Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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5 Mercredi 25 juin 1997

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10 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

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13 M. le Président. - Monsieur le greffier, pouvez-vous faire

14 entrer l'accusé.

15 (L'accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d'audience.)

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17 M. le Président. - L'interprétation fonctionne ?

18 (Vérification de l'installation.)

19 Monsieur le Procureur, bonjour. Est-ce que vous m'entendez ?

20 Maître Hayman, Maître Nobilo, est-ce que vous m'entendez ?

21 Général Blaskic, vous m'entendez également ? Oui, la cabine fonctionne.

22 Nous allons reprendre le cours de nos travaux et j'indique au

23 Procureur que le Tribunal a décidé de siéger cet après-midi et si

24 l'expert, M. Donia, n'a pas terminé ce matin, il continuera cet après-midi

25 à 15 heures.

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1 L'audience est reprise. Monsieur le Procureur, c'est à vous.

2 M. Harmon (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

3 messieurs les juges. Avant de commencer avec la déposition de M. Donia, je

4 voudrais vous dire les huit points qui ont été présentés à titre

5 d'identification : l'organigramme auquel je me suis référé dans mon

6 intervention liminaire. Le deuxième point étant ma lettre à MM. Hayman et

7 Nobilo en ce qui concerne les témoins.

8 La troisième pièce étant le plan de l'exposé de M. Donia. Les

9 5, 6, 7 et 8 étaient différentes pièces concernant les MAP présentées par

10 M. Donia.

11 Je propose, Monsieur le Président, que ces pièces soient

12 enregistrées aux fins d'identification et notamment en ce qui concerne la

13 lettre à MM. Hayman et Nobilo, que cette lettre reste sous scellés en

14 attendant le document pertinent.

15 M. le Président. - Monsieur Hayman ?

16 M. Hayman (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

17 Nous n'avons aucune objection, s'agissant de la lettre sur l'identité des

18 témoins, que cette lettre soit gardée sous scellés.

19 En ce qui concerne les autres questions, c'est-à-dire le

20 diagramme, la structure de l'armée de la Bosnie, s'il n'y a aucune

21 déposition concernant sa source, il serait peut-être prématuré de garder

22 cette carte comme pièce d'identification. En ce qui concerne les notes et

23 son document sur la chronologie des événements, j'en ai fait une lecture

24 hier soir. Il s'agit d'une pièce qui a été déjà remise au Tribunal et qui

25 n'a soulevé aucune objection de ma part. Je n'ai rien contre cette

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1 chronologie. Il s'agit d'une chronologie qui s'étend du 6e siècle avant

2 Jésus Christ et qui se termine au temps d'aujourd'hui.

3 On y parle notamment du 9 juillet 1993 concernant une réunion

4 entre M. Owen et le Président Tudjman, ainsi que d'autres dignitaires. Le

5 témoin était-il sur place ? A-t-il assisté à cette réunion ? A-t-il pu

6 voir ces documents ? Je n'ai aucun fondement pour ce genre d'information.

7 Je suis surpris que le Bureau du Procureur demande que ces pièces soient

8 admises comme pièces d'identification. Je pense que le même rapport

9 s'applique à ce programme de déposition. Et si en attendant le contre-

10 interrogatoire.

11 Pour ce qui est des cartes, nous ne connaissons pas leur source

12 et on a parlé également d'un recensement de 1991. Je ne pense pas que les

13 cartes pourraient poser des problèmes, mais je pense qu'il faudrait tirer

14 au clair les sources réelles de toute cette documentation.

15 M. le Président. - Je voudrais d'abord éclaircir un problème de

16 terminologie. La cabine me traduit "pièces d'identification". Je connais

17 les "pièces à conviction". Je ne sais pas si la traduction voulait parler

18 de "pièces à conviction" ou de "pièces d'identification".

19 Monsieur le Procureur, vous vouliez bien parler de pièces à

20 conviction ? Vous souhaitez que tous les documents qui ont été versés

21 hier, depuis l'esquisse historique du témoin, M. Donia, jusqu'aux cartes,

22 soient bien versés comme pièces à conviction ? Ce sont bien des pièces à

23 conviction ? Par ailleurs, vous voulez que l'on mette la liste des témoins

24 sous scellés, c'est bien cela ?

25 M. Harmon (interprétation). - Je ne voulais pas dire que

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1 c'étaient des éléments à charge, mais simplement qu'elle soit admise pour

2 que vous puissiez les examiner. Je demande à la Cour la possibilité de le

3 faire.

4 M. le Président. - C'est donc simplement un problème de

5 terminologie. Je ne pratique pratiquement jamais votre système et pour ma

6 part, je ne sais pas très bien à quoi correspond le terme "pièces

7 d'identification". J'avais cru comprendre que vous vouliez les déposer

8 comme des pièces à conviction. Je me tourne vers la traduction pour savoir

9 ce que l'on traduit exactement ? Je voudrais savoir ce qu'on me demande.

10 Quand on me dit qu'il faut déposer des "pièces

11 d'identification", honnêtement, je ne sais pas bien ce que cela veut dire.

12 Vous vouliez que cela soit déposé comme étant des pièces dont le Tribunal

13 pourra se servir dans son délibéré et son jugement ? C'est ce que vous

14 vouliez dire.

15 M. Harmon (interprétation). - Oui.

16 M. le Président. - Ce sont donc bien des pièces à conviction. Ce

17 problème de terminologie étant réglé, Maître Hayman vous êtes d'accord sur

18 la terminologie ?

19 M. Hayman (interprétation). - Je comprends le concept et je ne

20 sais pas ce qu'il faudrait utiliser en termes de terminologie en français,

21 Monsieur le Président.

22 M. le Président. - Si nous nous entendons sur le concept, c'est

23 déjà une bonne chose.

24 S'agissant du deuxième point, la mise sous scellés, je pense que

25 cela ne pose aucun problème. Par contre, en ce qui concerne les autres

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1 pièces, Me Hayman les conteste.

2 Personnellement -et je vais consulter mes collègues-, je suis

3 plutôt pour que tout ce dont il est discuté ici soit joint comme pièces à

4 conviction pour le Tribunal, étant entendu que la défense, ensuite,

5 contestera. Si vous voulez, au moment de votre contre-interrogatoire,

6 Maître Hayman, apporter une autre carte ou contester l'esquisse historique

7 de l'expert Donia.

8 Il est vrai que moi-même, je ne suis pas capable de dire si

9 vraiment c'est en 1342 que la mission franciscaine s'est établie en

10 Bosnie. Peut-être est-ce en 1341 ou en 1343 ? Tout ceci peut être

11 contesté, comme on peut tout contester.

12 Personnellement, je suis plutôt pour que l'on dépose et

13 qu'ensuite, bien sûr, la défense conteste si vous voulez présenter une

14 autre carte avec une autre argumentation. Pour moi, la seule question est

15 de savoir si nous admettons ces pièces aujourd'hui ou après votre contre-

16 interrogatoire. Pour cela, je vais consulter mes collègues.

17 (Les juges se consultent sur le siège.)

18 Nous avons eu un grand moment d'interprétation ce matin.

19 M. le Président. - Maître Hayman et Monsieur le Procureur, le

20 Tribunal a décidé d'admettre immédiatement l'ensemble des documents comme

21 pièces à conviction.

22 Bien entendu, au moment de votre contre-interrogatoire ou dans

23 les semaines qui suivront, à tout moment du procès, vous pourrez bien

24 entendu, et le Tribunal les admettra également comme pièces pour son

25 délibéré, fournir tout autre document, contester l'organigramme, les

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1 cartes, vous pourrez faire ce que vous voudrez.

2 La remarque que nous faisons aujourd'hui à la défense, je tiens

3 à le dire pour que les débats soient simplifiés à l’avenir, vaudra tout

4 exactement en sens inverse.

5 Quand vous aurez des documents à produire, Maître Hayman, ils

6 seront en principe produits ici à la barre du Tribunal, ils seront joints

7 comme pièces à conviction et bien entendu, le Procureur pourra les

8 contester au moment où il le souhaitera. L'incident étant clos,

9 Monsieur le Procureur vous avez la parole. Maître Hayman ?

10 M. Hayman (interprétation). - Merci Monsieur le Président. Je ne

11 savais pas à qui on donnait la parole. Je vous remercie.

12 M. le Président. - Excusez-moi, j'ai donné la parole au

13 Procureur. Sauf si vous avez quelque chose à ajouter, mais en principe

14 l'incident est clos

15 M. Hayman (interprétation). - Je ne conteste pas la décision que

16 vous venez de prendre, mais pour que tous les termes et concepts soient

17 clairs, il y a quelque chose que je ne connais pas bien. Par exemple est-

18 ce qu'on peut admettre un document quant à la véracité des faits qui sont

19 allégués alors qu'il n'y a pas de témoignage quant aux sources, quant à

20 l'exactitude ou l'authenticité des documents ?

21 Par exemple, il y a des allégations qui sont faites selon

22 lesquelles en 1992 et 1993 -et là c’est important pour notre procès-

23 certaines choses se sont produites, notamment page 4 de la chronologie. Si

24 ceci est accepté comme étant des faits avérés parce qu'on a admis cette

25 pièce en tant que pièce à conviction, cela me dérange fortement et je

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1 tiens à le préciser aux fins du compte rendu.

2 M. le Président. - Ce qui nous sépare, Maître Hayman, c'est une

3 question de conception et de culture judiciaire. Nous n'allons pas pendant

4 tout le cours du procès opposer des systèmes juridiques ou judiciaires.

5 Comme je vous l'ai dit hier, le Tribunal garantit un procès équitable et

6 juste en faveur de l'accusé et permettant à l'accusation de prouver les

7 charges qu'elle entend prouver à l'encontre dudit accusé.

8 Le problème est très simple et je ne voudrais pas qu'on

9 complique les choses exagérément. Je m'exprime une dernière fois sur cette

10 question car le Tribunal ne rouvrira pas le problème. Vous avez tous les

11 droits -et je me tourne vers le général Blaskic-, vous pouvez contester,

12 Maître Hayman, l'esquisse historique de M. Donia. Du reste, je pense que

13 sur l'histoire des Balkans, on pourrait faire venir dix experts et nous

14 aurions sans doute dix interprétations différentes.

15 Vous pouvez contester depuis le 6e et le 7e siècle, vous pouvez

16 contester l'année 1992, l’année 1993, vous avez tous les droits possibles

17 pour les contester. Le Tribunal ne dit pas aujourd'hui qu’il tient ceci

18 pour une vérité historique. Nous savons tous ici que les vérités

19 historiques sont essentiellement fugaces. Nous l'admettons comme étant un

20 document que vient de donner le témoin, que vous avez accepté d'entendre.

21 Nous acceptons d'entendre un témoin, il a le droit de dire ce

22 qu'il a envie de dire. C’est un témoin cité par le Procureur. Il a le

23 droit de dire qu'en 1992 ou 1993, je ne sais plus exactement quel est le

24 fait que vous avez cité, il y a eu une réunion. Vous le contesterez. Vous

25 contestez l'organigramme militaire. Vous avez tous les droits pour

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1 contester tout ce que vous souhaitez contester.

2 Pour l'instant, nous entendons un témoin de l'accusation. Vous

3 aurez tous les droits de le contre-interroger, de lui demander quelles

4 sont les sources qui lui ont permis de dire ceci ou cela et sur quoi il

5 s'appuie pour le dire.

6 Je crois, Maître Hayman, que nous ne devons pas opposer pendant

7 six mois de procès des cultures judiciaires différentes. Ce qui nous unit,

8 c’est le fait de tenir un procès juste et équitable. Pour ma part, je me

9 tiendrai à cette formule.

10 Il n'a jamais été dit dans le règlement du Tribunal, article 1,

11 nous appliquerons la procédure appliquée par Maître Hayman à Los Angeles,

12 dans la Common Law. Nous appliquons, ici, dans ce Tribunal, une procédure

13 juste et équitable.

14 Je prétends que lorsqu'on joint cela dans le dossier du

15 Tribunal, cela veut dire que le Tribunal s'en servira ; mais cela veut

16 dire aussi que vous avez tous les droits de contester ce document au

17 moment où vous le jugerez opportun, lundi, aujourd’hui, avec vos experts

18 historiques. Le Tribunal les admettra si vous voulez les citer. Mais je ne

19 voudrais pas qu'à chaque pièce, à chaque document, on revienne sur les

20 sources que vous pouvez contester quand vous voulez.

21 Voilà ce que je voulais vous dire. Je vous redonne la parole

22 pour la dernière fois sur ce problème.

23 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, nous ne

24 voulons pas provoquer ici d'animosité. Soyez en certain. Ce que j'essaie

25 de faire comprendre, pour que tout se passe sans heurts, c'est qu'il

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1 faudrait savoir quelles sont les exigences lorsqu'on parle de versement de

2 pièces au dossier. Nous n'allons pas prolonger le débat. Je ne veux pas

3 travailler à des fins dilatoires, bien au contraire. Mais il est

4 important, tôt ou tard, que les exigences en matière de versement de

5 pièces au dossier soient claires pour les deux parties.

6 Effectivement, nous avons des cultures judiciaires différentes

7 et il est important que je comprenne ce que vous, le Tribunal, vous exigez

8 pour que je puisse respecter ces exigences. J'y tiens à tout prix.

9 M. le Président. - Sur ce mot final consensuel, Maître Hayman,

10 nous clôturons l'incident. Si j'ai tenu à intervenir de façon ferme, c'est

11 parce que les productions de documents seront traitées à l'avenir de la

12 façon dont elles viennent de l’être. Je prétends, mes collègues avec moi,

13 que nous respectons parfaitement le contradictoire du procès.

14 Il est 10 heures 22, Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

15 M. Kehoe (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

16 bonjour Messieurs les Juges. Nous voulons citer M. Donia à la barre des

17 témoins. Monsieur l’huissier va peut-être nous aider à le faire entrer,

18 merci.

19 M. Kehoe (interprétation). - En attendant l'arrivée du témoin,

20 Monsieur le Président, est-ce que M. le greffier pourrait nous fournir les

21 pièces 5, 7 et 8, s'il vous plaît, pour que nous puissions les remettre à

22 M. Donia ? La pièce 6, je le rappelle, c’est la carte qui est affichée

23 pour le moment. Je le dis pour faciliter la procédure, afin que M. Donia

24 puisse parcourir ces documents suivant son besoin.

25 (Le témoin, M. Donia, est introduit dans la salle d'audience.)

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1 M. le Président. - Monsieur Donia, vous avez la parole pour

2 répondre aux questions du Procureur.

3 M. Kehoe (interprétation). - Bonjour, Monsieur Donia.

4 M. le Président. - Je vous rappelle que vous êtes toujours sous

5 serment depuis hier. Vous n'allez pas reprendre votre serment, mais il

6 couvre toute votre déposition, tant que vous serez à la présente barre.

7 Vous avez la parole.

8 M. Kehoe (interprétation). - Si je me souviens bien, nous nous

9 sommes arrêtés hier soir à la pièce n° 5, et je souhaite qu'on replace

10 cette pièce sur le rétroprojecteur. Il s'agit de la pièce n° 8. Si vous

11 portez votre attention sur la pièce n° 8, il s'agit de la carte de l'Etat

12 bosniaque à la fin du 14e siècle.

13 M. Donia (interprétation). - Il s’agit de la carte de l’Etat

14 bosniaque à la fin 14e siècle.

15 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous m'indiquer l’ensemble

16 de ce territoire ?

17 M. Donia (interprétation). - L'Etat bosniaque commençait ici au

18 début du 12e siècle, dans cette région presque circulaire, et s'est élargi

19 ensuite pour englober l’ensemble de ce qui est aujourd'hui la Bosnie, y

20 compris une bonne partie de la côte dalmate et une autre partie de cette

21 même côte qui a été sous le règne des Nemanji.

22 M. Kehoe (interprétation). - Donc fin du 14e siècle, en

23 regardant l'ensemble de cet empire bosniaque à l'époque, il s'agissait

24 d'un empire qui comprenait des parties importantes de la Croatie.

25 M. Donia (interprétation). - Oui, ce n'était pas un empire, mais

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1 un royaume important à l'époque

2 M. Kehoe (interprétation). - Nous passons maintenant au royaume

3 de la Croatie. Je vous prie de remettre cette pièce pour être enregistrée

4 aux fins d'identification. Je pense que le numéro à retenir serait la

5 pièce à conviction n° 9. Monsieur Donia, la carte est sur le

6 rétroprojecteur. Pourriez-vous reprendre cette question du royaume de

7 Croatie du 14e siècle ?

8 M. DONIA (interprétation). - A l'origine, il s'agissait d'un

9 royaume qui a été constitué par des tribus slaves vers la fin du

10 14e siècle. Ces tribus ont acquis une certaine indépendance. Vladislav a

11 commencé son règne en 820 et a été le premier à porter le titre de duc de

12 Croatie et de Dalmatie. D'après la légende et la documentation disponible,

13 l’apogée de ce royaume a été sous Tomislav, dont les dates sont

14 incertaines, mais dont le règne s’étend jusqu’à la fin du 10e siècle. Il a

15 été couronné roi de la Croatie avec l'assentiment du pape. Il s'agissait

16 d'une figure très importante dans l'iconographie de l'histoire nationale

17 croate. Sur la carte qui est celle de la Croatie à l'époque de Tomislav,

18 on peut voir une image de la statue qui est aujourd'hui au centre de

19 Zagreb, en face de la gare centrale. Il s'agit du coin droit supérieur de

20 nos écrans.

21 Les rois suivants sont effacés en quelque sorte. Ils n'ont pas

22 pu reconstituer la grandeur du royaume à l'époque et ont constitué

23 quelques points et retranchements importants, dont la capitale qui se

24 situait vers le sud, sur la côte dalmate.

25 Ensuite, ce royaume s'est étendu sur la base des différentes

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1 conquêtes et opérations faites. Des gouverneurs ont été nommés pour

2 différentes régions, y compris la Pannonie, la Dalmatie et la Bosnie.

3 Le royaume de Croatie a dû traverser des temps difficiles au

4 cours du 11e siècle. Le dernier titulaire de la couronne étant décédé, il

5 y a eu des luttes de succession. 1102 est une date importante dans

6 l'histoire de la Croatie avec la Pacta conventa dont je parle dans ma

7 chronologie.

8 Un groupe de nobles croates s'était réuni avec le roi de Hongrie

9 pour convenir d’une union avec la couronne hongroise. Les historiens

10 qualifient cet événement comme une soumission. Peine épaule en parle comme

11 l'un des résultats d'une conquête. Mais, de 1102 à 1918, cette date est

12 restée très importante et la Croatie faisait partie de la couronne

13 hongroise. Elle faisait même partie du titre : royaume de Hongrie et de

14 Croatie. Cela a duré plus de huit siècles. C’est une période très

15 importante parce que, tout au long de cette période, les nobles de Croatie

16 avaient leur propre diète qu'ils développaient et qui était en quelque

17 sorte rattachée, elle aussi, à la couronne hongroise.

18 Voici, en quelques dates, ce royaume de Croatie, avec perte

19 d'indépendance et assujettiment à l'influence des Hongrois, au fil des

20 siècles suivants.

21 Le royaume de Croatie est devenu au 20e siècle le fondement pour

22 les aspirations d’acquisitions territoriales formulées par les

23 nationalistes croates. Certaines étaient fondées. Certaines l’étaient

24 moins et étaient animées de l'extérieur, mais il s'agissait des

25 aspirations à ce royaume médiéval qui comprenait à l'époque presque

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1 l'ensemble de la Bosnie.

2 Si vous me le permettez, je reviens à l'empire serbe de l'époque

3 qui avait lui aussi exercé son influence et qui avait ses prétentions sur

4 la Bosnie dans les mêmes années et surtout vers la fin du 19e siècle.

5 M. Kehoe (interprétation). - Avant de passer à la Serbie et pour

6 revenir à ces deux pièces, beaucoup de terres se chevauchaient entre ces

7 deux entités, notamment les événements du 12e et des siècles suivants qui

8 ont donné le cachet à l'ensemble de l'évolution historique de l'époque.

9 M. Donia (interprétation). - En effet, on n'a jamais su comment

10 le contrôle des rois croates s'était déployé à travers la partie nord,

11 celle de la Pannonie. Les intentions des chroniqueurs postérieurs ont été

12 surtout intéressées par les événements après le couronnement, mais

13 évidemment, il y a eu aussi des chroniqueurs qui se sont intéressés aux

14 batailles qui ont eu lieu. De toute évidence, des questions d'identité et

15 de contrôle ont été exercées par ces différents souverains croate à

16 l'époque.

17 M. Kehoe (interprétation). - Nous vous proposons de verser la

18 pièce n° 9 au dossier.

19 M. le Président. - Maître Hayman, voulez-vous intervenir ?

20 M. Hayman (interprétation). - Aucune objection, pour autant que

21 nous sachions qui est l’auteur de cette carte. Ceci vient-il d'autres

22 textes ou de traités par exemple ?

23 M. le Président. - Question pertinente. Monsieur Donia, c'est

24 vous qui avez fait la carte. Je tiens à vous le dire, Monsieur Donia,

25 l'objection de la défense me permet de faire cette précision.

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1 Avant que vous n'entriez ce matin, un incident s’est produit

2 autour de la contestation éventuelle de l'ensemble de ces pièces,

3 notamment de leur versement au dossier.

4 Le Tribunal a décidé que l'ensemble de ces pièces, celles

5 d’aujourd'hui et celles de demain, seront -pour l’instant- versées comme

6 pièces au dossier. En tout cas, elles pourront servir pour le délibéré des

7 juges.

8 Elles peuvent donc être soumises évidemment à totale

9 contestation, en l'occurrence aujourd’hui par la défense. Donc, la

10 question de la défense est pertinente.

11 On vous demande quelles sont vos sources pour qu'éventuellement

12 le jour du contre-interrogatoire elles puissent être contestées, ou vous-

13 même bien entendu. Pouvez-vous répondre ? Cette carte a-t-elle été faite

14 par vous ou l'avez-vous tirée de documents ? Si oui, pouvez-vous citer ces

15 documents ?

16 M. Donia (interprétation). - Volontiers, Monsieur le Président.

17 Cette carte provient d'un ouvrage intitulé : «Le Mythe de l'Histoire serbe

18 et la destruction de la Yougoslavie». Il a été publié par la University

19 Press, cette année même, en 1997. C'est la carte de la Serbie, de 1196 à

20 1355.

21 Pour ce qui est de la carte précédente, Monsieur le Président,

22 celle qui se trouve sur le rétroprojecteur, elle provient d'un ouvrage

23 intitulé : «Revue de l’Histoire Croate» par Stjepan Antoljak, publié à

24 Split en 1994.

25 M. le Président. - Monsieur Donia, si cela ne vous dérange pas,

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1 j'aimerais que vous fassiez une liste, pour cet après-midi ou pour demain,

2 en tout cas que vous la fassiez passer au Tribunal par l'intermédiaire du

3 Greffe, sur laquelle vous récapitulerez les ouvrages dont sont extraites

4 ces cartes.

5 Cette liste sera donnée bien entendu à l'accusation dont vous

6 êtes le témoin, ainsi qu'à la défense et versée au dossier du Tribunal.

7 Vous pouvez continuer.

8 M. Donia (interprétation). - Merci.

9 M. Kehoe (interprétation). - La carte suivante est celle de la

10 Serbie médiévale. Si vous le permettez, je la remettrai à l'Huissier. Il

11 s'agit de la pièce n° 10.

12 Monsieur Donia, avant de passer à cette carte, vous souhaitez

13 présenter quelques commentaires à la Cour en ce qui concerne la Serbie

14 médiévale, la région de la Serbie médiévale.

15 M. Donia (interprétation). - Par opposition au Royaume de

16 Croatie, le royaume de Serbie a émergé plutôt au Sud vers l'Est, dans la

17 direction de l'Est. Il a fini par être placé sous l'influence byzantine et

18 de l'orthodoxie orientale chrétienne.

19 Dans les années 1077, le pays était sous le règne de Constantine

20 Bodin, qui était catholique. Mais sous le règne de Stephan Nemanja qui a

21 commencé en 1168, cette période de transition s'est terminée.

22 L'association avec l'orthodoxie s’est accentuée. Cela a été confirmée plus

23 tard par l'évolution postérieure du royaume de Serbie.

24 Stephan II a d’abord été couronné par un envoyé du Pape, ensuite

25 par un envoyé de l'Empire de l'Orient en 1222.

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1 Puis un développement s’est produit, analogue à l’évolution de

2 la Bosnie et à celle de la Croatie. Il s'agissait au départ d'une petite

3 région.

4 Voici cette zone, cette région, qui était le noyau du futur

5 Royaume de Serbie. Vous voyez les villes de Raska, de Hum, régions qui ont

6 été réunies sous le règne de Stephan Nemanja.

7 Comme l’indique la légende, il s'agit de l'année 1156 et d’une

8 région qui faisait à l'époque partie de la Serbie, qui a été élargie vers

9 le nord, vers l'est et le Sud. Elle a englobé d'importantes portions de

10 territoires qui sont redevenues importantes au 20e siècle. Elles sont

11 devenues le fondement des différentes aspirations à l'expansion du royaume

12 de l'Etat serbe.

13 La religion est une question très importante pour les souverains

14 de tous ces Etats médiévaux, notamment sur la base des alliances qu'ils

15 avaient avec l'Est ou l'Ouest. Ce point a été bien plus important que

16 certains autres événements, notamment concernant, à l’époque, les

17 alliances avec le royaume de Hongrie au Nord, l’empire byzantin à l'Est et

18 au Sud, et différentes forces qui se dirigeaient vers l'Ouest et qui

19 finissaient en Bosnie.

20 La période des empires médiévaux s'est terminée en raison de la

21 pression des défits qui venaient du côté de l'empire ottoman qui est

22 représenté sur cette carte, la Turquie de nos jours.

23 De même, sur cette carte, nous pouvons relever les incidences de

24 deux batailles, de deux conflits, avec l'empire ottoman : la bataille de

25 la Maritza en 1371 et la bataille de Kosovo Polje du Champ des merles, en

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1 1389. Ces deux batailles ont entraîné des pertes importantes pour le

2 Royaume de Serbie.

3 La bataille de Kosovo Polje en 1389 a eu une grande importance à

4 la fin des années 1990. Elle est, en quelque sorte, devenue un slogan pour

5 les différentes actions nationalistes et les divers rassemblements

6 nationalistes dirigés par le Président Milosevic.

7 La question était de savoir qui était victorieux et qui était

8 perdant dans cette bataille. En effet, le Royaume serbe, sous une forme

9 restreinte, s'était perpétué au cours des siècles postérieurs. Mais, de

10 toute façon, ce Royaume a été très important en 1389.

11 M. Kehoe (interprétation). - Revenons à la pièce n° 10. Pouvez-

12 vous nous indiquer quelles sont les régions centrales, les régions

13 principales, du Royaume de Serbie ?

14 M. Donia (interprétation). - En effet, dans sa version la plus

15 large, il s'agissait du territoire de l'ensemble de l'Europe du Sud-Est

16 jusqu'à la Mer Egée, et au nord jusqu'à la Serbie contemporaine

17 d’aujourd’hui ; les frontières avec la Bosnie descendant vers le sud, vers

18 la partie centrale de la Bosnie et la localité de Hum, cette région qui

19 est aujourd'hui celle de la Herzegovina. En descendant vers le sud, il

20 comprenait une partie de ce qui est aujourd'hui la Grèce et l’Albanie.

21 M. Kehoe (interprétation). - Serait-il vrai de dire que ces

22 royaumes médiévaux, royaume de Croatie, ou royaume de Serbie, ou royaume

23 de Bosnie, étaient -à leur apothéose- des royaumes qui se chevauchaient en

24 quelque sorte ?

25 M. Donia (interprétation). - Il n'y avait pas un centimètre

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1 carré de terrain qui ne fasse l'objet d'aspirations des uns ou des autres,

2 y compris Venise et l'empire byzantin, et en fin de compte les Ottomans.

3 M. Kehoe (interprétation). - L'Empire ottoman, et la reprise des

4 Balkans par les Ottomans, a considérablement changé la composition et la

5 structure des Balkans.

6 Quelles seraient vos conclusions, en tant qu'historien, en ce

7 qui concerne les événements dans ces états médiévaux des Balkans,

8 notamment en ce qui concerne l'empire ottoman ?

9 M. Donia (interprétation). - Les Etats rivaux des Balkans

10 avaient en quelque sorte passé leur point culminant au moment de l'arrivée

11 des Ottomans. Le royaume de Croatie faisait déjà partie de la Couronne

12 hongroise. Certains étaient déjà affaiblis par les opérations perpétrées

13 par les Ottomans en direction des Balkans.

14 En effet, il est important de comprendre la nature même de ces

15 Etats et de ces Royaumes. Il s'agissait de leaders, de chefs de tribus,

16 qui étaient sur la voie du devenir et qui voulaient renforcer leur

17 contrôle sur l'ensemble de la région et avoir des vassaux, ce qu'il sont

18 devenus en fin de compte eux-mêmes. Cela s’effectuait notamment sur les

19 différentes appartenances religieuses de ces divers clans.

20 M. Kehoe (interprétation). - Ce qui s'est passé dans les

21 Balkans, dans cette région, coïncidait-il, en quelque sorte, avec les

22 développements généraux en Europe ?

23 M. Donia (interprétation). - Dans un certain sens, oui. Des

24 différences se sont révélées. Le processus de cette formation d’Etats et

25 de nations était peut-être plus accentué en Europe que dans les Balkans.

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1 Mais, l’émergence de la société féodale a éliminé l'ancienne société

2 tribale. Des similarités et des parallèles peuvent donc être établies avec

3 l'Europe de l'est, les Etats russes et polonais.

4 M. Kehoe (interprétation). - Avant de continuer, revenons au

5 Royaume de Serbie. Quelle est la source de votre carte du Royaume de

6 Serbie ?

7 M. Donia (interprétation). - Il s'agit d'un livre publié cette

8 année par University Press et intitulé : «Serbie, Histoire, mythe et

9 destruction de la Yougoslavie».

10 M. le Président. - Oui ?

11 M. Hayman (interprétation). - Pas d'objection, Monsieur le

12 Président.

13 M. le Président. - Continuez.

14 M. Kehoe (interprétation). - Pour passer à la période suivante,

15 après la bataille du Kosovo, parlons un peu de l'empire ottoman, de son

16 impact historique chronologiquement parlant et de sa pénétration dans les

17 Balkans.

18 M. Donia (interprétation). - L'Empire ottoman a été dans un

19 certain sens un empire différent des royaumes médiévaux des Balkans,

20 notamment de la Bosnie.

21 Les tribus turques d’Anatolie, de l’Asie mineure, de l'autre

22 côté du Bosphore, étaient très bien organisées, et étaient organisées

23 comme un empire qui s'apprêtait à devenir conquérant. Il a pénétré dans

24 l'Europe du Sud-Est. Il a marqué une série de triomphe et étendu son

25 emprise sur les différentes régions. Il est arrivé jusqu'à Vienne en 1683.

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1 La conquête du royaume bosniaque et des régions avoisinantes a

2 modifié la configuration géographique et géopolitique de la région.

3 L'Empire ottoman était islamique. Il a amené avec lui une

4 croyance, une religion, qui, avant cette époque, n'était que

5 sporadiquement présente dans les Balkans. Beaucoup de conversions ont été

6 forcées, en Bosnie et dans les Balkans d'une manière générale. La région

7 de la Bosnie elle-même, sous les Ottomans, a connu de très nombreuses

8 conversions à l’Islam.

9 On ne saurait insister suffisamment sur ce fait parce qu'avant,

10 en Bosnie, ce genre de conversions à l'Islam n’existait pas. Evidemment,

11 beaucoup de controverses ont été soulevé à ce propos.

12 En effet, les Musulmans de la Bosnie actuelle, et les

13 historiens, considèrent l'église médiévale, celle des Bogomiles, comme

14 l'église d'origine de ce changement de religion. Beaucoup de convertis

15 appartenaient à la classe des nobles, aux propriétaires terriens.

16 Ils voulaient garder leurs privilèges et en recevoir de

17 nouveaux. Nous pouvons constater qu'il y a eu des conversions au fil des

18 années, au fil du règne ottoman et évidemment ceci a changé le caractère

19 démographique, la structure religieuse.

20 M. Kehoe (interprétation). - Vous parliez de conversions et de

21 passages de l'orthodoxie au catholicisme, de ces deux religions vers

22 l'islam

23 M. Donia (interprétation). - En effet, on pourrait parler d'une

24 fluidité de changement. On était libre d'adopter sa religion, sans

25 conséquence nuisible. En effet, cela me suggère, à moi-même, un fait :

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1 c'est que les communautés religieuses, à l'époque, n'étaient pas

2 constituées à l'intérieur de régions strictement délimitées. Il y a eu des

3 communautés locales qui recherchaient une appartenance religieuse qui

4 pouvait être poursuivie sans conséquence nuisible dans certaines

5 instances.

6 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous nous faire un cadre

7 chronologique à partir de la bataille de Kosovo, à partir de 1389 ? Quels

8 seraient les cadres ?

9 M. Donia (interprétation). - 1463 est la date officielle à peu

10 près acceptée pour cet assujettissement de la Bosnie à l'empire ottoman et

11 jusqu'au début du 17e ou 18e siècle, fin du 16e, ce sont les temps des

12 grands changements démographiques et religieux en Bosnie.

13 M. Kehoe (interprétation). - On va peut-être passer à la carte

14 suivante. Avec votre permission, monsieur le Président, je voudrais

15 remettre au témoin et à la Cour la pièce n° 11, qui sera à verser au

16 dossier.

17 M. le Président. - Pouvez-vous citer les sources de cette

18 carte, s'il vous plaît.

19 M. Donia (interprétation). - Excusez-moi, monsieur le Président,

20 messieurs les Juges, je n'ai pas la source exacte ici. Ceci provient d'un

21 atlas historique de la Croatie et je peux peut-être vous donner les

22 références après l'interruption.

23 M. Kehoe (interprétation). - Nous pourrons profiter de la pause

24 du matin pour amener l'atlas et vous fournir les sources, messieurs les

25 Juges.

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1 M. le Président. - Allez-y, monsieur Donia.

2 M. Donia (interprétation). - Cette carte montre l'empire ottoman

3 et ses frontières, avec ses voisins au nord-ouest et, ici, dans la région

4 dalmate, vers le Sud-Est.

5 M. Kehoe (interprétation). - Indiquez-vous là cette région sur

6 la carte ?

7 M. Donia (interprétation). - Oui. Ceci me suggère tout d'abord

8 que la Bosnie, que nous avons appris à connaître sur des cartes modernes

9 existait en grande partie dans l’empire ottoman, comme étant une région

10 sous administration ottomane. Il y a un triangle qui va devenir très

11 familier. J'ai dit que la structure démographique de la Bosnie a connu des

12 modifications radicales du fait des conversions. Puis, l'autre facteur de

13 modifications démographiques, sous l'empire ottoman, s'est fait par des

14 migrations. Un élément critique de ce processus a été l'établissement des

15 frontières dites militaires. Je vais parcourir ici les confins de cette

16 frontière, là où elle a été établie. Les origines de cette frontière

17 militaire remontent aux volontés de l'empire des Habsbourg et de l'empire

18 ottoman qui voulait fortifier les frontières qu'ils avaient entre eux. Il

19 fallait une classe de guerriers prête soit à défendre les territoires,

20 soit à participer à de nouvelles attaques pour protéger les terres.

21 M. Kehoe (interprétation). - Comment appelle-t-on cette

22 frontière militaire en serbo-croate ?

23 M. Donia (interprétation). - C’est une Krajina. Quel en fut le

24 résultat ? L'Empire des Habsbourg, qui dominait de l'autre côté de cette

25 frontière, a établi des zones frontalières et a encouragé l'établissement

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1 de nouveaux migrants dans cette région. Par exemple, ils ont accordé la

2 liberté de religion et de propriété à ceux et celles qui décidaient de

3 s'installer dans ces régions. Ce sera surtout vrai pour ceux qui étaient

4 orthodoxes. Cela veut dire qu'au cours des siècles marqués par l'empire

5 ottoman, à partir de 1600, on voit le développement de cette zone

6 frontalière militaire que l'on voit ici sur la carte en rose pâle, tout

7 autour des frontières de l'empire ottoman.

8 C'était alors un territoire dominé par les Habsbourg et

9 manifestement, cela faisait partie de ce qui était, historiquement

10 parlant, la terre de Croatie.

11 Ainsi donc, le résultat fut que des milliers de Serbes

12 orthodoxes ont migré et sont passés dans ces régions qui étaient des zones

13 frontières entre les Ottomans et les Habsbourg.

14 Du côté ottoman de la frontière, un processus similaire est

15 intervenu. Des zones frontalières ont été parfois fortifiées. C'était le

16 fait de musulmans et, dans bien des cas, cela a été aussi le fait

17 d'orthodoxes qui étaient attirés dans ces régions. Il y a eu de nouvelles

18 vagues de migration lorsque, plus tard, sous l'empire ottoman, cet empire

19 a connu un déclin. Des régions ont été abandonnées par des colons qui ont

20 été remplacés, en grande partie, par des Serbes.

21 En un mot comme en cent, les premières années d'administration

22 ottomane furent excellentes pour la population serbe orthodoxe, sous

23 l'angle démographique. Ces périodes ont été d'un moindre avantage pour les

24 catholiques. Pourquoi ? La raison tient en partie au fait que les Ottomans

25 ont établi ce qu'on appelle un système de « milad », à savoir qu'ils

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1 accordaient un droit d'organisation limité à ceux qui étaient considérés

2 comme partageant le Livre avec les musulmans. Il y avait un système

3 orthodoxe « milad » et un système juif « milad », qui étaient importants

4 pour cette région.

5 Le troisième facteur d’influences démographiques -j'ai parlé des

6 facteurs ayant contribué aux évolutions démographiques (conversions,

7 vagues de migration)- a été le développement socio-économique. La période

8 du 16e siècle a été caractérisée par une grande prospérité pour l'empire

9 ottoman et a entraîné la création de villes, pour la Bosnie et toute la

10 partie occidentale de l'empire ottoman.

11 Ces villes étaient surtout de composition musulmane. Il y avait

12 bien sûr d'autres ethnies qui y vivaient. Par exemple, il y avait des

13 juifs dans diverses villes, avec l'immigration sépharadique de 1492 depuis

14 l’Espagne. Cela veut dire que beaucoup de ces juifs se sont installés dans

15 ces villes. Toutefois, c'est à partir de ce moment que la domination

16 démographique musulmane a pris véritablement pied dans ces villes.

17 Plus tard, au cours des années successives de l'administration

18 ottomane, la classe des nobles ou la classe militaire, parmi les

19 musulmans, a peu à peu gagné en autorité par rapport aux paysans de la

20 Bosnie. Certes, il y avait certains paysans chrétiens, tant orthodoxes que

21 catholiques, qui sont restés libres. Beaucoup d'entre eux se sont

22 toutefois trouvés dans une situation d'obligation par rapport aux

23 propriétaires musulmans. Cette évolution est commune, à plus ou moins

24 grande échelle, pour toute cette partie de l'Europe orientale aux 17e et

25 18e siècles. Cela a engendré des tensions entre la population musulmane et

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1 la population chrétienne, tant orthodoxe que catholique.

2 Cela déboucha, au 19e siècle, sur une situation où certains de

3 ces conflits sont devenus des révoltes paysannes. Toutefois, au début de

4 l'administration ottomane, je parlais des 150 ou 200 premières années, on

5 peut dire que cela a été une époque de croissance, d'urbanisation

6 graduelle et de modification profonde, quant aux appartenances religieuses

7 et à la migration. Cela a bouleversé le caractère démographique de la

8 Bosnie de ce moment-là, par rapport au Moyen Age.

9 Cette période de l'administration ottomane a duré jusqu'en 1878,

10 date à laquelle intervient une relève important de la garde.

11 M. Kehoe (interprétation). - Il y a une carte. Avec

12 l'autorisation du Tribunal, nous allons vous présenter la pièce n° 12.

13 Excusez-moi, monsieur le Président, j'avais oublié de demander de verser

14 au dossier la carte précédente. Mais je vous avais promis d'obtenir la

15 source de cette carte, lors de la pause. Puis-je poursuivre, monsieur le

16 Président ?

17 Nous parlons maintenant de la pièce n° 12, monsieur Donia.

18 M. Donia (interprétation). - Effectivement, j'ai la source de

19 cette carte, monsieur le Président, si elle vous intéresse. C'est

20 l'« Atlas historique de l'Europe centrale et orientale » préparé par Paul-

21 Robert Magosci et publié par les Presses de l'université de Toronto, en

22 1993.

23 Que montre cette carte ? Elle montre l'empire ottoman juste

24 avant ce tournant décisif en 1878. Elle montre le royaume de Croatie et de

25 Slavonie qui, à l'époque, faisaient partie du royaume de Hongrie et le

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1 royaume de Dalmatie, entouré par cette partie ottomane de la Bosnie.

2 On montre aussi la région de Belgrade. C'était une région

3 autonome qui avait vu le jour et qui était intitulée le royaume de Serbie.

4 Cela avait commencé par une révolte en 1804 qui, avec une

5 expansion progressive, a donné le royaume de Serbie dont les frontières

6 allaient jusqu'ici.

7 Il n'en de demeure pas moins qu'à l'époque, l'empire ottoman

8 possédait de nombreux territoires dans l'Europe du Sud et de l'Est, mais

9 connaissait un déclin administratif et économique.

10 Ce déclin a été accéléré du fait d'une grande révolte paysanne

11 qui a commencé en 1875 et a eu pour résultat que la Serbie et le

12 Monténégro sont venus à la rescousse des paysans Serbes orthodoxes de

13 Bosnie.

14 Au cours d'une guerre avec l'empire ottoman, ils ont connu une

15 sérieuse défaite et la Russie est intervenue pour défendre la Serbie et le

16 Monténégro. En fin de compte, cela a débouché sur une grande conférence

17 paneuropéenne connue sous le nom de Congrès de Berlin.

18 En 1878, ce congrès de Berlin a redessiné la carte des Balkans.

19 Du fait de ce congrès et de ses décisions, l'empire Ostro-hongrois -connu

20 aussi comme l'empire des Habsbourg, ici en bleu sur la carte- a reçu pour

21 occupation et administration la Bosnie-Herzégovine.

22 M. Kehoe (interprétation). - Si nous pouvons avoir l'aide de

23 l'huissier, Monsieur le Président, j'aimerais présenter cette pièce comme

24 étant la pièce 13. Avant d'examiner cette pièce, il faudrait que la

25 pièce 12, la carte de la péninsule balkanique, soit versée au dossier.

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1 M. le Président. - Oui, d'accord.

2 M. Kehoe (interprétation). - S'agissant de cette pièce que nous

3 allons examiner, Monsieur Donia, la péninsule balkanique de 1878 à 1912

4 qui a reçu la numérotation n° 13, provient de la même source que la

5 n° 12 ?

6 M. Donia (interprétation). - Effectivement, c'est toujours pour

7 Robert Magosci, l'atlas historique de l'Europe méridionale et centrale. La

8 modification la plus intéressante à remarquer ici est que la Bosnie est

9 maintenant en bleu, ce qui montre qu'il y a domination des Ostro-hongrois

10 en Bosnie.

11 De surcroît, la Serbie est reconnue internationalement comme un

12 Etat indépendant. Cela a été vrai aussi pendant un certain temps pour son

13 petit voisin, le Monténégro. Un couloir terrestre sépare la Serbie et le

14 Monténégro, région que l'on appelle le Sandjak de Novi Pazar.

15 La période Ostro-hongroise en Bosnie va de 1878 à 1918, période

16 qui a ouvert l'aire de la modernisation en Bosnie et a provoqué des

17 changements profonds dans la vie politique du pays parce qu'elle

18 signifiait l'arrivée d'un appareil d'Etat et d'une bureaucratie hautement

19 centralisée :

20 ? développement de l'infrastructure en transport et

21 communication,

22 ? développement d'une presse périodique,

23 ? et l'industrialisation.

24 Cette période annonçait aussi une période où on va voir, pour la

25 première fois en Bosnie, des partis politiques organisés.

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1 Il faut retenir ceci. Le pouvoir des Habsbourgs n'a pas voulu

2 abolir le système des contributions obligatoires imposées aux paysans

3 chrétiens par les propriétaires musulmans. Bien au contraire. Tout ceci a

4 été codifié en loi. Il en résulte que les tensions entre les propriétaires

5 musulmans et les paysans chrétiens n'ont pu que se poursuivre au cours de

6 la période Ostro-hongroise. Vers la fin de cette période, cela s'est peut-

7 être accru car il y a des rébellions après le début du 20e siècle.

8 Quand je parlais des périodes ottomane et Ostro-hongroise, j'ai

9 omis un facteur très important que j'aimerais effleurer un instant : la

10 montée du nationalisme.

11 En Bosnie même, on peut voir ce processus comme étant

12 l'évolution, le développement progressif d'une communauté religieuse en

13 nationalité et ceci en plusieurs étapes. Je vous ai dit qu'il y avait eu

14 des conversions religieuses au début de l'administration ottomane. Mais

15 cela semblait une période très souple. Chaque individu avait latitude de

16 changer de religion sans trop de difficulté. Au fil du temps cependant,

17 ces décisions sont devenues plus difficiles. Le passage d'une communauté

18 religieuse à une autre a été rendu plus difficile.

19 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi ?

20 M. Donia (interprétation). - Les communautés religieuses en tant

21 que telles ont commencé à développer des caractères culturels qui leur

22 étaient propres. Peu à peu, est apparu tout un jeu de pratiques

23 religieuses qui n'avaient rien à voir avec la religion, mais qui ont

24 commencé à identifier quelqu'un comme appartenant à une communauté

25 religieuse, à un groupe ethnique.

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1 Cela vaut pour le respect des jours, celui de telle ou telle

2 habitude culinaire, le port de tel ou tel couvre-chef et d'autres

3 traditions verbales qui ont été transmises d'une génération à l'autre.

4 Cela a commencé à distinguer les individus comme appartenant à telle

5 communauté plutôt qu'à telle autre. Cela est vrai pour une grande partie

6 du 20e siècle, surtout dans le monde rural.

7 Un élément clé de ce processus a été les institutions

8 religieuses : l'église orthodoxe, les missions franciscaines en Bosnie et

9 aussi des personnalités religieuses musulmanes. Du fait de ce processus,

10 au fil du temps, les groupes ethniques se sont transformés en nationalités

11 et la plupart des classes inférieures, la classe paysanne, se sont

12 reconnues comme une nation en sus d'avoir une appartenance à une

13 communauté religieuse.

14 M. Kehoe (interprétation). - Qu'est-ce que cela veut dire en

15 pratique, Monsieur Donia ?

16 M. Donia (interprétation). - Cela veut dire que les Serbes

17 orthodoxes sont devenus des Serbes, que les catholiques se sont reconnus

18 eux-mêmes comme étant des Croates et que les Musulmans, au fil du temps,

19 se sont identifiés comme étant membres de groupes musulmans bosniaques.

20 Cela s'est traduit dans les chiffres des recensements qui ont été

21 effectués au 20e siècle. Nous y reviendrons plus tard.

22 Il faut bien comprendre que les mouvements intellectuels, à

23 l'appui de ce processus d'identification, se sont développés ou ont pris

24 racine en dehors de la Bosnie, surtout en Serbie et en Croatie. Certains

25 qualifient ce processus de réveil nationaliste ou d'éveil nationaliste.

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1 C'était un processus très avancé en Croatie et en Serbie, avant que cela

2 ne passe à la Bosnie au 19e siècle.

3 J'insisterai sur le fait que le nationalisme en Bosnie est un

4 phénomène de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. C'est là

5 qu'on commence à voir l'incidence de ce mouvement et de ces idées du fait

6 de l'industrialisation venue avec l'empire Ostro-hongrois.

7 M. Kehoe (interprétation). - Avant cette montée du nationalisme

8 ou des nationalismes, quelle était l'idée qu'avaient les gens eux-mêmes ?

9 M. Donia (interprétation). - Excellente question. Pour preuve,

10 hélas, nous n'avons pas tous les documents que nous aimerions avoir. Je

11 pense que toute généralisation est dangereuse, mais l'élément essentiel de

12 l'identité est locale. On s'identifie à son village, à sa région et à sa

13 religion, que l'on soit catholique ou orthodoxe. Il semblerait que ce soit

14 là les ingrédients essentiels de son identité.

15 On sait le rôle qu'on a joué dans sa classe. Apparemment, c'est

16 là quelque chose d'important. Cela a été renforcé par les nombreuses

17 restrictions qu'il y a eues à l'encontre des chrétiens sous l'empire

18 ottoman. Je parlerai de l'orientation locale, religieuse et sociale.

19 M. Kehoe (interprétation). - Excusez-moi, Monsieur Donia.

20 Monsieur le Président ?

21 M. le Président. - Tout simplement, je crois que nous allons

22 suspendre et nous reprendrons à 11 heures 35.

23

24 L'audience, suspendue à 11 heures 15, est reprise à 11 heures 45.

25

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1 M. le Président. - L'audience est reprise. Faites entrer

2 l'accusé.

3

4 (L'accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d'audience.)

5

6 M. le Président. - - Monsieur le Procureur vous pouvez faire

7 entrer votre témoin.

8 M. Kehoe (interprétation). - Je pense que l'huissier est allé le

9 chercher.

10 (Le témoin, M. Donia, est introduit dans la salle d'audience.)

11 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, avant que

12 nous passions à la suite de la déposition de M. Donia, dans l'ordre

13 chronologique, je voudrais revenir à la carte qui avait été indiquée comme

14 pièce n° 11, qui dit «Terre Croate du 19e siècle». Je pense que M Donia

15 l’a à sa droite.

16 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous dire M. Donia, au

17 Tribunal, d’où vient cette carte ?

18 M. Donia (interprétation) - Elle vient de l’atlas concis de la

19 République de Croatie et de la Bosnie-Herzégovine publié par

20 Miroslav Perge, Institut de Zagreb

21 M. Kehoe (interprétation). - Nous demandons que soit versée au

22 dossier la pièce n° 11, Monsieur le Président..

23 M. le Président. - Oui d'accord.

24 M. Kehoe (interprétation). - Encore une chose concernant les

25 pièces à verser au dossier. La pièce n° 13 qui se trouve sur le

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1 rétroprojecteur concerne la péninsule des Balkans en 1878/1912. Sa source

2 a été identifiée par M. Donia et nous demandons qu'elle soit également

3 versée au dossier.

4 M. le Président. - Oui, le Tribunal est d'accord. Alors allons-

5 y. Monsieur le Procureur , question suivante ?

6 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

7 Monsieur Donia revenons là où nous en étions. Vous vouliez faire des

8 observations concernant les Musulmans et ce que vous avez déjà dit

9 M. Donia (interprétation) - Nous avons parlé de la montée du

10 nationalisme au 19e siècle comme étant un phénomène du

11 dix neuvième siècle. La position des Musulmans de Bosnie dans ce tableau

12 nouveau qui se dessine est unique. En effet, les Musulmans de Bosnie n'ont

13 pas développé de mouvement nationaliste qui ait les mêmes caractéristiques

14 que celui développé par les Serbes ou les Croates, jusque très tard,

15 jusqu'à la période socialiste.

16 Dans la deuxième Yougoslavie, en revanche, ils ont continué à se

17 définir comme une communauté religieuse. Le mouvement nationaliste peut

18 être vu comme ayant traversé trois phases, même si ces phases se

19 chevauchent très souvent.

20 Première phase, il s'agit de définir une communauté culturelle,

21 phase qui de façon très typique se fonde sur la langue. Définir une langue

22 commune pour le groupe, c'était là la préoccupation des premiers

23 dirigeants intellectuels serbes et croates du mouvement nationaliste.

24 Deuxième phase, il s'agit de définir une communauté politique.

25 On se concentre alors sur le contrôle de son propre Etat.

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1 La troisième phase, il s'agit d'une phase territoriale.

2 Les Musulmans ne pouvaient pas s'engager dans ce processus à

3 l'époque car ils étaient dispersés à travers tout le territoire de la

4 Bosnie-Herzégovine. Ils n'ont donc pas eu l'idée de se promouvoir en tant

5 que nation équivalente à celle des Serbes ou des Croates.

6 Cela étant, si nous examinons le comportement politique, il

7 apparaît clairement que les Musulmans de Bosnie se sont comportés d'une

8 manière qui indique qu'il se percevaient comme un groupe distinct. On peut

9 s’en rendre compte en examinant la première formation politique qui a

10 surgi en Autriche, ou sous la domination autrichienne de la Bosnie aux

11 fins des élections parlementaires de 1910.

12 Avant cela, en 1908, l'Autriche-Hongrie avait officiellement

13 annexé la Bosnie-Herzégovine, ce qui avait mis un terme à l'ambiguïté qui

14 avait été le résultat du congrès de Berlin. L'Autriche-Hongrie a donc

15 dirigé de façon directe la Bosnie-Herzégovine. Cela leur a permis de

16 promulguer une constitution, qui a elle-même débouché sur les élections

17 parlementaires de 1910.

18 M. Kehoe (interprétation). - Avant 1908, la Bosnie n'était pas

19 partie officielle de l'Autriche-Hongrie ?

20 M. Donia (interprétation) - Elle était administrée sous mandat

21 de l'Autriche-Hongrie. C'était une occupation de fait. Administration

22 Ostro-hongroise, mais ce n'est qu'en 1908, sur le plan juridique, que

23 cette annexion a été officialisée. Les premières élections ont eu lieu

24 dans la première décennie du vingtième siècle c’est le mouvement

25 nationaliste serbe qui a gagné pour les Serbes l'Union nationale qui a

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1 gagné du côté croate, mouvement essentiellement catholique, et pour les

2 Musulmans, l'organisation nationale musulmane.

3 Ces trois partis avaient donc un fondement ethnique et ont

4 participé aux élections de 1910 et ont gagné la majorité des sièges. Mais

5 je tiens à souligner que la sélection s'est faite avec un suffrage qui

6 était loin d'être universel et sur la base d'un système de curie qui

7 existait à l'époque en Autriche-Hongrie.

8 Le nombre d’électeurs était un petit pourcentage de la

9 population totale de Bosnie Herzégovine.

10 M. le Président. - Excusez moi, qu'appelez vous élections sous

11 forme de curie ?

12 M. Donia (interprétation) - Le mot « curia » en anglais

13 s’éppelle « c.u..r.i.a »

14 M. Kehoe (interprétation). - En quoi consiste ce système ?

15 M. Donia (interprétation) - Cela veut dire qu'il y a des

16 catégories d’électeurs, et qu'il faut appartenir à l’une de ces catégories

17 qui correspond à une classe ou un groupe social pour voter.

18 M. Kehoe (interprétation). - Par opposition au système un

19 homme/une voix ?

20 M. Donia (interprétation) - Oui par opposition au suffrage

21 universel. C’est un mode de vote très conservateur fondé sur les classes

22 sociales. A cette époque, à partir des années 1890 et plus tard, il est

23 devenu à la mode pour les Musulmans politiquement actifs, et aussi pour

24 d'autres, de se déclarer Croates ou Serbes.

25 Il semble que cela ait été un phénomène très limité aux classes

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1 qui étaient politiquement actives, et composées essentiellement

2 d'intellectuels. C'était une sorte d’identité fluide. Certains Musulmans

3 se déclaraient Serbes, d'autres Croates, et tenaient cette attitude

4 pendant toute leur vie. D'autres se déclaraient Croates ou Serbes selon

5 les circonstances

6 M. Kehoe (interprétation). - Est que cela était vrai également

7 des Serbes et des Croates

8 M. Donia (interprétation) - Non cela s'est passé

9 occasionnellement pour les Serbes et les Croates, mais ce phénomène que je

10 décris comme coloration ethnique serbe ou croate et essentiellement

11 limitée aux Musulmans. On a beaucoup parlé de ce phénomène

12 d'identification à un autre groupe ethnique.

13 Beaucoup d'historiens nationalistes en ont parlé par la suite,

14 avec de bonnes raisons. On ne peut nier que ce phénomène ait eu lieu et

15 que les délégués à l’Assemblée Constituante, en 1920 par exemple, aient

16 déclaré leur nationalité, la plupart se déclarant comme étant Croates. Je

17 parle ici des délégués musulmans.

18 D’autres se sont déclarés Serbes ou bien Yougoslaves. L'un s’est

19 dit de nationalité indéterminée. La réalité cependant, c'est qu'alors même

20 que ces personnes se déclaraient appartenir à tel ou tel groupe ethnique,

21 il n'y a que peu de cas où ils aient renoncé à participer à des

22 organisations spécifiquement musulmanes. Des organisations identifiées

23 comme musulmanes pouvaient comprendre des membres qui se déclaraient même

24 Serbo-Croates

25 M. Kehoe (interprétation). - Vous parlez de la première décennie

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1 du 20° siècle

2 M. Donia (interprétation) - Cela a commencé dans les années 1890

3 et s'est poursuivi pendant toute la période du début du socialisme. Il

4 s'est ensuivi une conviction parmi les intellectuels, tant Serbes que

5 Croates nationalistes, que tous les Musulmans allaient suivre l'exemple

6 donné par leur classe politique et se déclareraient Serbes ou Croates.

7 Cela explique le dialogue qui se poursuit au début du 20° siècle sur les

8 nationalités en Yougoslavie, à savoir est-ce que les Musulmans sont

9 vraiment des Croates ou vraiment des Serbes.

10 Il s'ensuit cette conviction qui dit : "si l'on gratte la peau

11 d'un Musulman, on trouve quelque chose en dessous, un Croate ou un Serbe".

12 C'est devenu un argument extrêmement important dans les années 40 50 et 60

13 voire dans les années 1990. Lorsque nous en arriverons au recensement, on

14 pourra voir qu’il s'est agi d'un phénomène extrêmement limité qui a touché

15 l'élite politique

16 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi était-ce très important

17 dans les années 1990 ?

18 M. Donia (interprétation) - Parce que certains nationalistes ont

19 été amenés à examiner la population de Bosnie-Herzégovine et à dire que

20 tous les Bosniaques étaient Serbes. Ou ils ont pu prendre aussi les

21 Croates et les Musulmans et décréter qu'il s'agissait en fait uniquement

22 de Croates.

23 M. Kehoe (interprétation). - Ces gens qui tirent ces conclusions

24 comptent parmi eux le Président Tudjman.

25 M. Donia (interprétation) - Oui, dans les années 80, en tant

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1 qu’historien, c’est effectivement ce qu’à dit Franjo Tudjman, Président

2 actuel de la République de Croatie

3 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez.

4 M. Donia (interprétation) - En Autriche-Hongrie, les mouvements

5 nationalistes serbes et croates se développaient respectivement et ces

6 mouvements nationalistes en sont arrivés à la deuxième phase du

7 nationalisme, à savoir l'affirmation d'un Etat serbe, d'un Etat croate

8 historique.

9 Les Musulmans, sur cette question, ont bien entendu persisté à

10 dire qu’ils constituaient une communauté religieuse et ont continué à

11 regarder d'un oeil assez favorable l'époque de la domination ottomane.

12 Cela étant, l'Empire Ostro-hongrois s'est effondré encore une

13 fois avec les guerres balkaniques qui ont éclaté en 1912.

14 M. Kehoe (interprétation). - Je reviens ici à la pièce 13 sur le

15 rétroprojecteur.

16 M. Donia (interprétation) - Une partie importante du territoire

17 serbe au Sud, dans cette région que je montre maintenant, s'est ajoutée et

18 les frontières ont été alors remises en cause, cela pour la première fois

19 au 20e siècle, le 28 juin 1914. C'est là une date historique célèbre,

20 puisque l'archiduc François Ferdinand, successeur de l'empereur d'Autriche

21 a été assassiné à Sarajevo par un groupe composé de huit nationalistes

22 bosniaques Serbes.

23 Cela n'a pas débouché immédiatement sur la première guerre

24 mondiale, mais a ouvert une période de contacts diplomatiques intenses et

25 quelques semaines plus tard, sur la première guerre mondiale. Il y a eu

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1 très peu de combats en territoire bosniaque durant la première guerre

2 mondiale, malgré le rôle important de l'assassinat de Sarajevo dans cette

3 guerre.

4 En revanche, en Serbie, les combats ont été importants et les

5 militaires serbes ont subi des pertes énormes.

6 En 1918 bien entendu, les puissances centrales ont essuyé une

7 défaite, ce qui a mis un terme à la domination allemande et ostro-

8 hongroise dans les Balkans. C'est donc un jalon historique, car nous en

9 arrivons au début de la période des deux Yougoslavies : la première

10 Yougoslavie étant la Yougoslavie royaliste et la seconde, la Yougoslavie

11 socialiste.

12 M. Kehoe (interprétation). - Vous parlez de 1918 comme "jalon

13 historique" car c'est là que fut créée la première Yougoslavie. A ce

14 stade, peut-on résumer où on en est du point de vue de la Bosnie-

15 Herzégovine, alors que s’est créée cette première Yougoslavie ?

16 M. Donia (interprétation) - Tout d’abord, le mouvement

17 nationaliste avait transformé le paysage politique. La religion avait été

18 toujours importante, et l’est restée. Mais sur le plan de la participation

19 politique, la nationalité était devenue plus importante que la religion

20 dans la façon dont les gens s'identifiaient, ou définissaient leur

21 identité.

22 De même, en Bosnie, il est resté une classe terrienne musulmane

23 qui dominait une classe paysanne composée presque exclusivement de Serbes

24 et de Croates. Il y avait donc une paysannerie libre, mais cette situation

25 à perduré jusqu’à la fin de la domination austro-hongroise.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Nous en arrivons donc aux deux

2 Yougoslavies. A quelle date a été créée la première Yougoslavie ?.

3 M. Donia (interprétation) - Il faudra que je passe pour cela à

4 la carte suivante.

5 M. Kehoe (interprétation). - Pour ce faire, je voudrais que

6 l’huissier remette au témoin la pièce n° 14, ainsi qu'à la défense et aux

7 Juges.

8 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Donia, vous avez sous les

9 yeux la pièce n° 14. En quoi consiste-t-elle et quelle est sa source ?

10 M. Donia (interprétation). - C'est une carte qui a été publiée

11 dans un livre dont je vous donne le titre traduit. C’est un livre de

12 Ljubo Boban, un historien croate, qui traite des frontières croates de

13 1918 à 1923. Ce livre, publié à Zagreb en 1993, par l'Académie croate des

14 Arts et des sciences, s’intitule « Frontières croates de 1918 à 1993 ».

15 M. Kehoe (interprétation). - Que lisez-vous sur cette carte ?

16 M. Donia (interprétation). - C'est une carte des deux

17 Yougoslavie. Au-dessus, se trouve une carte montrant la création de l'Etat

18 yougoslave après 1918. Je vous la montre parce qu'on y voit une similarité

19 frappante avec la carte de la Bosnie, aussi bien en 1918 qu’en 1945. Quoi

20 qu'il en soit, apparaît sur cette carte la création de l'Etat yougoslave,

21 lequel a été proclamé le 1er décembre 1918, en tant que monarchie

22 constitutionnelle dirigée par la dynastie serbe.

23 Comme on peut le voir, cette configuration de la Yougoslavie

24 correspond aux entités administratives de la Yougoslavie royale. En demi-

25 croissant de lune, on retrouve la Croatie, très semblable à celle qui

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1 existait sous la domination austro-hongroise. La Slovénie est constituée

2 de quelques provinces qui appartenaient précédemment à la monarchie

3 austro-hongroise. On voit la Bosnie sous cette forme familière de triangle

4 un peu découpé sur les côtés et qui est à peu près semblable à celle qui

5 existait sous la domination austro-hongroise. On voit un état serbe

6 important avec un plus petit voisin, le Monténégro.

7 La Serbie est ici composée de la Serbie même et de territoires

8 supplémentaires qui avaient été conquis à la suite des guerres

9 balkaniques.

10 M. Kehoe (interprétation). - Pour être tout à fait précis,

11 lorsque le royaume a été constitué en 1918, il ne s'appelait pas encore

12 royaume de Yougoslavie, n'est-ce pas ?

13 M. Donia (interprétation). - Effectivement, il s'appelait

14 royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes et n’allait s'appeler

15 royaume de Yougoslavie qu'en 1929. Le roi de Yougoslavie ou du royaume des

16 Serbes, des Croates et des Slovènes incarnait l'espoir des politiciens

17 serbes de voir l'occasion d'élargir l’influence serbe dans ce nouvel état.

18 Pour les politiciens croates, ce roi incarnait l'espoir d'un équilibre

19 entre ces diverses entités des Slaves du sud et l'occasion d'empêcher de

20 nouvelles conquêtes territoriales à leurs dépens par l'Italie. C'était un

21 facteur important à l'époque.

22 C'était aussi l'incarnation, pour les diplomates de Wilson, de

23 l’espoir de répondre aux aspirations nationales des différentes entités.

24 C'était un état qui, dès le début, s'était trouvé remis en cause par

25 diverses organisations nationales. Il avait un parlement central. A cet

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1 égard, a eu lieu un événement qui devait avoir des incidences importantes,

2 puisqu'en 1928, le dirigeant du parti paysan croate, Stjepan Radic, a été

3 assassiné au Parlement même. Il a été abattu le 20 juin 1928 et est mort

4 au mois d’août 1928.

5 C'était une personnalité assez controversée. Sa mort a jeté le

6 trouble dans le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes. Le roi y

7 a réagi, le 6 juin 1929, en décrétant la dictature royale. Cette dictature

8 royale était conçue pour mettre un frein aux affrontements nationalistes

9 dans le royaume.

10 C'est alors que le roi a modifié le nom du royaume pour en faire

11 le royaume de Yougoslavie. Il a aussi complètement modifié l'organisation

12 administrative de l'Etat, ce qui nous amène à la carte suivante.

13 M. Kehoe (interprétation). - Avant de se faire, monsieur le

14 Président, la pièce n° 14 a été identifiée et on en a donné la source.

15 Nous voulons la verser au dossier. Si vous le permettez, nous souhaitons

16 maintenant montrer la pièce n° 15 que je remets à l'huissier.

17 M. le Président. - Je voudrais une toute petite précision. Je

18 ne veux pas vous interrompre dans votre exposé. Pourquoi la dynastie serbe

19 est-elle choisie au moment de 1918 ?

20 M. Donia (interprétation). - C'était manifestement le point de

21 gravité politique le plus fort.

22 L'Etat serbe avait émergé des guerres balkaniques et de la

23 Première guerre mondiale comme l'entité dominante dans cette confédération

24 ou ce regroupement des Slaves du sud. C'était, sans aucun doute, l'entité

25 qui avait le plus d'expérience politique, ayant été indépendante depuis le

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1 plus longtemps. Je ne pense pas que l'on ait beaucoup discuté de la

2 dynastie à choisir. Peut-être a-t-on discuté de la forme politique à

3 donner à la Yougoslavie, mais pas de la dynastie à choisir, car ce choix

4 était évident.

5 M. Kehoe (interprétation). - Nous en arrivons à la pièce n° 15

6 qui se trouve sur le rétroprojecteur. C'est une carte qui date de 1929.

7 Pouvez-vous nous en donner la source, Monsieur Donia ?

8 M. Donia (interprétation). - Cette carte vient également d’un

9 ouvrage de Ljubo Boban : « Frontières de la Croatie de 1910 à 1993 »,

10 ouvrage déjà cité et publié à Zagreb par l'Académie croate des Arts et des

11 sciences.

12 M. Kehoe (interprétation). - Que voit-on sur cette carte ?

13 M. Donia (interprétation). - La Bosnie a disparu. Des entités

14 totalement nouvelles, au nombre de neuf, sont dessinées avec des noms

15 nouveaux, dans ce nouveau royaume de Yougoslavie.

16 M. Kehoe (interprétation). - Vous êtes en train de les indiquer

17 sur la carte, n'est-ce pas ?

18 M. Donia (interprétation). - Oui. Les noms ne sont pas basés sur

19 des nationalités ni même sur des noms administratifs, mais sur des

20 caractéristiques géographiques de chaque subdivision. Certaines

21 nationalités sont plus ou moins bien représentées dans ces entités, mais

22 ces entités ont été conçues par le roi pour apaiser les tensions

23 nationalistes. A peu près dans le même temps, le roi a mis hors-la-loi le

24 parti communiste, qui était alors une puissance politique de plus en plus

25 forte et a interdit également les partis de caractère ethnique.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Cela a-t-il provoqué des hostilités

2 supplémentaires dans la région ?

3 M. Donia (interprétation). - Pendant un certain temps, on a

4 réussi à apaiser les tensions, mais beaucoup de questions sont restées

5 néanmoins en suspens. Les années 1930 étaient un moment où des forces

6 extérieures devenaient de plus en plus actives en Yougoslavie. Il faut

7 examiner la montée du fascisme en Italie à l'ouest, et au nord la montée

8 de l’Allemagne qui se montrait de plus en plus agressive.

9 Il y a une autre évolution majeure dans l'histoire de la

10 Yougoslavie. En octobre 1934, le roi Alexandre qui avait réorganisé la

11 Yougoslavie de cette façon est assassiné par un groupe terroriste dirigé

12 par des membres des nationalistes extrémistes croates, les Oustachi, mot

13 qui veut dire rebelle ou insurgé. Le roi Alexandre est donc assassiné, son

14 règne se termine, et cela laisse le pouvoir entre les mains du régent.

15 M. Kehoe (interprétation). - A ce moment de l'assassinat du roi

16 Alexandre, les neuf banovinas sont-elles encore en place ?

17 M. Donia (interprétation). - Elles restent en place après

18 l'assassinat du roi Alexandre et, encore une fois, sous la menace

19 croissante de l’Allemagne nazi et l'Italie mussolinienne. En 1939, le

20 régent, le prince Paul, confie à Cvetkovic, la tâche de conclure un accord

21 avec Vladko Macek, le chef du parti paysan croate, successeur de

22 Stjepan Radic.

23 Ces négociations se sont poursuivies durant quelques mois et ont

24 constitué un effort de la part de la régence du prince Paul pour établir

25 une coalition susceptible de fonctionner entre les forces nationales

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1 serbes et croates alors présentes en Yougoslavie. D'une certaine façon, on

2 peut y voir un accord qui est finalement obtenu en août 1939. On peut y

3 voir un accord conclu entre les principales composantes de la Yougoslavie,

4 au détriment des composantes plus petites. Le 22 août 1939, l'accord signé

5 est connu sous le nom de Macek et aussi sous plusieurs autres noms,

6 notamment le mot serbo-croate qui veut dire accord ou encore le Plan des

7 banovinas. Le terme banovina s'explique ainsi. Les banovinas, dessinées

8 sur la carte, viennent d'un terme qui remonte au Moyen Age. C'est un mot

9 slave fondé sur le mot « ban » ou gouverneur. Donc, une banovina est, en

10 quelque sorte, un gouvernorat. Cet accord a modifié la carte, raison pour

11 laquelle on l'a appelé également Plan des banovinas.

12 M. Kehoe (interprétation). - Avant de se faire, le Plan des

13 banovinas altère et modifie le plan qui se trouve maintenant sur le

14 rétroprojecteur.

15 M. Donia (interprétation). - Oui, effectivement, sur plusieurs

16 points.

17 M. Kehoe (interprétation). - Avant de passer à la pièce n° 16,

18 nous demandons que soit versée au dossier la pièce n° 15 qui se trouve sur

19 le rétroprojecteur. Nous demandons à l'huissier de remettre la pièce n° 16

20 au témoin ainsi qu'aux juges et à la défense.

21 M. Riad (interprétation). - Vous avez parlé de cet accord qui a

22 modifié la carte géographique. Dans quel sens, cette carte géographique a-

23 t-elle été modifiée ? Accroissement de la partie serbe, de la partie

24 croate ou musulmane ?

25 M. Donia (interprétation). - Je vais répondre volontiers à votre

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1 question.

2 En effet, les dimensions des banovinas composées essentiellement

3 de Croates se sont accrues. Il s'agissait, en quelque sorte, de banovinas

4 super-croates. Les banovinas se basaient essentiellement sur des

5 caractéristiques géographiques. Il y avait des banovinas exclusivement

6 nationalistes. C’est le cas des banovinas croates.

7 M. Kehoe (interprétation). - Pourrait-on reprendre cette

8 question avec la pièce n° 16 ? Avec votre permission, avant de passer à ce

9 point, permettez-moi d'examiner cette pièce particulière pour voir quelle

10 est la source de cette pièce n° 16 qui est sur le rétroprojecteur.

11 M. Donia (interprétation). - Il s'agit de nouveau de l’ouvrage

12 de Ljubo Boban, cité pour les deux cartes précédentes. Il s'agit d'un

13 livre qu’il a écrit il y a quelques années et qui a été consacré à

14 l’accord Cvetkovic-Macek. C'est vraiment un auteur d'autorité sur la

15 question.

16 M. le Président. - Nous passons à la pièce n° 16, celle des

17 Banovinas.

18 M. Donia (interprétation). - Il s'agit d'un petit insert qui

19 vous présente les révisions de cette carte géographique. La banovina

20 croate devient, à l'heure actuelle, presque comme un anneau qui entoure

21 l'ensemble d'un territoire qui reste dans une autre banovina et

22 représente, en effet, le résultat de cet accord Cvetkovic-Macek, notamment

23 en ce qui concerne les aspirations croates territoriales.

24 Finalement, en fin de compte, il s'agissait de négociations qui

25 portaient sur les villages, l'un après l'autre, et cela s'est avéré très

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1 important dans les années 1990, lorsqu'il s'agissait de définir les

2 ambitions territoriales historiques des nationalistes croates. En effet,

3 le président Tudjman revenait souvent sur cette question, notamment en ce

4 qui concerne le concept du territoire de la Croatie, sur ce qu'il faudrait

5 que la Croatie englobe comme territoires.

6 En effet, on sait bien que Lord Owen, après avoir passé un bon

7 moment a négocié en 1992-1993, notamment avec le président Tudjman, a

8 signé un accord dans ce sens parce que l'accord Cvetkovic-Macek avait

9 accordé un important contrôle croate sur la Bosnie et pratiquement il n'y

10 a pas eu de frontière entre les deux Banovina.

11 M. Kehoe (interprétation). - Après la guerre de 1945, il y a eu

12 des coupures essentielles qui se sont opérées dans la Banovina croate.

13 M. Donia (interprétation). - Il s'agissait d'opérations de 1939

14 à 1941. Il s'agissait d'un intervalle de deux ans pendant lequel la

15 Banovina croate a été une entité qui fonctionnait comme partie du

16 gouvernement yougoslave.

17 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que ceci se rattachait en

18 quelque sorte aux anciens royaumes médiévaux de la Croatie ?

19 M. Donia (interprétation). - Il s'agissait, dans le temps,

20 d'aspirations démographiques et on ne se référait pas trop à ces royaumes

21 médiévaux.

22 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous avez des

23 commentaires en ce qui concerne les négociations Lord Owen/Tudjman ? Est-

24 ce que la Lasva Valley ou la vallée de la rivière Lasva était comprise

25 dans ces Banovina de 1939 ?

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1 M. Donia (interprétation). - Oui, cette vallée de la Lasva, en

2 Bosnie, dont je vous trace les confins, se trouve à peu près à ce segment

3 et pénètre en Bosnie vers le Sud et à l'Est de Travnik.

4 M. Kehoe (interprétation). - Avant de procéder, Monsieur le

5 Président, nous versons au dossier la pièce n° 16.

6 Monsieur Donia, voulez-vous poursuivre.

7 M. Donia (interprétation). - Les accords Cvetkovic-Macek ont été

8 obtenus sous une certaine pression de la part de la régence.

9 Il y a eu pas mal de contacts entre Macek et le gouvernement

10 italien. Et, on le savait, les Italiens étaient prêts à soutenir Macek et

11 ses aspirations à l'obtention d'une entité croate dans le cadre de l'Etat

12 yougoslave, et même son aspiration à l'indépendance.

13 Dans les années qui suivront, il s'agira d'une période difficile

14 où différents intérêts devront s'accommoder les uns des autres, période où

15 il y aurait eu beaucoup de revendications, notamment dans le sillon des

16 accords Cvetkovic-Macek.

17 Les troubles à l'intérieur de Yougoslavie étaient dus au fait

18 que l'Allemagne et Hitler n'étaient pas satisfaits. En 1941, Hitler a

19 déclenché son invasion de la Yougoslavie. Celle-ci a commencé par le

20 bombardement de la ville de Belgrade qui a fait des milliers et des

21 milliers de morts et a causé d'importantes dévastations dans la ville.

22 Au cours des semaines et des mois qui ont suivi, l'ensemble de

23 la Yougoslavie s'est trouvée sous l'occupation allemande ou italienne.

24 Elle a été ainsi découpée d'une façon tout à fait nouvelle, d'où ont

25 découlé de nouvelles unités politiques.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Avant de passer à cette nouvelle

2 carte Monsieur Donia, un accord avait été réalisé par le royaume. Puis, il

3 y a eu d'autres mouvements croates qui émergeaient dans certaines régions

4 d'Europe. Quelle a été la réaction du royaume ?

5 M. Donia (interprétation). - En effet, il y a eu les

6 nationalistes de droite, les Oustachis, qui sont à l'origine de

7 l'assassinat du roi Alexandre en octobre 1934. En effet, le mouvement

8 Oustachi a été contenu en quelque sorte, mais il a continué d'être

9 entraîné et patroné dans différents camps en Italie. Il s'agissait d'une

10 organisation qui devenait de plus en plus menaçante pour la Yougoslavie et

11 pour les développements en Yougoslavie, ainsi qu'un facteur important dans

12 les différents arrangements italo-germains quant au découpage du

13 territoire de la Yougoslavie.

14 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi le roi s'était-il aventuré

15 dans ce genre d'accord ?

16 M. Donia (interprétation). - Le roi voulait obtenir certains

17 arrangements politiques dans une perspective à long terme, mais également

18 dans le souci d'écarter certaines menaces d'insurrection, notamment du

19 côté des Croates. Il ne s'agit pas là de minimiser le fait que ces accords

20 ont été vraiment obtenus par des forces du pays, par les leaders du pays,

21 mais le facteur oustachi apparaissait comme un facteur de déstabilisation

22 au plan de l'ensemble de la Yougoslavie.

23 M. Kehoe (interprétation). - Ces différentes entités, ces

24 différentes Banovina, notamment la Banovina Croate, existaient depuis 1933

25 et ont cessé d'exister le 6 avril 1941, n'est-ce pas ?

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1 M. Donia (interprétation). - N'allez pas si loin, s'il vous

2 plaît. La période de 1939 à 1941 serait l'intervalle correct, c'est-à-dire

3 en moins de deux ans.

4 M. Kehoe (interprétation). - Nous pouvons passer à la carte

5 suivante, s'il vous plaît. Je prie l'huissier de bien vouloir remettre la

6 pièce n° 17, c'est-à-dire la carte suivante.

7 Nous pouvons, si vous voulez bien commenter la pièce n° 17, dont

8 la source est la même, c'est-à-dire le livre de Ljubo Boban. De quoi

9 s'agit-il ?

10 M. Donia (interprétation). - Il s'agit d'un découpage de la

11 Yougoslavie par les forces d'occupation, dont une partie importante à

12 l'Est et au Sud. Il est toutefois pertinent de noter que c'est cette

13 surface, en jaune, qui était une importante portion du territoire attribué

14 à ce qu'il est convenu d'appeler l'Etat croate indépendant. Il s'agit

15 d'une entité administrative qui a été placée sous la direction des

16 Oustachis, les représentants des Oustachis mis en place par les Allemands

17 afin d'assurer l'administration territoriale de ce territoire.

18 Ces lignes étaient des lignes de démarcation entre les forces

19 italiennes et allemandes. Les allemands se déployaient au Nord de cette

20 ligne de démarcation et les Italiens occupaient le territoire au Sud de

21 cette ligne.

22 M. Kehoe (interprétation). - Par conséquent, Sarajevo se

23 trouvait plutôt dans la zone allemande et Mostar était dans la zone

24 italienne ?

25 M. Donia (interprétation). - Oui. Voilà Mostar dans la zone

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1 italienne, sur le territoire italien et Sarajevo, au Nord de cette ligne.

2 En effet, cette répartition administrative a été faite par les

3 personnes nommées par les Oustachis. Il s'agissait également d'une

4 répartition qui reflétait le rapport entre les forces d'occupation et le

5 mouvement de la résistance. En effet, les Oustachis étaient entrés dans

6 cette période soutenus par le pouvoir populaire sur lequel il pouvait

7 compter, mais il le perdait suite à un accord avec l'Italie par lequel il

8 permettait à l'Italie d'occuper une partie importante de la côte dalmate.

9 C'est une région que les nationalistes croates avaient à coeur

10 de conserver. C'est au terme de ces accords que cette partie a été cédée

11 au royaume d'Italie. Evidemment, cette cession aux Italiens a compromis la

12 popularité des Oustachis dans la population, après leur avènement au

13 pouvoir.

14 M. Kehoe (interprétation). - En effet, vous vous référez à la

15 portion de territoire en vert pâle, cette portion du territoire le long de

16 la côte.

17 M. Donia (interprétation). - Oui, le règne des Oustachis a été

18 brutal. Il s'est soldé par la mort de dizaines de milliers de personnes et

19 était dirigé contre les Juifs, les Serbes, les Tziganes et les opposants

20 du régime de quelque bord qu'ils soient, croate notamment.

21 Le nombre de victimes de ce régime est un point très

22 controversé. Les Croates et, tout historien qu'il est, Franjo Tudjman ont

23 avancé certains chiffres inférieurs à ceux qui ont été avancés par le

24 passé, mais de toute façon des dizaines de milliers de personnes avaient

25 péri dans les camps des Oustachis, dans le cadre de différents programmes

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1 d'expulsion, d'atrocités et de sévices dans cette partie du pays.

2 En bref, il s'agissait de premières explosions d'hostilités de

3 nature ethnique qui ont été perpétrées par des groupes bien organisés,

4 ceux des Oustachis, soutenus par les Allemands et par ceux qui s'étaient

5 livrés à des activités d'extermination systématique et à des atrocités

6 absolument abominables.

7 Tout ceci a donné lieu à la naissance de grands mouvements de

8 résistance, dont l'un était d'orientation serbe dirigé par Draja

9 Mihailovi, un ancien officier de l'armée royale yougoslave, et un deuxième

10 mouvement qui a été celui des partisans avec à sa tête Tito et organisé

11 par le parti communiste de Yougoslavie.

12 Au fil du temps, de 1941 à 1945, le mouvement des partisans a

13 émergé comme étant le plus puissant et est devenu celui qui a fait la

14 conquête d'énormes parties du territoire yougoslave, notamment en Bosnie

15 et surtout après des combats très féroces avec l'ennemi.

16 Les raisons de ce triomphe sont de trois natures. D'abord, les

17 partisans ont réussi à obtenir l'appui des alliés britanniques et

18 américains qui, au début de la guerre, allaient de Mihailovic et de ce

19 qu'il est convenu d'appeler les Chetniks.

20 Deuxièmement, les partisans passaient sous silence ou ignoraient

21 certaines pertes humaines lorsqu'il s'agissait de ne pas en parler pour

22 pouvoir continuer leurs opérations. En effet, il y a eu une attitude

23 différente quant aux nationalités de la Yougoslavie de l'époque.

24 Cette politique d'égalité nationale et d'attitude d'égal à égal

25 avec toutes les nationalités était le slogan, plus tard, de la Yougoslavie

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1 socialiste quand celle-ci a été créée en 1945.

2 M. Kehoe (interprétation). - Pour en revenir à la guerre,

3 Monsieur Donia, qui s'est déroulée entre 1941 et 1945, beaucoup de

4 discussions au cours des années 1990 ont porté sur cet intervalle. On a

5 voulu l'employer à titre d'explication pour tout ce qui s'est passé dans

6 la Yougoslavie à l'époque.

7 M. Donia (interprétation). - En effet, j'ai remarqué moi-même

8 les rapports qui existaient entre ces différents groupes, dans la

9 Yougoslavie de l'époque, dans l'ancienne Yougoslavie. J'ai noté deux

10 périodes de violence : celle qui commence avec l'année 1941 et se poursuit

11 jusqu'en 1945 et la deuxième période qui débute en 1991 et 1992.

12 Je pense qu'il est important d'expliquer cette attitude et

13 approche des Oustachis, quant à la Bosnie, pour voir comment les

14 nationalités étaient déterminantes pour les relations qui s'instaureront

15 plus tard. En effet, les Oustachis, les occupants italo-germains, avaient

16 tendance à expulser et faire convertir la majorité de la population serbe.

17 Leur attitude envers les Musulmans était quelque peu différente.

18 En effet, il considérait les Musulmans comme étant des Croates,

19 des Croates de foi musulmane. C'est là une tendance que j'ai signalée tout

20 à l'heure. Les deux nations, croate et serbe, considéraient les Musulmans

21 comme faisant partie de leur propre entité nationale, mais appartenant à

22 une autre religion.

23 En effet, à Zagreb, on a fait construire une mosquée entourée de

24 minarets, on l'a transformée en bâtiment. On insistait fréquemment sur les

25 différentes cérémonies et fêtes pour démontrer qu'on considérait les

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1 Musulmans comme de grands Croates et même comme des Croates de pur-sang.

2 Sous l'occupant allemand, il y a eu même des unités qui étaient

3 spécialement formées de Musulmans, unités dans le cadre desquelles il y

4 avait même des Allemands. Il y a eu également des tentatives qui ont été

5 faites pour discréditer cette unité. En réalité, à certains moments,

6 pendant le régime des Oustachis, il y a eu pas mal de collaboration entre

7 Musulmans et Oustachis.

8 M. Kehoe (interprétation). - Pour revenir à certains points

9 historiques, quel est le nombre de ces différentes escarmouches, de ces

10 différents intervalles de violence ?

11 M. Donia (interprétation). - Dans l'histoire contemporaine, du

12 moins depuis 1945, il y a eu très peu d'incidents. Dans le cadre de la

13 deuxième Yougoslavie, les relations entre les nations étaients régies par

14 ordonnance.

15 M. Kehoe (interprétation). - Nous en sommes à la Yougoslavie

16 d'après 1945, il faut revenir aux cartes de l'époque. Il s'agit de la

17 pièce n° 14, Monsieur le Président.

18 M. Donia (interprétation). - Après 1945, les partisans de Tito

19 ont établi un contrôle ferme sur l'ensemble de la Yougoslavie et ont

20 constitué un Etat qui s'est engagé dans la socialisation des moyens de

21 production, respectait les principes staliniens, un parti, le Parti

22 communiste de Yougoslavie. Et l'opposition, organisée après quelques

23 périodes de coalition, initiale a été bannie.

24 Après la prise du pouvoir et l'élimination des opposants

25 politiques, le règne de Tito et de son Parti a été particulièrement

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1 brutal. Le nouvel Etat a été créé selon les confins que l'on connaît. En

2 effet, ce sont des points qui seront très importants pour les événements

3 de 1990 et suivants.

4 La Serbie a été créée en tant qu'Etat plus petit que dans le

5 cadre de la Yougoslavie précédente, mais avec deux provinces autonomes qui

6 étaient rattachées à son territoire, la Voïvodine et le Kosovo, à

7 l'origine connues comme le Kosovo et la Metohija.

8 Ces deux provinces faisaient partie de la République de Serbie

9 et avaient une autonomie considérable. Elles avaient leurs propres

10 représentants dans les différents organes fédéraux.

11 Il convient de faire remarquer aussi que la Croatie a obtenu un

12 territoire un peu plus petit, ayant perdu cette partie saillante

13 précédente qui était incorporée à la Voïvodine de l'époque nouvelle. En

14 effet, ce système politique n'était pas différent. Lorsque ces frontières

15 ont été tracées, elles ne résolvaient pas les conflits entre les forces

16 opposées du fait d'un certain nombre de contentieux.

17 Le parti et l'Etat devaient être centralisés au point que la

18 question des frontières, à l'intérieur de la Yougoslavie, n'allait pas

19 jouer une importance considérable dans les années à venir. En effet,

20 c'était une hypothèse parfaitement erronée et, dans les années 1990, cela

21 revêtira une importance capitale.

22 En 1948, Tito est en dissension avec l'Union soviétique. Le

23 Parti communiste de Yougoslavie a été expulsé du COMINFORM, du Bureau

24 d'information communiste.

25 Cette rupture avec Staline en 1948 a déclenché un nouveau

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1 développement, une nouvelle évolution pour l'ensemble de la Yougoslavie.

2 En effet, la Yougoslavie a été la seule, parmi les pays de l'Est, qui se

3 soit libérée grâce à son propre mouvement de résistance autochtone. Cela a

4 contribué à cet esprit d'indépendance et d'autonomie de Tito et de son

5 Gouvernement, et a conduit à cette rupture avec Staline.

6 Par la suite, la Yougoslavie a voulu faire sa propre voie, une

7 voie distincte, une voie moins centralisée par rapport à celle qui avait

8 été forgée et établie par Staline. Deux réponses ont été offertes :

9 l'autogestion ouvrière et la participation aux mouvemenst connus, comme le

10 non-alignement.

11 Pour nos fins, ici, nous devons dire que les résultats de

12 l'autogestion ont été cette haute décentralisation sur le plan de

13 l'économie et les autres plans par rapport au Gouvernement fédéral

14 central. Cela a demandé quelques décennies, mais les autogestionnaires

15 avaient leur signification à différents niveaux.

16 M. Kehoe (interprétation). - Donc le gouvernement fédéral

17 devenait moins important ?

18 M. Donia (interprétation). - Oui. Il devenait moins important et

19 les six républiques et les deux provinces autonomes devenaient de plus en

20 plus importantes. La décentralisation s'assortissait d'une ouverture

21 croissante de la Yougoslavie. La Yougoslavie avait, à cette époque, un

22 million de travailleurs émigrés qui travaillaient dans différente régions

23 d'Europe. Enfin, la Yougoslavie devenait de plus en plus partie intégrante

24 des économies de l'Europe occidentale, bien plus que les autres pays de

25 l'Europe de l'est à l'époque.

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1 Evidemment, il s'est agi aussi d'une période d'industrialisation

2 et d'urbanisation accélérée. Je me permets de prendre en exemple la ville

3 de Sarajevo. Sarajevo avait une population de 50 000 habitants en 1918 et,

4 dans les années 50 et 60, elle en comptait plus de 500 000. Cela témoigne

5 d'une croissance énorme de l'urbanisation accélérée et d'envergure dans

6 les différentes villes du pays, notamment à Sarajevo.

7 Finalement, la Yougoslavie socialiste a dû s'occuper des

8 questions de nationalités, c'est-à-dire des mêmes questions qui avaient

9 affligé la première Yougoslavie. En 1971, s'ouvre une période d'activité

10 intense sur le plan politique et littéraire (c'est vrai des Croates). Il y

11 a eu toute une série de purges exécutées par Tito tant en Croatie que dans

12 d'autre républiques de la Yougoslavie.

13 En 1974, est promulguée une nouvelle constitution qui, d'une

14 certaine façon, met un terme à ce processus de décentralisation et qui, à

15 bien des égards importants, dresse le décor des conflits qui vont se

16 dérouler entre les républiques dans les années 90.

17 M. Kehoe (interprétation). - Comment cette constitution de 1974

18 le fait-elle ?

19 M. Donia (interprétation). - Elle établit l'autorité des

20 républiques et limite sérieusement l'autorité du Gouvernement central.

21 M. Kehoe (interprétation). - Serait-il juste de dire que la

22 constitution de 1974 est un autre jalon qui donne davantage de pouvoirs

23 aux républiques et moins au centre ?

24 M. Donia (interprétation). - Oui. Au moment de la constitution

25 de 1974, d'autres institutions deviennent plus importantes que le

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1 Gouvernement central pour assurer la cohésion de la Yougoslavie. Il

2 s'agit, à l'époque, de deux institutions qui sont l'Armée nationale

3 yougoslave (la JNA) et la Ligue communiste (c'est ainsi qu'on appelait le

4 Parti communiste depuis 1953).

5 M. Kehoe (interprétation). - Je suppose que le Président Tito

6 était d'accord, mais dans quelle mesure était-il d'accord avec la

7 décentralisation ?

8 M. Donia (interprétation). - C'était en fait la dernière

9 tentative de réforme de la vie politique entreprise par Tito en ex-

10 Yougoslavie.. Il était vivement préoccupé et il cherchait à trouver un

11 successeur. On aurait pu penser qu'il voulait avoir un successeur fort

12 mais, en fait, il n'en voulait pas du tout. Il voulait être certain que

13 personne ne pourrait s'assurer le pouvoir et le concentrer entre ses

14 mains.

15 Il a, dès lors, établi un système de décentralisation extrême et

16 des mécanismes extrêmement complexes pour prévoir la vie après Tito. Il a

17 été établi dans la constitution de 1974 qu'il y aurait une présidence

18 fédérale. Il y avait d'autres organes et institutions, mais la présidence

19 fédérale était censée être l'organe principal. Cette présidence était

20 censée élire un président et il était convenu qu'il y aurait un roulement

21 annuel. Chacune des entités constituant la Yougoslavie devait prévoir un

22 candidat qui, à son tour, deviendrait président.

23 Ce roulement se faisait par république, ou par entité, et la

24 présidence ne devait durer qu'un an. De fait, cela a paralysé

25 l'institution qu'était la présidence après la mort de Tito, le 4 mai 1980.

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1 La mort de Tito, en fait, devait déclencher des turbulences

2 internes. C'est du moins ce à quoi on s'attendait. Mais à la surprise de

3 beaucoup, ce ne fut pas le cas. Il faudrait attendre encore onze ans avant

4 que ne se produise la véritable désintégration du pays.

5 Il n'empêche que les événements des années 80 tendaient, à

6 certains égards, vers la dissolution finale du pays. Tout d'abord, la

7 discussion et le dialogue politique ont gagné chaque jour en liberté : il

8 y avait auparavant des contraintes, au moment du socialisme, mais ces

9 contraintes ont commencé à disparaître. Au cours des années 80, dans toute

10 la Yougoslavie, est apparue une presse plus libre et plus agressive. Cela

11 correspondait aussi au processus de décentralisation. A la fin des années

12 80, des pressions se faisaient sentir en vue d'un pluralisme qui devait

13 s'établir en Yougoslavie.

14 La crise économique a constitué un autre facteur dont il faut

15 tenir compte. L'hyper inflation, qui s'est développée et qui avait

16 commencé vers le milieu des années 80, n'a été maîtrisée que peu de temps

17 en 1989, mais aussitôt après il s'est produit une détérioration

18 considérable de la Yougoslavie, depuis la mort de Tito jusqu'en 1990.

19 De surcroît, il s'instaure de plus en plus un dialogue

20 nationaliste en Yougoslavie. En 1987, avec la prise d'influence de

21 Slobodan Milocevic, on voit pour la première fois le Parti communiste

22 serbe pris en main par des gens qui ont une plate-forme et un programme

23 nationalistes.

24 M. Kehoe (interprétation). - Pourrait-on dire, Monsieur Donia,

25 que dans les différentes républiques, et plus précisément en Serbie, en

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1 Bosnie et en Croatie, il y avait des problèmes dans les années 80, mais

2 que ces problèmes étaient quelque peu différents ?

3 M. Donia (interprétation). - Ils sont différents, effectivement.

4 N'oublions pas que les républiques sont en rivalité. Elles essaient

5 d'obtenir, chacune, les ressources fédérales pendant cette période. Ce ne

6 sont pas des nationalités qui sont en rivalité, mais, par exemple, la

7 Bosnie, qui était une république avec trois ethnies, trois nationalités,

8 et qui essayait d'obtenir des ressources, était en rivalité avec la

9 Serbie, la Croatie, le Monténégro et aussi la Macédoine. Cela signifiait

10 dans bien des cas que les personnes appartenant à ces nationalités en

11 Bosnie travaillaient main dans la main pour promouvoir les intérêts de la

12 République de Bosnie.

13 Cette émergence du pluralisme en Bosnie, qu'on peut faire

14 remonter à 1987, adopte une forme différente ; elle n'adopte pas des

15 formes spécifiquement nationalistes dans ces années qui vont de 1987 à

16 1989.

17 Les premiers signes, peut-être, d'une fissure dans cette

18 organisation apparaissent en 1987, lorsqu'un scandale devient de notoriété

19 publique et porte sur l'entreprise intitulée Agrokomerc. Il s'agit d'une

20 entreprise spécialisée dans la production de denrées alimentaires au nord-

21 est de la Bosnie. Ce scandale porte sur l'émission de bons du trésor, et

22 cela nous rappelle un peu tout ce qui s'est produit au moment des OPA aux

23 Etats-Unis. Cela a déclenché toute une série de révélations et

24 d'accusations quant à l'utilisation et au mauvais usage de fonds publics

25 et de bons qui n'étaient pas soutenus de façon collatérale.

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1 Cela a abouti à la démission de M. Hamdija Pozderac, qui était

2 alors membre de la Présidence fédérale pour la Bosnie. Je vous ai parlé de

3 ce processus de roulement très complexe. Ce monsieur était censé devenir

4 le prochain Président. M. Abdic, administrateur de l'entreprise Agrokomerc

5 qui était à l'origine de l'émission des bons, a été arrêté et incarcéré,

6 et il s'est ouvert une longue période d'instruction qui n'a jamais

7 débouché sur quoi que ce soit de probant.

8 Nous en arrivons à 1988 et au scandale Neum. Des accusations ont

9 été portées à juste titre selon lesquelles le chef du parti principal en

10 Bosnie utilisait les avantages qui lui revenaient en tant que dirigeant de

11 parti pour construire des villas de luxe sur la seule partie de Bosnie se

12 trouvant sur la côte adriatique. C'est un scandale qu'ont révélé des

13 journalistes d'investigation, et ils ont été soutenus par l'Alliance de la

14 Jeunesse socialiste en Bosnie-Herzégovine qui, par la suite, s'est opposée

15 à ce que soit renouvelé les mandats de certains dignitaires de la vieille

16 garde à des postes gouvernementaux.

17 Il y a donc eu une coalition, en Bosnie, entre les jeunes

18 (surtout les membres de l'Alliance de la Jeunesse socialiste) et les

19 journalistes d'investigation.

20 Il s'introduit ainsi le pluralisme et la discussion libre dans

21 les organes de la Ligue communiste de Bosnie. C'est un conflit de

22 générations davantage qu'un conflit ethnique ou national en Bosnie.

23 En novembre 1988, il y eut une enquête sur une dissension

24 estudiantine à l'université de Sarajevo et des policiers bosniaques sont

25 intervenus, ce qui a abouti à de nouvelles révélations dans la presse.

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1 En avril 1989, l'Assemblée de la République bosniaque adopte des

2 amendements à la constitution en prônant davantage de démocratie dans les

3 élections et l'économie de marché, et en voulant limiter le pouvoir

4 économique de la présidence.

5 C'est une structure qu'on connaît bien en Europe de l'Est : on

6 voit l'émergence du pluralisme sous les auspices d'organismes ou de

7 directions représentatives, en ce sens que l'assemblée elle-même décide de

8 passer à une ère de démocratie. Cela s'est répété sous diverses formes

9 dans les différentes Républiques et en bien des endroits d'Europe

10 orientale.

11 Le déclin et la fin de la Yougoslavie en tant que telle et des

12 institutions centrales de la Yougoslavie peuvent être en fait attribués,

13 pour leur début, à 1990. Il s'agissait d'essayer de répondre à tous les

14 conflits qui avaient éclaté, qu'ils soient constitutionnels ou

15 économiques, et pour ce faire, un congrès extraordinaire de la Ligue

16 communiste a été organisé. C'était le 14ème Congrès. De nombreux débats se

17 sont déroulés sans vraiment aboutir, et la délégation slovène, bientôt

18 suivie par la délégation croate, sort du 14ème Congrès en guise de

19 protestation. Par la suite, le Congrès est dès lors ajourné sine die.

20 Cela, à toute fin utile, élimine la Ligue communiste de

21 Yougoslavie en tant qu'institution centrale susceptible d'assurer la

22 cohésion en Yougoslavie, et ne laisse qu'une institution en place qui peut

23 affirmer représenter une unité nationale. Il s'agit de l'Armée nationale

24 yougoslave.

25 Les modifications constitutionnelles prévoyaient des élections

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1 pluralistes dans toutes les républiques en 1990. A cette date, on essayait

2 d'organiser des élections dans toute la Yougoslavie, mais ce ne fut jamais

3 le cas du fait de l'opposition manifestée par certains groupes. Il

4 n'empêche que cela a déclenché les élections par lesquelles nous avons

5 commencé notre exposé et qui ont amené au pouvoir les nationalistes

6 partout en 1990.

7 M. Kehoe (interprétation). - Avant ces élections, en novembre

8 1990, jetons un coup d'oeil à l'histoire par rapport aux deux Yougoslavie.

9 Qu'avez-vous tiré comme conclusion, vous, en tant qu'historien, de cette

10 évolution ?

11 M. Donia (interprétation). - La première observation à faire,

12 c'est que la Yougoslavie de 1990 est tout à fait différente de ce qu'elle

13 était au début du siècle. C'était un pays très modernisé et très urbanisé

14 par rapport à ce qu'était ce pays quatre-vingt-dix ans plus tôt.

15 Ce pays, par le biais d'efforts politiques, avaient voulu créer

16 une entité qui répondrait aux aspirations de grands groupes slaves. Ceux-

17 ci n'avaient pas vraiment réussi, mais il existait une conviction

18 largement répandue quant à l'idée qu'il était possible de coexister et de

19 parvenir à un accord constitutionnel et politique qui soit en mesure de

20 maintenir l'ordre, de maintenir le pays intact. C'est donc une tendance

21 qui s'est dessinée dans les organisations politiques, dans une société où

22 les activités politiques nationalistes prenaient une dimension de plus en

23 plus importante et parvenaient à l'avant-plan de la scène politique.

24 Comme ce fut le cas dans d'autres pays d'Europe orientale, le

25 socialisme avait été en grande partie discrédité en tant que système

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1 économique. Le système monopartite centralisé avait, lui aussi, été

2 discrédité en tant que système politique, et je pense que cela a laissé la

3 Yougoslavie en général, et la Bosnie en particulier, à la recherche d'un

4 dispositif qui lui permette d'aller de l'avant et d'entrer dans les années

5 90 en se basant sur une idée de coalition ou de dispositif constitutionnel

6 permettant d'assurer la cohésion entre les aspirations de chacun des

7 groupes.

8 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, nous allons

9 passer à un sujet tout à fait différent, mais je sais que vous avez dit

10 qu'à titre général, vous souhaitiez terminer vers 13 h.

11 M. le Président. - Oui, Monsieur le Procureur. Je crois que

12 l'exposé de M. Donia se termine sur les années 90, qui vont concerner plus

13 directement le procès en cours. Je propose donc que nous fassions la pause

14 et que nous reprenions à 15 h, avec la suite de la déposition de M. Donia.

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16 L'audience est suspendue à 13 h 00.

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19 L'audience est reprise à 15 heures 05.

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21 (L'accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d'audience.)

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23 M. le Président. - Monsieur le Procureur peut-être que

24 l'huissier pourrait faire entrer M. Donia.

25 M. Kehoe (interprétation). - Je crois qu'il est sorti pour le

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1 faire, Monsieur le Président.

2 M. le Président. - En attendant qu'il arrive, Monsieur le

3 Procureur, pensez-vous que la déposition de M. Donia va prendre tout

4 l'après-midi et qu'elle se poursuivra demain ? Vous connaissez les

5 questions que vous allez poser, mais bien sûr vous n'en connaissez pas les

6 réponses.

7 M. Kehoe (interprétation). - J'ai des questions à poser et je

8 crois que nous allons en terminer cet après-midi.

9 M. le Président. - Donc vous pouvez prévoir éventuellement, mais

10 nous en reparlerons tout à l'heure, s'il y a d'autres témoins pour cette

11 semaine.

12 M. Kehoe (interprétation). - Volontiers, Monsieur le Président.

13

14 (Le témoin, M. Donia, est introduit dans la salle d'audience.)

15

16 M. le Président - Alors, Monsieur Donia, vous vous êtes reposé

17 et remis. Etes-vous prêt à continuer ?

18 M. Donia (interprétation) - Oui, je le suis.

19 M. le Président. - Alors, allons y.

20 M. Kehoe (interprétation). - Avant de commencer, aux fins du

21 compte rendu d'audience, j'aimerais verser la pièce 17 qui est la carte de

22 1941 dont parlait M. Donia ce matin. Dans la même veine, avec la

23 permission de l'huissier, nous aimerions que la pièce 5, versée par

24 l’accusation, soit versée au dossier. C'est la carte de la Yougoslavie de

25 1991. Je demande qu'elle soit placée sur le rétroprojecteur.

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1 M. le Président - Monsieur le Procureur, allez y ?

2 M. Kehoe (interprétation). - Je vous remercie,

3 Monsieur le Président. Monsieur Donia, nous en étions restés ce matin en

4 1990. Pour cette période postérieure à 1990, y a-t-il des tendances que

5 vous avez identifiées et qui peuvent expliquer les événements

6 catastrophiques que nous avons connus en Bosnie jusqu'en 1993 ?

7 M. Donia (interprétation) - Jusqu'à présent nous avons procédé

8 par un ordre chronologique, et il est ainsi facile de comprendre les

9 événements qui se sont déroulés après 1990, en comprenant les grandes

10 tendances qui se sont esquissées dans la région et pour voir ce qu'il en

11 est de l'esquisse que j'ai préparée pour ces années.

12 Tout d'abord, il y a les différentes variantes du nationalisme

13 et ce qu'on pourrait appeler la grande coalition serbe, notamment

14 s'agissant du rôle qu'elle a joué en Bosnie ; ensuite, le renforcement des

15 armées de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.

16 Quatrième point, la participation de la communauté

17 internationale dans ces terres qui ont constitué la Yougoslavie, et

18 surtout la Bosnie.

19 Enfin, la transformation de la communauté démocratique croate en

20 Bosnie.

21 Voilà les cinq tendances dont je voudrais vous entretenir pour

22 ce qui est de la période qui a suivi 1990.

23 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on dire que ces tendances sont

24 concurrentes dans bien des cas ?

25 M. Donia (interprétation) - Effectivement, elles sont

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1 simultanées et souvent difficiles à désenchevêtrer. Nous allons essayer

2 de les examiner une par une dans l’espoir de comprendre la séquence des

3 événements qui se sont produits.

4 M. Kehoe (interprétation). - Allez-y.

5 M. Donia (interprétation) - La première tendance concerne les

6 différentes variantes de nationalisme. Je vous ai dit que les leaders

7 nationalistes sont arrivés au pouvoir grâce aux élections de 1990 dans

8 toutes les républiques.

9 En Bosnie, des représentants des trois grands partis

10 nationalistes sont arrivés à dominer l'assemblée d'après 1990. Néanmoins,

11 les formes qu’ont pris les différents nationalismes étaient différentes

12 telles qu'elles ont émergé dans cette période 1990.

13 Pour le Président Milosevic de Serbie et le nationalisme serbe,

14 le terme qui, je crois, qualifie le mieux le nationalisme de ce genre,

15 c’est le caractère expéditif de ceux-ci. Les termes dans lesquels

16 Milosevic décrit le nationalisme sont tels qu'il encourage ses partisans à

17 manifester dans la rue, manifestations qui ont pour objectif d'intimider

18 la direction communiste existante dans pratiquement toutes les

19 républiques, y compris le Monténégro, le Kosovo, la Voïvodine. Une

20 tentative de ce genre était lancée en Slovénie.

21 Quel en fut le résultat ?

22 Plusieurs des directions de ces provinces ont démissionné en

23 1988 et ont été remplacées par des personnes qui avaient plus de loyauté

24 envers ce concept qu'avait Milosevic, concept d'une Serbie plus grande.

25 En mars 1989, l'Assemblée serbe a adopté certains amendements à

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1 la constitution qui, à toutes fins utiles, ont mit fin à l'autonomie

2 qu'avaient le Kosovo et la Voïvodine. J'indique ici la région autonome au

3 Nord de la Serbie.

4 M. Kehoe (interprétation). - (hors micro.)

5 M. Donia (interprétation) - Oui, le Kosovo où il y a une forte

6 concentration d'Albanais au Sud de la Serbie. Ces régions ont vu leurs

7 organes exécutifs suspendus après mars 1989 et cela du fait de l'Assemblée

8 Serbe. Ces amendements constitutionnels étant en place, de nouveaux

9 pouvoirs ont été obtenus du fait du contrôle de l'Assemblée et de la

10 direction prise dans les régions dont j’ai parlé.

11 Au Monténégro, Milosevic avait une position de force et il a

12 donc dominé les événements qui se déroulaient dans la fédération

13 yougoslave à partir de ce moment-là. Cependant, il est apparu que le

14 nationalisme de Milosevic était surtout un outil très commode. Il a

15 abandonné par la suite cette stratégie vers le milieu des années 90.

16 Du fait de certaines pressions exercées contre lui, surtout par

17 la communauté internationale, du fait d'autres exigences, il a adopté un

18 cours dans sa politique qui, dans l'intervalle, est devenue tout à fait

19 différente du nationalisme qu'il prônait à la fin des années 80.

20 Sans trop entrer dans le détail quant à la nature politique de

21 ces modifications, je crois que pour décrire le nationalisme officiel dans

22 la Serbie de Milosevic, c'est vraiment le caractère expéditif de ce

23 nationalisme; alors que pour les Musulmans on pourrait parler de

24 souplesse, de flexibilité.

25 Les Musulmans de Bosnie, historiquement, au 20e siècle, se

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1 sentaient bien plus à l'aise dans une société pluriethnique et

2 plurireligieuse, bien plus que d'autres mouvements ayant une identité

3 ethnique et défendant un nationalisme.

4 C’est sans doute dû, en partie, à leur histoire puisqu'ils se

5 trouvent au milieu de deux zones d'influence, entre l'Est et l’Ouest, et

6 du fait qu'ils vivent en Bosnie-Herzégovine qui, elle-même, est une

7 société pluriethnique.

8 Au cours des élections de 1990, c'est surtout Fikret Abdic qui a

9 obtenu le plus de votes. Nous l'avons dit, il était directeur de

10 l'entreprise «Agrokomerc» et avait une orientation plus séculaire que le

11 Président Izetbegovic. Mais il a refusé de devenir Président de la

12 présidence bosniaque et il est retourné dans son enclave de Bihac.

13 C’est donc Izetbegovic qui est devenu Président.

14 Dès qu'il a pris la présidence de la Bosnie, M. Izetbegovic et

15 le Président de Macédoine ont été les premiers à chercher une solution

16 confédérale à la désintégration de la Fédération socialiste. Cela s'est

17 produit au cours d'une série d'entretiens en 1991 qui se sont déroulés

18 entre janvier et fin mars, appelés les entretiens de YU.

19 Cela n'a pas eu comme résultat ce que ces deux hommes

20 escomptaient. Sans doute en grande partie parce que le Président Milosevic

21 a réussi, en fait, à déjouer beaucoup de leurs ambitions. Mais

22 manifestement, l'intention de M. Izetbegovic était de trouver une solution

23 confédérale. Solution qui aurait permis de conserver des liens, fussent-

24 ils souples, entre les différentes composantes de la Fédération

25 yougoslave.

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1 Pour ce qui est des Croates, si l'on veut d'écrire en un mot la

2 nature de leur nationalisme dans cette période postérieure à 1990, on

3 pourrait vraiment parler de continuité.

4 Le sens que prenait le nationalisme croate a été déterminé, plus

5 que par quiconque d'autre, par le Président Tudjman. Dans des écrits qui

6 remontent à l'époque où il était historien -et il y a des écrits

7 considérables datant de cette période-, il semble avoir alors adopté un

8 avis dont il ne s'est jamais écarté. De fait, le Président Tudjman n'a

9 jamais dissimulé ses intentions annexionnistes à l’égard de la Bosnie-

10 Herzégovine.

11 Il avait prévu la publication d'un ouvrage en anglais, aux

12 Etats-Unis, en 1981, livre intitulé : «Le nationalisme dans l'Europe

13 contemporaine», où il a exprimé certains de ses avis

14 M. Kehoe (interprétation). - Avec votre permission, je

15 demanderai à l'huissier de vous remettre ce qui serait la pièce de

16 l'accusation n° 18. C'est le seul exemplaire que nous ayons. Il n'a pas

17 encore été traduit en français, mais il le sera.

18 Monsieur Donia, avant que nous ne parlions de façon précise de

19 certaines pages qui sont jointes à la pièce 18, que pouvez-vous nous dire

20 de façon générale ?

21 M. Donia (interprétation). - Cet ouvrage s'intitule «Le

22 nationalisme en Europe ». Il a été publié à Munich, à peu près à la même

23 époque dans la langue qu'on appelait encore le Serbo-croate, puis en

24 Europe, à Zagreb, en 1990.

25 Les extraits que nous avons sous les yeux sont un exemplaire qui

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1 se trouve à la librairie du Congrès aux Etats-Unis. Il a été publié aux

2 Etats-Unis par une maison d'édition du Colorado et distribué par Columbia

3 Press.

4 M. Kehoe (interprétation). - Un index indique que de nombreuses

5 questions sont discutées dans cet ouvrage. Est-ce exact ?

6 M. Donia (interprétation). - Oui. On peut dire de ce livre que

7 c'est une analyse approfondie et d'une grande portée. Une partie de cet

8 ouvrage porte sur les questions posées par les nationalismes en

9 Yougoslavie.

10 M. Kehoe (interprétation). - Les pages que nous avons sous les

11 yeux, jointes en annexe à cette pièce 18, nous intéressent en particulier,

12 je parle ici des pages 112 à 115 ?

13 M. Donia (interprétation). - Oui. Puis-je avoir un autre

14 exemplaire ?

15 (M. Donia reçoit un nouvel exemplaire.)

16 Dans le dernier paragraphe, à la page 112, qui commence là où je

17 l'indique avec le pointeur, on peut voir qu'encore une fois, écrivant en

18 temps qu'historien, M. Tudjman dit quelques mots sur les décisions prises

19 après la seconde guerre mondiale et visant à unir ou associer la Voïvodine

20 en tant que région autonome à la Serbie.

21 Il dit ceci : «Plusieurs raisons peuvent être données en faveur

22 de la décision d'unir la Voïvodine à la Serbie. Les deux régions ont des

23 liens historiques, nationaux, économiques et culturels très forts et leur

24 union répond également à l'intérêt de la communauté d'Etats dans son

25 ensemble. La délimitation des frontières pour la Voïvodine et la Serbie

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1 est une question différente et sera examinée plus loin. Cela étant, il y a

2 de nombreuses indications... "

3 Il y a quelques erreurs de frappe.

4 "... comme quoi les mêmes critères logiques n'ont pas été

5 appliqués dans le cas de la Bosnie-Herzégovine. Ce qui en vertu du même

6 critère aurait dû faire partie de l'entité fédérale. La Bosnie-Herzégovine

7 a été déclarée République fédérale séparée dans le cadre des frontières

8 établies durant l’occupation turque.».

9 M. Kehoe (interprétation). - Excusez-moi, lisez plus lentement

10 si vous voulez bien.

11 M. Donia (interprétation). - «Mais de grandes parties de la

12 Croatie ont été incorporées dans la Bosnie par les Turcs. Qui plus est, la

13 Bosnie-Herzégovine est historiquement liée à la Croatie. Ces deux régions

14 constituent ensemble une entité géographique et économique indivisible.

15 La Bosnie-Herzégovine occupe la partie centrale de cet ensemble

16 qui sépare le sud, c'est-à-dire la côte Dalmate du nord de la Croatie, à

17 savoir la Pannonie.».

18 M. Kehoe (interprétation). - Voulez-vous remettre la carte sur

19 le rétroprojecteur pour nous montrer de quelles régions on parle dans ce

20 paragraphe. Il s'agit de la pièce n° 5. Pouvez-vous utiliser cette carte,

21 Monsieur Donia, pour décrire les propos de M. Tudjman ?

22 M. Donia (interprétation). - Je relis cette phrase : «La Bosnie-

23 Herzégovine occupe la partie centrale de cet ensemble.»

24 Il s'agit donc du triangle que je montre maintenant. Il sépare

25 la partie sud de la Croatie, à savoir la côte Dalmate, de la partie nord

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1 de la Croatie, à savoir la Pannonie.

2 «La création d'une Bosnie-Herzégovine séparée rend la position

3 géographique de cette région extrêmement difficile sur le plan économique,

4 donc aussi sur le plan politique. Ce qui entrave le développement de la

5 République. Cela met aussi cette région dans une situation difficile sur

6 le plan administratif. Ces facteurs expliquent en grande partie pourquoi

7 l'accord de 1939 intervenu entre Belgrade et Zagreb..."

8 M. Kehoe (interprétation). - Pourrait-on demander au témoin de

9 placer de nouveau le livre sur le rétroprojecteur, s’il vous plaît,

10 Monsieur Jorda, que l’on puisse voir la traduction à l’écran ?

11 M. le Président. - Pouvez-vous replacer le livre sur le

12 rétroprojecteur pour que nos interprètes puissent en faire la traduction

13 en même temps ? Merci.

14 M. Donia (interprétation). - Voilà. Où en étais-je ?

15 M. le Président. - Vous étiez en train de lire, sur le livre, le

16 texte du deuxième paragraphe de la page 113 qui commence par : «Ces

17 facteurs expliquent largement pourquoi en 1939...». Voilà, où moi-même

18 j’en étais.

19 M. Donia (interprétation). - Oui, exactement. Je disais donc

20 que : «Ces régions incluaient dans la Panovina de Croatie les zones de la

21 Bosnie, l'ensemble de l’Herzégovine occidentale, ainsi que Mostar et les

22 districts bosniaques où les Croates détenaient une claire majorité. Il

23 s'agit de Bugojno, Fojnica, Travnik, Derventa, Gradacac et Brcko.»

24 Je voudrais ici faire une brève pause pour expliquer ce que veut

25 dire M. Tudjman.

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1 Si l'on se réfère au recensement de 1991 et si l'on examine ces

2 six districts, je vous donne ici les résultats du recensement de 1991 et

3 les pourcentages de Croates qui se proclament comme tels dans ces divers

4 districts.

5 Bugojno 34,1 %

6 Fojnica 40,0

7 Travnik 36,9

8 Derventa 39,0 %

9 Gradacac 15,0 %

10 Brcko 25,4 % »

11 Voilà les chiffres du recensement de 1991 qui nous viennent de

12 la même source que cette carte qui se trouve sur le chevalet. Ces chiffres

13 sont mentionnés au dos de la carte.

14 Ainsi donc, dans aucun de ces districts en 1991, il n'y a de

15 majorité croate. De fait, la seule façon de parvenir à ces chiffres et de

16 pouvoir dire que les six districts en question comptent une majorité

17 croate claire est d’y inclure la population musulmane. Effectivement,

18 M. Tudjman poursuit son analyse en disant exactement cela. Au paragraphe

19 suivant, toujours page 113, il dit : « Il fait peu de doute quant aux

20 principales raisons pour lesquelles la Bosnie-Herzégovine en tant qu'état

21 fédéral séparé est marqué par une composition mixte sur le plan

22 démographique et le fait que, depuis le dernier siècle, une controverse

23 oppose les dirigeants politiques croates et serbes pour ce qui est de

24 l'appartenance de la Bosnie-Herzégovine.

25 La décision, par conséquent, de faire de la Bosnie-Herzégovine

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1 une entité fédérale séparée a été prise comme une position impartiale. La

2 Croatie a des revendications à l’égard de la Bosnie-Herzégovine, étant

3 donné l'histoire commune de ces deux régions et le fait qu'elles

4 constituaient un ensemble géopolitique par le passé. Les revendications de

5 la Serbie se fondent sur les droits naturels des Serbes en tant que

6 population orthodoxe qui se trouvaient, à raison de 44 %, dans ce

7 territoire tandis que les Croates catholiques ne représentent que 24 % de

8 la population et les Musulmans 33 %, bien que la population orthodoxe soit

9 une minorité par rapport à la population catholique et musulmane réunie

10 qui ensemble représentait une majorité de 56 %. »

11 M. Kehoe (interprétation). - Excusez-moi, Monsieur Donia,

12 l'huissier va tourner la page.

13 (Intervention de l'huissier.)

14 M. Donia (interprétation). - J'en suis en haut de la page 114.

15 Je venais de parler de la majorité de 56 % constitués par les Catholiques

16 et les Musulmans qui est passée à 62 % à l'époque du livre.

17 « La partie serbe a insisté sur le droit de l'épée, étant donné

18 que la Serbie avait participé à la Première guerre mondiale du fait de la

19 Bosnie Herzégovine et était sortie vainqueur du conflit. Un examen

20 objectif de la composition numérique de la population de Bosnie-

21 Herzégovine ne peut ignorer le fait que la majorité des Musulmans, par

22 leur caractère ethnique et leur langue, est de toute évidence d'origine

23 croate.

24 Malgré des distinctions religieuses et culturelles créées par

25 l'histoire, la grande majorité des Musulmans se sont déclarés Croates

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1 chaque fois que l'occasion s'est présentée. Cela a été le cas en 1920, de

2 la part des représentants Musulmans à l'Assemblée constituante. »

3 Entre parenthèses, je précise avoir déjà parlé de ce phénomène.

4 Effectivement, les délégués à l’Assemblée constituante, dans leur

5 majorité, se sont déclarés en majorité à coloration croate. C'est le terme

6 que j’avais employé. Je poursuis ma lecture.

7 « Cela a été également fait par des intellectuels et des masses

8 musulmanes durant la Panovina croate et l'état indépendant de Croatie,

9 entre 1941 et 1945 tandis que tous les Musulmans et les Catholiques de

10 Bosnie-Herzégovine acceptaient cet état indépendant de Croatie comme étant

11 le leur. Le fait historique, pour ce qui est de l'attitude de la

12 population musulmane durant la Deuxième guerre mondiale, est incarné par

13 de nombreux exemples dans les mémoires de guerre de Dovan Dilac. »

14 Je vous rappelle qu’il avait été un dirigeant communiste

15 important. Le fait que la population musulmane soit largement croate a été

16 reconnue entre les deux guerres par Svetozar Pribicevic qui était l'un des

17 champions les plus résolus de l'unité serbe et de la grande Serbie. A

18 propos des Musulmans bosniaques, il a écrit : « Leurs intellectuels sont

19 dans une grande majorité d'orientation croate et les masses suivent

20 aveuglément les intellectuels dans toutes leurs décisions politiques. Il

21 ne peut y avoir d'erreurs sur ce plan. Le système hégémonique, en

22 particulier, signifie que les Musulmans bosniaques dans leurs aspirations

23 et leurs vues concernant l’avenir du pays s'identifient complètement avec

24 les Croates. Tout homme politique serbe qui ne prendrait pas ce fait en

25 considération ne peut être pris au sérieux. Sur la base de ces faits, nous

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1 en arrivons à la conclusion qu'une majorité de la population de Bosnie

2 Herzégovine est croate ».

3 Voilà l'argumentation que développe M. Tudjman en tant

4 qu'historien. Il cite, bien entendu, des politiciens serbes, et notamment

5 les mémoires de Milovan Jelas. On pourrait souhaiter qu'il ait examiné

6 aussi les résultats du recensement qui se tenait en Bosnie tous les dix

7 ans, et ce depuis un siècle. Je voudrais, à ce stade, vous donner une idée

8 de ce que révèlent ces recensements, pour ce qui est de l'identité

9 affichée par les Musulmans de Bosnie-Herzégovine.

10 M. Kehoe (interprétation). - Avant que vous ne commenciez,

11 monsieur le Président, M. Donia va passer en revue certaines statistiques

12 qui ont été fournies au conseil de la défense. Poursuivez, monsieur Donia

13 je vous en prie.

14 M. Donia (interprétation). - Le recensement de 1948 posait la

15 question suivante : « religion » et donnait un choix aux habitants de

16 Bosnie-Herzégovine quant à la nationalité, mais cela n'incluait pas la

17 nationalité musulmane de Bosnie. C'est donc un cas où les Musulmans de

18 Bosnie étaient à même de se déclarer soit serbe, soit croate.

19 890 094 personnes se sont déclarées de foi musulmane.

20 Sur celles-ci, (inaudible) se sont déclarées de nationalité

21 croate, ce qui représente une augmentation du nombre de Croates de 8 %. A

22 peu près trois fois autant se sont déclarés Serbes, soit 71 125. C'était

23 là la première occasion d'après-guerre pour les Musulmans de Bosnie de se

24 déclarer de nationalité croate ou serbe.

25 Encore une fois, en 1953, il y a eu un recensement sans qu'il

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1 soit possible de se déclarer Musulman de nationalité. Mais, 891 800

2 personnes ont opté alors pour la nationalité yougoslave. En 1961, il

3 devient possible d'opter pour la nationalité musulmane, dans le cadre du

4 recensement, et 842 000 personnes l'ont effectivement fait. Ces chiffres

5 continuent à augmenter. En 1971, on enregistre 1 482 430 Musulmans et en

6 1981, 1 630 033 Musulmans. Enfin, en 1991, on enregistre tout juste un peu

7 plus de 1 900 000 Musulmans.

8 M. Kehoe (interprétation). - Etant donné les commentaires de

9 M. Tudjman, que tirez-vous comme conclusions de ces statistiques ?

10 M. Donia (interprétation). - De toute évidence, les Musulmans de

11 Bosnie ont eu plusieurs fois l'occasion de se déclarer soit serbe soit

12 croate, de par leur nationalité. Or, très peu l'ont fait, et cela est

13 suffisamment éloquent quant à l'absence d’identité très profonde, de la

14 part de la population musulmane comme étant ou bien croate ou bien serbe.

15 Outre les écrits de M. Tudjman lui-même, on retrouve les

16 observations des personnes extérieures qui l'ont connu durant les

17 négociations qui se sont tenues alors qu'il avait déjà pris la présidence

18 de la Croatie. En 1993, ces observations comprennent celles de Lord Owen,

19 qui avait bien entendu rencontré le président Tudjman, lors des

20 négociations de 1992 et 1993. Lord Owen a publié ses mémoires récemment

21 qui s'intitulent « Odyssée dans les Balkans ». On peut y lire ceci : « Le

22 nationalisme de M. Tudjman est ouvert. Il a un but dans la vie, celui de

23 prendre le contrôle de tous les territoires qu'il croit appartenir

24 historiquement à la Croatie. A cette fin, il utilisera tous les moyens

25 possibles. Il le fera avec le sourire ou en manifestant sa colère pour

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1 parvenir à ses fins. »

2 M. Zimmermann, ambassadeur des Etats-Unis en Bosnie à l'époque,

3 a rencontré à déjeuner le président Tudjman pour la première fois, après

4 sa victoire. Il a ensuite écrit dans un livre qui a été publié cette

5 année : « Au contraire de Milosevic qui veut le pouvoir, Tudjman traduit

6 une obsession nationaliste. Son dévouement à la Croatie est entier. La

7 Bosnie, d'après lui, fait partie historiquement de la Croatie et a

8 toujours été dans la sphère géopolitique de la Croatie. Non seulement des

9 Croates vivent en Bosnie, mais la plupart des Musulmans de Bosnie se

10 considèrent comme Croates ».

11 Enfin, la cohérence et le caractère systématique des vues de

12 M. Tudjman sont démontrées à plusieurs reprises par ce qu’écrit Lord Owen

13 dans ces mémoires. M. Tudjman, tout à fait ouvertement, a parlé au nom des

14 Croates de Bosnie sans s'en cacher. Lord Owen cite un incident survenu le

15 9 juillet 1993, pour lequel il indique que, pendant le déjeuner, Tudjman a

16 semblé accepter à regret que l'arithmétique seule faisait qu'il faudrait

17 céder Vitez et Novi Travnik aux Musulmans. Encore une fois, en

18 décembre 1993, lors de nouveaux pourparlers, il est dit que : « Le

19 gouvernement croate, une fois de plus, sans aucune tentative de fixer une

20 politique aux Croates de Bosnie, déclare à l'ambassadeur des Etats-Unis à

21 Zagreb qu'il doit y avoir 17,5 % pour toute république à prédominance

22 croate et qu'en aucune circonstance, Vitez et Busovaca ne peuvent être

23 cédées. La position officielle a été exposée dans une lettre adressée par

24 le président Tudjman en date du 20 décembre 1993. »

25 M. Kehoe (interprétation). - Je vous arrête là, monsieur Donia.

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1 Vitez et Busovaca se trouvent-elles bien dans la vallée de la Lasva ?

2 M. Donia (interprétation). - Oui.

3 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez.

4 M. Donia (interprétation). - J'ai essayé d'expliquer en quoi

5 consistait le nationalisme de chacune des parties et j'ajouterai à ces

6 observations déjà faites jusqu'ici, le fait qu'il y a une autre variante

7 du nationalisme croate en Bosnie qui est menée par la personne qui a

8 remporté le plus de voix dans les élections de 1990, à savoir

9 M. Stjepan Kljuic.

10 C'est manifestement un nationaliste croate, mais il est en

11 faveur d'une Bosnie-Herzégovine unifiée et il voudrait réaliser son

12 ambition dans le cadre de cette Bosnie-Herzégovine unifiée. J'aurai

13 l'occasion de revenir sur son rôle un peu plus tard.

14 Voilà les trois variantes du nationalisme qui ont joué un rôle

15 important dans les événements qui ont suivi 1990. Ces variantes se

16 retrouvent dans les échéances différentes. Il n'y a pas de doute qu'il y

17 avait une aspiration annexionniste de la part de la Serbie vis-à-vis de la

18 Bosnie-Herzégovine, aspiration qui s'est manifestée pendant très longtemps

19 au long de l'histoire. Il est manifeste aussi que les dirigeants Musulmans

20 de Bosnie ont essayé de parvenir à un compromis et de réduire ces

21 facteurs. Les nationalistes croates, pour leur part, ont émergé en Croatie

22 et ont fait preuve d'un esprit de suite remarquable au fil du temps.

23 La deuxième tendance que je constate est l'émergence d'une

24 alliance pour une grande Serbie.

25 M. Kehoe (interprétation). - Avant de passer à ce point, je

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1 voudrais que l'huissier replace la carte n° 5 sur le rétroprojecteur. A ce

2 stade, nous demandons que soit versée au dossier la pièce n° 18 qui

3 consiste en un extrait de l’ouvrage de M. Tudjman.

4 M. Donia (interprétation). - Cette alliance pour une grande

5 Serbie avait en son centre la JNA, l'armée populaire yougoslave, car la

6 JNA a rendu possible les événements terribles lancés par les nationalistes

7 serbes, tant en Croatie qu’en Bosnie-Herzégovine par la suite

8 M. Kehoe (interprétation). - La JNA, il s'agit bien de l'armée

9 populaire yougoslave ?

10 M. Donia (interprétation). - Oui. J'avais utilisé l'abbréviation

11 serbo-croate. La JNA donc. Les membres de cette alliance étaient

12 Milosevic, pour la République de Serbie, ou ce qu'on appelle l'Etat

13 croupion de Yougoslavie, la JNA elle-même, les Serbes qui habitaient la

14 région de la Krajina de Croatie.

15 Souvenez-vous que je vous ai montré, sur une carte, la frontière

16 militaire ancienne. Ce sont là des régions où beaucoup de Serbes

17 résidaient occupant une espèce d'arc, avec pour ville principale Knin, que

18 je montre maintenant sur la carte.

19 A peu près 600 000 Serbes, d'après le recensement de 1991,

20 vivaient en Croatie. Pour la plupart d'entre eux, ils étaient là depuis

21 plusieurs siècles, depuis le temps des migrations qui avaient été

22 encouragées pour assurer la garde de la frontière ou qui avaient été

23 encouragés à émigrer du fait de facteurs économiques.

24 Autre élément de cette coalition : les Serbes de Bosnie qui

25 étaient dispersés dans l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine, mais qui,

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1 durant 1991, ont occupé des parties importantes de la Bosnie, parties sur

2 laquelle ils ont affirmé leur contrôle militaire en 1992.

3 Et enfin, la chose la plus évidente, les paramilitaires qui

4 étaient utilisés par l'armée nationale yougoslave pour procéder au

5 nettoyage ethnique des Croates et des Musulmans pour les chasser de

6 Bosnie.

7 On peut citer trois événements importants dans l'évolution de

8 cette coalition. Je vais les aborder brièvement.

9 Tout d'abord, la guerre de dix jours en Slovénie. En juin 1991,

10 la Slovénie et la Croatie se déclarent indépendante. L'armée yougoslave

11 intervient ou essaie d'intervenir pour empêcher que les Slovènes déclarent

12 leur indépendance. Elle se heurte à une résistance inattendue, les

13 Slovènes essayant d'imposer leur contrôle, notamment dans certaines

14 installations militaires cruciales.

15 En quelques jours, l'armée nationale yougoslave décide de ne pas

16 remettre en cause l'indépendance décrétée par la Slovénie et de ne pas

17 envoyer davantage de troupes.

18 Après un bref conflit, un cessez-le-feu est donc conclu et

19 l'armée populaire yougoslave se retire de Slovénie, la laissant conquérir

20 son indépendance.

21 Le sort de la Croatie était différent. S'y trouvait en effet une

22 population serbe importante et des enjeux stratégiques plus importants

23 pour la JNA. Les événements de la fin de 1990 et de 1991 ont montré que la

24 JNA était prête à parrainer une insurrection des Serbes de Croatie et à

25 mener une guerre, en alliance avec les Serbes de Croatie contre les

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1 Croates.

2 Ce fut là un conflit très sanglant qui a coûté la vie à des

3 milliers de personnes. Cela a été aussi le premier incident de nettoyage

4 ethnique qui est survenu en Croatie et qui a représenté une menace très

5 grande pour la continuité de la République de Croatie.

6 On peut parler de deux régions clés que je devrais mentionnés à

7 ce propos. On revient à la carte. Il s'agit de la ville de Vukovar qui a

8 été assiégée pendant les semaines et qui, en fin de compte, a été

9 détruite. Vukovar se trouve ici même, sur la frontière. Il s'agissait

10 d'une belle ville centrale européenne, baroque, qui a été totalement

11 détruite et qui s'est remise à la JNA le 17 novembre 1991.

12 La deuxième ville importante est la ville de Dubrovnic. Les

13 attaques de la ville de Dubrovnic ont soulevé une grande attention à

14 l'échelle internationale, en raison des destructions qui y ont été faites.

15 Les dommages causés y ont été inférieurs à ceux qui ont été provoqués dans

16 les autres régions de la Croatie, mais ils ont néanmoins axé l'attention

17 internationale sur la guerre en Croatie.

18 Cette guerre s'est terminée par un cessez-le-feu, en janvier

19 1992, cessez-le-feu qui a été obtenu par la médiation de l'ancien

20 secrétaire d'Etat américain, Cyrus Vance, et qui a eu pour résultat le

21 déploiement de la FORPRONU à travers la Croatie au commencement du

22 printemps 1992.

23 Le troisième événement important fut la guerre en Bosnie elle-

24 même. L'armée populaire yougoslave a suivi une ligne de conduite analogue

25 à celle qui était faite dans le cadre de la guerre de Croatie. En effet,

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1 il y a eu coopération avec la direction serbe de Bosnie qui a axé ces

2 opérations sur les villes de la Bosnie orientale et a conquis de grandes

3 portions du territoire de la Bosnie occidentale également.

4 J'indique avec mon pointeur ces villes de Bosnie orientale qui

5 sont tombées suite aux opérations coordonnées de la JNA et des forces

6 paramilitaires qui effectuaient le gros des opérations de nettoyage

7 ethnique dans la région frontalière entre la Bosnie et la Serbie au cours

8 du printemps 1992, notamment dans la Bosnie occidentale, dans la région

9 autour de Banja Luka.

10 L'armée yougoslave est arrivée à la même décision que dans le

11 cas de la Croatie. Stratégiquement, elle avait intérêt à assurer que la

12 Bosnie et l'Herzégovine ne deviennent pas un Etat unique et puisse se

13 détacher de la Fédération yougoslave. Pour ce faire, elle a poursuivi ses

14 objectifs de manière très brutale et par une guerre très onéreuse.

15 Si la coalition des Serbes était diabolique, dans le cas de la

16 Croatie, elle a été fragile et c'est surprenant dans le cas de la Bosnie.

17 Cette coalition s'était manifestée et devenait plus faible en

18 1993, lorsque Milosevic avait décidé d'accepter le plan de paix Vance-Owen

19 et avait contraint les Serbes de Bosnie à faire la même chose. Ils n'ont

20 pas voulu le suivre dans cet acte-là.

21 Puis, il y a eu division entre une partie de la direction des

22 Serbes de Bosnie d'un côté et Milosevic de l'autre, à la veille des

23 élections de 1996 en Bosnie, et plus récemment aux dernières élections de

24 mars 1997. En effet, Milosevic a voulu les soutenir. Mais ce soutien a été

25 conditionné par certains éléments, certains facteurs qui les a laissés

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1 sans soutien.

2 La stratégie de l'armée yougoslave était centrée sur la

3 nécessité d'appuyer les paramilitaires dans leurs opérations de conquêtes

4 des villes.

5 M. Kehoe (interprétation). - Vous parlez de paramilitaires. La

6 question est de savoir si ces groupes paramilitaires ont fait émerger des

7 personnalités connues ?

8 M. Donia (interprétation). - Oui, il s'agit de M. Ceceijle,

9 d'Arkan, M. Aznatoli connu comme Arkan. En effet, il s'agissait de forces

10 paramilitaires entraînées en Serbie avant l'éclatement des violences et

11 des atrocités en Croatie.

12 L'armée yougoslave n'a pas changé en Bosnie. Milosevic, entre-

13 temps, a promulgué une nouvelle constitution pour la République fédérale

14 de Yougoslavie, constitution qui a été conçue pour sanctionner la

15 constitution de la Yougoslavie fédérale, Serbie et Monténégro, cette

16 déclaration de leur indépendance.

17 En effet, l'armée yougoslave, aux termes de ces déclarations,

18 n'était pas autre chose qu'une force d'occupation. Par la suite, le

19 Président Izetbegovic a exigé le retrait complet de l'armée populaire

20 yougoslave de Bosnie.

21 Evidemment des préparatifs ont été faits préalablement et le

22 4 mai 1992, la présidence fédérale de la Yougoslavie a décrété le retrait

23 de toutes les troupes et de tous les ressortissants de l'armée populaire

24 yougoslave de cette République. Cela en accord avec les pressions faites à

25 l'extérieur sur le plan international exigeant le retrait de l'armée. Son

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1 potentiel militaire (matériel) et humain est resté sur place. La

2 constitution de ces forces avaient changé et a été placé sous le

3 commandement du général Ratko Mladic qui est resté leur commandant à ce

4 jour.

5 L'ancienne armée yougoslave est devenue l'armée des Serbes

6 bosniaques.

7 M. Kehoe (interprétation). - Vous pensez que désormais cette

8 armée s'appellera l'armée de la République Serbe, Republika Srpska, la

9 BRS.

10 M. Donia (interprétation). - Deuxième tendance qui avait des

11 conséquences négatives pour la Croatie et qui a été en quelque sorte

12 négative et c'était manifesté dès le mois de mars 1993, je veux parler de

13 la situation de la Bosnie-Herzégovine, la transformation de son armée qui,

14 jadis, n'était qu'une armée territoriale et qui, au fil du temps, est

15 devenue de plus en plus puissante.

16 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Donia, permettez-moi de

17 vous interrompre. Quand vous parlez de ces forces territoriales, pensez-

18 vous au plan de défense qui avait été hérité pour l'ensemble de la

19 République socialiste fédérale de Yougoslavie où on parlait de forces

20 territoriales qui se déployaient sur l'ensemble du territoire ?

21 M. Donia (interprétation). - Oui, ce sont ces forces qui étaient

22 conçues de cette manière au commencement, dans le cadre de la République

23 socialiste fédérative de Yougoslavie, en tant que forces de réserve dans

24 le contexte des forces officielles afin d'assurer que toute invasion

25 éventuelle puisse être repoussée.

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1 En effet, il s'agissait de limiter les armées faiblement armées

2 au commencement de la guerre, la JNA détenant le gros des devoirs et des

3 tâches.

4 Evidemment, cette armée s'est transformée au fil des trois

5 années et est devenue plus puissante et plus efficace sur les champs de

6 bataille.

7 Troisièmement, c'est l'engagement de la communauté

8 internationale, notamment en ce qui concerne la Yougoslavie en général, et

9 particulièrement en Bosnie. On se souvient des débats qui ont eu lieu

10 entre les Républiques qui se sont terminés sur les élections de 1990 et

11 qui s'étaient développées également à travers les négociations entre les

12 différents présidents des Républiques yougoslaves.

13 L'un des événements important a été l'indépendance de la

14 Slovénie et l'envoi d'une délégation de l'Union européenne qui devait

15 faire une médiation entre la Slovénie et la JNA. Cette médiation a abouti

16 et l'engagement de la Communauté européenne, à l'époque, s'était élargie

17 dans le cadre de l'ensemble de la région.

18 Cyrus Vance, représentant personnel du secrétaire-général des

19 Nations Unies, a été le médiateur dans le conflit en Croatie qui s'est

20 terminé sur le cessez-le-feu déjà mentionné et sur l'installation de la

21 FORPRONU.

22 On peut parler de cinq plans importants dans ces régions.

23 Ils ont été en quelque sorte imposés par la communauté

24 internationale et les parties en présence. En effet, je ne pourrai pas

25 parler de vingt-cinq, cinquante ou cent plans, mais je pourrai parler de

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1 plusieurs plans. Cinq plans sont tout de même essentiels.

2 Le premier est l'accord obtenu par la médiation de l'Union

3 européenne en 1992, donc le 23 février.

4 Le deuxième plan est le plan de paix Vance-Owen de janvier 1993,

5 sur lequel je m'étendrai un peu plus longuement dans quelques instants.

6 Le troisième plan a été établi par la combinaison de

7 propositions connues comme les propositions Owen-Stoltenberg de juin 1993

8 et jusqu'au début même de l'année 1994.

9 Le quatrième plan est l'accord de fédération entre les Croates

10 et le Gouvernement bosniaque, c'est-à-dire Croates/Musulmans, de mars

11 1994.

12 Enfin, il reste les arrangements en cours tombant sous le coup

13 de l'accord de paix de Dayton.

14 Le premier, l'accord de Lisbonne, a été le résultat d'une

15 réunion tenue à Lisbonne, à laquelle avaient participé le Président

16 Izetbegovic de Bosnie, Mate Boban, qui représentait les Croates de Bosnie,

17 et le représentant des Serbes de Bosnie. Ils s'étaient réunis non pas pour

18 partager -je n'aime pas le terme- mais pour créer ce qu’il a été convenu à

19 l'époque d'appeler des "cantons".

20 M. Kehoe (interprétation). - Des cantons de quelle nature ?

21 M. Donia (interprétation). - Des cantons sur le modèle suisse :

22 une autonomie, mais avec un gouvernement central qui aurait certains

23 pouvoirs et qui pourrait décider de l'établissement de différentes zones,

24 de différents cantons pour satisfaire les aspirations de divers groupes.

25 Cela a été annoncé par le Président Izetbegovic à son retour de

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1 Lisbonne.

2 Une deuxième réunion a eu lieu dans un délai de trente jours,

3 mais la situation évoluait également dans le sens d'une confrontation. Si

4 on devait retenir une date, il conviendrait de mentionner le mois de

5 février 1992, date du référendum en Bosnie. Le référendum a été en quelque

6 sorte la date limite pour l'obtention d'un accord. Evidemment, cet effort

7 a échoué.

8 Deuxième grand événement international : le plan de paix Vance-

9 Owen. Il résulte des débats et des négociations qui ont été entamés par la

10 conférence de Londres au mois d’août 1992.

11 La conférence de Londres a été convoquée pour englober ces

12 nouveaux Etats afin de les incorporer aux débats sur l'avenir de la

13 Bosnie, alors que la guerre continuait et avait favorisé les Serbes qui

14 marquaient leur première victoire sur le champ de bataille.

15 L'un des premiers résultats de la conférence de Londres a été la

16 nomination des co-présidents du Comité permanent de la conférence sur

17 l'ex-Yougoslavie. Ces co-présidents étaient Lord Owen, représentant la

18 Communauté européenne à l'époque, et Cyrus Vance, représentant personnel

19 du secrétaire-général des Nations Unies.

20 Les pourparlers ont commencé sur le champ, immédiatement après

21 la conférence de Londres. Ils se sont poursuivis d'une manière intense,

22 mais pas avant le 2 janvier 1992, date à laquelle la première session

23 plénière a eu lieu. A ce moment-là, la première version du plan Vance-Owen

24 a été rendue publique parce que les co-présidents n'avaient pas encore

25 réussi à intéresser toutes les parties en présence. Ce plan a été l'un des

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1 jalons les plus importants des résultats négatifs de la Croatie, dans ce

2 contexte et à cette époque.

3 M. Kehoe (interprétation). - Je prie l'huissier de vous remettre

4 la pièce n°9.

5 (Intervention de M. l'Huissier.)

6 Avant de nous pencher plus particulièrement sur cette carte,

7 pouvez-vous nous dire quelle en est la source, s'il vous plaît ?

8 M. Donia (interprétation). - La carte en noir et blanc a été

9 retirée du livre de Lord Owen.

10 M. Kehoe (interprétation). - Qui a ajouté ces couleurs ?

11 M. Donia (interprétation). - C'est moi qui l’ai fait. En effet,

12 j'ai coloré cette carte pour vous signaler justement les trois provinces

13 sous domination croate qui ont été tracées dans le plan.

14 Je vous indique ainsi que les provinces n° 3, 8 et 10, dans le

15 plan de paix Vance-Owen et dans sa formulation de janvier 1993, devaient

16 être des provinces dans lesquelles l'autorité croate devait être établie.

17 Les forces croates devaient y rester jusqu'à la démilitarisation.

18 M. Kehoe (interprétation). - Il s'agissait de Croates de

19 Bosnie ?

20 M. Donia (interprétation). - Oui.

21 M. Kehoe (interprétation). - Avant de poursuivre, pouvez-vous

22 nous dire quelles étaient les régions en rouge et en blanc ?

23 M. Donia (interprétation). - Il s'agissait de régions pour les

24 Serbes et pour le gouvernement de la Bosnie, c'est-à-dire les Musulmans de

25 Bosnie, comme on disait à l'époque.

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1 Le plan de paix Vance-Owen se composait de quatre éléments. Le

2 premier élément étant la carte (ou les cartes). C'était le point le plus

3 difficile, le plus grave, le plus controversé. Le deuxième élément était

4 un jeu de dispositions constitutionnelles. Le troisième était un

5 arrangement en vue du cessez-le-feu, la suspension des hostilités. Le

6 quatrième élément était une série de dispositions intérimaires jusqu'à la

7 transition et la démilitarisation complète de la Bosnie-Herzégovine.

8 Première occasion : le 4 janvier 1993, Mate Boban signe les

9 quatre volets du plan Vance-Owen concernant les Croates de Bosnie.

10 La carte, et la carte seulement, s’est heurtée à une résistance

11 du Président Izetbegovic de Bosnie. Certaines dispositions

12 constitutionnelles ont été, elles aussi, rejetées par Radovan Karadzic au

13 nom des Serbes de Bosnie.

14 Vint ensuite une période de diplomatie intense, dont l'objectif

15 primordial fut de recueillir l’accord du Président Izetbegovic, c'est-à-

16 dire sa signature au bas de ce document.

17 Les pourparlers pour la conclusion de cet accord s'étaient

18 déplacés à New York. Toutes les délégations s'étaient rendues à trois

19 reprises au siège des Nations Unies afin d’y rechercher sur place un

20 accord, et ce au cours des mois de février et de mars 1993.

21 Après cette période de pressions diplomatiques très intenses, le

22 Président Izetbegovic consent à signer le plan Vance-Owen le 25 mars 1993,

23 mais il le signe avec de nombreuses réserves articulées à l'époque sous

24 forme d'annexes à un rapport au secrétaire-général des Nations Unies.

25 Ces réserves concernaient pour l'essentiel l'accord lui-même,

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1 notamment le fait que les résultats du nettoyage ethnique et des conquêtes

2 (il pensait là essentiellement au nettoyage ethnique) était en quelque

3 sorte primé par les solutions du Plan, ce qui devait lui assurer

4 évidemment non pas le retrait mais d'énormes segments du territoire et des

5 provinces qui avaient été tracées dans le Plan.

6 Quelle a été la position des Serbes de Bosnie en ce qui concerne

7 le plan Vance-Owen ? Ayant rejeté la carte et les dispositions

8 constitutionnelles, les Serbes bosniaques ont, en plus, augmenté leurs

9 activités, lancé de nouvelles opérations contre des villages de Bosnie

10 orientale, resserré leur siège de la localité de Srebrenica et redoublé de

11 pression sur la ville de Sarajevo, qui était déjà assiégée depuis le mois

12 de mai 1992.

13 En effet, il serait difficile de parler du rapport des activités

14 de l'époque sans dire que les Serbes de Bosnie fatiguaient, épuisaient la

15 communauté internationale par leurs défis et par l’accroissement de la

16 tension, notamment par les défis qu'ils lançaient à l'époque à l'ensemble

17 de la communauté internationale.

18 Le 2 avril 1993, l'assemblée des représentants serbes s’est

19 réunie à Bileca pour rejeter spécifiquement le plan Vance-Owen, ce qui a

20 été un facteur très négatif, estimant que ce plan allait tout de même être

21 accepté par les Serbes de Bosnie, du moins comme un plan modeste pouvant

22 aboutir à la paix.

23 Cette nouvelle a étonné, consterné les Croates, notamment en ce

24 qui concerne leurs objectifs territoriaux en Bosnie.

25 C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Boban avait signé ce

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1 document. Ce fait a également rendu incertain l’avenir des démarches

2 pacifiques postérieures en Bosnie.

3 En effet, il y avait de moins en moins de territoires qui

4 pouvaient faire l'objet de ces négociations de paix. Les américains

5 avaient assuré suffisamment de territoire pour les musulmans pour avoir un

6 Etat en bonne et due forme. Les Croates ne pouvaient plus compter sur des

7 gains territoriaux complémentaires. Le plan Vance-Owen est en quelque

8 sorte devenu lettre morte, et en même temps, pour les Croates, cela

9 devenait un point très important. Je voudrais illustrer mon propos par une

10 comparaison entre les deux plans Vance-Owen.

11 M. le Président - Nous allons marquer une pause,. et l'audience

12 reprendra à 16 heures 30.

13

14 L'audience, suspendue à 16 heures 15, est reprise à 16 heures 35.

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16 M. le Président. - L'audience est reprise. Monsieur le greffier,

17 faites entrer l'accusé.

18 (Le témoin, M. Donia, est introduit dans la salle d'audience.)

19 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

20 Monsieur Donia, dans votre témoignage, à peu près une demi-heure

21 avant la pause, vous parliez du chef actuel de l'armée VRS, Ratko Mladic,

22 pendant la période 1992-1993. Est-ce exact ?

23 M. Donia (interprétation). - Oui.

24 M. Kehoe (interprétation). - L'est-il ?

25 M. Donia (interprétation). - Non. Je crois que je me suis

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1 trompé. Il a démissionné officiellement du commandement de l'armée Serbe

2 de Bosnie peu après que soit conclu l'accord de paix de Dayton. Je voulais

3 apporter cette correction.

4 M. Kehoe (interprétation). - Nous parlons plus particulièrement

5 de la carte Vance-Owen. Il s'agit de la pièce n°19. La source en est

6 l'ouvrage de M. Owen et nous aimerions la verser au dossier. Mais

7 poursuivons.

8 Monsieur Donia, avant l'interruption, vous parliez de variantes

9 supplémentaires au plan qui a suivi le rejet du plan Vance-Owen, en

10 avril 1993. Est-ce exact ?

11 M. Donia (interprétation). - Oui. Ce plan a été rejeté à

12 plusieurs reprises par trois assemblées serbes de Bosnie successives qui

13 se sont opposées à ce plan. Puis, en avril ou mai 1993, a eu lieu le

14 référendum. Suite à ces événements, d'autres pourparlers se sont engagés

15 et plusieurs plans ont été soumis à examen.

16 J'allais vous proposer d'examiner ces plans et de les comparer

17 au plan Vance-Owen, pour voir quelles étaient les portions de territoire

18 accordées aux Croates de Bosnie.

19 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, pouvons-nous

20 demander à l'huissier de remettre ceci. Il s'agit de la pièce n° 20.

21 Monsieur Donia, avant de discuter de cette carte ou de ces deux

22 cartes, quelle est leur source ?

23 M. Donia (interprétation). - Ces deux cartes proviennent de

24 l'ouvrage de Lord Owen "L'Odyssée balkanique". La carte supérieure est

25 celle que nous venons d'examiner, mais les couleurs sont différentes et

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1 c'est le plan initial? original de 1993 d'Owen-Vance.

2 La partie inférieure représente la proposition qui a suivi

3 immédiatement le plan Vance-Owen. La proposition serbe, en vue de l'union

4 des trois Républiques, date de juin 1993.

5 M. Kehoe (interprétation). - La coloration vient du même auteur

6 graphique, du spécialiste en dessin graphique ?

7 M. Donia (interprétation). - Oui, c'est bien moi.

8 M. Kehoe (interprétation). - Ce sont donc les deux régions qui

9 sont attribuées aux Croates de Bosnie ?

10 M. Donia (interprétation). - C'est exact. Dans ces deux

11 différents plans, les deux zones que j'ai ici colorées -les provinces du

12 plan Vance-Owen- sont deux régions séparées qui se composent d'une région

13 de la Posavina, au Sud de la rivière Lasva. Puis, il y a une région plus

14 importante de l'Herzégovine occidentale et de la Bosnie centrale.

15 Au vu de la différence entre les deux plans, s'agissant de la

16 Posavina, nous constatons que la taille du territoire a été réduite de

17 façon considérable dans le plan suivant et nous constatons également qu'un

18 couloir est proposé qui traverse ce territoire par le milieu, le divisant

19 en deux portions.

20 S'agissant de la région de Bosnie centrale, qu'on reconnaît

21 comme étant approximativement la région qui faisait partie du plan de

22 1939, dans ce plan ici, une partie importante de cette partie est réduite

23 parce qu'il y a une partie du gouvernement bosniaque qui y pénètre et il y

24 a aussi une diminution autour de la ville de Travnik.

25 M. Kehoe (interprétation). - Si l'on compare ces deux cartes,

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1 dans la première carte du plan Vance-Owen, je vois le canton n° 10 où il y

2 a Busovaca, Vitez et vers Kiseljak, du moins en partie, qui a été remis

3 aux Croates de Bosnie.

4 M. Donia (interprétation). - C'est exact.

5 M. Kehoe (interprétation). - Je reviens à la proposition Serbe,

6 qui se trouve dans la partie inférieure de la page. On a fait quelques

7 incursions dans ce territoire, n'est-ce pas ?

8 M. Donia (interprétation). - C'est exact.

9 M. Kehoe (interprétation). - En avez-vous terminé de cette

10 carte ?

11 M. Donia (interprétation). - Oui. J'insisterai une fois de plus

12 sur le fait qu'une série de discussions se sont tenues à l'époque, suivies

13 de propositions. Je les qualifie de pourparlers Owen Stoltenberg ou de

14 propositions Owen Stoltenberg. Je crois qu'il faut examiner certaines de

15 ces propositions. Effectivement le plan Vance-Owen représentait la

16 meilleure proposition pour les Croates.

17 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais, à ce propos, remettre

18 la pièce n° 21 à l'huissier et la verser au dossier en tant que pièce à

19 charge n° 20.

20 (Intervention de l'huissier.)

21 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Donia, nous avons donc

22 placé la pièce n° 21 sur le rétroprojecteur. Veuillez poursuivre.

23 M. Donia (interprétation). - La source de ces cartes est la

24 même. Les deux proviennent d'un ouvrage rédigé par Lord Owen, "L'Odyssée

25 balkanique", et c'est à nouveau moi qui me suis occupé de les colorier

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1 pour montrer les provinces dominées par les Croates. La région de la

2 Posavina sur ce plan est réduite en taille et aussi par le fait qu'elle

3 est traversée par un petit corridor. C'est vrai aussi pour la région de la

4 Bosnie-Herzégovine, la Bosnie centrale qui est réduite sur cette carte,

5 avec une avancée très nette, une partie saillante qui avance dans la

6 Bosnie centrale.

7 L'ensemble du territoire, toutefois, a connu une réduction

8 considérable par rapport à la carte qui avait vu le jour en janvier 1993.

9 Quelle en est la raison ?

10 Bien sûr, on est à la recherche d'un plan de paix pour la

11 Bosnie, mais cela a commencé à se centrer autour d'un gain en pourcentage.

12 Le plan Vance-Owen était plus fiable au début de l'été 1993, et on a

13 commencé à chercher un plan qui accorderait au moins 30 % du territoire au

14 gouvernement bosniaque.

15 Par la suite, ce pourcentage s'est transformé pour passer à

16 33 %. Mais on essayait de voir le pourcentage de territoire qu'on pouvait

17 accorder en Bosnie. Les Serbes de Bosnie, de façon intermittente pendant

18 cette période, continuaient à enregistrer des gains en territoire.

19 Quant aux deux plans ultérieurs, l'accord de la fédération en

20 mars 1994 et l'accord de paix de Dayton, en novembre 1995, il suffit de

21 les mentionner dans ce contexte. En effet, leur disposition dépasse de

22 loin la portée de cette question ou le cadre de cette question. En tout

23 cas, ils ont eu pour conséquence la fin de l'accord de la Fédération en

24 mars et l'accord obtenu en février 1994 a été un cessez-le-feu pour ce qui

25 est du conflit qui avait éclaté auparavant entre les Musulmans et les

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1 Croates en Bosnie centrale.

2 M. Kehoe (interprétation). - Revenons, monsieur Donia, au plan

3 Vance-Owen quand il fut introduit le 2 janvier 1993. Il était resté sur la

4 table des négociations jusqu'au printemps 1993. Comment pourriez-vous

5 qualifier ce plan de paix, pour ce qui est des attendes, des souhaits et

6 des aspirations des Croates de Bosnie.

7 M. Donia (interprétation). - Pour eux, c'était optimal,

8 puisqu'ils bénéficiaient de conquêtes territoriales considérables qui

9 traduisaient d'une certaine façon l'accord de 1939. En effet, ils avaient

10 un gain en Bosnie centrale et ils obtenait aussi un territoire important

11 en Posavina.

12 La suite des événements ne leur a jamais été aussi favorable

13 puisqu'ils ont subi de fortes pertes, sans parler de la perte de

14 territoires disponibles pour répondre à la pression des Américains qui,

15 eux, voulaient accorder au gouvernement bosniaque suffisamment de

16 territoires pour qu'il soit, en tant qu'Etat, viable.

17 M. Kehoe (interprétation). - Revenons aux cantons 3, 8 et 10

18 accordés aux Croates de Bosnie. La rivière Lasva y coule et il y a la

19 vallée aussi qui relève du canton 10, n'est-ce pas ?

20 M. Donia (interprétation). - Oui. Cela est proche de la

21 frontière, mais reste dans les confins de ce canton n° 10.

22 M. Kehoe (interprétation). - Pourrions-nous poursuivre et passer

23 à l'étape suivante de votre exposé.

24 M. Donia (interprétation). - La dernière tendance que je veux

25 esquisser ici, pour la période qui a suivi, c'est-à-dire celle de 1990,

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1 avant d'essayer de faire la synthèse à votre intention, a été la

2 transformation de la Commuté ou de l'Union démocratique croate, le HDZ en

3 Bosnie centrale.

4 Au départ, c'était un Parti qui représentait tous les Croates de

5 Bosnie en Bosnie. Cela a évolué vers une organisation qui se concentrait

6 surtout, mais pas exclusivement, sur une unité territoriale, celle de

7 Herceg-Bosna, comme étant une extension de la République de Croatie.

8 A partir de 1991, la politique menée par la Croatie à l'égard de

9 la Bosnie a suivi deux voies : une voie diplomatique et une autre voie

10 militaire.

11 La voie diplomatique exigeait que la Bosnie fasse l'objet d'une

12 division éventuelle alors que la voie militaire, elle, exigeait que la

13 Bosnie soit un allié. Au plan militaire, l'armée croate avait besoin de

14 tous les soutiens qu'elle pouvait obtenir dans la lutte qu'elle menait

15 contre les Serbes. Cette armée recherchait l'aide qu'elle pouvait obtenir

16 de l'armée de Bosnie-Herzégovine ou du gouvernement bosniaque.

17 C'était un point assez difficile pour les Croates, parce que les

18 Bosniaques essayaient à tout prix de maintenir une position au cours de la

19 guerre de Croatie en 1991, position qui leur permettrait d'éviter la

20 confrontation avec la JNA.

21 Il est intéressant de constater que ces deux voies possibles -la

22 voie militaire, l'alliance militaire et une voie diplomatique menant à la

23 division partielle peut-être- pouvaient être poursuivies simultanément et

24 avec un succès relatif.

25 En mars 1991, nous sommes au moment où les pourparlers

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1 yougoslaves se poursuivaient afin de trouver une solution confédérale au

2 problème...

3 M. Kehoe (interprétation). - Qu'entendez-vous par YU ?

4 M. Donia (interprétation). - Je parle des pourparlers entre les

5 différentes Républiques de l'Union. Une réunion s'est tenue à l'extérieur

6 de Belgrade à Karadjordjevo réunissant Milosevic et Tudjman. A la suite de

7 cette réunion, des journalistes ont fait état du fait qu'ils étaient

8 parvenus à un accord quant à la division de la Bosnie et cela a déclenché

9 de nombreuses spéculations qui n'ont d'ailleurs cessé sans qu'il y ait de

10 preuve concrète par le biais d'une carte ou d'un accord concret.

11 Classiquement, on disait que ces discussions de Karadjordjevo

12 comprenaient trop de faits et que pratiquement la division était un fait

13 accompli.

14 M. Kehoe (interprétation). - C'était une réunion entre

15 Milosevic et Tudjman. Le Président Izetbegovic était-il censé être là ?

16 M. Donia (interprétation). - Rien n'évoquait sa présence.

17 J'insisterai sur le fait qu'il n'y a aucune certitude quant à ces

18 discussions. En tout cas, cela a fait l'objet de beaucoup de spéculations

19 par la suite.

20 En mai 1992, un accord de principe a été conclu entre Mate

21 Boban, au nom des Croates de Bosnie, et Radovan Karadzic qui parlait pour

22 les Serbes. Il y avait bien sûr les efforts incessants de la Communauté

23 européenne qui cherchait une solution au conflit en Bosnie. Des

24 discussions et des spéculations ne cessaient de courir à l'époque, quant à

25 la possibilité d'une division. C'était une question d'une actualité

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1 brûlante à l'époque, pour les Serbes et les Croates.

2 Par ailleurs, les élections de 1990 avaient amené au pouvoir,

3 comme étant les principaux vainqueurs de ces élections, Stjepan Kljuic

4 pour la communauté croate qui voulait une Bosnie unifiée et qui s'opposait

5 à l'idée de la séparation.

6 M. Kehoe (interprétation). - Ce sont les élections qui ont eu

7 lieu en Bosnie-Herzégovine ?

8 M. Donia (interprétation). - C'est exact. Il est devenu le

9 président de l'Union démocratique Croate (HDZ) suite aux élections de

10 1990. Ce parti s'est transformé. Au départ, il était partisan d'une Bosnie

11 unifiée et souveraine, mais il s'est transformé en un partisan d'une unité

12 territoriale qui soit l'extension de la République de Croatie. Mais cette

13 évolution s'est faite en plusieurs étapes que je me permettrais

14 d'esquisser par ces événements saillants.

15 Première étape, novembre 1991 :

16 Deux réunions séparées, les 12 novembre et 18 novembre, réunions

17 au cours desquelles la communauté croate de Posavina a été établie, cette

18 région-ci. Je m'empresse d'ajouter qu'à l'époque dont nous parlons, cela

19 précède de loin les événements repris dans le plan de paix.

20 Le 18 novembre, il y a la formation de la communauté croate

21 d'Herceg-Bosna comme étant l'union politique culturelle économique et

22 territoriale des Croates de Bosnie-Herzégovine. A cette réunion du

23 18 novembre, Mate Boban a été élu chef de la communauté croate de Herceg-

24 Bosna.

25 Cette réunion a été de loin la plus importante. Pourquoi ? Parce

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1 qu'elle a créé et cerné, elle a circonscrit des districts précis de Bosnie

2 qui allaient faire partie de la communauté Croate de Herceg-Bosna.

3 Quel est le contexte temporel ? Nous sommes ici vraiment dans le

4 creux de la vague des fortunes et du bon sort des Croates. Vukovar s'était

5 rendue le 17 novembre 1991, ce qui veut dire que la formation de la

6 communauté croate de Herceg-Bosna se fait le lendemain. Parallèlement, la

7 guerre en Bosnie n'a tout n'a toujours pas éclaté.

8 Plusieurs mois s'écouleront avant la guerre de la Bosnie. C'est

9 un moment critique pour la survie de l'Etat croate. Nous sommes encore

10 bien loin du déclenchement des hostilités en Bosnie ou de la résolution

11 bosniaque qui déclarait par là son indépendance.

12 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, pouvons-nous

13 voir la pièce suivante, la pièce n°22. J'avais oublié de le faire aux fins

14 du dossier d'audience. Je voudrais verser au dossier les pièces 20 et 21,

15 ce sont les deux autres cartes dont vient de parler M. Donia et qui sont

16 liées au plan de paix Vance-Owen, ou plus exactement de l'ouvrage de Lord

17 Owen.

18 Quelle est cette pièce n° 22 ?

19 M. Donia (interprétation). - C'est une carte que j'ai composée

20 avec l'aide de votre personnel et qui se contente de retracer les

21 provinces énoncées dans la proclamation du 18 novembre 1991 et elle les

22 entoure d'une ligne. Elles sont énumérées dans la proclamation du

23 18 novembre 1991. Ce sont les districts qui sont repris dans la communauté

24 Croate de Herceg-Bosna

25 Permettez-moi de relever deux exceptions, ce qui complique un

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1 peu la chose. Il y Trebinje, c'est le district adjacent au Monténégro qui

2 surplombe la ville de Dubrovnik. Cette communauté a indiqué qu'une partie

3 seulement de ce district allait faire partie de la communauté croate de

4 Herceg-Bosna, le district de Trebinje et surtout serbe quant à sa

5 composition ethnique.

6 Je pense qu'il est raisonnable de dire qu'en fait, c'était une

7 action poussée par la détermination militaire.

8 Cela vaut également pour la province de Skender Vakuf dont la

9 totalité ne devrait pas être reprise dans le territoire de la Communauté

10 croate de Herceg-Bosna.

11 M. Kehoe (interprétation). - Y avait-il des restrictions pour

12 les autres municipalités ou opcina reprises dans cette carte ?

13 M. Donia (interprétation). - Non, toutes celles-ci ont été

14 reprises dans la proclamation du 18 novembre. Cette proclamation, annoncée

15 publiquement le 18 novembre, en quintessence établissait un appareil de

16 quasi Etat qui ressemblait à l'appareil du Parti politique de la

17 communauté croate de Herceg-Bosna, alors qu'elle poursuivait un objectif

18 radicalement opposé.

19 Si le Parti et sa direction, à l'époque, délivraient des

20 proclamations dénonçant les activités serbes parce qu'elles contribuait à

21 la ghettoisation, la communauté croate, de l'autre côté, s'engageait dans

22 une activité très similaire à ce que faisaient les Serbes au même moment

23 puisqu'on établissait une communauté sur des bases purement territoriales.

24 Quel était la composition ethnique d'une région très étendue qui

25 est la Herceg-Bosna ?

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1 M. Kehoe (interprétation). - Permettez-moi de vous montrer la

2 pièce 23. Je la remets à l'huissier.

3 (Intervention de l'huissier.)

4 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez sous les yeux, Monsieur

5 Donia, une série de statistiques démographiques par municipalité, reprise

6 dans la communauté de Herceg-Bosna. Quelle est la source de ces

7 statistiques ?

8 M. Donia (interprétation). - Elles proviennent du recensement de

9 1991, que l'on trouve notamment au dos de la carte affichée au chevalet.

10 La ventilation par Croates, Musulmans et Serbes est établie à partir de

11 cette source, ventilation pour laquelle un pourcentage a été établi.

12 M. Kehoe (interprétation). - Qui l’a mis sous cette forme ?

13 M. Donia (interprétation) - C’est moi-même. J'ai repris les

14 données pertinentes à ce district. Ceci répond à la question que j'avais

15 posée sur la composition ethnique de Herceg-Bosna qui devait devenir une

16 communauté Croate.

17 Si on reprend l'ensemble des districts, cela représentait 46 %

18 des Croates. Si l'on incluait les Musulmans parmi les Croates, on ajoutait

19 33 %, ce qui donne environ 79 % de Croates.

20 S'agissant du pourcentage de Croates en Bosnie, Croates qui

21 étaient repris dans la communauté croate d'Herceg-Bosna, le recensement de

22 1991 nous donne un nombre de total de Croates d'environ 750 000, soit plus

23 de 50 % qui étaient repris dans le concept territorial de Herceg-Bosna ;

24 le reste se trouvant à l'extérieur.

25 M. Kehoe (interprétation). - Quel était le pourcentage

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1 approximatif des Croates qui étaient restés à l'extérieur de la communauté

2 d’Herceg-Bosna ?

3 M. Donia (interprétation) - Environ 40 %. Certains se retrouvent

4 dans la région de Posavina. Le pourcentage est peut-être inférieur, mais

5 pour ce qui est de Herceg-Bosna, le pourcentage est d'environ 60 %,

6 Croates inclus.

7 Sur la pièce suivante, j'aimerais reprendre les deux districts :

8 celui de Trebinje. et de Skender Vakuf. J’aimerais les retirer. En effet,

9 ils n'ont été inclus qu'en partie et statistique ment, on ne peut pas

10 diviser cette carte en fonction de la proclamation du 18 novembre.

11 J'aimerais vous montrer ce qui se passe si l'on retire ces deux

12 districts, celui de Trebinje et de Skender Vakuf.

13 M. Kehoe (interprétation). - Nous passons à la deuxième page du

14 document

15 M. Donia (interprétation) - Nous voyons cela sur le

16 rétroprojecteur. La réponse est que le pourcentage de Croates, si l'on

17 retire celui de ces deux districts de Trebinje et de Skender Vakuf, nous

18 donne environ 47,99 %, environ 48 %. La communauté des Croates de Herceg-

19 Bosna, qui par conséquent est établie en tant qu'unité territoriale,

20 n'avait pas dans sa majorité une population Croate, à moins que l'on

21 inclut bien sûr les Musulmans de ses territoires et que l'on en fasse des

22 Croates ou des Musulmans de nationalité croate.

23 Ainsi, l'établissement de la communauté croate de Herceg-Bosna,

24 en tant qu’union culturelle politique économique et territoriale, est une

25 transformation.

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1 La transformation suivante, celle du Parti, la transformation du

2 HDZ, s'est produite début février 92, à l'occasion de deux réunions : les

3 2 et 9 février.

4 M. Kehoe (interprétation). - Je vous interromps un instant. Cela

5 veut dire qu'au moment où l'on établit la communauté croate de Herceg-

6 Bosna, le 18 novembre 199, 1e HDZ, le Parti élu pour la Bosnie-Herzégovine

7 existe encore et est dirigé par Stjepan Kljuic.

8 M. Donia (interprétation) - C'est exact.

9 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez.

10 M. Donia (interprétation) - Le 2 février, lors d'une réunion à

11 Siroki Brijeg, il y a eu une réunion à huis clos de la direction du Parti.

12 A l'occasion de cette réunion, Stjepan Kljuic a donné sa démission. Il est

13 sorti de la réunion, il l'a quittée. La presse lui a demandé pourquoi il

14 avait démissionné. Il a dit que de son vivant, il ne fournirait aucune

15 explication à sa démission lors de cette réunion. et à ma connaissance, il

16 ne l'a pas fait.

17 La presse a aussitôt lancé des spéculations quant à l'éventuel

18 affaiblissement du Parti à cet engagement pour la Bosnie-Herzégovine. Un

19 représentant de la République de Croatie, du Parti lui-même au sein de la

20 République de Croatie était aussi présent à cette réunion.

21 Une semaine plus tard, le 9 février, s'est tenue une deuxième

22 réunion. Lors de celle-ci, deux résolutions sont adoptées. La première

23 accorde une double citoyenneté à tous les Croates vivant sur le territoire

24 de Herceg-Bosna Cela veut dire qu'on laisse tomber les Croates qui ne

25 font pas partie de cette communauté.

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1 En ce qui concerne cette résolution à des fins de double

2 citoyenneté, cela leur permettrait, par exemple, de participer à des

3 élections en République de Croatie, comme cela s'est passé tout récemment

4 La deuxième résolution, qui a trait à l'imminent référendum

5 relatif à la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, après de longues

6 discussions pendant plusieurs heures, et avec 3 voix de dissension, cette

7 réunion décidait de changer la question à poser au référendum pour y

8 reprendre des références à des zones nationales, plus exactement des

9 cantons pour les Serbes, les Musulmans et les Croates.

10 A ce stade, la résolution avançait rapidement et on devait avoir

11 le référendum le 29 février et le 1er mars, cela à la demande de l'Union

12 Européenne, Communauté européenne à l'époque. On ignore alors quelle était

13 l'intention poursuivie par cette résolution. A-t-on changé simplement la

14 terminologie ? En tout cas, pour la première fois, on dit que le Parti a

15 ajouté une dimension territoriale au référendum, ce qui permettrait de

16 faire aussi référence à des cantons en fonction des différentes

17 nationalités.

18 C'est une autre étape qui est franchie vers la

19 territorialisation du HDZ..

20 Il y a eu collision entre les différents partis à propos des

21 cantons. Mate Boban était en faveur de ces cantons. Il était d'ailleurs le

22 Président de cette réunion.

23 M. Kehoe (interprétation). - Avant la démission de Kljuic, le

24 2 février 1992, avait-il été partisan du découpage de la Bosnie-

25 Herzégovine ?

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1 M. Donia (interprétation). - Non, il n'en était pas partisan. Il

2 ne l'avait pas prôné. Il était, si vous voulez, impliqué dans les

3 discussions qui portaient sur la cantonisation et il restait vraiment

4 clairement favorable à une union. Mais malgré tout, il a joué un certain

5 rôle dans les discussions portant sur la cantonisation.

6 Cette question était vraiment importante parce qu'il y avait,

7 d'un côté, Kljuic qui était contre et, de l'autre, Boban qui était pour.

8 Le Parti, le HDZ, par la suite, a été aligné sur la notion de l’Herceg-

9 Bosna en tant qu’entité territoriale et, si vous voulez, ce Parti a

10 changé. C'était auparavant un parti qui représentait tous les Croates,

11 puis il était devenu partisan de cette extension de la République de

12 Croatie par le biais de la communauté croate de Herceg-Bosna. Cela se

13 constate par les nombreuses interventions du Parti et du gouvernement par

14 la suite

15 M. Kehoe (interprétation). - Est-il possible de dire que de ce

16 fait, le Parti est devenu un Parti territorial et que du coup, les autres

17 Croates de Bosnie qui vivaient à l'extérieur de cette communauté croate

18 d'Herceg-Bosna ont été laissés sur la touche ?

19 M. Donia (interprétation). - Effectivement, ils étaient laissés

20 en dehors de cette notion territoriale. De fait, Stjepan Kljuic l'a bien

21 précisé quand il en a discuté avec Boban, notamment dans la presse. Il a

22 dit que cela aurait pour résultat d'exclure non pas la majorité, mais une

23 partie considérable de la communauté croate.

24 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Donia, vous considérez que

25 c'est là une évolution importante dans l'histoire du HDZ ?

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1 M. Donia (interprétation) - Oui. Entre novembre 1991 et

2 février 1992, nous constatons un tournant à 180 degrés dans toute cette

3 politique, d'un point de vue nationaliste puisqu'on passe d'une communauté

4 culturelle à une communauté territoriale fondée sur l'endroit où les gens

5 habitent.

6 L'événement suivant qui m'y fait penser est intervenu en

7 juillet 1992, au moment d'une autre déclaration de la communauté croate

8 d'Herceg-Bosna en tant que communauté autonome dotée de sa propre

9 présidence. Encore une fois, en novembre 1992, la guerre s'approche.

10 Il y a une assemblée générale de la communauté croate d’Herceg-

11 Bosna et les fonctions parlementaires, militaires et politiques sont

12 confiées à M. Boban.

13 A bien des égards, la communauté croate d’Herceg-Bosna reflète

14 les efforts déployés par les Serbes de Bosnie pour proclamer une entité

15 territoriale séparée, efforts qui ont été entrepris de façon moins résolue

16 pour commencer, mais qui a finalement abouti et dont les effets peuvent se

17 ressentir dans les résolutions adoptées, et dans la mise en place d'une

18 administration durant l'année 1992.

19 M. Kehoe (interprétation). - En quoi consistent ces effets ?

20 M. Donia (interprétation). - Un parti, une organisation et une

21 armée militaire fondée sur une entité territoriale plutôt que sur les

22 intérêts d'une communauté culturelle qui serait les Croates de Bosnie.

23 Enfin, je voudrais en arriver aux tendances convergentes qui se

24 sont dessinées en 1993. J'ai déjà parlé des événements importants

25 intervenus après 1990. A bien des égards, plusieurs de ces événements ont

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1 effectivement convergé durant 1993 et ont finalement abouti aux événements

2 de la vallée de la Lasva.

3 Premier événement, bien sûr le plan de paix Vance-Owen. C'était

4 un document extrêmement favorable aux Croates de Bosnie, étant donné qu'à

5 ce moment-là les Croates n'avaient pas fait grand chose d'autre que de

6 proclamer l'établissement de la communauté d’Herceg-Bosna et de mener un

7 combat militaire contre les Serbes.

8 Pour ce qui est de leur participation aux négociations et aux

9 discussions avec Izetbegovic, il est arrivé que des frontières

10 territoriales soient considérées, par beaucoup, comme ne revêtant pas une

11 grande importance, car une alliance militaire était censée être

12 relativement sûre.

13 Il n'est pas possible de comprendre les événements de mars et

14 avril 1993 sans voir comment les Serbes ont joué un rôle en Bosnie et ont

15 dressait contre eux la presse et la communauté internationale.

16 Si l'on relit la presse de l'époque, on voit que des articles

17 ont été publiés chaque jour concernant Srebenica, le siège qui se

18 resserrait, la façon dont les Serbes de Bosnie essayaient de mettre de

19 leur côté le HCR, afin de le faire participer à la séparation ethnique des

20 populations, en transportant des gens en dehors de Srebrenica ou de Tuzla.

21 Tous ces événements ont focalisé l'attention tant des médias

22 internationaux que de la communauté internationale sur la Bosnie

23 orientale.

24 Or en mars et au début du mois d'avril 1993, les événements se

25 sont passés dans une certaine ignorance de la presse internationale et de

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1 la communauté internationale.

2 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous dites cela, vous faite

3 référence aux affrontements entre Croates et Musulmans en Bosnie

4 centrale ?

5 M. Donia (interprétation). - Oui. De fait, du point de vue de

6 l'attention internationale portée sur ces événements, et de la porte tout

7 doucement en train de se fermer pour le plan Vance-Owen, les Croates ont

8 vu leur capacité, à réaliser des gains territoriaux, se restreindre. Ce

9 qui a été exprimé dans la déclaration de la communauté croate d’Herceg-

10 Bosna.

11 A ce moment précis, on se souviendra que le 25 mars le Président

12 Izetbegovic a signé le plan Vance-Owen dans sa totalité à New York. Toute

13 l'attention s'est donc portée sur les pressions à exercer sur les Serbes

14 de Bosnie pour qu'ils respectent et signent l'accord de paix.

15 Cela étant, la mise en oeuvre du plan par Izetbegovic était à

16 l'époque expressément limitée. En effet, il a déclaré qu'il voulait voir

17 des pressions internationales s'exercer sur les Serbes de Bosnie afin

18 qu'ils signent le plan et mettent un terme aux hostilités, en particulier

19 à Srebrenica.

20 Lors d'une conférence de presse tenue le 28 mars 1993, le

21 Président Izetbegovic, à Zagreb, a déclaré qu'il donnerait dix à quinze

22 jours de plus, avant de retirer sa signature du plan de paix Vance-Owen,

23 si les Serbes n'étaient pas contraints de le respecter par la communauté

24 internationale.

25 Il a dénoncé les offensives répétées des Serbes en Bosnie

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1 orientale qui avaient déjà amené à la capture de plusieurs petites villes

2 ou localités, resserré l’étau autour de Srebrenica et renforcé les

3 difficultés pour les habitants de la ville.

4 Il a aussi indiqué qu'il avait rencontré le Président Tudjman la

5 veille et que tous les deux avaient discuté des tensions croissantes entre

6 le HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine en Bosnie centrale. Il a alors

7 annoncé qu'ils s'étaient mis d'accord en vue d'un commandement conjoint

8 des forces pour mettre un terme à ces affrontements.

9 Dans le même temps, le rôle des Etats-Unis s'est accrue. Il

10 s’agissait des premières semaines du nouveau gouvernement. Le 10 février,

11 le secrétaire d’Etat Christopher a annoncé une nouvelle politique, plus

12 ferme à l’encontre des Serbes de Bosnie. Mais, à la date du 28 mars, il

13 avait déjà commencé à faire marche arrière pour ce qui est de la volonté

14 des Etats-Unis d'avoir recours à ces forces d'engager des troupes, ou de

15 déployer des forces, afin de contraindre les Serbes de Bosnie à respecter

16 le plan de paix.

17 De fait, le 28 mars, il a annoncé dans une émission de

18 télévision de CBS qu'il acceptait l'interprétation de l’Histoire, faisant

19 état d'une haine historique entre les trois groupes ethniques. Il dit :

20 «Cette haine entre les trois groupes est ancienne. Les Etats-Unis ne

21 peuvent contraindre ces trois groupes à s'entendre. ». Voilà le signal

22 lancé par les décideurs politiques, selon lequel ils allaient faire marche

23 arrière concernant leur engagement dans cette crise.

24 M. Kehoe (interprétation). - Quel signal a été ainsi donné aux

25 trois factions à l'époque ?

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1 M. Donia (interprétation). - Le signal que l'engagement actif

2 des Etats-Unis en faveur du plan de paix n'aurait sans doute pas lieu.

3 Le 2 avril, l'assemblée Serbe s’est réunie à Belica et a rejeté,

4 pour la première fois, le plan de paix Vance-Owen. Au yeux de nombreux

5 observateurs, l’avenir du plan de paix Vance-Owen s'est trouvé ainsi peu

6 prometteur.

7 Le 3 avril 1993, le HVO a lancé un ultimatum lourd sens. Je

8 voudrais pour cela montrer la pièce suivante.

9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs

10 les Juges, je voudrais d'abord demander que soit versées au dossier les

11 deux pièces précédentes, la carte d’Herceg-Bosna pièce n° 22 et deux pages

12 de statistiques pièce n° 23.

13 Nous en arrivons à des articles de presse, l'un qui vient du

14 journal Vjesnik d’avril 1993 pièce n° 24, l'autre qui est tiré du journal

15 Slobodna-Dalmacya du même jour pièce n° 25. Ces articles de presse vous

16 sont données dans leur traduction anglaise et française.

17 Monsieur le Président, la version française de l’article tiré du

18 Vjesnik portera le n° 24.A, la version anglaise le n° 24.B.

19 Je voudrais que l'huissier remettre les exemplaires de l'article

20 tiré de Slobodna Dalmacya qui porteront les n° 25.A en français et 25.B en

21 anglais.

22 Avant que nous parlions de ces deux ultimatums dont il est

23 question dans ces articles, pouvez-vous nous parlez de ces deux journaux

24 Monsieur Donia ?

25 M. Donia (interprétation). - Le Vjesnik, à l'époque, reste

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1 l'organe officiel, ou très proche du point de vue officiel de la

2 République de Croatie. Tandis que Slobodna Dalmacya est un organe

3 considéré comme plus indépendant. Les deux journaux rendent compte des

4 questions relatives à la Bosnie. Ils ont couvert les affaires touchant à

5 l'évolution militaire en Bosnie-Herzégovine et les affrontements croato-

6 musulmans de manière très attentive.

7 M. Kehoe (interprétation). - Voulez-vous examiner ces deux

8 articles et poursuivre votre déposition. Vous parliez de ce qui s'est

9 passé le 3 avril 1993, au lendemain du rejet du plan Vance-Owen par les

10 Serbes de Bosnie.

11 M. Donia (interprétation). - Ces deux articles parlent des mêmes

12 événements, à savoir une réunion et un projet d'accord en six points par

13 le HVO, c'est-à-dire la branche militaire de la communauté croate

14 d’Herceg-Bosna.

15 Ce projet d'accord en six points interprète la signature par

16 Izetbegovic du plan Vance-Owen comme transférant la souveraineté du

17 gouvernement de Bosnie-Herzégovine aux arrangements transitoires qui sont

18 spécifiés dans le plan Vance-Owen.

19 Je passe en revue rapidement les six points, si vous le

20 permettez, ces six points qui sont mentionnés dans l'article de du

21 Vjesnik.

22 M. Kehoe (interprétation). - Je pense qu'il s'agit de la page 3

23 de la traduction. Dans l'original, il s'agit d'un encadré à droite ?

24 M. Donia (interprétation). - Oui. Ce sera plus simple si nous

25 examinons simplement l'article du Vjesnik. La version de Slobodna Dalmacya

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1 est pratiquement identique.

2 Il apparaît que les journalistes aient utilisé les mêmes

3 communiqués de presse pour écrire leur papier.

4 Nous sommes à la page 3 de la traduction de l'article paru dans

5 le journal Vjesnik sur la coopération des peuples croate et musulman. Il

6 s'agit d'un encadré qui dit : "La déclaration sur la coopération des

7 peuples croate et musulman..."

8 Encore une fois, il s'agit d'un encadré qui figurait dans

9 l'article du journal Vjesnik qui dit : «La déclaration sur la coopération

10 des peuples croate et musulman, s'agissant de la structure militaire en

11 Bosnie-Herzégovine jusqu'à sa démilitarisation complète, concernant

12 d’autres questions déjà signées par Mate Boban et encore à signer par

13 Alija Izetbegovic, se lit comme suit. » Pour votre information,

14 Alija Izetbegovic n'était pas présent à ce moment-là. Il était en route

15 vers le Moyen Orient. C’est donc une déclaration unilatérale du HVO. A la

16 lecture, vous voyez qu'il n'y a aucune chance qu'Alija Izetbegovic signe

17 ce texte que je vous lis : « Après la signature du plan de paix Vance-

18 Owen, Alija Izetbegovic et Mate Boban sont convenus que 1) Tous les

19 malentendus ont été évités entre les peuples croate et musulman concernant

20 la délimitation des provinces et l’autorité provisoire dans ces provinces

21 ainsi que dans la république de Bosnie-Herzégovine. 2) Toutes les forces

22 armées du HVO et la police de la communauté croate de Herceg-Bosna, ainsi

23 que l'armée de Bosnie-Herzégovine et les troupes du ministère de

24 l'Intérieur, le MUP de Bosnie-Herzégovine, qui arrivent de l’extérieur des

25 provinces, devront s’identifier et quitter lesdites provinces dans un

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1 délai de trois jours. » Cela fait référence aux provinces qui étaient

2 délimitées dans le plan de paix Vance-Owen.

3 M. Kehoe (interprétation). - Aux yeux du plan de paix Vance-

4 Owen, les Musulmans de Bosnie devaient quitter les provinces 3, 8 et 10.

5 M. Donia (interprétation). - Oui, effectivement, dans les trois

6 jours. On ne dit pas trois jours après quoi, mais la date est précisée

7 plus tard dans le texte. Le point 3 est plus précis. « 3) En attendant la

8 démilitarisation complète de la Bosnie-Herzégovine, telle qu’envisagée par

9 le plan de paix et pour des raisons de défense plus efficaces contre

10 l'agression, les forces armées du HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine

11 dans les provinces 1, 5 et 9 seront placés sous le commandement de l'état-

12 major général de Bosnie-Herzégovine et, pour les provinces 3, 8 et 10,

13 sous le commandement de l'état-major général du HVO. »

14 Cet accord prévoit donc une séparation entre les forces

15 militaires selon les provinces qui avaient été assignées à chacun des

16 groupes.

17 Je continue ma lecture : « Les forces qui ne peuvent accepter

18 cette décision ont la possibilité de quitter les provinces. 4) L'état-

19 major du HVO et l’état-major de l’armée de Bosnie-Herzégovine établiront

20 un commandement conjoint le 15 avril 1993, au plus tard. »

21 Cette date du 15 avril 1993 a pris ensuite une importance très

22 grande parce qu'elle est devenue l’échéance pour l’application de

23 l’ultimatum. Je continue ma lecture : « 5) Les conflits entre le HVO et

24 l’armée de Bosnie-Herzégovine cesseront immédiatement et définitivement.

25 6) La libre circulation des personnes et des marchandises sur toutes les

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1 voies de communication du territoire libre des provinces susmentionnées

2 est instaurée dès que possible. »

3 M. Kehoe (interprétation). - Y a-t-il donc une date limite

4 inscrite dans ce plan en six points ?

5 M. Donia (interprétation). - La date limite est celle du

6 15 avril 1993. Elle est fixée précisément pour l'établissement du

7 commandement conjoint.

8 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous connaissance du fait

9 qu'Alija Izetbegovic ait jamais signé ce document ?

10 M. Donia (interprétation). - Pas à ma connaissance.

11 M. Kehoe (interprétation). - Revenons au corps de l'article

12 lui-même. Y a-t-il quelque chose, dans le corps de cet article, qui

13 indique sur la base d'information reçues d’Herceg-Bosna les plans du HVO

14 et si les plans n'allaient pas être appliqués ?

15 M. Donia (interprétation). - A la page 2 de l'article tiré du

16 Vjesnik, dans le deuxième paragraphe, on retrouve un ultimatum : « Si le

17 document n'est pas signé par le chef de la délégation musulmane dans les

18 provinces 3, 8 et 10... », est-il dit. Je rappelle que le texte demandait

19 la signature d'Alija Izetbegovic et qu’ici on demande la signature des

20 autorités des provinces : « ... le HVO de la communauté croate d’Herceg-

21 Bosna a décidé d'appliquer les dispositions du plan de paix, en vertu

22 desquelles toutes les forces armées nationales se retireront dans leur

23 province respective. » Voilà ce qu'il y a dans cet article. « Si cet

24 accord n'est pas appliqué, les autorités militaires ou autres compétences

25 de la communauté croate d’Herceg-Bosna appliqueront les dispositions dudit

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1 document dans les territoires des provinces 3, 8 et 10. » En d'autres

2 termes, l’accord serait alors appliqué de façon unilatérale.

3 Dans le même temps, le conseil croate de la défense de la

4 communauté croate d’Herceg-Bosna, le HVO, respectera les compétences des

5 autorités des provinces dans lesquelles les deux autres groupes ethniques

6 sont majoritaires, en d’autres termes, les Serbes et les Musulmans.

7 Je vous cite encore une partie de cet article qui montre que le

8 HVO, à ce stade, considérait que la souveraineté avait été transférée en

9 vertu du plan de paix Vance-Owen. Il s'agit de l'avant-dernier paragraphe

10 de la page. Il est dit : « Etant donné que l'accord de base et l’accord

11 sur l'organisation provisoire... » Il s'agit là de documents qui font

12 partie du plan de paix Vance-Owen « ... font une distinction très nette

13 entre le pouvoir central futur et les autorités provinciales, le HVO, le

14 conseil de défense de la communauté croate d’Herceg-Bosna, préviendra

15 toute tentative d’établir divers organes désignés par la présidence de

16 façon unilatérale. » Il s'agit ici de la présidence du gouvernement de

17 Bosnie-Herzégovine. Par exemple : « Les organes des cantons mettront en

18 oeuvre toutes les décisions de la future présidence provisoire de la

19 république de Bosnie-Herzégovine ainsi que tout gouvernement central

20 provisoire de la Bosnie-Herzégovine, conformément aux obligations

21 souscrites, du fait de la signature du plan de paix. »

22 En bref, ce document parle de l'application du plan de paix et

23 fixe comme date limite le 15 avril 1993, pour que le HVO applique de façon

24 unilatérale les dispositions du plan.

25 Par la suite, d'autres articles ont été publiés d’où il ressort

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1 qu'à plusieurs égards la communauté croate ou le HVO traite ces

2 engagements comme des engagements qu'il ne faut pas honorer, si l'accord

3 n'est pas signé par toutes les parties. On trouve, dans les articles de

4 presse, des mentions de nouveaux barrages routiers, surtout dans la région

5 de Mostar, pendant les dix jours qui ont suivi, notamment le

6 16 avril 1993. Des hostilités éclatent à nouveau en Bosnie-Herzégovine.

7 M. Kehoe (interprétation). - Je voudrais faire un petit retour

8 en arrière. Pendant cette période, les hostilités se poursuivent-elles en

9 Bosnie orientale et autour de Srebrenica ?

10 M. Donia (interprétation). - Oui, effectivement.

11 M. Kehoe (interprétation). - Avant le rejet du plan de paix

12 Vance-Owen le 2 avril 1993, y avait-il un plan très favorable aux Croates

13 de Bosnie ?

14 M. Donia (interprétation). - Oui, effectivement.

15 M. Kehoe (interprétation). - Il y a cette annonce faite le

16 3 avril 1993 qui donne comme ultimatum le 15 avril 1993, je ne me trompe

17 pas, n'est-ce pas ?

18 M. Donia (interprétation). - Non.

19 M. Kehoe (interprétation). - Sur la base de votre déposition, il

20 apparaît que le président Izetbegovic n'a jamais signé cet accord.

21 M. Donia (interprétation). - Pas à ma connaissance.

22 M. Kehoe (interprétation). - Les hostilités ont éclaté dans la

23 vallée de la Lasva, en Bosnie centrale, le 16 avril 1993, le jour qui a

24 suivi l’ultimatum ?

25 M. Donia (interprétation). - Oui, effectivement.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, nous

2 demandons le versement au dossier des deux articles de presse qu'a analysé

3 M. Donia. Il s'agit des pièces 24 et 25 et, sous réserve de leur

4 admission, l'accusation n'a pas d'autres questions à poser au témoin.

5 M. Hayman (interprétation). - Sous réserve de la possibilité de

6 lire ces articles dans leur totalité, nous n'avons pas d'objection pour

7 l’instant.

8 M. le Président. - Tout à fait. Comme nous l’avons dit ce matin,

9 nous en parlerons à la fin de la déposition pour savoir dans quel délai de

10 temps, il conviendrait que vous puissiez contester tout ce qui a été dit

11 depuis ce matin, dans un délai de temps que nous verrons ultérieurement en

12 commun. Monsieur le Procureur, voulez-vous continuer ?

13 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas

14 d'autres questions à poser à M. Donia.

15 M. le Président. - Je vous remercie. Je me tourne maintenant

16 vers la défense et également vers mes collègues. Nous avons certainement

17 un certain nombre de questions à poser. Peut-être conviendrait-il de les

18 poser après que la défense ait pu s'exprimer. Je me tourne d'abord vers

19 mes collègues. Donc mes collègues sont d'accord pour attendre le contre-

20 interrogatoire pour que nous-mêmes posions un certain nombre de questions

21 à but de précision. Je voudrais, conformément à qu’a dit le Tribunal ce

22 matin, que nous puissions maintenant organiser la partie contradictoire de

23 l'ensemble de journée.

24 Je rappelle que la défense n'a pas eu le temps de s’organiser

25 dans la mesure où l'erreur typographique sur le nom du témoin ne lui a pas

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1 permis de se préparer à l'avance à l'arrivée, qui lui est apparue

2 inopinée, du témoin, le professeur Donia. C'est le premier point.

3 Le deuxième point est l'ensemble des pièces à conviction que le

4 Tribunal désire avoir à son dossier, mais qui doivent faire partie de la

5 contradiction en faveur de la défense. Je me tourne vers Me Hayman et

6 Me Nobilo. Nous allons ensuite voir avec le Procureur le programme de

7 demain. Nous sommes aujourd'hui mercredi. Nous avions parlé du lundi 30.

8 Mais il n'y a aucune obligation, ni aucune objection de la part de mes

9 collègues pour que ce soit plus tard.

10 Je vous rappelle que la semaine prochaine, nous siégerons les

11 lundi, mardi, mercredi et jeudi matins, toute la journée du vendredi étant

12 consacrée à l’audition de témoins dans le cadre de la procédure Tadic. Si

13 vous voulez mieux vous préparer, nous pouvons nous revoir en juillet

14 autour de ce témoignage. Je crois me faire l'interprète de mes collègues

15 en vous disant que toute latitude vous est ouverte.

16 M. Hayman (interprétation). - Puis-je conférer un instant avec

17 mon collègue, Monsieur le Président ?

18 M. le Président. - Tout à fait.

19 M. Hayman (interprétation). - Nous savons maintenant que le

20 témoin a publié des ouvrages, ou a contribué en tout cas à deux ouvrages,

21 et a publié au moins deux articles. Nous ne disposons pas encore de ces

22 publications, nous sommes en train de nous les procurer. Ils nous seront

23 envoyés par courrier.

24 Nous espérons que ces ouvrages arriveront demain, auquel cas

25 nous pourrions être prêts lundi pour le contre-interrogatoire.

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1 Donc, sous réserve de la bonne réception de ces ouvrages et de

2 la qualité des services du courrier international, nous pourrions procéder

3 lundi.

4 M. le Président. - Sous la réserve des objections, et sauf si le

5 Procureur a une objection, mais sur lundi il ne peut pas y avoir beaucoup

6 d’objection pour vous puisque c'était ce que le Tribunal avait annoncé.

7 Monsieur le Procureur ?

8 M. Kehoe (interprétation). - Pour ma part, Monsieur le

9 Président, je n'ai aucune objection. M. Donia est un homme d'affaire.

10 M. le Président. - J'allais y arriver, bien entendu, Monsieur le

11 Procureur.

12 Donc, je voudrais me tourner maintenant vers le témoin, car nous

13 sommes en train de disposer de votre temps Monsieur le Professeur, alors

14 que c'est quand même vous le principal intéressé.

15 Evidemment, si vous pouvez revenir lundi, ce serait très bien.

16 Maintenant, il ne faudrait pas vous faire revenir lundi, et par exemple

17 que la défense ne soit pas prête pour des raisons, qui ne lui seraient pas

18 imputables, mais de courrier.

19 Quel est votre point de vue, Monsieur le professeur ?

20 M. Donia (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs

21 les juges, malheureusement j'ai des engagements pour la semaine prochaine.

22 Il me serait extrêmement difficile d'être avec vous ici lundi ou un autre

23 jour de la semaine prochaine.

24 Je peux être à votre disposition plus tard, durant le cours du

25 mois de juillet, pour le temps que vous voudrez.

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1 Mais si vous le permettez, je voudrais honorer les engagements

2 que j'ai pour la semaine prochaine aux Etats-Unis.

3 M. le Président. - Maître Hayman, je vais faire une proposition.

4 Par cette malencontreuse erreur, nous mettons évidemment le témoin dans

5 une situation difficile. Néanmoins, il convient que la défense puisse se

6 préparer.

7 Ne pourrions-nous pas inscrire la contre-interrogation du témoin

8 dès le premier jour de notre phase de juillet, c’est-à-dire le

9 21 juillet ? Cela poserait-il des problèmes ?

10 Bien sûr, tout ce que vous avez dit, a été transcripté. Ce sera

11 un peu moins frais et ce n'est pas idéal, mais si vous ne pouvez pas faire

12 autrement, nous ne pourrons pas vous contraindre.

13 Quel est le point de vue de Maître Hayman sur la question ?

14 M. Hayman (interprétation). - Nous regrettons l'inconvénient qui

15 a été causé. Un problème existe aussi dans le fait qu'il est difficile de

16 se remémorer tous les propos du témoin, pendant plusieurs semaines.

17 Nous venons d'entendre l'interrogatoire, mais nous pouvons

18 néanmoins procéder comme le Tribunal l'entendra.

19 M. le Président. - L'ensemble des Juges sont en session plénière

20 les 9, 10 et 11 juillet. Des auditions dans le cadre de l'affaire Tadic

21 ont lieu en même temps.

22 Normalement c’est une séquence qui est consacrée, cette semaine-

23 là, au procès Celebici. Il m'est quand même difficile, ici, publiquement,

24 de disposer de l'emploi du temps de mes collègues.

25 Sous réserve qu'on puisse faire mieux, nous allons admettre

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1 provisoirement que dès le premier jour de la phase du mois de juillet...

2 il me semble que c’est le 21 juillet, Monsieur le Greffier...

3 Maître Hayman, je suis d'accord avec vous, évidemment les

4 souvenirs de cette déposition, qui est dense et très substantielle, serait

5 beaucoup plus frais dans la mémoire à la fois de vous-mêmes, Messieurs de

6 la défense, mais également dans celle des Juges.

7 Donc, nous allons, pour l'instant, faire raccompagner le témoin.

8 Le Tribunal vous remercie beaucoup de ces longues heures que vous avez

9 passées pour nous apporter beaucoup d’informations. Ces informations

10 seront maintenant discutées, vous le savez, par la défense au mois de

11 juillet. En attendant, nous vous remercions beaucoup.

12 Je demanderai à l'Huissier de vous accompagner et j'interrogerai

13 ensuite le Procureur sur la suite des auditions.

14 Je demande d'abord que le témoin soit raccompagné.

15 (Le témoin est sort de la salle d’audience.)

16 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, alors que le

17 témoin sort de la salle d’audience, puis-je poser une question d'ordre

18 procédural. Elle porte sur les articles qui viennent d'être versés au

19 dossier.

20 Il y a en fait trois documents. Pour chacun de ces articles, il

21 y a l'article original, la traduction en anglais et la traduction en

22 français.

23 Je ne sais pas trop comment Monsieur le Greffier veut saisir

24 tout ceci dans ces chiffres. Vont-ils devenir 25, ou 25.A, ou 25.B, ou

25 25.A.B.C. ?

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1 M. le Président. - Il faudrait les affecter d’un coefficient de

2 lettres. Le premier article de journal, que vous choisissez, devrait être

3 intitulé 24, la version française - par exemple- A, B, enfin peu importe,

4 et ainsi de suite pour les deux autres. Qu’en pensez-vous, Monsieur le

5 Greffier ?

6 M. le Greffier. - Oui, c’est tout à fait est cela. L’original,

7 en fait, sera la pièce, et les versions anglaise et française seront

8 numérotées seront numérotées A et B. Comme l’a dit le Procureur, la

9 version française A et la version anglaise B.

10 M. le Président. - Je salue cet hommage particulier à la langue

11 du Président de la formation.

12 Je me tourne maintenant vers le Procureur pour lui demander s’il

13 y a des témoins à faire déposer à la barre pour demain matin, toute la

14 journée ou demain après-midi, et même pour vendredi matin. Nous allons le

15 voir.

16 Avez-vous d’autres témoins, ou bien pour cette semaine n’en

17 avez-vous pas d’autres ?

18 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, j’ai un

19 témoin vendredi matin. Je regrette de ne pas en avoir pour demain.

20 M. le Président. - Je tiens à le dire, nous sommes en audience

21 publique, je vous demande -c’est en écho et je le dis d’ailleurs pour la

22 défense lorsqu'elle procédera elle-même à l’appel de ses témoins, je me

23 fais l'interprète de mes collègues pour dire qu'il ne serait pas bon, ni

24 pour la crédibilité de l'institution, ni pour notre travail, qu’on hache

25 de cette façon, ou qu'on interrompe, ou qu'on n'ait pas de témoin à

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1 disposition.

2 Je reconnais que c’est difficile, que votre programmation est

3 difficile et que nous-mêmes, du côté du Tribunal, pour des raisons

4 techniques et matérielles, nous n'avons pas pu assurer toutes les

5 journées. Donc, il ne s'agit pas de faire de reproche quelconque. Nous

6 subissons tous des aléas techniques.

7 Je voudrais vous demander, instamment, à vous, pour l'accusation

8 puisque c'est vous qui présentait vos preuves, ensuite la même chose sera

9 demandée à la défense, de faire en sorte qu'il n'y ait pas de hachures, de

10 pointillés, mais des solutions de continuité, dans le déroulement de nos

11 travaux.

12 Ce n'est pas bon d’abord pour les témoins qui ne savent pas

13 toujours quand ils doivent venir, mais ce n’est pas bon surtout pour les

14 débats. Ce n'est pas bon pour l'accusé, ce n’est pas bon pour la défense,

15 et ce n'est pas bon tout simplement pour les Juges, dans la mesure où les

16 débats ont une certaine dramaturgie, une certaine séquence intellectuelle.

17 Donc, en ce qui concerne cette Chambre, j'insiste

18 particulièrement pour qu'en liaison avec le Greffe, le déroulement des

19 travaux puisse se faire de façon harmonieuse.

20 Nous entendrons votre témoin vendredi matin. Je vous demande de

21 prévoir des auditions.

22 Vous savez que les audiences Tadic doivent reprendre les après-

23 midis de la semaine prochaine. Mais, le Tribunal entend siéger les lundis,

24 mardis, mercredis et jeudis matins. Vous êtes prévenu. A ce moment-là,

25 vous devez y procéder -quitte à bouleverser éventuellement votre plan

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1 d'auditions- le Tribunal s'y retrouva toujours.

2 Nous venons d'en faire l'exemple. Nous avons tenu à entendre

3 M. Donia. La défense accepte de ne pouvoir faire son contre-interrogatoire

4 que dans quatre semaines, ce qui n'est pas facile. Il faut que tout le

5 monde y mette du sien. Le Tribunal est là pour veiller à ce que tout le

6 monde y mette du sien, le Tribunal également y mettra du sien.

7 Sur ces considérations, nous nous retrouverons vendredi à 10 h.

8 Donc, l'audience est levée.

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10 L’audience est levée à 17 heures 55.

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