Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 17 janvier 2005

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 31.

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour, Mesdames et Messieurs. Pour le

7 compte rendu d'audience, je vais demander aux parties de se présenter.

8 L'Accusation, tout d'abord.

9 M. McCLOSKEY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

10 Messieurs les Juges. Peter McCloskey pour l'Accusation, avec Stefan Waespi,

11 Antoinette Issa, Milbert Shin, Anne Davis, et Janet Stewart, notre commis

12 aux affaires, et Salvador Viada.

13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Pour les accusés.

14 M. KARNAVAS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

15 Messieurs les Juges. Michael Karnavas, Suzana Tomanovic, Aleksandar

16 Momirov, pour M. Blagojevic.

17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

18 M. STOJANOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Nous

19 sommes ici représenter par Miodrag Stojanovic, conseil principal de M.

20 Jokic, avec le co-conseil, Branko Lukic. Notre commis aux affaires est

21 Dragoslav Djukic. Merci.

22 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

23 Monsieur Blagojevic, êtes-vous en mesure de suivre les débats dans une

24 langue que vous comprenez ?

25 L'ACCUSÉ BLAGOJEVIC : [inaudible]

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1 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Veuillez allumer votre micro.

2 L'ACCUSÉ BLAGOJEVIC : [interprétation] J'ai dit que oui, que j'étais en

3 mesure de suivre les débats en langue serbe.

4 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci, beaucoup. Vous pouvez vous

5 asseoir.

6 L'ACCUSÉ BLAGOJEVIC : [interprétation] Est-ce que je pourrais profiter de

7 cette occasion pour ajouter une phrase, s'il vous plaît ?

8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Allez-y.

9 L'ACCUSÉ BLAGOJEVIC : [interprétation] Je souhaite indiquer aux fins du

10 compte rendu d'audience, que je n'ai pas de défense, ceci est un problème

11 dont j'ai souffert depuis une période précédant l'ouverture du procès.

12 Merci beaucoup.

13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vous pouvez vous rasseoir.

14 L'ACCUSÉ BLAGOJEVIC : [interprétation] Merci.

15 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Jokic, êtes-vous en mesure de

16 suivre les débats dans une langue que vous comprenez ?

17 L'ACCUSÉ JOKIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

18 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, merci beaucoup.

19 Si vous avez quelque difficulté que ce soit à poursuivre les débats,

20 n'hésitez pas à intervenir à quelque moment que ce soit. Veuillez vous

21 asseoir.

22 L'ACCUSÉ JOKIC : [interprétation] Merci.

23 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Ce qui suit est un simple résumé du

24 jugement écrit et n'en fait pas partie. Le jugement écrit sera mis à la

25 disposition des parties et du public à la fin de l'audience.

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1 L'audience d'aujourd'hui est consacrée au prononcé du jugement de la

2 Chambre de première instance I dans l'affaire, le Procureur contre Vidoje

3 Blagojevic et Dragan Jokic, tous deux accusés de crimes commis contre des

4 Musulmans de Bosnie suite à la chute de l'enclave de Srebrenica en juillet

5 1995.

6 Les atrocités perpétrées après la chute de Srebrenica sont bien connues. Le

7 massacre de plus de 7 000 jeunes garçons et hommes musulmans de Bosnie et

8 le transfert forcé de femmes, d'enfants, et de personnes âgées de la

9 communauté musulmane à partir de cette région de l'est de la Bosnie, commis

10 en un peu plus d'une semaine, ces crimes ont été marqués par une brutalité

11 et une perversion inédite dans le conflit frappant l'ex-Yougoslavie, et il

12 compte au nombre des pages les plus sombres de l'histoire européenne

13 moderne.

14 D'emblée, la Chambre de première instance souligne que si les crimes commis

15 à Srebrenica et dans les environs en juillet 1995 sont sous-jacents à cette

16 affaire, ce procès concerne en dernière analyse deux hommes, Vidoje

17 Blagojevic et Dragan Jokic, ainsi que leur responsabilité pénale

18 individuelle alléguée.

19 La Chambre de première instance va tout d'abord énumérer les charges dont

20 ont à répondre les accusés et rappeler brièvement la procédure en l'espèce.

21 Elle donnera ensuite un résumé des faits relatifs aux crimes reprochés.

22 Elle se penchera alors sur les crimes particuliers et sur la responsabilité

23 pénale éventuelle de chacun des deux accusés avant de rendre son verdict.

24 En juillet 1995, Vidoje Blagojevic était commandant de la Brigade de

25 Bratunac avec le grade de colonel. Il est allégué qu'en sa qualité de

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1 commandant de la Brigade de Bratunac, le colonel Blagojevic a participé au

2 transfert forcé de femmes et d'enfants de l'enclave de Srebrenica vers

3 Kladanj les 12 et 13 juillet; et qu'il était responsable de tous les

4 prisonniers capturés, détenus, ou tués dans la zone de responsabilité de la

5 brigade, y compris de ceux ultérieurement transportés à sa connaissance

6 dans la zone de la Brigade de Zvornik pour y être détenu et exécuté.

7 Vidoje Blagojevic doit répondre de six chefs d'accusation au titre des

8 Articles 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal, à savoir : complicité dans le

9 génocide; extermination, un crime contre l'humanité; assassinat, un crime

10 contre l'humanité; et meurtre, une violation des lois aux coutumes de la

11 guerre; persécution, un crime contre l'humanité; et enfin, actes inhumains

12 (transfert forcé), un crime contre l'humanité.

13 En juillet 1995, Dragan Jokic était chef du génie de la Brigade de Zvornik,

14 avec le grade de commandant. De plus, du matin du 14 juillet jusqu'à celui

15 du 15 juillet 1995, Dragan Jokic a fait office d'officier de permanence de

16 la Brigade de Zvornik. Le commandant Jokic, en sa qualité de chef du génie

17 de la Brigade de Zvornik, est accusé d'avoir participé à la planification,

18 à la supervision, à l'organisation, et à l'exécution des enterrements qui

19 ont suivi l'opération meurtrière, et d'avoir, en tant qu'officier de

20 permanence de la brigade, participé à la coordination des communications

21 entre les officiers et les commandements de l'armée de la Republika Srpska

22 ou VRS, au sujet du transport, de la détention, de l'exécution, et de

23 l'enterrement des Musulmans de Srebrenica, et rédigé ou transmis à ses

24 supérieurs des rapports et des mises à jour concernant l'évolution de

25 l'opération.

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1 En conséquence, Dragan Jokic doit répondre de quatre chefs au titre de

2 l'Article 7(1) du Statut, à savoir : extermination, un crime contre

3 l'humanité; assassinat, un crime contre l'humanité; meurtre, une violation

4 des lois aux coutumes de la guerre, au titre de l'Article 3 du Statut; et

5 persécutions, un crime contre l'humanité.

6 Vidoje Blagojevic a été mis en accusation le 30 octobre 1998. Suite à une

7 modification de son acte d'accusation en 1999, l'instance introduite contre

8 lui a été jointe en janvier 2002 à celle engagée contre deux autres accusés

9 devant eux aussi répondre de crimes commis suite à la chute de Srebrenica,

10 dont notamment Dragan Jokic, qui avait été inculpé le 30 mai 2001. En mai

11 2002, l'instance engagée contre un quatrième accusé, Momir Nikolic a été

12 jointe à l'espèce. Ultérieurement, suite à leurs déploiements de

13 culpabilité, les procès de Momir Nikolic et de Dragan Obrenovic ont été

14 disjoints de l'espèce.

15 Le procès s'est ouvert le 14 mai 2003, et a pris fin le

16 1er octobre 2004. Période pendant laquelle, la Chambre de première instance

17 a entendu 104 témoins et admis les dépositions de 57 autres en application

18 de l'Article 92 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal. Les

19 éléments de preuve apportés par plus de 15 experts dans les domaines de la

20 démographie, des affaires militaires, et de la médecine légale ont été

21 versés au dossier sous forme de rapports et de dépositions. Plus de 1 000

22 pièces à conviction ont été admises au cours du procès.

23 A l'issue du procès, la Chambre de première instance et les parties ont

24 procédé à une visite sur les lieux dans les municipalités de Srebrenica,

25 Bratunac, et Zvornik pour aider la Chambre de première instance à apprécier

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1 les éléments de preuve admis en l'espèce.

2 Je vais maintenant donner la parole à M. le Juge Vassylenko.

3 M. LE JUGE VASSYLENKO : [interprétation] Merci. Les faits. La Chambre de

4 première instance va tout d'abord donner un résumé des crimes commis contre

5 la population musulmane de Bosnie à Potocari avant de traiter des crimes

6 perpétrés contre les hommes en particulier.

7 Après l'attaque contre l'enclave de Srebrenica, 20 000 à 30 000 Musulmans

8 de Bosnie ont fui vers Potocari, un village situé dans la partie nord-est

9 de l'enclave où le Bataillon néerlandais avait son quartier général. Le

10 Bataillon néerlandais n'était pas en mesure de faire face à cet afflux

11 massif de réfugiés, car il ne disposait pas de réserves suffisantes en

12 vivres ou aux médicaments, en grande partie à cause du blocus mis en place

13 dans les mois ayant précédé l'offensive, empêchant le ravitaillement de

14 l'enclave et du Bataillon néerlandais. A l'issue de négociations menées

15 entre le général Ratko Mladic, commandant de la VRS et le Bataillon

16 néerlandais, dans la nuit du 11 juillet, il a été décidé de transporter la

17 population musulmane de Bosnie en autocar, à partir de Potocari vers des

18 territoires non contrôlés par les Serbes.

19 Les 12 et 13 juillet, il y avait à Potocari des membres de la VRS, d'unité

20 de police du ministère de l'Intérieur, le MUP et des autorités civiles de

21 Bratunac, ainsi que des hommes du Bataillon néerlandais. Parmi les forces

22 de la VRS, se trouvaient des membres de la police militaire et du

23 commandement de la Brigade de Bratunac, et à tout le moins des membres des

24 1er, 2e, et 3e Bataillon d'infanterie de la Brigade.

25 La Chambre de première instance conclut que la population musulmane a été

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1 soumise à des traitements cruels et inhumains à Potocari. Certains

2 Musulmans de Bosnie y ont été soumis à des sévices corporels ayant entraîné

3 de graves douleurs et de grande souffrance. Ils n'avaient pas suffisamment

4 d'espace, de vivres, ou d'eau et ont été l'objet de forme d'avilissement

5 extrême. Les hommes ont été séparés de leurs familles, suscitant une forte

6 angoisse dans la population sur ce qui allait advenir d'eux.

7 Muniba Mujic a essayé de suivre son frère, alors qu'il était emmené par des

8 soldats de la VRS. Elle a déposé au sujet d'un échange qu'elle a eu avec un

9 soldat à ce moment-là. Je cite :

10 "Alors je lui ai dit : 'Est-ce que je peux amener mon sac pour le donner à

11 mon frère ?' Et il a répondu, 'Non, ne lui apportez pas ce sac. Il n'en

12 aura pas besoin. Parce que Nenad m'avait dit qu'il n'en aurait plus

13 besoin.' Cela m'a paru extrêmement suspect. Cela m'a beaucoup touché et

14 j'ai commencé à pleurer. Je suis passée devant lui, mais il avait laissé

15 ses affaires sur place. Moi, je voulais arriver à trouver mon frère. Je

16 m'en moquais pas mal de mes affaires, donc je suis passé."

17 De plus, la Chambre de première instance conclut qu'une atmosphère de

18 terreur avait été créée à Potocari. On y trouvait des membres de la VRS,

19 puis ses membres armés qui pouvaient déambuler parmi les réfugiés musulmans

20 et s'emparer au gré de leur fantaisie, de certains d'entre eux pour les

21 passer à tabac, ou les soumettre à d'autre forme de sévices. De plus, les

22 hommes se sont vu confisquer leur papier, faisant ainsi comprendre à la

23 population musulmane que les hommes n'auraient peut-être plus besoin de

24 leur papier parce qu'on avait déjà décidé de leur sort; la mort.

25 La Chambre de première instance conclut que des membres de la

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1 population musulmane de Bosnie ont été assassinés à Potocari. Il n'existe

2 que peu d'éléments de preuve permettant d'établir l'existence d'un plan

3 organisé pour tuer les Musulmans de Bosnie à Potocari, mais dans un climat

4 où les passages à tabac, les sévices et l'intimidation étaient non

5 seulement tolérés mais semblaient encouragés, ces meurtres étaient

6 prévisibles.

7 Enfin, la Chambre de première instance conclut que des femmes, des enfants,

8 et des personnes âgées appartenant à la population musulmane de Bosnie, ont

9 fait l'objet d'un transfert par la force à partir de Potocari vers des

10 territoires non contrôlés par les Serbes en Bosnie. Si certains éléments

11 montrent que les Musulmans ont embarqué volontairement à bord des autocars,

12 et exprimaient le désir de quitter Potocari, la Chambre de première

13 instance conclut que, vu la situation qui existait à Potocari, ce transfert

14 ne saurait être qualifié de volontaire, mais doit être considéré comme

15 contraint ou forcé. En raison de la crise humanitaire qui affectait

16 Potocari, une crise créée par les forces serbes de Bosnie et notamment par

17 la Brigade de Bratunac, et de l'atmosphère de terreur qui régnait en

18 particulier dans la nuit du 12 juillet, la population musulmane et le

19 Bataillon néerlandais même, n'ont eu d'autre choix que de partir vers un

20 endroit où leur sécurité, leur intégrité physique, voire leur survie,

21 pourrait être assurée.

22 La majorité des hommes musulmans de Srebrenica ont fui l'enclave dans la

23 nuit du 10 juillet, dans le but de faire une percée jusqu'au territoire non

24 contrôlé par les Serbes, dans les environs de Tuzla. Dans les journées qui

25 ont suivi, plus de 7 000 hommes musulmans de Bosnie ont été capturés,

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1 détenus, et transportés vers des lieux d'exécution situés des les

2 municipalités de Bratunac et de Zvornik, afin d'y être tués.

3 Dans la première phase de cette opération, les hommes musulmans ont été

4 détenus dans la ville de Bratunac au cours des nuits du 12 et du 13

5 juillet. Le colonel Blagojevic était présent à Bratunac à ces deux dates.

6 Des hommes qui avaient été séparés par la force de leurs familles à

7 Potocari, ou capturés pendant le ratissage du terrain, ont été transportés

8 en autocar vers la ville de Bratunac. Ils y ont été détenus soit dans les

9 autocars, soit dans les locaux du groupe scolaires Vuk Karadzic. La petite

10 ville de Bratunac était remplie d'hommes musulmans de Bosnie. La police

11 militaire de la Brigade de Bratunac est intervenue pour assurer la

12 sécurité, ou, plus exactement, pour garder les détenus, assurant ainsi le

13 contrôle sans relâche des forces serbes de Bosnie sur ces hommes.

14 La Chambre de première instance conclut que pendant leur détention à

15 Bratunac, ces hommes ont été soumis à des traitements cruels et inhumains.

16 Ils ont été détenus dans des conditions indignes. On ne leur a pas fourni

17 de nourriture, d'eau, ou de soins médicaux en quantité suffisante, et ils

18 ont été détenus dans des lieux surpeuplés, souvent dépourvus des

19 installations les plus élémentaires. Ils ont été l'objet d'actes de

20 violence arbitraire : les passages à tabac, les insultes, et les menaces

21 contre leur intégrité physique se succédaient sans discontinuer. Les tirs

22 retentissaient tout au long de la nuit, émaillés parfois du hurlement d'un

23 détenu qu'on faisait sortir de l'école ou bien d'un autocar pour le tuer.

24 La police militaire de la Brigade de Bratunac est intervenue pour garder

25 les détenus, et dans le cas de l'école Vuk Karadzic, pour contrôler les

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1 entrées et les sorties des locaux.

2 Alors que la plupart des hommes capturés dans la colonne ont été conduits

3 vers la ville de Bratunac le 13 juillet, les Musulmans capturés et détenus

4 dans la prairie de Sandici, ont été contraints de se rendre à pied ou en

5 autocar à l'entrepôt de Kravica, situé à proximité sur la route principale

6 Bratunac-Konjevic Polje, dans la municipalité de Bratunac. Les quelque 1

7 000 hommes détenus à cet endroit ont été tués dans la nuit du 13 juillet,

8 quand les forces serbes de Bosnie ont ouvert le feu à l'arme automatique à

9 l'intérieur de l'entrepôt. Après avoir tué la majorité des prisonniers, les

10 forces serbes de Bosnie ont fait sortir les survivants et les ont exécutés

11 sommairement à l'extérieur de l'entrepôt à un endroit facilement visible

12 depuis la route.

13 Le matin du 14 juillet, un convoi d'environ 30 autocars, transportant des

14 Musulmans de Bosnie, a quitté Bratunac pour Zvornik. Des membres de la

15 Brigade de Bratunac en ont assuré l'escorte. Les hommes ont été conduits

16 vers plusieurs lieux de détention temporaire dans la municipalité de

17 Zvornik, dont les écoles de Grbavci, de Petkovci et de Pilica. Entre le 14

18 et le 16 juillet, on leur a bandé les yeux avant de les faire monter à bord

19 d'autocars, et puis de les emmener dans des champs voisins. Là, terrorisés

20 et sans défenses, ils ont été exécutés, groupes après groupes. Les environs

21 d'Orahovac, du barrage de Petkovici, et de la ferme militaire de Branjevo

22 [comme interprété] sont devenus de véritables champs mortuaires, jonchés

23 des cadavres de ces hommes musulmans de Bosnie.

24 Le témoin P111, un musulman de Bosnie qui avait 17 ans au moment des

25 crimes, a décrit l'atmosphère, remplit de désespoirs, qui régnait au

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1 barrage de Petkovici parmi les hommes que l'on y avait emmené pour les

2 exécuter. Je cite :

3 "Il y avait beaucoup de gens qui hurlaient, 'Donnez nous à boire et

4 puis tuez nous.' Nous avions vraiment très soif. On n'en pouvait plus, même

5 si on allait nous tuer dans quelques secondes à peine. Mais on essayait de

6 gagner du temps. On essayait de vivre encore quelques secondes de plus.

7 Alors que d'autres étaient tués, moi, je priais pour que je sois tué aussi,

8 parce que je souffrais atrocement. Mais je n'ai pas osé les appeler. J'ai

9 pensé que ma mère ne saurait où j'étais parce que je pensais que je

10 souhaitais mourir."

11 Dans le centre culturelle de Pilica, on avait entassé environ 500 hommes

12 musulmans de Bosnie. Ce lieu de détention a été transformé en lieu

13 d'exécution le 16 juillet. Alors que les détenus se terraient dans les

14 coins pour essayer de se protéger, ou étaient contraints de se tenir debout

15 sur la scène du centre culturelle, des soldats de la VRS ont ouvert le feu

16 sur eux à l'arme automatique et lancé des grenades à l'intérieur de

17 l'édifice. Il n'existe pas de survivants connus à ce massacre. Des

18 chargeuses et des pelleteuses se trouvaient déjà sur place au moment des

19 exécutions où sont arriver peu à peu pour enterrer les morts dans des

20 fosses communes. A plusieurs reprises, la compagnie du Génie de Zvornik a

21 fourni des engins et des conducteurs pour participer à l'opération

22 d'ensevelissement des corps.

23 Mme LE JUGE ARGIBAY : [interprétation] La Chambre de première instance

24 conclut, quant aux faits tels qu'ils ont été décrits dans le présent

25 résumé, qu'il est établi que les crimes énoncés ci-après ont été commis en

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1 juillet 1995, après la chute de l'enclave de Srebrenica; génocide,

2 extermination, assassinat, persécution par les meurtres, traitement cruel

3 et inhumain (terreur infligé à la population civile et de transfert forcé)

4 et des actes inhumains (de transfert forcé). La Chambre de première

5 instance ne répétera pas ici de façon détaillé ses conclusions de droit,

6 mais elle mettra en lumière certaines de ses conclusions.

7 En ce qui concerne le crime de génocide, la Chambre de première

8 instance estime que les actes par lesquels le génocide à été commis sont le

9 fait d'avoir tué les membres d'un groupe et d'avoir gravement porté

10 atteinte à l'intégrité physique et mentale des membres de ce groupe. Le

11 groupe est défini comme étant les Musulmans de Srebrenica en Bosnie.

12 La Chambre constate que des sévices graves à l'intégrité physique et

13 mentale ont été infligés à des membres du groupe des membres des Musulmans

14 de Bosnie par divers moyens, notamment : par le déplacement forcé de la

15 population musulmane de Srebrenica en Bosnie; en séparant les hommes du

16 reste de la population; en terrorisant la population musulmane en Potocari;

17 en soumettant des membres du groupes à des violences physiques et mentales

18 et des sévices physiques et mentaux à Potocari dans les centres de

19 détentions; et en causant des traumatismes très graves à ceux des hommes

20 qui ont pu survivre aux exécutions.

21 La Chambre de première instance constate aussi que dans les

22 circonstances de l'espèce, par la manière et les moyens par lesquels il a

23 été effectué, le transfert forcé de la population musulmane de Bosnie de

24 l'enclave de Srebrenica, jointe aux assassinats ou par elle-même, a causé

25 des atteintes à l'intégrité mentale d'une gravité constituant un acte de

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1 génocide.

2 La Chambre de première instance conclut que l'intention spécifique de

3 détruire en tout ou en parti le groupe des Musulmans de Bosnie en tant que

4 tel peut se déduire des événements qui ont suivi l'opération militaire dite

5 Krivaja 95, et qui avait pour objectif ultime l'élimination de l'enclave de

6 Srebrenica, à savoir, l'expulsion par la force des Musulmans bosniaques de

7 l'enclave de Srebrenica; la séparation des personnes du sexe masculin de la

8 communauté musulmane à Potocari; le transfert forcé de femmes, d'enfants,

9 et de personnes âgées musulmanes de Bosnie du territoire occupé par les

10 Serbes; et, pour finir, l'assassinat de plus de 7 000 hommes et garçons

11 musulmans de Bosnie.

12 La Chambre de première instance estime que le verbe "détruire"

13 s'entend seulement de la destruction physique et biologique du groupe. Il

14 n'inclut pas le génocide culturel. La Chambre de première instance précise,

15 en outre, que la destruction dont il s'agit ne doit pas être assimilée aux

16 meurtres. Si le fait de tuer de nombreux membres d'un groupe est peut être

17 le moyen le plus direct de détruire ce groupe, d'autres actes ou séries

18 d'actes peuvent aussi conduire à la destruction d'un groupe.

19 La Chambre de première instance conclut que selon les circonstances

20 et la manière dont un transfert forcé est exécuté, il peut aboutir à la

21 destruction du groupe protégé. En l'espèce, le transfert forcé visait un

22 groupe protégé : les Bosniaques musulmans de Srebrenica. Ce transfert était

23 précédé par la séparation de la communauté en fonction du sexe. La Chambre

24 de première instance conclut que le fait que les Musulmans bosniaques du

25 sexe masculin ont été séparés du reste du groupe de Musulmans bosniaques

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1 constitue un élément de preuve essentiel pour établir que les Serbes de

2 Bosnie qui ont organisé et exécuté le transfert ne voulaient pas que les

3 groupes de Musulmans de Bosnie se reconstituent jamais en tant que groupe à

4 Srebrenica, ni ailleurs, et qu'en conséquence il avait l'intention de

5 détruire physiquement ce groupe.

6 En ce qui concerne le déplacement de la population musulmane de

7 l'enclave de Srebrenica en Bosnie, la Chambre constate que la population

8 musulmane bosniaque a été transférée par la force de la région où elle se

9 trouvait légitimement pour des raisons autres que ceux qui sont reconnues

10 par la loi international, à savoir, la sécurité de la population ou une

11 situation de nécessité correspondant à des impératifs militaires.

12 La Chambre de première instance considère que le transfert a été "forcé"

13 parce que la population musulmane n'a pas eu librement et véritablement le

14 choix de rester dans l'enclave de Srebrenica, y compris dans le secteur en

15 partie occupé par le quartier général occupé par le Bataillon néerlandais à

16 Potocari. Cette absence de choix véritable a résulté des actes et du

17 comportement des officiers et des soldats de la VRS à l'encontre des

18 réfugiés, y compris; la commission de graves infractions de la part de

19 membres des forces serbes de Bosnie à Potocari; le processus organisé

20 inhumain et fréquemment violent de séparation et d'enlèvement des membres

21 masculins de la population; ainsi que les conditions d'atmosphère de

22 terreurs qui ont été crées à Potocari. En outre, la Chambre de première

23 instance constate que les forces serbes de Bosnie qui ont organisé et

24 exécuté le transfert de la population des musulmans de Bosnie n'entendaient

25 pas que ce déplacement de population soit une mesure temporaire.

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1 A ce stade, la Chambre de première instance rappelle que l'objet d'un

2 procès n'est pas seulement de déterminer si des violations graves du droit

3 international humanitaire ont été commises dans une certaine région, mais

4 aussi de déterminer en fin de compte qui porte la responsabilité pénale

5 individuelle de ces crimes. La Chambre de première instance a apprécié la

6 responsabilité pénale et individuelle de Vidoje Blagojevic et de Dragan

7 Jokic dans le contexte de tous les événements qui ont suivi la chute de

8 Srebrenica en juillet 1995.

9 Tout en reconnaissant qu'il existait une hiérarchie fonctionnelle au sein

10 de l'organe chargé de la sécurité qui opérait aussi en juillet 1995, la

11 Chambre de première instance constate que le colonel Blagojevic, en tant

12 que commandent de la Brigade de Bratunac, avait sous son commandement et sa

13 direction les forces et les ressources de la Brigade de Bratunac en juillet

14 1995. Une responsabilité peut par conséquent être imputée au colonel

15 Blagojevic dès lors qu'il peut être prouver qu'il était au courant de la

16 commission de ces crimes, et qu'il a permis que du personnel ou des

17 ressources fussent utilisés pour faciliter la commission de ces crimes.

18 Dragan Jokic exerçait les fonctions d'officier de permanence de la Brigade

19 de Zvornik du 14 juillet au matin jusqu'au 15 juillet au matin. De plus, il

20 était le chef des services du génie de la Brigade de Zvornik. La Chambre de

21 première instance devra estimer si pour les mesures qu'il a prises il a une

22 responsabilité pénale individuelle de ce fait.

23 Vidoje Blagojevic et Dragan Jokic sont tous les deux accusés d'une

24 responsabilité pénale individuelle pour avoir participé à une entreprise

25 criminelle commune. La Chambre de première instance, pour des motifs

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1 exposés en détail dans le présent jugement, ne considère pas que les

2 éléments qui doivent être établis pour conclure à une responsabilité pénale

3 individuelle découlant d'une entreprise criminelle commune soient réunis

4 dans la présente affaire. De plus, la Chambre de première instance estime

5 que le genre de responsabilité qui correspond le plus exactement au

6 comportement criminel des deux accusés sur la base des faits qui leur sont

7 reprochés est d'avoir aider et encourager à commettre ces crimes.

8 La Chambre de première instance va maintenant apprécier la responsabilité

9 de Vidoje Blagojevic et Dragan Jokic pour avoir aidé et encouragé des

10 crimes dont la réalité est établie.

11 La Chambre conclut qu'il y a eu des actes commis par le colonel Blagojevic

12 ou des membres de la Brigade de Bratunac qui ont fourni une aide matérielle

13 à l'opération de meurtres qui a eu pour résultat le meurtre de 7 000

14 Musulmans, hommes et garçons musulmans. Ces actes incluent la séparation

15 des hommes du reste de la population musulmane de Bosnie à Potocari; le

16 fait d'avoir gardé des hommes musulmans dans la ville de Bratunac du 12 au

17 14 juillet; la participation de bataillons de la Brigade de Bratunac et, en

18 l'occurrence, la participation du colonel Blagojevic à l'opération de

19 ratissage lui-même.

20 La Chambre de première instance estime toutefois que les éléments de preuve

21 sont insuffisants pour établir que le colonel Blagojevic avait connaissance

22 du fait que les actes en question aidaient à commettre le crime

23 d'assassinat s'agissant des exécutions en masse. En conséquence, la

24 responsabilité du colonel Blagojevic pour avoir aidé et encouragé des

25 meurtres par rapport aux exécutions en masse n'a pas été établie.

Page 12647

1 La Chambre de première instance constate qu'il y a eu des crimes

2 commis par des membres de la Brigade de Bratunac qui ont fourni une aide

3 matérielle lors des meurtres commis dans la ville de Bratunac. La Chambre

4 de première instance estime que le colonel Blagojevic savait que les

5 membres de la Brigade de Bratunac ont apporté une aide matérielle lors du

6 meurtre de ces hommes dans la ville de Bratunac. En conséquence, la Chambre

7 de première instance estime que le colonel Blagojevic a aidé et encouragé à

8 commettre les meurtres dans la ville de Bratunac.

9 La Chambre de première instance considère que le colonel Blagojevic

10 n'avait pas connaissance du fait que le crime d'extermination était en

11 train d'être commis au moment où il a été commis et ne saurait, par

12 conséquent, courir aucune responsabilité pour des actes qui peuvent avoir

13 été accompli par lui-même ou par des membres de la Brigade de Bratunac qui

14 ont aidé les auteurs et ont eu un effet important alors que l'extermination

15 était en cours. Par conséquent, la responsabilité du colonel Blagojevic

16 pour ce qui est d'aider et d'encourager à l'extermination n'a pas été

17 établie, et il est acquitté de l'accusation d'extermination portée contre

18 lui au chef 2 de l'acte d'accusation.

19 En ce qui concerne le crime de persécution, la Chambre de première

20 instance estime que le colonel Blagojevic était au courant des motifs

21 discriminatoires sur la base desquels les actes suivants ont été commis :

22 meurtres, traitements cruels et inhumains, terreur infligée à la population

23 civile, et transfert forcé. La question des meurtres a été exposée plus

24 haut.

25 La Chambre de première instance constate que des membres de la

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1 Brigade de Bratunac ont apporté une aide matérielle qui a eu un effet

2 important dans le cadre des persécutions commises par des traitements

3 cruels et inhumains en terrorisant la population civile. La Chambre de

4 première instance estime que le colonel Blagojevic avait connaissance du

5 fait que des membres de la Brigade de Bratunac participaient à ces actes,

6 et savaient aussi que les actes en question aident à commettre le crime de

7 persécution en terrorisant la population civile et en lui infligeant un

8 traitement cruel et inhumain.

9 Enfin, la Chambre de première instance constate que des membres de la

10 Brigade de Bratunac, y compris des membres de la police militaire et des

11 membres des bataillons qui assuraient la sécurité du secteur de Potocari

12 ont apporté une aide matérielle au transfert forcé de la population

13 musulmane de Bosnie hors de la zone de Srebrenica par leur participation

14 lorsque la population était séparée, lorsque les autocars ont été remplis

15 et escortés, et en patrouillant autour de la zone dans laquelle la

16 population a été retenue jusqu'à l'achèvement du transfert, la contribution

17 apportée par les membres de la Brigade de Bratunac à l'opération a eu un

18 effet important lorsque le crime a été commis.

19 La Chambre de première instance estime en outre que le colonel

20 Blagojevic était au courant de l'aide qu'apportait des membres de sa

21 brigade, et que les actes de ceux-ci ont aidé à commettre les transferts

22 par la force. En tant que commandant participant à l'opération Krivaja 95,

23 le colonel Blagojevic savait quels étaient le but et le résultat de cette

24 opération : à savoir l'élimination de l'enclave de Srebrenica. Cet objectif

25 impliquait nécessairement l'expulsion de la population musulmane de Bosnie

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1 de cette région.

2 Au cours des journées du 12 au 14 juillet, le colonel Blagojevic, par

3 sa présence au poste de commandement avancé dans la ville de Srebrenica et

4 à Bratunac, aurait vu lui-même la réalisation de cet objectif tandis que,

5 les uns après les autres, se succédaient des autocars remplis de femmes,

6 d'enfants et de personnes âgées musulmanes de Bosnie, les emmenant de

7 Potocari à Kladanj, en passant par Bratunac, puis la détention temporaire

8 des hommes musulmans à Bratunac en attente de leur transfert en dehors de

9 la zone. Le colonel Blagojevic savait que ce transfert par la force était

10 exécuté pour des motifs discriminatoires, étant donné que l'objectif de ce

11 transfert forcé était de faire partir les Musulmans de Bosnie de cette

12 partie de la Bosnie. En conséquence, la Chambre de première instance juge

13 que le colonel Blagojevic est responsable d'avoir aidé et encouragé les

14 persécutions par les actes sous-jacents de meurtres, traitements cruels et

15 inhumains, ainsi que terreur infligée à la population civile et transfert

16 forcé de celle-ci.

17 Ayant établi que le colonel Blagojevic porte une responsabilité

18 pénale pour avoir aidé et encouragé des persécutions au moyen de transfert

19 par la force, la Chambre de première instance estime que le colonel

20 Blagojevic a aidé et encouragé le crime d'actes inhumains (transferts

21 forcés).

22 Aux fins d'apprécier la responsabilité du colonel Blagojevic du chef

23 de complicité dans le génocide, la Chambre doit d'abord déterminer s'il a,

24 par ses actes, apporté une aide matérielle qui a eu un effet important dans

25 la perpétration des meurtres et des atteintes graves à l'intégrité physique

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1 ou mentale qui caractérise le crime de génocide. Dans l'affirmative, la

2 Chambre de première instance déterminera, en premier lieu, si le colonel

3 Blagojevic avait connaissance du fait que ses actes pouvaient aider à

4 commettre les actes en question. La Chambre de première instance

5 déterminera ensuite si le colonel Blagojevic avait connaissance de

6 l'intention spécifique de l'auteur principal de détruire le groupe de

7 Musulmans de Bosnie en tout ou en partie.

8 Sur la base de ses conclusions relatives aux meurtres, aux

9 persécutions et aux autres actes inhumains, à savoir le transfert forcé, la

10 Chambre de première instance considère en outre que le colonel Blagojevic

11 savait qu'en permettant que les ressources dont disposait la Brigade de

12 Bratunac soient employées, il apportait une contribution importante au

13 meurtre de Musulmans de Bosnie de sexe masculin et aux graves atteintes

14 physiques ou mentales qui étaient infligées à la population musulmane de

15 Bosnie.

16 La Chambre de première instance conclut que le colonel Blagojevic

17 avait connaissance de l'intention des principaux auteurs de ces crimes de

18 détruire en tout ou en partie le groupe des Musulmans de Bosnie en tant que

19 tel. La Chambre de première instance déduit qu'il avait cette connaissance

20 compte tenu de l'ensemble des circonstances dans lesquelles la prise de

21 Srebrenica a eu lieu, et les actes visant la population musulmane de Bosnie

22 qui s'en sont suivis. En conséquence, la Chambre de première instance juge

23 que le colonel Blagojevic est coupable de complicité dans le génocide pour

24 avoir aidé et encouragé au génocide.

25 La Chambre de première instance n'estime pas que le colonel

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1 Blagojevic encoure une responsabilité au titre de l'Article 7(3) pour les

2 motifs exposés dans le présent jugement. En ce qui concerne Dragan Jokic,

3 la Chambre de première instance a conclu que sont établis les crimes

4 d'assassinat et de meurtre à la fois en tant que violations des droits et

5 coutumes de la guerre et en tant que crimes contre l'humanité.

6 La Chambre de première instance estime qu'il n'a pas été démontré au-delà

7 d'un doute raisonnable que Dragan Jokic avait connaissance du fait qu'il

8 envoyait les hommes à l'entrepôt de Kravica ou que cela était pour

9 participer de quelque manière aux ensevelissements qui ont suivi le

10 massacre perpétré dans l'entrepôt de Kravica. La Chambre de première

11 instance est convaincue que Dragan Jokic savait que les prisonniers

12 musulmans Bosniens étaient détenus à l'école de Grbavci en attendant d'être

13 exécutés lorsqu'il ordonnait à quelqu'un de s'y rendre. La Chambre de

14 première instance juge, par conséquent, que Dragan Jokic savait qu'il avait

15 envoyé à Orahovac cet homme, précisément, pour faire creuser des fosses

16 communes pour y placer les victimes des exécutions. En lui disant de

17 prendre à Orahovac, la pelleteuse excavatrice, Dragan Jokic a apporté une

18 aide matérielle qui a eu un effet important pour la commission du crime.

19 Il n'a pas été établi au-delà d'un doute raisonnable que Dragan Jokic ait

20 fourni une aide importante à l'exécution en masse qui a été ensuite commise

21 à l'école de Petkovci et au barrage. La Chambre de première instance n'a

22 trouvé aucun élément de preuve que des membres de la Brigade de Zvornik

23 aient pris part à cette exécution.

24 La Chambre de première instance considère que Dragan Jokic avait

25 connaissance du fait que les prisonniers musulmans de Bosnie étaient

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1 détenus à l'école de Pilica dès le 14 juillet. En outre, la Chambre de

2 première instance conclut au-delà d'un doute raisonnable que Jokic, en sa

3 qualité de chef du génie, était informé que le 16 juillet des engins lourds

4 avaient été demandés et il était en contact avec des membres de la

5 compagnie du génie pour donner suite à cette demande. Comme résultat, les

6 actes accomplis par Dragan Jokic, les ressources et le personnel du génie

7 de la Brigade de Zvornik ont été envoyés.

8 La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute

9 raisonnable que Dragan Jokic savait que lesdites ressources étaient

10 envoyées afin de creuser des fosses communes.

11 La Chambre de première instance estime que Dragan Jokic a apporté à une

12 aide matérielle qui a eu un effet important au regard des crimes commis et

13 elle est convaincue que Dragan Jokic savait que les ressources du génie de

14 la Brigade de Zvornik allaient être utilisées pour creuser des fosses

15 communes où seraient enterrées les victimes des exécutions.

16 La Chambre de première instance conclut qu'il a été établi au-delà d'un

17 doute raisonnable que Dragan Jokic a aidé et encouragé les meurtres qui ont

18 été commis à Orahovac, à la ferme militaire de Pilica/Branjevo et à Kozluk.

19 La Chambre de première instance a constaté qu'une extermination a été

20 commise. La Chambre de première instance estime au-delà de tout doute

21 raisonnable que Dragan Jokic a apporté une aide matérielle laquelle a eu un

22 effet important pour la commission du crime d'extermination.

23 Des éléments de preuve ont été fournis à la Chambre de première instance

24 d'après lesquels Dragan Jokic savait que des Musulmans de Bosnie étaient

25 détenus à l'école de Grbavci à Orahovac, à l'école de Pilica et à Kozluk.

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1 En outre, le fait que Dragan Jokic ait envoyé du matériel de terrassement

2 lourd et du personnel pour amener ce matériel et ensuite procéder au

3 creusement de fosses communes sur les lieux où les exécutions étaient en

4 cours ou venaient juste d'avoir lieu prouve au-delà d'un doute raisonnable

5 que Dragan Jokic savait que des meurtres étaient commis sur une grande

6 échelle.

7 Au chef d'accusation numéro 5, persécutions, l'Accusation met à charge

8 Dragan Jokic d'avoir commis les quatre crimes suivant ayant pris la forme

9 d'assassinats, traitements cruels et inhumains, terreurs infligées à la

10 population civile, destruction de biens personnels. La Chambre de première

11 instance rappelle ses conclusions selon lesquelles les actes incriminés

12 dont Dragan Jokic a été accusé, les meurtres, les traitements cruels et

13 inhumains et la terreur infligée à des civils musulmans de Bosnie ont fait

14 partie de la campagne de persécution contre la population musulmane de

15 Bosnie.

16 La Chambre de première instance estime qu'aucun élément de preuve n'a été

17 présenté qu'il soit susceptible de lui permettre de conclure que Dragan

18 Jokic a apporté une aide matérielle, des encouragements ou un appui moral

19 ayant eu un effet important pour ce qui est des traitements cruels et

20 inhumains ou la terreur infligée à la population civile. La Chambre de

21 première instance conclut, par conséquent, que Dragan Jokic ne porte aucune

22 responsabilité du chef des actes précités.

23 En ce qui concerne les meurtres dont il est incriminé, la Chambre de

24 première instance a cru juger au-delà de tout doute raisonnable que Dragan

25 Jokic a aidé et encouragé à commettre les crimes perpétrés à Orahovac, à la

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1 ferme militaire de Pilica/Branjevo et à Kozluk. Les éléments de preuve

2 démontrent qu'à partir du 14 juillet, Dragan Jokic savait que des milliers

3 d'hommes et de garçons musulmans de Bosnie étaient détenus dans le secteur

4 de la Brigade de Zvornik. Ces éléments de preuve établissent en outre que

5 Dragan Jokic savait que ces hommes et ces garçons étaient détenus pour des

6 motifs discriminatoires parce qu'ils étaient des Musulmans de Bosnie. La

7 Chambre de première instance est, par conséquent, convaincue que Dragan

8 Jokic savait que les crimes commis à Orahovac, à la ferme militaire de

9 Pilica/Branjevo et à Kozluk étaient commis par les principaux auteurs

10 contre les victimes en raison du fait qu'ils étaient des Musulmans de

11 Bosnie. En conséquence, la Chambre de première instance juge que par ses

12 actes tels que précédemment décrits, Dragan Jokic a aidé et encouragé le

13 crime de persécution commis au moyen de meurtres à Orahovac, à la ferme

14 militaire de Pilica/Branjevo et à Kozluk.

15 M. LE JUGE LIU : [interprétation] La Chambre de première instance a évalué

16 la gravité des crimes au titre desquels les accusés ont été reconnus

17 coupables, y compris la participation individuelle de chacun des accusés

18 dans ces crimes.

19 S'agissant de Vidoje Blagojevic, la Chambre de première instance conclut

20 qu'il n'était pas l'un des participants principaux dans ces crimes. La

21 Chambre de première instance a conclu que si les chefs de l'état-major

22 principal et du MUP ont joué un rôle clé dans la mise en œuvre et

23 l'exécution d'un plan conjoint destiné à tuer des milliers d'hommes

24 musulmans de Bosnie et à transférer par la force plus de 30 000 Musulmans

25 de Bosnie, la contribution de Vidoje Blagojevic à la perpétration de ces

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1 crimes s'est faite essentiellement par l'intermédiaire d'une assistance

2 importante apportée au transfert forcé et du fait de sa connaissance de

3 l'objectif qui était d'éliminer l'enclave musulmane de Bosnie de

4 Srebrenica.

5 La Chambre de première instance conclut qu'il n'a pas été établi qu'il

6 avait connaissance des exécutions lorsqu'il a apporté cette assistance.

7 Cependant la Chambre de première instance doit évaluer l'assistance

8 pratique qu'il a apportée et estime qu'elle a eu un effet substantiel sur

9 la perpétration du crime de génocide.

10 Dragan Jokic, tout comme Vidoje Blagojevic, n'a pas joué un rôle essentiel

11 dans la perpétration des crimes. De plus, la Chambre de première instance a

12 conclu qu'il n'occupait pas un poste de commandement. Il n'était pas en

13 mesure de donner des ordres lui-même mais il transmettait les ordres que

14 lui avaient donnés ses supérieurs aux membres de la compagnie du génie de

15 la Brigade de Zvornik. Cependant, il a apporté une assistance importante à

16 la perpétration des crimes en envoyant des engins de la compagnie du génie

17 sur les sites d'exécution ainsi que des membres de la compagnie du génie

18 pour participer à l'opération d'ensevelissement.

19 La Chambre de première instance a examiné les circonstances aggravantes et

20 atténuantes pertinentes pour déterminer la peine de chacun des accusés.

21 Nous allons maintenant donner lecture du dispositif.

22 Monsieur Blagojevic, je vais vous demander de bien vouloir vous lever.

23 [L'accusé Blagojevic se lève]

24 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Par ces motifs, la Chambre de première

25 instance conclut que : l'accusé Vidoje Blagojevic est déclaré non coupable

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1 et donc acquitté du chef d'accusation suivant : chef 2 : extermination.

2 L'accusé Vidoje Blagojevic est déclaré non coupable au titre de l'Article

3 7(3) du Statut, mais coupable au titre de l'Article 7(1) du Statut pour

4 avoir aidé et encouragé à la perpétration des crimes visés aux chefs

5 d'accusation suivants : chef 1B : complicité dans le génocide; chef 3 :

6 assassinat, un crime contre l'humanité; chef 4 : meurtre, une violation des

7 lois ou coutumes de la guerre; chef 5 : persécutions, un crime contre

8 l'humanité; et chef 6 : actes inhumains (transfert forcé).

9 La Chambre de première instance condamne donc Vidoje Blagojevic à une peine

10 unique de 18 ans d'emprisonnement.

11 Vous pouvez vous rasseoir, Monsieur Blagojevic.

12 [L'accusé Blagojevic se rassoit]

13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vidoje Blagojevic a été arrêté et remis à

14 la garde du Tribunal le 10 août 2001, il est en détention depuis 1 256

15 jours. Cette période sera déduite de la peine imposée, de même que la

16 période qu'il passera en détention en attendant que le président du

17 Tribunal décide de l'état dans lequel il purgera sa peine en application de

18 l'Article 103(A) du Règlement. Il restera en détention jusqu'à ce que

19 pareille décision soit rendue.

20 Monsieur Dragan Jokic, veuillez vous lever.

21 [L'accusé Jokic se lève]

22 M. LE JUGE LIU : [interprétation] S'agissant de l'accusé Dragan Jokic, la

23 Chambre de première instance se refuse à délivrer une déclaration de

24 culpabilité au titre : du chef 3 : assassinat, un crime contre l'humanité.

25 L'accusé Dragan Jokic est déclaré coupable au titre de l'Article 7(1) du

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1 Statut pour avoir aidé et encouragé à la perpétration des crimes visés aux

2 chefs d'accusation suivants : chef 2 : extermination, un crime contre

3 l'humanité; chef 4 : meurtre, une violation des lois ou coutumes de la

4 guerre; et chef 5 : persécution, un crime contre l'humanité.

5 La Chambre de première instance condamne donc Dragan Jokic à une peine

6 unique de neuf ans d'emprisonnement.

7 Vous pouvez vous rasseoir, Monsieur Jokic.

8 [L'accusé Jokic se rassoit]

9 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Dragan Jokic s'est livré au Tribunal le

10 15 août 2001. Il a bénéficié d'une mise en liberté provisoire pendant la

11 phase de mise en état de l'affaire. Il est en détention depuis 917 jours.

12 Cette période sera déduite de la peine imposée, de même que la période

13 qu'il passera en détention, en attendant que le président du Tribunal

14 décide de l'état dans lequel il purgera sa peine en application de

15 l'Article 103(A) du Règlement.

16 Il restera en détention jusqu'à ce que pareille décision soit rendue.

17 Ceci met un terme à cette affaire. L'audience est suspendue.

18 --- Le Jugement est levé à 15 heures 27.

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