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Le Procureur c. Slobodan Milosevic, Milan Milutinovic, Nikola Sainovic, Dragoljub Ojdanic et Vlajko Stojiljkovic - Affaire n° IT-99-37-I

"Décision relative a l'examen de l'acte d'accusation et ordonnances y relatives"

24 mai 1999
Juge David Hunt

Article 19 1) du Statut et articles 54, 47 B) et E) et 55 D) du Règlement - établissement de l'existence de présomption qu'il y a lieu d'engager des poursuites ; délivrance de mandats d'arrêt internationaux ; ordonnance de blocage des avoirs ; ordonnances de non-divulgation.

Conformément aux articles 19 1) du Statut et 47 E) du Règlement de procédure et de preuve, lorsqu'il est établi qu'il y a lieu d'engager des poursuites au vu des faits matériels mentionnés et des éléments de preuve apporté à l'appui, l'acte d'accusation doit être confirmé.
En vertu de l'article 55 D) du Règlement, un juge peut délivrer des mandats d'arrêt internationaux et les adresser à des Etats.
En vertu des articles 19 1) du Statut et 47 H)i) et 54 du Règlement, un juge peut ordonner à des Etats de geler des avoirs.
Le risque de représailles à l'encontre des personnels des Etats et des Nations Unies constitue une circonstance exceptionnelle et, conformément à l'article 53 du Règlement, il est de l'intérêt de la justice d'ordonner la non-divulgation de l'acte d'accusation et des documents qui s'y rapportent. De même, le grave danger physiquement encouru par les témoins justifie la non-divulgation des pièces jointes jusqu'à l'arrestation de tous les accusés.

Le 22 mai 1999, en application de l'article 19 du Statut, le Procureur a transmis l'acte d'accusation pour examen et confirmation, et demandé également qu'un certain nombre d'ordonnances consécutives soient délivrées.

Examen et confirmation de l'acte d'accusation

L'article 47 B) du règlement précise que le Procureur doit joindre à l'acte d'accusation des éléments justificatifs qui, aux termes de l'article 47 E), devront être examinés par le juge désigné. Conformément à la jurisprudence du Tribunal, le Juge Hunt a considéré que l'objet de ces éléments n'étant pas de pallier les éventuelles insuffisances des faits matériels exposés, mais plutôt de venir à l'appui de ces faits. Aux termes de l'article 19 1) du Statut, il y a lieu d'engager des poursuites lorsque les faits matériels mentionnés dans l'acte d'accusation constituent un dossier plausible qui, en l'absence d'éléments contraires apportés par l'accusé, pourrait offrir une base suffisante pour établir sa culpabilité. Le Juge Hunt a estimé en outre qu'il n'appartenait pas au juge désigné d'examiner la forme de l'acte d'accusation, laquelle, aux termes de l'article 72 A) du Règlement, relève des attributions de la Chambre de première instance. Ayant examiné l'acte d'accusation et les pièces jointes et entendu le Procureur en personne, le Juge Hunt a estimé qu'au vu des faits matériels exposés dans l'acte d'accusation, il y avait lieu d'engager des poursuites sur l'ensemble des chefs d'accusation et que des éléments de preuve existaient à l'appui de ces faits. Il a par conséquent confirmé l'acte d'accusation.

Ordonnances consécutives à l'acte d'accusation

Aux termes de l'article 47 H) du Règlement, une fois l'acte d'accusation confirmé, le juge désigné peut délivrer un mandat d'arrêt comportant, en application de l'article 55 A), une ordonnance aux fins du transfert de l'accusé au Tribunal. Conformément à l'article 55 D), le mandat peut être transmis, entre autre, aux autorités nationales de l'Etat sur le territoire duquel l'accusé réside ou a eu sa dernière résidence connue, ou sur le territoire duquel le Greffier pense qu'il est susceptible de se trouver. Dans le cas de la République Fédérale de Yougoslavie, le Juge Hunt a, comme le Procureur, estimé que, compte tenu des hautes fonctions gouvernementales et militaires occupées par les accusés, le Ministre de la justice était l'autorité la plus à même d'exécuter les mandats. Le Juge Hunt a également ordonné, en vertu de l'article 55 D) du Règlement, que des copies certifiées conformes des mandats d'arrêt soient transmises à l'ensemble des Etats membres de l'Organisation des Nations Unies et à la Confédération Helvétique. Le procureur avait fait valoir que le pouvoir prévu à l'article 55 D) était étendu et devait être distingué de celui énoncé à l'article 61 D). Dans ce dernier cas, la Chambre de première instance délivre un mandat d'arrêt international si le mandat délivré en vertu de l'article 55 n'a pas été exécuté au terme d'un délai raisonnable. L'article 54 accorde en outre au juge le pouvoir de délivrer toute ordonnance nécessaire à la préparation ou la conduite du procès. Dans la mesure où il ne peut y avoir de procès sans accusé, un mandat d'arrêt international est donc justifié. Le Juge Hunt a fait sien ce raisonnement. Il a également estimé qu'aux termes de l'article 29 2) du Statut, les Etats membres de l'Organisation des Nations Unies étaient tenus de répondre à toute ordonnance aux fins de l'arrestation ou de la détention d'une personne. En revanche, la coopération requise de la Confédération Helvétique s'analyse en une "demande d'assistance."

Le Juge Hunt a en outre ordonné que tous les Etats membres de l'organisation des Nations Unies mènent des enquêtes pour déterminer si les accusés possèdent des avoir sur leur territoire et, dans l'affirmative, prennent des mesures conservatoires aux fins de bloquer ces avoirs. Le Procureur avait entre autre fait valoir que les mesures requises empêcheraient les accusés d'utiliser lesdits avoirs pour se soustraire à une arrestation. Le Juge Hunt a pris en considération le fait que l'article 61 D) du Règlement habilite une Chambre de première instance à ordonner le gel d'avoirs à un stade légèrement postérieur, lorsque le mandat d'arrêt délivré aux termes de l'article 55 n'a pas été exécuté dans un délai raisonnable. Toutefois, ce premier article ne saurait être interprété comme une limitation des vastes pouvoirs reconnus au juge à l'article 19 2) du Statut et repris dans les articles 54 et 47 H)i) du Règlement. En conséquence, le Juge a ordonné le blocage des avoirs, sans préjuger, a-t-il précisé, des droits des tiers.

Enfin, le Juge Hunt a délivré un certain nombre d'ordonnance de non-divulgation, en prenant en considération les articles 53, 54 et 55 D) du Règlement. Aux termes de l'article 53, la délivrance d'une ordonnance de non-divulgation ne peut intervenir que lorsque des circonstances exceptionnelles et l'intérêt de la justice le commandent. Dans son examen de la demande du Procureur, le Juge Hunt ne s'est pas prononcé sur les éventuelles conséquences politiques et diplomatiques de la non-divulgation d'un acte d'accusation. Vu les risques de représailles à l'encontre de personnels des Etats et de l'Organisation des Nations Unies présents en ex-Yougoslavie, il a néanmoins ordonné la non-divulgation de l'acte d'accusation, des mandats d'arrêt et des autres documents y afférents jusqu'à ce que la Mission des Nations Unies qui s'y trouvait, quitte la République fédérale de Yougoslavie. Toutefois, il a autorisé le Procureur à faire connaître dans l'intervalle l'existence de ces documents au Secrétaire général des Nations Unies et aux gouvernements dont le personnel ou les agents risquaient d'être l'objet de mesures de représailles ou d'intimidation.

Enfin, vu le grave danger pesant sur l'intégrité physique de nombreux témoins résidant sur les territoires où les accusés exercent leur pouvoir, le Juge Hunt a également rendu une ordonnance de non-divulgation des pièces jointes à l'acte d'accusation soumises par le Procureur. Si une partie seulement des accusés est arrêtée, il se peut que l'ordonnance doive être modifiée et qu'il devienne alors nécessaire d'adopter des mesures visant à protéger l'identité des témoins, pour que les accusés arrêtés puissent être informés des charges relevées contre eux.