Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14/1-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Mardi 23 mars 1999

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5 L'audience est ouverte à 9 heures 30.

6 M. le Président. - Bonjour Mesdames, Messieurs. Est-ce que les

7 interprètes m'entendent bien ?

8 L'Interprète. - Oui, Monsieur le Président, bonjour.

9 M. le Président. - Monsieur Marc Dubuisson, pouvez-vous annoncer

10 l'affaire, s'il vous plaît ?

11 M. Dubuisson. - Il s'agit de l’affaire IT-95-14/1 T, le

12 Procureur contre Zlatko Aleksovski.

13 M. le Président. - Maître Niemann, pouvez-vous présenter l’un

14 des Procureurs ?

15 M. Niemann (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

16 Messieurs les Juges, je m'appelle Niemann. Je comparais ici devant

17 l'accusation avec mon collègue, Me Meddegoda.

18 M. le Président. - Merci. Maître Mikulicic ?

19 M. Mikulicic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

20 Messieurs les Juges, je suis Me Mikulicic, avec M. Joka je représente

21 l’accusé.

22 M. le Président. - Je salue aussi M. Aleksovski. Vous m'entendez

23 bien ?

24 (Monsieur Aleksovski acquiesce de la tête).

25 Vous vous sentez bien aujourd'hui ? Vous avez pris l'air ?

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1 M. Aleksovski (interprétation). - Monsieur le Président,

2 Messieurs les Juges, je vous remercie de m'avoir posé cette question.

3 Le matin, comme toujours, on se sent frais. Je dois dire que la

4 journée d'hier a été une journée très difficile pour moi, très éprouvante.

5 Nous verrons comment se présentera la journée d'aujourd'hui.

6 M. le Président. - Veuillez-vous asseoir.

7 Merci. Maître Meddegoda, c'est à vous. Selon ce que vous avez

8 annoncé, vous aviez besoin d'1 heure et 45 minutes. Vous avez déjà une

9 heure, mais comme nous l'avons dit hier, nous pouvons vous faire un cadeau

10 d'un temps supplémentaire. Vous pouvez donc continuer, Maître Meddegoda.

11 M. Meddegoda (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,

12 je vous en remercie. Si vous me le permettez, je poursuivrai là où je me

13 suis arrêté hier.

14 Le témoin I : il s'agit d'un autre détenu qui a été blessé par

15 des balles à fragmentation pendant qu'il creusait des tranchées sur la

16 ligne de front. Le lendemain, en dépit de sa main qui a été blessée, un

17 soldat du HVO est rentré dans sa cellule et l’a très fortement frappé, et

18 le témoin dit que pendant presque quatre mois il a eu un oeil complètement

19 ecchymosé ; et il dit qu'on lui a demandé s'il ne s'était pas blessé lui-

20 même avec une pioche pendant qu'il creusait la tranchée. Mais il a

21 répondu : "Non, j'ai été frappé par un soldat du HVO qui est rentré dans

22 ma cellule". Avec ces soldats du HVO, il y avait des soldats du HV, selon

23 ce témoin, des soldats de l'armée de Croatie.

24 Et donc lorsque ce détenu a été arrêté, ce détenu a décrit la

25 prison de Kaonik comme une prison où Aleksovski, l'accusé, s'est présenté

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1 comme le directeur de l'établissement. Il a également décrit des coups de

2 feu qui se sont produits à une occasion, ce qui a provoqué des blessures

3 de deux détenus, lorsque des soldats du HVO les ont empêchés de courir

4 pour se mettre à l'abri.

5 Le même jour, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, à

6 Rovna, où ils étaient en train de creuser des tranchées, le témoin a vu

7 des soldats du HVO et les soldats du HV. En fait, il a été frappé par un

8 soldat de l'armée croate qui portait des insignes du HVO, lorsqu'il a

9 demandé de l’eau pour boire.

10 A huis clos, ce témoin a décrit un incident où était impliqué

11 son frère qui s’est enfui du camp de Kaonik. Après la fuite, le témoin a

12 été interrogé par l'accusé, et par la suite il a été mis au secret. Dzemo,

13 Mario Maric et Goran Medjugorac sont entrés dans sa cellule, et il a été

14 sauvagement frappé : "J'ai été d'abord, pour une première fois, frappé par

15 Dzemo à la figure, et par la suite il m'a frappé à nouveau par son poing,

16 peut-être trois ou quatre fois. Il m'a frappé au ventre et je suis tombé

17 par terre. Je ne suis pas sûr qu'ils me battaient tous les trois, mais je

18 pouvais entendre les coups qui venaient l'un après l'autre, c'est de cela

19 que j'ai déduit que tous les trois me frappaient. Ils sont allés dans une

20 autre cellule, dans des cellules dans l'isolement où trois autres

21 personnes étaient placées et de là je pouvais entendre des cris.

22 Ils sont revenus encore une fois dans ma cellule et ils ont

23 procédé de la même façon. Ils m'ont encore battu. Et à un moment, l'accusé

24 est arrivé, qui était escorté par trois hommes, et lorsque je ne pouvais

25 pas répondre à leurs questions, et je ne savais pas quoi dire, il est

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1 parti et les trois hommes ont continué à me battre".

2 Le témoin a déposé qu'il souffrait encore des conséquences de

3 ces passages à tabac. Il a également dit que, pendant sa détention, il a

4 entendu des coups et des cris très souvent et notamment, c'était l'homme

5 de Syrie qui a été très souvent battu.

6 En se référant au poste de responsabilité de l'accusé, le témoin

7 a dit que Zlatko Aleksovski s'est présenté en tant que directeur de

8 l'ensemble de la prison, et à partir de cela il lui était clair que

9 c'était lui qui commandait aux militaires qui se trouvaient sur place.

10 Un autre témoin, Edib Zlotrg s'est rappelé les paroles d'un

11 homme âgé qui a dit que, le 19 avril, lui et d'autres prisonniers ont été

12 à Kratine où ils ont creusé des tranchées jusqu'au lendemain matin. Ils

13 ont fait l'objet d'insultes verbales et de mauvais traitements lorsque

14 Miroslav Bralo, autrement dit Cicko, un membre du HVO, a prétendu qu'il

15 avait tué environ quatre-vingt femmes et enfants.

16 Bralo leur apprenait à faire le signe de la croix et il a tué un

17 homme qui n'était pas capable de le faire d'une manière appropriée. Et il

18 s'est produit une fois que Bralo a demandé aux hommes de nettoyer la terre

19 avec leurs dents. Nous n'avons jamais vu ces trois hommes à qui il a

20 demandé… Nous n'avons plus jamais revu ces trois hommes. Ils ont

21 probablement été tués.

22 La déposition du témoin E confirme les dépositions que nous

23 avons entendues de la part d'autres témoins sur les passages à tabac et

24 des tortures qui ont été perpétrées sur onze Arabes et un homme. De la

25 cellule où se trouvaient détenus ces hommes, on entendait souvent des

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1 cris. Ils ont été soumis à un mauvais traitement et ils ont fait l'objet

2 de passages à tabac.

3 A huis clos, ce témoin a confirmé la déposition du témoin H sur

4 des coups et des tortures qui ont suivi. Il a dit qu'Aleksovski est arrivé

5 avec Dzemo et avec un autre soldat et qu'ils l'ont frappé plusieurs fois.

6 Par la suite, l'accusé Dzemo et un autre soldat sont arrivés dans sa

7 cellule et l'on interrogé, l'on frappé plusieurs fois. L'interrogatoire

8 était mené par Aleksovski. Dzemo et l'autre soldat l'ont frappé avec les

9 poings et un bâton et l'accusé ne faisait que regarder, il était là debout

10 et le regardait, d'après la déposition du témoin.

11 L'accusé a dit par la suite : "Continuons avec l'interrogatoire"

12 et d'après ce témoin, il a de nouveau été soumis aux coups et à la

13 torture. Il a été frappé par Dzemo, et cet autre homme a commencé à le

14 frapper à nouveau : "Je suis tombé dans un coin de la pièce. Ils ont

15 continué à me battre jusqu'à ce que mon nez soit cassé. J'avais des bleus,

16 j'étais tout noir, couvert d'ecchymoses. J'étais tout couvert de sang. Mon

17 visage était en sang, pendant que Zlatko Aleksovski se tenait à la porte

18 en faisant des signes de ses yeux et de sa tête qui leur montraient qu'ils

19 pouvaient continuer."

20 En dépit de ses blessures, ce témoin n'a pas eu droit aux soins

21 médicaux et, pendant le contre-interrogatoire, lorsqu'on lui a demandé

22 pourquoi il ne s'était pas plaint de ce traitement inhumain devant le CICR

23 ou les observateurs, le témoin a répondu : "A chaque fois que nous nous

24 plaignions, à la fin nous recevions deux fois plus de coups". Il a

25 illustré sa réponse par un incident qui impliquait deux personnes de

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1 Loncari, deux jeunes hommes qui sont revenus d'un endroit où ils

2 creusaient des tranchées. Ils ont été blessés, l'un à la tête et l'autre

3 dans le dos. Ils ont été emmenés voir un médecin et, jusqu'à présent,

4 personne ne les a revus, personne ne sait ce qui leur est arrivé.

5 S'agissant maintenant du témoin J, il s'agit d'un homme qui a

6 été arrêté, détenu à Kaonik en avril 1993. Il a déposé au sujet d'un

7 incident qui impliquait trente personnes, trente détenus -y compris son

8 fils- qui ont été emmenés à Rovna en présence de l'accusé.

9 Malheureusement, son fils qui, à l'époque, était âgé de 21 ans, n'est

10 jamais revenu. Plus tard, le témoin a appris d'un autre détenu, qui a

11 creusé des tranchées avec son fils, qu'il avait été blessé par une balle

12 qui a rasé le dos de sa tête.

13 Quelques jours plus tard, il a été emmené dans le bureau de

14 l'accusé où Zarko Petrovic a reconnu que son fils avait été blessé.

15 Petrovic a également dit : "Je peux simplement faire le nécessaire pour

16 que tu ne sois pas envoyé de nouveau à creuser des tranchées". En dépit de

17 cela, le lendemain, le témoin était emmené à Podjele pour creuser des

18 tranchées et il a été soumis à des insultes verbales.

19 Le témoin a également parlé d'un autre incident qui s'est

20 produit le 17 avril 1993 lorsqu'il a vu trois détenus musulmans, Saban,

21 Abdullah, Camil Osmancevic qui ont été amenés à Kaonik la nuit précédente.

22 Leur nom a été prononcé par l'accusé et il a parlé d'eux en termes de

23 "trois oiseaux qui étaient arrivés la veille". L'accusé est arrivé dans le

24 hangar accompagné de trois officiers de la police qui ont attaché leurs

25 mains et les ont emmenés dans une voiture. "Nous n'avons jamais entendu

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1 parler d'eux par la suite", a dit le témoin.

2 En déposant ici, le témoin U a résumé les conditions qui

3 prévalaient dans le hangar. En un mot, il a dit qu'elles étaient

4 terribles. Même ce terme-là ne suffit pas. En dépit de l'âge avancé de la

5 personne, elle a été emmenée creuser des tranchées à nombre d'occasions

6 dans des circonstances dangereuses. Ce témoin a également été frappé par

7 des hommes du HVO. A une occasion, un homme qui est allé chercher de l'eau

8 a été frappé. Il a également dit qu'il a vu un incident où ces "trois

9 oiseaux", ces trois détenus ont été enlevés.

10 Fuad Kaknjo, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, était

11 mécanicien. Il était à la tête du pouvoir exécutif de Vitez. En déposant

12 au sujet des élections de 1990, il a expliqué le processus politique et

13 les entités socio-politiques des parties qui ont pris part aux élections.

14 Il a déposé au sujet des Croates et des Musulmans et sur la manière dont

15 le pouvoir a été pris dans la municipalité de Vitez, le bâtiment de la

16 police en juin 1992.

17 M. le Président. - Excusez-moi d'interrompre, mais je crois

18 qu'il faut aller un peu plus lentement parce que je vois dans le

19 transcript "Fuad Kaknjo" et nous savons que Fuad Kaknjo était un ingénieur

20 mécanicien, mais la traduction française m'a dit qu'il était un

21 mécanicien. Je crois que "ingénieur mécanicien" est différent de

22 "mécanicien" seulement.

23 Donc, pour éviter d'ultérieures corrections, il faut peut-être

24 aller plus lentement et, comme je vous l'ai dit, Maître Meddegoda, si vous

25 ne respirez pas, vous n'arriverez pas à la fin. Pouvez-vous aller

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1 lentement, nous vous ferons le cadeau.

2 M. Meddegoda (interprétation). - Oui, je m'y conformerai.

3 Par la suite , Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le

4 témoin a parlé des tensions qui s'exacerbaient entre les Croates et les

5 Musulmans ainsi que du conflit entre les Croates et les Musulmans. Il a

6 évoqué les différents incidents qui se sont produits dans la zone après la

7 prise de pouvoir et la prise du bâtiment de la municipalité de Vitez, la

8 station de police en juin 1992 ainsi que des tentatives de calmer la

9 situation. En novembre 1992, une tentative a été faite par le HVO pour que

10 le témoin remette son pouvoir, le pouvoir du conseil exécutif. Cet

11 incident ainsi que d'autres incidents ont précédé l'attaque du

12 16 avril 1993 menée par le HVO et qui a entraîné son arrestation.

13 Pendant la période de sa détention à Kaonik, le témoin a fait

14 l'objet d'interrogatoires et de coups. Il a été interrogé par le HVO au

15 sein et à l'extérieur du camp. Il a également été soumis à une torture

16 psychologique. Il a été interrogé au sein du bâtiment de l'unité

17 d'intervention, au sein du camp de Kaonik par Zarko Petrovic. La

18 conséquence de ces coups qu'il a reçus était des bleus sur ses yeux et la

19 région des reins a été touchée.

20 Après cet interrogatoire, le témoin a été ramené dans sa cellule

21 d'où il a pu entendre une conversation par téléphone où Swabo a dit :

22 "Commandant, tout va bien ici, j'ai terminé mon travail."

23 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le témoin Sivo, un

24 haut responsable de l'administration locale de Vitez avant le conflit et

25 pendant le conflit, a dit qu'avec la création de la HV du HVO une tendance

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1 s'est développée parmi les autorités croates de vouloir dominer l'ensemble

2 de la population musulmane et, selon M. Sivo, les Croates ont commencé à

3 s'emparer de tous les bâtiments, de toutes les institutions, de toutes les

4 administrations, y compris la police, la poste, le bâtiment de la

5 municipalité et plus ou moins tous les bâtiments publics qui existaient à

6 l'époque, et ceci s'est fait par emploi de la force.

7 Le drapeau croate assorti du damier et des insignes particuliers

8 de ce drapeau a été hissé sur un certain nombre d'entreprises publiques

9 pour indiquer qu'elles étaient sous le contrôle Croate.

10 Le témoin a témoigné en parlant d'une parade militaire organisée

11 par le HVO à la fin de 1992 au cours de laquelle les soldats ont prêté

12 serment d'allégeance à la patrie. A cette parade commandée par Mario

13 Cerkez, assistaient Dario Kordic, Tihomir Blaskic et d'autres dirigeants

14 politiques et militaires importants du HVO et, témoignant au sujet d'un

15 incident qui s'est déroulé le 20 octobre 1992 et qui a causé la mort d'un

16 membre de l'armée musulmane, le témoin a déclaré que c'est là que se situe

17 le début de la dégradation des relations entre les Croates et les

18 Musulmans. Les commerces, les cafés, les entreprises, tout ce qui était

19 propriété musulmane a été détruit, soit à l'explosif, soit par l'emploi de

20 la force physique.

21 Ce témoin a également été interrogé par des membres du HVO à

22 plusieurs reprises. Il a corroboré la déposition de Kaknjo en disant qu'il

23 avait vu des ecchymoses visibles et des traces de passages à tabac sur les

24 épaules et les joues de Kaknjo.

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'affirme que cette

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1 déposition correspond à celle d'autres témoins de l'accusation sur tous

2 les aspects matériels relatifs aux faits.

3 Dzido Osmancevic, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, a

4 déclaré que les soldats du HVO ont arrêté d'autres personnes de son

5 village en même temps que lui et que toutes ces personnes ont été emmenées

6 dans le camp de Kaonik où elles ont subi la fouille routinière,

7 l'enregistrement et l'incarcération.

8 Il a dit que parfois, lorsqu'il revenait d'avoir creusé des

9 tranchées, l'accusé était présent devant l'entrée du deuxième hangar et

10 qu'il avait en main la liste sur laquelle figurait leur nom et qu'il

11 demandait si tous les détenus étaient bien présents.

12 Lors d'une autre audience, le témoin a décrit une tentative

13 d'évasion par un détenu et ce récit correspond et corrobore le témoignage

14 d'autres témoins sur le même point.

15 Hamdo Dautovic, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, a

16 décrit en détail son arrestation et les violences qui ont accompagné son

17 transport jusqu'au camp. Il a subi des passages à tabac très durs et des

18 interrogatoires cruels. "Une fois", dit-il, "j'étais debout, je suis resté

19 debout aussi longtemps que je le pouvais pendant qu'ils me frappaient.

20 Ensuite, je me suis assis pendant qu'ils continuaient à me frapper et,

21 finalement, Brane s'est assis sur mon dos pour me frapper. J'étais couché

22 sur le ventre, il y avait une espèce de microphone devant ma bouche et ils

23 ont continué à me frapper en me disant de répéter ce qu'eux disaient.

24 C'est exactement ce que j'ai fait. J'ai répété ce qu'ils me disaient de

25 dire et tout cela s'accompagnait de coups incessants."

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1 Une autre fois, ce témoins a reçu l'ordre de sortir de sa

2 cellule et a été frappé très durement et, Monsieur le Président, Messieurs

3 les Juges, rappelons-nous également l'incident relaté par ce témoin au

4 cours duquel lui-même et trois autres hommes ont été contraints de jouer

5 un monodrame comme le témoin l'a appelé. Il a dit : "Nous avons été forcés

6 de nous coucher sur le dos, de former une croix avec nos corps, et de

7 chanter ce que nous ordonnaient les gardes. De nombreuses humiliations

8 nous ont été infligées à ce moment-là, et Zlatko faisait partie des hommes

9 qui nous humiliaient. Ils parlaient, ils bavardaient et ils nous

10 frappaient. Nous étions à leur merci et cela a duré longtemps. Nous étions

11 couchés au sol.

12 Il n'existait aucun lieu pour les services religieux, les

13 prières n'étaient possibles que dans mes pensées et dans mes désirs", dit

14 le témoin.

15 Se plaignant auprès de l'accusé de son état de santé, le témoin

16 a été emmené au centre de santé de Busovaca. Interrogé par le médecin,

17 l'accusé a déclaré que le témoin avait pris froid et qu'il avait besoin

18 d'une piqûre mais qu'il ne souffrait de rien d'autre. Toutefois le témoin

19 a dit au médecin qu'il avait du sang dans les selles et dans ses urines ;

20 et le témoin poursuit : "Constatant que j'étais entièrement noir et bleu,

21 le médecin a dit au directeur : "C'est un comportement animal, ce témoin a

22 besoin de soins."." Donc cette femme-médecin a dit cela à l'accusé.

23 L'accusé a répondu que le témoin avait reçu des soins, qu'ils

24 avaient à la prison une pièce spécialement réservée aux malades et que

25 donc, le témoin n'avait pas besoin de rester à l'hôpital. A son retour

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1 dans le camp, le témoin a demandé à l'accusé de réduire ses portions

2 alimentaires parce qu'il ne pouvait plus manger en raison des passages à

3 tabac et l'accusé lui a garanti que plus personne n'allait le frapper.

4 Cependant, selon le témoin, Monsieur le Président, Messieurs les

5 Juges, à partir de ce moment-là, le témoin dit : "J'ai été frappé encore

6 plus, j'ai reçu encore plus de coups. Je regrette de m'être plaint auprès

7 du directeur parce que j'ai reçu encore plus de coups", dit le témoin.

8 Le témoin a identifié un garde du camp appelé Medjugorac comme

9 étant celui qui frappait le plus, comme étant celui qui lui avait dit

10 qu'il ne sortirait pas vivant du camp. Le témoin déclare : "C'est lui qui

11 m'a frappé le plus et pour moi, c'était une sentence de mort quand il

12 était là à cause de tous les coups qu'il m'infligeait. Et si qui que ce

13 soit avait envie de frapper un prisonnier, c'est moi que l'on

14 choisissait".

15 Décrivant l'attitude des gardes, le témoin déclare : "Ils

16 disaient, nous avons à boire mais nous n'avons pas à manger et donc nous

17 avons besoin de manger. Que pouvons-nous faire ?. Et à ce moment-là,

18 j'étais frappé, parce que c'était moi qui était leur nourriture. Le pire

19 moment, c'était le moment où la clef tournait dans la serrure de la

20 cellule pour l'ouvrir, le moment où on s'attendait à être frappé et

21 ensuite il y avait les coups effectifs, 10, 20 coups, des coups de pied, à

22 la fin je suis devenu immunisé contre les coups", dit le témoin.

23 Répondant à la question de savoir s'il savait si l'un quelconque

24 des gardes, qui l'ont frappé, ont été punis par le commandant du camp, le

25 témoin déclare :"Je crois qu'il ont été récompensés par le directeur". Le

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1 jour de sa remise en liberté, Hamdo a entendu Goran Medjugorac dire au

2 directeur : "Ne m'aviez-vous pas promis que Dautovic ne sortirait pas

3 vivant d'ici ?" En réponse à quoi, l'accusé lui a dit : "Tu verras, il va

4 mourir de toute façon. Il est préférable qu'il meure sous leur garde que

5 sous la nôtre".

6 Le témoin a comparé sa libération de cette prison comme une

7 nouvelle naissance, comme le passage de la mort à la vie.

8 Le témoin T, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, un

9 témoin qui a subi des passages à tabac et des tortures très dures au cours

10 de sa détention, déclare qu'en chemin vers Kaonik, il a été frappé à coups

11 de crosse de fusil et qu'à Kaonik, ils ont commencé à le torturer. Il a

12 été frappé à la tête, dans la région des reins, avec des bottes

13 militaires, ils ont sauté sur son corps, ces tortures et ces coups ont

14 duré près de 10 minutes. Le soir, l'accusé a pénétré dans sa cellule

15 accompagné de Dzemo et de Medjugorac. Il dit que plus tôt, au cours de la

16 journée, l'accusé l'avait insulté et avait insulté l'Islam.

17 Dans la cellule, l'accusé l'a frappé à la poitrine, et selon les

18 instructions de l'accusé, Medjugorac a ensuite commencé à lui donner des

19 coups de pieds et à sauter sur son corps.

20 Pendant tout ce passage à tabac et ces tortures, l'accusé était

21 présent. En conséquence de ces coups, le corps du témoin était entièrement

22 noir, couvert d'ecchymoses, et ses yeux étaient violets en raison des

23 tortures. Son corps souffrait en raison des coups, des passages à tabac,

24 et il saignait du nez et de la bouche, il a remarqué du sang dans ses

25 urines. Il a parlé des conséquences à long terme de ces passages à tabac,

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1 de ces tortures en disant : "Aujourd'hui j'ai constamment des migraines,

2 je ne peux pas me concentrer, quand je dors je ne respire pas bien, j'ai

3 mal dans la région des reins. J'ai commencé à avoir des douleurs dans la

4 poitrine, des troubles du coeur et j'en suis arrivé au point où je ne

5 cherche même plus à savoir exactement ce qui ne va pas chez moi".

6 Monsieur le Président, Messieurs es Juges, j'aimerais maintenant

7 parler des éléments de preuve en réfutation de l'accusation. La défense a

8 affirmé grâce à ses témoins que les détenus emmenés au centre de santé de

9 Busovaca recevaient des traitements et des soins et qu'en fait ils étaient

10 ensuite renvoyés chez eux. L'accusation a cité des témoins que nous

11 voulions entendre, et le témoin V a déclaré qu'à certains moments, son

12 état de santé s'est dégradé, et qu'après avoir été emmené au centre de

13 santé, il avait été recommandé qu'il soit soigné chez lui.

14 Ignorant cette recommandation, le commandant du camp a fait un

15 geste signifiant "Je n'en ai rien à faire". L'accusé n'a pas seulement

16 ignoré les recommandations médicales, mais le lendemain il a également

17 autorisé le témoin à être emmené pour des travaux très durs, pour creuser

18 des tranchées et enterrer des morts. Et ces tranchées étaient creusées sur

19 les lignes du HVO.

20 Le témoin W a subi les mêmes conditions. Au cours de sa

21 détention, son état de santé s’est dégradé. Il a été emmené au centre de

22 santé où, après examen médical, on lui a dit de retourner chez lui et de

23 suivre un traitement. Là encore, ignorant la recommandation du médecin, le

24 commandant du camp a ordonné que le témoin soit placé en détention dans

25 une cellule.

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1 L'accusé n'a pas seulement ignoré les recommandations du

2 médecin, mais le lendemain, ce témoin aussi a été emmené à Kula pour

3 creuser des tranchées sur les lignes de front du HVO dans des conditions

4 de grand danger.

5 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, parmi les témoins

6 représentant la communauté internationale, Charles McLeod, qui était

7 membre de la Commission européenne d'observateurs dans l'ex-Yougoslavie, a

8 déposé au sujet de sa visite dans le camp de Kaonik, le 10 mai 1980,

9 accompagnant M. Jean-Pierre Thebault : l'entrée du camp était gardée par

10 des hommes en uniforme militaire. A la rencontre qu'il a eue avec

11 l'accusé, le témoin a pris des notes pendant le plus gros des entretiens.

12 Et d'après la déposition de M. McLeod au cours de cette réunion,

13 l'accusé a déclaré qu'il vivait dans le camp de Kaonik et qu'il était

14 conscient de ses compétences professionnelles en tant que responsable

15 d'une prison, ayant déjà travaillé dans la prison de Zenica. Etant

16 responsable professionnel d'une prison, il avait accepté...il savait

17 comment devait être gérée une prison. Et je citerai les mots précis

18 utilisés par le témoin : "Il disait qu'il connaissait la façon dont les

19 Conventions de Genève doivent s'appliquer à l'administration d'une prison,

20 et qu'il utilisait ses connaissances professionnelles pour veiller à ce

21 que la prison soit gérée conformément à la réglementation en vigueur ".

22 L'accusé a aussi reconnu les mauvaises conditions qui régnaient

23 dans le camp de Kaonik. A l'époque de cette visite, il y avait un grand

24 nombre de prisonniers musulmans mais ces nombres se sont encore accrus en

25 avril et au début du mois de mai, puisqu'ils ont atteint 107 prisonniers

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1 le 16 avril, et 109, le 19 mai 1993.

2 L'accusé a reconnu que des civils et des militaires étaient

3 détenus dans cette prison et que la plupart du temps, c'étaient des gens

4 pauvres qui restaient en prison. Il reconnaissait également qu'aucun des

5 Musulmans n'avaient été accusés de violation de la loi et que, la plupart

6 du temps, les détenus étaient des enseignants et des ingénieurs.

7 L'accusé a admis qu'il connaissait les Conventions de Genève et

8 a affirmé que pratiquement toutes ces règles émanant des Conventions de

9 Genève étaient respectées. Admettant savoir que les détenus étaient

10 emmenés creuser des tranchées, l'accusé a reconnu que les dispositions des

11 Conventions de Genève n'autorisent pas à emmener des prisonniers accomplir

12 un travail pénible, si leur vie est en danger. Ayant été prévenu de cela

13 par le CICR, il savait ce qu'il en était.

14 Comme l'a dit M. McLeod, l'accusé a en fait reconnu sa

15 responsabilité vis-à-vis des prisonniers détenus au camp de Kaonik. Il a

16 également reconnu qu'il savait que les prisonniers étaient maltraités par

17 les gardes. Au cours de la réunion, l'accusé a en fait pris la décision de

18 libérer un prisonnier. Lorsque le témoin lui a demandé quelle était la

19 base de l'incarcération de ce prisonnier, le témoin a dit : "Il fait

20 remarquer calmement que si cela avait été moi, je l'aurais envoyé à Zenica

21 plutôt que de le placer dans une cellule. Aleksovski a répondu que dans ce

22 cas puisque l'homme était manifestement un civil, nous pouvions le ramener

23 avec nous à Zenica. Il a dit à cet homme de prendre son manteau et de

24 quitter la cellule.

25 Alors que nous étions encore en train de nous parler, ils ont

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1 organiser le transport de cet homme dans une voiture, pour le ramener à

2 l'endroit où il avait été arrêté ".

3 Ceci prouve manifestement que l'accusé avait non seulement

4 connaissance de tout ce qui se passait dans le camp, mais qu'il exerçait

5 également un pouvoir de commandement et de contrôle sur tous les

6 événements qui se produisaient dans le camp mais également sur les

7 détenus, les gardes et les soldats.

8 L'accusation a également versé, par le biais de ce témoin, la

9 pièce P 7 ; une liste imprimée par ordinateur, des prisonniers musulmans

10 détenus à l'époque, qui lui avait été communiquée par l'accusé.

11 Au moment de décrire ce qu'il a vu lorsqu'il a visité certaines

12 cellules, le témoin a déclaré que les détenus étaient vêtus de vêtements

13 civils et qu'ils semblaient être des civils. Nous avons rencontré deux

14 soldats, mais ils nous ont été présentés comme étant des prisonniers

15 militaires croates qui avaient commis des crimes qui ne nous ont pas été

16 précisés. Ils portaient un uniforme.

17 Selon M. McLeod, malgré sa demande de parler et de s'entretenir

18 en privé avec les prisonniers, les gardes sont toujours restés dans la

19 cellule. Et il était à peu près certain que si l'occasion s'était

20 présentée, les individus détenus auraient aimé nous dire ce qui se passait

21 exactement.

22 Il a répété sa position, à savoir que les prisonniers étaient

23 des hommes entre 20 et 40-50 ans, alors que d'autres étaient plus âgés ;

24 qu'ils portaient des vêtements civils de différents types, sauf les deux

25 prisonniers militaires croates qui portaient un uniforme.

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1 Le témoin confirmant qu'il y avait des différences de traitement

2 entre les prisonniers croates et les prisonniers musulmans, il a déclaré :

3 "Il y avait une différence manifeste entre le nombre de personnes détenues

4 dans chaque cellule. Il y avait probablement entre quatre et dix personnes

5 dans une cellule, alors que les deux prisonniers militaires croates

6 partageaient une seule cellule. Et les cellules vraisemblablement

7 n'avaient pas été prévues pour accueillir le nombre de personnes que nous

8 avons vues dans ces cellules. "

9 Les soldats croates détenus semblaient en bonne santé et joyeux.

10 Leur cellule était pleine d'objets qui semblaient leur appartenir, alors

11 que les autres détenus vraisemblablement ne semblaient pas avoir à leur

12 disposition des biens personnels. Par conséquent, on pouvait très bien

13 voir la différence.

14 Messieurs les Juges, M. Junhov, également membre de la mission

15 d'observation de la Communauté européenne, a déclaré avoir reçu des

16 informations sur les camps dans la région et a déclaré avoir visité le

17 camp de Kaonik avec un collègue allemand en juin 1993. Lorsqu'il est

18 arrivé, il a demandé que des photos soient prises et une personne s'est

19 présentée à lui comme étant responsable de la prison. "L'un des

20 bâtiments", a dit le témoin, "ressemblait à un dépôt militaire tout à fait

21 typique dans l'armée suédoise". Lorsqu'il est rentré dans le bâtiment avec

22 les cellules, le commandant a déclaré qu'il s'agissait d'une prison où

23 étaient détenus des criminels de droit commun.

24 En posant de nouvelles questions et en allant voir un peu plus

25 loin, il a découvert un homme qui était en isolement et qui purgeait une

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1 peine de prison de dix ans et une autre cellule dans laquelle il a aperçu

2 cinq personnes qui avaient été arrêtées. Selon le commandant, il

3 s'agissait de prisonniers sans passeport ni papiers.

4 Cependant, les cinq prisonniers se sont décrits comme étant des

5 missionnaires soutenant le peuple musulman en Bosnie, d'Egypte, du

6 Pakistan, de Tunisie et d'Algérie, détenus sans aucune raison, quelle

7 qu'elle soit. Après une question posée par M. Junhov, l'un d'entre eux a

8 répondu : "Je ne sais pas, je n'ai rien fait de mal, j'ai juste été arrêté

9 et placé ici." Aucun d'entre eux n'avait été accusé d'un quelconque crime.

10 En décrivant les conditions régnant dans ce camp, il a déclaré

11 qu'il n'était pas acceptable de maintenir les gens en détention dans de

12 telles conditions, que les conditions étaient très, très mauvaises à tous

13 les égards dans la prison. Vraisemblablement, les cellules étaient très

14 sales et l'odeur était terrible. Les prisonniers étaient très sales,

15 n'étaient pas rasés, portaient des vêtements sales sans aucune possibilité

16 de prendre de douche, et ceci depuis un mois.

17 Bouleversé par ces conditions, il en a parlé avec le commandant

18 qui a reconnu qu'il connaissait les Conventions de Genève, dont il a dit

19 d'ailleurs qu'un exemplaire se trouvait sur son bureau. Monsieur Junhov,

20 parlant de son opinion au commandant, a dit : "Les conditions dans la

21 prison n'étaient pas en conformité avec les dispositions des Conventions."

22 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre, mais

23 j'aimerais bien vous demander de combien de temps vous avez besoin pour

24 terminer.

25 M. Meddegoda (interprétation). - Je pensais finir d'ici à la

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1 première pause qui aurait été à 10 heures 45, je crois. Je pense que je

2 pourrai en finir à 10 heures 45 ou très peu de temps après.

3 M. le Président. - Vous pouvez continuer.

4 M. Meddegoda (interprétation). - Merci, très bien.

5 Dans le cadre de son témoignage, M. Junhov a également dit qu'il

6 était présent au cours d'un échange et qu'il s'agissait en fait d'un

7 échange assez cruel. Il dit également avoir vu des soldats du HOS en

8 uniforme noir appartenant à des unités militaires croates autres que le

9 HVO à différents endroits dans l'ensemble de la Bosnie centrale, et chaque

10 fois qu'il a vu ces unités du HOS, selon lui, on pouvait prévoir des

11 problèmes. Et c'est quelque chose qui s'est révélé vrai à chaque fois.

12 Au cours du contre-interrogatoire, parlant du contrôle exercé

13 par le commandant sur le camp, le témoin dit qu'il avait eu l'impression,

14 lorsqu'on lui parlait et d'après son comportement, etc., "qu'il était

15 indiscutable que c'était bien lui qui était responsable, en tout cas,

16 qu'il était responsable de ce bâtiment-là, mais j'étais d'avis qu'il était

17 responsable de l'ensemble de la zone."

18 Le témoin n'a cessé de dire également que le commandant et les

19 gardes portaient les mêmes vêtements que les vêtements croates dans

20 l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine.

21 Sans m'attarder trop longuement sur le témoignage du témoin K,

22 je dirais simplement qu'il a versé deux cartes décrivant les lignes de

23 front tenues par le HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il a déclaré que

24 le HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine avaient creusé des tranchées le

25 long des lignes de front. Les soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine

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1 avaient creusé leurs propres tranchées et personne d'autre que des soldats

2 n'avait été utilisé à cette fin.

3 Cependant, pour ce qui est des tranchées du HVO, il avait

4 entendu des rapports du commandant sur le terrain, disant que, outre les

5 soldats, des civils détenus par le HVO avaient été également utilisés.

6 D'après des rapports, il a également entendu que des civils avaient été

7 utilisés en tant que boucliers humains par le HVO.

8 Daniel Damon, un journaliste indépendant, est venu témoigner

9 devant cette Cour, il travaillait pour Sky News. Il a parlé de la période

10 de 1992 et qu'au cours de cette période, il avait aperçu un nombre très

11 important de soldats croates, des soldats des forces croates et que cet

12 endroit était en fait une base pour les forces croates qui entraient et

13 sortaient de Bosnie. C'était également une base importante de police pour

14 les autorités croates sur la frontière et à l'intérieur de la Bosnie.

15 Il a déclaré que la plupart des journalistes, sinon tous,

16 pensaient que les forces qui se trouvaient à l'intérieur de la Bosnie et

17 qui portaient l'insigne croate venaient des deux côtés de la frontière

18 entre la Bosnie et la Croatie. D'après les circonstances politiques et

19 logistiques, il semblait évident que ces soldats étaient à la fois des

20 Croates de Bosnie et des Croates venant de la Croatie même.

21 Donnant un exemple précis, il dit avoir vu un véhicule portant

22 une plaque d'immatriculation croate et transportant des soldats croates,

23 et non une plaque du HVO, et il a vu ce véhicule à l'intérieur de la

24 frontière, en allant de l'autre côté de la frontière, en allant vers

25 Tomislavgrad. Il a dit qu'il n'avait pas véritablement fait attention à la

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1 différence entre les soldats croates et les soldats du HVO parce que, pour

2 eux, les soldats qui portaient des insignes de la HV et du HVO étaient les

3 mêmes.

4 Il a également décrit les conditions de Kaonik comme étant

5 inhumaines. Les prisonniers n'avaient aucun accès à des sources d'eau, ils

6 avaient l'air très sales. "Et d'après ce que m'ont dit les prisonniers",

7 dit-il, "ils n'étaient pas très bien traités."

8 Je voudrais maintenant aborder le témoignage du professeur

9 Bianchini. La pièce de l'accusation P36, Messieurs les Juges, était très

10 exhaustive, faisant état des références et des domaines d'expertise du

11 témoin. Ce document parle de lui-même. Son témoignage n'a été que très peu

12 contesté et c'est pour cette raison que je vous invite à vous fonder sur

13 ce témoignage.

14 Il a notamment parlé de la composition politique de la

15 République socialiste fédérative de Yougoslavie, puis a abordé entre

16 autres le sujet de l'impact des deux guerres mondiales sur l'ex-

17 Yougoslavie, la montée de Tito au pouvoir et les différents modèles

18 constitutionnels de la Yougoslavie de Tito, les facteurs qui ont mené au

19 démantèlement de l'ex-Yougoslavie, la montée au pouvoir des dirigeants

20 politiques actuels dans les différentes républiques, les plébiscites qui

21 ont été organisés dans les différentes républiques et les déclaration et

22 proclamations d'indépendance, la structure des forces armées avant et

23 après 1991, la composition ethnique des différentes républiques et

24 l'apparition de partis politiques.

25 Il a ensuite abordé les structures politiques et militaires de

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1 la Bosnie-Herzégovine et de la République de Croatie et le rapport entre

2 la République de Croatie et le HDZ en Croatie, d'une part, et le rapport

3 entre la Croatie et les Croates de Bosnie, la communauté croate

4 d'Herceg-Bosna et le HVO, de l'autre.

5 Le professeur Bianchini a déclaré que la Croatie avait apporté

6 un soutien politique militaire et économique aux Croates de Bosnie, leur

7 fournissant des ressources financières, des armes, des munitions et des

8 soldats, et le témoin a versé certains documents venant à l'appui de son

9 témoignage.

10 L'accusation vous invite, Messieurs les Juges, à tenir compte du

11 témoignage du témoin X dont le témoignage recueilli dans le cadre du

12 procès Blaskic a été versé au dossier dans le cadre de ce procès. Ce n'est

13 que très récemment que l'accusation a insisté auprès de la Chambre de

14 première instance sur la valeur de cet élément de preuve et sur sa

15 pertinence, permettant d'établir de façon définitive entre autres quelle a

16 été la politique de la Croatie vis-à-vis de la Bosnie-Herzégovine, quelle

17 a été la participation de la Croatie dans le cadre de la guerre qui a eu

18 lieu en Bosnie-Herzégovine et qui conteste donc le témoignage de l'amiral

19 Domazet.

20 Par conséquent, le témoignage du témoin X relatif à l'assistance

21 apportée par la Croatie et à son contrôle du HVO au cours de la guerre,

22 vient soutenir l'argument de l'accusation selon lequel il y avait un

23 conflit armé international dans la zone de Busovaca au cours de la période

24 couverte par cet acte d'accusation et que les crimes commis dans le cadre

25 de Kaonik était liés à ce conflit armé.

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1 Le dossier de ce procès est rempli d'éléments de preuve selon

2 lesquels le gouvernement de Croatie a apporté son assistance au HVO au

3 cours des opération, a apporté certains équipements et a également parfois

4 contrôlé les opérations menées par le HVO contre les forces armées de

5 Bosnie-Herzégovine.

6 En mai 1992, l'armée croate a confié au général de brigade,

7 Zarko Tole, la tâche d'organiser la défense de la Bosnie centrale qui

8 incluait les villes de Busovaca et de Vitez. Au cours de ce même mois,

9 l'armée croate à commencé à organiser l'entraînement d'unités du HVO en

10 Herceg-Bosna et, en juillet 1992, les unités de l'armée croate étaient

11 stationnées à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine afin de protéger

12 "l'intégrité et la sécurité territoriales de la République de Croatie".

13 L'amiral Domazet, témoignant dans le cadre de l'affaire Blaskic,

14 a reconnu que les unités de l'armée croate étaient présentes en

15 Bosnie-Herzégovine au début de 1992. Il est vrai que des officiers de

16 l'armée croate commandaient souvent des unités du HVO et que des unités de

17 l'armée croate ont souvent également participé directement à des

18 opérations menées contre les forces du gouvernement bosniaque sur le

19 territoire de la Bosnie-Herzégovine. En mai 1993, deux brigades de l'armée

20 croate étaient basées à Mostar.

21 Le professeur Bianchini a déclaré qu'à partir de 1992 et ce

22 jusqu'à 1995, le HVO et l'armée de Croatie étaient essentiellement la même

23 armée. Par conséquent, afin d'appliquer les dispositions relatives aux

24 infractions graves des Conventions de Genève 3 et 4, l'action militaire

25 significative et permanente continue des forces armées de la Croatie

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1 venant soutenir les Croates de Bosnie contre les forces du gouvernement

2 bosniaque sur le territoire de l'armée de Bosnie-Herzégovine, était

3 suffisante pour faire du conflit interne entre Croates de Bosnie et le

4 gouvernement bosniaque un conflit international.

5 Dans la présente affaire, les éléments de preuve présentés par

6 l'accusation ont permis d'établir qu'il y avait une participation directe

7 de l'accusé dans des attaques, des interrogatoires abusifs et

8 l'utilisation de civils détenus et de prisonniers de guerre en tant que

9 boucliers humains et en tant que personnes étant forcées de creuser des

10 tranchées sur les lignes de front. Il y a eu également des traitements

11 cruels à la fois physiques et mentales : des prisonniers ont été frappés

12 plusieurs fois, et l'accusé a ordonné aux gardes d'exécuter de tels actes,

13 ce qui implique forcément la responsabilité pénale individuelle de

14 l'accusé au titre de l'article 7(1) du Statut de ce Tribunal.

15 Des témoins ont décrit des passages à tabac et des

16 interrogatoires menés par l'accusé après l'évasion d'un prisonnier.

17 L'accusé a également incité des soldats du HVO à agresser certains

18 détenus, à les soumettre à certaines violences dans la prison et, lorsque

19 l'accusé n'a pas participé activement à de tels passages à tabac, il a

20 souvent encouragé ce type de comportement en restant là, à côté, et en

21 riant, en faisant des plaisanteries alors que les gardes de la prison et

22 les soldats passaient les détenus à tabac.

23 Les soldats du camp ou les gardes du camp utilisaient les mots

24 "bal" pour décrire leurs actes de mauvais traitements, de passages à tabac

25 et d'autres types de provocations.

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1 L'accusé a également participé au fait d'envoyer les prisonniers

2 sur les lignes de front pour y creuser des tranchées. En fait, par le

3 biais de cette conduite terrible, l'accusé a contribué directement à la

4 commission de crimes contre les prisonniers qui se trouvaient au camp de

5 Kaonik, ce qui, à nouveau, implique sa responsabilité pénale en vertu de

6 l'article 7(1).

7 Les éléments de preuve présentés au cours du procès montrent que

8 l'accusé détenait un poste d'autorité à la prison de Kaonik. L'accusé a

9 reconnu que Kaonik était une prison militaire pour toute la Bosnie

10 centrale. La plupart des personnes travaillant à Kaonik étaient vêtues

11 comme des soldats ordinaires et certains portaient des insignes du HVO.

12 L'entrée de l'enceinte de la prison était gardée par des soldats et par

13 des membres de la police militaire. C'était une petite structure qui, au

14 départ, était une caserne militaire et qui avait été adaptée pour devenir

15 une prison.

16 L'accusé a déclaré à son ancien responsable qu'il quittait la

17 prison dans laquelle il se trouvait auparavant pour devenir directeur de

18 la prison militaire de Kaonik. D'autre part, selon Blazenka Vujica, qui

19 était la secrétaire à la prison, secrétaire de l'accusé, Kaonik était

20 effectivement une prison militaire. Mme Vujica était membre de la police

21 militaire et cette institution lui a confié la tâche d'être la secrétaire

22 de l'accusé à Kaonik.

23 Le rôle principal de l'accusé était de superviser l'organisation

24 et le fonctionnement de la prison militaire. Mme Vujica a déclaré que

25 certains prisonniers avaient été incarcérés à Kaonik sur ordre du Tribunal

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1 militaire du district de Travnik qui supervisait la prison militaire.

2 D'autres étaient là pour purger certaines peines qui leur avaient été

3 imposées par leur commandant. Mme Vujica a déclaré qu'au cours du conflit

4 armé, de nombreuses institutions civiles ont cessé de fonctionner et que

5 c'est l'armée qui a assuré l'exécution de certaines tâches telles que

6 l'approvisionnement en nourriture, en vêtements, etc.

7 Au cours de la période au cours de laquelle Mme Vujica a

8 travaillé pour l'accusé à Kaonik, des civils musulmans étaient maintenus

9 en détention dans un bâtiment appelé "la prison militaire du district".

10 Les civils étaient amenés à la prison par la police militaire et l'armée

11 du HVO. L'accusé était responsable de tous les prisonniers incarcérés à

12 Kaonik, quels que soient leurs statuts ou leurs classifications.

13 Par conséquent, les éléments de preuve présentés au cours du

14 procès prouvent au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé faisait

15 partie de la filière de commandement du HVO. Il exécutait des ordres qu'il

16 recevait de ses supérieurs hiérarchiques et donnait des ordres à ses

17 subordonnés, toujours dans le cadre du HVO.

18 Par conséquent, aux fins de prouver la responsabilité de

19 supérieur hiérarchique de l'accusé pour les crimes figurant dans l'acte

20 d'accusation aux termes de l'article 7 3, nous avons montré qu'il était un

21 lien, une partie intégrante de la filière de commandement militaire

22 responsable de la prison de Kaonik. Les éléments de preuve montrent que

23 l'accusé avait suffisamment de pouvoir afin de prendre des mesures

24 raisonnables visant à prévenir la perpétration de crimes et de délits dans

25 le cadre du camp de Kaonik et d'en punir les auteurs.

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1 En tant que commandant de la prison de Kaonik, l'accusé avait

2 une tâche spécifique qui devait soutenir l'effort de guerre croate. Selon

3 les propres témoins de l'accusé, il était chargé du fonctionnement

4 quotidien de la prison, exécuter des ordres reçus de ses supérieurs et

5 donner des ordres à ses subordonnés. J'affirme que l'accusation a présenté

6 de nombreux éléments de preuve au cours du procès prouvant, démontrant que

7 l'accusé était commandant de la prison de Kaonik, qu'il exerçait un

8 certain pouvoir et une certaine autorité sur les responsables du camp qui

9 étaient placés sous lui. Notamment, il avait le pouvoir de contrôler leurs

10 agissements et de les punir pour leurs crimes.

11 Les aveux de l'accusé, Messieurs les Juges, dans ce domaine sont

12 les meilleures preuves qu'il détenait un poste d'autorité. Généralement,

13 l'accusé se présentait aux nouveaux arrivants à Kaonik comme étant le

14 commandant de la prison. Le témoin O a déclaré que, après s'être présenté,

15 l'accusé a réassuré les détenus de façon cynique en leur disant qu'ils

16 n'avaient rien à craindre, qu'ils étaient en sécurité. Le lendemain,

17 quinze hommes du groupe du témoin O ont été emmenés à l'extérieur pour

18 servir de boucliers humains pour les forces du HVO.

19 L'accusé a dit à un autre groupe de nouveaux arrivants : "Je

20 suis le directeur de la prison de Kaonik et vous êtes maintenant sous ma

21 responsabilité". Effectivement, l'accusé avait le pouvoir de libérer des

22 civils musulmans de la prison. La secrétaire de l'accusé a reconnu qu'il

23 commandait la prison. Elle dit : "Nous étions aux ordres de M. Aleksovski,

24 par conséquent il n'y avait pas de problème". Et il est clair que les

25 gardes de la prison respectaient l'autorité de l'accusé.

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1 Au cours du procès, le témoin Meho Sivro a décrit ses premiers

2 instants passés au camp : "Ce soldat criait sur nous. Il disait : Ne

3 bougez pas, n'osez pas faire le moindre mouvement parce que notre

4 commandant est là, il faut que vous restiez tranquilles".

5 A nouveau, la secrétaire de l'accusé a décrit l'autorité de

6 commandement qu'exerçait l'accusé sur le personnel de la prison. Les

7 commandants d'unité ne pouvaient pas donner d'instructions de leur propre

8 initiative, ils devaient attendre les instructions du directeur. Lorsque

9 des personnes inconnues demandaient l'autorisation d'avoir accès au camp,

10 les gardes qui étaient de service à l'entrée devaient consulter l'accusé

11 afin de donner cette autorisation aux visiteurs.

12 Chaque fois que de nouveaux détenus arrivaient au camp de

13 Kaonik, le personnel constituait une liste des noms des nouveaux arrivants

14 et ce, sur instruction de l'accusé. Lorsqu'un membre de la mission

15 d'observation de la Communauté européenne a visité le camp, l'accusé a

16 fourni aux représentants de l'ECMM une liste complète de tous les détenus

17 emprisonnés dans le camp. En bas de la liste, on pouvait lire : "Directeur

18 de la prison militaire du district" et le nom de l'accusé.

19 Lorsque des prisonniers de Kaonik étaient nécessaires afin

20 d'exécuter certaines tâches de travaux forcés sur les lignes de front, les

21 gardes de la prison obtenaient une liste de noms au bureau de l'accusé et

22 les prisonniers qui se trouvaient sur la liste étaient appelés ce jour-là

23 pour aller creuser des tranchées. Parfois, l'accusé se tenait près de la

24 scène et observait les gardes faisant leur travail. D'autres fois,

25 l'accusé s'occupait lui-même de la liste et il disait simplement cinq ou

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1 dix noms, selon les nécessités, et ensuite ces personnes partaient.

2 Régulièrement, l'accusé était présent lorsque les détenus

3 revenaient à Kaonik et il demandait aux gardes si les prisonniers étaient

4 tous là. Parfois, certains des prisonniers ne sont pas revenus. Les

5 éléments présentés au cours du procès par l'accusation montrent que

6 l'accusé a fait usage de son autorité de commandement et de son pouvoir,

7 afin de maltraiter certains prisonniers. Il est arrivé que l'accusé

8 ordonne à un garde appelé Jarko de frapper le témoin L. L'accusé a

9 également ordonné en une autre occasion à un garde, M. Medjugorac, de

10 frapper le témoin T, et en ces deux occasions, les gardes de la prison ont

11 immédiatement obéi aux ordres de l'accusé.

12 L'accusé a également mené un groupe de soldats du HVO ou a

13 incité un groupe du HVO à rentrer dans la cellule du témoin M afin que les

14 soldats puissent le frapper, lui et la personne qui se trouvait dans sa

15 cellule.

16 L'accusé a affirmé son autorité sur la prison, et ce à

17 différents égards dans la vie quotidienne de la prison. Par exemple,

18 l'accusé pouvait permettre à certains prisonniers de ne pas se rendre sur

19 le terrain pour aller creuser des tranchées.

20 D'autre part, lorsqu'une délégation de l'ECMM a visité la prison

21 de Kaonik le 1er avril 1993, ils ont été reçus par un homme qui s'est

22 présenté comme étant la personne responsable de la prison. L'accusé a

23 reconnu qu'il connaissait les Conventions de Genève et qu'il avait un

24 exemplaire de ces Conventions sur son bureau. L'accusé se chargeait

25 également d'autoriser l'accès des médias aux détenus du camp.

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1 Lorsqu'une équipe de télévision est venue au camp de Kaonik pour

2 interviewer certains prisonniers, lui-même et son adjoint, Marko Krilic,

3 ont organisé le tournage, et pendant que le tournage avait lieu l'accusé

4 se tenait à deux ou trois mètres de là, riant et plaisantant.

5 Plutôt que de remplir ses obligations de commandant aux termes

6 de la Convention, l'accusé a souvent fait obstruction au respect des

7 dispositions de ces Conventions. Le témoin M a déclaré à la Chambre de

8 première instance que l'accusé avait retardé son échange parce qu'il avait

9 certains préjugés vis-à-vis de personnes des villages du témoin M.

10 L'accusé a également essayé d'entraver l'échange d’un autre prisonnier au

11 cours de négociations avec des représentants du CICR.

12 Juste avant la libération finale du témoin M, l'accusé lui a dit

13 que, s'il revenait jamais à Kaonik, il n’en ressortirait pas vivant.

14 Effectivement, l'accusé avait le pouvoir de contrôler les événements qui

15 se déroulaient dans la prison parce que c'est lui qui a rédigé le

16 règlement que devaient respecter les gardes de la prison et qui

17 travaillaient pour lui.

18 Par conséquent, les éléments de preuve présentés au cours du

19 procès montrent, au-delà de tout doute raisonnable, que l'accusé était le

20 commandant de la prison de Kaonik et qu'il exerçait de façon active son

21 pouvoir et son autorité sur tous les membres du personnel du camp et sur

22 les prisonniers qui se trouvaient là. Les éléments de preuve montrent

23 également que l'accusé n'a pas exécuté ses obligations en tant que

24 commandant et n'a pas parlé à ses subordonnés du traitement approprié à

25 réserver aux prisonniers qui se trouvaient sous sa responsabilité.

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1 Dans cette affaire, les éléments de preuve montrent que, à

2 toutes les périodes pertinentes, l'accusé exerçait une autorité active sur

3 la prison de Kaonik. Les abus commis ou les agressions commises contre des

4 détenus musulmans dans le camp n'étaient pas seulement généralisés et

5 notoires, l’accusé lui-même a participé à nombre de ces violences. Etant

6 donné les informations qui étaient disponibles, l'accusé avait donc

7 l'obligation de prendre toutes les mesures nécessaires afin de mettre un

8 terme à tout mauvais traitement et d'éviter tout mauvais traitement à

9 venir.

10 Il avait également le devoir d'éviter ce genre d'actes exécutés

11 par les gardes de la prison. Aucun des commandants d'unité n'osait

12 ordonner quoi que ce soit de leur propre initiative. En somme, c'est lui

13 qui réglait la vie qui régnait à la prison.

14 L'accusé avait également la capacité de demander des enquêtes

15 criminelles officielles relatives au mauvais traitement de prisonniers. Il

16 l'a fait au moins à une occasion, en février 1993, lorsque deux

17 prisonniers musulmans ont été tués.

18 Bien que l'accusé ait eu un entretien avec le Juge du Tribunal

19 militaire de district à Mostar sur ces assassinats, il n'a jamais fait

20 mention d'autres violences perpétrées par des soldats du HVO contre les

21 détenus.

22 Tenant compte de ces éléments de preuve, Monsieur le Président,

23 Messieurs les Juges, j'affirme que l'accusation a prouvé au-delà de tout

24 doute raisonnable que l'accusé avait un devoir vis-à-vis des prisonniers

25 de Kaonik, qu'il exerçait le contrôle sur le personnel de la prison et

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1 qu'il avait la possibilité de lancer des enquêtes pénales relatives aux

2 abus commis contre les détenus. L'accusé avait la possibilité de contrôler

3 les gardes de la prison, mais il ne l'a pas fait.

4 En outre, il existe de très nombreux éléments de preuve qui

5 montrent que l'accusé savait bien quelles étaient les violences commises

6 contre les détenus du camp. Il connaissait également très bien les

7 conditions pénibles dans lesquelles vivaient les détenus. Il a dit à un

8 témoin qui a été libéré de la prison de Kaonik : "Tu ne reviendras pas ici

9 en vie". Et l'accusation a également prouvé au-delà de tout doute

10 raisonnable que l'accusé savait que les soldats du HVO maltraitaient les

11 détenus civils.

12 Par ailleurs, l'utilisation de ces prisonniers pour creuser des

13 tranchées s'est déroulée avec l'accord de l'accusé et alors qu'il était

14 conscient de ce fait. En plusieurs occasions, un représentant du CICR a

15 mis l'accusé en garde contre le fait que les prisonniers ne devaient pas

16 être forcés à faire des travaux aussi durs, notamment pas au voisinage des

17 lignes de front. L'accusé serait responsable de tout mal fait aux

18 prisonniers.

19 Cependant cette nuit-là, près de vingt prisonniers ont été

20 emmenés creuser des tranchées. Le témoin S a dit dans sa déposition qu'un

21 jour après avoir creusé des tranchées pendant plusieurs jours, il avait

22 les mains couvertes d’ampoules ; et lorsqu'il a demandé à l'accusé de ne

23 pas l'emmener creuser des tranchées ce jour-là, l'accusé a simplement

24 regardé ses mains, et s'est contenté de partir, et le témoin S a été forcé

25 d'aller creuser encore. Il n'a jamais reçu le moindre traitement médical

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1 pour soigner ses ampoules.

2 Selon le témoin R, l'accusé était présent lorsqu'on emmenait les

3 prisonniers creuser des tranchées ou servir de boucliers humains. L'accusé

4 savait quel était le destin qui attendait certains de ces prisonniers. En

5 fait, après que deux détenus musulmans ont été tués pendant qu'ils

6 creusaient des tranchées, l'accusé a demandé à des médecins de la région

7 de déterminer la cause exacte du décès.

8 Il y avait des occasions où l'accusé demandait à des gardes de

9 la prison de transporter tel ou tel détenu vers le centre médical de

10 Busovaca. Lorsque le témoin W qui souffrait de thrombose a reçu une

11 ordonnance écrite d'un médecin qui demandait qu'il soit soigné chez lui et

12 non dans la prison de Kaonik, le témoin W a présenté cette ordonnance à

13 l'accusé. L'accusé a jeté un coup d'oeil au papier et a donné l'ordre au

14 garde de transférer le témoin W dans une autre cellule. Après quoi, le

15 témoin W a dû rejoindre les équipes qui creusaient les tranchées.

16 L'accusé ne peut pas non plus prétendre qu'il ignorait les

17 normes en vigueur dans une prison bien tenue. Son ancienne secrétaire

18 témoigne : "Il connaissait les règles en vigueur dans les établissements

19 pénitentiaires, il avait une copie du règlement intérieur de la prison de

20 Zenica et de la prison de district de Zenica, je l'ai encore en ma

21 possession". Conformément à ces règlements, "Il est impossible d'exiger

22 d'un prisonnier de travailler dans des conditions dangereuses et tout

23 prisonnier doit toujours avoir accès aux soins médicaux. La force physique

24 ne peut pas non plus être utilisée dans un quelconque processus de

25 resocialisation."

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1 Enfin, Hamdo Dautovic a dit à la Chambre de première instance

2 qu'il avait été constamment frappé au cours de sa détention à Kaonik. L'un

3 des gardes du camp, Goran Medjugorac disait à Dautovic qu'il ne quitterait

4 pas la prison vivant. Le jour où Dautovic a été libéré pour être remis à

5 des membres de la Croix-Rouge internationale, Medjugorac a protesté en

6 s'adressant à l'accusé à qui il a dit : "Ne m'aviez-vous pas promis que

7 Dautovic ne sortirait pas d'ici vivant ?" L'accusé lui a expliqué

8 patiemment, puisque c'était son subordonné, quelle était sa décision et

9 pourquoi il avait décidé de libérer le prisonnier. "Tu sais, il va mourir

10 de toute façon, donc il est préférable qu'il meurt sous leur garde que

11 sous la nôtre", a-t-il dit.

12 S'agissant de la responsabilité de l'accusé au titre de

13 l'article 7(3), l'accusation a démontré au cours de ce procès que l'accusé

14 connaissait effectivement les violations du droit humanitaire

15 international commises contre les prisonniers musulmans pendant qu'il

16 était commandant de la prison de Kaonik.

17 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'accusation a

18 également présenté des éléments de preuve relatifs à la participation

19 directe de l'accusé et aux encouragements qu'il a fournis pour que des

20 abus soient commis contre les prisonniers de Kaonik. L'accusé n'a pas

21 contrôlé ses propres actions ou celles de ses subordonnés, ce qui

22 constitue un mépris contraire à la loi et montre qu'il ne s'intéressait

23 pas au comportement de ses subordonnés et qu'il n'avait aucun souci du

24 bien-être des détenus de Kaonik.

25 Les contrevérités proférées par l'accusé, lorsqu'il a décrit la

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1 vie dans le camp en s'adressant au représentant Charles McLeod de l'ECMM,

2 prouvent bien qu'il connaissait sa responsabilité personnelle, eu égard

3 aux conditions en vigueur dans la prison. L'accusé a expliqué que les

4 civils musulmans étaient internés pour leur propre protection.

5 Au cours de cette même conversation, l'accusé a ensuite avoué

6 que ses actes et omissions étaient en infraction par rapport à ses devoirs

7 légaux vis-à-vis des prisonniers parce que "je sais que les prisonniers ne

8 doivent pas être emmenés travailler si leur vie est en danger. J'en ai été

9 prévenu par le CICR également."

10 La déposition du témoin M, Monsieur le Président, Messieurs les

11 Juges, qui décrit la conduite de l'accusé au cours d'une visite des

12 membres de la Croix-Rouge internationale illustre le mépris de l'accusé

13 pour les principes du droit humanitaire international car "pendant que je

14 mangeais dans ma cellule, j'ai vu l'homme qui se trouvait là, qui était

15 dans un état horrible. Il avait été frappé tous les jours et avait subi

16 toutes sortes de violences. Lorsqu'ils sont entrés dans la cellule n° 4,

17 M. Aleksovski était avec ces messieurs de la Croix-Rouge et, lorsque les

18 représentants de la Croix-Rouge ont demandé pourquoi cette cellule était

19 fermée à clef, il a répondu que c'était une espèce d'entrepôt, de hangar

20 et qu'il n'était pas nécessaire que les représentants de la Croix-Rouge y

21 pénètrent, qu'ils n'avaient pas besoin de voir ce qui s'y trouvait."

22 Dans ce cas, compte tenu de son pouvoir, du contrôle qu'il

23 exerçait, de son autorité en tant que commandant de la prison de Kaonik,

24 l'accusé pourrait avoir donné l'ordre d'interdire les mauvais traitements

25 subis par les prisonniers, ou encore il aurait pu avoir puni ses

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1 subordonnés, responsables de ces violences. Au moins l'accusé aurait pu

2 rapporter les excès commis dans cette prison aux représentants du Tribunal

3 militaire de district.

4 Mais plusieurs témoins de la défense se sont exprimés ici en

5 disant que les conditions de guerre régnant à Busovaca et dans les

6 environs empêchaient l'accusé de permettre que de meilleures conditions

7 règnent dans la prison de Kaonik et que les prisonniers puissent

8 bénéficier de l'appui du droit humanitaire international. Cette

9 proposition ne tient pas. La jurisprudence des tribunaux internationaux

10 montre clairement que c'est notamment en temps de guerre, lorsque des

11 personnes innocentes sont souvent exposées à de terribles souffrances, que

12 les individus doivent exercer tous leurs devoirs de protection afin que

13 soient respectés les droits de l'homme fondamentaux.

14 Le fait que l'accusé dans cette affaire n'ait pas ordonné la

15 totalité des crimes commis contre les détenus de Kaonik ne l'absout pas de

16 sa responsabilité pénale eu égard à ses actes. Monsieur Aleksovski savait

17 que s'il ne punissait pas ses subordonnés, les subordonnés qui étaient

18 responsables de ces mauvais traitements, que s'il ne les empêchait pas

19 d'une autre manière de maltraiter les prisonniers, il créait une base

20 juridique pour sa responsabilité aux termes du droit international.

21 L'accusation a présenté des éléments de preuve qui permettent

22 d'établir que, au cours de la période en question, l'accusé était

23 commandant de la prison de Kaonik et que des détenus musulmans y ont à de

24 nombreuses reprises été soumis à des traitements inhumains tels que

25 meurtre, passages à tabac, conditions de vie sans hygiène, travail forcé,

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1 interruption des prières et vols de propriété personnelle.

2 Les atteintes à la santé physique, mentale et au moral des

3 prisonniers dans la prison de Kaonik sont également particulièrement

4 importantes ainsi que les douleurs, les souffrances et les blessures que

5 les prisonniers ont subies et la perte de leur dignité humaine. Ces

6 incidents, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, sont des

7 manifestations de cruauté qui montrent bien quelle était l'intention

8 criminelle, l'objet poursuivi par l'accusé : infliger des souffrances

9 horribles, des douleurs abominables aux prisonniers de Kaonik. Il n'y a

10 pas d'autre logique permettant d'expliquer une telle conduite.

11 En outre, l'accusation a présenté des éléments de preuve très

12 abondants qui prouvent que ces incidents et nombre d'autres incidents

13 similaires ont provoqué de grandes souffrances aux victimes qui étaient

14 détenues dans cette prison. Un certain nombre de témoins ont également

15 parlé des blessures graves qu'ils ont subies suite aux mauvais traitements

16 qui leur ont été infligés dans la prison de Kaonik. Enfin, les prisonniers

17 ont également été blessés par des coups de feu, des éclats d'obus et

18 certains sont morts alors qu'ils creusaient des tranchées aux abords de la

19 ligne de front.

20 Placer les détenus dans une situation qui, manifestement, leur

21 faisait courir un risque de mort constitue de la part des responsables de

22 la prison un mépris manifeste pour la sécurité de ces détenus. Tous ces

23 éléments de preuve montrent que les détenus musulmans de Kaonik ont subi

24 des blessures graves qui ont affecté leur corps, leur organisme et leur

25 santé au cours des périodes pertinentes mentionnées dans l'acte

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1 d'accusation. Par ailleurs, ces blessures ont été infligées

2 intentionnellement ou dans le mépris le plus manifeste pour les

3 conséquences auxquelles elles pouvaient donner lieu.

4 Pendant le procès, l'accusation a présenté des éléments de

5 preuve qui permettent de démontrer au-delà de tout doute raisonnable que

6 des centaines de civils musulmans ont été mis en détention de façon

7 illégale pendant des mois, dans la prison de Kaonik au cours de

8 l'année 1993. Cette privation de liberté, contraire à la morale, est à

9 elle seule un outrage à la dignité individuelle des détenus.

10 Par ailleurs, ces civils musulmans ont été incarcérés dans des

11 conditions de saleté, de violence, des conditions de vie déplorables et

12 terribles qui étaient intentionnellement calculées pour affaiblir leur

13 corps et briser leur esprit. Comme cela a déjà été dit, c'est précisément

14 lorsque les personnes sont en détention ou lorsqu'elles sont internées que

15 le principe du respect de la personne humaine prévu dans les Conventions

16 de Genève assume toute son importance. Par conséquent, j'affirme

17 qu'emprisonner qui que ce soit, même un criminel convaincu, dans des

18 conditions de ce genre constitue une agression contre la dignité

19 personnelle du détenu.

20 Par ailleurs, forcer des prisonniers à creuser des tranchées, à

21 servir de boucliers humains et à se défaire de ses biens personnels sont

22 autant de formes de violation de la dignité individuelle. Ce qui est

23 curieux, c'est que des criminels convaincus qui servaient leur peine dans

24 l'établissement pénitentiaire civil de Zenica, tout près de Kaonik,

25 n'étaient pas obligés de faire des travaux pénibles dans le cadre de

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1 l'effort de guerre parce qu'ils étaient "protégés par la loi".

2 Par ailleurs, il est arrivé une fois que l'accusé... Toutes ces

3 violences ont été commises contre les prisonniers de Kaonik pendant les

4 périodes pertinentes visées à l'acte d'accusation. Ce type d'abus et de

5 violation de la dignité inhérente des prisonniers musulmans est manifeste.

6 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les éléments

7 présentés au cours de ce procès démontrent au-delà de tout doute

8 raisonnable que l'accusé porte la responsabilité des actes allégués dans

9 l'acte d'accusation aux termes tant de l'article 7(1) que de

10 l'article 7(3). J'affirme, Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

11 qu'il n'y a aucune indication que l'accusé ait déployé un quelconque

12 effort sérieux pour punir ou prévenir les crimes commis contre les détenus

13 de la prison de Kaonik.

14 En conséquence, j'affirme que la Chambre de première instance,

15 sur la base de ces très nombreux éléments de preuve émanant de

16 l'accusation, doit déclarer l'accusé coupable d'infractions graves aux

17 Conventions de Genève et de violations des lois ou coutumes de la guerre

18 dans le cadre des bases de culpabilité que l'on trouve à l'article 7(1) et

19 à l'article 7(3) du Statut de ce Tribunal.

20 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, selon les mots du

21 grand juriste Justinien, je cite : "La justice est le désir constant et

22 permanent de rendre à chacun ce qui lui est dû. Tenez compte de cela

23 lorsque vous penserez aux exigences de la justice. Ce ne sont pas

24 seulement les droits de l'accusé, mais également les droits des victimes

25 innocentes qui sont à prendre en compte."

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1 Je vous remercie, Monsieur le Président.

2 M. le Président. - Merci, Maître Meddegoda. Vous avez donc eu un

3 cadeau de presque 45 minutes, je pourrais dire une heure moins le quart.

4 Nous avons fait une très grand période de travail et je crois qu'il faut

5 faire un cadeau aussi aux interprètes. Nous allons faire une pause de

6 vingt-cinq minutes, c'est-à-dire qu'on va reprendre à 11 heures 20, et

7 merci de vos efforts.

8 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 30).

9 M. le Président. – Maître Mikulicic, êtes-vous prêt maintenant ?

10 C'est à vous, s'il vous plaît.

11 M. Mikulicic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,

12 Messieurs les Juges. Bien entendu, la défense est prête. Cela fait plus

13 d'un an que nous nous préparons à prendre la parole. C'est depuis le début

14 de ce procès.

15 M. le Président. - Et nous vous la donnons.

16 M. Mikulicic (interprétation). - Je vous en remercie encore une

17 fois, Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Il ne fait aucun doute

18 que l'objectif premier de ce Tribunal ainsi que l'objectif principal de

19 cette Chambre de première instance est d'établir la vérité. De même que

20 l'objectif premier de tous les procès devant tous les tribunaux de la

21 planète est de trouver la vérité.

22 Mais une question, la question clé se pose ici, qui est de

23 savoir où est la vérité, où il faut la chercher. J'apprécie beaucoup une

24 thèse philosophique qui dit que la vérité, tout comme l'art, se trouve

25 dans l'oeil de l'observateur. En d'autres mots, l'art est perçu par la

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1 personne qui participe à l'observation de cet art et qu'il en va de même

2 pour la vérité.

3 Cependant, en se posant cette question d'un point de vue

4 juridique, évidemment que nous ne pouvons pas être d'accord, parce que

5 cela signifierait que la vérité n'est qu'une vision subjective de la

6 réalité vue par la personne entourée par une réalité, tout comme les

7 événements, les phénomènes, les expériences vécues par cette personne.

8 Je reste néanmoins convaincu que cette norme philosophique de

9 cette thèse philosophique ne suffit pas à évaluer les événements, à

10 estimer les événements qui font l'objet de cette affaire, qui en fait

11 l'objet de l'accusation de nos collègues de l'accusation et enfin, l'objet

12 de la question fondamentale de la culpabilité de mon client,

13 M. Aleksovski, qui fait ici l'objet de cet acte d'accusation. C'est lui

14 qui est jugé ici.

15 Par conséquent, la défense estime, et avec tout notre respect

16 nous suggérons à cette Chambre de première instance de se laisser guider

17 avant tout par les faits qui ont été objectivement établis. Donc des faits

18 qui représenteront la vérité, quel que soit l'oeil de l'individu concerné,

19 que ce ne soit pas uniquement l'oeil subjectif d'un observateur, puisque

20 nous savons qu'un témoin, qu'un observateur, ne possède que des

21 connaissances limitées.

22 Il est même handicapé dans ses observations et cela tient à

23 plusieurs raisons : il est handicapé par les différents traits,

24 différentes caractéristiques, comme son âge, son sexe, sa formation, son

25 éducation, son caractère, sa motivation, sa concentration, et ainsi de

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1 suite...

2 Ainsi donc, la défense estime que la vérité dans cette affaire

3 doit être vue d'une manière beaucoup plus complexe que l'approche qui nous

4 a été proposée par nos collègues de l'accusation. Dans mon exposé, dans ma

5 plaidoirie, j'emprunterai une démarche en apparence inverse. Au départ, je

6 parlerai des questions de faits qui ont fait l'objet du réquisitoire de

7 mon collègue, et c'est par la suite que j'évoquerai les questions

8 juridiques dont a parlé Me Niemann et c'est en conclusion, revenant sur

9 tous les éléments de preuve et non seulement les éléments de preuve de la

10 défense mais également ceux présentés de l'accusation, que je parlerai.

11 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la défense parle du

12 principe et ce compte tenu du fait que ce Tribunal a été constitué dans un

13 but exclusif de juger les événements qui se sont produits sur le

14 territoire de l'ex-Yougoslavie ; que les juges de cette Chambre ainsi que

15 d'autres chambres se préparant à entrer en fonction se sont familiarisés

16 avec des faits historiques, culturels, politiques, avec des événements de

17 cette nature qui représentent le cadre de toutes les affaires qui sont

18 jugées devant ce Tribunal.

19 Je suis profondément convaincu, Monsieur le Président,

20 Messieurs les Juges, que dans votre travail de très grande responsabilité,

21 vous êtes arrivés à la conclusion que l'espace de l'ex-Yougoslavie et, en

22 particulier le territoire de la Bosnie-Herzégovine, n'a pas de parallèle

23 dans le monde aujourd'hui et ce à cause d'un grand nombre de ses

24 particularités.

25 Par conséquent, une conclusion s'impose, à savoir, rien n'est

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1 simple en Bosnie-Herzégovine. La méthode d'analogie, la méthode de

2 comparaison, si on aborde les événements de Bosnie-Herzégovine, simplement

3 ne peut pas s'appliquer. Cette méthode échoue d'emblée.

4 Un exemple, si vous me le permettez : sur le territoire de

5 Bosnie-Herzégovine, puisque c'est le territoire qui nous intéresse, des

6 conflits armés se sont produits. On peut dire que pratiquement chaque

7 municipalité a eu un rôle très spécifique concernant ces conflits armés. A

8 certains endroits, des Musulmans et des Croates ont surtout combattu les

9 Serbes, autrement dit l'ancienne armée yougoslave populaire et des unités

10 serbes. A d'autres endroits, il y a eu des conflits entre les Musulmans et

11 les Serbes, d'une part, et les Croates, d'autre part. A un autre endroit

12 encore, il y a eu des conflits entre les Croates et les Musulmans,

13 opposant les opposants aux Serbes, et les Musulmans d'autre part (?). Et

14 puis ailleurs, dans la Krajina de Cazin, un conflit a éclaté opposant les

15 Musulmans entre eux.

16 Donc, comme vous le voyez, la théorie d'une Bosnie-Herzégovine

17 unique, dans le sens des normes juridiques et d'analogie, simplement ne

18 tient pas. C'est la raison pour laquelle la défense, pendant l'ensemble de

19 ce procès, insiste sur une chose, et je pense que cette Chambre de

20 première instance nous soutient, notamment concernant la décision de la

21 Chambre du 25 septembre 1998. Donc la défense estime que les événements

22 qui touchent à la responsabilité de mon client doivent être analysés

23 uniquement et exclusivement compte tenu du cadre temporaire et

24 géographique qui a été défini par l'accusation, sans analogie et sans

25 comparaison.

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1 Comme je viens de le dire, rien n'est simple en Bosnie-

2 Herzégovine. Il y a toujours l'autre côté de la médaille, toujours l'autre

3 face. De même, je souhaite démontrer qu'il est possible de citer d'une

4 autre manière les dépositions des témoins que la manière qui a été

5 présentée par mon collègue M. Meddegoda.

6 Avec tous mes respects, je dois dire que la méthode employée par

7 Me Meddegoda pour citer les témoins de l'accusation est une méthode qui me

8 rappelle la méthode du buffet suédois, du buffet froid. Je ne souhaite pas

9 être péjoratif. Je souhaite simplement évoquer la situation où, le matin,

10 de notre chambre d'hôtel nous descendons dans le hall où nous trouvons une

11 table richement décorée où nombre de plats figurent. C'est selon nos

12 propres désirs que nous choisissons un petit peu d’un tel ou tel autre

13 plat, sans goûter à son plat. Je l'appelle la méthode du buffet froid. La

14 même méthode a été appliquée lorsque nous avons entendu les citations des

15 témoins de l'accusation.

16 Voyons cela dans l'ordre.

17 Le témoin Vahid Hajdarevic : ce qu'on a omis de dire, c'est que

18 ce témoin décrit qu'il a été maltraité par des soldats du HVO à

19 l'extérieur du camp de Kaonik et non pas dans l'enceinte du camp de

20 Kaonik, et donc la situation est fondamentalement différente.

21 Le témoin A : on a omis de dire que ce témoin a été amené par la

22 police militaire du HVO au Kaonik, le 24 janvier 1993, et qu'à ce moment-

23 là, il n'a pas vu Zlatko Aleksovski. Il ne l'a vu que quatre ou cinq jours

24 plus tard, lorsqu'il a relevé le commandant, et le témoin l’a dit. Il est

25 vrai qu'à trois endroits de l'acte d'accusation, le Procureur dit que

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1 c'est vers le 29 janvier que Zlatko Aleksovski est arrivé au camp de

2 Kaonik. Si nous savons que les premiers conflits et les premiers détenus

3 sont arrivés à Kaonik le 24, autrement dit le 25 janvier, une conclusion

4 s'impose : à son arrivée à Kaonik, Zlatko Aleksovski a trouvé la situation

5 telle qu'elle régnait sur place. Il n'aurait pas pu et il n'a pas pu

6 influencer cette situation. Je le cite puisque cela me paraît très

7 important.

8 Le témoin a toujours dit explicitement que d'après ce qu'il a

9 compris, Zlatko Aleksovski n'avait aucune influence sur les soldats du HVO

10 ni les policiers militaires, qui étaient des gardes de la prison.

11 Lorsqu'il y a eu meurtre de deux Musulmans bosniaques le 7 février 1993,

12 un fait malheureux, une enquête a été entamée selon ce témoin, qui dit

13 également qu'un médecin de Busovaca s'est rendu à Kaonik.

14 Et ce qui est encore plus important et ce qui nous montre sa

15 relation envers Zlatko Aleksovski, il dit que suite à tous ces événements

16 de guerre, qui n'étaient nullement faciles, s'agissant des membres d'un

17 peuple ou de l'autre, des Musulmans ou des Croates, il dit que

18 Zlatko Aleksovski est venu chez lui, s'est rendu dans sa maison, qu'il l'a

19 invité, qu'ils ont pris un café ensemble, qu'ils ont mangé des gâteaux

20 ensemble, cela montre quelle a été sa relation et quelle a été son

21 évaluation du comportement de Zlatko Aleksovski à Kaonik lors de ces

22 événements malheureux.

23 Le témoin B est arrivé à Kaonik, amené par le HVO le 25 janvier.

24 D'après sa déposition, il portait sur lui deux grenades à main et un

25 pistolet à ce moment-là. Si je souligne ce détail, ce fait, c'est parce

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1 qu'exposé par l'accusation, ce fait tendrait à confirmer la thèse de la

2 défense, à savoir : pour quelle raison y a-t-il eu internement des civils

3 musulmans bosniaques dans l'enceinte de l'ancien complexe militaire de

4 Kaonik ? La raison en est la sécurité. Je l'expliquerai plus tard, je vous

5 prie d'en tenir compte pour le moment et je me permettrai d'y revenir par

6 la suite.

7 Ce témoin, donc le témoin B, reconnaît lui-même qu'il portait

8 deux grenades à main sur lui au moment où il a été enfermé.

9 Passons maintenant au témoin D. Lui portait un lance-roquettes

10 portable qui s'appelle Zolja, dans la région. Je ne suis pas un expert

11 militaire, mais je crois savoir qu'il s'agit d'une arme qui est utilisée

12 dans la lutte antichars. Il s'agit donc d'une arme assez puissante. Et ce

13 témoin a dit également que c'est la police militaire qui l'a fait sortir

14 du camp de Kaonik afin de creuser des tranchées et qu'il creusait le

15 jour ; puis, quand c'était trop dangereux, il creusait la nuit.

16 Le témoin F : ce témoin, d'après ses propres mots, disposait lui

17 aussi d'une arme personnelle, d'un pistolet automatique du type Scorpion.

18 Je rappelle, puisque nous reviendrons aux questions de sécurité lorsque

19 nous aborderons la question de l'internement : tout comme les témoins G,

20 O et S, ces témoins n'ont pas identifié Zlatko Aleksovski en tant

21 qu'individu qui était responsable et directeur de la prison de Kaonik au

22 moment où pendant la période qui nous intéresse. C'est donc intéressant

23 lorsqu'on cite les dépositions des témoins.

24 Par la suite, nous avons le témoin L qui a déposé en disant

25 qu'il a été emmené voir le médecin à Busovaca et qu'il a été maltraité par

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1 les membres de la police militaire avant qu'il n'arrive à Kaonik. Cela

2 s'est produit dans la localité de Cazin, et malgré cela, il n'est pas

3 rentré dans la documentation médicale comme un patient qui aurait subi des

4 sévices.

5 Nous avons par la suite le témoin M qui parle de mauvaises

6 conditions qui prévalaient à la prison de Kaonik, mais il dit également

7 que dans un entretien avec le CICR qui a eu lieu hors de tout contrôle et

8 en tête-à-tête, qu'il ne s'est pas plaint que cela ait été de mauvaises

9 conditions ou de ses propres blessures.

10 Nous avons par la suite des témoins importants comme

11 Edim Novalic qui, avant ces malheureux événements sur le territoire de la

12 municipalité de Busovaca, était une personnalité importante. Lui-même

13 était directeur d'un établissement économique important et circulait dans

14 des milieux d'affaires qui, dans l'ex-Yougoslavie, étaient importants.

15 Après l'indépendance de la République de Bosnie-Herzégovine, il

16 fréquentait des gens également qui assumaient des fonctions importantes,

17 tout comme Fuad Kaknjo ou Sivro Bahtija eux aussi circulaient dans des

18 milieux, avec des gens qui occupaient des postes de responsabilité liés au

19 pouvoir, à la prise de décisions importantes pour cette communauté.

20 Jamais aucun de ces témoins n'a vu à aucun endroit Zlatko

21 Aleksovski. Qu'est-ce que cela montre ? Cela montre que Zlatko Aleksovski

22 n'a pas pris part aux travaux des organes qui auraient pris des décisions,

23 dans quelque direction que ce soit. Ainsi donc, il n'a pas pris part à la

24 prise de décisions suite aux événements qui font l'objet du présent acte

25 d'accusation.

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1 Rappelons qu'à Zlatko Aleksovski on reproche d'avoir pris part à

2 la planification, à la préparation des actes qui ont donné lieu aux

3 conflits armés sur le territoire de la municipalité de Busovaca, mais dans

4 notre affaire, nous n'avons pas vu un seul élément de preuve le

5 démontrant.

6 Quant au témoin Meho Sivro, lui aussi dit qu'il a fait l'objet

7 de mauvais traitements de la part des soldats du HVO, mais ce à

8 l'extérieur de l'enceinte de Kaonik, qu'il a même demandé d'être ramené à

9 Kaonik parce que c'était un refuge, un lieu sûr pour lui. Il s'y sentait

10 plus en sécurité que sur les lignes de front où il travaillait sur des

11 travaux de creusement de tranchées et des travaux de fortification.

12 Nombre de témoins qui ont fait allusion aux mauvais traitements

13 à Kaonik ont dit que personnellement, ils n'ont pas été témoins oculaires

14 de ces mauvais traitements, mais qu'ils en ont entendu parler, ils en ont

15 entendu parler par le truchement des haut-parleurs.

16 Nous avons, Messieurs les Juges, ici un exemple intéressant du

17 témoin I. Dans sa déposition qui n'a pas été citée par mon collègue, il

18 dit qu'il a remis à un garde de Kaonik 10 000 marks allemands. A l'époque,

19 c'était une somme colossale, elle l'est toujours en Bosnie-Herzégovine. Il

20 lui a remis ces 10 000 marks pour qu'il en prenne soin parce qu'il les

21 avait sur lui au moment où il a été amené. Une fois libéré, ce garde lui a

22 remis cette somme. C'est très éloquent, cet exemple ainsi que d'autres

23 exemples où les détenus de Kaonik, quand ils faisaient partie de ces

24 unités de travail, en fait ont fait l'objet de mauvais traitements de la

25 part des soldats du HVO qui leur ont pris leur argent.

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1 A Kaonik, ils avaient le droit de conserver leurs objets

2 personnels, y compris leur montre, etc.

3 Pour citer une autre preuve matérielle, comme je l'ai annoncé au

4 début, je voudrais citer les pièces de la défense D23 et D24 qui

5 représentent les documents de la Croix-Rouge. Il s'agit de photographies

6 qui ont été, entre autres, prises à Kaonik. Si vous observez ces

7 photographies, vous verrez que les détenus qui y figurent sont

8 convenablement vêtus, qu'ils portent des bijoux, des chaînes en or, des

9 montres… et vous ne pouvez voir aucune trace de sévices corporels sur ces

10 détenus. La défense considère que c'est une pièce à conviction de la

11 défense puisque les photographies ne peuvent pas mentir.

12 Un témoin, Fuad Kaknjo, est l'un des individus qui figurent sur

13 ces photographies (ces photographies faisant partie de la pièce à

14 conviction D24), et le témoin Zeljko Percinlic l'a reconnu. Si vous

15 regardez attentivement cette photographie, vous verrez que cette personne

16 ne semble pas être mal nourrie, qu'elle ne semble pas être blessée, alors

17 que d'autres témoins parlent de blessures et de bleus dont aurait été

18 couvert son visage.

19 Quant au témoin Sivro Bahtija, il s'agit, là encore, d'une des

20 personnalités en vue, éminentes, de la municipalité et c'est précisément

21 lui qui, au moment où ont éclaté les conflits entre les Musulmans et les

22 Croates, a cherché à assumer le rôle d'intermédiaire. Il a essayé

23 d'intervenir. Il a téléphoné à Ramiz Dugalic, le commandant de l'armée de

24 Bosnie-Herzégovine, et il lui a demandé que l'armée de Bosnie-Herzégovine

25 arrête ses opérations d'offensive. Tels étaient ses mots : "opérations

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1 d'offensive".

2 Maître Meddegoda a cité des témoins de l'accusation qui

3 parlaient de soldats croates de l'armée croate, en faisant allusion à

4 l'état d'un conflit armé international. Mais il faut savoir précisément de

5 quoi parlent ces témoins lorsqu'ils parlent de soldats croates. Ils

6 parlent de Croates bosniaques qui faisaient partie du HVO et non pas de

7 citoyens croates venus de République de Croatie.

8 Ainsi, par exemple, un témoin qui a été cité, Damon Daniel, qui

9 est journaliste free-lance, qui a réalisé des reportages pour la Sky

10 Television et qui a parcouru l'ensemble du territoire de Bosnie-

11 Herzégovine, a répondu à une question expresse que jamais, dans la

12 municipalité de Busovaca ni en Bosnie centrale généralement parlant, il

13 n'a vu un seul soldat du HV. C'est seulement à Tomislavgrad, et

14 Tomislavgrad se trouve de l'autre côté, vers la Dalmatie, vers la

15 frontière croate. Ce n'est que là qu'il a vu un car, un autobus, qui

16 portait une plaque d'immatriculation de l'armée croate.

17 De même, M. Junhov Torbjorn et M. Charles McLeod, qui

18 travaillaient pour le CICR ou pour les observateurs européens, répondent

19 qu'ils n'ont jamais vu de soldats de l'armée croate dans la région de la

20 Bosnie centrale. C'est comme cela qu'ils ont déposé.

21 Mais il convient de citer la déposition de M. Hamdo Dautovic qui

22 a été citée dans un contexte assez important par Me Meddegoda. Rappelons-

23 nous de la déposition de M. Hamdo Dautovic. Puisqu'un laps de temps

24 important s'est écoulé, permettez-moi de vous rappeler les éléments clés

25 de sa déposition. Ce témoin a été arrêté à un poste de contrôle de la

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1 police militaire du HVO. Dans son véhicule, une quantité assez importante

2 de cigarettes a été trouvée. A ce moment-là, les cigarettes étaient assez

3 rares en Bosnie centrale. Il s'agissait de marchandises faisant l'objet de

4 trafics illicites. D'après sa déposition, M. Hamdo Dautovic avait acheté

5 ces cigarettes et il a essayé de les passer en contrebande dans la zone où

6 il habitait.

7 Donc, d'après sa propre déposition, il a été arrêté au moment où

8 il s'adonnait à un trafic illicite, ce qui représente un délit dans tous

9 les systèmes. Alors, au moment où il a été interpellé, il a opposé une

10 résistance, il a sauté d'une voiture en course, il a essayé de prendre un

11 fusil aux policiers. Et quand on lui a demandé pourquoi, il a répondu

12 explicitement : "Pour les tuer !"

13 Alors, nous avons un homme qui oppose une résistance au moment

14 où on l'arrête : il saute d'un véhicule en marche, la force physique est

15 employée. Il est évident que Hamdo Dautovic, au moment où on a cherché à

16 briser sa résistance, a eu quelques blessures. Mais il s'agit ici d'un cas

17 très typique dans les affaires policières, et je dois dire que cela ne

18 correspond pas au cas, que nous avons vu ici cité, de civils amenés à

19 Kaonik. Il s'agit d'un homme qui est interné seul dans sa cellule, un

20 civil qui est détenu dans cette prison, et dont le cas ne correspond

21 absolument pas au cas des autres détenus du camp.

22 D'autre part, la défense estime que pour ce qui est des mauvais

23 traitements dont il aurait fait l'objet, sa déposition ne semble pas du

24 tout convaincante. La défense ne croit pas un seul mot de ce qu'il dit. Je

25 m'explique : cet homme dit avoir passé trente jours à Kaonik. Tous les

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1 jours, pendant cette période de trente jours, paraît-il, il aurait subi

2 des sévices physiques très graves ; même le dernier jour, le 19 juin 1993,

3 il aurait été passé à tabac.

4 Mais que voyons-nous ? Hamdo Dautovic prend un car qui le

5 transporte à Zenica qui est la ville la plus proche, une grande ville, la

6 plus proche, qui est sous le contrôle de l'armée de Bosnie-Herzégovine et

7 qui est habitée... à grande majorité musulmane.

8 Où se rend-il ? A l'hôpital. Il va à l'hôpital pour demander des

9 soins médicaux. Pendant trente jours, sans interruption, il a été

10 maltraité physiquement. Alors à l'hôpital, il ne se passe rien. Après

11 avoir été reçu, admis à l'hôpital, il y passe la nuit puisqu'il est arrivé

12 le soir. Le lendemain matin, on le laisse rentrer chez lui. Il n'y a pas

13 d'hôpital au monde qui, en voyant un patient couvert de blessures,

14 relâcherait cette personne, la laisserait repartir chez lui. Là, nous

15 sommes à Zenica, nous sommes sur un territoire qui est sous le contrôle du

16 groupe ethnique auquel elle appartient, et, là, c'est vraiment impossible.

17 Et Hamdo Dautovic, d'après sa propre déposition, revient chez

18 lui et il se soigne à l'aide de peau d'agneau. Cette déposition nous fait

19 penser à une conclusion de la défense, qu'on peut appeler une position de

20 la défense, à savoir que la défense estime -eu égard à des dépositions de

21 témoins qui ont dit avoir été gravement maltraités sur le plan physique à

22 Kaonik- la défense estime qu'il ne faut pas croire à ces témoignages. Et

23 permettez-moi de vous dire pourquoi la défense adopte cette position.

24 Revenons au début de ma plaidoirie, à savoir que la vérité,

25 comme l'art, se trouve dans l'oeil de celui qui en est le spectateur. Si

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1 vous pensez à cela, vous penserez que peut-être ces témoins subjectivement

2 disent la vérité, mais je considère que cette vérité subjective, dont

3 parle le témoin, n'est en aucune façon vérifiée sur le plan objectif.

4 Si je dis, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que je me

5 suis frappé et que j'ai très mal quelque part, c'est peut-être ce que je

6 ressens. Mais quelle est ma tolérance à la douleur ? Quelle est la

7 tolérance à la douleur de quelqu'un d'autre ? Est-ce que, sur le plan de

8 la science médicale, une blessure est réellement une blessure ? C'est

9 quelque chose qu'il faut vérifier sur le plan objectif.

10 Et comment cela peut-il être vérifié ? Eh bien, les signes de

11 l'intégrité physique ne peuvent être vérifiés objectivement que s'il y a

12 examen médical par un médecin. Un médecin doit examiner la personne, doit

13 constater de quel trouble, de quelle blessure il s'agit. Le médecin doit

14 décrire cette blessure ou ce trouble. S'il y a fracture, il faut qu'il y

15 ait radiographie, etc., etc.

16 Pourquoi ? Pas seulement parce que dans ces conditions nous

17 avons affaire aux connaissances scientifiques d'un médecin qui viennent

18 d'un médecin diplômé, qui est donc qualifié pour évaluer ces troubles et

19 ces blessures, mais aussi parce qu'un tel examen permet de vérifier la

20 véracité des propos tenus par un témoin. Un médecin de médecine légale en

21 particulier est un témoin expert qui peut nous dire si une blessure est

22 une blessure légère, une blessure grave ou une blessure qui peut provoquer

23 la mort. C'est cette personne qui peut, grâce à ses compétences

24 scientifiques, nous dire de quelle façon cette blessure a été infligée,

25 quel a été le mécanisme qui a donné lieu à l'existence de cette blessure.

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1 Lorsqu'il y a une déposition de ce genre au sujet d'un élément

2 de preuve, alors nous pouvons dire que l'élément de preuve a été vérifié

3 sur le plan objectif. Je suis tout à fait convaincu que les critères

4 employés par ce Tribunal sont des critères très nobles, très élevés. Mais

5 je vous dirai néanmoins qu'un critère minimal dans un procès qui se

6 déroule sur le territoire du pays d’où je viens, donc en Croatie, eh bien

7 ce critère minimal est qu'on ne peut pas convaincre quelqu'un d'avoir

8 provoqué des blessures graves à un tiers, si cette blessure n'est pas

9 appréciée de la façon que je viens de décrire.

10 Je suppose également qu'il est impossible de convaincre

11 quelqu'un de meurtre, si on n'est pas en présence d'un cadavre. Ce sont,

12 là, des standards, des normes du droit pénal qui, à mon avis, sont

13 absolument applicables, y compris dans le procès auquel nous participons.

14 Et ce, pour une raison sur laquelle nous serons tous d'accord, je pense, à

15 savoir que dans ce Tribunal nous appliquons et nous souhaitons établir la

16 responsabilité pénale individuelle de M. Aleksovski. Si tel est le cas,

17 alors l'application de toutes les normes de droit, qui sont reconnues dans

18 les codes pénaux des différents Etats nationaux, s'appliquent.

19 Le témoin K a été mentionné par notre éminent collègue de

20 l'accusation. Dans sa déposition, le témoin K a présenté deux cartes aux

21 Juges de cette Chambre sur lesquelles il a inscrit les positions de

22 l'armée de Bosnie-Herzégovine et les positions du HVO sur le territoire de

23 la municipalité de Busovaca et de façon plus vaste sur l'ensemble du

24 territoire de la Bosnie-Herzégovine. Cet élément de preuve est très

25 indicatif également car un examen superficiel des positions de l'armée de

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1 Bosnie-Herzégovine telles qu'inscrites sur la carte -je parle des

2 positions de l'armée de Bosnie-Herzégovine dans la municipalité de

3 Busovaca qui fait l'objet de ce procès-, donc un examen superficiel permet

4 de constater que ce territoire était encerclé par l'armée de Bosnie-

5 Herzégovine et qu'aucun chemin ne permettait d'en sortir.

6 Le fait dont parlait le témoin K, et il s'agit de rapports entre

7 les hommes, consistait à dire que les relations humaines entre les deux

8 groupes, entre l'armée de Bosnie-Herzégovine et le HVO, se situaient dans

9 un rapport très inégal, dans un rapport allant jusqu'à huit à un, en

10 faveur de l'armée de Bosnie-Herzégovine, aux dépens du HVO.

11 Donc cet encerclement par un très grand nombre de soldats nous

12 prouve que ce territoire de la municipalité de Busovaca était

13 effectivement encerclé. Tout cela nous apprend beaucoup de choses sur un

14 fait qui est totalement contraire à ce qu'affirme l'accusation, qui dit

15 que les Bosniens, que les Croates de Bosnie, organisés au sein du HVO, se

16 préparaient à lancer une attaque générale dans la municipalité de Busovaca

17 contre l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il suffit d'un coup d'oeil pour voir

18 que c'est un mensonge. Quelqu'un qui est encerclé, quelqu'un qui est en

19 état d'infériorité numérique allant de cinq à un, de huit à un, ne peut

20 pas préparer une telle attaque. Mais, enfin, moi je rappelle ce qu'a dit

21 l'accusation et je montre aux Juges quelle est la lecture qu'en fait la

22 défense qui est sans doute très différente de celle de l'accusation mais

23 ce sont des faits pertinents. Vous devrez, Messieurs les Juges, tenir

24 compte de ces faits, et c'est pourquoi j'en traite ici.

25 Me Meddegoda a mentionné, dans le contexte de la confirmation

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1 qu'il y avait conflit armé international, la déposition du témoin expert,

2 le professeur Bianchini.

3 Pour ce qui me concerne, je reviendrai sur ce témoignage du

4 professeur Bianchini, de ce témoin expert, un peu plus loin dans ma

5 plaidoirie, au moment où j'évoquerai les moments les plus importants qui,

6 selon la défense, sont des éléments essentiels de ce procès, à savoir la

7 question de l'application du droit dans le cadre d'un conflit armé

8 international et le problème des infractions graves aux Conventions de

9 Genève, délit prévu à l'article 3 du Statut de ce Tribunal.

10 Si nous parlons du conflit armé international qui a été abordé

11 d'une certaine façon, mais assez partiellement, par le professeur

12 Bianchini, je me vois dans l'obligation de revenir sur le réquisitoire

13 prononcé hier par Me Niemann, car il a abordé cette question. Je dois

14 reconnaître que j'ai été assez surpris en entendant certaines affirmations

15 faites par notre collègue Me Niemann qui avaient à voir avec l'application

16 du droit et l'application d'un certain nombre de normes juridiques.

17 L'accusation affirme que l'article 2 du Statut de ce Tribunal ne

18 s'applique pas obligatoirement à un conflit international, mais qu'il peut

19 s'appliquer également à un conflit interne et, en argumentant pour

20 défendre cette thèse, notre collègue de l'accusation a déclaré que ce

21 Tribunal devait tenir compte de nouvelles tendances dans la façon

22 d'aborder cette question, nouvelles tendances qui ressortent de certaines

23 décisions prises par ce Tribunal.

24 Une thèse de cette nature est intenable de l'avis de la défense

25 et ce, pour deux raisons. Cette thèse est intenable pour une première

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1 raison qui est la suivante : ce Tribunal applique le droit commun

2 international ; je ne parle pas des protocoles de La Haye ni des

3 Conventions de Genève qui sortent bien entendu du champ du droit appliqué

4 par ce Tribunal, mais ce Tribunal applique également le droit commun qui

5 ne fait l'objet d'aucune discussion. Le Secrétaire général du Conseil de

6 sécurité des Nations Unies, dans son rapport -une lettre datée du

7 3 mai 1993 si je ne m'abuse- dit exactement cela. C'est une lettre qui est

8 adressée au Conseil de sécurité et dans laquelle il parle du Statut de ce

9 Tribunal.

10 Par conséquent, ce Tribunal est compétent pour appliquer les

11 normes du droit qui sont entrées sans discussion possible dans le droit

12 commun international.

13 Quant à ce que nous a dit Me Niemann, il s'agit de propos qui

14 n'ont pas grand-chose à voir avec les normes incontestées du droit commun

15 international. Peut-être le deviendront-elles dans trois ans, dans cinq

16 ans… je ne sais pas. Mais ce n'est pas le cas pour l'instant. C'est donc

17 la première raison pour laquelle cette thèse ne tient pas.

18 Et la deuxième raison est la suivante : si on acceptait de

19 nouvelles évolutions du droit, on serait en contradiction avec la

20 disposition nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege, qui est une

21 disposition fondamentale du droit romain que nous connaissons bien.

22 M. le Président. - Il faudrait peut-être répéter parce que je

23 crois que nos sténotypistes ne savent pas le latin, et donc... Elles n'ont

24 pas appris le latin.

25 M. Mikulicic (interprétation). – Oui, Monsieur le Président, je

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1 vais répéter. Je disais donc que cette thèse de l'accusation est en

2 contradiction avec une disposition fondamentale du droit romain qui est la

3 disposition nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege.

4 Je suis sûr que je n'ai pas besoin de vous expliquer le sens de

5 cette disposition que vous connaissez sûrement encore mieux que moi. Mais

6 je pense que cet élément est un élément fondamental que nous devons

7 prendre en compte lorsque nous choisissons les sources du droit que nous

8 appliquons dans cette affaire, comme nous le montre une décision rendue

9 dans l'affaire Blaskic, décision qui a permis de rejeter une proposition

10 de la défense demandant que certains points de l'acte d'accusation liés au

11 conflit armé international soient supprimés de l'acte d'accusation.

12 La Chambre de première instance 1 dans l'affaire Blaskic a donc

13 décidé que la question du conflit armé international relevait du droit

14 commun international et que c'est ce droit qui s'appliquait dans le

15 procès. Or, c'est précisément le droit dont nous disons qu'il s'applique

16 ici.

17 La position de la défense est donc en contradiction tout à fait

18 nette avec la position de l'accusation et la position de la défense

19 consiste à dire que l'article 2 du Statut ne peut s'appliquer que

20 lorsqu'il y a conflit armé international, et la défense s'appuie sur la

21 décision rendue dans l'affaire Tadic, car c'est la seule décision qui a

22 force de loi pour le moment ici.

23 J'aimerais maintenant revenir quelques instants sur le

24 réquisitoire de l'accusation, et je dirai à ce sujet que la défense se

25 voit dans l'obligation de déclarer que certaines des affirmations du

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1 Procureur lui paraissent sans rapport avec la situation. Nous ne pouvons

2 en aucun cas nous dire d'accord avec l'affirmation selon laquelle le

3 Procureur n'est pas dans l'obligation de prouver un certain nombre de

4 choses, mais que ces choses peuvent être déduites. La défense sur ce point

5 ne peut absolument pas être d'accord. La défense estime que parler de la

6 sorte ne correspond pas aux normes du droit qui doivent s'appliquer dans

7 le présent procès.

8 Bien entendu, le classement du conflit armé n'a rien à voir avec

9 la commission des crimes. Là, je suis entièrement d'accord avec mes

10 collègues de l'accusation. Mais le classement du conflit armé a une valeur

11 absolue eu égard à l'application du droit et aux compétences du Tribunal.

12 Et, en disant cela, je pense à la compétence de ce Tribunal eu égard

13 éventuellement aux compétences d'un Tribunal national. Bien entendu -et là

14 je suis d'accord avec mon collègue Me Niemann-, les Conventions de Genève

15 n'ont pas prévu l'existence du Tribunal international puisque ce Tribunal

16 n'existait pas.

17 Mais le Tribunal, en adoptant son Statut, a accepté les

18 Conventions de Genève comme source de droit ainsi que les autres sources

19 que nous avons déjà évoquées : les protocoles de La Haye et le droit

20 commun incontesté. Et ce Tribunal, grâce à la décision rendue par la

21 Chambre d'appel Tadic que j'ai évoquée tout à l'heure, a déclaré tout à

22 fait fermement que l'article 2 du Statut ne s'applique qu'aux événements

23 survenus dans le cadre d'un conflit armé international.

24 Contrairement à la position du Procureur, la défense estime que

25 cette question du conflit armé international est une question

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1 fondamentale, y compris pour l'appréciation des crimes qui font l'objet de

2 ce procès, car ce n'est pas seulement une question de droit, c'est

3 également une question de fait.

4 Le collègue de l'accusation a également parlé de la

5 responsabilité hiérarchique en s'appuyant sur l'article 7 du Statut. Après

6 quoi, consciemment ou inconsciemment -je ne sais pas-, il a dit :

7 "Zlatko Aleksovski n'avait pas les pleins pouvoirs". Cette déclaration de

8 notre collègue de l'accusation signifie-t-elle, dans une certaine mesure,

9 qu'il reconnaît quelques-unes des positions de la défense ou pas ? Je ne

10 sais pas -nous le verrons- mais c'est de cette façon que nous vivons la

11 chose parce que le pouvoir ne peut être que complet ou inexistant. Des

12 pouvoirs qui ne sont pas les pleins pouvoirs reviendraient à un

13 commandement inconscient.

14 Je suis d'accord avec l'accusation selon laquelle la

15 responsabilité en droit ne s'applique pas uniquement dans des structures

16 militaires, mais qu'elle peut s'appliquer également -cette responsabilité

17 de commandement- à des civils. Mais à ce niveau, il faut prononcer un

18 "mais" et un "mais" très important qui est le suivant : quelle est donc

19 cette catégorie de civils qui a la capacité de remplir certaines fonctions

20 relevant de la responsabilité de commandement hiérarchique ? Je vous

21 rappellerai certaines pratiques juridiques où il n'a été question que de

22 personnes qui remplissaient des responsabilités très élevées comme, par

23 exemple, le ministre de la Défense, les maires de ville, les gouverneurs

24 qui sont autant de personnes dont le poste hiérarchique est si élevé dans

25 les structures civiles du pouvoir que, par la force de leur poste, de leur

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1 pouvoir, elles relèvent de la responsabilité hiérarchique.

2 Mais si nous examinons la situation de mon client,

3 M. Aleksovski, si nous reprenons les dépositions des témoins que nous

4 avons entendus dans ce prétoire, nous nous rendrons compte qu'aucun de ces

5 témoins n'a placé Zlatko Aleksovski à un poste civil de haut niveau. Et,

6 en disant cela, je pense aux structures générales du pouvoir civil ou à

7 d'autres structures civiles qui permettaient de prendre des décisions

8 quant aux événement pouvant évoquer ou pouvant avoir un lien avec ce qui

9 est évoqué dans l'acte d'accusation.

10 Maître Niemann a cité l'affaire USA contre Oswald Pohl. La

11 défense estime que ce précédent n'a pas de lien avec les événements dont

12 nous parlons puisqu'il s'agit d'événements survenus dans un autre

13 environnement, dans un environnement de conflit armé international. Et

14 cela ne s'applique pas non plus parce que les personnes détenues dans le

15 camp commandé par Oswald Pohl avaient un statut différent de celui des

16 personnes qui se trouvaient à Kaonik, des personnes qui étaient internées

17 à Kaonik.

18 La défense affirme -et elle le prouvera plus en détail

19 ultérieurement- que les Musulmans bosniens internés dans l'établissement

20 de Kaonik avaient un statut d'interné, conformément au deuxième Protocole

21 de La Haye qui s'applique à cette situation, et n'avaient pas la position

22 de prisonniers de guerre comme l'entendent les Conventions de Genève

23 de 1949. C'est une grande différence et la défense reviendra plus en

24 détail sur cette différence à un stade ultérieur de sa plaidoirie.

25 Le statut et la position, le poste occupé par mon client,

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1 M. Aleksovski, sont appréciés par le Procureur au travers d'une seule

2 affaire, l'affaire du meurtre de deux Musulmans bosniens, Nermin Elezovic

3 et Jasmin Sehovic, le 7 février 1993. L'accusation dit ce qui suit :

4 "Ecoutez, regardez, M. Aleksovski avait les pleins pouvoirs puisqu’il a

5 lancé une enquête contre les auteurs de ce crime. Et par conséquent, il

6 aurait pu également agir de même dans d'autres occasions."

7 Cependant, l'accusation, en s'exprimant de la sorte, omet de

8 penser à une situation très importante.

9 M. le Président. - Maître Mikulicic, je crois que si nous allons

10 jusqu'à 13 heures, nous ferions une très longue période de travail. Peut-

11 être, je ne sais pas s'il vous convient de faire une petite pause de

12 15 minutes pour l’instant et de reprendre après, sinon on aurait pu finir

13 avant 13 heures, mais je crois que c'est préférable de faire une pause de

14 15 minutes. Et je dis 15 minutes pour que M. Aleksovski ait aussi la

15 possibilité de sortir de la salle.

16 (L'audience, suspendue à 12 heures 25, est reprise à

17 12 heures 40)

18 M. le Président. - Maître Mikulicic, vous pouvez continuer

19 jusqu'à 13 heures.

20 M. Mikulicic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

21 Avant de poursuivre avec ma plaidoirie, je souhaite m'adresser

22 aux interprètes. Lorsque je parle de personnes qui ont été internées au

23 camp de Kaonik, je souhaite que ce terme-là soit employé, le terme

24 "interné" et la personnes "internée". J'insiste là-dessus pour des raisons

25 juridiques. Il ne s'agit donc pas de détenus ni de prisonniers mais de

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1 personnes internées.

2 Je reviens sur ma plaidoirie. Il s'agit d'un événement tragique

3 qui s'est produit le 7 février 1993. Ce jour-là, sur les lignes de front,

4 au moment où des travaux forcés ont été exécutés, deux Musulmans bosniens,

5 Nermin Elezovic et Jasmin Sehovic, ont été tués. Nous avons entendu une

6 déposition à cet effet nous décrivant le lieu et les conditions où cela

7 s'est produit, hors de l'enceinte de la prison de Kaonik.

8 Nous avons entendu -et la défense a présenté des documents

9 écrits à l'appui, pièces à conviction D22a et b- que, dans l'immédiat,

10 suite à cet événement tragique, M. Aleksovski a réagi. De quelle manière ?

11 Il a informé de cet événement la police militaire, et celle-ci a conduit

12 une enquête dans le cadre de la structure policière. Cette structure a

13 privé de liberté les suspects et a remis l'affaire au Procureur militaire.

14 Le Procureur militaire, qui s'est saisi de l'affaire, a réagi

15 auprès du Tribunal militaire compétent en lui demandant de lancer une

16 procédure juridique. Il s'agit ici d'une procédure qui est prévue par le

17 Code pénal national. Le rôle joué par M. Aleksovski dans cet événement est

18 le rôle qui incombe à tout citoyen résidant sur le territoire de l'ex-

19 Yougoslavie où est appliqué le Code pénal. Autrement dit, si un citoyen

20 quelconque apprend qu'un délit, un acte criminel a été commis, et

21 notamment un acte aussi grave que celui-ci, il relève de son devoir de

22 citoyen d’en informer la police.

23 Dans cette situation, le citoyen donné, qui est par conséquent

24 M. Aleksovski, se trouve dans la situation informelle de la personne qui

25 informe les autorités compétentes. Ce n'est qu'à partir du moment où cette

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1 information, portant donc sur un acte criminel qui a été commis, atteint

2 la police, que la procédure conduite par la police est amorcée. C'est la

3 police, qui mène l'enquête, qui établit les auteurs, et c'est là qu'est

4 conduite la procédure formelle.

5 Autrement dit, s'agissant de cet événement précis, M. Aleksovski

6 n'a joué aucun autre rôle que celui d'un citoyen consciencieux qui a réagi

7 d'après sa propre conscience et qui a informé de l'acte criminel l'organe

8 compétent chargé de conduire la procédure, il s’agit dans ce cas précis de

9 la police militaire.

10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne sais pas

11 comment ce point figure dans les systèmes juridiques des pays d'où vous

12 venez, mais je sais qu'aux Etats-Unis le citoyen doit même arrêter celui

13 qui a commis un acte criminel. Il s'agit de l'arrestation civile, c'est

14 comme cela qu'on l'appelle. L'attitude adoptée par Zlatko Aleksovski n'a

15 rien d'inhabituel, il s'agit d'un comportement routinier, du moins dans la

16 région d'où vient M. Aleksovski, à savoir l'ex-Yougoslavie.

17 Par conséquent, dans l'affaire qui nous intéresse, il ne

18 convient pas d'agir comme le fait l'accusation, il ne convient pas de

19 s'interroger sur des éléments de la supériorité hiérarchique, mais

20 exclusivement sur les éléments de la conscience citoyenne.

21 Monsieur Aleksovski, bien entendu, a comparu ici devant ce Tribunal, des

22 actes très graves lui sont reprochés. Et comme il convient, lorsqu'on

23 s'interroge sur les personnes ayant commis des actes criminels, notamment

24 des actes graves, de même, moi, je me pose la question du motif qui a

25 conduit l'auteur potentiel, ici M. Aleksovski, à commettre l'acte donné.

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1 L'accusation aborde cette question de la manière suivante : elle

2 dit qu'il a été prouvé dans la procédure, ici, que Zlatko Aleksovski est

3 un partisan de la cause croate. Or, la cause croate, d'après

4 l'interprétation de l'accusation, était de purifier ethniquement, nettoyer

5 ethniquement la Bosnie centrale en dépit des rapports de quantité et de

6 l'encerclement que nous avons évoqué à l'instant.

7 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, si

8 M. Zlatko Aleksovski adhère à la cause croate, il le manifeste de la

9 manière suivante : il est né d'un mariage mixte où son père est

10 macédonien, donc n'a pas la nationalité croate, où il épouse une femme qui

11 est d'appartenance serbe. Il passe la majorité de sa vie à Zenica, entouré

12 à 80 % dans ce cas d'hommes et de femmes musulmans où la plupart de ses

13 amis sont des Musulmans. Alors là, vraiment, je me demande où l'accusation

14 peut trouver des éléments pour corroborer sa thèse que M. Aleksovski est

15 un partisan de la cause croate. Ceci ne fait que confirmer à mon avis que

16 M. Zlatko Aleksovski n'a aucun préjugé racial ou religieux. C'est ce que

17 je souhaite dire au sujet du motif pour le moment.

18 Enfin, pour revenir au réquisitoire de Me Niemann, la défense

19 souhaite affirmer comme suit : nous ne croyons pas et nous considérons

20 qu'il n'a pas été prouvé que les témoins dont les dépositions ont été

21 citées ont fait part de leurs supplices, de leurs expériences dégradantes,

22 de la manière qui soit objectivement applicable, compte tenu des normes du

23 présent Tribunal. Nous pouvons comprendre et nous comprenons pleinement

24 leur ressentiment, leur amertume suscitée par les événements qui se sont

25 produits en Bosnie centrale. Il s'agit de personnes qui, pour des raisons

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1 différentes et qui sont bien plus complexes que ce que l'accusation essaie

2 de nous montrer, ont dû quitter leur foyer, ont été forcées de quitter les

3 endroits où elles ont passé leur jeunesse, qui ont dû abandonner leurs

4 biens. Il s'agit de gens qui ont raison d'être amers.

5 C'est dans cette optique-là qu'on peut analyser leur déposition.

6 Et je mets cela en relation avec la notion de la vérité subjective, la

7 vérité qui figure dans l'oeil de l'observateur. Dans son réquisitoire,

8 Me Niemann a souvent fait référence à l'affaire Celebici et il a tenté

9 d'établir des parallèles à la fois sur le plan du droit et des faits entre

10 les deux affaires, l'affaire Celebici et l'affaire Aleksovski. La défense

11 ne partage pas ce point de vue, ne partage pas cette approche

12 d'établissement de parallèles et d'analogies. Pourquoi ? Parce que les

13 analogies ne sont pas autorisées dans le droit pénal, il s'agit là de

14 normes du droit pénal, mais pour d'autres raisons aussi, parce qu'il

15 s'agit d'une affaire sub judice.

16 L'appel dans l'affaire Celebici n'a pratiquement pas commencé,

17 or cet appel a été annoncé. Quelle sera la décision finale, quelle sera la

18 position et la décision de la Chambre d'appel de ce Tribunal ? Nous le

19 verrons à l'avenir. Toute tentative d'établir des analogies et de citer

20 des décisions déjà prononcées, d'évoquer des situations de fait qui

21 ressortent du procès de l'affaire Celebici ne peut pas être considérée

22 comme crédible de la part de la défense et nous pensons qu'il n'y a pas

23 lieu d'agir ainsi.

24 En revanche, la défense estime que lorsque les sources

25 juridiques sont citées, je répète, en plus des Conventions de Genève et de

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1 La Haye, c'est le droit commun qui doit être appliqué et cela n'est

2 absolument pas contestable.

3 Le professeur Bianchini, un témoin expert qui a été cité à

4 comparaître par l'accusation devant cette Chambre, devait présenter à

5 cette Chambre des explications, plus de détails concernant les événements

6 qui se sont produits sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, en particulier

7 en République de Bosnie-Herzégovine. L'objectif était que cette déposition

8 de ce témoin expert confirme l'existence d'un conflit armé international

9 sur le territoire qui est mentionné dans cet acte d'accusation, dans la

10 municipalité de Busovaca.

11 Pratiquement 90 % de la déposition du Professeur Bianchini peut

12 être signée par la défense. Il y a des points qui sont contestables selon

13 la défense, et nous les contesterons, mais la majeure partie de cette

14 déposition de ce témoin expert est acceptée par la défense comme une

15 déposition scientifiquement fondée et fiable.

16 Je reviens donc sur la déposition du Professeur

17 Stefan Bianchini, et cette déposition dans sa majeure partie est

18 incontestable : "S'il n'y avait pas eu ce conflit en Bosnie-Herzégovine,

19 on n'aurait jamais connu de conflit entre les peuples croate et musulman.

20 A l'opposé, ces peuples ont toujours, à travers toute l'histoire, été des

21 alliés, quel que soit le point de vue que l'on adopte, le point de vue

22 historique par exemple. Ce conflit n'a été qu'un incident isolé, une tache

23 dans la chronologie historique des événements."

24 La cause de la guerre qui a éclaté en Bosnie-Herzégovine est

25 sans aucun doute, dans le facteur hégémonique serbe, personnifié dans

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1 l'individu Slobodan Milosevic qui a proclamé comme une base idéologique le

2 fameux mémorandum de l'académie serbe des Sciences et des Arts. Il s'agit

3 d'un élément qui a été évoqué par le Professeur Bianchini, et c'est là

4 qu'il faut chercher la cause de tous ces événements malheureux.

5 S'agissant maintenant du problème auquel nous faisons face en

6 Bosnie, permettez-moi de vous rappeler et d'appeler votre attention sur le

7 début de ces événements. La communauté internationale, à partir du premier

8 jour, a tenté de démêler ces relations. Comment appelons-nous cette

9 situation ? Nous l'appelons le "chaudron bosniaque". Alors, qu'a fait la

10 communauté internationale ? Elle a nommé des médiateurs qui devaient

11 calmer la situation, qui devaient régler la question d'intolérance entre

12 les groupes ethniques. Nous devons nous féliciter de cette initiative de

13 la communauté internationale. C'est ce que tous les peuples ex-yougoslaves

14 appelaient de leurs voeux puisque eux-mêmes n'arrivaient pas à régler le

15 problème.

16 Mais comment cela s'est-il déroulé ? Rappelez-vous,

17 Messieurs les Juges, une réunion qui s'est tenue en mars 1992 dans la

18 villa Konak, à proximité de Sarajevo. Cette réunion a été convoquée par un

19 représentant de la communauté internationale, M. Cutillero. Y ont été

20 convoqués M. Boban en tant que représentant du peuple croate,

21 M. Izetbegovic en tant que représentant du peuple musulman et M. Karazic

22 en tant que représentant du peuple serbe de Bosnie.

23 Et quelles ont été les conclusions principales de cette réunion

24 du mois de mars 1992 ?

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'était une division

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1 ethnique de Bosnie-Herzégovine, en partie serbe, musulmane et croate. Si

2 l'on tient compte de cela, et la preuve P116 -la carte ethnique de

3 l'accusation- le prouve elle aussi, si nous tenons compte de cela, nous

4 sommes en droit de nous poser la question suivante : à l'époque, que

5 pouvaient penser les membres des différents groupes ethniques de Bosnie-

6 Herzégovine si ce n'est que c'était la seule solution, et pourquoi ? Parce

7 que c'est la communauté internationale qui nous la propose et que la

8 Bosnie-Herzégovine se divise.

9 Je ne dis pas que c'était la cause principale de la guerre et

10 des combats qui ont éclaté sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, mais

11 il ne fait aucun doute que cela aussi a été une des causes.

12 J'ai déjà dit quels sont les points où je partage l'avis du

13 Professeur Bianchini, à savoir que la cause majeure a été le facteur

14 hégémonique serbe.

15 M. le Président. - Maître Mikulicic, nous devons nous arrêter

16 pour une pause et nous allons reprendre nos travaux à 14 heures 30.

17 (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à

18 14 heures 30.)

19 M. le Président. - Maître Mikulicic, c'est à vous. Nous allons

20 faire plus ou moins une heure dix et, après, nous ferons une pause. Vous

21 pouvez continuer, Maître Mikulicic, s'il vous plaît.

22 M. Mikulicic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

23 Je poursuis donc là où je me suis arrêté avant la pause, à savoir à

24 l'interprétation de la déposition de M. Stefano Bianchini, le professeur

25 qui a comparu ici en tant que témoin expert.

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1 J'ai fait allusion à une réunion qui s'est tenue en mars 1992 à

2 la villa Konak à proximité de Sarajevo, une réunion qui a été convoquée

3 par les représentants de la communauté internationale, qui a joué le rôle

4 de médiateur et a tenté de trouver une solution à la crise bosniaque. Les

5 conclusions de cette réunion ont été de prôner une division de la Bosnie-

6 Herzégovine en partie serbe, musulmane et croate, comme cela figure sur

7 une carte qui a été versée au dossier sous la cote P116.

8 Par la suite, le professeur Bianchini nous a appris que la même

9 idée était présente dans le plan qu'il est convenu d'appeler plan Vance-

10 Owen.

11 Je cherche à montrer par là que, à l'époque, la communauté

12 internationale a cherché à résoudre le problème bosniaque par une

13 division ethnique entre les peuples majoritaires qui habitent la Bosnie-

14 Herzégovine. Par la suite, ce principe a été abandonné et ce que nous

15 voyons aujourd'hui, c'est effectivement, notamment suite à la signature

16 des accords de Dayton, que la communauté internationale défend une Bosnie

17 unie.

18 Néanmoins, les dégâts qui ont été causés par une approche aussi

19 maladroite, si vous me permettez le terme, cette médiation maladroite de

20 la communauté internationale en Bosnie en 1992, j'ai bien peur que ces

21 dégâts ne puissent pas être réparés à long terme et, notamment, c'est ce

22 genre de politique qui est responsable de nombre d'événements malheureux

23 qui se sont produits en Bosnie.

24 Pourquoi est-ce que je parle de cela ? Parce que je cherche à

25 montrer quel genre de confrontations se sont produites en Bosnie-

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1 Herzégovine et je reviens sur ce que j'ai dit ce matin, à savoir que la

2 situation n'était pas simple, et les conflits opposaient pratiquement

3 tous les protagonistes dans des alliances différentes, comme je l'ai dit

4 ce matin.

5 Le professeur Bianchini, dans sa déposition, a cité le livre

6 d'un général croate Janko Bobetko, un livre qui a été récemment publié en

7 Croatie, et ce livre comporte ses ordres qui concernent le déploiement

8 des unités de la République de Croatie sur le territoire de la Bosnie-

9 Herzégovine. Quel était l'objectif de cela ? Eh bien, on voulait

10 démontrer qu'il s'agissait d'un conflit armé international puisque

11 l'armée d'un Etat souverain de la République de Croatie, dans ce cas, est

12 intervenue sur le territoire d'un autre Etat souverain, ici sur le

13 territoire de la Bosnie-Herzégovine.

14 Je demanderai respectueusement à la Chambre de tenir compte des

15 faits fondamentaux au moment d'étudier ces éléments, à savoir les

16 documents qui datent de 1992. Tous ces documents qui datent de 1992

17 sortent du cadre temporel de notre affaire, de notre acte d'accusation.

18 C'était le premier point.

19 Deuxièmement, tous ces documents concernent l'activité de

20 l'armée croate sur le territoire de l’Herzégovine -il s'agit d'une zone

21 frontalière avec la République de Croatie- et concernent également la

22 région de la Posavina au nord de la Bosnie et zone frontalière avec la

23 Croatie.

24 Troisièmement, à une question qui lui a été directement posée,

25 le professeur Bianchini a répondu que l'ennemi dont il est question dans

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1 ces ordres militaires, était la JNA, l'armée populaire yougoslave,

2 autrement dit des formations paramilitaires serbes et monténégrines. En

3 d'autres termes, les unités de l'armée croate dans des zones frontalières

4 de la République de Bosnie-Herzégovine ne se sont pas opposées aux unités

5 musulmanes ou à la population musulmane. En revanche, ensemble avec les

6 unités de l'armée de Bosnie-Herzégovine, elles se sont opposées à

7 l'agresseur, à savoir les unités paramilitaires serbes et monténégrines,

8 l'ex-JNA.

9 De même, le professeur Bianchini, à une question directe,

10 répond qu'à l'époque concernée il n'y a pas eu de conflit entre les

11 Croates et les Musulmans bosniaques. Par conséquent, la présence des

12 unités de l'armée croate dans les zones frontalières avec la République

13 de Bosnie-Herzégovine ne peut d'aucune manière être mise en relations

14 avec les événements en Bosnie centrale. Pourquoi ? Premièrement, parce

15 que la période concernée est totalement différente. Deuxièmement, parce

16 que le territoire concerné est différent.

17 Pour préciser les raisons de la présence de l'armée croate sur

18 le territoire de la Bosnie-Herzégovine, le professeur Bianchini, et sur

19 une demande expresse de la défense, a rappelé l'existence d'un accord

20 signé par les chefs des deux Etats souverains, le Président Tudjman du

21 côté croate et le Président Izetbegovic du côté bosniaque. Cet accord a

22 été signé en 1992, un accord d'amitié et de coopération où il est prévu,

23 entre autres, une coopération sur le plan militaire.

24 D'autres témoins qui ont été cités par l'accusation n'ont

25 abordé que de manière superficielle cette question. Ici, je pense aux

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1 dépositions de M. Charles McLeod, M. Junov qui, en tant qu'observateurs

2 européens ou fonctionnaires de la Croix-Rouge, ont eu la possibilité de

3 voir de près sur le terrain la situation. Jamais ils n'ont remarqué une

4 présence de l'armée croate en Bosnie centrale, plus précisément sur le

5 territoire de la municipalité de Busovaca.

6 De même, l'accusation a cité son témoin expert, le professeur

7 Bianchini, afin de nous permettre de comprendre mieux les relations qui

8 prévalaient entre les peuples de la région. Donc, de même, comme je le

9 disais, la défense a cité à comparaître le professeur Bilandzic qui a

10 présenté de manière claire et transparente les raisons de l'effondrement

11 de l'ex-Yougoslavie. Il a expliqué ce qui s'était en réalité passé dans

12 la région. Je ne rentrerai pas dans les détails de sa déposition.

13 Le seul point que je souhaite rappeler, c'est sa thèse

14 principale, d'un homme qui est historiographe et qui est spécialiste de

15 la question. En réalité, en parallèle avec le processus de création d'une

16 Yougoslavie allant depuis 1918, donc en parallèle avec un processus

17 d'intégration à un autre processus, le processus de désintégration a eu

18 lieu. A certains moments, c'est l'un qui prenait le dessus ou bien

19 l'autre, mais l'ensemble n'a conduit qu'à une fin inévitable qui, d'un

20 point de vue historiographique, n'était que l'unique issue de la

21 situation qui prévalait.

22 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la défense souhaite

23 commenter et présenter un certain nombre d'observations sur un certain

24 nombre de points clés contenus dans l'acte d'accusation. J'ai déjà abordé

25 cette question au début, permettez-moi d'y revenir.

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1 La question qui se pose est la suivante : est-il exact que

2 M. Aleksovski, compte tenu de la position qu'il occupait, avait des

3 compétences suffisantes pour qu'il soit permis d'en tirer des conclusions

4 sûres quant à sa responsabilité de commandement, sa responsabilité

5 hiérarchique ? Il ne fait aucun doute dans ce procès qu'à des moments

6 critiques M. Aleksovski remplissait les fonctions de directeur de la

7 prison militaire de Kaonik.

8 Compte tenu de la situation, les éléments de preuve ont permis

9 de démontrer que M. Aleksovski est arrivé dans la prison de Kaonik qui

10 avait été réaménagée pour être transformée en prison militaire et qu'il y

11 est donc arrivé vers la fin du mois de janvier ou le début du mois de

12 février 1993. L'accusation part également de ce fait, puisque dans l'acte

13 d'accusation la date du 29 janvier est citée à plusieurs reprises comme

14 étant la date de l'arrivée de M. Aleksovski dans le bâtiment de Kaonik.

15 Les éléments de preuve ont prouvé que M. Aleksovski était un

16 civil. Il n'était pas membre du HVO, il n'était pas membre de la police

17 militaire. Il n'avait pas de grade. Il ne remplissait aucune fonction

18 militaire. Des témoins de l'accusation comme des témoins de la défense

19 ont prouvé ce fait. Un grand nombre de témoins de l'accusation ont

20 déclaré que M. Aleksovski n'avait aucune compétence sur les soldats de la

21 police militaire qui étaient gardiens dans cette prison et qui étaient

22 installés non loin de la prison, dans un bâtiment distinct à l'entrée de

23 la prison.

24 Une question se pose : quelles étaient les compétences de

25 M. Aleksovski dans la prison militaire de Kaonik ? Il ne fait aucun

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1 doute, il n'est pas contesté que M. Aleksovski était un civil et que les

2 gardiens étaient des militaires, des policiers militaires. Donc,

3 théoriquement et pratiquement, il est permis de douter du fait qu'un

4 civil peut donner des ordres à un militaire.

5 La défense affirme que Zlatko Aleksovski, dans ses fonctions de

6 directeur de la prison militaire, n'avait que des compétences

7 administratives ainsi que les compétences d'établir des contacts avec les

8 représentants des organisations internationales qui visitaient Kaonik :

9 la Croix-Rouge internationale, les observateurs européens, les membres

10 d'autres associations humanitaires ou autres.

11 A partir des compétences qui étaient les siennes, il est

12 impossible de quelque façon que ce soit de tirer la conclusion selon

13 laquelle ces compétences représenteraient la base de sa responsabilité.

14 Si on veut évaluer l'existence ou la non-existence de la responsabilité

15 hiérarchique de mon client, M. Aleksovski, par rapport à la police

16 militaire, il nous faut bien comprendre une chose et cette chose est la

17 suivante : la police militaire était une formation qui avait son propre

18 commandant qui, dans la hiérarchie militaire avait elle-même un

19 supérieur. Personne en dehors de cette structure de la police militaire,

20 ou pour être plus précis dans cette structure de l'armée, n'avait

21 compétence pour donner des ordres à ces soldats. Ce que je veux dire par

22 là, c'est que personne n'était en droit d'utiliser pleinement ces

23 compétences pour donner des ordres à ces soldats en dehors de cette

24 structure militaire.

25 Lorsque je parle de cela, je parle de la possibilité de

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1 contrôler l'exécution d'un ordre et de prendre des mesures qui seraient

2 des sanctions. Dans la mesure où ces deux composantes de la compétence

3 n'existent pas, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il ne peut

4 être question de responsabilité hiérarchique car il s'agirait dans ce cas

5 d'une responsabilité hiérarchique déclarative et pas d'une responsabilité

6 hiérarchique sur le fond.

7 Un grand nombre de témoins ont démontré que M. Aleksovski

8 n'avait pas la compétence de sanctionner les policiers militaires pour

9 désobéissance, pour indiscipline ou pour quelque autre acte que ce soit.

10 Cela n'est pas contesté. La défense n'affirme pas que la question de la

11 responsabilité hiérarchique ne doit être considérée que dans le contexte

12 d'une organisation militaire.

13 La défense autorise la possibilité qu'un civil puisse même

14 rentrer dans le cadre de la responsabilité hiérarchique. Mais,

15 Monsieur le Président et Messieurs les Juges, cela ne peut être le cas

16 que si l'on parle d'un civil qui a un rang suffisamment élevé dans la

17 hiérarchie pour que la force de ses fonctions lui permettent de donner

18 des ordres exécutoires à des militaires. Dans la structure de notre

19 société contemporaine, si l'on voulait trouver des exemples de ce type,

20 on les trouverait dans le ministère de la Défense qui est composé de

21 civils. On peut trouver des tels exemples lorsqu'on parle de gouverneur

22 de certaine région ou peut-être même de maire de localité. Mais, en tout

23 cas, on ne peut trouver ces exemples que chez les personnes qui ont une

24 position élevée dans la société.

25 Alors rappelez-vous, si vous le voulez bien, les exemples qui

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1 vous ont été fournis ici. Pas un seul élément de preuve ne permet de

2 tirer la conclusion selon laquelle M. Aleksovski aurait rempli une

3 quelconque fonction civile importante, élevée. Monsieur Aleksovski

4 n'était pas membre de l'administration municipale de la petite ville de

5 Busovaca, et il était encore moins membre d'un organe civil ou politique

6 de plus haut rang.

7 Quelle que soit la façon dont on considère les choses,

8 M. Aleksovski n'a jamais fait partie de la moindre commission de

9 pourparlers, de la moindre instance chargée des échanges des personnes

10 arrêtées ou internées. Monsieur Aleksovski n'a jamais, aux dires de l'un

11 quelconque des témoins, été vu à une seule réunion de personnalités

12 civiles qui auraient discuté de ce genre de questions.

13 Nous affirmons en toute responsabilité que la question de la

14 responsabilité hiérarchique, s'agissant d'un civil dans l'affaire

15 concrète qui nous intéresse, ne peut pas avoir le moindre rapport avec

16 M. Aleksovski. Dans ces conditions, que nous reste-t-il ? Il nous reste

17 le fait qu'en tant que directeur de la prison militaire M. Aleksovski

18 pouvait se charger d'un certain nombre de tâches administratives : il

19 pouvait décider qui, parmi les gardiens, se trouverait dans quelle équipe

20 de gardiens, il pouvait décider combien de repas seraient cuisinés tous

21 les jours pour répondre aux besoins des internés et des gardiens, il

22 pouvait décider au sujet des besoins, d'autres besoins des personnes

23 travaillant sur le plan administratif dans la prison.

24 Mais s'agissant des compétences de fond, à savoir de la

25 possibilité de donner des ordres relatifs au destin des personnes

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1 internées à Kaonik, à leur arrestation ou à leur libération, prendre des

2 décisions par rapport aux sanctions ou aux autorisations ou aux décisions

3 disciplinaires relatives aux personnes travaillant dans la prison de

4 Kaonik, eh bien, ces compétences, M. Aleksovski ne les avait pas.

5 Le Président du Tribunal municipal de district de Travnik nous

6 l'a expliqué dans sa déposition, il nous a expliqué quel était le rapport

7 à Zlatko Aleksovski des instances du pouvoir de l'époque.

8 Cependant, il y avait une chose que M. Aleksovski pouvait

9 faire : il pouvait se plaindre si des situations d'abus étaient

10 constatées, il pouvait faire savoir aux instances compétentes qu'il y

11 avait eu tel ou tel comportement inacceptable et c'est ce que

12 M. Aleksovski a fait.

13 Rappelons-nous l'affaire de M. Sehovic et Elezovic, les deux

14 hommes qui avaient été tués. Je vous rappellerai également les éléments

15 de preuve présentés par la défense sous la cote D21A,B et C et également

16 les éléments de preuve D25 et 26. Il s'agit dans tous les cas de

17 documents écrits que M. Aleksovski a transmis au Tribunal militaire de

18 district de Travnik donc et au commandant des unités militaires,

19 s'agissant de comportements inacceptables de la part de membres de la

20 police militaire qui, par la force, pénétraient dans l'enceinte de la

21 prison où ils n'étaient pas autorisés à pénétrer.

22 Rappelez-vous, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la

23 déposition de Juhnov qui, pour visiter Kaonik, a demandé une

24 autorisation, et cette autorisation lui a été délivrée par la police et

25 pas par Zlatko Aleksovski parce que Zlatko Aleksovski n'était pas

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1 habilité à lui délivrer une autorisation pour lui permettre de visiter

2 Kaonik. Je ne rappelle là d'ailleurs que les généralités des compétences

3 qui étaient les siennes dans le poste qu'il occupait.

4 J'aimerais vous rappeler également, Monsieur le Président,

5 Messieurs les Juges, qu'un thème revient de façon incessante dans ce

6 procès où il a sans arrêt été question du fait que des internés musulmans

7 bosniens ont été emmenés à l'extérieur de la prison pour effectuer des

8 travaux forcés, creuser des tranchées, etc., et que ce fait est considéré

9 comme une charge retenue contre Zlatko Aleksovski.

10 Sur le territoire de la municipalité de Busovaca, il y avait

11 deux conflits : le premier conflit a commencé le 24 janvier, dans la nuit

12 du samedi au dimanche, et le deuxième a commencé à la mi-avril 1993

13 également. Dans ces deux périodes, à Kaonik ont été internés des

14 habitants de Busovaca et des villages environnants.

15 Mais qui les a internés ? Qui les a amenés à Busovaca ? Qui a

16 donné cet ordre ? Cela, nous ne sommes pas parvenus à le confirmer. Au

17 cours du procès, ni l'accusation ni la défense n'a présenté le moindre

18 élément de preuve susceptible de répondre à la question de savoir qui a

19 délivré l'ordre sur la base duquel des personnes ont été internées à

20 Kaonik.

21 En revanche, il y a une chose qui est sûre, c'est que cet ordre

22 n'a pas été délivré par M. Aleksovski tout simplement parce qu'il n'était

23 pas en situation, en position de délivrer cet ordre. Et en disant cela,

24 je souhaite affirmer que M. Aleksovski, en tant que personne chargée de

25 s'occuper de tâches administratives liées au fonctionnement de la prison

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1 de Kaonik, a été amené contre son gré dans une situation dans laquelle,

2 étant donné son engagement professionnel, il a dû essayer d'améliorer une

3 situation humanitaire qui n'était certainement pas idéale du tout.

4 Je parlerai un peu plus tard des bases juridiques qui ont

5 présidé à l'internement des Musulmans bosniens dans cette période, mais

6 pour le moment, j'aimerais appeler votre attention sur cette question,

7 retenir votre attention sur cette question de la responsabilité

8 hiérarchique.

9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous demanderai

10 de vous rappeler une décision importante du Tribunal des crimes de guerre

11 de Nuremberg. Dans l'affaire USA contre Wilhem VonLeeb, cette décision a

12 été prise, elle est connue également comme la décision qui a conclu

13 l'affaire du haut commandement. Et la base du procès tournait autour de

14 la détermination de la responsabilité hiérarchique. Eh bien, les bases de

15 cette responsabilité hiérarchique dans ce cas sont définies comme suit :

16 " Il est impossible d'imputer à un commandant à l'avance les actes commis

17 par ses subordonnés. Il faut qu'il y ait responsabilité individuelle dans

18 le sens de l'individualisation du crime. Toute autre intervention du

19 droit, toute autre interprétation du droit international serait bien en

20 deçà des bases fondamentales du droit pénal connues dans les Etats

21 civilisés". Par conséquent, la responsabilité pénale de l'accusé doit

22 être confirmée par application du critère du droit qui est celui de la

23 responsabilité individuelle.

24 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les sources du

25 droit qui s'appliquent aux forces armées sont différentes et grandement

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1 différentes des critères du droit qui s'appliquent à d'autres hiérarchies

2 ou à la police.

3 Les membres des forces militaires sont soumis au droit

4 militaire national et aux règlements internationaux du droit. Dans ces

5 conditions, un accusé qui n'est pas un militaire est responsable en vertu

6 du droit pénal, de la commission des crimes qui sont prévus également

7 dans le droit national. Et dans l'affaire concrète qui nous intéresse,

8 lorsque nous parlons de crimes graves, je ne me réfère pas à cet acte

9 d'accusation mais aux compétences générales du Tribunal : il s'agirait de

10 meurtres, de blessures graves, de viols, etc.

11 La responsabilité pénale dans ce cas est différente de celle

12 qui est prévue par les réglementations du droit de la guerre, et je pense

13 que c'est là quelque chose de tout à fait évident. En disant cela, ce que

14 je tiens à dire, c'est que le critère militaire est toujours supérieur au

15 critère civil, et ce parce qu'il est nécessaire de maintenir un niveau de

16 discipline plus élevé dans le premier cas, et que donc la responsabilité

17 des personnes poursuivies est considérée de ce point de vue en raison

18 également de la responsabilité supérieure de l'armée.

19 La responsabilité prévue par le Statut de ce Tribunal lorsque

20 nous parlons de responsabilité hiérarchique est considérée dans les

21 conditions suivantes et le Protocole de La Haye à ce sujet stipule que la

22 question fondamentale consiste à se demander si le commandant avait la

23 possibilité de contrôler les actes de ses subordonnés puisque, selon le

24 Statut du Tribunal, les actes des subordonnés sont pris en compte.

25 Les deux autres postulats consistant à dire "que le commandant

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1 devait savoir ou avoir des raisons de savoir et qu'il devait avoir pris

2 des mesures pour contrôler ou empêcher", je crois que ce sont des

3 postulats évidents. Mais lorsque je parle du postulat dont je parle en ce

4 moment, je mets l'accent sur l'exigence pour le commandant d'avoir eu la

5 possibilité de contrôler les actes de ses subordonnés et l'exigence

6 également que les actes des subordonnés entrent dans la filière de

7 commandement relevant de lui.

8 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, grâce au témoignage

9 des témoins de l'accusation et de la défense, nous avons pu constater que

10 les sévices corporels -pour autant qu'il y en ait eu- ont eu lieu en

11 dehors de l'enceinte de Kaonik et que ces sévices ont été infligés par

12 des personnes qui n'étaient pas sous la juridiction légale de

13 M. Aleksovski.

14 Dans ces cas-là, M. Aleksovski, comme je l'ai déjà dit, a réagi

15 en tant que citoyen. Il a fait savoir ce qu'il avait vu, ce qu'il savait

16 aux instances qui, selon lui, étaient compétentes pour poursuivre

17 d'éventuelles poursuites.

18 Mais, Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

19 Zlatko Aleksovski n'avait aucune compétence pour prendre lui-même des

20 mesures consistant à sanctionner les personnes éventuellement

21 responsables de sévices corporels ou d'autres actes du même genre.

22 Zlatko Aleksovski n'avait pas ces compétences, et des compétences de ce

23 genre n'ont aucunement un rapport avec les fonctions qui étaient les

24 siennes.

25 J'ai déjà parlé des blessures graves et atteintes graves à

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1 l'intégrité physique des internés de Kaonik dont il a été question au

2 cours du procès. Mais, en cet instant, j'aimerais vous rappeler peut-être

3 encore une fois seulement que la défense a cité un grand nombre de

4 témoins qui étaient des travailleurs médicaux du centre médical de

5 Busovaca, des médecins, des infirmières, et que ces témoins ont présenté

6 leur déposition devant ce Tribunal. Selon la défense, ces dépositions

7 sont tout à fait fiables et authentiques et il est possible d'en retirer

8 un certain nombre de faits.

9 Personne n'a jamais, au cours du conflit qui fait l'objet de

10 l'acte d'accusation, personne parmi ces personnels médicaux n'a fourni

11 des soins médicaux à une quelconque personne souffrant de blessures

12 graves et qui venait de Kaonik. Excusez-moi, j'avais oublié cet élément.

13 Je veux parler de fractures, de plaies ouvertes ou de troubles du même

14 genre.

15 Les personnes qui venaient de Kaonik pour demander des soins

16 médicaux au centre médical de Busovaca se plaignaient de maladies

17 chroniques, se plaignaient de certains troubles aigus comme, par exemple,

18 un refroidissement, des douleurs à l'estomac ou des problèmes de ce

19 genre.

20 Vous avez entendu, Messieurs les Juges, l'accusation vous dire

21 que les conditions à Kaonik du point de vue de l'hygiène étaient

22 infra-minimales. En dépit de cela, vous avez entendu que personne parmi

23 les internés de Kaonik n'avait de maladie infectieuse, personne ne

24 présentait des troubles qui, en général, sont liés à l'existence de

25 conditions d'hygiène insuffisantes.

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1 Vesna Bilic, qui était directeur du centre de santé, qui a été

2 un témoin ici et qui, par ses fonctions, avait pour responsabilité de

3 veiller aux conditions d'hygiène dans tout ce secteur, a confirmé que

4 pendant ces temps de guerre, pas une seule épidémie due à une quelconque

5 maladie infectieuse ne s'est produite et qu'il n'y a jamais eu la moindre

6 maladie qui ait pu être constatée dont on aurait pu établir qu'elle avait

7 un lien avec une insuffisance des conditions d'hygiène.

8 La défense considère qu'il s'agit là d'un fait et que ce fait à

9 lui seul infirme la thèse selon laquelle il y aurait eu des conditions

10 d'hygiène inférieures au minimum. Il est peu vraisemblable que si les

11 conditions d'hygiène étaient aussi insuffisantes, il n'y ait eu aucune

12 conséquence. Il est peu vraisemblable également que, suite à de nombreux

13 mauvais traitements physiques, il n'y ait eu aucune conséquence

14 vérifiable grâce à un examen médical.

15 La conclusion de la défense consiste à dire que tout cela n'a

16 tout simplement pas existé. La conclusion de la défense consiste à dire

17 que cet internement de courte durée temporaire, qui a eu lieu à deux

18 reprises sur le territoire de Busovaca, n'a pas eu pour conséquence une

19 mise en danger grave de la santé ou de l'intégrité physique des personnes

20 internées.

21 M. le Président. - J'attire votre attention sur le fait que,

22 sur le compte rendu, Me Mikulicic avait dit que tous les termes

23 "détention" et "détenus" devraient être substitués par "internés". Je

24 vois qu'il y a "temporaly detention". Il faut faire cette correction au

25 moins à la demande de Me Mikulicic.

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1 Maître Mikulicic, vous pouvez continuer. Je crois que c'était

2 ce que vous aviez déclaré.

3 M. Mikulicic (interprétation). - Oui, c'est vrai, merci.

4 Je vous remercie, Monsieur le Président, pour cette mise en

5 garde et je demande encore une fois aux interprètes d'interpréter le

6 terme croate "internje" par le terme correspondant en français et en

7 anglais à savoir "internement". Donc, Monsieur le Président,

8 Messieurs les Juges, nous parlons d'internement. Le moment est peut-être

9 venu pour moi de dire quelques mots sur ce sujet.

10 Contrairement à la position de l'accusation qui, d'une certaine

11 manière, estime notoire le fait que l'internement de civils dans des

12 moments critiques ait été un acte illégal, un acte contraire à la loi...

13 Donc contrairement à l'accusation, la défense estime qu'il existe des

14 fondements du droit commun international qui permettent un tel acte.

15 L'internement de civils n'est interdit ni par les Conventions de Genève

16 ni par les Protocoles de La Haye ni par le droit commun international. Il

17 existe bien sûr des restrictions.

18 Il existe des conventions particulières dans le cadre duquel un

19 tel internement est tolérable et j'aimerais, si vous me le permettez,

20 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous rappeler, s'agissant de

21 cela, deux affaires judiciaires qui sont devenues des sources du droit, y

22 compris pour notre procès. Je veux parler de l'affaire Korematsu contre

23 les Etats-Unis et de l'affaire Hirabayashi contre les Etats-Unis.

24 Dans ces deux affaires, il est question d'événements datant

25 de 1942. Sur le territoire de la côte ouest des Etats-Unis, donc de la

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1 Californie, un commandant militaire de l'époque a décrété, alors que la

2 guerre sévissait entre les Etats-Unis et le Japon, a donc donné un ordre

3 et, en fonction de cet ordre, tous les citoyens américains qui vivaient

4 au Japon devaient être expulsés de leur domicile pour être placés dans

5 des centres de regroupement. Autrement dit, ces citoyens étaient internés

6 et cette décision a été prise sous le prétexte que pour que les

7 opérations militaires soient menées avec succès, il fallait être protégé

8 contre tout risque de sabotage ou d'espionnage.

9 Dans l'affaire Hirabayashi contre les Etats-Unis, la situation

10 était un peu moins pénible. Les citoyens américains d'origine japonaise

11 n'ont pas été placés dans des centres de regroupement, ils n'ont pas été

12 expulsés de leur domicile, mais ils ont reçu l'ordre de respecter un

13 couvre-feu. Ils n'avaient pas le droit de sortir de leur domicile entre

14 20 heures et 6 heures du matin. M. Korematsu et M. Hirabayashi ont lancé

15 des poursuites judiciaires mettant en cause la légitimité, la légalité de

16 ces décisions.

17 Le Congrès des Etats-Unis d'Amérique ainsi que la Cour suprême

18 américaine ont adopté la position suivante : il n'y a pas eu de

19 discrimination et, dans ces cas-là, l'accent devait être mis sur le

20 caractère temporaire des mesures prises pour des raisons de sécurité.

21 Si nous essayons d'analyser ces exemples à la lumière des

22 événements qui se sont produits sur la municipalité de Busovaca et à

23 Kaonik, nous verrons que ces exemples s'appliquent à notre situation. Qui

24 plus est, il convient de souligner qu'au moment où ces décisions

25 américaines ont été prises pour le territoire qu'elles concernent, il n'y

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1 avait pas d'opérations militaires. Jamais les Japonais ne sont arrivés en

2 Californie, jamais il n'y a eu à ce moment d'opérations militaires en

3 Californie. Or, nous avons vu, Messieurs les Juges, quels genres

4 d'opérations étaient en cours sur une petite zone, celle de Busovaca.

5 Or, quelle est la situation ici des recrues, des citoyens de la

6 République de Bosnie-Herzégovine d'appartenance ethnique

7 musulmane...(qui ?) résident de fait dans une région où les citoyens

8 d'appartenance ethnique croate se défendent des attaques menées par

9 l'armée de Bosnie-Herzégovine.

10 Rappelons-nous, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les

11 quelques exemples que j'ai cités où j'ai dit que pour un certain nombre

12 de témoins de l'accusation ayant été internés à Kaonik, des armes ont été

13 trouvées, des pistolets automatiques, des armes antichars, des grenades à

14 main.

15 Alors le fondement juridique de la manière dont l'entend la

16 défense pour l'internement des Musulmans, c'était une question de

17 sécurité, rien d'autre. Nous conviendrons du fait qu'il s'agissait d'un

18 internement provisoire et qui n'a duré que brièvement. Dans un premier

19 cas, il a duré du 25 janvier jusqu'au 8 février. Pour la deuxième

20 période, il s'est agi du 16 et 17 avril, allant jusqu'à la fin du mois de

21 mai, au plus tard.

22 Nous pouvons donc dire que les personnes internées ont passé en

23 moyenne à Kaonik jusqu'à deux semaines. Je suis d'accord avec vous que

24 même cela est de trop, qu'une journée est déjà de trop, même dans des

25 circonstances normales.

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1 Or, Monsieur le Président, la situation à l'époque à cet

2 endroit était effrayante. Les témoins vous l’ont relaté. Il n'y avait pas

3 un seul endroit sur le territoire de la municipalité de Busovaca qui

4 n'ait pas été touché par balle, obus ou grenade. Nombre de civils ont été

5 des victimes de ces tirs et ce chez eux, à domicile.

6 Aucune personne internée n'a été blessée au sein du bâtiment de

7 Kaonik, dans cette enceinte, mais les gardiens qui les gardaient l'ont

8 été. Nous les avons vus, il y a eu des personnes âgées parmi eux. Un

9 homme a été blessé au niveau de ses organes sexuels, un autre au niveau

10 de l'estomac et ce d'un obus à Kaonik même, à l'endroit où il était

11 chargé d'assurer la sécurité de ce bâtiment.

12 J'entends par là... et je souhaite appeler votre attention sur

13 cette question de sécurité. La question de sécurité en tant que raison de

14 l'internement est une question à deux aspects, qui contient deux aspects,

15 deux volets. Premièrement, nous avons la question de l'internement qui

16 est conforme à la situation dans les affaires Korematsu et Hirabayashi.

17 L'autre volet correspond aux raisons humanitaires générales puisque -vous

18 en conviendrez, je pense, avec moi- c'est une chose que d'être restreint

19 dans ses mouvements et une autre chose en est ne pas avoir ce mouvement

20 limité et être victime des opérations militaires.

21 Et enfin, mais non moins important, Monsieur le Président,

22 Messieurs les Juges, je vous prie de tenir compte du fait que toute unité

23 militaire, par l'application des Conventions de Genève, est tenue,

24 lorsqu'elle mène des opérations militaires, d'évacuer les civils des

25 zones d'opérations militaires, y compris par la force.

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1 Si nous envisageons les choses sous cet angle-là, je pense que

2 vous comprendrez les événements qui nous concernent et qui viennent de

3 cette Bosnie si difficilement compréhensible.

4 Là, je pense pouvoir dire que nous n'avons pas pu établir qui a

5 ordonné l'internement. Nous savons que c'est la police militaire du HVO

6 qui exécutait l'internement, mais je pense là encore que le fondement

7 juridique de cela peut facilement être expliqué.

8 J'en viens maintenant à la question des travaux forcés de

9 creusement des tranchées. Il s'agit là encore d'un sujet qui traverse

10 l'ensemble de notre procédure. Bien entendu, cela est contraire à la loi.

11 C'est interdit. Cela ne pose aucune question. C'est ce que dit

12 l'accusation, c'est ce qu'affirme l'accusation, mais la défense affirme

13 le contraire.

14 Prenant, là, le deuxième Protocole de La Haye, la défense

15 estime que c'est ce Protocole qui s'applique dans notre affaire. Il y est

16 dit que certaines personnes peuvent être envoyées à effectuer des travaux

17 forcés, que des internés peuvent être demandés de le faire, mais dans les

18 mêmes conditions que la population civile.

19 Je pense que j’ai cité très précisément cette disposition du

20 deuxième Protocole de La Haye. Autrement dit, pendant la période

21 concernée dans la municipalité de Busovaca, des dispositions ont été

22 appliquées, les dispositions de la législation locale et qui ordonnaient

23 des travaux forcés. C'est dans ce sens que la défense a introduit les

24 textes qui étaient en vigueur à l'époque et qui gèrent la question du

25 travail forcé. Il s'agit des pièces D28 et D28A.

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1 Il s'agit de règlements qui règlent le travail forcé dans la

2 législation nationale. Il y est dit -je ne voudrais pas rentrer dans les

3 détails, mais je voudrais simplement signaler l'essentiel-, il y est dit

4 que "en temps de guerre, pour des besoins d'opérations militaires ainsi

5 que pour d'autres besoins des forces armées, il est possible d'ordonner

6 que soient organisées des unités ayant une obligation de travail et que

7 cet ordre émane des officiers militaires si le pouvoir civil ne

8 fonctionne pas. Ces unités de travail peuvent être constituées afin

9 d'exécuter des tâches concernant la construction des fortifications, des

10 abris, et peuvent être employées à d'autres travaux qui concernent la

11 défense, qui sont importants pour la défense.

12 Monsieur le Président, c'est exactement cela qui s'est produit

13 pendant la période concernée. Rappelez-vous les dépositions des témoins.

14 Les commandants militaires du HVO, à certains endroits des lignes de

15 front, après avoir estimé qu'il était nécessaire de fortifier leurs

16 lignes, envoyaient des policiers militaires, constituaient des unités de

17 travail. Ces unités de travail étaient alors amenées sur le site et

18 exécutaient cet travail selon l'ordre et sous le commandement du

19 supérieur militaire.

20 La défense a cité des témoins, témoins qui sont d'ailleurs

21 citoyens de Bosnie-Herzégovine et qui ne sont pas d'appartenance

22 musulmane, donc un Serbe, citoyen de Bosnie-Herzégovine, et un autre nom

23 musulman qui ont affirmé tout simplement que des policiers militaires

24 sont venus les chercher et qu'ils les ont emmenés sur une ligne de front

25 où ils étaient obligés de travailler. Il s'agit d'hommes ; dans le second

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1 cas c'était un Croate qui était en âge de combattre mais qui, pour un

2 certain nombre de raisons, ne portait pas d'armes, n'avait pas d'armes.

3 Ces hommes devaient contribuer à la défense commune d'une autre manière

4 et non pas l'arme à la main. Telle est l'idée qui présidait donc à cette

5 obligation de travail.

6 Monsieur le Président, c'est ainsi que les civils musulmans qui

7 avaient été internés à Kaonik étaient en âge et aptes à combattre. Il n'y

8 avait aucune raison que ces hommes-là ne soient pas envoyés à exécuter

9 ces tâches de travail et ils y ont été envoyés. Ils l'ont fait dans les

10 mêmes conditions que la population civile non internées. C'est la police

11 militaire qui était chargée de mettre en place cela. Elle les amenait à

12 des endroits où ce sont des commandants militaires qui leur donnaient des

13 ordres portant sur ce qu'ils devaient faire, le plus souvent creuser des

14 tranchées, ériger des fortifications et, par la suite, c'est la police

15 militaire qui les ramenait de l'endroit où ils avaient travaillé. C'était

16 bien entendu dangereux, mais le danger prévalait partout, tout centimètre

17 carré de Busovaca était dangereux.

18 Rappelez-vous la déposition du témoin Lukovic qui a dit qu'il

19 était moins dangereux pour lui de travailler sur la ligne de front que de

20 se trouver en ville parce que, quand ont était en ville, à tout moment un

21 obus pouvait tomber à proximité, alors que là, dit-il, "les soldats

22 veillaient sur nous". Pour confirmer cette affirmation, le témoin a dit

23 que son appartement, en son absence, a été touché par un obus qui a

24 atterri dans la chambre où se trouvaient ses petits enfants.

25 Heureusement, ils ont survécu à cela.

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1 Vous voyez, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce que

2 cela signifie "situation dangereuse". Pendant la première moitié de 1993,

3 ces situations étaient en abondance, il n'y avait pratiquement pas de

4 lieux où ne régnait pas le danger.

5 Si je le dis, c'est pour montrer comment ces Musulmans internés

6 de Kaonik travaillaient à peu près dans les mêmes conditions que les

7 civils non internés de la même région, et ceci sur la base d'une

8 réglementation en vigueur, des textes de loi en vigueur nationaux.

9 Par conséquent, la défense estime que, lors de l'exécution de

10 ces travaux forcés, il n'y avait pas d'illégalité en soit. Mais, d'autre

11 part, si pendant l'exécution de ces travaux, les Musulmans bosniaques ont

12 effectivement été soumis à des mauvais traitements, alors là -comme nous

13 l'avons déjà dit-, cela sort complètement du cadre des pouvoirs de mon

14 client, M. Aleksovski, puisque ce n'était pas lui qui décidait où, et si

15 oui, ces gens devaient être emmenés faire ces travaux forcés ; d'autre

16 part, il n'occupait pas un poste qui lui permettait de veiller au

17 déroulement de ces travaux. Et en troisième lieu, ces événements ne se

18 produisaient pas dans l'enceinte du complexe de Kaonik, du bâtiment de

19 Kaonik où il était compétent. Je vous prie donc d'avoir à l'esprit ces

20 éléments lorsque vous chercherez à formuler votre conclusion.

21 Je passe maintenant à la question des boucliers humains. Il

22 s'agit là encore d'un thème qui traverse l'ensemble de notre procès. Je

23 n'ai absolument pas l'intention de justifier ou de chercher à justifier

24 le fait d'utiliser des hommes pour protéger ces unités. Il s'agit d'un

25 phénomène odieux qui ne peut d'aucune manière être justifié. Mais ce que

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1 j'affirme et ce que j'affirme en toute responsabilité, c'est qu'il n'y

2 avait pas du tout de boucliers humains. Si vous passez en examen les

3 dépositions des témoins ayant parlé de boucliers humains, vous en

4 déduirez, je l'espère, la même chose que la défense.

5 Il s'agit tout simplement de la chose suivante : les témoins

6 qui ont dit avoir été utilisés pour faire partie ou pour constituer des

7 boucliers humains lorsque des questions directes leur ont été posées,

8 visant à savoir de quelle façon cela était fait. Et là je ne rentrerai

9 pas dans une nouvelle interprétation de certaines affirmations de témoin

10 ou déclarations, je vous dirai la chose suivante : trois cas ont été

11 décrits par les témoins, Strane, Skradno et Merdani. Il s'agit de trois

12 villages.

13 Dans les trois cas, dans les trois villages, il n'y avait pas

14 de présence d'unité de l'armée de Bosnie-Herzégovine, il n'y avait pas

15 d'activité militaire en provenance de ces villages. Les hommes ont

16 effectivement été regroupés par le HVO et ont été amenés à proximité de

17 ces villages, mais à deux reprises, ils se trouvaient à 500, voire

18 800 mètres à distance du village, et une fois le village ne se voyait

19 même pas de l'endroit où ils étaient à cause de la configuration du

20 terrain. Personne n'a été blessé. Il n'y a pas eu de victime. D'après la

21 déposition d'un témoin, une balle a été tirée, il ne sait pas d’où.

22 Alors la défense se pose la question suivante : s’agissait-il

23 vraiment de boucliers humains au sens où cette expression, ce terme est

24 employé par l'accusation ? Et la défense affirme que non. Et la défense

25 va plus loin pour dire la chose suivante : nous accorderons que pour un

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1 élément non discipliné du HVO, l'idée a pu exister, l'idée d'utiliser

2 comme boucliers humains ces hommes, mais il est tout à fait clair que

3 cette idée comme nous disons juridiquement, que cette idée n'a pas été

4 consommée.

5 Donc cette activité illégale n'a pas été consommée. Il s'agit

6 d'un exemple type d'une tentative inadéquate. Oui, comme je le disais, il

7 y a eu peut-être l'idée de les utiliser comme boucliers humains, mais vu

8 la conséquence et vu que le site était inadéquat, nous ne pouvons pas

9 interpréter cette action comme un acte criminel effectif mais comme une

10 tentative non appropriée. Nous connaissons dans l'histoire du droit

11 qu'une tentative inadéquate ne peut pas être condamnée.

12 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la défense estime

13 que c'est précisément dans le cadre de cette catégorie juridique qu'il

14 faut étudier la charge concernant les boucliers humains. Et enfin, je

15 souhaite revenir sur la question clé de notre affaire, la question de

16 l'existence d'un conflit armé international.

17 M. le Président. - Maître Mikulicic, est-ce que vous voulez,

18 avant d'entrer dans ce que vous appelez la question clé, faire une

19 pause ? Ce serait peut-être mieux pour ne pas casser votre dynamique.

20 M. Mikulicic. - Merci, Monsieur. C'est une bonne idée.

21 M. le Président. - Donc, on va faire une pause de vingt

22 minutes.

23 (L’audience, suspendue à 15 heures 35, est reprise à

24 16 heures.)

25 M. le Président. - Maître Mikulicic, vous pouvez continuer et

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1 nous vous écoutons avec intérêt.

2 M. Mikulicic (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

3 Président. Je poursuivrai ma plaidoirie et d'ailleurs j'en arriverai à la

4 conclusion de ma plaidoirie en reprenant une réflexion de la défense sur

5 une question particulièrement importante, sinon la plus importante, à

6 savoir celle du conflit armé international.

7 J'ai déjà dit quelques mots de cette question au début de ma

8 plaidoirie et je me contenterai donc à présent de compléter. Un conflit

9 armé international, selon la définition des Conventions de Genève

10 de 1949, exige pour exister qu'il y ait conflit armé entre deux ou

11 plusieurs pays ou parties contractantes.

12 L'article 2 du Statut de ce Tribunal, en accord avec l'arrêt de

13 la Chambre d'appel Tadic, a statué sur cette question du conflit armé

14 international. La défense estime que dans la période pertinente pour

15 notre procès, sur le territoire visé par l'acte d'accusation, il ne peut

16 être question qu'il y avait bien conflit armé. La défense va plus loin

17 que cela. Elle affirme que, y compris sur d'autres territoires en dehors

18 de la Bosnie centrale, dans la République de Bosnie-Herzégovine, dans la

19 période pertinente, il n'existait pas non plus un état que l'on puisse

20 qualifier de conflit armé international.

21 La défense estime en outre que, sur le territoire visé par

22 l'acte d'accusation, il n'y avait pas non plus un état d'occupation

23 limitée, d'occupation partielle, car une occupation partielle implique

24 par définition une situation qui se distingue de l'invasion, une

25 situation caractérisée par le fait qu'un territoire qui subit les

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1 hostilités tombe sous le contrôle de la partie attaquante, de la partie

2 adverse.

3 Par conséquent, pour les bases légales et factuelles permettant

4 de dire qu'il existait une occupation partielle, il faut qu'il soit

5 possible de dire que l'armée attaquante s’est emparé de la totalité ou

6 d'une partie du territoire d'un Etat appartenant à une autre partie

7 contractante, selon la définition des Conventions de Genève.

8 La défense estime fermement que l'état de conflit armé

9 international ne s'applique pas tout simplement au procès qui nous

10 occupe, et la défense s’appuie également sur des éléments de droit pour

11 étayer sa position, bien entendu.

12 La défense affirme que le droit applicable au procès qui nous

13 intéresse est le droit stipulé dans le deuxième Protocole de La Haye et

14 non celui qui figure dans les Conventions de Genève de 1949. Pour que

15 soient compris les rapports entre deux Etats -l'Etat souverain de la

16 République de Bosnie-Herzégovine, membre des Nations Unies d'une part, et

17 la République de Croatie, membre également des Nations Unies d'autre

18 part, Etat souverain également, pour lequel il est considéré dans l'acte

19 d'accusation qu'elle agit en tant que partie prenante dans un conflit

20 international- il faut examiner la nature des relations qui prévalaient

21 dans la période pertinente à notre procès entre ces deux Etats. Je suis

22 certain que vous connaissez bien les événements dont je vais parler à

23 présent, mais permettez-moi tout de même de vous les rappeler brièvement.

24 La République de Bosnie-Herzégovine a proclamé son indépendance

25 et son autonomie par rapport à l'ancien Etat de la République socialiste

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1 fédérative de Yougoslavie le 6 avril 1992. Le lendemain, le 7 avril, la

2 République de Croatie a reconnu cet Etat de la République de Bosnie-

3 Herzégovine qui venait d'être proclamée. A la fin de 1992, le

4 28 novembre, le représentant, M. Kulenovic a été nommé au poste de chargé

5 d'affaires de l'ambassade de la République de Bosnie-Herzégovine et le

6 docteur Sancevic arrive à Sarajevo en décembre -Sarajevo qui était

7 assiégée- en passant par le fameux tunnel dont on a beaucoup parlé, et il

8 remet au Président de la Présidence de la République de Bosnie-

9 Herzégovine, M. Alija Izetbegovic, ses lettres de créance. C'est le

10 premier diplomate étranger qui a remis ses lettres de créance à

11 M. Izetbegovic.

12 Plus tard, les relations entre la République de Bosnie-

13 Herzégovine et la République de Croatie n'ont pas cessé d'exister un seul

14 instant au niveau des ambassades, à compter donc du moment dont je viens

15 de parler et jusqu'à la date d'aujourd'hui, y compris la période

16 d'inimitié entre les Croates bosniaques et les Musulmans bosniaques. Pas

17 un seul instant, pendant toute cette période, les relations diplomatiques

18 entre ces deux Etats n'ont été interrompues. Bien au contraire, ces

19 relations n'ont pas cessé de progresser.

20 En janvier 1993, à Zagreb, Mme Bisera Turkovic s'est vue

21 accréditée au poste d'ambassadeur en République de Croatie. Les

22 représentants des deux Etats, les Présidents des deux Etats, M. Tudjman

23 et M. Izetbegovic, n'ont pas cessé d'avoir des contacts. Ils ont échangé

24 un grand nombre de lettres, ils ont participé à un grand nombre de

25 réunions Le Président Izetbegovic en 1993, donc pendant la période des

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1 plus intenses hostilités entre les Croates et les Musulmans de Bosnie, a

2 visité la capitale de Croatie à plusieurs reprises. Il a discuté avec le

3 Président Tudjman à plusieurs reprises ainsi qu'avec d'autres

4 responsables politiques. Donc ces relations n'ont pas un seul instant été

5 interrompues.

6 Le Parlement croate, pour sa part, a exigé dans un certain

7 nombre de déclarations que les hostilités entre les Croates et les

8 Musulmans de Bosnie cessent. Des efforts ont été déployés pour que ces

9 hostilités s'arrêtent, mais le déroulement des événements sur le terrain,

10 malheureusement, a échappé très souvent aux bonnes volontés politiques

11 qui tendaient à la compréhension.

12 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, permettez-moi de

13 vous rappeler que l'éclatement de la guerre entre deux Etats qui serait à

14 la base de l'existence d'un conflit armé international, selon les

15 affirmations de l'accusation, a pour point de départ l'interruption des

16 relations diplomatiques. Or, rien de ce genre n'a eu lieu dans les

17 rapports entre la République de Bosnie-Herzégovine et la République de

18 Croatie.

19 L'éclatement d'une guerre, par ailleurs, a une incidence

20 importante sur un certain nombre d'accords pouvant exister entre deux

21 Etats. Ces accords sont suspendus, abrogés. Rien de tout cela n'a existé.

22 Bien au contraire, dans la dernière période, de nouveaux accords ont été

23 conclus qui portent sur la coopération aussi bien en temps de paix qu'en

24 temps de guerre.

25 Je me permettrai de vous rappeler -si vous me le permettez-

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1 l'article 4 paragraphe 2 de la 4ème Convention de Genève. Cet article

2 constitue un test important pour juger de l'existence d'une guerre entre

3 deux Etats. Il se lit comme suit : "Les ressortissants d'un Etat neutre

4 qui se trouvent sur le territoire d'un pays en guerre et les

5 ressortissants d'un Etat participant à une guerre ne seront pas

6 considérés comme personnes protégées tant que l'Etat dont ils sont

7 ressortissants aura une représentation diplomatique régulière auprès de

8 l'Etat sur le territoire duquel ils se trouvent". Ce qui signifie,

9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que pour qu'un Etat en guerre

10 prenne des mesures contre les ressortissants d'un autre Etat avec lequel

11 il mène la guerre, il faut que ses ressortissants soient sur son

12 territoire.

13 Je me permettrai de vous rappeler que le 8 mai 1992, la

14 République de Croatie a fourni un abri à 225 000 réfugiés de

15 Bosnie-Herzégovine. Parmi ces 225 000 personnes qui constituent 5 % de la

16 population croate, 80 % étaient des Musulmans. Pas une seule personne n'a

17 été rapatriée, pas une seule personne ne s'est vue confisquer ses biens,

18 qu'il s'agisse de biens physiques ou de biens moraux, et tout cela s'est

19 déroulé dans une situation de guerre entre deux Etats souverains.

20 Si cette Chambre de première instance devait accepter les

21 affirmations de l'accusation selon lesquelles entre la République de

22 Bosnie-Herzégovine et la République de Croatie, ce qui était en cause

23 était un conflit armé, ce serait le premier exemple dans l'histoire où

24 l'on verrait deux Etats en guerre alors qu'en même temps, ces deux Etats

25 maintiendraient des relations consulaires régulières et fourniraient un

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1 abri aux ressortissants de l'Etat contre lequel ils sont en guerre.

2 L'histoire n'a jamais connu de tels exemples et rien de ce

3 genre d'ailleurs ne s'est jamais produit. Il n'y a pas eu de conflit armé

4 international.

5 Permettez-moi, les choses étant ce qu'elles sont, de vous

6 rappeler un certain nombre des éléments de preuve que la défense a

7 présentés et fait verser au dossier de ce procès, et permettez-moi

8 d'abord de vous rappeler la pièce à conviction D7 de la défense, à savoir

9 un accord prévoyant une coopération amicale entre la République de

10 Bosnie-Herzégovine et la République de Croatie en date du

11 21 juillet 1992, accord signé à Zagreb entre les Présidents Tudjman et

12 Izetbegovic.

13 Dans cet accord, il est stipulé expressément que le HVO fait

14 partie intégrante des forces armées de la République de

15 Bosnie-Herzégovine et que le pouvoir civil du HVO sera mis le plus

16 rapidement possible en conformité avec les droits constitutionnels du

17 pouvoir en République de Bosnie-Herzégovine.

18 Pourquoi est-ce que cela est stipulé ? Parce que le pouvoir

19 central en République de Bosnie-Herzégovine était de facto, et de jure

20 aussi, dans l'impossibilité d'agir. Le pouvoir central, politique était

21 basé à Sarajevo. Sarajevo était occupée par les Serbes. Le pouvoir

22 central ne pouvait donc pas fonctionner.

23 En raison de cela, pour permettre une vie quotidienne normale

24 en dehors de Sarajevo, un certain nombre de dispositions temporaires

25 administratives, militaires et autres ont été prises et elles sont

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1 mentionnées dans cet accord. Les deux Etats étaient d'accord pour dire

2 que, dès que le pouvoir central se remettrait à fonctionner, une mise en

3 harmonie des dispositions de l'accord serait faite.

4 Je parlerai maintenant de la pièce à conviction de la

5 défense D9 dont la date est celle du 2 avril 1993, date à laquelle un

6 conflit opposait les Croates de Bosnie et les Musulmans de Bosnie en

7 Bosnie centrale. Là encore, il s'agit d'un accord. Il a été conclu entre

8 M. Izetbegovic et M. Boban et il stipule qu'après que M. Izetbegovic aura

9 signé le plan Vance-Owen, un commandement conjoint du HVO et de l'armée

10 de Bosnie-Herzégovine sera institué comme partie intégrante des

11 formations militaires qui, dans certaines parties de la Bosnie, étaient

12 en conflit.

13 Le document D8 maintenant, un appel du Président Tudjman pour

14 un arrêt des hostilités entre les Croates et les Musulmans en Bosnie

15 centrale. Un accord est proposé à Izetbegovic, à Boban, à Lord Owen à

16 Zagreb le 24 avril 1993 à cette fin.

17 Comme je l'ai déjà dit, pendant toute cette période, à Zagreb,

18 capitale de la République de Croatie, a fonctionné sans obstacle une

19 ambassade de la République de Bosnie-Herzégovine.

20 Le document D11 proposé par la défense indique que dans cette

21 ambassade de Bosnie-Herzégovine à Zagreb -nous parlons bien de la moitié

22 de l'année 1993-..., donc qu'il y avait dans cette ambassade un

23 département logistique de l'état-major des forces armées de la République

24 de Bosnie-Herzégovine, à Zagreb, sur le territoire d'un Etat dont le

25 Procureur affirme qu'il était partie à un conflit armé international.

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1 Ce document démontre qu'il n'y avait pas de tel conflit armé

2 sur son territoire, et je vous repose la question, Monsieur le Président,

3 Messieurs les Juges. Est-ce que vous avez jamais entendu parler dans

4 l'histoire d'un Etat qui serait en guerre avec un autre Etat et qui

5 aurait un département de l'état-major du commandement suprême des forces

6 armées sur le territoire de l'Etat avec lequel il est en guerre ? Cela

7 n'a jamais existé, ce n'est pas possible.

8 J'aimerais vous rappeler, Monsieur le Président, Messieurs les

9 Juges, les documents versés au dossier par la défense en tant qu'éléments

10 de preuve dans ce procès, je veux parler des pièces à conviction D29

11 et D30. Ces deux documents ont été reçus du Procureur par la défense,

12 compte tenu de l'obligation de communication des éléments de preuve à

13 décharge.

14 Ces documents sont couverts par une restriction quant à leur

15 publicité, et la défense s'est engagée à ne pas faire connaître le

16 contenu de ces documents au public, quelles que soient les circonstances.

17 Les documents sont donc sous scellés.

18 J'aimerais vous en rappeler le contenu mais je ne pense pas

19 qu'il soit indispensable de passer à huis clos, si vous en êtes d'accord.

20 Je pourrai si vous l'acceptez, me référer simplement à ces documents,

21 sans rentrer dans le détail de leur contenu, en vous priant de les

22 examiner avec la plus grande attention au moment de l'examen des éléments

23 de preuve. Ce sont deux documents qui sont particulièrement pertinents et

24 qui montrent bien la justesse de la thèse de la défense, à savoir que les

25 échanges, les contacts entre les deux Etats, pendant la période

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1 concernée, n’ont pas cessé de fonctionner au niveau du consulat, de

2 l'ambassade et également au niveau de la coopération militaire et bien

3 entendu au niveau de l'aide humanitaire.

4 Rappelez-vous le témoignage du professeur Bianchini qui a dit

5 que, si une aiguille pénétrait en Bosnie, elle ne pouvait le faire qu'en

6 passant par la Croatie. Et donc si un pain, une balle ou une chaussure

7 pénétrait en Bosnie-Herzégovine, cela n'était possible qu'en passant par

8 la Croatie.

9 Qui aurait permis cela ? Qui est-ce qui aurait armé son ennemi,

10 qui est-ce qui aurait aidé son ennemi en lui accordant de l'aide, en

11 nourriture, en vêtement, etc. ? Ce n'est pas possible.

12 Et j'en arrive à présent au document que je considère comme

13 sinon le plus pertinent, en tout cas le plus important, le plus

14 significatif, disons. Je veux parler du document D13 que la défense a

15 versé au dossier, qui est en date du 21 avril 1993, soit cinq jours après

16 Ahmici -puisqu'Ahmici a eu lieu le 16 avril. Nous sommes donc en pleine

17 escalade du conflit en Bosnie centrale. Il y a de nombreuses victimes, de

18 terribles dommages.

19 Ce document est écrit par le représentant permanent de la

20 République de Bosnie-Herzégovine, auprès des Nations Unies, M. Sacirbey.

21 Je ne vais pas vous infliger toute la lecture du document, je n'en

22 parlerai que brièvement. S'adressant au Conseil de sécurité des Nations

23 Unies, il caractérise la nature des conflits en Bosnie centrale en

24 déclarant qu'il s'agit de conflits dus à des dirigeants locaux et causés

25 par la pénurie d'aide humanitaire de la part de la communauté

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1 internationale et de l'insuffisance des armes. Et il dit que la

2 coopération entre l'armée de Bosnie-Herzégovine et le HVO se poursuivra.

3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est un document

4 qui a été rédigé par un représentant ayant les pleins pouvoirs, un

5 représentant de la Bosnie-Herzégovine s'adressant aux Nations Unies. Si

6 cela n'est pas une preuve convaincante de la façon dont la République de

7 Bosnie-Herzégovine ou en tout cas son ambassadeur plénipotentiaire auprès

8 des Nations Unies considère la nature du conflit en Bosnie-Herzégovine,

9 eh bien, je ne sais pas ce qu'il est possible de fournir comme preuve

10 plus convaincante.

11 La défense en conclut que, dans le procès qui nous intéresse,

12 il est impossible d'appliquer les dispositions de l'article 2 du Tribunal

13 qui portent sur le conflit armé international, car au moment et sur le

14 territoire visé par l'acte d'accusation, il n'y avait pas de conflit armé

15 international.

16 Il me reste encore, à la fin de ma plaidoirie, à présenter une

17 proposition de la défense très brièvement. La défense propose

18 l'acquittement pour tous les chefs d'accusation, pour les chefs 8 et 9

19 parce que la défense estime que l'article 2 du Statut du Tribunal n'est

20 pas applicable dans la mesure où il n'y a pas eu conflit armé

21 international, et pour le chef 10 pour lequel l'accusé est poursuivi en

22 vertu des articles 3 et 7 du Statut du Tribunal.

23 La défense propose également la remise en liberté de

24 M. Aleksovski pour toutes les raisons qui viennent d'être exposées dans

25 la plaidoirie d'aujourd'hui, à savoir absence des éléments fondant les

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1 crimes reprochés à l'accusé. Je vous remercie de votre attention. Si j'ai

2 parlé trop longuement ou si je n'ai pas été assez clair, je vous prie à

3 l'avance de bien vouloir m'en excuser.

4 M. le Président. – Merci, Maître Mikulicic. Vous n'avez pas à

5 vous excuser, parce que vous n'avez pas offensé quelqu'un. C'est donc

6 votre tâche et nous comprenons bien. Nous sommes arrivés à la situation

7 de savoir si le Procureur et si la défense souhaitent répliquer et

8 présenter une duplique. Nous allons travailler jusqu'à 6 heures et peut-

9 être on pourrait partager. Je ne suis pas le roi Salomon, mais on

10 pourrait partager le temps entre les deux parties. Je crois que ce serait

11 une bonne façon de faire, si vous le souhaitez, en disant que nous

12 aurions donc peut-être une pause à la moitié, mais pas pour l'instant.

13 Donc nous avons encore une heure trente, ce qui fait pour les

14 deux parties quarante-cinq minutes. Mais si on lève au moins un quart

15 d'heure, il faut aller plus ou moins à trente-cinq minutes. Et quand on

16 dit un quart d'heure, on dit vingt minutes pour la pause. Cela veut dire

17 qu'on enlève dix minutes au Procureur, on enlève dix minutes à la défense

18 et on va vous accorder trente-cinq minutes. Etes-vous d'accord ou non ?

19 M. Niemann (interprétation). – Oui, Monsieur le Président.

20 Comme je l'ai dit hier, il y a un certain nombre de questions qui ont été

21 abordées par Me Mikulicic, sur lesquelles nous ne sommes pas d'accord.

22 Mais notre position est que si nous avons déjà débattu de cette question,

23 nous ne voulons pas y revenir et en reparler, parce que nous avons déjà

24 présenté nos arguments, Me Mikulicic a présenté les siens. Nous ne sommes

25 pas d'accord sur cette question et nous vous laisserons résoudre le

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1 problème.

2 J'ai simplement quelques points que je souhaiterais aborder et

3 qui sont à mon avis nouveaux, et si je dépasse dix minutes, cela me

4 surprendrait, je dois dire.

5 M. le Président. - Mais de toute façon, nous accordons trente-

6 cinq minutes à l'accusation et trente-cinq minutes à la défense. Vous

7 pouvez faire la gestion comme vous voulez. Si vous avez besoin de dix

8 minutes, la défense reste avec ses trente-cinq minutes. Etes-vous

9 d'accord, Maître Mikulicic, avec cette façon de résoudre ? C'est une

10 façon "salomonique" ! De toute façon, je crois que c'est une bonne façon

11 de résoudre la question.

12 M. Mikulicic (interprétation). - Je suis entièrement d'accord,

13 bien que ce ne soit pas une solution "salomonique".

14 M. le Président. - Monsieur le Procureur, vous avez trente-cinq

15 minutes et si vous voulez prendre dix minutes seulement, vous le pouvez.

16 M. Niemann (interprétation). – Merci, Monsieur le Président. Je

17 souhaiterais effleurer certaines questions qui ont été abordées par mon

18 éminent confrère, Me Mikulicic, dans sa présentation. Il a parlé tout

19 d'abord de haine ethnique et le fait que ceci ne peut pas être attribué à

20 l'accusé étant donné qu'il habitait dans la ville de Zenica qui était une

21 ville occupée par une majorité de Musulmans.

22 Je vous demanderai d'examiner la chose suivante : la question

23 de motivation est souvent difficile à résoudre, elle n'est pas toujours

24 aussi claire et simple que cela.

25 Dans l'affaire Tadic déjà jugée, l'accusé vivait dans le

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1 village de Kozarac qui était d'une façon prédominante habité par des

2 Musulmans, et néanmoins il a été reconnu coupable des chefs d'accusation

3 dans le cadre de cette affaire. Maître Mikulicic a également suggéré à

4 cette Chambre que vis-à-vis, par exemple, des décisions prises dans

5 l'affaire Celebici et d'autres, parce que la procédure d'appel n'était

6 pas terminée, par conséquent les décisions étaient sub judice. Eh bien,

7 nous sommes tout à fait en désaccord avec cet argument.

8 Bien entendu, vous pouvez faire référence à ces affaires et,

9 bien entendu, vous pouvez tenir compte des décisions prises. Nous ne

10 suggérons pas du tout que ce soient là des décisions contraignantes, mais

11 ce sont des décisions sur lesquelles on peut se fonder sans aucun doute

12 et je signalerai simplement, en guise d'exemple, que les accusés sont

13 actuellement incarcérés sur la base de ces décisions. Par conséquent, ces

14 décisions ont sans doute été considérées comme étant valables et nous ne

15 savons pas s'il y aura procédure d'appel ou pas.

16 Par conséquent, selon nous, les références faites à Celebici ne

17 devraient pas être écartées et discréditées parce que la procédure en

18 appel n'est pas encore terminée.

19 Messieurs les Juges, il a été fait référence -et je crois que

20 c'était une conclusion, en tout cas c'est ce que Me Mikulicic a appelé

21 une conclusion... La division entre les différentes communautés ethniques

22 en Bosnie-Herzégovine, d'une certaine manière, est apparue parce que la

23 communauté internationale a tenté, du moins au départ, de résoudre le

24 problème en essayant d'élaborer un partage, une division en Bosnie-

25 Herzégovine.

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1 La seule remarque que j'aurais à formuler est que la communauté

2 internationale n'a pas agi dans un vide, elle a agi en utilisant les

3 éléments dont elle disposait et elle a tenté de résoudre le conflit inter

4 ethnique. Il ne s'agissait que du reflet de la position des parties, à

5 notre avis, et la communauté internationale pensait à l'époque pouvoir

6 résoudre ce qui se passait à ce moment-là. Toute proposition selon

7 laquelle la communauté internationale aurait pu provoquer les événements

8 qui se sont produits est en fait tout à fait inexacte.

9 Maître Mikulicic a fait référence à l'accord entre M. Tudjman

10 et M. Izetbegovic en 1992 et, à notre avis, ceci n'a que peu de rapport

11 avec le conflit qui a suivi en janvier et au cours des mois suivants, en

12 janvier 1993. Ceci n'a rien à voir non plus avec l'idée qu'il y avait un

13 rapport continu entre les différentes parties et que, en fait, cet accord

14 s'est produit en 1992, et ceci n'avait rien à voir entre le conflit qui a

15 séparé l'armée de Bosnie-Herzégovine et le HVO et l'armée croate.

16 Maître Mikulicic a parlé également du manque de confirmation de

17 preuves de nature médicale. J'ai couvert cela dans la présentation de mes

18 arguments et je dirai simplement que, dans les affaires Celebici et

19 Tadic, auxquelles j'ai fait référence, les Chambres de première instance

20 en sont arrivées à la conclusion qu'il n'était pas nécessaire, en vertu

21 du droit international, d'obtenir une confirmation, une corroboration de

22 ces informations et qu'il est tout à fait possible de se fonder sur les

23 témoignages des personnes qui sont venues témoigner devant ce Tribunal.

24 Maître Mikulicic a également fait référence à

25 l'affaire Hirabayashi aux Etats-Unis. Je vous rappellerai qu'il s'agit

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1 d'une affaire qui correspondait à une situation de 1942 et qui a eu lieu

2 avant l'adoption des Conventions de Genève de 1949. Nous avons évolué

3 depuis.

4 J'ai fait moi-même des références très précises à la position

5 adoptée par la Chambre dans l'affaire Celebici, qui est parvenue à la

6 conclusion très ferme que des individus ne pouvaient pas être internés.

7 Il était illégal d'interner des civils, notamment lorsque ceci était

8 fondé sur leur appartenance ethnique.

9 Messieurs les Juges, la question du conflit armé international

10 qui a été abordée en conclusion par Me Mikulicic lorsqu'il nous a parlé

11 de l'échange d'ambassadeurs -je crois d'ailleurs que c'est la première

12 fois que nous entendons parler de cela-, mais même cela d'ailleurs, selon

13 nous, à ma connaissance, n'a d'influence, de répercussion sur la question

14 de savoir si, oui ou non, il y avait un conflit armé international. Des

15 choses assez bizarres se sont produites dans le monde de la diplomatie

16 internationale et, parfois, les Etats maintiennent des relations malgré

17 l'existence d'une guerre les séparant.

18 S'agit-il là du premier cas de ce type dans l'histoire ? Eh

19 bien, quelle que soit la réponse, ceci n'a pas de répercussion sur

20 l'existence ou non d'un conflit armé international.

21 Comme je vous l'ai déjà dit, je vous ai renvoyés à la décision

22 prise dans l'affaire Celebici, dans laquelle les Juges de cette Chambre

23 ont conclu que l'existence d'un conflit armé international pouvait être

24 prouvée si la différence entre deux Etats menait à l'intervention des

25 forces militaires de ces deux Etats. Peu importe de savoir combien de

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1 temps a duré le conflit ou combien de personnes ont été tuées au cours de

2 ce conflit. J'ai abordé ce point dans la présentation de mes arguments.

3 Excusez-moi un instant, s'il vous plaît...

4 Merci. Voilà il s'agissait des questions que je souhaitais

5 aborder, à moins qu'il y ait autre chose et que je puisse répondre à des

6 questions que vous vous posez peut-être.

7 M. le Président. - Maître Niemann, vous avez confirmé votre

8 capacité de synthèse. Merci beaucoup.

9 Maître Mikulicic, c'est à vous maintenant.

10 M. Mikulicic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,

11 Messieurs les Juges, je serai encore plus bref que mon éminent collègue,

12 Me Niemann. Je pense que beaucoup de choses ont déjà été dites. Je pense

13 que vous disposez d'un tableau, maintenant, des événements. Je pense que

14 quelques détails suffiront.

15 Quand j'ai parlé du fait que M. Aleksovski a passé toute sa vie

16 à Zenica, j'ai souligné qu'en soi ce n'était pas un fait crucial, mais

17 cela a contribué à ce que M. Aleksovski se constitue comme un individu

18 qui fréquentait majoritairement les Musulmans bosniaques et dont le

19 meilleur ami même était un Musulman bosniaque. C'était uniquement dans ce

20 contexte que j'en parlais. Bien entendu, ce fait pris isolément ne

21 signifie rien, c'est uniquement dans ce contexte qu'il convient de

22 l'interpréter.

23 Bien entendu, je n'ai pas dit que c'est la communauté

24 internationale qui a provoqué les conflits qui ont éclaté en Bosnie par

25 son approche, et par son rôle de médiateur dans la villa Konak à

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1 proximité de Sarajevo, en 1992, elle n'a pas fait cela. Ce que j'ai dit,

2 c'est que c'était l'une des causes du conflit qui a éclaté en Bosnie-

3 Herzégovine. Ce n'est que l'histoire qui peut nous montrer et ce, à une

4 distance temporelle suffisante, que nous pourrons apprécier pleinement

5 ces faits, mais vous conviendrez avec moi que cette approche initiale a

6 joué un certain rôle, a eu une certaine influence.

7 Sans doute, le fait que les relations diplomatiques soient

8 maintenues au niveau des ambassades exclut toute possibilité de conflit

9 armé international. Pourquoi ? Parce que selon les dispositions des

10 Conventions de Genève, le conflit armé international existe soit lorsque

11 la guerre est déclarée par un Etat à un autre -et cela ne s'est pas

12 produit depuis la Deuxième Guerre-, soit lorsque l'une des deux parties

13 belligérantes prend conscience de la situation. Le fait que les deux

14 Etats continuent à entretenir des relations diplomatiques au niveau des

15 ambassades indique clairement qu'aucun des deux Etat n'est conscient de

16 l'existence d'un conflit armé mutuel, et je pense que c'est la conclusion

17 qui s'impose.

18 Lorsque j'ai parlé de l'absence de documentation médicale qui

19 montrerait d'une manière objective que des blessures qui auraient été des

20 blessures des internés de Kaonik ont effectivement existé, j'ai évoqué

21 les normes nationales de droit en les mettant en relation avec la

22 responsabilité individuelle pénale de l'accusé qui est un civil et qui

23 agit dans le cadre de la législation nationale. Et il s'agit là donc des

24 crimes qui lui sont imputés selon cet acte d'accusation, et dont j'ai

25 parlé par la suite.

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1 Cette thèse a un autre côté. En l'absence de ces documentations

2 médicales sur les blessures, il est impossible de vérifier de quelle

3 manière ces blessures ont été infligées, quelle est leur importance,

4 quelles sont leurs conséquences. Ceci est impossible. Si quelqu'un vous

5 dit : "J’ai été grièvement blessé", il est impossible de le vérifier.

6 Vous permettez de dire qu'il s'agit quand même d'un fait

7 constituant un élément essentiel de l'acte du délit, et qui doit pouvoir

8 être soumis à une vérification objective. Ici la vérité ne se trouve pas

9 dans l'oeil de l'observateur, mais doit se trouver dans un oeil

10 scientifiquement vérifiable. C'est tout ce que je souhaitais dire, je

11 vous en remercie.

12 (Les Juges se consultent sur le Siège).

13 M. le Président. - Nous sommes donc arrivés à la fin d'une

14 partie de nos travaux, mais nous ne sommes pas arrivés vraiment à la fin.

15 Aux termes de l'article 87, la Chambre va se retirer pour

16 délibérer à huis clos, et nous allons annoncer la date à laquelle nous

17 allons annoncer notre jugement.

18 Pour l'instant, j'aimerais bien profiter de l'occasion pour

19 remercier aux parties l'ardeur, la conviction et la motivation et quand

20 même la coopération que vous avez mises sur le débat, et aussi remercier

21 tout le personnel -de la cabine technique aux interprètes, aux

22 sténotypistes et au personnel du Greffe- pour toute sa collaboration.

23 A nous, aux Juges, incombe maintenant de rédiger notre

24 jugement. Comme je l'ai dit, nous allons annoncer la date. Pour

25 l’instant, aux termes de l'article 87, je déclare clos les débats. Et

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1 nous allons nous retirer pour délibérer.

2 Donc, merci à vous tous. Et nous annoncerons notre prochaine

3 rencontre ici pour rendre le jugement. L'audience est levée.

4 L'audience est levée à 16 heures 50.

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