Affaire n° : IT-02-60-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président

M. le Juge Volodymyr Vassylenko
Mme le juge Carmen Maria Argibay

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
17 juin 2003

LE PROCUREUR

c/

VIDOJE BLAGOJEVIC
DRAGAN JOKIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS D’OBTENIR L’AUTORISATION DE DÉPOSER LE TROISIÈME ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

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Le Bureau du Procureur :

M. Peter McCloskey

Les Conseils de la Défense :

M. Michael Karnavas et Mme Suzana Tomanovic, pour Vidoje Blagojevic
M. Miodrag Stojanovic et Mme Cynthia Sinatra, pour Dragan Jokic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A (la « Chambre de première instance  ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la Requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer le troisième acte d’accusation conjoint modifié (Prosecution’s Motion for Leave to File Third Amended Joinder Indictment), la « Requête », déposée par le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») le 26 mai 2003, à la suite de la disjonction de l’instance introduite contre Dragan Obrenovic de l’espèce, après que la Chambre de première instance a admis son plaidoyer de culpabilité pour un chef de l’acte d’accusation conjoint modifié du 27 mai 2002 (l’« Acte d’accusation conjoint modifié  ») et retiré les autres chefs présentés contre lui1,

VU la Requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer le deuxième acte d’accusation conjoint modifié (Prosecution’s Motion for Leave to File Third Amended Joinder Indictment), la « Première Requête », présentée le 13 mai 2003 à la suite de la disjonction d’instance introduite contre Momir Nikolic de l’espèce, après que la Chambre de première instance a admis son plaidoyer de culpabilité pour un chef de l’Acte d’accusation conjoint modifié et retiré les autres chefs présentés contre lui2,

ATTENDU que la Requête reprend les modifications proposées dans la Première Requête, et que cette dernière n’a donc plus de raison d’être,

VU la réponse déposée le 4 juin 2003 au nom d’un des accusés dans le délai fixé par la Chambre de première instance3, intitulée les Objections de Dragan Jokic à la requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer le troisième acte d’accusation conjoint modifié (Dragan Jokic’s Objections to Prosecution’s Motion for Leave to File Third Amended Joinder Indictment), la « Réponse de Jokic »,

VU la conférence qui s’est tenue en application de l’article 65 ter du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement ») le 23 mai  2003, en présence de représentants de la Chambre de première instance, de l’Accusation et des Conseils de la Défense des accusés Dragan Jokic et Vidoke Blagojevic, durant laquelle il a été débattu des modifications de l’Acte d’accusation conjoint modifié,

VU les modifications proposées par l’Accusation dans la Requête, concernant principalement la suppression des charges retenues contre Dragan Obrenovic et Momir Nikolic et des références faites à ces derniers, compte tenu du plaidoyer de culpabilité qu’ils ont chacun présenté, et les modifications relatives aux paragraphes 45, 46 .4, 46.9, 46.10, 46.11, 46.12, 47.7, 47.8 et 49,

ATTENDU que l’Accusation affirme que, dans la mesure où il n’y a pas de nouvelles charges retenues contre les deux accusés restants ni de nouveaux chefs d’accusation à leur encontre, et que les faits sur lesquels reposent les chefs existants n’ont subi aucun remaniement profond, l’article 50 B) et C) ne s’applique pas en l’espèce 4,

VU les objections présentées dans la Réponse de Jokic au sujet des modifications de l’Acte d’accusation conjoint modifié, notamment le fait i) que les modifications portent atteinte aux garanties dont bénéficient les accusés en vertu du Statut et du Règlement du Tribunal5, ii) que la nouvelle formulation des paragraphes 46.9, 46.10, 46.11 et 46.126 modifie le niveau de responsabilité de Dragan Jokic et revient à porter une nouvelle accusation à son encontre7, iii) que les faits essentiels exposés ne sont pas assez précis et que les modifications apportées ne sont pas valides en raison de leur imprécision8, et iv) que les accusations portées contre Dragan Jokic ont été modifiées en substance 9,

VU les principes posés par le Statut et le Règlement, et notamment les articles  18 4) du Statut et 47 C) du Règlement, lus à la lumière des articles 20 et 21 4)  a), b) et c) du Statut10,

ATTENDU que l’Accusation est tenue de présenter les faits essentiels qui fondent les accusations portées dans l’acte d’accusation, de sorte que l’accusé soit suffisamment informé pour préparer sa défense11,

ATTENDU qu’il convient de déterminer si l’accusé est lésé en quoi que ce soit par la modification de l’acte d’accusation, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce12,

ATTENDU que la Chambre de première instance pense que l’Accusation a présenté les faits essentiels qui fondent les accusations, et que les modifications proposées dans la Requête ne changent pas le niveau de responsabilité de l’accusé Dragan Jokic et ne génèrent pas de nouvelle accusation à son encontre,

ATTENDU, en outre, que la position des accusés Dragan Jokic et Vidoje Blagojevic reste inchangée par rapport à l’Acte d’accusation conjoint modifié, et que la Chambre de première instance estime que les deux accusés ont été informés des charges retenues contre eux et que les modifications apportées ne leur portent pas préjudice dans la préparation et la conduite de leur défense,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION DES articles 50 et 54 du Règlement,

FAIT DROIT à la Requête.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
M. le Juge Liu Daqun

Le 17 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Ordonnance portant disjonction d’instance et portant calendrier, 23 mai 2003.
2 - Disjonction d’instances et ordonnance portant calendrier, 9 mai 2003 ; Décision relative à la requête aux fins du retrait de chefs d’accusation visant l’accusé Momir Nikolic, 12 mai 2003.
3 - Ordonnance portant calendrier, 26 mai 2003.
4 - Requête, p. 1 et 2.
5 - Il est avancé que les modifications portent atteinte aux dispositions de l’article 18 du Statut du Tribunal et de l’article 47 du Règlement, interprétées à la lumière des articles 21 2) et 21 4) a) et b) du Statut. En outre, la Défense de Jokic cite les dispositions de l’article 50 et fait valoir que le délai de dix jours accordé par la Chambre de première instance pour contester l’acte d’accusation ne suffit pas. Le droit à être informé rapidement des accusations portées contre soi, le droit à être défendu efficacement et le droit à être jugé sans retard excessif constituent tous différents aspects du droit à un procès équitable garanti à un accusé, Réponse de Jokic, p. 5 à 7.
6 - Aux paragraphes 46.9, 46.10, 46.11 et 46.12, l’ancienne formulation des allégations portant sur les faits était : « [...] sous la direction de Dragan Obrenovic agissant en sa qualité de chef d’état-major de la brigade de Zvornik et de Dragan Jokic [...] ».Elle a été modifiée par : « [...] sous l’autorité de Dragan Obrenovic agissant en sa qualité de chef d’état-major de la brigade de Zvornik et la direction de Dragan Jokic [...] ».
7 - La Défense de Jokic affirme que l’autorité de supérieur hiérarchique de Dragan Obrenovic est réduite à néant et transférée à Dragan Jokic ; de plus, le cas de figure où un chef du génie dirige les opérations est sans précédent, Réponse de Jokic, p. 7 à 10.
8 - Réponse de Jokic, p. 10 et 11.
9 - La Défense de Jokic avance que l’accusation de ce qui équivaut à l’association de malfaiteur (conspiracy) en common law a été ajoutée sous la forme d’entreprise criminelle commune, qui se substitue au concept de complicité, Réponse de Jokic, p. 11.
10 - Selon les articles 18 du Statut et 47 C) du Règlement, l’acte d’accusation doit contenir un exposé succinct des faits et des crimes reprochés à l’accusé. L’article 20 du Statut dispose que l’accusé a le droit à un procès rapide et équitable ; selon l’article 21 4) a) du Statut, l’accusé doit être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre lui ; en vertu de l’article 21 4) b) du Statut, l’accusé doit disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense ; l’article 21 4) c) du Statut dispose que l’accusé doit être jugé sans retard excessif.
11 - Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, Affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001, par. 88 et 89. Voir aussi Le Procureur c/ Hadzihasanovic, Alagic et Kubura, Affaire n° IT-01-47-PT, Decision on Form of the Indictment, 7 décembre 2002, par. 8.
12 - Le Procureur c/ Mladen Naletilic et Vinko Martinovic, Affaire n° IT-98-34, Décision relative à l’opposition de Vinko Martinovic et à l’exception préjudicielle de Mladen Naletilic concernant l’acte d’accusation modifié, 14 février 2001, p. 6 ; voir aussi Le Procureur c/ Milan Kovacevic, Affaire n° IT-97-24-AR73, Arrêt motivant l’ordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre d’appel, 2 juillet 1998 ; Le Procureur c/ Simic et consorts, Affaire n° IT-95-9-T, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de modifier l’acte d’accusation, 20 décembre 2001.