Glumac (interprétation). - Vous parlez de coups de feu tirés

  4   par des tireurs embusqués des Croates de Bosnie. D'où venaient ces coups

  5   de feu s'il vous plaît et est-ce que vous avez vu les soldats qui

  6   tiraient ?

  7   M. Akhavan (interprétation). - Comme cela est indiqué dans le

  8   rapport, Ahmici était manifestement sous le contrôle du HVO, il y avait

  9   peu de doutes à ce sujet et c'est seulement lorsque nous avons pris

 10   contact avec une femme croate âgée qui était accompagnée, je crois, de

 11   deux enfants, que ces coups de feu tirés par des tireurs embusqués ont

 12   commencé. Nous avons couru vers notre blindé transport de troupes, qui se

 13   trouvait à une certaine distance -heureusement nous sommes restés en vie-

 14   et nous avons décidé de faire fonder nos informations sur la base des

 15   renseignements fournis par les membres du Bataillon britannique. Ces

 16   tireurs embusqués n'ont pas été localisés. Les coups de feu provenaient

 17   d'un endroit du village, mais il était difficile de déterminer d'où

 18   exactement.

 19   Mme Glumac (interprétation). - De quel quartier du village,

 20   pouvez-vous nous le dire ? Du nord ? De l'est ?

 21   M. Akhavan (interprétation). - Il est difficile de le déterminer

 22   avec certitude. Si je me souviens bien de la topographie, je dirai que, en

 23   gros, les coups de feu provenaient de la partie occidentale du village,

 24   mais il est très difficile de le déterminer avec précison.

 25   Mme Glumac (interprétation). - Mais est-ce que vous saviez qu'à


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  1   peu près à 500 mètres du village se trouvaient les lignes de front qui

  2   sont restées à cet endroit pendant toute la guerre, on vous l'a sans doute

  3   dit lorsque vous vous êtes rendu à Ahmici ?

  4   M. Akhavan (interprétation). - Non, on ne nous a pas parlé de

  5   lignes situées à 500 mètres environ, cela me surprendrait compte tenu de

  6   la topographie et de la géographie du village. Cela m'eût étonné que des

  7   tireurs embusqués aient pu tirer d'une distance aussi importante. D'après

  8   les soldats qui nous accompagnaient; ces coups de feu provenaient sans

  9   doute du village lui-même. Et puis, je dirai également que les habitants

 10   qui restaient dans le village n'étaient pas très interessés à nous y voir.

 11   La deuxième fois que nous sommes allés dans ce village, accompagnés des

 12   trois ambassadeurs de la Communauté européenne, encore une fois, une

 13   personne du village nous a approchés et à proféré des menaces à l'encontre

 14   du

 15   colonel Stewart qui nous a immédiatement demandé de quitter le village. Il

 16   était tout à fait clair que les visites constantes que nous rendions au

 17   village étaient perçues comme une menace par les Croates qui restaient

 18   dans le village, dont la plupart avaient probablement participé aux

 19   assassinats ; en tous cas, c'est la conclusion que nous avons tirée.

 20   Mme Glumac (interprétation). - Pendant le temps que vous avez

 21   passé dans la région de la vallée de la Lasva, êtes-vous allé à

 22   Stari Vitez ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Oui.

 24   Mme Glumac (interprétation). - Qu'est-ce que vous avez vu à

 25   Stari Vitez ? Est-ce que vous avez vu des signes distinctifs, des


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  1   barricades, des tranchées dans les zones tenues par les Croates ?

  2   M. Akhavan (interprétation). - Oui, Stari Vitez était fortifiée

  3   et défendue.

  4   Mme Glumac (interprétation). - Pouvez-vous déterminer quel était

  5   le nombre de membres de l'armée de Bosnie-Herzégovine que vous avez vus

  6   porter les armes ?

  7   M. Akhavan (interprétation). - Excusez-moi, l'armée VH ?

  8   Mme Glumac (interprétation). -  Non, je parle de l'armée de

  9   Bosnie-Herzégovine.

 10   M. Akhavan (interprétation). - Je ne me rappelle pas le nombre

 11   exact mais il était manifeste qu'il y avait des membres de l'armée de

 12   Bosnie-Herzégovine dans cette zone, en uniforme, qui portaient des armes

 13   de types divers. Je dirai que les armes qu'ils portaient étaient en

 14   général des armes assez primitives comparées à celles que nous avons vues

 15   ailleurs. Et je dirai également que les fortifications que nous avons vues

 16   à Stari Vitez étaient ce que j'appellerai un îlot au milieu d'un océan du

 17   HVO, compte tenu du fait que Stari Vitez était totalement isolée des

 18   autres territoires contrôlés par l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il

 19   s'agissait d'une enclave à l'intérieur de la ville de Vitez. Je pense que

 20   pour les habitants de Stari Vitez, il était extrêmement difficile, y

 21   compris, de tenter d'obtenir de la nourriture ou de continuer une vie

 22   normale. Car chaque fois qu'ils devaient quitter cette zone pour trouver

 23   des

 24   vivres, ils étaient menacés par les coups de feu des tireurs embusqués.

 25   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce qu'il y avait des tireurs


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  1   embusqués qui tiraient depuis Stari Vitez dans la direction des quartiers

  2   de Vitez où habitaient les Croates ?

  3   M. Akhavan (interprétation). - Oui, effectivement, nous avons

  4   constaté qu'un individu particulier portait un fusil à lunettes. Mais est-

  5   ce que ce fusil à lunettes a été utilisé pour tirer contre un soldat du

  6   HVO ou contre des civils, nous n'avons pas pu le vérifier.

  7   Mme Glumac (interprétation). - Est-ce que, lors de la

  8   préparation de ce rapport, vous avez discuté avec des membres de l'armée

  9   de Bosnie-Herzégovine ?

 10   M. Akhavan (interprétation). - Oui.

 11   Mme Glumac (interprétation). - Pouvez-vous nous dire si vous

 12   avez parlé avec eux de leur présence dans la vallée de la Lasva ? Comment

 13   ils étaient organisé ? Quel était le nombre de leurs brigades ? Quelle

 14   était leur structure de commandement ? Où se trouvait leur état-major ?

 15   M. Akhavan (interprétation). - Là encore, c'est quelque chose

 16   qu'il est difficile de se rappeler cinq ans plus tard. Mais, d’après mon

 17   souvenir, la présence militaire de l'armée de Bosnie-Herzégovine se

 18   situait en majeure partie sur le front qui faisait face à l'armée des

 19   Serbes de Bosnie. L'armée des Serbes de Bosnie constituait une menace

 20   importante et l'armée de Bosnie-Herzégovine était tellement faible qu'elle

 21   ne se préoccupait pas autant d'une éventuelle offensive due aux Croates de

 22   Bosnie, ni de l'échelle de cette offensive. Bien sûr, après le 16 avril,

 23   la situation a changé et des forces importantes ont été consacrées à

 24   lutter contre l'offensive des Croates de Bosnie. A un certain moment, la

 25   présence militaire de l'armée de Bosnie-Herzégovine était minime et se


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  1   situait essentiellement dans la région extérieure à Vitez, c'est-à-dire

  2   dans la direction de Zenica.

  3   Nous avons inspecté la région et nous avons vu un tank, un char

  4   ancien, qui probablement appartenait à l’armée de Bosnie-Herzégovine ;

  5   c'est à peu près l'essentiel des

  6   armes que nous avons vues du point de vue de l'artillerie en tout cas.

  7   Mais toutes ces armes se situaient à une distance assez importante de

  8   Vitez. Nous n'avons rien vu de significatif ou de menaçant qui pouvait

  9   impliquer la présence de l'armée de Bosnie-Herzégovine dans la région.

 10   Mme Glumac (interprétation). - Vous dites que l'armée de Bosnie-

 11   Herzégovine avait des forces minimes, des forces très peu importantes,

 12   mais cela semble contradictoire avec ce que vous dites dans le

 13   paragraphe 9 de votre rapport. Vous parlez de la ville de Vitez. Vous

 14   dites que des portions très restreintes de territoire ont changé de mains,

 15   autrement dit que le pouvoir n'a pas tellement changé, alors

 16   qu'aujourd'hui la ville de Vitez se partage entre ces deux forces ;

 17   autrement dit, la majeure partie des villages de la région ont réussi à se

 18   défendre, qu'il y a eu des combats. Or, vous, vous dites que la résistance

 19   a été minime, qu'il y a eu très peu de combats. Donc, vous affirmez qu'en

 20   dehors d'Ahmici tous les villages se sont défendus. A Stari Vitez, il y

 21   avait également des habitants croates qui sont restés, pendant toute la

 22   guerre, dans cette région sous contrôle des Bosniens.

 23   Pouvez-vous m’expliquer toutes ces contradictions ?

 24   M. Akhavan (interprétation). - Excusez-moi, mais je ne vois pas

 25   la contradiction, j'essaie de comprendre et je ne la vois pas.


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  1   Mme Glumac (interprétation). - Vous venez de dire que vous avez

  2   confirmé que les forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine étaient minimes

  3   sur le territoire de la vallée de la Lasva, et qu’en général cette armée

  4   de Bosnie-Herzégovine se concentrait sur les fronts qui faisaient face aux

  5   forces serbes de Bosnie. Mais, au paragraphe 9, vous affirmez qu’en

  6   général les villages et Stari Vitez ont réussi à se défendre et qu'en

  7   dehors d’Ahmici "il n’y a pas un village qui a changé de mains" ; c’est

  8   l’expression utilisée au paragraphe 9 du rapport. Donc, je considère qu’il

  9   y a un certain manque de cohérence entre ce que vous dites aujourd'hui et

 10   ce qui figure par écrit dans le rapport.

 11   M. Akhavan (interprétation). - Eh bien, il est très difficile de

 12   parler de territoires

 13   qui changent de mains lorsque la population de la région est mixte. Ce que

 14   nous avons compris, c'est que le HVO contrôlait déjà la vallée de la

 15   Lasva. C'est en raison de cela que très peu de territoires ont changé de

 16   mains. Les lignes de front, les zones contrôlées par le HVO, sont restées

 17   les mêmes. Mais la population bosnienne civile a été éliminée. Nous ne

 18   considérons pas cela comme un changement de territoire, en tout cas selon

 19   le sens que nous donnons au terme utilisé dans le rapport. Et puis, nous

 20   n'avons pas dit que les villages avaient été défendus avec succès, nous

 21   avons dit qu'ils avaient été défendus et qu’il y avait eu une certaine

 22   résistance.

 23   Mme Glumac (interprétation). -J'ai dit qu'il n’y avait pas eu de

 24   changements de territoires.

 25   M. Akhavan (interprétation). - Excusez-moi, mais je ne comprends


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  1   pas.

  2   Mme Glumac (interprétation). - Ce qui m'intéresse, c'est la

  3   différence entre les deux déclarations. Vous avez dit qu'il n'y avait pas

  4   eu de grands changements, de grandes transformations. Vous pensez sans

  5   doute à des éléments démographiques axés sur la région où se situaient les

  6   lignes de front ?

  7   M. Akhavan (interprétation). – Ce qui est écrit, c’est "très peu

  8   de territoire a changé de mains". Cela ne signifie pas que la démographie

  9   n’a pas changé. Mais, si nous avions rédigé ce rapport après la contre-

 10   offensive des Bosniens, des Musulmans, qui s’est produite quelques

 11   semaines plus tard, alors nous aurions écrit que les lignes de front

 12   avaient bougé et que l’armée de Bosnie-Herzégovine avait repris des

 13   territoires qui, par le passé, étaient sous le contrôle du HVO.

 14   Mais je vous répète que ce que nous indiquons dans ce rapport,

 15   c’est qu’il a existé une certaine résistance ; cela ne signifie pas que

 16   cette résistance s’est produite entre des forces de puissance égale : au

 17   contraire, notre impression, c’est que les forces de l’armée de Bosnie-

 18   Herzégovine dans la région étaient largement sur la défensive. S’agissant

 19   de la dynamique de ces attaques, l’impression que nous avons retirée était

 20   que, une fois qu’une offensive militaire

 21   était lancée, une partie avait des ressources beaucoup plus importantes

 22   que la partie adverse qui adoptait une attitude défensive. Quelquefois, il

 23   faut bien établir le rapport entre offensive et défensive ; ce rapport,

 24   dans ce cas, était plutôt de trois à un. La résistance venait plutôt des

 25   villages et était due à des habitants du village qui se battaient pour


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  1   défendre leur vie. Ils comprenaient que la défaite pour eux signifiait

  2   l’exécution ou des résultats très désagréables ; donc, ils étaient prêts à

  3   résister jusqu’au bout. Dans de nombreux cas, la résistance a donc été

  4   féroce. Mais elle n’a pas permis de modifier la structure générale que

  5   l’on pouvait observer dans la région, ni la nature de la campagne qui, à

  6   notre avis, était destinée à éliminer la population bosnienne de façon à

  7   modifier la structure démographique et à consolider le contrôle du HVO sur

  8   ce qui devait devenir, dans le cadre du plan Vance-Owen, le canton 10.

  9   Mme Glumac (interprétation). – Encore une question ou deux. Vous

 10   avez dit, dans votre rapport, que vous aviez remarqué, dans l’ensemble de

 11   la Bosnie-Herzégovine, que tous les hommes en âge de porter des armes

 12   portaient un uniforme. Autrement dit, vous parliez de la partie bosnienne

 13   et de la partie croate, n’est-ce pas ? Est-ce exact ?

 14   M. Akhavan (interprétation). – Exact.

 15   Mme Glumac (interprétation). – Donc, c’était un élément tout à

 16   fait massif, une espèce de mode ? Est-ce que vous le pensez de cette

 17   manière-là, étant donné qu’il y avait quand même un bon nombre de ceux qui

 18   portaient des armes ?

 19   M. Akhavan (interprétation). – Je ne suis pas sûr que ce soit le

 20   mot pour le mieux décrire cet état de fait. Tous les gens en état de

 21   porter les armes ont été mobilisés à ce moment-là. Compte tenu de la

 22   gravité du conflit, il était logique que tous ceux qui le pouvaient

 23   participaient aux combats. J’ai vu pas tellement des jeunes seulement,

 24   mais également des hommes de quarante, cinquante ans. Je ne sais pas si

 25   l’on peut en conclure que ces gens faisaient partie d’unités organisées ou


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  1   non. Bien que ces hommes aient porté des uniformes et des armes, il

  2   semblait quand même qu’il y avait un certain ordre, une stabilité. Il

  3   était clair qui

  4   avait le commandement.

  5   Mme Glumac (interprétation). – Enfin, ma dernière question porte

  6   sur le point n° 8 : vous avez conclu que la direction des transports vers

  7   la Bosnie orientale, la direction principale, traverse la vallée de la

  8   Lasva ; que c’était une région extrêmement importante du point de vue

  9   stratégique, aussi bien pour les Croates que pour l’armée de Bosnie-

 10   Herzégovine et que les deux forces essayaient de contrôler cette zone.

 11   Est-ce vrai ?

 12   M. Akhavan (interprétation). – C’est exact. Comme je l’ai déjà

 13   dit, nous avons essayé de voir quelles étaient les raisons du conflit et

 14   essayé de faire une distinction en ce qui concerne les tentatives de

 15   contrôle et les atrocités contre les civils.

 16   Notre impression est que la communauté croate essayait

 17   d’affermir son indépendance à l’égard du gouvernement bosniaque pour des

 18   raisons qui ne sont pas intéressantes à ce titre. Mais, à Travnik, par

 19   exemple, il y a eu une cérémonie pour hisser le drapeau, tout de suite

 20   après l’arrivée du ministre de la Défense, Susak, à l’époque. Cette

 21   cérémonie avait eu comme conséquence des violences, des incidents de tirs

 22   entre les forces du HVO et les forces du gouvernement bosniaque.

 23   Il y avait donc très clairement beaucoup de tensions et le

 24   gouvernement n’avait pas du tout l’intention d’abandonner le contrôle sur

 25   cette région, ce qui ne veut pas dire qu’à ce moment-là ils étaient


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  1   engagés dans une vaste offensive, probablement parce qu’ils n’en avaient

  2   pas les forces. Mais cela montre qu’il y avait des tensions dans la

  3   région. Ces assassinats ne sont pas tombés du ciel. Dans ce cas, un côté,

  4   à savoir le HVO, a décidé d’essayer de gagner le contrôle de la région en

  5   utilisant des méthodes comme celles qui ont été utilisées dans le village

  6   d’Ahmici.

  7   Mme Glumac (interprétation). – Vous avez constaté que cette

  8   route traverse le village d’Ahmici, n’est-ce pas ?

  9   M. Akhavan (interprétation). – Oui, c’est exact. La route, nous

 10   a-t-on dit, revêtait

 11   une importance stratégique considérable.

 12   Mme Glumac (interprétation). – Je vous remercie.

 13   M. le Président (interprétation). - Me Radovic ?

 14   M. Radovic (interprétation). – Eh bien, si j’ai bien compris,

 15   c’est le 1er ou le 2 mai que vous vous êtes rendu à Ahmici. Est-ce vrai ?

 16   C’était en 1993, en mai ?

 17   M. Akhavan (interprétation). – Je suis allé trois fois à Ahmici.

 18   M. Radovic (interprétation). – C’est la première fois qui

 19   m’intéresse. Quand êtes-vous allé la première fois ?

 20   M. Akhavan (interprétation). – Cette première visite a eu lieu

 21   le 1er mai.

 22   M. Radovic (interprétation). – Ce qui m’intéresse également,

 23   c’est de savoir si votre collègue, (expurgée), avait parlé avec

 24   Sakib Ahmic tout de suite après votre première visite d’Ahmici, au moment

 25   où vous êtes retourné à Zenica ?


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  1   M. Akhavan (interprétation). – Non. Si je ne m’abuse, la date de

  2   la visite était le 5 mai.

  3   M. Radovic (interprétation). – Est-ce que votre collègue a été

  4   intéressé, est-ce qu’il vous en parlé également ou bien, éventuellement,

  5   il en a pris note qu’avant, Sakib Ahmic ait parlé avec votre collègue, il

  6   avait déjà parlé avec les représentants de la police locale ?

  7   M. Akhavan (interprétation). – Excusez-moi : avec quels

  8   représentants ? Avec quelle police aurait-il parlé ?

  9   M. Radovic (interprétation). – Des autorités bosniaques à

 10   Zenica ?

 11   M. Akhavan (interprétation). – Je sais que le jour d’avant, le

 12   4 mai, nous n’avons pas parlé à la police, mais aux représentants du

 13   Centre de documentation sur la guerre, à Zenica, qui avaient des liens

 14   avec le gouvernement. Je ne sais pas quel était le degré de liens. En ce

 15   qui concerne le jour suivant, est-ce que mon collègue Thomas a parlé à la

 16   police ou non, je ne sais pas.

 17   M. Radovic (interprétation). – Est-ce que vous êtes au courant

 18   que Sakib Ahmic lui-même, avant d’avoir parlé avec Thomas, avait parlé

 19   avec la police, pas avec le Centre de recherche des victimes de guerre,

 20   mais avec le Centre de sécurité ? C’est la sécurité d’état de Zenica.

 21   C’étaient les services secrets, à l’époque, qui, par la suite, se sont

 22   transformés en police de Bosnie-Herzégovine. C’était la police secrète

 23   auparavant.

 24   M. Akhavan (interprétation). – Je ne sais pas.

 25   M. Radovic (interprétation). – Entendu. Ce qui m’intéresse, au


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  1   moment où vous avez écrit le rapport, selon les notes de(expurgée),

  2   ces notes se trouvent où ? Est-ce qu’elles existent encore ou bien ont-

  3   elles été détruites?  Qu’est-ce qui se passe avec ?

  4   M. Akhavan (interprétation). – Je ne sais pas ; je ne suis pas

  5   au courant si elles ont été détruites ou non.

  6   M. Radovic (interprétation). – Et maintenant, où se trouve

  7  (expurgée), étant donné que nous vous contre-interrogeons également

  8   sur ce que (expurgée) avait donné comme informations ? Ce n’est pas

  9   lui qui est ici ; ce n’est pas vous qui avez parlé directement avec

 10   Sakib Ahmic. C’est sur la base de ces notes que nous parlons là. Où se

 11   trouve actuellement(expurgée) ? Qu’est-ce qu’il fait ? Est-ce que

 12   vous êtes au courant ?

 13   M. Akhavan (interprétation). - Si je suis bien informé, il

 14   travaille avec le Bureau du Procureur.

 15   M. Radovic (interprétation). - Comme vous maintenant ? D'accord.

 16   Est-ce que vous pouvez me dire si vous êtes canadien ? Vous êtes

 17   canadien, je pense, vous avez fait votre service militaire ?

 18   M. Akhavan (interprétation). - Non, je ne l'ai pas fait.

 19   M. Radovic (interprétation). - Comment avez-vous cette

 20   expérience militaire ? D'où est-ce que vous avez l'information qu'il y

 21   avait des forces qui disposaient des armes primitives et d'autres non ?

 22   M. Akhavan (interprétation). - C'est le type de choses que l'on

 23   sait, ce sont des connaissances que l'on acquiert et pendant tout notre

 24   séjour nous avons eu beaucoup de contacts avec des militaires,

 25   principalement des forces de protection des Nations Unies, mais également


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  1   des contacts avec les belligérants, quels qu'ils soient, Serbes,

  2   bosniaques, Croates bosniaques, etc., et nous disposions également souvent

  3   de manuels militaires qui nous permettaient de mieux comprendre les moyens

  4   utilisés pour mener la guerre parce que naturellement, ce type de

  5   connaissance était essentiel pour savoir ce qui constituait des actes

  6   licites en temps de guerre et ce qui constituait des actes illicites.

  7   M. Radovic (interprétation). - Eh bien, je vous ai posé une

  8   autre question et vous me donnez une autre réponse. Ce que j'aimerais

  9   savoir, c'est ce que vous sous-entendez par "armes primitives" étant donné

 10   que les Bosniens disposaient des armes bosniennes. D'après vous, le char,

 11   c'est une arme primitive ou non primitive, d'après vous ?

 12   M. Akhavan (interprétation). - Par exemple, un fusil de chasse

 13   par rapport à un AK47.

 14   M. Radovic (interprétation). - Bien, d'accord. Est-ce que vous

 15   pensez que les Bosniens, outre les fusils de chasse, avaient des

 16   Kalachnikov ? Est-ce que vous les avez vus de vos propres yeux ? Est-ce

 17   que vous savez ce que c'est qu'un fusil automatique Kalachnikov ? C'était

 18   le fusil le plus répandu dans cette région.

 19   M. Akhavan (interprétation). - Oui.

 20   M. Radovic (interprétation). - Est-ce que les Bosniens

 21   disposaient également de ces Kalachnikov ?

 22   M. Akhavan (interprétation). - Oui.

 23   M. Radovic (interprétation). - Est-ce que, dans la région de

 24   Vitez, vous avez pu voir, du côté croate, des chars, quel que soit le

 25   char ?


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  1   M. Akhavan (interprétation). - Non.

  2   M. Radovic (interprétation). - Je pourrais, bien évidemment,

  3   vous contre-interroger dans ce sens-là mais je pense que ce n'est plus

  4   indispensable.

  5   Vous avez dit, par la suite, qu'au moment où vous vous êtes

  6   rendu à Ahmici, vous avez vu, dans un certain nombre de maisons, des

  7   villageois. Est-ce que je vous ai bien compris ?

  8   M. Akhavan (interprétation). - C'est exact.

  9   M. Radovic (interprétation). - Comment vous avez pu constater

 10   qu'il s'agissait des villageois ? Comment vous les avez reconnus ?

 11   M. Akhavan (interprétation). - On nous a dit qu'il y avait un

 12   certain nombre de personnes déplacées qui provenaient d'autres régions et

 13   qui étaient venues à Ahmici, donc il se peut qu'ils n'aient pas été des

 14   personnes du village même, dans le sens strict du terme, mais ceux qui

 15   sont restés dans le village et les maisons qui n'ont pas été détruites

 16   étaient celles des villageois croates et je n'ai pas de moyen indépendant

 17   pour vérifier cela, ce sont des informations que le Bataillon britannique

 18   nous a données et je suppose que le Bataillon britannique étant dans cette

 19   région depuis six mois, avait une bonne connaissance du terrain.

 20   M. Radovic (interprétation). - D'accord. C'est une information

 21   qui vous a été transmise par les représentants du Bataillon britannique

 22   sans que vous contactiez vous-même les villageois et sans que vous

 23   puissiez véritablement vous rendre compte vous-même qu'il s'agissait des

 24   villageois. Je vous ai bien compris je pense ?

 25   M. Akhavan (interprétation). - C'est exact. Comme je l'ai déjà


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  1   dit, la population villageoise n'était pas enthousiaste pour nous parler

  2   et pour nous raconter.

  3   M. Radovic (interprétation). - Eh bien, vous avez parlé de

  4   quelque chose que vous avez vécu vous-même au moment où vous vous êtes

  5   rendu à Ahmici, quand vous savez parlé avec cette femme âgée croate avec

  6   quelques enfants, et là vous avez dit qu'on a tiré sur vous. Est-ce que

  7   vous pouvez me dire que, outre les tirs, bien évidemment, qui vous ont

  8   menacé, est

  9   ce que cette femme également âgée a été menacée et les enfants qui étaient

 10   avec elle ?

 11   M. Akhavan (interprétation). - En fait, non. Il était très clair

 12   que les tireurs embusqués ne cherchaient pas à toucher la femme et les

 13   enfants et la seule chose qui nous a sauvés, c'est que la femme se

 14   trouvait entre nous et les tireurs embusqués, et les premières balles

 15   venaient d'au-dessus de notre tête pour nous faire sortir, et à ce moment-

 16   là, le tir des tireurs embusqués a été beaucoup plus précis et il était

 17   clair qu'à partir du moment où nous étions à ciel ouvert, ils essayaient

 18   de nous tuer.

 19   M. Radovic (interprétation). - Est-ce que les cartouches et les

 20   coups de tirs également ont fait peur à cette femme et qu'elle s'est

 21   déplacée pendant que vous étiez en conversation avec elle ?

 22   M. Akhavan (interprétation). - Je suis certain qu'elle avait

 23   très peur des balles. D'ailleurs, elle s'est éloignée immédiatement à ce

 24   moment-là. Mais on n'a pas essayé de la toucher elle, ça c'était clair.

 25   M. Radovic (interprétation). - Mais voyons, comment savez-vous


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  1   qu'une balle qui passe à côté de vos têtes ne pouvait pas la toucher,

  2   elle, à la place de vous toucher vous ? Comment vous le concluez ? Comment

  3   vous êtes aussi sûr et comment vous pouvez l'affirmer de manière aussi

  4   certaine ?

  5   M. Akhavan (interprétation). - C'est du bon sens. La possibilité

  6   qu'avait le tireur embusqué de toucher la femme était évidente puisqu'elle

  7   se trouvait devant nous, alors que nous toucher était difficile, donc il

  8   était très facile de voir d'ailleurs qu'on tirait derrière elle. A partir

  9   du moment où nous étions dehors, nous avons vu que les balles venaient

 10   d'une certaine distance au-dessus de nos têtes et que c'était bien nous

 11   que l'on visait, et qu'il était clair, d'après nos observations, qu'on ne

 12   cherchait pas à tuer la dame.

 13   M. Radovic (interprétation). - Pouvez-vous nous dire comment

 14   vous concluez que cette balle devait passer au-dessus de vos têtes et pas

 15   directement ? Quel est le signe objectif

 16   que vous pouvez nous citer, sur lequel vous reposez votre conclusion ?

 17   Comment savez-vous que ce tireur embusqué n'avait pas tiré dans votre

 18   direction, directement pour vous toucher, mais au-dessus, donc il vous a

 19   raté, en quelque sorte ? Est-ce que vous permettez également cette

 20   possibilité qu'on vous rate ? A partir du moment où on tire, on peut vous

 21   rater également ?

 22   M. Akhavan (interprétation). - Il est possible... moi j'utilise

 23   le critère objectif de la vue et du son. La dame âgée avec les deux

 24   enfants se trouvait devant nous, or, le tir venait de derrière elle, donc

 25   en fait, elle devait bloquer la visision du tireur embusqué, il était


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  1   possible d'entendre, mais également de voir vaguement d'où venait le tir,

  2   et à ce moment-là, à ce point, c'était à une certaine distance au-dessus

  3   de notre tête, mais à partir du moment où nous étions au-dehors en train

  4   de fuir, à ce moment-là, le tir s'est rapproché considérablement et à

  5   notre avis, le tireur, s'il avait voulu tuer la dame âgée, cela aurait été

  6   très facile puisqu'elle était immobile ; à partir du moment où on court,

  7   c'est beaucoup plus difficile d'atteindre quelqu'un, ça, c'est clair.

  8   M. Radovic (interprétation). - Pouvez-vous me dire si la Croate

  9   qui était devant vous, qui, d'après vous, était en quelque sorte un

 10   bouclier, pour ce qui vous concerne tout au moins, pourquoi à ce moment-là

 11   les Croates auraient-ils des raisons de tirer alors qu'ils auraient pû

 12   également toucher la Croate ?

 13   M. Akhavan (interprétation). - Notre impression, c'est qu'ils

 14   n'avaient pas envie que nous soyons dans le village, et surtout, ils ne

 15   voulaient pas que nous parlions à qui que ce soit. Lorsque nous avons

 16   contacté cette dame, nous avons commencé à parler, nous lui avons demandé

 17   si elle pouvait nous dire quelque chose sur ce qui s'était passé le 16, et

 18   elle était très craintive, elle avait très peur de nous parler et elle

 19   nous a dit qu'elle ne savait rien, qu'elle n'avait rien vu et c'est tout

 20   de suite après que nous ayons commencé à parler avec elle que les tirs du

 21   tireur embusqué ont commencé. Alors il est fort probable qu'il s'agissait-

 22   là d'une tentative pour nous empêcher d'obtenir des informations

 23   complémentaires des habitants locaux

 24   parcequ'on craignait que quelqu'un parle.

 25   M. Radovic (interprétation). - Enfin, si vous me permettez, je


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  1   voudrais vous demander la chose suivante : je pense que vous avez dit

  2   quelque chose ou vous avez écrit que vous avez eu des informations sur les

  3   personnes qui ont été identifiées, qui avaient participé à l'attaque ; il

  4   y avait 18 personnes, à peu près. Est-ce que j'ai bien compris ? Il y

  5   avait une liste de 18 personnes qui avaient une identification, des

  6   personnes qui ont participé à l'attaque d'Ahmici ? Vous avez parlé de

  7   18 personnes ?

  8   M. Akhavan (interprétation). - C'est exact, ce sont des

  9   informations qui ont été données à mon collègue (expurgée).

 10   M. Radovic (interprétation). - Qui lui a donné cette

 11   information ?

 12   M. Akhavan (interprétation). - Les survivants à Zenica.

 13   M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous êtes au courant ?

 14   Quelle était la date, à peu près ? Tout au moins le mois, si vous ne

 15   pouvez pas me dire la date.

 16   M. Akhavan (interprétation). - Je peux vous indiquer la date, je

 17   crois que c'était le 5 mai, c'est-à-dire le jour où je suis resté à Vitez,

 18   et mon collègue est allé à Zenica.

 19   M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous connaissez les

 20   noms qui vous ont été transmis ? Est-ce que, parmi ces noms, existent un

 21   certain nombre de noms également qui vous ont été donnés par Sakib Ahmic ?

 22   M. Akhavan (interprétation). - Je ne sais pas quels étaient les

 23   noms qu'il y avait sur cette liste, d'ailleurs pour nous, ce n'était pas

 24   particulièrement intéressant d'avoir le nom de certains de ces auteurs,

 25   nous ne faisions pas une enquête pénale, nous étions en train de préparer


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  1   un rapport qui prenait en compte la responsabilité de toutes les parties

  2   au conflit en ce qui concerne les violations des droits humanitaires.

  3   Le fait que ces survivants étaient prêts à nous donner des

  4   informations, également le nom de ces personnes, nous a permis de

  5   confirmer la véracité des récits, et que des membres

  6   des forces HVO avaient participé à l'attaque sur Ahmici. Mais en ce qui

  7   concerne les 18 noms, à ce moment-là, il n'étaient pas particulièrement

  8   interessants pour nous, ils ont été remis à la commission d'experts qui a

  9   été établie par le Conseil de Sécurité et qui, à l'époque, avait été

 10   chargée de recueillir des informations spécifiquement interessant les

 11   violations des droits humanitaires, et également les poursuites possibles

 12   dans le cas où un Tribunal serait établi et je ne sais pas si un des

 13   accusés devant nous aujourd’hui se trouvait dans la liste des dix-huit

 14   noms, je ne serais pas surpris qu’il y ait figuré.

 15   M. Radovic (interprétation). - Seriez-vous étonné que je vous

 16   dise que ce n’était pas un hasard ?

 17   M. Akhavan (interprétation). - Non, parce qu’en fait nous

 18   n’avons pas interviewé systématiquement chaque personne. Il y avait 50 à

 19   60 survivants à partir d’une population beaucoup plus importante d’Ahmici.

 20   Donc les noms auraient été très aléatoires. Tout aurait dépendu de la

 21   personne que nous aurions interrogée un jour donné.

 22   M. Radovic (interprétation). - Enfin, au moment où au point 17

 23   vous décrivez la conversation de votre collègue, (expurgée), avec

 24   Sakib Ahmic, est-ce que vous avez rédigé votre texte sur la base de la

 25   conversation et des notes de (expurgée), cela étant alors transmis


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  1   dans votre rapport de manière très véridique bien évidemment ?

  2   M. Akhavan (interprétation). - Oui, certainement. Cela a été

  3   repris très précisément dans notre rapport, en se fondant sur les notes de

  4   (expurgée) et sur les visites que nous avons faites le 6 mai à Ahmici.

  5   M. Radovic (interprétation). - Ce qui m’intéresse c’est tout

  6   simplement de savoir si vous vous êtes donc fondé sur les notes de

  7   (expurgée). Mais que, par la suite, vous ayez rédigé votre point 17,

  8   ce n’est pas cela qui m’intéresse.

  9   M. le Président. - Excusez-moi, Maître Radovic, mais cette

 10   question a déjà été posée précédemment, et nous avions décidé que les

 11   conseils ne devaient pas répéter les mêmes

 12   questions.  

 13   M. Radovic (interprétation). - Merci, j’en tiens compte. J’ai

 14   terminé. Je voulais tout simplement préciser ce point-là, étant donné

 15   qu’on a parlé de la conversation avec Sakib Ahmic ; je voulais savoir si

 16   cela était véridique ou non, et si cela avait été bien mis dans le compte-

 17   rendu ou non.

 18   M. le Président. - Maître Susak, avez-vous beaucoup de questions

 19   à poser ?

 20   M. Susak (interprétation). - Monsieur le Président, je vais être

 21   très bref étant donné que mon confrère et ma collègue ont posé beaucoup de

 22   questions. Je vais tout simplement poser deux questions, pas plus. Je

 23   m’appelle Lukas Susak et je défends l’accusé Drago Josipovic.

 24   Vous avez dit, Monsieur le témoin, dans votre compte rendu,

 25   qu’il y avait, outre les corps qui ont été identifiés, à peu près une


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  1   centaine de personnes qui sont probablement restées sous les débris. Vous

  2   avez dit également, par la suite, qu’il était fort risqué de les sortir

  3   étant donné que les murs qui sont restés en place, Monsieur le témoin,

  4   dans votre compte rendu, qu’il y avait, outre les corps qui ont été

  5   identifiés, à peu près une centaine de personnes qui sont probablement

  6   restées sous les débris. Vous avez dit également, par la suite, qu’il

  7   était fort risqué de les sortir étant donné que les murs qui sont restés

  8   en place n’étaient pas stables et que c’était donc dangereux.

  9   M. Akhavan (interprétation). - C’est exact.

 10   M. Susak (interprétation). - Aujourd’hui vous avez dit que vous

 11   n’avez pas sorti les corps étant donné que cette région a été minée autour

 12   des bâtiments. Vous l’avez dit aujourd’hui même. Auriez-vous l’amabilité

 13   de nous dire d’où vient cette différence entre le compte rendu et ce que

 14   vous avez dit aujourd’hui même ? On parle de 101 corps.

 15   M. Akhavan (interprétation). - Oui. Il se pourrait que le

 16   terrain ait été miné. Je n’ai pas dit qu’il l’était, mais il y a beaucoup

 17   de chance pour que cela ait été le cas. Il y avait des

 18   mines, des explosifs et cela était dangereux.

 19   D’autre part, cela aurait demandé énormément de ressources

 20   matérielles pour soulever toutes ces décombres, pour chercher des

 21   cadavres. Etant donné que le Bataillon britannique n’était déjà pas

 22   suffisant compte tenu qu’il devait contrôler toute une région très

 23   importante ; le nombre de personnes n’était pas assez important. Et puis,

 24   les risques d’effondrement de ces décombres était un risque de plus,

 25   compte tenu du fait que nous n’avions pas suffisamment de ressources pour


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  1   empêcher ce genre de chose.

  2   M. Susak (interprétation). - D’accord. Je voulais tout

  3   simplement vous faire comprendre qu’il y a une différence entre ce que

  4   vous avez écrit dans le compte rendu et ce que vous avez dit aujourd’hui.

  5   Par ailleurs, je voudrais également vous demander la chose suivante. Vous

  6   avez dit que vous avez rédigé les comptes rendus et que les conclusions

  7   l’ont été par M. Mazowiecki, donc le représentant auprès des Nations-Unies

  8   chargé des droits de l’homme.

  9   M. Akhavan (interprétation). - Pas seulement les conclusions.

 10   Dans les conclusions, mais aussi dans l’introduction et d’autres parties

 11   du rapport portant tout spécialement sur la ville de Mostar.

 12   M. Susak (interprétation). - Ce qui m’intéresse c’est la région

 13   de Vitez. Y avait-il également un certain nombre d’amendements ? Auriez-

 14   vous modifié le compte rendu avant qu’il soit arrivé jusqu'à

 15   M. Mazowiecki ?

 16   M. Akhavan (interprétation). - Pour les parties qui portent sur

 17   Ahmici/Vitez, non.

 18   M. Susak (interprétation). - Dans votre déclaration, vous avez

 19   dit que vous avez modifié, vous avez complété, un certain nombre de points

 20   dans votre compte rendu. C’est ce que vous avez dit ?

 21   M. Akhavan (interprétation). – Les ajouts, les corrections que

 22   j’ai mentionnés, c’était simplement pour la rédaction que cela s’est fait.

 23   Le Bureau à Genève reprenait des textes, des documents que nous leur

 24   avions remis et modifiait la formulation, l’ordonnancement des

 25   paragraphes ; c’est un travail de mise en page de manière à en faire un


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  1   document qui soit présentable à la Commission des droits de l’homme.

  2   En ce qui concerne une correction ou des ajouts concernant les

  3   faits, non. A mon avis, cela n’a pas été le cas ici.

  4   M. Susak (interprétation). – En d’autres termes, vous avez dit

  5   qu’après un certain nombre d’amendements, de modifications, etc., que le

  6   rapport a été adopté. Vous avez parlé des faits et vous nous ferez part

  7   simplement de la mise en page et du point de vue linguistique, les

  8   corrections.

  9   M. Akhavan (interprétation). – Mais les faits ne concernaient

 10   pas Ahmici et Vitez. Comme je l’ai dit, les parties qui portaient, par

 11   exemple, sur Mostar, n’ont pas été rédigées en se fondant sur des

 12   informations que nous aurions fournies à Genève. Les informations

 13   concernant la situation en matière des droits de l’homme dans d’autres

 14   parties de la Bosnie-Herzégovine.

 15   Ce qui veut dire que ces parties ont été incluses par le Bureau

 16   de Genève. Mais en ce qui concerne les parties qui intéressent Ahmici ou

 17   Vitez, là, ces informations venaient des représentants sur le terrain ;

 18   Genève ne disposait pas d’informations complémentaires ou autres que ce

 19   que nous avions fourni aux fins de la rédaction du rapport.

 20   M. Susak (interprétation). – Vous avez dit aujourd’hui également

 21   qu’il y avait d’autres comptes rendus que vous aviez présentés et que ces

 22   comptes rendus concernaient l’ex-espace de la Yougoslavie. Il y en avait

 23   dix au total, si j’ai bien retenu le nombre ?

 24   M. Akhavan (interprétation). – Environ. Je ne suis pas certain

 25   du nombre exact, mais c’est une bonne évaluation.


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  1   M. Susak (interprétation). – Est-ce qu’il y avait également un

  2   certain nombre d’amendements et de modifications de ces comptes rendus que

  3   vous avez faits, comme c’était le cas de ce compte rendu, ou bien s’il n’y

  4   en avait pas ; parce que vous avez parlé qu’il n’y en

  5   avait pas également ?

  6   M. Akhavan (interprétation). – Je ne me souviens que d’un seul

  7   amendement qui a été apporté à tous ces rapports, qui portait sur la

  8   destruction d’une mosquée à Prijepolje en Serbie-Monténégro. Là, un

  9   rapport a été fait sur cette destruction à Prijepolje. Il contenait une

 10   information erronée disant que, là, il n’y avait pas eu destruction

 11   complète mais endommagement. A part cet amendement précis, je ne me

 12   souviens pas que d’autres aient été apportés. Ceci intéresse une vingtaine

 13   de rapports qui couvrent plusieurs années.

 14   M. Susak (interprétation). – Encore une question. Vous avez dit

 15   que vous êtes arrivé dans la région de Vitez pour vérifier jusqu’à quel

 16   point on respectait les droits de l’homme, n’est-ce pas ?

 17   M. Akhavan (interprétation). – Exact.

 18   M. Susak (interprétation). – Auriez-vous l’amabilité de nous

 19   dire quelle était votre tâche, quelles étaient les violations des droits

 20   de l’homme que vous deviez vérifier, contrôler ?

 21   M. Akhavan (interprétation). – Dans le cadre de ce type de

 22   violences, les violations constatées ne seraient pas liberté d’expression

 23   ou d’assemblée, mais le droit à la vie, les cas de tortures, de viols, de

 24   harcèlements sexuels ; de manière générale, des violations qui

 25   entraînaient des blessures ou même la mort, ou des blessures graves. En


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  1   plus de la destruction sans discrimination des propriétés, des biens, qui

  2   est une indication d’actes de persécution discriminatoires.

  3   M. Susak (interprétation). – Est-ce que vous êtes arrivé avec un

  4   plan qui a été bien établi pour voir quels étaient les droits uniquement

  5   des Bosniens et non pas des Croates, dans cette région ?

  6   M. Akhavan (interprétation). – Non, non, non. Ce n’était pas le

  7   cas. Nous n’avions qu’une intention, c’était de regarder les violations

  8   commises dans la vallée de la Lasva : c’est là qu’il y avait eu beaucoup

  9   de violences. A aucun moment, dans cette enquête ou dans le cadre d’une

 10   autre enquête, nous n’avions de préférences ethniques ou religieuses, en

 11   ce qui concerne nos enquêtes.

 12   M. Susak (interprétation). – Eh bien, est-ce que vous savez que

 13   les Serbes du village de Tolovici avaient quitté ce village ? Savez-vous

 14   qui habite ce village actuellement ?

 15   M. Akhavan (interprétation). – Aucune idée. Je ne sais pas où se

 16   trouve ce village. Est-ce qu'on le sait ?

 17   M. Susak (interprétation). – Non, mais il y avait également là

 18   les droits de l’homme qui ont été violés, mais, cette fois-ci, de la part

 19   des Bosniens. Encore une autre question que je voulais vous poser : est-ce

 20   que vous savez que les contrôles de M. Mazowiecki étaient différents de

 21   ceux qui ont été dressés par la Forpronu ? Est-ce que vous pourriez me

 22   donner des exemples ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Dans d'autres régions de l'ex-

 24   Yougoslavie. Ce que j'ai su, c'est par la presse.

 25   M. Susak (interprétation). - Parce que je sais que vous avez


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  1   travaillé par conséquent au centre et vous auriez dû être au courant

  2   également. Est-ce que vous êtes au courant ou non, car il y a un certain

  3   nombre de comptes rendus qui n'ont pas coïncidé l'un avec l'autre ?

  4   M. Mazowiecki, par exemple, a rendu un certain nombre de comptes rendus

  5   qui ne coïncidaient pas avec ceux qui ont été dressés, comme je l'ai dit,

  6   avec la Forpronu. Vous me répondez par oui ou non.

  7   M. Akhavan (interprétation). - Ce que je peux dire, c'est que le

  8   mandat de la Forpronu n'était pas de voir ce qu'il en était des droits de

  9   l'homme. Il s'agissait de maintenir la paix et lorsqu'il n'y avait pas de

 10   paix à maintenir, de faciliter l'aide humanitaire. Alors, il est possible

 11   que la Forpronu ait fourni des rapports un peu différents du fait qu'ils

 12   ont recueilli ces informations de manière tout à fait incidente et

 13   accessoire par rapport à leur mandat en ce qui concerne ces violations.

 14   Alors que nous, nous nous fondions sur les informations données par

 15   les soldats de la Forpronu, de ce qu'ils avaient vu et parce que c'étaient

 16   eux qui connaissaient le mieux le terrain. Mais je serais très intéressé

 17   de savoir si, en plus de ce que dit la presse -et la presse dit beaucoup

 18   de choses sans étayer ce qu'elle dit-, je serais très intéressé de savoir

 19   s'il y a eu des contradictions fondamentales sur des questions graves

 20   entre le rapport de Mazowiecki et les rapports de la Forpronu. Dans la

 21   mesure où il y aurait eu des contradictions, je ne crois pas que ce soit

 22   le mot "contradiction" qu'il convienne d'utiliser parce qu'en fait, la

 23   Forpronu s'intéressait beaucoup moins à révéler des atrocités que ne

 24   l'était le ministre Mazowiecki pour des raisons très complexes qu'il ne

 25   convient pas d'exposer ici.


Page 1301

  1   M. le Président (interprétation). - Est-ce que vous en avez

  2   terminé, Maître, avec vos questions ? Vous aviez dit que vous poseriez

  3   deux questions.

  4   M. Susak (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, 

  5   j'allais dire que j'avais terminé.

  6   M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Je ne sais

  7   pas si le procureur va interroger à nouveau le témoin mais je vous propose

  8   d'interrompre maintenant pour une demi-heure.

  9   L'audience, suspendue à 12 heures 15, est reprise à

 10   12 heures 45.

 11   M. le Président. - Monsieur Terrier ? 

 12   M. Terrier. - Monsieur le Président, quelques questions

 13   seulement après ce long contre-interrogatoire.

 14   Monsieur Akhavan, tout à l'heure, M. Radovic a dit que vous

 15   étiez de nationalité canadienne. Avez-vous noté quelque part cette

 16   information ? Est-ce que cette information figure dans un rapport écrit,

 17   dans le rapport de la Commission des droits de l’homme ? Où l'avez-vous

 18   donnée au cours de vos différentes dépositions ?

 19   M. Akhavan (interprétation). - Non, je ne l'ai pas fait. Non, je

 20   ne l'ai pas fait.

 21   M. Terrier. - Est-ce que le fait que vous soyez de nationalité

 22   canadienne peut être un obstacle à votre objectivité ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - J’aurais du mal à le penser.

 24   M. Terrier. – Monsieur Akhavan, je souhaiterais que vous vous

 25   leviez et que vous vous approchiez de la photographie aérienne d’Ahmici.


Page 1302

  1   Pouvez-vous montrer au Tribunal où vous vous trouviez lorsque des coups de

  2   feu ont été tirés dans votre direction ?

  3   M. Akhavan (interprétation). - D'après mon souvenir, nous avions

  4   garé le blindé transport de troupes "Simtar" près de la mosquée dont le

  5   minaret était détruit, donc à peu près ici. Nous avions marché le long de

  6   cette route et avons vu la femme âgée et les deux enfants qui marchaient

  7   sur un sentier ; dans cette zone, je crois. Nous aurions pu l'approcher en

  8   traversant ce pré. Les coups de feu du tireur embusqué venaient

  9   probablement de cette région-ci, qui était légèrement boisée. Les membres

 10   du Bataillon britannique ont estimé que c'était sans doute le lieu le plus

 11   vraisemblable pour l'origine des coups de feu. Nous avons marché le long

 12   de cette route et les coups de feu provenant des tireurs isolés ont

 13   continué dans ce sens. Sur la base de certaines des balles qui ont frappé

 14   des murs, je peux dire, sans crainte de me tromper, que ces coups de feu

 15   provenaient de cette zone ici.

 16   M. Terrier. - Quelqu'un a-t-il été touché ou blessé par ces

 17   coups de feu ?

 18   M. Akhavan (interprétation). - Oui. L'un des membres du

 19   Bataillon britannique qui nous accompagnait a été touché par une balle. Il

 20   a eu une chance exceptionnelle parce que la balle a traversé son gilet

 21   pare-balles, c'est-à-dire qu'elle est entrée d'un côté et est sortie de

 22   l'autre, mais il a subi une éraflure assez grave. Cependant, la balle n'a

 23   pas pénétré son corps. L'image a été prise par une caméra de télévision

 24   lorsqu’il a retiré son gilet pare-balles. Il a eu une chance absolument

 25   exceptionnelle de ne pas subir une blessure plus grave.


Page 1303

  1   Mais nous nous sommes rendus compte que nous étions délibérément

  2   visés, car

  3   ceci ne pouvait en aucun cas être le fruit d'une action aléatoire. Et ceci

  4   est arrivé après notre arrivée auprès du blindé transport de troupes et, à

  5   partir de ce moment, bien sûr, plus personne ne pouvait nous atteindre.

  6   M. Terrier. - Merci, Monsieur Akhavan. J'ai encore quelques

  7   questions.

  8   Lorsque vous avez rencontré les responsables militaires et les

  9   responsables politiques des Croates de Bosnie, au cours de votre séjour à

 10   Vitez, est-ce que l'un où l'autre a reconnu ou a admis que des forces HVO

 11   étaient entrées dans le village d’Ahmici et s’y étaient battu ?

 12   M. Akhavan (interprétation). - Aucun des représentants des

 13   autorités auxquelles nous avons parlé n'a admis que le HVO était

 14   responsable des atrocités commises dans le village.

 15   J'ai posé des questions précises à Dario Kordic et à Théophile

 16   Blaskic, à qui j'ai d'abord demandé si la région de la vallée de la Lasva

 17   était fermement placée sous le contrôle des forces du HVO. Leur réponse a

 18   été affirmative. Après cela, je leur ai demandé si les forces du HVO

 19   avaient été responsables de l'attaque contre Ahmici et ils m'ont fourni

 20   une réponse négative.

 21   Ensuite, je leur ai demandé de me dire si le HVO n'était pas

 22   responsable de me fournir une explication quant à la responsabilité de tel

 23   ou tel force ou individu. Et Dario Kordic a essayé de laisser entendre que

 24   cela pouvait être une action des Serbes de Bosnie qui auraient franchi des

 25   dizaines de kilomètres pour commettre cette atrocité, ou encore que les


Page 1304

  1   Musulmans avaient commis ces atrocités eux-mêmes pour s'attirer des

  2   sympathies de la part de la communauté internationale. Mais aucun d'eux

  3   n'a jamais laissé entendre que c'était le HVO qui était impliqué.

  4   M. Terrier. - Est-ce que l'un d'eux a fait valoir qu'un enjeu

  5   militaire stratégique ou tactique pouvait s'attacher à Ahmici, et, en

  6   particulier, quant à sa localisation entre Busovaca et

  7   Vitez ? Est-ce qu'ils ont dit qu’Ahmici était stratégique ?

  8   M. Akhavan (interprétation). - Je crois que la route qui passe

  9   au voisinage d’Ahmici avait une importance stratégique. C'était un fait

 10   manifeste qu'il était facile d'admettre. J'ai posé précisément la question

 11   au colonel Blaskic à qui j'ai demandé s'il y avait une présence militaire

 12   significative ou une menace militaire significative à Ahmici qui

 13   justifiait cette attaque; et il a fourni une réponse négative. Il m'a

 14   laissé entendre que, de quelque façon que ce soit, la présence de l'armée

 15   de Bosnie-Herzégovine dans le village était importante ou significative.

 16   M. Terrier. - Tout à l'heure, Me Glumac a parlé de 5 morts

 17   croates à Ahmici et de 9 blessés. Est-ce que cette information était déjà

 18   venue à vos oreilles ?

 19   M. Akhavan (interprétation). - Je n'avais jamais entendu parler

 20   de cette information avant.

 21   M. Terrier. - Lorsque vous vous êtes rendu à Zenica, est-ce que

 22   vous vous souvenez avoir rencontré Sakib Ahmic ?

 23   M. Akhavan (interprétation). - Non, je n'ai pas rencontré

 24   personnellement Sakib Ahmic.

 25   M. Terrier. - Avez-vous rencontré d'autres réfugiés d'Ahmici ?


Page 1305

  1   M. Akhavan (interprétation). - Oui.

  2   M. Terrier. - Pouvez-vous dire au Tribunal dans quel état

  3   psychologique et quelquefois physique se trouvaient ces personnes

  4   réfugiées d'Ahmici ?

  5   M. Akhavan (interprétation). - Eh bien, la plupart d'entre eux

  6   étaient manifestement sous l'effet du choc compte tenu des événements

  7   auxquels ils avaient assisté. La plupart avaient vu des personnes de leur

  8   connaissance et même souvent des membres de leur famille se faire tuer de

  9   sang-froid sous leurs yeux. Ils avaient vu leurs maisons incendiées,

 10   détruites; donc, dans l'ensemble, ces personnes avaient tendance a être

 11   très silencieuses et à ne parler des événements que d'une façon

 12   relativement détachée, ce en quoi j'ai cru percevoir une

 13   tentative de se distancier des événements qui étaient trop écrasants pour

 14   eux.

 15   La même remarque s'applique à certaines des personnes âgées

 16   auxquelles nous avons parlé et également aux enfants en bas âge auxquels

 17   nous avons parlé. Nous avons parlé à une fillette qui avait sans doute

 18   entre 9 et 12 ans.

 19   Donc, dans l'ensemble, je pense que ces personnes étaient dans

 20   un état de choc. C'est la seule façon dont je peux décrire la situation.

 21   Quant à leur aspect physique, les personnes blessées, tel

 22   Sakib Ahmic, ne se trouvaient pas au centre de réfugiés mais à l'hôpital

 23   où elles subissaient un traitement, mais les personnes que nous avons

 24   rencontrées, bien sûr, portaient en général les mêmes vêtements que les

 25   vêtements qu'elles portaient au moment de leur fuite et n'avaient sur


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  1   elles que très peu d'objets personnels, si elles en avaient.

  2   M. Terrier. - Est-ce que vous avez des informations sur ce

  3   qu'était ce centre d'investigation sur les crimes de guerre et les

  4   génocides qui se trouvait à Zenica ?

  5   M. Akhavan (interprétation). - J'ai relativement peu

  6   d'informations à ce sujet ; certains de mes collègues avaient des contacts

  7   plus fréquents avec ce centre que moi-même. Ce que je me rappelle, c'est

  8   que ce centre était lié peu ou prou au gouvernement bosniaque. Je ne suis

  9   pas sûr qu'il se soit agi précisément d'une institution dépendant du

 10   gouvernement ou s'il s'agissait d'une institution financée par le

 11   gouvernement bosniaque. Mais, en général, nous nous adressions à cet

 12   organisme lorsque nous cherchions à localiser un témoin. Mais en tout état

 13   de cause, nous les contactions avec précaution.

 14   M. Terrier. - Savez-vous si ce centre d'investigation sur les

 15   crimes de guerre et génocides employaient des personnes particulièrement

 16   compétentes en matière d'investigation comme, par exemple, des officiers

 17   de police ?

 18   M. Akhavan (interprétation). - Je ne suis pas en mesure de

 19   donner mon avis sur ce point. Ce que je sais, c'est qu'à cette époque,

 20   compte tenu de la pénurie de ressources, compte tenu de la menace

 21   militaire écrasante à laquelle les Musulmans de Bosnie faisaient face,

 22   tous les hommes en âge de porter les armes étaient recrutés au sein des

 23   forces armées.

 24   Je me rappelle le directeur ou, en tout cas, le représentant du

 25   centre que nous avons rencontré à Zenica, qui était un homme âgé, sans


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  1   doute, de la quarantaine, mais je ne me souviens pas et je ne connais pas

  2   les autres membres du personnel. Donc je ne peux parler de leur

  3   qualification ou de leur compétence.

  4   M. Terrier. - S'agissant de votre méthode à vous et à votre

  5   collègue(expurgée), et s'agissant aussi de vos objectifs, pouviez-vous

  6   imaginer qu'un jour, votre rapport pour la Commission des droits de

  7   l'homme serait soumis à un Tribunal pénal international ?

  8   M. Akhavan (interprétation). - Absolument pas.

  9   M. Terrier. - Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le

 10   Président.

 11   M. le Président (interprétation). - Merci, Monsieur Terrier.

 12   J'ai une question à poser au témoin. Monsieur Akhavan, le

 13   Procureur a allégué que les forces du HVO ont attaqué, le 16 avril 1993,

 14   Vitez ainsi que les villages voisins d'Ahmici et de Donja Veceriska,

 15   Sivrino Celo, Santici, Nadioci, Stari Bila; Gacice, Bilici et Preocica.

 16   Excusez-moi pour ma prononciation...

 17   Tous ces villages sont des villages situés à proximité de Vitez

 18   et je me demandais si, pendant l'élaboration du rapport destiné à la

 19   commission Mazowiecki, vous aviez eu la possibilité d'étudier cette

 20   attaque par les forces du HVO visant les villages autres qu'Ahmici.

 21   M. Akhavan (interprétation). – Malheureusement, nous n'en avons

 22   pas eu la possibilité. A cette époque, l'opération sur le terrain de

 23   M. Mazowiecki était entre les mains de moi-même et de (expurgée). Nous

 24   n'étions que deux personnes sur le terrain donc en général, nous nous

 25   fondions sur des informations fournies par des tiers et nous réservions


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  1   nos investigations sur le terrain pour les atrocités particulièrement

  2   graves.

  3   Dans le cas qui nous intéresse, notre mission dans la région a

  4   duré environ une

  5   semaine, semaine au cours de laquelle nous n'avons réussi qu’à rencontrer

  6   certains habitants de la région et certaines autorités. Dans notre

  7   rapport, nous avons simplement noté que des attaques avaient visé d'autres

  8   zones, c'est ce qui figure au paragraphe 9 du rapport, où nous indiquons

  9   qu'il y avait eu également des attaques simultanées dues également,

 10   semble-t-il, aux forces du HVO visant les villages avoisinants, et que la

 11   plupart de ces villages semblaient avoir été défendus dans le cadre de

 12   combats.

 13   Ahmici, je le répète, a été singularisé car c’est un village

 14   dans lequel, apparemment, il n'y a pas eu de résistance et c’est le

 15   village également où les victimes civiles ont été les plus nombreuses.

 16   M. le Président (interprétation). - Je vous remercie, je n'ai

 17   pas d'autres questions. Je suppose qu'il n'y a pas d'objection à ce que le

 18   témoin soit libéré. Je vous remercie, Monsieur Akhavan, vous pouvez

 19   maintenant vous retirer.

 20   (Le témoin est reconduit hors du prétoire)

 21   M. le Président. - Monsieur Terrier, sur la base du document qui

 22   nous a été remis pendant le week-end, j'ai reçu ce document ce matin, je

 23   suppose que votre témoin suivant, le témoin n° 4, ne se présentera pas,

 24   n'est-ce pas ? Donc nous passons au témoin n° 5 ?

 25   M. Terrier. - Le témoin n° 4 de la liste en date du


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  1   28 août 1998, Monsieur le Président, témoin qui est protégé notamment par

  2   un pseudonyme sous le nom de « Témoin F », est présent et prêt à déposer.

  3   Témoin F.

  4   M. le Président. - Bon. J'avais posé cette question parce que,

  5   si j'ai bien compris, il n'est pas inclus dans la liste des témoins qui

  6   sont dans le document qui a été déposé le 28 août.

  7   En tout cas, ce qui compte, c'est que vous confirmez que le n° 4

  8   est prêt à déposer.

  9   M. Terrier. - Il est prêt à déposer, il est là.

 10   M. le Président. - Parfait. Je vais profiter du fait que le

 11   témoin n'est pas encore là pour poser une question. Pour ce témoin, on a

 12   bien seulement la déclaration du 26 janvier 1995, comme il n'est pas dans

 13   la liste des témoins pour lesquels on a indiqué les dates des différentes

 14   déclarations.

 15   (Le témoin est introduit dans la salle d'audience).

 16   Bonjour Monsieur. Puis-je vous demander de prononcer la

 17   déclaration solennelle, je vous prie ?

 18   Témoin F (interprétation). - Je déclare solennellement que je

 19   dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 20   M. le Président. - Merci, vous pouvez vous rasseoir.

 21   Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation n° 100.

 22   M. le Président. - Pour le compte rendu d'audience, je crains

 23   qu'une erreur se soit glissée dans le compte rendu. Nous n'avons pas dit

 24   que nous déclarions les diverses dates auxquelles certains témoins ont été

 25   interrogés, ce que j’ai dit, c’est que nous avons reçu, et que nous sommes


Page 1310

  1   reconnaissants de l'avoir reçu, un document de l'accusation déposé le

  2   28 août et

  3   qui indiquait la liste des témoins qui seraient entendus cette semaine

  4   ainsi que la date des déclarations préalables de ces témoins et puisque ce

  5   témoin n'est pas inclus sur la liste, je demandais simplement au Procureur

  6   si, s'agissant de la déclaration préalable de ce témoin, cette déclaration

  7   que nous avions entre nos mains était celle qu'il avait faite le

  8   25 janvier 1995. C'est tout ce que j'ai dit.

  9   M. Terrier - Monsieur le Président, j'apportais simplement une

 10   précision. S'agissant des déclaration antérieures du témoin, dans la

 11   motion que nous avons adressée au Tribunal conformément à votre ordre du

 12   20 mai 1998, il est mentionné qu'effectivement ce témoin a fait deux

 13   déclarations : l'une au Tribunal International, au Bureau du Procureur, le

 14   26 janvier 95 et l'autre, une première, le 13 mai 1993 à ce centre

 15   d'investigation sur les crimes de guerre et génocides.

 16   M. le Président (interprétation). - Merci.

 17   M. Terrier - Puis-je commencer, Monsieur le Président ?

 18   M. le Président – Oui, s'il vous plaît.

 19   M. Terrier - Monsieur le Témoin, vous bénéficiez de mesures de

 20   protection : votre nom ne sera pas révélé en dehors de cette salle, votre

 21   visage ne pourra pas être reconnu en dehors de cette salle. Je vais vous

 22   poser un certain nombre de questions, je vous demanderai d'y répondre sans

 23   donner aucun élément qui permette votre identification ou celle des

 24   membres de votre famille. A un moment de nos débats, je devrai vous

 25   montrer une photographie d'Ahmici pour que vous indiquiez où se trouvait


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  1   votre maison. Mais à ce moment-là, je demanderai au Président du Tribunal

  2   d'ordonner une session à huis clos de manière que cette information ne

  3   soit pas connue en dehors de la salle.

  4   Pouvez-vous dire au Tribunal quel était votre âge, quel âge vous

  5   aviez au début de 1993 ?

  6   Témoin F (interprétation). - J'avais à peu près 14 ans.

  7   Témoin F (interprétation). - Vous avez aujourd'hui votre taille

  8   adulte, pouvez-vous dire au Tribunal ce qu'était votre taille, à peu près,

  9   à cette époque, à 14 ans ?

 10   Témoin F (interprétation). - J'avais environ  1,40 mètre.

 11   M. Terrier - Pouvez-vous décrire au Tribunal la composition de

 12   votre famille, sans donner de prénoms, bien entendu ?

 13   Témoin F (interprétation). - Nous étions cinq dans la famille.

 14   Il y avait mon père, ma mère, ma soeur, mon frère et moi.

 15   M. Terrier - Quel était l'âge de votre frère ?

 16   Témoin F (interprétation). - Il avait 8 ans.

 17   M. Terrier - Et celui de votre sœur ?

 18   Témoin F (interprétation). - Quatre ans.

 19   M. Terrier - A cette époque-là, vous alliez à l'école ?

 20   Témoin F (interprétation). - Oui.

 21   Témoin F (interprétation). - Où alliez-vous à l'école ?

 22   Témoin F (interprétation). - J'allais à l'école élémentaire de

 23   Dubravica.

 24   M. Terrier - Aviez-vous des camarades croates ?

 25   Témoin F (interprétation). - Oui.


Page 1312

  1   M. Terrier - Et avant, je parle bien entendu de cette période

  2   d'avant avril 93, quelles relations aviez-vous avec ces camarades

  3   croates ?

  4   Témoin F (interprétation). - Des relations normales.

  5   M. Terrier - Est-ce qu'à un moment ou à un autre, vous avez

  6   souvenir que vous-même ou vos camarades croates avez évoqué la situation

  7   dans la région, la situation politique et militaire ?

  8   Témoin F (interprétation). - Oui. Quand on était dans l'autobus

  9   qui nous emmenait à l'école, ils nous disaient qu'Ahmici serait Vukovar.

 10   M. Terrier - Dans votre esprit, qu'est-ce que cela voulait dire

 11   qu'Ahmici serait Vukovar ?

 12   Témoin F (interprétation). - Que tout serait incendié, que tout

 13   le monde serait tué, quelque chose comme cela.

 14   M. Terrier - C'est comme cela que vous ressentiez ce que voulait

 15   dire cette réponse ?

 16   Témoin F (interprétation). - Oui.

 17   Témoin F (interprétation). - Venons-en maintenant aux jours qui

 18   ont précédé ou au jour qui a précédé le 16 avril 1993. Est-ce que, dans

 19   cette journée du 15 avril 1993 qui était un jeudi, vous avez noté des

 20   événements inhabituels ou inquiétants ?

 21   Témoin F (interprétation). - Oui.

 22   M. Terrier - Que voulez-vous dire ?

 23   Témoin F (interprétation). - Eh bien, d'habitude, nous jouions

 24   au football tous les soirs, mais ce soir-là, ce jeudi-là, nos amis croates

 25   ne sont pas venus jouer avec nous au football ; ce qui était un peu


Page 1313

  1   étonnant, je veux dire.

  2   M. Terrier – Pourquoi, à votre avis, ne sont-ils pas venus jouer

  3   au football ce soir-là ?

  4   Témoin F (interprétation). - Ils avaient sûrement une raison. Je

  5   ne sais pas laquelle.

  6   M. Terrier - Pouvez-vous indiquer au Tribunal dans quel quartier

  7   d'Ahmici, sans donner trop de précisions, mais dans quel quartier d'Ahmici

  8   vous habitiez ?

  9   Témoin F (interprétation). - Dans la partie basse d'Ahmici.

 10   M. Terrier - Dans la partie basse d'Ahmici.

 11   Monsieur le Président, peut-être à cet instant, est-il

 12   souhaitable que le Tribunal sache exactement où habitait la famille du

 13   témoin et que nous passions en session à huis clos de

 14   manière que je puisse soumettre la photographie et rien d'autre au témoin.

 15   M. le Président (interprétation). - Oui, d'accord.

 16   L’audience se poursuit à huis clos.

 17   (expurgée)

 18   (expurgée)

 19   (expurgée)

 20   (expurgée)

 21   (expurgée)

 22   (expurgée)

 23   (expurgée)

 24   (expurgée)

 25   (expurgée)


Page 1314

  1   (expurgée)

  2   (expurgée)

  3   (expurgée)

  4   (expurgée)

  5   L’audience se poursuit en session publique.

  6   M. Terrier. - Monsieur le témoin, est-ce que vous vous souvenez

  7   de ce que vous avez fait à Ahmici dans l'après-midi du jeudi 15 avril

  8   1993 ?

  9   Témoin F (interprétation). – J’ai joué avec mes camarades

 10   musulmans.

 11   M. Terrier. - Vous avez joué à quoi ?

 12   M. Terrier. - On a joué un petit peu au football, on a fait

 13   toutes sortes d'autres choses.

 14   M. Terrier. - A quel endroit est-ce que vous avez joué ?

 15   Témoin F (interprétation). – On a joué près de la grande route

 16   de Busovaca-Vitez et près de l’école d’Ahmici, dans la cour de l’école

 17   d’Ahmici.

 18   M. Terrier. – Dans la cour de l’école d’Ahmici ? Cette école qui

 19   est à proximité de la mosquée du bas ?

 20   Témoin F (interprétation). – Oui, oui.

 21   M. Terrier. - A cette occasion-là, lorsque vous jouiez à Ahmici

 22   avec vos camarades musulmans, est-ce que vous avez remarqué d’autres faits

 23   un peu inhabituels à Ahmici ?

 24   Témoin F (interprétation). – Oui.

 25   M. Terrier. - Que voulez vous dire ?


Page 1315

  1   Témoin F (interprétation). – Eh bien, quand nous étions près de

  2   la grande route Busovaca-Vitez, j'ai vu la voiture d'Ivo Papic qui partait

  3   avec des femmes à bord et qui est rentré avec d'autres personnes qui

  4   n'étaient pas dans la voiture quand il est parti.

  5   M. Terrier. - A quel moment de l'après-midi cela se passait ?

  6   Témoin F (interprétation). – Aux alentours de 14 heures,

  7   15 heures.

  8   M. Terrier. - Est-ce que vous avez le souvenir de qui se

  9   trouvait dans la voiture, au

 10   départ ?

 11   Témoin F (interprétation). – Je me rappelle seulement que

 12   c'étaient des femmes et des enfants, mais je n'ai pas vu le conducteur :

 13   je n'ai vu que la voiture.

 14   M. Terrier. - Est-ce que vous vous souvenez quand vous avez vu

 15   revenir cette voiture ?

 16   Témoin F (interprétation). – Après une heure, je dirai.

 17   M. Terrier. – Vous-même, vous vous trouviez à quel endroit,

 18   lorsque vous avez été témoin de cela ?

 19   Témoin F (interprétation). – Près de la maison de Redzo Pezer.

 20   M. Terrier. - C'est-à-dire par rapport à la grande route ? Est-

 21   ce que c'est loin de la grande route ?

 22   Témoin F (interprétation). – Non. C'était une maison qui donnait

 23   directement sur la route.

 24   (L’interprète se reprend : La maison de Redza Pezer.)

 25   M. Terrier. - De quelle voiture exactement s'agissait-il ?


Page 1316

  1   C'était une voiture que vous connaissiez ?

  2   Témoin F (interprétation). – Oui. C'était une Lada de couleur

  3   rouge.

  4   M. Terrier. - A qui appartient cette voiture ?

  5   Témoin F (interprétation). – Je crois que le propriétaire en

  6   était Ivo Papic, mais…

  7   M. Terrier. - Est-ce qu'à un autre moment de cet après-midi du

  8   15 avril, vous avez été témoin d'autres faits de cette nature ? Des faits

  9   inhabituels ?

 10   Témoin F (interprétation). – Oui. J'ai vu partir Ivica Kupreskic

 11   avec sa famille, quelque part en dehors d'Ahmici. Mais je ne les ai pas

 12   vus revenir.

 13   M. Terrier. - A quel moment était-ce quand vous avez vu partir

 14   Ivica Kupreskic et sa famille ?

 15   Témoin F (interprétation). – Aux environs de 4 ou 5 heures de

 16   l'après-midi. Un peu avant la nuit.

 17   M. Terrier. - Quelle était la voiture qu'ils utilisaient ?

 18   Témoin F (interprétation). – Une Mercedes. Une Mercedes 502.

 19   M. Terrier. - Avez-vous le souvenir de la personne qui

 20   conduisait la voiture ?

 21   Témoin F (interprétation). – Oui, je me rappelle.

 22   M. Terrier. - Qui était-ce ?

 23   Témoin F (interprétation). – Ivica Kupreskic.

 24   M. Terrier. - A quel endroit vous vous trouviez lorsque vous

 25   avez vu cette voiture ?


Page 1317

  1   Témoin F (interprétation). – Dans la cour de l'école, près de la

  2   clôture.

  3   M. Terrier. - Est-ce que vous savez dans quelle direction s'est

  4   éloignée cette voiture ?

  5   M. le Président (interprétation). - Excusez-moi…

  6   M. Terrier. - Est-ce que vous savez dans quelle direction s'est

  7   éloignée cette voiture ?

  8   Témoin F (interprétation). - Je ne me rappelle pas.

  9   M. Terrier (interprétation). - Je vais vous montrer une

 10   photographie.

 11   (L’interprète à Me Terrier : Le compte rendu anglais a mentionné

 12   pour le type de la voiture 200D, et moi j’ai entendu 502. Il faudrait

 13   peut-être lui reposer la question.)

 14   Monsieur le témoin, il y a une petite difficulté

 15   d'interprétation.

 16   Pour ce qui concerne la Mercedes que vous avez vu partir,

 17   conduite par M. Ivica Kupreskic, de quel modèle s'agissait-il ?

 18   Témoin F (interprétation). - 200D.

 19   Mme le Greffier (interprétation). - La pièce de

 20   l'accusation 102.

 21   M. Terrier (interprétation). - Monsieur le témoin, qu'est-ce que

 22   représente cette photographie ?

 23   Témoin F (interprétation). - C'est l'école élémentaire qui a

 24   quatre années de cours.

 25   M. Terrier (interprétation). - D’ahmici ?


Page 1318

  1   M. Terrier (interprétation). - Oui.

  2   M. Terrier (interprétation). - Quand vous disiez que vous jouiez

  3   au foot près de l’école élémentaire d’Ahmici, c’est bien de cette école

  4   qu'il s’agit ?

  5   Témoin F (interprétation). - Oui.

  6   M. Terrier (interprétation). - Par rapport à cette école, à quel

  7   endroit vous vous trouviez lorsque vous vous avez vu partir la Mercedes de

  8   M. Ivica Kupreskic ? Est-ce que l'endroit est visible sur la

  9   photographie ?

 10   Témoin F (interprétation). - Je le vois à peu près, ici, quelque

 11   part derrière la clôture qui se trouve ici.

 12   M. Terrier (interprétation). - Est-ce que la route où est passée

 13   la Mercedes est éloignée de cet endroit ?

 14   Témoin F (interprétation). - Non, c'était ici tout de suite, par

 15   ici.

 16   M. Terrier (interprétation). - D'accord. Nous en avons fini.

 17   Monsieur le Président, nous allons aborder maintenant la journée

 18   du 16 avril. Peut-être le moment est-il bien choisi pour interrompre, si

 19   vous le souhaitez, puisque je vois qu'il est 12 heures 30 ; comme vous

 20   voulez.

 21   M. le Président. - Nous comptions travailler jusqu'à

 22   12 heures 45. 15 minutes, cela vaut la peine ?

 23   M. Terrier (interprétation). - Tout à fait.

 24   Monsieur le témoin, est-ce que vous pouvez maintenant faire le

 25   récit de ce qui s'est passé, selon votre souvenir, le 16 avril 1993 ?


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  1   Témoin F (interprétation). - Je le peux.

  2   M. Terrier (interprétation). - Allez-y.

  3   Témoin F (interprétation). - Je n'entends pas l'interprétation.

  4   M. Terrier (interprétation). - Dites au Tribunal ce qui s'est

  5   passé le 16 avril 1993.

  6   Témoin F (interprétation). - Des détonations très violentes

  7   m’ont réveillé le matin et j'ai entendu ma mère qui parlait sans doute

  8   avec mon grand-père. Elle disait qu'il fallait que nous nous préparions

  9   pour partir de la maison. Je suis sorti dans le couloir pour m'habiller,

 10   mettre mon jogging ; mais la porte d'entrée de la maison était enfoncée et

 11   j'ai vu une main qui jetait à l'intérieur de la maison une grenade. Et ma

 12   mère a essayé de rejeter cette grenade hors de la maison, mais cette

 13   grenade lui a explosé dans la main. Elle lui a donc arraché une partie du

 14   bras, l’a blessée à la poitrine et a tué mon frère ; moi j’ai eu des

 15   blessures plus légères.

 16   J'ai regardé un peu par hasard devant moi et j'ai vu une autre

 17   grenade qui était par terre, au sol, devant mes pieds. Cette grenade a

 18   explosé elle aussi et m’a blessé dans la partie inférieure du corps.

 19   Après cela, je suis parti dans ma chambre à coucher. Je me suis

 20   caché derrière la porte. Et, à ce moment-là, une troisième grenade a été

 21   jetée à l'intérieur de la maison et a explosé elle aussi.

 22   Ensuite un homme, que je ne connaissais pas, a pénétré dans la

 23   maison, a poussé la porte. Il a appuyé la porte contre moi pour l'ouvrir

 24   et m'a donné l'ordre de sortir. Je suis sorti. Et la première chose qu'il

 25   m'a demandé c’est : “ Est-ce que tu as des allumettes ? ”. J'ai dit que je


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  1   n’en avais pas. Il m’a demandé s’il y avait encore d'autres personnes à

  2   l'étage. Je lui ai répondu qu'il n'y en avait pas. Il m'a demandé où était

  3   mon père. Je lui ai dit que je ne savais pas et il m'a dit : “ Tu dois le

  4   trouver parce que ta mère a besoin d’aide ” ; et j'ai continué à affirmer

  5   que je ne savais pas où il se trouvait.

  6   Puis, cet homme est monté à l'étage. Et, en haut, on a entendu

  7   des explosions.

  8   Pendant qu'il était à l'étage, nous, nous nous sommes cachés dans le

  9   garde-manger : ma mère, ma sœur et moi. Mais mon frère, lui, est resté

 10   là ; il était mort. Ma mère m'a demandé de sortir pour ramener le corps de

 11   mon frère dans le cellier et à ce moment-là, j'ai vu que la cuisine était

 12   déjà en flammes. J'ai essayé à deux ou trois reprises de m'approcher du

 13   corps de mon frère mais je n'y suis pas parvenu car les flammes qui

 14   s'échappaient par la porte étaient déjà très importantes.

 15   J'ai respiré l'air à pleins poumons pour essayer de rentrer là-

 16   bas et heureusement j'ai réussi tout de même à saisir les pieds de mon

 17   frère et à le tirer dans le couloir et à ce moment là, j'ai demandé à ma

 18   mère et à ma sœur de sortir du cellier parce qu'il n'était plus possible

 19   de rester dans cette pièce, la maison entière était en feu.

 20   Et quand nous avons voulu sortir de la maison, un coup de feu

 21   est arrivé de la maison de Hussein Ahmic qui a de nouveau frappé ma mère à

 22   l'estomac et auprès de la maison d'Hussein Ahmic il y avait un groupe de

 23   quatre ou cinq soldats qui étaient en train de faire sortir Hussein et les

 24   membres de sa famille, qui leur ordonnaient de sortir de leur maison.

 25   Moi, j'ai emporté le corps de mon frère dans l'étable et je suis


Page 1321

  1   revenu pour chercher ma soeur. Ma soeur, je l'ai emmenée aussi à l'étable

  2   et je l'ai posée dans une mangeoire. Ensuite, je suis revenu chercher ma

  3   mère, mais elle m'a dit qu'elle n'avait pas besoin d'aide et qu'elle

  4   pouvait marcher toute seule. A ce moment-là, je suis retourné dans

  5   l'étable, ma mère nous a rejoints et elle est restée en vie dans l'étable

  6   quinze à vingt minutes, mais c'est là aussi qu'elle est morte. Les

  7   derniers mots qu'elle a prononcés ont été pour me dire de prendre soin de

  8   ma soeur et de retrouver mon père. Moi, je me suis allongé dans une

  9   mangeoire avec ma soeur et je me suis endormi. Je me suis réveillé la nuit

 10   aux premières heures du jour à 2 ou 3 heures du matin.

 11   J'ai vu à ce moment-là que le toit de l'étable dans laquelle

 12   nous nous trouvions était en feu et j'ai pu entendre des voix qui

 13   parlaient autour de la maison. Mais au moment où nous

 14   sommes tous entrés dans l'étable, j'avais bloqué la porte de l'étable,

 15   cependant, ce n'était pas suffisant pour empêcher qu'on l'enfonce et j'ai

 16   entendu des soldats qui utilisaient un appareil Motorola en disant que

 17   tout avait été nettoyé autour de la mosquée basse et qu'ils allaient

 18   maintenant prendre le chemin de la mosquée haute. Et lorsqu'ils sont

 19   partis, sans doute, l'un d'entre eux a tout de même essayé de pénétrer

 20   dans l'étable. Il a vu que la porte était bloquée et il a essayé

 21   d'enfoncer la porte. Il s'est aperçu qu'il ne pouvait pas le faire et il a

 22   appelé son collègue, je pense, il l'a appelé par son nom, il a dit :

 23   "Mirko, arrive ici, je n'arrive pas à pénétrer dans l'étable".

 24   A ce moment-là, les deux hommes ont enfoncé la porte, en tout

 25   cas, ils l'ont entrouverte suffisamment pour pouvoir y glisser le fusil et


Page 1322

  1   tirer des coups de feu et avant cela ils ont jeté une grenade à

  2   l'intérieur de l'étable, après quoi ils sont passés de l'autre côté de

  3   l'étable, ils ont brisé la fenêtre et ils se sont dit l'un à l'autre : "Il

  4   n'y a là-dedans qu'une femme et des enfants".

  5   Et puis ils ont demandé à quelqu'un d'autre s'il fallait qu'ils

  6   fassent sortir la vache ou s'ils pouvaient la laisser à l'intérieur. Cet

  7   homme leur a dit : "Il faut sortir la vache". Les deux autres ont dit :

  8   "Mais comment pouvons-nous sortir la vache en la faisant passer sur les

  9   cadavres ?" et le troisième homme a dit : "Ecoutez, faites ce que vous

 10   voulez".

 11   A ce moment là, ils ont jeté encore une grenade, ils ont tiré

 12   des coups de feu avec leur fusil et ils ont tué l'agneau qui était

 13   également dans l'étable et puis ils sont partis. Moi, j'ai de nouveau

 14   perdu connaissance et quand je me suis réveillé, il était à peu près midi.

 15   M. Terrier. - Monsieur le témoin, j'interromps une seconde votre

 16   récit, nous allons le reprendre bien entendu, mais je voudrais que vous

 17   apportiez un certain nombre de précisions sur ce que vous avez déjà dit.

 18   Tout à l'heure, vous avez dit que lorsque vous entendez, le 16 avril au

 19   matin, les premiers coups de feu et que vous vous levez...

 20   Témoin F (interprétation). - Oui.

 21   M. Terrier. - ... votre père n'est pas là. Votre père n'est pas

 22   dans la maison ; pour quelle raison ?

 23   Témoin F (interprétation). - Non. Sans doute qu'il était en

 24   patrouille de garde.

 25   M. Terrier. - Vous dites "sans doute". Vous le saviez ou vous ne


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  1   le saviez pas ?

  2   Témoin F (interprétation). - Je ne le savais pas mais plus tard

  3   il m'a dit qu'il était en patrouille. Je ne le savais pas à ce moment-là.

  4   C'est seulement plus tard que je l'ai appris.

  5   M. Terrier. - Ce premier soldat que vous avez vu, qui est entré

  6   dans la maison et qui a jeté des grenades, est-ce que vous pouvez le

  7   décrire ?

  8   Témoin F (interprétation). - Il portait un uniforme de

  9   camouflage, il avait des peintures noires sur le visage, il portait un

 10   fusil automatique, il portait un lance-roquettes Zolia sur le dos et une

 11   bande de tissu de couleur orange. Il portait aussi un emblème dont je ne

 12   sais pas si c'était l'emblème de l'armée croate ou celui du HVO.

 13   M. Terrier. - Est-ce que vous pouvez décrire cet emblème ? La

 14   couleur, par exemple. La couleur de l'emblème, la couleur des lettres ?

 15   Témoin F (interprétation). - Le fond était vert et il y avait

 16   comme une cercle de couleur jaune et je crois que les lettres étaient

 17   jaunes elles aussi. Jaunes ou noires, je n'en suis pas sûr.

 18   M. Terrier. - Quand vous parlez d'un morceau de tissu orange,

 19   vous parlez d'un ruban ? Cet homme portait un ruban ? Vous avez remarqué

 20   un ruban ?

 21   Témoin F (interprétation). - Oui, non, il avait une bande en

 22   toile. Comment je peux l'expliquer... Une bande de toile qui pendait ici,

 23   normalement, de couleur orange.

 24   M. Terrier. - Lorsque vous êtes sorti de la maison, vous avez

 25   dit qu’à ce moment-là, d'autres soldats étaient en train de faire sortir


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  1   les gens, les habitants d'une maison voisine ?

  2   Témoin F (interprétation). – Oui.

  3   M. Terrier. - Est-ce que vous avez le souvenir de la manière

  4   dont ces autres

  5   soldats étaient habillés ?

  6   Témoin F (interprétation). – Oui. Je me rappelle qu'ils

  7   portaient aussi un uniforme de camouflage.

  8   M. Terrier. - Est-ce que vous avez reconnu un de ces soldats ?

  9   Témoin F (interprétation). – J'ai reconnu Andelho Vidovic,

 10   surnommé Acko, qui était adossé à la cave de la maison de Husein.

 11   M. Terrier. - Qu'est-ce qu'il faisait adossé à la cave de la

 12   maison de Husein, de votre voisin ? Qu'est-ce qu'il faisait ?

 13   Témoin F (interprétation). – Je crois qu'il était là debout, à

 14   moins qu'il n'ait cherché à se cacher, à s'abriter de quelque chose, mais

 15   je ne sais pas de quoi.

 16   M. Terrier. - Vous avez dit que, lorsqu’elle est sortie, votre

 17   mère avait été blessée, touchée par une balle.

 18   Témoin F (interprétation). – Oui.

 19   M. Terrier. - Est-ce que vous savez qui a tiré cette balle ou

 20   quel groupe de soldats a tiré cette balle ? D’où venait cette balle ?

 21   Témoin F (interprétation). – Je crois que la balle venait de la

 22   maison de Husein, d'en haut, et qu'elle avait été tirée par ce groupe

 23   d’hommes qui étaient debout, à côté de la cave de Husein, qui se

 24   trouvaient dans la cour de Husein.

 25   M. Terrier. - Vous vous êtes donc, après, réfugié dans l'étable


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  1   et, en particulier, vous vous êtes protégé dans la mangeoire. C'est bien

  2   la mangeoire pour le bétail ?

  3   Témoin F (interprétation). – Oui.

  4   M. Terrier. – Quelle est la taille de cette mangeoire ?

  5   Témoin F (interprétation). – Cinquante centimètres, à peu près.

  6   M. Terrier. - C'était un abri utile ?

  7   Témoin F (interprétation). – Oui. Elle était faite en béton.

  8   M. Terrier. - Vous avez dit qu'à un moment donné, au cours de la

  9   nuit, vous avez entendu des voix à l'extérieur de l'étable et des gens qui

 10   utilisaient un Motorola. Quand vous parlez de Motorola, qu'est-ce que vous

 11   entendez ?

 12   Témoin F (interprétation). – C'est un poste de radio avec lequel

 13   deux groupes peuvent communiquer.

 14   M. Terrier. - Est-ce que vous l'avez vu, ce poste de radio ?

 15   Est-ce que vous avez vu la marque ? Motorola, c'est une marque.

 16   Témoin F (interprétation). – Non, je n'ai pas vu la marque.

 17   M. Terrier. - Lorsque les soldats ont aperçu dans l'étable le

 18   corps de votre mère et celui de votre frère, qu'est-ce qu'ils ont dit ?

 19   Témoin F (interprétation). – Ils ont dit : “ Il y a là une femme

 20   et un enfant ”.

 21   M. Terrier. - Comment ils ont dit cela ? Est-ce qu'ils étaient

 22   horrifiés ?

 23   Témoin F (interprétation). – Comme ça. Ils l'ont dit froidement.

 24   Ils ont dit : « Là, il y a une femme et un enfant ».

 25   M. Terrier. - Nous allons reprendre le récit, mais peut-être,


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  1   Monsieur le Président, souhaitez-vous que nous fassions une pause ?

  2   M. le Président (interprétation). - Oui. Nous allons suspendre

  3   l'audience. Nous n'avons pas d'audience cet après-midi, comme vous le

  4   savez. Donc nous levons la séance jusqu'à demain matin 9 heures 30.

  5   L'audience est levée à 13 heures 50.

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