Affaire n° : IT-04-74-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
9 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE PRENDRE CONNAISSANCE DE PIÈCES CONFIDENTIELS

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Les Conseils des Accusés :

M. Camil Salahovic pour Jadranko Prlic
M. Zeljko Olujic pour Bruno Stojic
M. Bozidar Kovacic pour Slobodan Praljak
Mme Vesna Alaburic pour Milivoj Petkovic
M. Tomislav Jonjic pour Valentin Coric
M. Marinko Skobic pour Berislav Pusic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête présentée par Slobodan Praljak aux fins de pouvoir prendre connaissance de témoignages et documents confidentiels (the Accused Slobodan Praljak’s Motion for Access to Confidential Testimony and Documents), requête déposée le 8 février 2005 (la « Requête »), par laquelle la Défense de Slobodan Praljak (le « Requérant ») demande à la Chambre de rendre une ordonnance l’autorisant à prendre connaissance de témoignages et documents confidentiels – dont des écritures ex parte – concernant le conflit entre Musulmans et Croates de Bosnie, ou entre l’ABiH et le HVO, sur le territoire de Bosnie-Herzégovine en 1992/93, présentés dans les affaires Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Le Procureur c/ Anto Furundzija, Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez. La Défense justifie sa demande par le fait que 1) les pièces en question, suffisamment décrites, l’aideront grandement, 2) elle a établi l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent et 3) elle acceptera toutes les mesures de protection, anciennes ou nouvelles, qui s’y rapportent,

VU la réponse à la Requête (Prosecution’s Response to the Accused Praljak’s Motion for Access to Confidential Testimony and Documents Filed on 8 February 2005), datée du 22 février 2005 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation ne s’oppose pas à la Requête, étant entendu que 1) « elle ne communiquera que les pièces concernant le "conflit entre Musulmans et Croates de Bosnie, ou entre l’ABiH et le HVO, sur le territoire de Bosnie-Herzégovine en 1992/93" », 2) les mesures de protection seront maintenues, 3) elle ne communiquera les pièces relevant de l’article 70 du Règlement qu’avec le consentement de celui qui les a fournies, 4) elle ne communiquera pas les éléments fournis par des « témoins sensibles », et 5) elle ne communiquera les écritures ex parte que si la Défense justifie d’un besoin légitime1,

VU le corrigendum déposé le 23 février 2005, par lequel l’Accusation joint à la Réponse une annexe donnant une liste de décisions rendues par les Chambres saisies des affaires Aleksovski, Blaskic, Furundžija, Kupreskic et consorts, ainsi que Kordic et Cerkez,

VU les écritures datées du 4 mars 2005 (Jadranko Prlic’s Notice of Joinder to the Accused Praljak’s Motion for Access to Confidential Testimony and Documents Filed on 8 February 2005), par lesquelles Jadranko Prlic (le « Requérant ») s’associe à la Requête,

ATTENDU que la communication de pièces confidentielles présentées dans d’autres affaires et n’entrant pas dans le champ d’application des articles 66 et 68 du Règlement est limitée par le fait qu’une partie ne peut aller à la pêche aux informations, mais qu’elle doit 1) identifier les pièces visées ou en préciser aussi clairement que possible la nature générale, et 2) justifier d’un but légitime juridiquement pertinent pour ce faire2,

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées par une partie peut être établie en démontrant qu’il existe un lien entre l’affaire du requérant et celle(s) où elles ont été présentées3, et qu’il suffit qu’elles puissent aider le requérant à assurer sa défense, ou qu’il existe du moins de bonnes chances qu’il en soit ainsi4,

ATTENDU qu’il existe des recoupements géographiques, temporels et matériels entre la présente espèce et les affaires Aleksovski, Blaskic, Furundžija, Kupreskic et consorts, ainsi que Kordic et Cerkez,

ATTENDU qu’il est dans l’intérêt de la justice que les pièces admises en application de l’article 70 du Règlement ne soient communiquées que si celui qui les a fournies y consent, et que les éléments fournis par un « témoin sensible » (qui sont en principe étroitement liés au faits d’une certaine affaire et ne sont communiqués à la partie adverse qu’environ 30 jours avant la date prévue pour la comparution du témoin5) et les écritures ex parte (qui n’ont pas été transmises à la partie adverse dans les instances précédentes) ne soient communiquées aux Requérants que si ces derniers justifient d’un besoin légitime,

ATTENDU que même si la partie requérante ne disposait d’aucune information quant à la forme et à la nature des pièces demandées, elle a néanmoins précisé leur nature générale aussi clairement que possible et elle a justifié d’un but légitime juridiquement pertinent pour demander à les consulter, réserve faite – à ce stade – des pièces relevant de l’article 70 du Règlement, des éléments fournis par des « témoins sensibles » et des écritures ex parte,

ATTENDU que si Jadranko Prlic et Slobodan Praljak peuvent consulter des pičces confidentielles présentées dans d’autres affaires, il est dans l’intérêt de la justice que les autres Coaccusés en l’espèce bénéficient des mêmes facilités,

EN APPLICATION des articles 54 et 75 du Règlement de procédure et de preuve,

FAIT DROIT partiellement à la Requête et DÉCIDE que les Coaccusés pourront prendre connaissance des pièces confidentielles présentées dans les affaires Aleksovski, Blaskic, Furundzija, Kupreskic et consorts, ainsi que Kordic et Cerkez et concernant le conflit entre Musulmans et Croates de Bosnie, ou entre l’ABiH et le HVO, sur le territoire de Bosnie-Herzégovine en 1992/93, sous réserve des dispositions et mesures de protection suivantes :

1. Aux fins du présent dispositif :

a) le terme « Accusation » désigne le Procureur du Tribunal et son personnel ;

b) le terme « Requérants » désigne les accusés Jadranko Prlic, Bruno Stojic, Slobodan Praljak, Milivoj Petkovic, Valentin Coric et Berislav Pusic, les Conseils de la Défense ainsi que leurs collaborateurs directs et leur personnel d’appui, et toute autre personne expressément désignée par le Tribunal comme membre de leur équipe de la Défense et figurant sur la liste que chaque Conseil principal doit tenir et déposer auprès de la présente Chambre à titre confidentiel et ex parte, dans les dix jours de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance. Toute modification de la liste initiale, ajout ou radiation, concernant l’une ou l’autre des catégories susmentionnées de personnes dont le nom doit obligatoirement être communiqué et qui sont régulièrement associées à la préparation de la défense, est pareillement notifiée à la Chambre de première instance dans un délai de sept jours ;

c) le terme « public » s’entend de toute personne, État, organisation, entité, client, association et groupe à l’exception des juges du Tribunal international, des membres du Greffe (qu’ils soient affectés aux Chambres ou au Greffe), l’Accusation et les Requérants, tels qu’ils sont définis ci-dessus. Le terme « public » comprend également, sans s’y limiter, les membres de la famille, les amis et les relations des Requérants, les accusés et leurs conseils dans d’autres affaires ou actions engagées devant le Tribunal international ;

d) le terme « médias » désigne toute personne travaillant pour la presse écrite ou audiovisuelle, y compris les journalistes, les auteurs, le personnel de la télévision ou de la radio, ainsi que leurs agents ou représentants.

2. Puisque l’Accusation a déjà pris connaissance des pièces demandées, elle les expurgera en tant que de besoin et les remettra au Greffe, qui les communiquera aux Requérants.

3. Les pièces qui relèvent de l’article 70 du Règlement ne seront communiquées qu’après que l’Accusation en aura obtenu l’autorisation des autorités concernées ; c’est à elle qu’il incombe d’informer le Greffe le cas échéant.

4. Les éléments fournis par des « témoins sensibles »6 et les écritures ex parte ne seront communiqués que sur autorisation de la Chambre après que la Défense aura justifié d’un besoin légitime.

5. Les Requérants ne dévoileront aux médias aucune pièce confidentielle ou protégée communiquée par l’Accusation.

6. À moins que cela ne soit directement et précisément nécessaire pour la présentation de leurs moyens, et que la Chambre n’ait donné préalablement l’autorisation, les Requérants s’abstiendront de révéler au public, aux médias, à leurs parents et à leurs relations.

a) le nom, l’adresse et tout élément d’identification des témoins ou des témoins potentiels dont le nom est donné par l’Accusation, toute copie des déclarations de témoins ou leur contenu, ainsi que toute autre information qui permettrait d’identifier ces témoins et dont la communication constituerait une violation des mesures de protection déjà en place, à moins que ce ne soit absolument nécessaire pour la préparation de la défense des Requérants, et que la Chambre n’ait donné son autorisation ;

b) tout élément de preuve (documentaire, audiovisuel, matériel ou autre) ou toute déclaration écrite de témoin, ou la teneur, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou déposition antérieure confidentiel qui aura été communiqué aux Requérants.

7. Si les Requérants estiment directement et précisément nécessaire de communiquer ces informations pour la préparation et la présentation de leur défense, ayant obtenu l’autorisation de la Chambre, ils informeront tout membre du public auquel seraient montrées ou communiquées des pièces ou des informations protégées (qu’il s’agisse de déclarations de témoins, de comptes rendus de dépositions, de pièces à conviction, de dépositions antérieures, d’enregistrements vidéos ou du contenu de ceux-ci), qu’il ne peut ni copier ni reproduire ni rendre publiques ces pièces ou ces informations protégées, ni les montrer ou les communiquer à qui que ce soit. Toute personne qui se voit confier une telle pièce, qu’il s’agisse d’un original, d’une copie ou d’un double, doit la restituer à la Défense dès qu’elle ne lui est plus nécessaire à la préparation ni à la présentation des moyens à décharge.

8. Si un membre de l’une des équipes de la Défense se retire de l’affaire, il est tenu de restituer au conseil principal de son équipe toutes les pièces en sa possession.

9. Les Requérants s’abstiendront de tout contact avec les témoins concernés par les pièces qui doivent être communiquées, à moins que la Chambre n’en décide autrement et aux conditions fixées par celle-ci.

10. Sous réserve des mesures de protection et des dispositions énoncées ci-dessus, les mesures de protection qui s’appliquent déjà aux pièces communiquées restent en vigueur.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 9 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance I
___________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1. Requête, par. 25.
2. Le Procureur c/ Enver Hadžihasanovic et consorts, affaire n° IT-01-47-AR73, Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, 23 avril 2002, p. 3.
3. Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des Appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs ŕ l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 15.
4. Voir note 2 supra.
5. Selon la Chambre, un « témoin » est « sensible » lorsqu’en vertu d’une décision rendue par une Chambre, son existence et sa déclaration préalable ont été communiquées dans la première instance à la partie adverse peu avant la date prévue pour sa comparution.
6. Tels que définis en note 5 supra.