LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
Composée comme suit: M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge Haopei Li
M. le Juge Fouad Riad
Assistée de: M. Jean-Jacques Heintz, Greffier-adjoint
Décision rendue le: 4 avril 1997
PROCUREUR
C/
TIHOMIR BLASKIC
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DÉCISION DE REJET DUNE EXCEPTION PRÉJUDICIELLE SOULEVÉE PAR LA DÉFENSE PORTANT SUR LINTENTION REQUISE POUR LES CHARGES INVOQUANT LA RESPONSABILITÉ DU SUPÉRIEUR HIÉRARCHIQUE ET VISANT À OBTENIR UN EXPOSÉ PLUS DÉTAILLÉ DES INFRACTIONS INCRIMINÉES DANS LES PARTIES CORRESPONDANTES DE LACTE DACCUSATION
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Le Bureau du Procureur:
M. Mark Harmon
M. Andrew Cayley
M. Gregory Kehoe
M. William Fenrick
Le Conseil de la Défense:
M. Anto Nobilo
M. Russell Hayman
1. Par requête en date du 4 décembre 1996 (ci-après dénommée "la Requête"), le Général Blaskic (ci-après dénommé "laccusé") a saisi la présente Chambre dune exception préjudicielle portant sur lintention délictueuse requise pour les charges invoquant la responsabilité du supérieur hiérarchique. Par opposition en date du 20 janvier 1997 (ci-après dénommée "la Réponse"), le Procureur a répondu à la Requête. Par mémoire du 3 février 1997 (ci-après dénommé "la Réplique"), la Défense de laccusé a répliqué à cette opposition. La Chambre a entendu les parties au cours dune audience tenue les 12 et 13 mars 1997.
La Chambre va examiner les prétentions et moyens des parties puis discuter les points en litige.
I. ANALYSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
2. Laccusé a saisi cette Chambre dune requête à leffet que celle-ci accepte dès avant le procès
a) de se prononcer sur les critères qui doivent régir la responsabilité dun commandant militaire pour les crimes commis par ses subordonnés;
b) de retenir à cet effet deux critères:
i) la connaissance réelle par le commandant des gestes posés par ses subordonnés; ou
ii) la méconnaissance délibérée du commandant vis-à-vis des renseignements à sa portée;
c) dordonner au Procureur de particulariser lacte daccusation modifié en spécifiant:
i) le moment où laccusé a connu les gestes ou méconnu les renseignements pertinents; et
ii) les renseignements qui auraient dû conduire à la conclusion que de tels gestes étaient ou seraient commis.
3. Le Procureur soppose à la requête en soutenant:
a) que lexception soulevée par la Défense touche à une question qui ne relève pas des exceptions visées aux articles 72 et 73 du Règlement de procédure et de preuve (ci-après dénommé "le Règlement"), et quil estime que "la raison dêtre des procédures préjudicielles est [...C de régler des questions de nature préliminaire ou de procédure avant dexaminer la cause au fond, moment où les questions pertinentes pour déterminer la culpabilité de laccusé peuvent être examinées"; que la demande équivaut à solliciter du Tribunal un "avis consultatif" sur des points abstraits de droit substantiel avant davoir eu la possibilité dexaminer les éléments de preuve à charge;
b) à titre subsidiaire, en ce qui concerne les critères à retenir pour déterminer la responsabilité du supérieur hiérarchique, que:
i) le terme "savait", contenu à larticle 7(3) du Statut du Tribunal international (ci-après dénommé "le Statut"), devrait être interprété comme "a dû avoir connaissance"; et
ii) lexpression "avait des raisons de savoir", devrait sentendre comme lobligation pour le supérieur hiérarchique de chercher activement à sinformer de ce qui se passe dans sa zone dopération;
c) et que, en vertu du Règlement, le Procureur na dautre obligation que de produire les renseignements nécessaires à laccusé pour préparer sa défense et "éviter une surprise préjudiciable".
4. Dans sa réplique, la Défense insiste sur sa demande en soulignant que les articles 72 et 73 du Règlement ne limitent pas le pouvoir du Tribunal de trancher des questions substantielles au stade préalable au procès. Elle souligne, en outre, la nécessité dune définition précise de lélément de lintention délictueuse au regard du principe du nullum crimen sine lege et des droits de laccusé.
Enfin la Défense insiste sur sa demande de précision de lacte daccusation relative au cadre temporel et aux circonstances dans lesquelles sinscriraient les infractions commises par laccusé en tant que commandant militaire.
II. DISCUSSION
5. La compétence du Tribunal englobe, au sens de larticle 7 du Statut, la responsabilité du supérieur hiérarchique pour les crimes commis par ses subordonnés.
Le paragraphe 3 de larticle 7 se lit comme suit:
"Le fait que lun quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale sil savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné sapprêtait à commettre cet acte ou lavait fait et que le supérieur na pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs".
(souligné ajouté)
Cest la périphrase "sil savait ou avait des raisons de savoir" dont laccusé voudrait délimiter davance le sens et la portée.
6. Que les questions soulevées présentent un vif intérêt pour laccusé ne saurait faire de doute, puisque cest essentiellement à titre de détenteur dun poste de commandement que sa responsabilité pénale est recherchée (voir le paragraphe 5.7 de lacte daccusation modifié). Cet intérêt, toutefois, ne saurait justifier laccusé de présenter sa demande sous forme dexception préjudicielle.
7. Techniquement, la requête de laccusé nentre dans aucune des cinq catégories prévues au paragraphe (A) de larticle 73 du Règlement, ainsi intitulé "Exceptions préjudicielles soulevées par laccusé". Mais, même sil faut tenir que cette liste nest pas exhaustive, encore faut-il, pour se prévaloir de cette voie procédurale, que le moyen soulevé soit, par nature, préliminaire. En lespèce, la demande de la Défense tend à ce que la Chambre se prononce sur des points de droit substantiel, essentiels à la détermination de la responsabilité pénale de laccusé.
Or il est évident que toute question concernant la culpabilité de laccusé doit être objet des débats au fond et ne peut être considérée comme de nature préliminaire. La Chambre ne se trouve donc pas, à ce stade, en mesure de se prononcer nayant entendu aucune preuve.
Toutes ces questions relèvent du fond de la poursuite auquel elles sont étroitement associées. Elles forment même partie intégrante de laccusation et elles doivent être réglées concurremment avec celle-ci. Or les faits et le droit sont ici trop étroitement mêlés pour quil soit opportun de prononcer davance sur celui-ci sans connaître ceux-là. On constate dailleurs, à lexamen de la jurisprudence, que cest là la solution généralement adoptée par les Tribunaux saisis de ces questions, notamment par ceux de Nuremberg et de Tokyo, où ces questions nont pas été tranchées au stade préliminaire.
La requête de laccusé est donc prématurée. Mais il convient de réserver à laccusé le droit, sil le croit opportun, de soulever à nouveau ces questions lors du procès.
8. En ce qui concerne la demande de la Défense tendant à obtenir un exposé plus détaillé des charges relatives à la responsabilité du supérieur hiérarchique (voir ci-dessus Partie I, § 2.c), la Chambre estime que lacte daccusation répond aux critères prévus par larticle 18 du Statut et larticle 47 du Règlement, tels quelle les interprète dans sa décision sur lexception préjudicielle de la Défense fondée sur des vices de forme de lacte daccusation.
Il y a lieu dès lors de rejeter la demande.
Il convient, enfin, de rappeler au Procureur les obligations de communication qui sont les siennes, en vertu des articles 66 et suivants du Règlement, et de linviter à continuer de sen acquitter avec diligence.
III. DISPOSITIF
9. PAR CES MOTIFS
La Chambre de première instance I
Statuant contradictoirement et à lunanimité de ses membres,
REJETTE la requête in limine de laccusé, en date du 4 décembre 1996, concernant lintention délictueuse requise pour les charges invoquant la responsabilité du supérieur hiérarchique, en tous ses chefs;
Réserve à laccusé le droit de soulever à nouveau les mêmes questions lors du procès.
Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.
Fait le quatre avril 1997,
A La Haye,
Pays-Bas.
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Juge Claude Jorda
Président de la Chambre de première instance I
[Sceau du Tribunal]