Affaire n˚ : IT-02-53-AR65

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge David Hunt
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Asoka de Zoysa Gunawardana
M. le Juge Theodor Meron

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 mai 2002

LE PROCUREUR
C/
Vidoje BLAGOJEVIC
Dragan OBRENOVIC
Dragan JOKIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE DE DRAGAN JOKIC ___________________________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell
M. Peter Mc Closkey

Le Conseil de la Défense :

M. Miodrag Stojanovic et Mme Cynthia Sinatra pour Dragan Jokic


LA CHAMBRE D’APPEL
du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991,

VU la « Décision relative à la demande d’autorisation de faire appel de Dragan Jokic », datée du 18 avril 2002 (la « Décision portant autorisation d’appel »), par laquelle un Collège de la Chambre d’appel a accordé l’autorisation d’interjeter appel de la « Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire de l’accusé Jokic », datée du 28 mars 2002, qui rejetait la demande de mise en liberté provisoire du requérant,

VU le document intitulé « Dragan Jokic’s Appeal of Trial Chambers /sic/ Denial of Request for Provisional Release » (Appel formé par Dragan Jokic contre la Décision de la Chambre de première instance rejetant la demande de mise en liberté provisoire) du 3 mai 2002,

VU le document intitulé « Prosecution Response to Interlocutory Appeal by Dragan Jokic » (Réponse de l’Accusation à l’appel interlocutoire de Dragan Jokic), déposé le 13 mai 2002, dans lequel l’Accusation affirme i) que la Chambre de première instance a estimé que la garantie d’un État ne constituait pas une condition préalable à la mise en liberté provisoire, ii) que la conclusion de la Chambre selon laquelle la Republika Srpska n’est pas un État n’est pas erronée du point de vue juridique, et iii) que la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle la Republika Srpska ne revêt pas les caractéristiques d’un État quant à la question du caractère suffisant de la garantie donnée a pu constituer un abus par la Chambre de son pouvoir discrétionnaire dans la mesure où l’on peut interpréter la décision comme étant fondée uniquement sur ce motif,

VU les motifs invoqués par le Collège pour accorder l’autorisation d’interjeter appel,1

ATTENDU qu’elle approuve et réitère ce que le Collège a dit dans la Décision portant autorisation d’appel,2

ATTENDU qu’elle rejette les arguments de l’Accusation selon lesquels i) la Chambre de première instance a estimé que la garantie d’un État ne constituait pas une condition préalable à la mise en liberté provisoire et ii) la définition d’« État » donnée à l’article 2 du Règlement de procédure et de preuve, dans la mesure où elle concerne la Republika Srpska, n’est plus applicable,

ATTENDU qu’elle conclut que, pour les raisons données dans la Décision portant autorisation d’appel, la Chambre de première instance a erré en droit en rejetant la demande de mise en liberté provisoire, entachant ainsi sa décision de nullité,

ATTENDU que les conditions posées à l’article 65 C) du Règlement pour la mise en liberté provisoire de l’Accusé sont remplies en l’espèce,

ATTENDU que le Conseil de l’appelant a demandé à être entendu devant la Chambre d’appel,

ATTENDU que, l’appel devant être accueilli sur la base des mémoires écrits, aucun motif convaincant n’a été avancé qui justifierait d’entendre de nouveau l’appelant,

ACCUEILLE l’appel et ORDONNE la mise en liberté provisoire de l’appelant sous les conditions suivantes:

  1. l'Accusé sera conduit à l'aéroport de Schiphol, Pays-Bas, par les autorités néerlandaises,

  2. l’aéroport de Schiphol, l’Accusé sera temporairement confié à la garde des représentants désignés du gouvernement de la Bosnie-Herzégovine (dont les noms auront été communiqués préalablement à la Chambre de première instance et au Greffe), lesquels accompagneront l’Accusé jusqu’en Bosnie-Herzégovine, à son lieu de résidence,

  3. lors du vol de retour, l’Accusé sera accompagné par un représentant désigné de Bosnie-Herzégovine (ou par tels autres représentants que la Chambre de première instance pourra désigner ou accepter), lequel/lesquels confiera/confieront l’Accusé à la garde des autorités néerlandaises à l’aéroport de Schiphol à la date et à l’heure que la Chambre fixera ; les autorités néerlandaises ramèneront ensuite l’Accusé au Quartier pénitentiaire des Nations Unies,

  4. pendant sa mise en liberté provisoire, l’Accusé sera tenu de respecter les conditions énoncées ci-après, et les autorités de la Republika Srpska veilleront à ce qu’il les respecte :

a) communiquer, dans les trois jours de son arrivée, son adresse au Greffier du Tribunal et lui faire part de tout changement d’adresse dans un délai de trois jours,

b) remettre son passeport à l’Équipe internationale de police (EIP) à Sarajevo ou à l’antenne du Bureau du Procureur à Sarajevo,

c) demeurer dans les limites de la région de Zvornik, qu’il ne pourra quitter sans en avoir préalablement informé l’EIP,

d) se présenter une fois par semaine au poste de police local de Zvornik,

e) accepter que l’EIP contrôle sa présence auprès du poste de police local et procède occasionnellement à des visites inopinées,

f) ne pas entrer en rapport avec l’un ou l’autre de ses coaccusés en l’espèce,

g) ne pas contacter directement des victimes ou témoins potentiels, ne pas exercer de pressions sur ces personnes et ne pas gêner, de quelque manière que ce soit, le bon déroulement de l’instance ou l’administration de la justice,

h) ne pas chercher à avoir accès directement à des documents ou des archives,

i) ne pas discuter de l’affaire dans laquelle il est impliqué avec toute personne, y compris les médias, à l’exclusion de son conseil et de sa famille proche,

j) n’occuper aucun poste officiel,

k) informer le Greffier, dans les trois jours suivant sa prise d’emploi, du poste occupé ainsi que du nom et de l’adresse de l’employeur,

l) se conformer strictement aux conditions que les autorités de la Bosnie-Herzégovine et de la Republika Srpska estiment nécessaires pour leur permettre d’exécuter leurs obligations en vertu de la présente décision de mise en liberté provisoire,

m) revenir au siège du Tribunal à la date et à l’heure fixées par la Chambre de première instance,

n) se conformer strictement à toute ordonnance de la Chambre de première instance qui modifierait les conditions de sa mise en liberté provisoire ou y mettrait fin,

o) prendre en charge tous les frais relatifs à son voyage aller et retour entre Schiphol et Zvornik,

DEMANDE aux autorités de la Republika Srpska de se charger :

    a) d’assurer la sécurité et la sûreté personnelles de l’Accusé durant sa mise en liberté provisoire,

    b) de porter immédiatement à la connaissance du Greffier du Tribunal international la nature de toute menace pesant sur la sécurité de l’Accusé, et de lui transmettre notamment les rapports circonstanciés d’enquête sur ces menaces,

    c) de faciliter, à la demande de la Chambre de première instance ou des parties, toute forme de coopération et de communication entre les parties et de garantir la confidentialité de ces échanges,

    d) de soumettre tous les mois au Greffier du Tribunal un rapport écrit, confirmant la présence de l’Accusé et le respect par celui-ci des conditions fixées dans la présente décision,

    e) de placer immédiatement l’Accusé en détention, au cas où celui-ci ne respecterait pas l’une des conditions de sa mise en liberté provisoire, et d’informer sans délai le Greffe et la Chambre de première instance de tout manquement ainsi constaté,

    f) de respecter la primauté du Tribunal pour ce qui est de toutes les poursuites contre l’Accusé, déjà engagées ou à venir, en Bosnie-Herzégovine ou en Republika Srpska,

CHARGE le Greffier du Tribunal de consulter les autorités néerlandaises et celles de la Bosnie-Herzégovine et de la Republika Srpska en ce qui concerne les mesures pratiques à prendre pour la mise en liberté provisoire de l’Accusé.

 

Fait en français et en anglais, la version en français faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
__________________
M. le Juge Claude Jorda

Fait le 28 mai 2002
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Décision portant autorisation d'appel, par. 9 et 10.
2 - Ibid., par. 2 à 9.