LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée de : M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge Haopei Li
M. le Juge Fouad Riad

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

LE PROCUREUR

C/

TIHOMIR BLASKIC

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RÉPONSE DU PROCUREUR À LA REQUÊTE AUX FINS DE
L’APPLICATION DE LA DÉCISION DE LA CHAMBRE DE
PREMIÈRE INSTANCE EN DATE DU 4 avril 1997

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Le Bureau du Procureur
Mark Harmon
Gregory Kehoe
Andrew Cayley
Conseils de la Défense
Anto Nobilo
Russell Hayman

INTRODUCTION

1. Le Procureur soumet respectueusement sa réponse aux points de droit et de jurisprudence soulevés par la Défense dans sa requête du 2 mai 1997 (la « requête »).

2. Le 4 avril 1997, la Chambre de première instance a rendu sa Décision sur l’exception préjudicielle aux fins de rejeter l’acte d’accusation pour vice de forme (la « Décision »). Dans cette Décision, la Chambre de première instance ordonne au Procureur de compléter sur certains points précis le premier Acte d’accusation modifié le 15 novembre 1996 (l’« Acte d’accusation modifié ») et de déposer les modifications en date du 18 avril 1997 au plus tard. Toutefois, c’est seulement le 21 avril 1997 que le Procureur a reçu la version anglaise de la Décision, ce qui l’a amené à demander à la Chambre de première instance l’autorisation de déposer l’Acte d’accusation modifié (le « deuxième Acte d’accusation modifié ») le 25 avril 1997. La Chambre de première instance a fait droit à cette requête le 18 avril 1997.

3. Le 2 mai 1997, la Défense a déposé une requête dans laquelle elle affirme que le Procureur ne s’est pas conformé à la Décision sur plusieurs points.

4. Le Procureur fait valoir qu’il s’est conformé à la Décision et que l’accusé est donc en mesure de préparer adéquatement sa défense.

RÉPONSE

Le deuxième Acte d’accusation modifié notifie adéquatement les charges relatives au rôle présumé de l’accusé dans la conduite incriminée et lui permet donc de préparer adéquatement sa défense

5. La Défense affirme que le deuxième Acte d’accusation modifié ne fournit toujours aucune allégation factuelle nouvelle quant au rôle présumé de l’accusé dans les faits incriminés. Dans la Décision, la Chambre de première instance a déclaré que :

l’acte d’accusation devrait être amendé sur la nature et le fondement de la responsabilité pénale encourue par l’accusé.1

6. En conformité avec cette Décision, le Procureur a reformulé chaque chef du deuxième Acte d’accusation modifié en y intégrant les faits spécifiques visés par le libellé des articles 7 1) et 7 3) du Statut. S’agissant du libellé de chacun des chefs d’accusation relatif au rôle présumé de l’accusé, le deuxième Acte d’accusation modifié est désormais parfaitement identique à l’Acte d’accusation initial émis le 10 novembre 1995 (l’« Acte d’accusation initial »). Or la Chambre de première instance avait, dans sa Décision, expressément approuvé les termes utilisés dans le libellé des chefs de l’Acte d’accusation initial.2

7. Dans sa requête, la Défense laisse entendre que pour se conformer à la Décision, le libellé de chacun des chefs du deuxième Acte d’accusation devrait alléguer des faits spécifiques et des exemples de comportement. Le Procureur fait respectueusement valoir qu’un acte d’accusation doit tout au plus énoncer en termes génériques les faits mis à la charge de l’accusé. Dans la Décision, la Chambre de première instance a déclaré :

la Défense, sur ce seul chapitre de la présentation générale de l’acte d’accusation, fait une confusion entre le droit minimal qui lui est garanti à travers une présentation, même succincte, des faits et des charges retenus à son encontre, et le droit, dans un délai rapide, de disposer d’une information beaucoup plus détaillée pour organiser sa défense.3

8. Des moyens de preuve à l’appui des allégations du Procureur et concernant directement les allégations quant à la conduite de l’accusé, qui figurent dans le deuxième acte d’accusation modifié, ont été communiqués à l’accusé conformément à l’article 66 A) du Règlement et à la Décision sur la production forcée de moyens de preuve en date du 27 janvier 1997. L’accusé aurait, au reste, reçu les moyens de preuve supplémentaires nécessaires à sa défense s’il en avait fait la demande au Procureur au titre de l’article 66 B). Toutefois, les Conseils de l’accusé n’ont pas encore formulé une demande dans ce sens, ce qui prive leur client de la possibilité de prendre connaissance de moyens de preuve qui pourraient être considérés pertinents pour sa défense.

9. Qui plus est, les paragraphes 3 et 4 du deuxième Acte d’accusation modifié fournissent des exemples précis de la conduite de l’accusé en sa qualité de chef militaire, et tous sont étayés par des éléments de preuve qui ont déjà été communiqués la Défense ou seront présentés au procès.

10. Le Procureur fait respectueusement valoir que le deuxième Acte d’accusation modifié constitue désormais une base solide et équitable permettant d’établir la nature et le fondement de la responsabilité pénale que le Procureur met à la charge de l’accusé, et qu’il est donc en conformité avec la Décision rendue par la Chambre de première instance.

Assertions faites par la Défense à la note 2 de sa requête

11. La Défense affirme que le Procureur a introduit de nouvelles allégations factuelles aux paragraphes 1, 5.2, 6.3, 6.6, 6.7, 12 et 14 du deuxième Acte d’accusation modifié.

12. Référence est faite aux indications de lieu ajoutées aux paragraphes 1 et 6.3 du deuxième Acte d’accusation modifié. L’Acte d’accusation modifié contenait aux paragraphes 1 et 6.3 les termes « y compris sans toutefois s’y limiter » dans la liste des lieux permettant de localiser dans l’espace les actes mis à la charge de l’accusé. Dans sa Réponse4 à l’exception préjudicielle soulevée par la Défense,5 le Procureur déclarait que :

i. Chaque fois qu’apparaît le membre de phrase « y compris sans toutefois s’y limiter » dans l’Acte d’accusation modifié, le Procureur s’engage à préciser à l’intention de l’accusé les lieux géographiques qui n’auraient pas expressément été mentionnés mais qui figurent implicitement dans l’Acte d’accusation modifié de par la présence de ce membre de phrase6.

La Chambre de première instance a accepté ladite proposition en ces termes :

La Chambre prend acte des propositions de modifications de l’Acte d’accusation sur ce point, formulées par le Procureur dans son Mémoire en réponse du 18 janvier 1997. Elle demande qu’il y soit procédé …7.

En énumérant de nouveaux lieux aux paragraphes 1 et  6.3, le Procureur a procédé comme la Chambre de première instance le lui a ordonné.

13. Le paragraphe 5.2 du deuxième Acte d’accusation modifié (ancien paragraphe 5.3 de l’Acte d’accusation modifié) énumère un certain nombre de municipalités qui ne figuraient pas dans l’Acte d’accusation modifié. Ce paragraphe constitue une allégation générale visant à démontrer le caractère généralisé ou systématique des accusations de crimes contre l’humanité. Il est fidèle à l’esprit de la Décision en ce qu’il délimite l’étendue du fondement factuel de l’espèce. De plus, ces éléments de preuve sont recevables en vertu de l’article 93 du Règlement, en tant qu’éléments de preuve permettant d’établir une ligne de conduite délibérée, dans laquelle s’inscrivent des violations sérieuses du droit international humanitaire. Le Procureur a communiqué et continue de communiquer à la Défense des éléments de preuve en application de l’article 93 B) du Règlement.

14. Il est fait référence aux allégations factuelles complémentaires figurant aux paragraphes 6.6 et 6.7. Le Procureur alléguait au paragraphe 6 de l’Acte d’accusation modifié que :

Cette persécution a revêtu, entre autres, la forme des actes visés ci-après.

Dans sa Réponse, le Procureur disait, à propos du caractère non limitatif du libellé, ce qui suit :

Chaque fois qu’apparaît le membre de phrase « y compris sans toutefois s’y limiter » dans l’Acte d’accusation modifié, le Procureur s’engage à préciser à l’intention de l’accusé les lieux géographiques qui n’auraient pas expressément été mentionnés mais qui figurent implicitement dans l’Acte d’accusation modifié de par la présence de ce membre de phrase8.

La Décision ordonnait au Procureur d’apporter les modifications voulues en précisant dans le deuxième Acte d’accusation modifié le comportement criminel qui ne figure que de façon implicite dans l’Acte d’accusation modifié.

15. La Défense affirme ensuite, à tort, que les paragraphes 12 (paragraphe 11 de l’Acte d’accusation modifié) et 14 (paragraphe 13 de l’Acte d’accusation modifié) du deuxième Acte d’accusation modifié contiennent de nouvelles assertions factuelles. Le paragraphe 11 de l’Acte d’accusation modifié dressait une liste non limitative des lieux où se trouvaient des centres de détention. Conformément à la Décision et comme on l’a déjà expliqué aux paragraphes 10 à 14 ci-dessus, le Procureur a précisé tous les lieux qui étaient désignés par le libellé non inclusif de l’Acte d’accusation modifié. Le paragraphe 14 de l’Acte d’accusation modifié et le paragraphe 13 du deuxième Acte d’accusation modifié sont identiques sauf à deux égards. Premièrement, les termes « y compris sans toutefois s’y limiter » ont été retranchés conformément à la Décision. Deuxièmement, le paragraphe 13 dit désormais clairement que les personnes contraintes de creuser des tranchées étaient détenues dans des centres de détention du HVO, ce que précisait déjà le paragraphe 12 de l’Acte d’accusation modifié.

16. La Défense affirme ensuite, à tort, que chaque chef du deuxième Acte d’accusation modifié a été modifié en y ajoutant des accusations de responsabilité ressortissant aux articles 7 1) et 7 3). Comme on l’a déjà précisé aux paragraphes 4 à 9 ci-dessus, cette modification est le produit de la Décision. En outre, les actes mis à la charge de l’accusé dans l’Acte d’accusation modifié (voir par. 5.2) ressortissent soit aux articles 7 1) et 7 3, soit à l’article 7 1) ou, à défaut, à l’article 7 3) du Statut, si bien qu’aucune modification n’a été apportée aux formes de responsabilité alléguées dans le deuxième Acte d’accusation modifié, contrairement à ce que suggère la Défense.

17. La Défense affirme ensuite, à tort, que les chefs 3 et 4 du deuxième Acte d’accusation modifié (chefs 2 et 3 de l’Acte d’accusation modifié) ont été modifiés en y ajoutant des accusations de responsabilité aux termes des Protocoles additionnels I et II. Cela est inexact. Les accusations actuelles sont identiques aux anciennes, la seule modification étant que, dans le souci de se conformer à la Décision et d’aider l’accusé à préparer sa défense, le Procureur a identifié les éléments du droit international humanitaire sur lesquels se fondent les accusations. Dans sa Décision, la Chambre de première instance déclarait que :

la liste des violations énumérées à l’article 3 n’est pas limitative. La Chambre d’appel a d’ailleurs souligné « que l’article 3 est une clause générale couvrant toutes les violations du droit humanitaire ne relevant pas de l’article 2 ou couvertes par les articles 4 et 5 du Statut ».

Étant donné que l’article 3 ne donne pas une liste limitative des violations du droit international humanitaire, il n’est pas possible de ventiler la totalité des infractions relevant de l’article 3 entre les cinq alinéas a) à e) de l’article 3.

18. La Décision stipule que les faits visés au paragraphe 8 devraient être relatés de façon plus précise et surtout qualifiés conformément à l’une des sous-incriminations prévues à l’article 3 du Statut. Le Procureur s’y est conformé en ajoutant le chef 2 du deuxième Acte d’accusation modifié.

19. Le Procureur fait respectueusement valoir que l’assertion de la Défense selon laquelle le Procureur a tenté d’étendre la portée de l’Acte d’accusation d’une manière étrangère aux termes de la Décision de la Chambre de première instance est dénuée de fondement et que toute objection reposant sur un tel raisonnement doit être rejetée.

Le chef 14 allègue adéquatement un élément requis de l’infraction incriminée

20. Dans sa Décision, la Chambre de première instance a constaté que :

aucun établissement de culte ou d’enseignement censé avoir été détruit n’est identifié. Il convient donc que le Procureur soit davantage précis dans ses allégations.

21. L’Acte d’accusation modifié faisait référence à la destruction d’établissements de culte ou d’enseignement dans les municipalités, y compris sans toutefois s’y limiter, de Vitez, Busova~a et Kiseljak.

22. Soucieux de se conformer à la Décision, le Procureur a modifié le paragraphe 11 de l’Acte d’accusation et a identifié, dans le deuxième Acte d’accusation modifié, les villes, villages ou hameaux où se situaient les établissement de culte ou d’enseignement qui sont présumés avoir été détruits. En outre, le moment de leur destruction est indiqué dans chacun des cas.

Le Procureur s’est conformé à la Décision rendue par la Chambre de première instance

23. La Défense affirme à l’emporte-pièce que les vices qu’elle avait relevés à l’origine dans son exception préjudicielle continuent d’entacher l’Acte d’accusation. Dans cette même exception préjudicielle, la Défense avait identifié dans l’Acte d’accusation modifié un certain nombre de points qu’elle trouve excessivement vagues. La Chambre de première instance a rejeté cinq de ces griefs et ordonné des modification à propos de six autres griefs. Le Procureur fait respectueusement valoir qu’il s’est conformé à la Décision rendue par la Chambre de première instance et qu’il convient dès lors de rejeter la requête de l’un ou de l’ensemble de ses chefs.

                                                

Le seize mai 1997
La Haye (Pays-Bas)

Le Substitut principal du Procureur 

(signé)

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Mark Harmon

 

Le Substitut du Procureur

(signé)

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Gregory Kehoe

Le Substitut du Procureur

(signé)

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Andrew Cayley


1. Affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (IT-95-14-PT) Décision sur l'exception préjudicielle de la Défense aux fins de rejeter l'acte d'accusation pour vice de forme , p. 23, par. 32.

2. idem, par. 32.

3. idem, par. 21.

4. Affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (IT-95-14-T), Réponse du Procureur à l'exception préjudicielle soulevée par la Défense aux fins de rejeter l'Acte d'accusation pour vices de forme (imprécision/notification inadéquate des charges) en date du 20 janvier 1997, p. 8, par. 4 ii).

5. Affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (IT-95-14-T), Exception préjudicielle soulevée par la Défense.

6. Affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (IT-95-14-T), Réponse du Procureur à l'exception préjudicielle soulevée par la Défense aux fins de rejeter l'Acte d'accusation pour vices de forme (imprécision/notification inadéquate des charges) en date du 20 janvier 1997, p. 8

7. Affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (IT-95-14-T), Décision sur l'exception préjudicielle soulevée par la Défense aux fins de rejeter l'Acte d'accusation pour vices de forme, par. 22.

8. Affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (IT-95-14-T), Réponse du Procureur à l'exception préjudicielle soulevée par la Défense aux fins de rejeter l'Acte d'accusation pour vices de forme (imprécision/notification inadéquate des charges) en date du 20 janvier 1997, p. 8, par. 4 ii) .