Affaire n° : IT-02-60-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Volodymyr Vassylenko
Mme le Juge Carmen Maria Argibay

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 septembre 2004

LE PROCUREUR

c/

VIDOJE BLAGOJEVIC
DRAGAN JOKIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS D’AUTORISATION DE RÉPONDRE AU MÉMOIRE EN CLÔTURE DE L’ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Peter McCloskey 

Les Conseils des Accusés :

M. Michael Karnavas et Mme Suzana Tomanovic pour Vidoje Blagojevic
MM. Miodrag Stojanovic et Branko Lukic pour Dragan Jokic 

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A (la « Chambre de première instance  ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête aux fins d’autorisation de répondre au mémoire en clôture de l’Accusation au motif qu’il contient des informations superflues, inexactes et fallacieuses (Motion to Seek Leave to Respond to the Prosecution’s Final Brief on the Basis of it Containing Irrelevant, Innacurate [sic] and Deceiving Information), la « Requête », déposée par le Conseil de Vidoje Blagojevic, Michael G. Karnavas, le 27 septembre 2004,

VU la réponse de l’Accusation à la Requête (Prosecution’s Response to Motion to Seek Leave to Respond to the Prosecution’s Final Brief), la « Réponse  », déposée par le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») le 28 septembre 2004,

ATTENDU que les mémoires en clôture ont été déposés par les Parties en l’espèce le 22 septembre 2004 en application de l’article 86 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») et selon les instructions données par la Chambre de première instance1,

ATTENDU que la présentation du réquisitoire et des plaidoiries doit commencer le 29 septembre 2004 en application de l’article 86 du Règlement,

ATTENDU que, dans la Requête, le Conseil de Vidoje Blagojevic réclame l’autorisation de déposer une réponse au mémoire en clôture de l’Accusation dans les quinze jours du réquisitoire et des plaidoiries, car, affirme-t-il, « [ce] mémoire abonde en informations superflues, inexactes et fallacieuses qui le rendent dangereusement suspect et de nature à désorienter, indigner et induire en erreur la Chambre de première instance »2,

ATTENDU, en outre, que le Conseil de Vidoje Blagojevic soutient notamment dans la Requête que le mémoire en clôture de l’Accusation contient de nombreux paragraphes sans intérêt pour l’espèce car ils fournissent des informations sortant du cadre de l’acte d’accusation et nombre de faits erronés qui ne sont pas corroborés par les éléments figurant au dossier ; cite des pièces justificatives qui ne viennent pas confirmer les allégations de l’Accusation ; et contient des références à des pièces documentaires où sont délibérément omis des membres de phrases nécessaires à une « analyse et à une interprétation fidèles, honnêtes et équitables des éléments de preuve »3,

ATTENDU que, dans sa Réponse, l’Accusation expose les raisons pour lesquelles elle a présenté dans son mémoire en clôture des documents portant sur des points autres que ceux visés dans l’acte d’accusation ou sur des crimes rejetés par la Chambre de première instance dans sa Décision rendue en application de l’article 98 bis du Règlement4, et soutient qu’il reviendra à la Chambre de première instance de déterminer, après un examen des faits et arguments exposés en l’espèce, si les arguments sont suffisamment corroborés5,

ATTENDU, en outre, que l’Accusation qualifie la Requête de « dernière en date d’une série d’attaques personnelles portées par le Conseil de la Défense depuis l’ouverture du procès »6,

ATTENDU que le Conseil de Vidoje Blagojevic n’apporte aucune preuve à l’appui des graves allégations de faute professionnelle ou de manquement au code de déontologie qu’il formule à l’encontre de l’Accusation dans la Requête,

ATTENDU, en outre, que la Chambre de première instance n’a aucune raison de penser qu’un membre de l’équipe de l’Accusation en l’espèce ait cherché à « désorienter , indigner et induire en erreur la Chambre de première instance » à un stade quelconque du procès,

ATTENDU que les mémoires en clôture ont avant tout pour but de permettre à chaque partie de présenter sa thèse sur la base des éléments de preuve produits pendant le procès,

ATTENDU, en outre, que les mémoires en clôture doivent être déposés avant la présentation du réquisitoire et des plaidoiries, notamment pour permettre à chaque partie de répondre aux arguments exposés dans le mémoire de l’autre partie pendant le réquisitoire et les plaidoiries,

ATTENDU que la Requête pourrait donner à penser que le Conseil de Vidoje Blagojevic comprend tout aussi mal le rôle des Juges (juge du fait et juge du droit ) à l’égard des questions contestées en l’espèce, que le rôle joué par les parties pour ce qui est d’aider la Chambre de première instance à statuer sur les questions qui lui sont soumises7,

ATTENDU, cependant, qu’il est difficile à la Chambre de première instance de conclure que tel est le cas, compte tenu de la longue expérience du droit pénal interne et international acquise par le Conseil de Vidoje Blagojevic, et de la maîtrise dont il a fait preuve jusqu’à présent dans les domaines de la procédure pénale et du droit de la preuve en l’espèce,

ATTENDU, par conséquent, que le Conseil de Vidoje Blagojevic a déposé une requête abusive,

ATTENDU que le Conseil de Vidoje Blagojevic a été averti à plusieurs reprises que le dépôt de requêtes abusives pouvait entraîner des sanctions8,

EN APPLICATION des articles 44, 46, 54 et 86 du Règlement,

REJETTE la Requête, et

RÉPRIMANDE le Conseil de Vidoje Blagojevic pour avoir déposé pareille requête et y avoir formulé des allégations concernant le professionnalisme et l’honnêteté des membres de l’équipe de l’Accusation.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 28 septembre 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
____________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1 - Voir Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de verser au dossier des éléments de preuve en réplique et à la requête connexe aux fins d’obtenir l’admission d’éléments de preuve visés par l’article 92 bis du Règlement parmi les moyens en réplique et de reprendre l’exposé des moyens à charge à des fins limitées, 13 septembre 2004, dans laquelle la Chambre de première instance a modifié son Ordonnance portant calendrier du 30 juillet 2004 et ordonné le dépôt des mémoires en clôture le 22 septembre 2004.
2 - Requête, p. 1, introduction.
3 - Requête, par. 6. Voir Requête, par. 1 à 6.
4 - Voir Réponse, par. 2 et 3, citant Le Procureur c/ Kupreskic, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001, par. 321, et Le Procureur c/ Strugar, affaire n° IT-01-42-T, Décision relative à l’objection soulevée par la Défense relativement à la déclaration liminaire de l’Accusation concernant l’admissibilité d’éléments de preuve, 22 janvier 2004.
5 - Réponse, par. 4.
6 - Réponse, par. 1.
7 - L’article 87 du Règlement (« Délibéré ») dispose comme suit : A) Après le réquisitoire et les plaidoiries des parties, le Président de la Chambre déclare clos les débats et la Chambre se retire pour délibérer à huis clos. L’accusé n’est déclaré coupable que lorsque la majorité de la Chambre de première instance considère que la culpabilité de l’accusé a été prouvée au-delà de tout doute raisonnable. B) La Chambre de première instance vote séparément sur chaque chef visé dans l’acte d'accusation. Si deux ou plusieurs accusés sont jugés ensemble, en application de l'article 48 ci-dessus, la Chambre statue séparément sur le cas de chacun d’eux. C) Si la Chambre de première instance déclare l’accusé coupable d’un ou plusieurs des chefs visés de l’acte d’accusation, elle prononce une peine à raison de chaque déclaration de culpabilité et indique si les peines doivent être confondues ou purgées de façon consécutive, à moins qu’elle ne décide d’exercer son pouvoir de prononcer une peine unique sanctionnant l’ensemble du comportement criminel de l’accusé.
8 - Voir Décision relative à la requête de Blagojevic aux fins d’éclaircissement, affaire n° IT-02-60, 27 mars 2003, par. 1, rendue par le Bureau du Tribunal composé des Juges Theodor Meron, Fausto Pocar, Richard May, Liu Daqun et Claude Jorda ; et Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire de Blagojevic, affaire n° IT-02-60-AR65.4, 17 février 2003, note de bas de page 18. À l’époque où le Conseil de Vidoje Blagojevic a été averti que des requêtes abusives pouvaient faire l’objet de sanctions, l’article 46 C) du Règlement disposait comme suit : « Outre les sanctions envisagées à l’article 46, une Chambre peut sanctionner un Conseil si ce dernier dépose une requête, y compris une exception préjudicielle, qui, de l’avis de la Chambre, est abusive, ou constitue un abus de procédure. Elle peut notamment refuser à titre de sanction le paiement d’une partie ou de la totalité des honoraires qui sont dus au titre de la requête déposée, et/ou des faits y relatifs. » Cet article a été modifié le 28 juillet 2004 et cette disposition supprimée. L’article 46 [C)] actuel est libellé comme suit : « Sous le contrôle du Président, le Greffier publie un Code de déontologie pour les avocats et veille à sa mise en œuvre. » Le Code de déontologie pour les avocats exerçant devant le Tribunal international, IT/125/Rev.1, 12 juillet 2002 (le « Code ») dispose en son article 20 (« Règlement du Tribunal ») : « Le conseil se conforme en toute circonstance au Statut, au Règlement, au présent Code et à toute autre règle de droit applicable, y compris aux décisions que le Tribunal rend en cours d’instance concernant la conduite et la procédure. Le conseil prend en permanence dûment en considération la bonne conduite de l’instance. » L’article 25 (« Procédures et demandes fondées ») du Code dispose : « Le conseil n’intente aucune action ni n’intervient comme défenseur dans une procédure qu’à condition qu’elle soit fondée et non abusive. Il n’est pas abusif de la part d’un conseil d’intervenir dans une procédure pour demander que tous les éléments du dossier soient établis. » Voir aussi article 23 (« Franchise à l’égard du Tribunal ») du Code.