LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
Composée comme suit: M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge Fouad Riad
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
Assistée de: M. Jean-Jacques Heintz, Greffier-adjoint
Décision rendue le: 3 septembre 1998
LE PROCUREUR
C/
TIHOMIR BLASKIC
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DÉCISION DE LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
SUR LA REQUÊTE DE LA DEFENSE
AUX FINS DE REJETER CERTAINS CHEFS D'ACCUSATION
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Le Bureau du Procureur:
M. Mark Harmon
M. Andrew Cayley
M. Gregory Kehoe
Le Conseil de la Défense:
M. Anto Nobilo
M. Russell Hayman
LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après "le Tribunal"),
VU la requête de la Défense, déposée sous-scellés le 10 août 1998, aux fins de rejeter certains chefs d'accusation (ci-après "la Requête"),
ENTENDU les arguments oraux présentés par les parties à la Chambre de première instance I du Tribunal ("la Chambre") pendant la conférence de mise en état du 24 août 1998,
VU la réponse du Procureur à la Requête en date du 27 août 1998 et son Corrigendum en date du 28 août, ("la Réponse"),
VU la réplique de la Défense en date du 31 août 1998,
VU les articles 54 et 98 bis du Règlement de procédure et de preuve ("le Règlement"),
ATTENDU que la Défense a, dans sa Requête, allégué que lAccusation n'a pas réussi à présenter des moyens de preuve qui lui permettent "d'établir des motifs suffisants, sur le plan du droit, pour justifier les poursuites engagées contre l'accusé",
ATTENDU que, plus spécifiquement, la Défense a soutenu que lAccusation n'a pas réussi à présenter des éléments de preuve en ce qui concerne certains des éléments juridiques sur lesquels se fondent les infractions aux articles 2, 3, 5 et 7 du Statut du Tribunal, articles visés à l'acte d'accusation,
ATTENDU que la Défense demande en fait la suppression de quinze des vingt chefs d'accusation de l'acte d'accusation, et tend à obtenir une restriction considérable du champ des cinq chefs restant; que la Défense sollicite notamment la suppression de toutes les incriminations liées à l'existence d'un conflit armé international, de celles touchant à la responsabilité directe de l'accusé, ainsi que des allégations relatives à l'utilisation de boucliers humains et à des obstructions à l'aide humanitaire,
ATTENDU que la Défense estime que, dans l'intérêt de la justice et pour des raisons liées aux délais nécessaires à la préparation de la défense, et donc, à la prolongation de la détention de l'accusé, ainsi que dans l'intérêt d'un procès équitable et rapide, les chefs et allégations visés dans sa requête devraient ainsi être supprimés de l'acte d'accusation,
ATTENDU que le Procureur, dans sa Réponse, a soutenu que la Défense a pour l'essentiel présenté un mémorandum juridique sollicitant une décision de la Chambre sur des questions de droit et quun tel mémorandum nest pas approprié dans le cadre dune requête aux fins de rejet de certains chefs d'accusation, une telle requête ne devant traiter que des éléments de preuve concernant les faits reprochés à l'accusé,
ATTENDU que le Procureur, reprenant néanmoins point par point les arguments de la Défense, soutient quil a présenté suffisamment d'éléments de preuve concernant les faits; que s'agissant des questions de droit relatives aux articles 2, 3, 5 et 7 du Statut du Tribunal, le Procureur, tout en donnant des interprétations différentes de celles de la Défense, considère avoir apporté des preuves de son argumentation,
ATTENDU que le Procureur, de plus, a soutenu que les éléments de chef daccusation concernant lobstruction à l'aide humanitaire sont pertinents et ont été suffisamment démontrés et que les arguments de la Défense sur ce point nauraient pas dû faire partie de la requête parce quils ne représentent, en fait, quune objection contre les éléments de preuve présentés, objection qui aurait dû être soulevée au moment de la présentation de cet élément et non dans une requête sollicitant le rejet de certains chefs daccusation,
ATTENDU que la Défense, dans sa réplique, confirme en tout point les arguments développés dans sa requête, tout en mettant particulièrement en lumière la confusion qu'opère, selon elle, l'Accusation entre les éléments constitutifs des infractions relevant de l'Article 7 1) du Statut et celles relevant de l'Article 7 3),
1) Sur le fondement juridique de la requête
ATTENDU que la Défense fonde sa requête intitulée "requête aux fins de retrait de chefs daccusation" sur larticle 54 du Règlement, lequel confère à la Chambre de première instance un pouvoir général de délivrer des "ordonnances [...] aux fins de [...] la conduite du procès"; quelle se réfère notamment à de précédentes décisions du Tribunal prises dans les affaires Le Procureur contre Dusko Tadic (IT-94-1-T; 13 septembre 1996) et Le Procureur contre Zejnil Delalic et autres (IT-96-21-T; 18 mars 1998) car ne souhaitant pas fonder sa requête sur le nouvel article 98 bis du Règlement qui prévoit que "[s]i, à lissue de la présentation par le Procureur de ses moyens de preuve, la Chambre de première instance conclut que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation pour un ou plusieurs des crimes visés à lacte daccusation, elle prononce, à la demande de laccusé ou doffice, lacquittement pour ce ou ces crimes",
Mais ATTENDU quil convient dobserver que ces décisions ont été précisément prises en labsence de lactuel article 98 bis et que cest pour pallier le silence du Règlement en cette matière que les juges ont fondé leur décision sur larticle de portée procédurale générale que constitue larticle 54 du Règlement,
ATTENDU quune requête tendant, comme celle soumise aux juges dans la présente affaire, à rejeter certains chefs de lacte daccusation dressé contre Tihomir Blaskic
est assimilable à une demande de modification de lacte daccusation ce que dailleurs reconnaît explicitement la Défense qui ne souhaite pas se fonder sur le nouvel article 98 bis (voir note 1 de la Requête),
ATTENDU que sil est vrai que la Chambre dispose, à travers larticle 54 du Règlement, dun pouvoir général de prendre des décisions non seulement en vue de la préparation du procès, mais également de sa conduite, il nen est pas moins avéré quen vertu du principe de droit speciala derogant generalibus, la Chambre se trouve guidée, pour l'examen de la présente demande, par le cadre prévu désormais à larticle 98 bis du Règlement intitulé "[d]emande dacquittement",
ATTENDU quil convient dobserver à la lecture de larticle 98 bis que, soit doffice, soit à la demande de laccusé, la Chambre peut, si les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation pour un ou plusieurs des crimes visés à lacte, prononcer lacquittement pour ce ou ces crimes; quil en résulte que la Chambre doit accueillir la requête si elle est convaincue quà ce stade de la procédure, lAccusation na pas apporté des éléments de preuve suffisants pour justifier dores et déjà un jugement de condamnation sur les différents chefs daccusation invoqués par les conseils de laccusé,
ATTENDU quen ce qui concerne lapplication de larticle 54, la Chambre observe que le Procureur ne s'y oppose pas; qu'elle estime au demeurant toujours possible de faire application de cet article en lespèce, la seule question se posant étant la détermination du critère applicable,
2) Critère appliqué par la Chambre pour juger de la recevabilité de la requête
ATTENDU que la Chambre est davis, quà ce stade de la procédure et au moment où lAccusation a achevé la présentation de ses moyens de preuve, les critères pour déterminer la pertinence de la requête de la Défense doivent être du niveau requis soit par le seul texte assimilable à la demande qui lui est posée, à savoir larticle 98 bis, soit par les décisions intervenues pour répondre précisément à ce type de requêtes; quil sen déduit que le critère requis est que les moyens de preuve présentés par lAccusation sont insuffisants pour justifier dès maintenant une condamnation pour tout ou partie des chefs daccusation concernés,
ATTENDU, dans ces conditions, que la Chambre, ne pourrait faire droit à la demande de laccusé et ordonner le rejet de certains chefs daccusation, sur le seul fondement de larticle 54 du Règlement, que sil lui apparaissait que lAccusation a manqué à ce point à ses obligations de partie poursuivante à lencontre de laccusé, quil nest même plus nécessaire, dès ce stade du procès, dexaminer les moyens de preuve de la Défense sur les chefs concernés par la requête,
ATTENDU quun tel critère rend très étroit le champ dapplication de larticle 54 du Règlement,
ATTENDU que, sur ces bases juridiques fondées sur une application stricte de lesprit et de la lettre du Règlement, la Chambre circonscrit lexamen de la requête :
- en fait: à la seule hypothèse où lAccusation aurait omis dapporter la preuve de lun des chefs daccusation;
- en droit: à la seule hypothèse où l'Accusation aurait manqué d'apporter des présomptions sérieuses au soutien de ses prétentions,
ATTENDU que, après avoir appliqué le critère défini ci-dessus à la Requête, la Chambre observe quaucun chef daccusation ou partie de celui-ci ne peut être écarté du procès à ce stade,
PAR CES MOTIFS,
REJETTE à l'unanimité la Requête,
Fait le 3 septembre 1998,
A La Haye,
Pays Bas
Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.
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Juge Claude Jorda
Président de la Chambre de première instance I
[sceau du Tribunal]