Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL                     AFFAIRE N° IT-95-14-T

  2   POUR L'EX-YOUGOSLAVIE  

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  5   Jeudi 19 mars  1998

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  9   L'audience est ouverte à 11 heures 20.

 10   (Audience à huis clos) [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]

 11   M. le Président. - Monsieur le Greffier, veuillez introduire le

 12   Général Blaskic

 13   (L’accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d’audience)

 14   M. le Président.- Ensuite, Monsieur le Greffier, veuillez

 15   introduire M. Mesic.

 16   (Le témoin, M. Mesic, est introduit dans la salle d’audience.)

 17   M. le Président. - Nous avons une lourde journée aujourd'hui.

 18   Nous allons essayer d'achever le témoignage de M. Mesic. Ensuite, nous

 19   avons un autre témoin, peut-être même deux autres, Monsieur Harmon, en

 20   tout cas l’un qui risque de prendre un certain temps.

 21   Nous devons procéder à une audience ex parte.

 22   Pourquoi va-t-on essayer de faire tout cela ? Parce M. Mesic

 23   doit témoigner demain dans un autre procès. Le Président de l'autre

 24   Chambre m'a bien dit que cela durait un petit peu dans l'après-midi, mais

 25   l'expérience démontre qu'il n'est pas toujours possible de réaliser ce


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  1   genre d'engagement.

  2   Nous allons essayer, sinon nous siégerons une partie de demain

  3   après-midi.

  4   Maître Nobilo, pour la poursuite de votre contre-

  5   interrogatoire...

  6   Je salue les interprètes. J'avais oublié de le faire, mais je

  7   pense qu'elles m'ont

  8  

  9  

 10   entendu.

 11   M. Nobilo (interprétation). - Je vous remercie,

 12   Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur Mesic.

 13   Nous allons poursuivre le contre-interrogatoire. Je ne serai pas

 14   long.

 15   Hier, à un moment donné, nous avons abordé un entretien que vous

 16   avez donné à un hebdomadaire de "Herceg Novi". Pour les interprètes, il

 17   s'agit du n° 10. Vous avez dit que vous n'aviez pas souvenir de cet

 18   entretien. Par conséquent, je vais vous donner lecture d'une partie de cet

 19   article pour voir si c'était, à l'époque, votre opinion et votre point de

 20   vue sur ce problème.

 21   Il s'agit du "c", pour les interprètes. Il s'agit de 

 22   Nikola Koljevic qui s'est rendu à Zagreb. Vous vous en souvenez

 23   probablement.

 24   "Question : récemment, M. Nikola Koljevic s'est rendu à Zagreb.

 25   Pour le Tribunal, j'explique que Nikola Koljevic est l'un des dirigeants


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  1   des Serbes de Bosnie. Dans la presse bosniaque, on a interprété cela comme

  2   une entente avec Franjo Tudjman sur le partage de la Bosnie-Herzégovine.

  3   Est-ce exact ?"

  4   Suit votre réponse : "C'est ce que la propagande de Milosevic

  5   aimerait dire. La Croatie part toujours du principe qu'il faut négocier et

  6   ne pas faire la guerre. C'est la raison pour laquelle on nous a beaucoup

  7   critiqués, car nous avons essayé de négocier avec tous, y compris avec

  8   Milosevic. Si M. Koljevic vient à Zagreb et qu'il souhaite avoir des

  9   pourparlers, nous allons discuter avec lui ; c'est normal. Cela ne veut

 10   pas dire pour autant que nous partageons la Bosnie-Herzégovine avec lui.

 11   La Croatie conserve le principe selon lequel les frontières doivent être

 12   respectées et selon lequel la Bosnie-Herzégovine ne doit pas être divisée.

 13   Les citoyens de Bosnie-Herzégovine décideront eux-mêmes de leur destin".

 14   Puis, une autre question du journaliste : "Les intellectuels bosniaques,

 15   qui aiment s'appeler "intellectuels croates" depuis peu, critiquent

 16   Franjo Tudjman pour son partage de la Bosnie-Herzégovine. Quels sont vos

 17   commentaires là-dessus ?" Votre réponse : "Cela découle d'une ignorance de

 18   ce

 19  

 20  

 21   que M. Franjo Tudjman a déclaré.

 22   Il a déclaré qu'en principe, il est pour la souveraineté de la

 23   Herceg-Bosna et c’est pourquoi il a eu des entretiens avec

 24   M. Alija Izetbegovic, et la raison pour laquelle il a essayé de fournir

 25   des arguments à M. Izetbegovic, pour qu'il accepte tout d'abord le concept


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  1   d'une confédération et, par la suite, le principe de la souveraineté de la

  2   Bosnie-Herzegovine. »

  3   En effet, il s'agit de la seule manière de se débarrasser de la

  4   Yougoslavie, qui n'existe plus, mais qui est utilisée par la Serbie pour

  5   remplir ses intérêts impérialistes. Je pense que la Bosnie a attendu trop

  6   longtemps, mais malheureusement nous ne pouvons rien changer à cela

  7   maintenant.

  8   Nous devons résoudre le problème actuel. En d'autres termes,

  9   Franjo Tudjman n'a jamais dit qu'il fallait partager la Bosnie-Herzegovine

 10   . Mais il a dit que le peuple croate ne pouvait rester sur la touche en

 11   Bosnie-Herzegovine. Le peuple croate en Bosnie-Herzegovine ne souhaite

 12   entrer dans aucune Yougoslavie ou dans aucune Sloboslavie. Il souhaite que

 13   sa souveraineté soit respectée, et que la coopération avec la Croatie soit

 14   possible d'une manière ou d'une autre".

 15   Fin de lecture.

 16   Monsieur Mesic, est-ce que vous avez affirmé à l'époque, au

 17   moment de la visite de Koljevic  à Zagreb , est-ce que ce sont vos termes,

 18   et  tenez-vous à cette opinion ?

 19   M. Mesic (interprétation). - Je crois que ce texte n'est pas en

 20   rapport avec ce que j'ai dit. Je vous ai dit que je ne me souvenais ni de

 21   ce journal ni de cette interview, je n'ai jamais donné cette autorisation.

 22   Manifestement, cela a été écrit d'une certaine manière. Certaines choses

 23   sont acceptables, mais d'autres sont de pures inventions, y compris des

 24   mots que je n'utilise jamais

 25   M. Nobilo (interprétation). - Que pourriez-vous accepter là-


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  1   dessus, y compris aujourd'hui ? Qu'est-ce qui vous semble représenter la

  2   vérité ? Est-ce que par exemple, on peut

  3  

  4  

  5   dire qu'il est vrai que l'ignorance de la politique de Franjo Tudjman,

  6   selon laquelle il souhaite partager la Bosnie-Herzegovine, c'est-à-dire

  7   qu'il est pour la souveraineté de la Bosnie-Herzegovine, mais qu'il

  8   souhaite protéger le peuple croate ?

  9   M. Mesic (interprétation). - Je ne vais pas entrer dans une

 10   discussion sur cet entretien. Je l'estime non authentique et je ne ferai

 11   pas de commentaires dessus.

 12   M. Nobilo (interprétation). -  Vous avez mentionné Fikret Abdic

 13   pour le Tribunal de. S'agit-il d'un Musulman ?

 14   M. Mesic (interprétation). - Je pense que c'est là son

 15   sentiment.

 16   M. Nobilo (interprétation). -  Vous avez parlé d'un rôle positif

 17   de la République de Croatie à Bihac ,pouvez-vous nous expliquer en

 18   quelques phrases de quoi il s'agissait en quel sens leur rôle a été

 19   positif ?

 20   M. Mesic (interprétation). – La Croatie a aidé à la libération,

 21   a aidé à briser le blocus de Bihac. Le Cinquième corps était mis en

 22   danger.

 23   M. Nobilo (interprétation). – Pour le Tribunal qui ne connaît

 24   pas la région, le Cinquième corps, s'agit-il de l'armée de Bosnie-

 25   Herzégovine ?


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  1   M. Mesic (interprétation). – Oui, c'est exact.

  2   M. Nobilo (interprétation). – Et la Croatie a aidé pour qu'il se

  3   maintienne et qu'il combatte les forces serbes ?

  4   M. Mesic (interprétation). - Oui ? Sisre Tadic a attaqué le

  5   Cinquième corps avec les forces serbes.

  6   M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi Monsieur le Président,

  7   les questions-réponses vont rapidement. Je remarque que M. Nobilo pose une

  8   question qui était interprétée. Monsieur Mesic a répondu avant que

  9   l'interprétation ne soit achevée. Monsieur Nobilo a posé une autre

 10   question. Je pense que, pour tout le monde, il serait préférable que

 11   l'interprétation soit achevée avant que les questions ne soient posées et

 12   que les réponses ne soient fournies. Merci.

 13  

 14  

 15   M. le Président. – Maître Nobilo est d’accord.

 16   M. Nobilo (interprétation). – Oui, nous allons essayer

 17   d'introduire des pauses entre les questions et les réponses.

 18   Lorsqu’on a mal compris que vous aviez demandé de tuer Kordic,

 19   comment avez-vous compris le fait que l'on ne pouvait donner des ordres à

 20   Kordic ? Kordic était-il autonome ?

 21   M. Mesic (interprétation). – Je pense qu'il est tout à fait

 22   clair qu'il s'agissait là d'une démarche plus libre. C'est-à-dire que je

 23   ne pouvais pas donner l'ordre de tuer Kordic et je n'ai jamais donné cet

 24   ordre à qui que ce soit. Cela aurait été une interprétation trop libre. Ce

 25   que j'ai demandé à Mate Boban, c'est de laisser faire et il m'a affirmé


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  1   qu'il ne pouvait pas car, s'il pouvait tout ordonner à Kordic,

  2   probablement qu'il aurait pu également lui ordonner cela.

  3   M. Nobilo (interprétation). – On peut en conclure que cela

  4   n'était pas réel, qu’il vous a menti d'une certaine manière ?

  5   M. Mesic (interprétation). - C'était réel qu'il pouvait donner

  6   des ordres à Kordic.

  7   M. Nobilo (interprétation). – Vous avez parlé de déplacements

  8   humains de population. Lorsque vous avez mentionné cette expression, vous

  9   avez dit qu'on avait commencé à l'utiliser. Pourriez-vous nous dire où

 10   vous avez entendu cette expression, qui l’a prononcée, dans quel

 11   contexte ? S'agissait-il d'une réunion officielle, d'une conversation lors

 12   d'un dîner, d’un déjeuner ?

 13   M. Mesic (interprétation). - J'ai entendu parlé de déplacements

 14   humains de population pour la première fois, au cours des pourparlers avec

 15   la direction bosniaque. Tudjman a utilisé cette expression plusieurs fois

 16   pour que l'on diminue le nombre de victimes auprès de la population, pour

 17   que l'on diminue les conflits. Il fallait donc permettre les déplacements

 18   humains de population. Il a réitéré cela à plusieurs reprises au cours de

 19   ses déclarations officielles et la personne qui vous a donné toutes ces

 20   coupures de presse pourra également vous trouver des coupures de presse

 21   qui parlent de déplacements humains de populations. La date ne m'intéresse

 22  

 23  

 24   pas.

 25   M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous nous expliquer ce


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  1   que l'on entend par “déplacements humains de populations” ? S'agit-il pour

  2   le gouvernement de permettre à la population qui souhaite échanger sa

  3   maison ou son appartement avec quelqu'un d'autre de le faire ? Pouvez-vous

  4   nous donner des détails ?

  5   M. Mesic (interprétation). - Cela signifie que, si tu mets le

  6   feu à cinq villages, le sixième disparaît de lui-même.

  7   M. Nobilo (interprétation). - Est-ce Tudjman qui l’a dit ?

  8   M. Mesic (interprétation). - Non, c'est ce que j'en conclus. Il

  9   s'agit de quelqu'un qui quitte son village, sa ville, sa propriété. Mais

 10   moi, je n'ai encore jamais vu quelqu'un d'assez idiot pour le faire.

 11   M. Nobilo (interprétation). - Mon collègue me dit que cela

 12   allait trop vite. Les interprètes ont-elles réussi à interpréter ou pas ?

 13   Je vous ai donc demandé si Tudjman a dit que les déplacements

 14   humains de populations sous-entendaient que l'on mettait le feu à cinq

 15   villages et que le sixième disparaissait de lui-même ?

 16   M. Mesic (interprétation). - Je crois que vous m'avez

 17   parfaitement compris. Il s'agit du fait que les déplacements humains de

 18   populations sont justifiés parce que l’on venait en aide à la population.

 19   Mais, étant donné que je suis un être raisonnable, je comprends

 20   parfaitement de quoi il s'agit.

 21   De quels déplacements humains de populations parle-t-on ? De

 22   quelqu'un qui doit abandonner son village, sa propriété, sa famille, ses

 23   amis et dire qu'il part humainement ? Il part parce que sa vie est mise en

 24   danger, c'est-à-dire qu'il y a des circonstances préalables qui font qu'il

 25   doit partir. Pour moi, le déplacement humain de population ne vise qu'à


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  1   remplacer le terme "génocide".

  2   M. Nobilo (interprétation). - Il s'agit donc de votre point de

  3   vue. Vous avez dit que vous avez donné comme exemple des volontés croates

  4   le fait que la monnaie croate avait été introduite dans des parties de

  5   Bosnie-Herzégovine contrôlées par les Croates. Je vous pose la question

  6   suivante : quelle monnaie était en vigueur à l'époque en

  7   Bosnie-Herzégovine ? Ne s'agissait-il pas du dinar yougoslave qui a eu un

  8   impact sur la Croatie tout d'abord, puis sur la Bosnie-Herzégovine ?

  9   M. Mesic (interprétation). - Oui, la première attaque monétaire

 10   a été effectuée sur la Croatie puis sur la Bosnie-Herzégovine, mais, je ne

 11   pensais pas critiquer cela. J'ai constaté l'effet simplement. La monnaie

 12   croate existait et c'est le cas aujourd'hui. Il y avait également la

 13   monnaie allemande. Je n'ai aucune objection. C'est la situation telle

 14   qu'elle était à l'époque.

 15   M. Nobilo (interprétation). - Avez-vous entendu, de la bouche du

 16   Président Tudjman ou de la part de la direction du gouvernement croate,

 17   que lui-même ou ses collaborateurs... Au cours de réunions auxquelles vous

 18   avez participé avec les dirigeants des Croates de Bosnie, avez-vous

 19   entendu parler de "territoires ethniquement purs", en d'autres termes que

 20   des représentants d'autres religions, d'autres ethnies devraient

 21   abandonner les territoires contrôlés par les Croates ?

 22   M. Mesic (interprétation). - J'ai le souvenir seulement que

 23   Tudjman a affirmé que, après cette guerre, il resterait environ 5 % de

 24   Serbes en Croatie. Maintenant se pose la question -ce sont des

 25   spéculations- : pensait-il de cette manière, parce qu'une partie des


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  1   Serbes partirait de son plein gré, ou pensait-il que la politique allait

  2   le faire de la sorte ? Il ne l'a pas dit, mais il estimait qu'il en

  3   resterait 5 %. Donc, sur 10 % à 12 % au départ, il en resterait 5 % par la

  4   suite.

  5   Mais nous pouvons également interpréter cela différemment. J'ai

  6   participé à un entretien avec Bela Tonkovic qui venait comme chef des

  7   Croates de Voïvodine de Serbie. Tudjman lui a proposé de faire en sorte

  8   que les Croates de Voïvodine échangent leur maison et qu'ils viennent en

  9   Croatie, qu'ils quittent Voïvodine.

 10  

 11  

 12   Bela Tonkovic n'était pas d'accord avec cela. Il a dit que,

 13   depuis des siècles, ils avaient habité là-bas, que leurs ancêtres avaient

 14   habité en Voïvodine et qu'ils comptaient y rester. Cet entretien a été

 15   relativement dur et je pense que Bela Tonkovic n'est plus revenu en

 16   Croatie pendant un moment après cela.

 17   M. Nobilo (interprétation). - Mais ma question portait sur la

 18   Bosnie-Herzégovine. Au cours de ces réunions ou au cours d'autres réunions

 19   officielles, ou de réunions privées, Tudjman vous a-t-il dit que, en

 20   Bosnie-Herzégovine, dans les parties contrôlées par la Croatie, il fallait

 21   chasser la population non croate ?

 22   M. Mesic (interprétation). - Non, il n'a jamais dit ouvertement

 23   qu'il fallait chasser la population non croate.

 24   M. Nobilo (interprétation). - Vous avez parlé de la double

 25   nationalité au cours de l'interrogatoire, alors j'aimerais vous poser une


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  1   question. Cette double nationalité n'était-elle prévue que pour les

  2   Croates de Bosnie-Herzégovine ou pour tous les Croates du monde entier ?

  3   Les Croates ethniques qu’ils aient vécus en Amérique ou en Australie

  4   peuvent-ils obtenir cette double nationalité ?

  5   M. Mesic (interprétation). - Selon notre législation, tous les

  6   Croates ethniques, toutes les personnes nées croates peuvent obtenir la

  7   nationalité croate.

  8   M. Nobilo (interprétation). - La question suivante est liée à

  9   cette double nationalité et à la législation que vous avez mentionnée. Le

 10   droit d’être électeur et représentant au parlement croate ne revient-il

 11   qu'aux Croates de Bosnie-Herzégovine ou à tous les Croates ethniques ? Des

 12   Croates en Australie ou aux Etats-Unis votent-ils pour le Parlement

 13   croate ?

 14   M. Mesic (interprétation). - Ici, il fallait que le HDZ dispose

 15   de 12 représentants et de 10 % au parlement croate. Ce qui se passe aux

 16   échecs avec la tour, c’est un peu ce qui se passe aux élections croates.

 17   Le HDZ contrôlait tous les Croates de la diaspora, en tout cas

 18   une majorité, ce

 19  

 20  

 21   contrôle est manifeste. Je vais vous en citer un élément : tous les

 22   Croates qui vivent en Australie et qui ont régularisé leur nationalité

 23   avec la République de Croatie (et à Sydney, et à Melbourne, etc., donc

 24   tous les Croates qui vivent là-bas et il y en a énormément), tous ont voté

 25   au cours des dernières élections. Personne n'était en voyage d'affaire ou


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  1   à l'hôpital, tout le monde a voté, absolument tous ont voté, soit 100 %.

  2   S'agit-il d'élections vraiment sérieuses ? Je vous laisse le soin d'en

  3   juger.

  4   S’agissant de la Bosnie-Herzégovine, dès que cette décision a

  5   été prise, j'ai pris contact avec M. Trnka, l’ambassadeur de la Bosnie-

  6   Herzégovine. Je lui ai dit que cela allait déstabiliser la Bosnie-

  7   Herzégovine, mais que ce type d’élections allaient également porter

  8   attente à la Croatie.

  9   Donc je lui ai demandé d’exprimer son désaccord à la direction

 10   de la Bosnie et de se prononcer contre la possibilité pour tous les

 11   Croates en Bosnie-Herzégovine de voter pour les élections au parlement

 12   croate. En effet, d'autres pays et d’autres systèmes sérieux, car le nôtre

 13   ne l'est pas selon moi, permettent aux citoyens qui se trouvent à

 14   l'étranger de voter pour leur parlement ; car c'est dans ces pays-là

 15   qu’ils paient leurs impôts et qu'ils ont des obligations.

 16   Nous avons eu des citoyens qui ne font pas partie de la diaspora

 17   croate et qui sont des citoyens de Bosnie-Herzégovine, qui y sont nés,

 18   leurs ancêtres y sont nés depuis des générations ; ils ne paient

 19   certainement pas d'impôts en Croatie et ils prennent des décisions qui

 20   nous concernent tous, nous qui avons des responsabilités et qui payons des

 21   impôts dans ce pays. C'est la raison pour laquelle j'y étais opposé.

 22   J'estime que cette loi, tôt où tard, ne sera plus en vigueur car

 23   il s'agit d'une tricherie.

 24   Aujourd’hui, dans la fédération de Bosnie-Herzégovine, et dans

 25   l’Etat de Bosnie-Herzégovine, vous avez des personnes haut placées qui


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  1   sont membres du Parlement croate. Selon moi, un tel exemple est sans

  2   précédent dans le monde.

  3   M. Nobilo (interprétation). - J'aimerais résumer brièvement la

  4   situation. Etes-vous

  5  

  6  

  7   d'accord avec moi pour dire que l'ensemble de la diaspora croate peut

  8   voter lors d'élections du parlement croate et non seulement les Croates de

  9   Bosnie-Herzégovine ?

 10   M. Mesic (interprétation). - Absolument, car toute la diaspora

 11   est contrôlée par l'Union démocratique croate et cela dans l'intérêt du

 12   HDZ et de Tudjman.

 13   M. Nobilo (interprétation). - Vous avez occupé des fonctions de

 14   haut niveau...

 15   M. le Président. - Je vous demanderai, Maître Nobilo, je crois

 16   que les Juges ne vous interrompent pratiquement jamais, mais quand même,

 17   quand vous posez une question vous avez une réponse. Si vous devez encore

 18   dire : « Je crois donc que cela veut dire ceci, cela veut dire cela »,

 19   cela rallonge beaucoup. Vous posez une question, vous avez une réponse. Si

 20   au bout de quatre, cinq, six questions, vous dites : « Alors, si j'ai bien

 21   compris... », j'allais dire un peu cruellement : « C'est votre problème de

 22   savoir si vous avez bien compris ou pas, Maître Nobilo ». Après tout,

 23   les Juges ont peut-être bien compris. C'est un peu compliqué. Vous posez

 24   trois, quatre, cinq questions sur le problème du statut de la nationalité.

 25   Le témoin vous répond : vous comprenez ou vous ne comprenez pas. Vous en


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  1   tirez les conclusions. Si, chaque fois, il faut dire : « Si j'ai bien

  2   compris », j’allais dire : « C'est votre problème de savoir si vous avez

  3   bien compris ». Vous voyez ce que je veux dire ?

  4   M. Nobilo (interprétation). - Oui, je comprends bien, Monsieur

  5   le Président, mais ce que j’essaye de faire, je pose une question

  6   directe : « Les Croates hors de Bosnie-Herzégovine peuvent-ils élire des

  7   membres du Parlement croate ? » On aurait pu répondre oui. Mais M. Mesic

  8   fait de la propagande contre le HDZ. Je n'ai rien contre cela, mais

  9   j'essaie de résumer.

 10   M. le Président. - Votre résumé, j’ai envie de dire, il n'est

 11   peut-être pas plus objectif que d'autres résumés. C'est votre résumé à

 12   vous. Vous posez les questions et vous en tirerez les conclusions le

 13   moment venu. Je veux dire que nous ralentissons beaucoup.

 14   Vous dites : « Si j'ai bien compris... », je maintiens que c'est

 15   votre problème de

 16  

 17  

 18   savoir si vous avez compris ou pas. C'est comme si vous disiez : « Si

 19   les Juges ont bien compris ». C'est leur problème. Nous n'en sortirons pas

 20   si c'est chaque fois cela. Vous posez des questions très précises qui sont

 21   dans le cadre de l’interrogatoire, le témoin vous répond et vous reposez

 22   éventuellement d'autres questions plus précises, je ne vous l'interdis

 23   pas, en ce qui me concerne.

 24   Mais si, vraiment, à la fin de tout ce développement, on doit

 25   encore reprendre des questions pour savoir si Me Nobilo a bien compris,


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  1   là, je ne suis pas du tout, excusez-moi de vous le dire très gentiment et

  2   avec beaucoup de courtoisie, je ne suis pas du tout d'accord.

  3   M. Nobilo (interprétation). - Je tiendrai compte de ce que vous

  4   avez dit.

  5   M. le Président. - Question de propagande, si j'ai bien compris

  6   hier, vous êtes quand même bien au fait de ces questions, d’après ce qu’a

  7   dit le témoin, donc vous devriez arriver à comprendre. Je suis persuadé

  8   que vous êtes très intelligent pour comprendre.

  9   M. Nobilo (interprétation). - Je suis entièrement d'accord. J’ai

 10   bien compris de quoi il s'agit, simplement j'essaie de faire la part entre

 11   la propagande politique et la procédure, mais j'ai parfaitement compris

 12   que je ne devais pas faire de la sorte et je tiendrai compte de vos

 13   recommandations. Nous passons à la suite.

 14   Monsieur Mesic, je vous serais reconnaissant, en raison des

 15   contraintes de temps et du fait que nous avons un programme chargé

 16   aujourd'hui, de répondre de manière brève et directe et de ne pas répéter

 17   ce que vous avez déjà dit. En effet, nous devons penser aux contraintes de

 18   temps.

 19   J'ai commencé par dire que vous avez occupé des fonctions de

 20   tout premier ordre et que vous connaissez peut-être un certain nombre de

 21   nuances, mieux que l'homme de la rue, que nous-mêmes et que le Tribunal

 22   qui ne connaît pas bien la région.

 23   Pouvez-vous nous dire s'il existe une différence au sein du

 24   peuple en Bosnie-Herzégovine ? Y aurait-il une partie que l'on pourrait

 25   appeler plutôt Herzegovine et une partie


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  1  

  2  

  3   plutôt bosniaque ? Y a-t-il des différences ?

  4   M. Mesic (interprétation). - Ils n'ont pas connu le même sort.

  5   La majorité des Croates de Herzégovine sont restés et la majorité des

  6   Croates en dehors de la Bosnie et en dehors de l’Herzégovine ont dû, pour

  7   toute une série de raisons, quitter leurs maisons.

  8   M. Nobilo (interprétation). - Etes-vous d'accord pour dire... La

  9   traduction n'est pas exacte et dit que la majorité des Croates de

 10   Herzégovine est restée dans son foyer. C'est la majorité des Croates en

 11   dehors de l’Herzégovine qui est partie.

 12   M. Mesic (interprétation). - Pour telle ou telle raison.

 13   M. Nobilo (interprétation). - Aux fins du compte rendu, êtes-

 14   vous d'accord que la traduction était erronée ?

 15   M. Mesic (interprétation). - Oui.

 16   M. Nobilo (interprétation). - Dans l'interrogatoire principal,

 17   vous avez dit que le résultat de la politique catastrophique du

 18   président Tudjman a chassé 500.000 Croates de Bosnie-Herzégovine.

 19   M. Mesic (interprétation). - En partie, pas uniquement à cause

 20   de cela. Bien entendu, la raison essentielle est l'agression serbe. La

 21   deuxième raison est la politique de Franjo Tudjman.

 22   M. Nobilo (interprétation). - Sur ces 500.000, y avait-il une

 23   majorité de Croates de Bosnie centrale qui sont partis ?

 24   M. Mesic (interprétation). - Je n'ai pas les données précises

 25   mais, si vous me posez des questions sur cette politique erronée, je pense


Page 7327

  1   qu'un élément suffit. Les Croates à Sarajevo, après avoir été encerclés,

  2   ont obtenu l'ordre, la tâche de Mate Boban -Miljenko Brkic peut vous le

  3   confirmer- selon lequel tous les Croates devaient abandonner toutes les

  4   fonctions en Bosnie-Herzégovine, même les professeurs qui, en nombre, en

  5   pourcentage, étaient peu nombreux. Il y avait peu de Croates mais ils

  6   avaient des regroupements importants. Il y avait plus de

  7  

  8  

  9   200 professeurs d'université, enseignants et assistants.

 10   Miljenko Brkic a demandé à Mate Boban : « Mais où devons-nous

 11   aller de Sarajevo ? Ceux qui restent à Sarajevo sont considérés comme des

 12   traîtres », avant la prise des voies d'accès à Sarajevo par les Serbes.

 13   Mate Boban lui a dit : « Venez chez nous, nous vous traiterons comme nous-

 14   mêmes ». Il y avait donc une politique selon laquelle les Croates

 15   quittaient un endroit.

 16   Les gens de Vares m'ont dit la même chose, des membres du

 17   conseil populaire croate de Vares. Josip Jozelic, notamment, m'a dit que

 18   le HVO avait vidé des zones de population croate en raison d'un certain

 19   nombre d'arrangements dont il n'a pas pu me donner plus de détails car il

 20   ne savait pas de quoi il s'agissait.

 21   J'affirme donc que cette politique a également amené à des

 22   déplacements de populations, et pas seulement l'agression serbe.

 23   M. Nobilo (interprétation). - Etes-vous d'accord pour dire,

 24   alors, que la partie de l'Herzégovine est responsable ? Ces regroupements

 25   de personnes sont nés et ils ont essayé de les vider car il s'agissait


Page 7328

  1   d'un obstacle ; ils ont donc essayé d'évacuer ces enclaves ?

  2   M. Mesic (interprétation). - Oui, sans doute y a-t-il eu des

  3   personnes qui partageaient l'opinion que vous venez de formuler. Je ne

  4   peux pas rentrer dans les détails. Qui a donné les ordres ? Comment une

  5   telle politique a été mise en oeuvre ? Je n'en sais rien. Il y a souvent

  6   des subtilités qui ne sont pas détectables au premier regard dans ce genre

  7   de situations. Certainement, personne n'aurait émis des ordres qui, par la

  8   suite, pourraient faire l'objet de critiques. On procède de façon

  9   différente.

 10   M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous prendre l'exemple de

 11   Vares et de ce qui s'est passé à Stupni Do ?

 12   M. Mesic (interprétation). - Les personnes qui ont commis les

 13   massacres ou les crimes à Stupni Do voulaient manifestement créer un

 14   sentiment de peur au sein de la population

 15  

 16  

 17   croate et essayer de leur faire croire que les Bosniaques allaient essayer

 18   de se venger. Cela allait dans l'intérêt de tous. Je ne vois rien qui

 19   puisse justifier un crime d'une telle proportion.

 20   M. Nobilo (interprétation). - D'après vous, vis-à-vis de

 21   l'enclave entourée par les territoires musulmans, qui n'avait aucun lien

 22   avec l'Herzégovine ni avec la Croatie, que souhaitait faire

 23   l'Herzégovine ?

 24   M. Mesic (interprétation). - Je ne souhaite pas rentrer dans ce

 25   type de détails. C'est la Croatie, c'est notre faute. C'est la faute de la


Page 7329

  1   Croatie.

  2   Nous sommes entrés dans un conflit contre la plus grande victime

  3   de l'agression Serbe. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de savoir si la

  4   Croatie va rester là ou s’il elle va se déplacer, c'est tout le concept

  5   qui est faussé. Mate Boban m’a dit, quelques mois avant sa mort, qu'il

  6   pensait que l’Herzégovine allait rejoindre la Croatie, que la population

  7   le souhaite ou non. Je peux même vous raconter une anecdote.

  8   Deux ou trois mois avant sa mort, nous nous sommes rencontrés à

  9   l’Intercontinental de Zagreb. Il m’a invité, nous avons pris un café

 10   ensemble. J’ai bien sûr accepté son invitation de partager un verre avec

 11   lui car après tout, nous étions tous les deux d'anciens chefs d'Etat, moi

 12   un ancien chef d'Etat de Yougoslavie et lui de l’Herceg-Bosna, deux

 13   entités qui toutes deux ont disparu. Il m’a dit  : « oui, ces deux entités

 14   ont disparu, mais la mienne, à ce jour, reste la plus forte ».

 15   Je lui ai demandé où il comptait aller. Il m’a répondu qu’il

 16   irait en Croatie. J’ignore s’il s’agissait d’une déclaration politique ou

 17   simplement d’un rêve qu’il formulait. C’est un peu difficile à dire.

 18   M. Nobilo (interprétation). - Vous citez un exemple très

 19   intéressant. Vous dites que les Croates ont commis un crime à ce Stupni Do

 20   et qu'ils souhaitaient que l'armée musulmane se venge de ces crimes ?

 21   M. Mesic (interprétation). - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que

 22   ces crimes avaient été

 23  

 24  

 25   commis car l'objectif était d’insuffler un sentiment de peur auprès de la


Page 7330

  1   population pour essayer de leur faire croire que les Musulmans allaient

  2   essayer de se venger. Vous avez très bien compris ce que j’ai dit.

  3   M. Nobilo (interprétation). - Bien sûr, j’ai compris, mais je

  4   veux essayer d’établir une comparaison. Vous avez parlé des crimes

  5   d’Ahmici, or la vallée de la Lasva était entourée par les forces de

  6   l'armée de Bosnie-Herzégovine. Les Croates de la vallée de la Lasva

  7   n'avaient aucun contact avec l’Herzégovine.

  8   M. Mesic (interprétation). - Mais un crime a été commis dans

  9   cette région.

 10   M. Nobilo (interprétation). - Mais ce n'est pas le même modèle

 11   qui a utilisé pour essayer d’intimider les Croates et pour essayer de les

 12   faire quitter la vallée de la Lasva ?

 13   M. Mesic (interprétation). - J’ai déclaré que tout le monde

 14   était capable de commettre des crimes. Aucun peuple d'une nation

 15   quelconque peut se sentir à l'abri d'une telle possibilité. Chacun peut, à

 16   un moment donné, commettre certains crimes. Seul Milan Vukovic, le juge de

 17   la Cour suprême de Croatie, a déclaré qu’un Croate ne peut jamais

 18   commettre de crime. Cette déclaration révèle bien ce que pense la Cour

 19   suprême et son dirigeant, cela révèle bien l’état de psychose qui régnait

 20   en Croatie.

 21   Pour ma part, je pense qu’il faut établir les culpabilités au

 22   niveau individuel, qu’il s’agisse d’un Serbe, d’un Musulman ou d’un

 23   Croate. Personne ne peut se sentir à l'abri de la commission de certains

 24   actes. Je crois qu’il faut toujours établir la culpabilité au niveau

 25   individuel.


Page 7331

  1   M. Nobilo (interprétation). - Seriez-vous d'accord pour dire que

  2   ce qui s'est passé à Stupni Do Vares aurait pu être un modèle qui a été

  3   reproduit à Ahmici et dans d'autres secteurs de la vallée de Lasva.

  4   M. Mesic (interprétation). - On peut le supposer, mais il est

  5   important d’établir la vérité. Je préfère que vous ne me posiez pas une

  6   question relative à mon opinion sur ce point

  7  

  8  

  9   précis.

 10   M. Nobilo (interprétation). - Avez-vous la moindre idée de la

 11   façon dont la guerre a commencé dans la région de la vallée de la Lasva ?

 12   Avez-vous une idée de l'équilibre des forces dans le secteur. Avez-vous

 13   une idée quelconque de la question ?

 14   M. Mesic (interprétation). - Je n'ai aucune information précise

 15   sur ce point. Je recevais, de temps en temps, des rapports en provenance

 16   de ce secteur géographique. Bien sûr, j’ai ma propre opinion sur la

 17   question, mais cela importe peu. Je ne crois pas que cela intéresse la

 18   Chambre de première instance.

 19   M. Nobilo (interprétation). - Vous avez nommé un certain nombre

 20   de hauts représentants, de hauts officiers qui se trouvaient au sein de

 21   l’armée croate, puis plus tard au sein du HVO. Je vous rappelle ces noms :

 22   Petkovic, Roso, Praljak et Tolj. Ces personnes sont-elles nées en Bosnie-

 23   Herzégovine ?

 24   M. Mesic (interprétation). - Je sais simplement que Praljak est

 25   né en Bosnie-Herzégovine. J’ignore d’où vient Petkovic, d’où il est


Page 7332

  1   originaire. De temps en temps, il se trouvait au sein d'une armée, puis,

  2   de temps en temps, au sein de l’autre armée. Qu'est-ce qui décidait de

  3   leur départ ou de la durée de leur séjour au sein de telle ou tell armée ?

  4   Je n'en sais rien.

  5   M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit avoir entendu des

  6   rumeurs selon lesquelles des soldats croates avaient participé à la guerre

  7   en Bosnie-Herzégovine. Avez-vous parlé à un soldat croate quelconque qui

  8   vous aurait dit qu'il a été obligé de se rendre en Bosnie-Herzégovine,

  9   qu’il ne s’y était pas rendu de son propre gré ?

 10   M. Mesic (interprétation). - Nombre de soldats sont venus me

 11   voir, des soldats qui avaient combattu en Bosnie-Herzégovine. C'étaient

 12   des soldats croates. Certains étaient des volontaires de Bosnie-

 13   Herzégovine qui, eux aussi, sont venus me voir. Sinon, il s'agissait de

 14   soldats croates. Je voyais leurs parents qui venaient me voir et qui me

 15   disaient que leurs enfants n'étaient pas des volontaires, au contraire,

 16   mais qu'ils avaient effectivement été combattre en Bosnie-Herzégovine.

 17   Je dois reconnaître que j'ai demandé à obtenir une explication

 18   officielle de la part du ministère de la Défense,

 19   celui-ci m'a soutenu qu'il n’y avait eu aucune unité croate en

 20   Bosnie-Herzégovine. Y en a-t-il eu ou pas, je ne sais pas. Je n'étais pas

 21   inspecteur à l'époque. Il ne m’appartenait pas d'établir la vérité sur ce

 22   point. Mes neveux, notamment Zlatko Nesic  était un soldat et allait en

 23   Bosnie. Il en est revenu et ce n'était pas un volontaire. Il est né en

 24   Slavonie et n'a rien à voir avec la. Bosnie-Herzegovine ; pourtant, il y

 25   est allé.


Page 7333

  1   M. Nobilo (interprétation). -  Vous m'avez demandé un nom je

  2   vous en ai donné un...

  3   Monsieur le Président. - L'interprète de la cabine française ne

  4   l'a pas entendu. Le témoin a dit  :"je vous ai donné un nom, vous m'avez

  5   demandé un nom, je vous ai donné un nom"

  6   M. Nobilo (interprétation). - Merci, excusez-moi.

  7   Donc, vous avez bien obtenu un certain nombre d'informations.

  8   Vous aviez des doutes quant à la situation. Avez-vous pris personnellement

  9   des mesures pour qu'une enquête soit menée sur le sujet, car il revient à

 10   l'assemblée de s'assurer de ce que fait l'armée à l'extérieur des

 11   frontières ? Avez-vous essayé de former une commission ? Cette question

 12   est-elle apparue sur l'ordre du jour d'une réunion quelconque, car cela

 13   vous incombait -n'est-ce pas ?- au vu des règles de procédure de

 14   l'assemblée ?

 15   M. Mesic (interprétation). - Je n'avais aucune possibilité, rien

 16   ne me permettait d'établir une telle commission d'enquête. Seule

 17   l'assemblée pouvait décider la création d'une telle commission. J'étais un

 18   primus interpares. J'ai essayé de faire ce que je pouvais faire. J'ai

 19   demandé à  Gosko Susac s'il y avait en Bosnie-Herzegovine l'une quelconque

 20   de nos unités

 21  

 22  

 23   armées. Il m'a dit "non". J'ai demandé ensuite à Franjo Tudjman ce qu'il

 24   en était, parce qu'après tout beaucoup de gens essayaient de rentrer en

 25   contact avec moi, non seulement dans mon bureau, mais également quand je


Page 7334

  1   parlais à la radio ou à la télévision. Subitement, un auditeur m'appelait,

  2   se présentait, des femmes souvent, et me disait : "Mon fils est dans

  3   l'armée croate, il est en Bosnie" ; je ne pouvais pas savoir si c'était

  4   vrai ou pas, je voulais m'assurer de la question. Nombre de personnes

  5   disaient que l'armée croate n'était pas présente en Bosnie-Herzegovine. Il

  6   fallait que je me décide. Est-ce que j'acceptais cette déclaration ou

  7   pas ? Mais je n'avais aucune autre compétence qui m'aurait permis de faire

  8   plus de recherches sur la question.

  9   Personne n'avait demandé à la Croatie de faire en sorte que

 10   l'armée croate sorte de ses frontières et entre sur un territoire autre

 11   que le sien.

 12   M. Nobilo (interprétation). - Mais en tant que porte-parole du

 13   Parlement, avez-vous proposé qu'une commission d'enquête soit mise sur

 14   pied ? Avez-vous demandé à ce que cette question figure à l'ordre du jour

 15   de l'assemblée ? Avez-vous fait ce type de proposition ?

 16   M. Mesic (interprétation). - Si le chef de l'Etat me dit qu'il

 17   n'y a pas de soldats croates en Bosnie-Herzegovine, que voulez-vous que je

 18   fasse ? Pourquoi voulez-vous que j'aille proposer la création d'une

 19   quelconque commission, proposition qui serait peut-être acceptée par

 20   l'assemblée où le HDZ est majoritaire ?

 21   M. Nobilo (interprétation). - Mais voyons, cette proposition

 22   serait très importante. Excusez-moi, je vais demander l'aide de l'huissier

 23   pour qu'il vous fasse parvenir un autre document. Il s'agit du Journal

 24   officiel de la République de Croatie. C'est là qu'apparaissent toutes les

 25   lois, toutes les conclusions, toutes les règles qui sont votées. C'est là


Page 7335

  1   qu'elles sont publiées. Il s'agit du document n° 14. Je le précise pour

  2   les interprètes.

  3   Nous parlons de « Narodne Novine », Journal officiel de la

  4   République de Croatie n° 27, daté du 6 avril 1993.

  5   La Chambre des représentants de l'assemblée de la République de

  6   Croatie, le

  7  

  8  

  9   26 mars 1993, a adopté un certain nombre de conclusions et j'attire votre

 10   attention sur la conclusion n° 3 qui stipule : "La Chambre des

 11   représentants soutient la proposition du Président de la République de

 12   Croatie et du Gouvernement de la République de Croatie et approuve la

 13   politique qui est proposée. La Chambre des représentants est d'avis que la

 14   cessation des hostilités va dans le sens des intérêts de la Croatie et

 15   qu'il faut absolument trouver une solution politique à la crise qui règne

 16   dans l'Etat souverain de Bosnie-Herzegovine». Ce document est signé par

 17   Stjepan Mesic, Président de la Chambre des Représentants.

 18   Vous rappelez-vous de ces conclusions ? Avez-vous bien apposé

 19   votre signature au bas de ces conclusions ?

 20   M. Mesic (interprétation). - Il n'y a aucun doute sur ce point.

 21   M. Nobilo (interprétation). - Vous confirmez cette conclusion.

 22   Au vu de ce que vous venez de dire, je me permets de vous faire

 23   remarquer que vous avez signé des conclusions qui vont tout à fait dans le

 24   sens inverse des informations qui ont été portées à votre connaissance.

 25   M. Mesic (interprétation). - Mais que voulez vous dire ?


Page 7336

  1   M. Nobilo (interprétation). - Eh bien, je le répète, il va dans

  2   l'intérêt de la Croatie d'arriver à une cessation des hostilités. Il faut

  3   arriver à une solution politique des problèmes qui se sont posés dans

  4   l’Etat souverain de Bosnie-Herzégovine.

  5   M. Mesic (interprétation). - Mais la Bosnie-Herzégovine, en tant

  6   qu’Etat souverain, m'a toujours beaucoup intéressée.

  7   M. Nobilo (interprétation). - Donc, d'après vous, ceci est tout

  8   à fait cohérent avec ce que vous faisiez et vos aspirations de l'époque ?

  9   M. Mesic (interprétation). - Oui.

 10   M. Nobilo (interprétation). - Je vais vous soumettre un autre

 11   document, Monsieur

 12  

 13  

 14   Mesic, si vous le voulez bien. Je demande à l'huissier de vous le

 15   communiquer.

 16   (L’huissier s’exécute.)

 17   Ce document traite d'une autre question. Il s'agit là aussi du

 18   Journal Officiel du 10 mai 1993. Je précise à l'intention des cabines

 19   d'interprétation qu'il s'agit du document numéro 15 et de la publication

 20   numéro 43 du « Narodne Novine » du 10 mai 1993.

 21   Le texte de la conclusion indique ce qui suit :

 22   «Conformément à l'article 1/1.3 du Règlement de procédure de la

 23   Chambre des représentants de l'Assemblée croate, la Chambre des

 24   représentants de la République de Croatie a adopté les conclusions

 25   suivantes lors de sa session du 30 avril 1993.


Page 7337

  1   1- Les Musulmans et les Croates, les parties belligérantes, dans

  2   la République de la Bosnie-Herzégovine sont appelés dans l'intérêt de la

  3   protection de la vie humaine à défendre leur communauté historique, et

  4   pour préserver la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine sont donc appelés

  5   à mettre immédiatement un terme à tout conflit en cours à l'heure actuelle

  6   en Bosnie-Herzégovine conformément à l'accord signé par les représentants

  7   de ces deux populations.

  8   2- Les parties belligérantes, qui ne respectent toujours pas

  9   l'accord qui a été signé, sont appelées à traiter tous les problèmes

 10   encore non résolus par le biais de leurs représentants civils et

 11   militaires.

 12   3- La Chambre des représentants remarque que la communauté

 13   d’identité historique des Musulmans et des Croates est une pré-condition à

 14   la survie de ces deux peuples sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine,

 15   et pour la fondation et la préservation de l'Etat souverain et intègre de

 16   Bosnie-Herzégovine. Cela nous permettra également d'assurer son avenir.

 17   4- Les deux populations sont appelées à joindre leurs forces et

 18   a résisté à l’invasion serbe qui vise à annexer la Bosnie-Herzégovine pour

 19   créer (je cite) la Grande

 20  

 21  

 22   Serbie.

 23   5- Pour arriver à une résolution pacifique des conflits actuels

 24   et à la préservation de la souveraineté territoriale de la Bosnie-

 25   Herzégovine, la Chambre des représentants se verra doter d’une


Page 7338

  1   représentation multipartite qui offrira ses bons offices.

  2   Daté du 30 avril 1993, Chambre des représentants, République de

  3   Croatie, le Président de la Chambre des représentants Stjepan Mesic».

  4   Authentifiez-vous ce document, Monsieur Mesic ?

  5   M. Mesic (interprétation). - Oui.

  6   M. Nobilo (interprétation). - Je passe au texte suivant.

  7   Monsieur l'huissier, s’il vous plaît.

  8   (L’huissier s’exécute.)

  9   Il s'agit d'une déclaration portant sur la politique étrangère

 10   de la République de Croatie. Je ne vais lire qu'une partie de ce texte,

 11   celle qui traite de la Bosnie-Herzégovine. C’est le document numéro 16, je

 12   le dis à l'intention des interprètes.

 13   S’agissant du point 68 du «Narodne Novine », (Journal Officiel

 14   de Croatie, daté du 14 juillet 1993, le titre est : «Déclaration sur la

 15   politique étrangère de la République de Croatie».

 16   Je ne vais m'attacher qu'au 4ème paragraphe. Je lis :

 17   «L'intégrité de l'Etat indépendant et souverain de Bosnie-Herzégovine,

 18   Etat reconnu au plan international, est soutenu par la Croatie.

 19   Nous soutenons également la définition légale et

 20   constitutionnelle de la structure de l'Etat, conformément à l'accord passé

 21   par les trois peuples constituants de cet Etat.

 22   Signé par le Président de la Chambre des représentants,

 23   Stjepan Mesic »

 24   Cette déclaration a été adoptée le 30 juin 1993. Identifiez-vous

 25   cette déclaration, Monsieur Mesic ?


Page 7339

  1  

  2  

  3   M. Mesic (interprétation). - Oui.

  4   M. Nobilo (interprétation). – Nous avons passé en revue tout un

  5   ensemble de documents, Monsieur Mesic, parmi lesquels une liste

  6   d'événements qui se sont produits et qui impliquaient la République de

  7   Bosnie-Herzégovine et de la Croatie.

  8   Vous avez confirmé qu'il s'agissait bien de la politique

  9   officielle de la République de Croatie. Il s'agissait d'une politique

 10   positive qui allait dans le sens de la préservation de l’intégrité de la

 11   Bosnie-Herzégovine. Vous avez ajouté qu'il y avait une politique cachée.

 12   Je ne vous demande pas votre opinion ni la conclusion que vous

 13   avez tirée de tout cela, mais la chose suivante : sur quelle base vous

 14   appuyez-vous pour dire que la Croatie avait une politique cachée qui

 15   visait à diviser la Bosnie-Herzégovine, sur quel fait vous appuyez-vous

 16   pour affirmer une telle chose ?

 17   M. Mesic (interprétation). - Il y a beaucoup de faits que je

 18   pourrais citer, mais je vais simplement m’appuyer sur un certain nombre

 19   d’entre eux. Si des représentants du parlement croate se rendent en

 20   Bosnie-Herzégovine, se rendent en Herceg-Bosna, ils ont été photographiés

 21   sur place portant des uniformes du HVO, alors que simultanément ils

 22   étaient membres du Parlement croate. Ces mêmes personnes, qui se sont

 23   rendues sur place et qui faisaient partie du Parlement croate, ont

 24   démonisé jusqu'à la plus extrême limite les Musulmans et leurs droits à

 25   défendre le territoire de la. Bosnie-Herzégovine. Regardez simplement ce


Page 7340

  1   qu’a dit Vice Vukojevic au sein de l'assemblée croate. Regardez simplement

  2   ce qu’a dit Ivan Tolj au sein de l'assemblée. C’était un général des deux

  3   armées. Regardez ce qu'il a dit à propos des Musulmans, regardez ce qu’il

  4   a dit à propos de la Bosnie-Herzégovine.

  5   Il vous suffit de jeter un coup d'oeil sur la déclaration de mon

  6   successeur, M. Milan Vukovic, dans laquelle il fait référence aux

  7   Musulmans. Il dit ce qu'il en pense. Lui aussi, il démolit les Musulmans.

  8   Il remet en question la possibilité même de la survie de la Bosnie-

  9   Herzégovine. Regardez ce qui a été dit à propos des Musulmans dans le

 10   parlement croate par

 11  

 12  

 13   Anto Verdoliac, qui était député et directeur de la télévision croate.

 14   En fait, cet homme a montré au peuple croate ce qu'était la

 15   politique officielle et je ne vais pas citer d'autres noms. Il me semble

 16   que j'en ai dit suffisamment. J'en arrive d'ailleurs à une conclusion, à

 17   ma conclusion : si je dis à Franjo Tudjman que ce comportement au sein du

 18   Gouvernement croate est insupportable et inacceptable, cette attitude

 19   vulgaire, ce déchaînement à l'égard des Musulmans, d'ailleurs certaines

 20   personnes n'ont même pas traité les Musulmans de Musulmans mais de Balija,

 21   je lui dis que tout cela était dommageable pour le travail du Parlement et

 22   minait la base même de la politique croate. Mais que pouvais-je faire

 23   d'autre ?

 24   Cette personne était président d'une commission du Parlement

 25   Croate. Lorsque qu'il a été en Herzégovine, on l'a pris en photo alors


Page 7341

  1   qu'il était en uniforme. Quand j’ai dit tout cela , Tudjman m'a dit :

  2   "Fais quelque chose. Fais en sorte qu'il soit limogé".

  3   J'ai appelé M. Milac, responsable du club de députés du HDZ. Je

  4   lui ai demandé de faire en sorte qu'il soit limogé. Il m'a dit : "Mais

  5   Tudjman n'a rien à dire". Quant à ce qui est en train d'être dit, quand je

  6   lui en parle il semble soutenir ce que dit Vukojevic.

  7   Comme je l’ai dit, M Vukojevic a été élu au Parlement croate

  8   lors des dernières élection s et il figurait sur la liste du HDZ.

  9   Je crois que je n'ai pas besoin d'ajouter quoi que ce soit. Je

 10   n’ai pas besoin de préciser d'autres éléments qui me permettraient

 11   d'affirmer qu'il y avait bien une double politique, une politique

 12   officielle et une politique cachée qui a eu des conséquences désastreuses

 13   pour les Croates de Bosnie-Herzégovine et une conséquence désastreuse pour

 14   le prestige de la Croatie qui ne peut plus se présenter comme un Etat

 15   sérieux aux yeux du monde.

 16   M. Nobilo (interprétation). – Encore une ou deux questions,

 17   Monsieur Mesic, si vous le voulez bien. Vous avez reçu un certain nombre

 18   d'informations grâce au poste que vous occupiez. Avez-vous été à même de

 19   vous faire une opinion quant à notre client, M Blaskic ?

 20   Voyez-vous en lui, un homme extrémiste ou plutôt un homme

 21   modéré ?

 22  

 23  

 24   M. Mesic (interprétation). - J'ai rencontré le Général Blaskic.

 25   Toutes les informations que j'ai reçues le concernant étaient des


Page 7342

  1   informations positives. Ce que je peux dire, ce que je peux souligner,

  2   c'est qu'une fois que j'ai quitté mon poste de représentant du parlement,

  3   une fois que j'ai quitté le HDZ, j'ai rencontré le Général Blaskic. Il est

  4   venu me voir, m’a serré la main et je trouve que c'est une attitude très

  5   courageuse car, à l'époque, je n'étais plus membre de l'équipe au pouvoir.

  6   M. Nobilo (interprétation). – Nombre de personnes, des personnes

  7   qui vous saluaient précédemment, ont cessé de le faire à partir de ce

  8   moment-là ?

  9   M. Mesic (interprétation). - Précisément.

 10   M. Nobilo (interprétation). - Pour conclure, je vais vous poser

 11   la question suivante. Vous n'êtes plus membre de l'équipe dirigeante au

 12   pouvoir en Croatie. Vous êtes au sein de l'opposition et, pour autant que

 13   je puisse le deviner, j'ai l'impression que vous êtes plutôt au centre de

 14   la scène politique, enfin plutôt au centre du spectre politique. Est-ce

 15   que l’un des objectifs de votre parti est de faire descendre le HDZ du

 16   pouvoir et d'essayer de faire partir le Président Tudjman ?

 17   M. Mesic (interprétation). - Si vous me demandez mon avis

 18   personnel, je dirai que j'estime que nous avons remplacé une équipe qui

 19   était une équipe monolithique tout entière orientée favorablement vers le

 20   communisme et qui ne permettait aucun processus démocratique. Même si,

 21   d'ailleurs, il y avait des processus démocratiques à l'époque, ces

 22   derniers n'ont constitué que de tout petits pas et il a fallu très

 23   longtemps pour arriver à un tournant réel dans le sens de la démocratie.

 24   Maintenant, si nous parlons du HDZ en tant que mouvement, je

 25   dirai que, bien qu'appartenant à ce mouvement, il ne me convenait pas tout


Page 7343

  1   à fait. Il rétablissait un contrôle juridique, un contrôle des médias, un

  2   contrôle sur le pouvoir exécutif, sur le pouvoir législatif et, ce, par la

  3   voie du caractère monopoliste d'un parti qui, dans ce cas précis, était un

  4   mouvement.

  5   Pour être plus précis, je trouvais regrettable qu'un nouveau

  6   parti soit recréé de façon à retrouver les problèmes anciens. Cela nous

  7   paraissait rétrograde. Nous estimions qu'il fallait donc une multiplicité

  8   de partis, qu'il fallait des coalitions au moment des élections et qu'il

  9   fallait des victoires dans le cadre de ce genre d'union.

 10   Récemment, nous avons eu de nouvelles élections dans la

 11   Jupanjia, c'est-à-dire sur le littoral où nous avons participé à des

 12   alliances multipartites, et nous avons gagné. Nous avons également mené

 13   une élection à Orahovica, mon lieu de naissance, des élections

 14   municipales, donc. Il y avait deux listes : l'une dirigée par moi, l'autre

 15   par Franjo Tudjman. La mienne avait des positions avancées. La liste de

 16   Franjo Tudjman était alliée à celle de M. Djapic qui a des positions pro-

 17   fascistes.

 18   Chacun sait bien qu'il y a un mois, ou un peu moins de temps

 19   encore, celui-ci s'est rendu en visite à Vukovar dans des voitures noires,

 20   en portant des uniformes noirs, des drapeaux noirs. Ils chantaient des

 21   hymnes de la Deuxième Guerre mondiale et leur objectif, ce que sous-

 22   tendait leur présence, était également noir. Ces hommes se sont rendus là-

 23   bas avec des idées fascistes, avec dans la tête un avenir fasciste

 24   également très noir. Dans ce cas précis, c'est nous, l'opposition unique,

 25   qui l'avons emporté. Je crois qu'il y aura d'autres élections du même


Page 7344

  1   genre, à l'avenir. C'est l'exemple que je voulais vous donner, si c'est ce

  2   qui vous intéressait.

  3   M. Nobilo (interprétation). - C'est ce qui m'intéressait, mais

  4   j'aurais voulu aujourd'hui un autre exemple au sujet de Franjo Tudjman.

  5   M. Mesic (interprétation). - Ne vous arrêtez pas à l'apparence

  6   actuelle du parlement croate parce que la catastrophe à laquelle le HDZ a

  7   fait parvenir la Croatie se démontrera explicitement aux prochaines

  8   élections. Je crois qu'il n'est pas nécessaire de s'appesantir sur ce

  9   sujet aujourd'hui. Nous y reviendrons, nous nous retrouverons, nous en

 10   reparlerons ensemble et vous serez fier un jour d'avoir été membre de mon

 11   parti.

 12   M. le Président. - Cet aparté intéressant ne concerne pas

 13   forcément le Tribunal. En

 14  

 15  

 16   avez-vous terminé, Maître Nobilo ?

 17   M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, j'en ai

 18   terminé mais je pense qu'il y a un rapport très direct avec le procès.

 19   M. le Président. - Monsieur Mesic faisait du recrutement, c'est

 20   tout.

 21   M. Mesic (interprétation). - Non, je n'en ai pas besoin. J'ai

 22   déjà des membres.

 23   M. Nobilo (interprétation). - J'en ai terminé avec mon

 24   contre-interrogatoire. Je pensais que, étant donné que M. Mesic était un

 25   responsable politique qui a défendu des objectifs politiques déterminés et


Page 7345

  1   qui en défendait également en 1992, cela pouvait être intéressant.

  2   Je voudrais demander le versement au dossier des documents que

  3   je lui ai soumis ainsi que de la vidéo avec les transcriptions française

  4   et anglaise de cette vidéo et, bien entendu, le versement au dossier des

  5   journaux officiels, c'est-à-dire des trois derniers documents que j'ai

  6   lus. Monsieur le greffier peut-il m'aider pour les cotes de ces

  7   documents ? Il s'agit du Journal Officiel du 6 avril 1993, du

  8   14 juillet 1993 et du 10 mai 1993.

  9   M. le Président. - Il me semblait qu'il y avait tout de même un

 10   journal où il n'y avait pas d'identification formelle sur une question du

 11   Juge Riad. Pas d'objection ?

 12   M. Harmon (interprétation). - Pas d'objection.

 13   M. le Président. - Très bien. Le greffier me précise bien ce qui

 14   est demandé et ce qui ne l'est pas. Il n'y a donc pas d'objection.

 15   A présent, Monsieur Mesic, peut-être le Procureur désire-t-il

 16   compléter certaines questions dans le cadre du contre-interrogatoire de

 17   son droit de réplique. Après quoi les Juges vous poseront des questions.

 18   Monsieur le Procureur...

 19   M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

 20   Monsieur Mesic, on vous a interrogé au sujet d'un certain nombre

 21   de conversations que vous avez eues avec M. Boban. Pourriez-vous dire aux

 22   Juges de la Chambre de première instance quel était le terme que vous

 23   utilisiez pour parler des Musulmans dans ces conversations ?

 24   M. Mesic (interprétation). - Je connais M. Boban depuis

 25   environ 1967/1968. Nous étions assez proches, d'ailleurs. C'est la raison


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  1   pour laquelle j'ai évoqué les conversations que j'ai eues avec lui. Mais,

  2   depuis le début des conflits avec les Musulmans -et c'est une chose que,

  3   chez lui, je n'avais jamais remarqué par le passé-, il n'a plus employé le

  4   terme de "Musulmans" mais a constamment parlé des Musulmans en termes très

  5   péjoratifs, en utilisant le mot "Balija". Il ne cessait de dire qu'il

  6   était impossible de vivre avec les Balija et que cette coexistence n'était

  7   donc plus possible, que la seule solution, à son avis, était la

  8   séparation.

  9   M. Harmon (interprétation). - Très brièvement, Monsieur Mesic,

 10   pourriez-vous décrire aux Juges la signification du terme "Balija" ? Est-

 11   ce un mot péjoratif ?

 12   M. Mesic (interprétation). - Pour autant que j'en sois informé,

 13   c'est un terme qui remonte à l'époque ottomane et qui était appliqué aux

 14   couches les plus basses de la société. C'est ce que l'on appellerait

 15   aujourd'hui "le lumpen prolétariat", je suppose.

 16   M. le Président. - Excusez-moi, vous avez dit : "Les couches les

 17   plus basses de la société"...

 18   L'Interprète. - Le "lumpen prolétariat", Monsieur le Président.

 19   M. le Président. - Ne me laissez pas en rade ! Comment

 20   traduiriez-vous cela ?

 21   L'Interprète. - Le sous-prolétariat.

 22   M. le Président. - Merci.

 23   M. Mesic (interprétation). - Oui, c'est à peu près cela.

 24   M. Harmon (interprétation). - Monsieur Mesic, comment le

 25   président Tudjman caractérisait-il ces positions politiques, les positions


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  1   politiques de Alija Izetbegovic ?

  2   M. Mesic (interprétation). - Je prendrai la liberté de dire que

  3   je connaissais mieux Alija Izetbegovic que le président Tudjman, à savoir

  4   que, dans l'ancien régime, c'est le même

  5  

  6  

  7   avocat qui m'a défendu et qui a défendu Alija Izetbegovic. Quand il est

  8   sorti de prison, quand je suis sorti de prison, nous nous sommes

  9   rencontrés. Je peux dire que nous avions des rapports amicaux. Je pense

 10   que le président Tudjman a fait une erreur lorsqu'il a inscrit

 11   Alija Izetbegovic dans ce que l'on appelait à l'époque "les intégristes

 12   islamistes". Je pense qu'Alija Izetbegovic est authentiquement un croyant.

 13   C'est un croyant sincère, c'est un homme éthique. Je pense que c'est un

 14   homme très mûr.

 15   Il est entré en politique alors que, jusque là, il n'avait pas

 16   une très grande expérience politique. Il est tout à fait certain qu'il

 17   n'avait pas connaissance de tout ce qui peut se faire dans le monde

 18   politique, de ce que les hommes politiques peuvent se faire les uns aux

 19   autres. Peut-être est-ce la raison pour laquelle au début, dans ce genre

 20   de milieu, il avait quelques difficultés à prendre des décisions.

 21   C'est un homme honnête, un homme intelligent, mûr. Je crois que

 22   je ne peux pas en dire plus et que c'est une bonne description de l'homme.

 23   M. Harmon (interprétation). - A votre avis, était-il un homme

 24   modéré ?

 25   M. Mesic (interprétation). - Oui, je pense qu'il était modéré.


Page 7348

  1   M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, vous avez

  2   sans doute vu que j'ai voulu me lever il y a quelques instants. Je me suis

  3   repris ensuite, mais mon collègue continue, je suis donc dans l'obligation

  4   de me lever.

  5   Je n'ai posé aucune question au sujet d'Alija Izetbegovic dans

  6   mon contre-interrogatoire. J'avais prévu de le faire mais, finalement,

  7   j'ai décidé que ce n'était pas utile. Je n'ai posé qu'une seule question à

  8   ce sujet. C'est la raison pour laquelle je pense que les questions posées

  9   par mon collègue sont inacceptables.

 10   M. le Président. - Je n'avais pas pensé à cette objection.

 11   J'avais pensé, Maître Harmon, que vous aviez posé une question sur les

 12   opinions politiques de Alija Izetbegovic et que la réponse portait surtout

 13   sur des considérations personnelles.

 14  

 15  

 16   Veuillez passer à une autre question, s'il vous plaît.

 17   M. Harmon (interprétation). - Très bien. Merci,

 18   Monsieur le Président.

 19   Monsieur Nobilo vous a posé une question. Il vous a demandé si

 20   les réfugiés musulmans de Bosnie étaient logés et nourris en Croatie. Ma

 21   question est la suivante : l'Etat de Croatie a-t-il reçu une aide

 22   étrangère pour assurer le logement et la nourriture de ces réfugiés ?

 23   Pouvez-vous décrire de quelle nature était cette aide reçue par la Croatie

 24   éventuellement ?

 25   M. Mesic (interprétation). - Il est exact qu'un grand nombre de


Page 7349

  1   réfugiés a effectivement constitué un fardeau lourd pour la Croatie du

  2   point de vue du logement, de l'alimentation et, de façon plus générale, de

  3   l'organisation de la vie de ces réfugiés, des personnes déplacées par la

  4   force également. Donc, la Croatie a, bien entendu, dû demander de l'aide

  5   extérieure. Maintenant quel a été le montant de cette aide, je ne le sais

  6   pas. Ce que je sais, c'est qu'il n'a jamais été dit que ce qui était

  7   fourni à ces réfugiés et à ces exilés en termes de nourriture, d’argent ou

  8   de logement était insuffisant. Ce qui semblerait signifier que l'aide

  9   reçue, aussi bien financière que matérielle, a été suffisante.

 10   M. Harmon (interprétation). - Monsieur Mesic, vous avez dit hier

 11   qu'un autre responsable de haut rang de l'Etat avait déclaré, je vous

 12   cite : « Nous devons leur rendre la vie si impossible qu’ils voudront

 13   partir ». Fin de citation.

 14   Ma première question est la suivante : qui a fait cette

 15   déclaration, quel est le responsable officiel de haut rang qui s'est

 16   exprimé de la sorte ?

 17   M. Mesic (interprétation). - Puisque je le dois, je vais d'abord

 18   vous décrire le contexte avant de rentrer dans le détail.

 19   Lorsque la guerre a éclaté entre la Bosnie et les Croates,

 20   lorsque les hommes ont commencé à tomber, lorsque les morts ont commencé à

 21   se multiplier, de très fortes pressions se sont développées en Croatie.

 22   Des critiques intenses ont été proférées à l'encontre des autorités

 23   croates, quant au fait que ces autorités gardaient des réfugiés bosniaques

 24   dans des camps de

 25  


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  1  

  2   Croatie.

  3   Le ministre des affaires sociales de l'époque, qui est

  4   aujourd'hui ministre des affaires étrangères, a déclaré que cette

  5   situation impossible pourrait se résoudre si ces réfugiés étaient

  6   accueillis par d'autres pays, à l'étranger, et ne constituaient plus un

  7   fardeau pour la Croatie.

  8   M. Harmon (interprétation). - Me Nobilo vous a posé un certain

  9   nombre de questions destinées à déterminer si la Croatie était un pays de

 10   transit qui permettait à des aides étrangères et à des armes de pénétrer

 11   en Bosnie. Vous avez répondu que c'était effectivement le cas, mais que la

 12   Croatie, en fait, conservait une partie de cette aide humanitaire et de

 13   ces armes à titre de compensation pour le droit de passage. Est-ce un

 14   résumé à peu près exact de ce que vous avez dit hier ?

 15   M. Mesic (interprétation). - Compte tenu du fait que nous sommes

 16   à huis clos, nous pouvons ici dire des choses que nous n'aimerions pas

 17   voir écrites dans les médias. Autrement dit, je ne pourrais jamais dire

 18   publiquement que la Croatie recevait des armes de qui que ce soit ou

 19   qu’elle laissait passer des armes sur son territoire en direction de la

 20   Bosnie puisque nous subissions un embargo.

 21   Mais puisque nous sommes en audience à huis clos, je dirai que

 22   oui, c’était bien le cas. Il était tout à fait manifeste que nous devions

 23   nous mêmes, ainsi que les Bosniaques, nous armer car nous étions dans une

 24   situation absurde. Nous étions les victimes d'une agression et, par

 25   ailleurs, nous avions l’interdiction de nous de fournir en armes alors


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  1   que, les uns et les autres, les Bosniaques et les Croates, nous subissions

  2   l'agression serbe.

  3   Il ne fait aucun doute que des armes pénétraient sur le

  4   territoire et que des accords étaient conclus quant au fait de savoir

  5   combien de ces armes devraient rester en Croatie, étant donné le risque

  6   assumé par la Croatie pour ce genre de choses en pleine époque d'embargo.

  7   Simplement, lors d'une conversation, dans plusieurs

  8   conversations que j'ai eues avec Alija Izetbegovic, je lui ai demandé si

  9   ce genre d'arrangements le satisfaisait et il m'a dit : « Cela me

 10   conviendrait si une partie de ces armes ne restait pas, en outre, en

 11   Herceg-Bosna ». Combien de ces armes finissait par aboutir en Bosnie, je

 12   n'en sais rien.

 13   M. Harmon (interprétation). - Avez-vous une idée, souhaitez-vous

 14   dire aux Juges quel est le pourcentage des armes qui transitait par la

 15   Croatie et qui était conservé, saisi, par la Croatie ?

 16   M. Mesic (interprétation). - Il m'est difficile de le dire car

 17   les dispositions, les accords conclus étaient un peu différents et

 18   l'origine de ces équipements variait également. Mais je dirai que le

 19   pourcentage variait entre 10 et 20%.

 20   M. Harmon (interprétation). - Savez-vous ce qu'il advenait de

 21   ces armes et de cette aide humanitaire après son transit par la Croatie et

 22   son arrivée en Herceg-Bosna ? Les autorités d'Herceg-Bosna confisquaient-

 23   elles également une partie de ce qui arrivait et de ce qui était destiné

 24   au gouvernement de Bosnie ?

 25   M. Mesic (interprétation). - Oui, oui. Oui, c'est arrivé.


Page 7352

  1   M. Harmon (interprétation). - Je crois que vous avez dit dans

  2   votre déposition qu'il convenait de placer dans son contexte la

  3   déclaration que vous a faite M. Izetbegovic quant aux quantités d'armes

  4   reçues par lui. Vous avez dit, je crois hier, que vous saviez qu'il

  5   arrivait que des armes destinées à aider à la sortie du siège de Sarajevo

  6   n'arrivaient pas à Sarajevo parce qu’elles étaient arrêtées à Busovaca ?

  7   M. le Président. - Ne recommençons pas l’interrogatoire.

  8   M. Harmon (interprétation). - D'accord. Ma dernière question

  9   M. Mesic : au cours de l’interrogatoire principal, le conseil de la

 10   défense a laissé entendre que, parce que vous étiez un homme politique en

 11   Croatie, parce que vous êtes opposé politiquement au Président Tudjman, il

 12   y avait une motivation politique à votre déposition à huis clos à

 13   La Haye ? Pourriez-vous vous prononcer sur ce point ?

 14   M. Mesic (interprétation). - Si l'on parle objectivement, on se

 15   rend compte que la

 16  

 17  

 18   présente déposition ne peut m'apporter politiquement que des problèmes,

 19   des difficultés. Je ne peux en tirer aucun avantage. Je ne profite en rien

 20   du fait que ma déposition ici se passe à huis clos, car je dirais la même

 21   chose en public.

 22   Je respecte donc ici, au cours de ma déposition, un certain

 23   nombre de règles auxquelles je me tiendrai et que je respecterai également

 24   à ma sortie de ce Tribunal. Par conséquent, je ne me prononcerai pas sur

 25   ce qu'a pu dire un tiers ou un autre tiers.


Page 7353

  1   Maintenant si quelqu'un a pu utiliser politiquement ma

  2   déposition, c'est sans aucun doute le Président Tudjman. En effet, lorsque

  3   j'ai fait mes premières déclarations aux enquêteurs du Tribunal, je devais

  4   le faire parce que la Croatie a voté des lois qui font obligation à l'Etat

  5   de Croatie et à ses responsables de coopérer avec le Tribunal de La Haye.

  6   Donc, puisque je suis légaliste, je respecte ces décisions.

  7   Le Président Tudjman a donc eu accès au compte rendu des propos

  8   que j’ai tenus devant les enquêteurs du Tribunal de La Haye. Il a convoqué

  9   les journalistes qui travaillent dans les médias, la télévision notamment,

 10   contrôlés par lui. Tout cela a été rendu public et diffusé devant

 11   l'opinion publique croate ; ce qui n'avait pas uniquement pour but de

 12   m'effrayer mais bien d’effrayer tous les témoins potentiels prêts à

 13   témoigner ici. J'ai été traîné dans la boue et traité de traître.

 14   Le Président du HDZ, le chef du gouvernement, lors du dernier

 15   congrès de son parti, il y a un mois, a tenu des propos qui ne pouvaient

 16   concerner que moi (même s’il n'a pas cité mon nom) au cours de la

 17   protestation syndicale organisée par quatre centrales syndicales

 18   regroupées. La manifestation s’est déroulée sur la plus grande place de

 19   Zagreb. 12000 policiers s’y sont opposés et je participais à cette

 20   protestation.

 21   Le Président Tudjman a dit  : «Dans la commission d'organisation

 22   de ce mouvement de protestation syndicale se trouvent y compris des hommes

 23   qui témoignent et mettent la Croatie à genoux à La Haye».

 24  

 25  


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  1   Je le remercie d'avoir parlé de moi au pluriel, ce qui montre la

  2   haute opinion qu’il a de moi.

  3   M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur Mesic. Merci,

  4   Monsieur le Président.

  5   M. le Président. - Monsieur le Juge Riad, s'il vous plaît.

  6   M. Riad (interprétation). - Bonjour, Monsieur Mesic. J'aimerais

  7   vous poser une question très précise.

  8   Avez-vous la moindre connaissance de la position du poste

  9   qu'occupait concrètement le Général Blaskic, à l’époque Colonel Blaskic,

 10   dans la vallée de la Lasva ? Etait-il le commandant militaire incontesté

 11   de la région ou bien la région était-elle divisée et soumise à un pouvoir

 12   anarchique ?

 13   M. Mesic (interprétation). - Je ne puis pas vous dire de façon

 14   tout à fait certaine dans quelle région le Général Blaskic opérait et

 15   quelles étaient les subdivisions qui existaient dans cette région. Tout ce

 16   que je sais, c’est qu'il était un militaire de carrière et qu'il

 17   appartenait au HVO. Les personnes, que j’ai rencontrées, qui m'ont parlé

 18   de lui, m’ont dit un certain nombre de choses positives. Mais la chaîne

 19   hiérarchique, la filière hiérarchique, je ne la connais pas.

 20   M. Riad (interprétation). - Vous avez mentionné le HVO. Le HVO

 21   était une division disciplinée sur le plan militaire ou bien y avait-il de

 22   l'insubordination, une certaine absence d'autorité aux différents niveaux

 23   de commandement au sein du HVO ?

 24   M. Mesic (interprétation). - C'est une armée qui s'est créée

 25   dans une situation chaotique. Il ne fait aucun doute que tous ses maillons


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  1   n'ont pas fonctionné de façon parfaite.

  2   Mais, à mon avis, eu égard à la Croatie, à son ministère de la

  3   Défense, ses unités étaient en situation de subordination. Je suppose que

  4   c'est de là que partaient les ordres concernant un certain nombre

  5   d'actions. Il arrivait souvent que des actions de l'armée de Croatie

  6  

  7  

  8   soient coordonnées avec des actions du HVO.

  9   M. Riad (interprétation). - Vous pensez que la coordination

 10   politique se faisait, au plus haut niveau du pouvoir, à Zagreb et était

 11   mise en oeuvre dans la vallée de la Lasva ?

 12   M. Mesic (interprétation). - Tout ce que je peux dire c'est ce

 13   que je sais et, ce que je sais, c’est que Mate Boban, en tant que

 14   Président du HDZ et de la communauté croate d’Herceg-Bosna, a toujours

 15   affirmé qu'il ne faisait que mettre en oeuvre la politique de Zagreb et

 16   qu'il n'avait pas de politique personnelle. Or le terme Zagreb signifiait

 17   le plus au niveau de l'Etat de Croatie.

 18   M. Riad (interprétation). - Vous avez dit dans votre déposition

 19   que, lors d'une conversation que vous avez eue avec Markovic, celui-ci

 20   avait dit qu'aucune décision n'avait été prise officiellement de nettoyer

 21   les Musulmans. Mais il vous a dit : «Dans la pratique, je m'arrange pour

 22   veiller à ce qu'il ne reste pas un seul Musulman».

 23   D'après vous, d'après ce que vous avez compris, les événements

 24   qui se sont produits ont-ils été réalisés par la voie de la terreur, par

 25   la voie de l'intimidation qui a contraint la population à quitter la


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  1   région ou bien par la voie du génocide, c'est-à-dire par la voie du

  2   meurtre et de l'extermination ? Avez-vous une idée de ce que Markovic

  3   avait en tête lorsqu’il vous a parlé ?

  4   M. Mesic (interprétation). - Pero Markovic ? Est-ce lui dont

  5   vous parlez ?

  6   M. Riad (interprétation). - Oui.

  7   M. Mesic (interprétation). - C'est un exemple parmi d'autres.

  8   Mais il était bien connu qu'après le conflit entre les Musulmans et les

  9   Croates de Bosnie, de nombreux Bosniens, membres du HVO, ont été désarmés

 10   et ont fini dans des camps. Il est bien connu que des pressions ont été

 11   exercées dans les milieux urbains qui ont forcé les gens à s'exiler.

 12   L'exemple de Mostar reste pour moi le plus parlant. J'ai envoyé

 13   une délégation à Mostar, délégation chargée de vérifier ce qui s'y

 14   passait. A leur retour, les membres de cette délégation m'ont dit qu'un

 15   grand nombre de Musulmans des villages avoisinant, qui gravitaient vers

 16   Mostar, ont quitté leur village pour aller habiter à Mostar.

 17   La structure démographique s'est donc vue modifiée, non pas

 18   parce qu'ils l'ont voulu, mais parce qu'ils n'avaient nulle part où aller.

 19   Ils se sont retrouvés à Mostar faute de mieux.

 20   L'équilibre ethnique a été modifié. Après la guerre, il devrait

 21   se modifier à nouveau puisque certaines personnes devraient rentrer chez

 22   elles. Mais en tout cas, des pressions importantes se sont ajoutées à

 23   cette modification due à la guerre sous forme de pressions. On voyait très

 24   bien à la télévision ce qui se passait. Quand on voit des colonnes

 25   entières de populations de civils qui quittent une ville, ils ne quittent


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  1   pas la ville parce qu'ils le veulent, mais parce qu’ils subissent des

  2   pressions.

  3   C’est alors que j'ai demandé à Pero Markovic, le maire de la

  4   ville, quel était, chez lui, le rapport entre les Croates et les Bosniens,

  5   à Capljina. J’ignore quel était le pourcentage exact. Mais s’agissant des

  6   Bosniens, le pourcentage était alors de 5 ou 6 %, donc très faible.

  7   Il m’a répondu : « nous n'avons plus de problèmes ici, nous

  8   avons tout nettoyé ». Comment avaient-ils nettoyé ? Tout simplement parce

  9   que sous la pression, les gens étaient partis. Quelle est la situation

 10   actuelle ? Je l’ignore.

 11   M. Riad (interprétation). - Merci. Une question plus générale.

 12   Vous avez dit que M. Tudjman était ouvertement favorable aux frontières

 13   établies en 1948, c'est-à-dire les frontières correspondant aux Banovina

 14   établies en 1938. Ceci a été répété lors de la rencontre de Karadjordjevo

 15   entre Tudjman et Milosevic. Cette conception des Banovina incluait la

 16   vallée de la Lasva ? Quelle était l'idée générale au sujet des frontières

 17   dans cette région ?

 18   M. Mesic (interprétation). - Le Président Tudjman estimait que

 19   les frontières de la Banovina étaient la situation la plus favorable dont

 20   avaient bénéficié les Croates, que ceux-ci étaient allés le plus loin

 21   possible dans le cadre de ce système des Banovina.

 22   L'idée était d'obtenir les frontières correspondant aux Banovina

 23   plus Bihac, Kladusa et Cazin. Aussi, je pense que les Banovina ainsi que

 24   la vallée de la Lasva entraient dans le cadre de ce système.

 25   M. Riad (interprétation). - La vallée de la Lasva était sensée


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  1   appartenir à la Croatie ?

  2   M. Mesic (interprétation). - Oui, pour autant que je regarde la

  3   carte de cette façon.

  4   M. Riad (interprétation). - Vous avez mentionné également la

  5   notion de transferts humains, de transferts de populations ?

  6   M. Mesic (interprétation). - Oui, c'est le terme qui a été

  7   utilisé « transferts humains de populations ».

  8   M. Riad (interprétation). - Je vous remercie.

  9   M. le Président. - Je me tourne vers le juge Shahabuddeen.

 10   M. Shahabuddeen (interprétation). - Monsieur Mesic, aurais-je

 11   raison de supposer qu'en Croatie, il y avait d'autres Croates qui, tout

 12   comme vous, étaient opposés à l'utilisation de la force de la part des

 13   Croates à l'encontre des Musulmans en Herceg-Bosna ?

 14   M. Mesic (interprétation). - Oui, là se situe la différence

 15   essentielle entre l'opposition en Serbie et l'opposition en Croatie. Dans

 16   l’opposition serbe, il y a certes des personnes, des groupes qui, il faut

 17   le reconnaître, sont contre la constitution de la grande Serbie, contre la

 18   guerre contre la politique de Milosevic. Dans la partie significative de

 19   l'opposition, les radicaux -comment s'appellent-ils-, le Parti de

 20   Draskovic, ces personnes ne sont pas d'accord avec Milosevic car il n'a

 21   pas réalisé ses objectifs de guerre. Il n’y a pas énormément de différence

 22   entre eux. Ils attaquent Milosevic parce qu’il n'a pas abouti à la grande

 23   Serbie.

 24   Alors qu'en Croatie, l'opposition critique le pouvoir parce

 25   qu'on a permis d'aboutir au développement d'un conflit entre les Croates


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  1   et les Bosniens. On disait qu'il ne fallait pas essayer de voir qui était

  2   coupable, mais qu’il fallait en finir le plus rapidement possible avec le

  3  

  4  

  5   conflit et aller de l'avant.

  6   Je crois que les personnes qui, comme moi, étaient contre ce

  7   conflit sont nombreuses.

  8   M. Shahabuddeen (interprétation). - Bien. Passons à la question

  9   de savoir si, personnellement, vous avez assisté à la prise d'une décision

 10   officielle pour l'utilisation de la force de la part des Croates contre

 11   les Musulmans en Herceg-Bosna. Ai-je bien compris que votre position est

 12   que personnellement vous n'avez pas été témoin de la prise d'une telle

 13   décision, mais que vous avez occupé des fonctions importantes, que vous

 14   avez été en contact avec des responsables de haut niveau au sein du

 15   Gouvernement et vous avez cru comprendre que collectivement, ils ont

 16   compris que la politique de la Croatie avait été de sanctionner

 17   l'utilisation de la force par les Croates contre les Musulmans en Herceg-

 18   Bosna ?

 19   M. Mesic (interprétation). - Je vous donnerai une réponse

 20   claire.

 21   Je n'ai jamais été présent lorsqu'une décision a été prise,

 22   concernant une utilisation de la force par les Croates contre les

 23   Bosniens. Mais je dois ajouter quelque chose : lorsque des crimes ont été

 24   commis à  Ahmici, étant donné que j'étais en contact avec Mate Boban, je

 25   lui ai demandé, vu la gravité de ces crimes, si une enquête avait été


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  1   faite visant à rechercher qui était responsable.

  2   Il m'a répondu que oui, et qu'il avait été établi que les

  3   personnes responsables portaient des uniformes noirs. Je lui ai demandé :

  4   « mais écoute je ne t'ai pas demandé de me dire quelle était la couleur

  5   des uniformes, mais qui portait ces uniformes ». Il m'a répondu que cela

  6   aurait très bien pu être des Serbes.

  7   Selon les connaissances que j'ai de cette région, j'ai pensé

  8   que, soit il n'était pas au courant, soit il n'avait pas mené d'enquête,

  9   soit il était en train de me mentir.

 10   M. Shahabuddeen (interprétation). - Si vous me le permettez, je

 11   reviendrais sur un aspect de ma question L'impression que vous avez

 12   retirée d'autres personnes du gouvernement

 13  

 14  

 15   était-elle que la politique de la Croatie consistait à utiliser la force

 16   contre les Musulmans en Herceg-Bosna ?

 17   M. Mesic (interprétation). - Il était possible de le conclure,

 18   en tout cas. J'ai pu tirer cette conclusion de plusieurs événements, dont

 19   un événement particulièrement marquant. Il existait une formation

 20   militaire en Bosnie-Herzegovine qui s'appelait Hoz, où se battaient des

 21   Bosniens et des Croates contre l'agresseur. A un moment donné, un attentat

 22   a été perpétré contre le général Blaz Kraljevic qui était le commandant de

 23   ces formations. Il était suivi par environ une moitié de Croates, une

 24   moitié de Musulmans. On les attendait au détour d'une route, ils ont été

 25   tués, et je n'ai jamais su qui était responsable de ce crime.


Page 7361

  1   M. Shahabuddeen (interprétation). - Si vous me le permettez, je

  2   passerai à un autre aspect. Le conseil de la défense, et je suis sûr que

  3   vous avez bien compris que c'était son devoir, vous a posé des questions

  4   quant au lien entre les déclarations prononcées ici devant le Tribunal et

  5   les déclarations que vous avez prononcées alors que le conflit faisait

  6   rage Aurais-je raison de dire, que dans votre expérience politique, vous

  7   n'avez pas souhaité suivre le mouvement ?

  8   En d'autres termes, un haut responsable politique devrait

  9   établir un équilibre très délicat entre le respect de la politique

 10   officielle, et ses convictions personnelles  Avez-vous-rencontré ce type

 11   de sentiment au cours de votre vie politique ?

 12   M. Mesic (interprétation). - Une chose est sûre, c'est que j'ai

 13   toujours dit que la défense de la Bosnie était essentielle parce que

 14   c'était une condition de la survie de la Croatie. J'étais persuadé que si

 15    Milosevic  pouvait désintégrer la Bosnie, cela aurait des conséquences

 16   tragiques pour la Croatie, car à ce moment-là, se poserait la question de

 17   savoir si la Croatie pouvait être maintenue, ou si une grande Serbie

 18   pouvait être créée au dépens de nos territoires.

 19   Lorsque j'occupais les hautes fonctions au sein du HDZ et du

 20   Gouvernement, j'ai toujours accepté la politique officielle, la politique

 21   qui était pour le maintien de la.

 22  

 23  

 24   Bosnie-Herzegovine, mais j'ai toujours fait savoir également qu'il devait

 25   y avoir une coopération, qu'il fallait arrêter les hostilités, qu'il


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  1   fallait chercher un commandement unique entre le HVO et l'armée de.

  2   Bosnie-Herzegovine. Je pense que ce commandement unique n'est pas encore

  3   en vigueur, car un commandement unifié peut à lui seul permettre d'éviter

  4   le nombre de victimes. S'il y a plusieurs commandements sur un même

  5   territoire cela a toujours des conséquences tragiques.

  6   Et enfin, pour vous donner quelque précisions encore, j'étais

  7   donc partisan d'une résistance à l'agresseur, j'étais pour une Bosnie-

  8   Herzegovine unifiée, mais en tant que haut représentant officiel, je ne

  9   pouvais entrer directement en conflit. Alors le Président  Tudjman m'a

 10   suggéré en décembre 1993, de déposer ma démission en tant que Président du

 11   Parlement, il m'a proposé d'aller à  Grenoble ou en Belgique à Spa pour

 12   apprendre le français, et il m'a demandé de choisir quel poste

 13   d'ambassadeur je souhaitais occuper.

 14    En effet, il m'a dit qu'il ne pouvait rien décider avec

 15    Milosevic tant que je serais à la tête du Parlement, car j'avais dit

 16   qu'il fallait pendre Milosevic. J'ai dit cela directement à Milosevic. Je

 17   lui ai dit que les serbes allaient le pendre  à Terzije et sur la place

 18   principale de Belgrade, s'il ne réalisait pas ses objectifs de guerre dont

 19   il était responsable, car c'était lui qui avait planifié la guerre.

 20   D'ailleurs je lui ai demandé, une fois que l'on serait sur le

 21   point de le pendre, de penser à moi et j'ai dit que j'allais penser à lui.

 22   Je lui ai dit cela publiquement. Mais apparemment, c'était gênant pour

 23   lui, et il a fait des pressions sur Tudjman pour que je quitte ce haut

 24   poste officiel

 25   Après, à un moment donné, j'ai quitté mes fonctions.


Page 7363

  1   M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vais tenter de formuler

  2   ma question le plus simplement possible. Dans cette audience à huis clos,

  3   devant ce Tribunal, vous sentez-vous plus libre de nous exposer votre

  4   point de vue que cela n'a été le cas pendant les années de conflit

  5  

  6  

  7   entre les Croates et les Musulmans en Herceg-Bosna ?

  8   M. Mesic (interprétation). - Assurément. Je me sens plus libre

  9   ici. Mais la vie en Croatie, à l'époque, n'avait pas énormément de prix.

 10   M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous poserais la question

 11   suivante, qui peut-être vous semblera une répétition, mais elle est

 12   importante pour le Tribunal. Affirmez-vous devant le Tribunal que votre

 13   déposition aujourd'hui constitue la vérité ?

 14   M. Mesic (interprétation). - Oui, c'est la vérité.

 15   M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous poserai maintenant

 16   une question sur ce que j'appellerai la double politique de la Croatie que

 17   vous nous avez décrite : d'une part des déclarations officielles de la

 18   part des autorités croates qui respectent l'intégrité territoriale de la

 19   Bosnie-Herzégovine et, d'autre part, il y aurait une politique qui

 20   tenterait de diviser ce pays. Selon les autorités croates -j'ai bien

 21   compris ce que vous avez dit-, la mise en oeuvre réussie de la politique

 22   de partage dépendait-elle d'une affirmation répétée de la politique qui

 23   respectait l'intégrité territoriale du pays ?

 24   M. Mesic (interprétation). - C'est exact. De cette manière, la

 25   politique officielle croate devait tenir bon face aux pressions de la


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  1   communauté internationale. Cela a été le cas car elle affirmait qu'elle

  2   était pour le maintien d'un Etat souverain. Or, il est clair que l'autre

  3   politique allait dans un sens opposé.

  4   Prenez un exemple : Fikret Abdic, qui a également porté atteinte

  5   à la Bosnie-Herzégovine car il a proclamé l'autonomie de la Bosnie

  6   occidentale sans aucun appui dans la constitution de la Bosnie-

  7   Herzégovine, passait l'essentiel de son temps à Zagreb et a pris contact

  8   avec Milosevic et son régime. Il a acheté énormément d'essence, de

  9   combustible des sociétés de Zagreb -peut-être pour son utilisation

 10   personnelle-, mais il est clair qu'il vendait cela à notre agresseur

 11   commun. Vous voyez que ces différentes parties du puzzle nous donnent un

 12   tableau bien différent de ce qui a été officiellement proclamé.

 13   M. Shahabuddeen (interprétation). - Si vous me le permettez, je

 14   vous poserai une autre question qui porte sur le transit des armes par la

 15   Croatie, l'Herceg-Bosna, en direction de Sarajevo. Ai-je bien compris ce

 16   que vous nous avez dit ? Selon les autorités gouvernementales croates,

 17   était-il dans l'intérêt de la Croatie que la Bosnie-Herzégovine poursuive

 18   sa résistance militaire face aux Serbes ?

 19   M. Mesic (interprétation). - Il s'agit là d'une question qui

 20   comporte différents aspects. La Croatie ne pouvait arrêter l'aide vis-à-

 21   vis de la Bosnie-Herzégovine car, sinon, elle aurait été accusée par tous

 22   ceux qui ont soutenu l'indépendance de la Croatie. On l'aurait accusée de

 23   ne pas offrir son soutien à un autre Etat souverain et, ainsi, sa

 24   politique aurait été compromise. Mais, étant donné que cette aide était

 25   déjà fournie, il fallait essayer de la réduire et de faire en sorte


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  1   qu'elle ne porte pas atteinte à l'accomplissement des objectifs politiques

  2   croates. Il y avait donc un équilibre qui a été établi. L'aide venait de

  3   différents endroits.

  4   M. Shahabuddeen (interprétation). - Pourrais-je donc dire que

  5   vous affirmez que, dans la mesure où la Croatie a autorisé le transit des

  6   armes vers la Bosnie-Herzégovine, ce transit s'effectuait conformément à

  7   l'intérêt du gouvernement croate ?

  8   M. Mesic (interprétation). - Oui. Je ne dirai pas le

  9   gouvernement, mais cette partie de la vie politique qui a adopté cette

 10   double position. En effet, il était possible de voir quel était le niveau

 11   de l'aide qui n'était pas préjudiciable à la Croatie et, en même temps,

 12   d'entretenir des contacts avec des éléments internationaux qui se

 13   prononçaient pour le maintien de la Bosnie-Herzégovine. et essayaient

 14   d'évaluer les problèmes principaux posés sur ce territoire.

 15   M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie. Vous avez

 16   entièrement raison de nuancer ma question et de la limiter à la deuxième

 17   partie.

 18   Ma question suivante porte sur votre position comme président du

 19   Parlement : le conseil de la défense vous a demandé si, en tant que

 20   président du Parlement, vous ne deviez pas inscrire à l'ordre du jour de

 21   la Chambre des représentants un point qui porterait sur les services

 22  

 23  

 24   rendus par les soldats croates au sein de la communauté croate, de l'autre

 25   côté de la frontière. J'ai du mal à comprendre et je pense que vous


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  1   comprendrez pourquoi... Je ne comprends pas quel était le règlement de la

  2   Chambre des représentants. Aurais-je raison de supposer -je me trompe

  3   peut-être- que, lorsqu'un point touchant au fond était concerné, ce point-

  4   là ne pourrait être examiné que suite à une motion en séance et non pas

  5   sur l'initiative du président du Parlement ? Mais, une fois de plus, je

  6   peux me tromper.

  7   M. Mesic (interprétation). - L'inscription d'un point à l'ordre

  8   du jour était tout d'abord à l'initiative du gouvernement puis elle

  9   passait par les commissions parlementaires et allait jusqu'au président du

 10   Parlement. A ce moment-là, c'est lui qui l'inscrivait à l'ordre du jour.

 11   Une autre possibilité pour inscrire un point à l'ordre du jour était que

 12   les organes du Parlement, les commissions, pouvaient décider d'inscrire un

 13   point à l'ordre du jour et, à ce moment-là, après un certain temps, cela

 14   pouvait être accepté et inscrit à l'ordre du jour.

 15   Le président lui-même pouvait également proposer que quelque

 16   chose soit inscrit à l'ordre du jour..., pardon, un député pouvait

 17   également le proposer mais, à ce moment-là, cela passait par les

 18   commissions. Mais, étant donné que dans les commissions parlementaires et

 19   dans le gouvernement on trouve une majorité de représentants du parti au

 20   pouvoir, ils auraient stoppé le processus s'ils n'avaient pas été en

 21   accord total avec la politique officielle.

 22   Même si nous avions essayé de faire en sorte que l'on inscrive à

 23   l'ordre du jour la politique étrangère, les événements en Bosnie-

 24   Herzégovine, ce filtre arrêtait ces initiatives et il n'était tout

 25   simplement pas possible d'inscrire ces points à l'ordre du jour, de cette


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  1   manière-là. Car ce philtre du monopole du pouvoir mettait un terme à toute

  2   possibilité d'un débat public.

  3   Vous voyez que, jusqu'à aujourd'hui, on n'a pas inscrit à

  4   l'ordre du jour un point qui porte sur la révision des dépenses d'un

  5   certain nombre de ministères. Il n'est pas possible de le faire, donc il

  6   n'y a aucun mécanisme de contrôle pour ces ministères-là et pour leurs

  7   ressources budgétaires.

  8  

  9  

 10   M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie,

 11   Monsieur Mesic.

 12   M. le Président. - Monsieur Mesic, je vais vous retenir encore

 13   quelques instants, en essayant bien entendu de ne pas reposer des

 14   questions qui vous ont été posées mais en essayant de faire en sorte que

 15   vous soyez libéré avant l'heure du déjeuner. Si vous voulez bien me faire

 16   des réponses relativement rapides, encore que vous faites les réponses que

 17   vous voulez, bien entendu.

 18   Le plan Vance-Owen n'a pas été entériné par l'Assemblée. Quelle

 19   était votre opinion, votre influence sur Tudjman, comment le voyiez-vous,

 20   rapidement ?

 21   M. Mesic (interprétation). - Le plan Vance-Owen n'a pas été

 22   entériné par la partie serbe. Ils ont signé le plan, mais l'assemblée

 23   serbe ne l'a pas approuvé. Il y avait un délai de signature et la

 24   signature n'est pas intervenue dans ce délai.

 25   Pour ce qui est de la partie croate et de la partie bosnienne,


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  1   elles l'ont accepté. Mais je pense que c'est une chance pour la Bosnie-

  2   Herzégovine que ce plan n'ait pas été accepté car ce plan a abouti à des

  3   regroupements territoriaux qui ont fait qu'il y a eu déplacement de

  4   populations d'une partie vers une autre.

  5   M. le Président. - Et vous, quelle était votre opinion, c'était

  6   une bonne chose, ce plan ?

  7   M. Mesic (interprétation). - Je dois dire que, personnellement,

  8   j'étais contre ce plan parce que je voyais bien comment cela allait finir.

  9   Même si j'avais l'espoir que ce plan serait mis en oeuvre et permettrait

 10   aux trois peuples d'être des éléments constituant dans tous les cantons.

 11   Il s'agissait là du mécanisme de contrôle, comme on l’a appelé. Si tout le

 12   monde, sur chaque territoire, était un élément constitutif alors, cela

 13   aurait été le salut pour la Bosnie-Herzégovine.

 14   M. le Président. - Dans un autre ordre de domaine, vous avez dit

 15   qu'il n'y avait pas d'enveloppe budgétaire évidemment officielle pour

 16   l’aide que l’on pouvait apporter à l’Herceg-Bosna. Avez-vous une idée des

 17   circuits budgétaires et financiers, parallèles je suppose ?

 18   M. Mesic (interprétation). - Etant donné que, personnellement,

 19   j'ai toujours été intéressé par ce qui se passait sur le plan budgétaire,

 20   par la manière dont le budget était voté -car c'est là l'aspect le plus

 21   intéressant d'un pays-, il n'y a aucune partie du budget croate, en tout

 22   cas je l'ignore...

 23   M. le Président. - J'avais compris cela. Je vous demandais autre

 24   chose.

 25   M. Mesic (interprétation). - Aucune ressource n'était envoyée


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  1   vers la Bosnie-Herzégovine. La seule possibilité était, pour le ministère

  2   de la Défense, de prendre une partie de son budget. Or, celui-là échappait

  3   à notre contrôle. Donc; le ministère de l'Intérieur pouvait le dépenser

  4   pour la police, le ministère de la Santé pouvait le dépenser pour la santé

  5   dans un autre pays, etc.

  6   M. le Président. - Permettez-moi de dire quand même que je pense

  7   que, au poste que vous occupiez, on doit bien s'en douter tout de même. Le

  8   budget du ministère de la Défense devait être voté également par votre

  9   Assemblée, comme tous les budgets des ministères dans tous les Parlements

 10   du monde. Mais peu importe.

 11   Les fameux dirigeants des Croates de Bosnie qui venaient, les

 12   dirigeants dont faisaient peut-être partie le Général Blaskic, que

 13   venaient-ils faire ? S'ils venaient chercher des ordres, l’idée d'un

 14   commandement conjoint a-t-il pu être évoqué au moment de la guerre ?

 15   M. Mesic (interprétation). - Ils venaient pour prendre leurs

 16   instructions. Cela ne pouvait être justifié que de cette manière.

 17   M. le Président. - S’est-il posé la question d'un commandement

 18   plus officiel ?

 19   M. Mesic (interprétation). - Le commandement ne pouvait exister

 20   qu'à Zagreb. Nous voyons que lorsque des actions conjointes ont eu lieu

 21   tout cela a été mené sous l'autorité du commandement croate.

 22   M. le Président. - Autrement dit, êtes-vous en train de dire que

 23   le Général Blaskic prenait, par exemple, ses ordres du commandement

 24   militaire croate ?

 25   M. Mesic (interprétation). - J'ignore de qui le Général Blaskic


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  1   prenait ses ordres, mais en tout cas Mate Boban recevait ses ordres de

  2   Zagreb.

  3   M. le Président. - Vous avez également dit à propos d'un article

  4   dans Globus : «A aucun moment, nous n'avons planifié la guerre avec les

  5   Musulmans». Quand vous avez dit : «nous», c’était au moment où vous

  6   faisiez partie des structures les plus officielles. Vous avez dit : «Nous

  7   n’avons planifié la guerre», en tout cas officiellement. L’a-t-on

  8   planifiée de façon plus officieuse et qu’en savez-vous ?

  9   M. Mesic (interprétation). - Je voulais dire par là que la

 10   direction de l'Etat (le législatif, l'exécutif) et également les autorités

 11   politiques n'avaient jamais soumis une telle question, question sur

 12   laquelle il y aurait eu des éclaircissements publics. Il ne pouvait y

 13   avoir que des discussions, des pourparlers, des ententes auxquels je n'ai

 14   pas participés, car les personnes qui venaient à Zagreb n’allaient pas

 15   toujours là où logiquement on les attendait.

 16   Concrètement, en 1992, j'étais Président du Comité exécutif de

 17   l'Union démocratique croate, une délégation du HDZ...

 18   M. le Président. - Quel mois de 1992 ?

 19   M. Mesic (interprétation). - L'ensemble de l'année et jusqu'à la

 20   fin 1992. Quand une délégation venait à Zagreb, elle ne venait jamais me

 21   voir au parti. Dès janvier 1992, j’étais physiquement présent dans les

 22   locaux du HDZ. Or ils ne sont jamais venus me voir, ils sont toujours

 23   allés voir le Président Tudjman.

 24   Je connaissais une objection semblable à Belgrade lorsque j'y

 25   étais et que Jovic rencontrait des représentants des Serbes, notamment


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  1   Milan Babic qui était le représentant de la soi-disant Krajina. Ils ne

  2   venaient jamais me voir, ils allaient toujours voir Bore Jovic.

  3   M. le Président. - A quel moment exactement situez-vous votre

  4   changement de position politique ? Je ne parle pas de M. Tudjman qui en

  5   décembre 1993 vous dit que vous seriez un magnifique ambassadeur dans un

  6   pays hors de la Croatie. Vous dites tout d’un coup : «Ma position n'est

  7   plus tenable, je suis à la fois dans les sphères officielles, je suis

  8   contre telle position...». A quel moment situez-vous votre changement

  9   intérieur profond ?

 10   M. Mesic (interprétation). - Il s'agit d'un moment que je ne

 11   peux pas définir précisément dans le temps, d’un moment où une décision a

 12   mûri.

 13   Une majorité de personnes des autres parties étaient mes amis,

 14   même avant les changements démocratiques en Croatie. J'ai été en prison

 15   avec certaines de ces personnes. Je les connaissais dans le cadre de ces

 16   cercles d'opposition, y compris pendant le régime précédent. Mais nous

 17   faisions partie de partis différents. Même si nous faisions partie de

 18   partis différents, je les considérais toutefois comme mes amis.

 19   On a commencé à structurer le HDZ en pensant que les autres

 20   n'étaient pas des Croates dignes de ce nom, les autres n'étaient pas

 21   suffisamment patriotiques, que le HDZ était le seul parti valable. Tous

 22   les autres devenaient des adversaires du HDZ, pas seulement du HDZ mais

 23   aussi des adversaires de l’Etat croate. Je n’ai pas pu accepter cela.

 24   Une centralisation trop importante me gênait, une centralisation

 25   où le ministre de la Police décidait d'un représentant dans une


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  1   municipalité, où le ministre de la Santé décidait du directeur de tel ou

  2   tel hôpital, où le ministère de l’Education décidait du directeur d’une

  3   école. Or il y a des milliers d’écoles, il ne pouvait pas connaître la

  4   situation. Cela me dérangeait.

  5   Mais la goutte d'eau, qui a fait déborder le vase, a été la

  6   politique menée à l'encontre de la Bosnie-Herzégovine ; j'ai estimé qu'il

  7   s'agissait d'une catastrophe pour la Croatie. C'est là selon moi ce qui a

  8   marqué le tournant et m'a fait quitter cette politique officielle.

  9   M. le Président. - On sent que vous avez toujours été partagé

 10   entre la position officielle, Me Nobilo l'a montré dans tous les articles

 11   qu'il a cités, et cette position souterraine dont vous dites vous-même

 12   qu’elle est le fruit d’une évolution lente.

 13   Quelle est votre contribution réelle dans cette position

 14   souterraine, l’influence que vous avez (semble-t-il) sur les structures,

 15   influence de plus en plus déclinante ? Avez-vous

 16  

 17  

 18   vraiment des faits concrets, des choses concrètes qui puissent indiquer

 19   que, tout en disant à Globus que vous êtes pour la position officielle, en

 20   fin de compte vous ne l’êtes pas ? Avez-vous des faits concrets ?

 21   C'est important pour le Tribunal de savoir quelle est la

 22   crédibilité profonde d’un témoignage qui est tellement difficile à

 23   percevoir. N’y voyez pas de critique de ma part. Je me doute bien que,

 24   dans cette situation tragique, c'est plus facile à analyser après que sur

 25   le moment.


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  1   Le Tribunal aimerait bien, en tout cas moi, savoir ce que vous

  2   avez fait au fond concrètement ? Qu’avez-vous fait, même pour les

  3   Musulmans ? A un moment donné, en tête-à-tête avec M. Franjo Tudjman,

  4   avez-vous dit : c’est inadmissible, cela peut pas aller, je démissionne

  5   publiquement, etc ? Avez-vous des faits ou est-ce plutôt une magistrature

  6   d’influence ?

  7   Si vous ne voulez pas répondre, vous ne répondez pas.

  8   M. Mesic (interprétation). - Il y a eu des influences subtiles,

  9   mais il y a également eu bien des discussions avec le Président Tudjman.

 10   Disons plutôt que j'étais très populaire et, je dois l'avouer, cela me

 11   dérangeait personnellement et Tudjman essayait de m'avoir de son côté.

 12   Pour ce faire, il a essayé de me persuader tout le long de rester en

 13   politique, de me persuader de mon utilité dans cette politique.

 14   Or, en ce qui me concerne, j'ai pris mes distances vis-à-vis de

 15   cette politique et j'ai eu quelques entretiens avec lui au cours desquels

 16   il ne cessait de me dire : « mais enfin, tu ne sembles pas comprendre la

 17   situation en Bosnie ». Il me disait que je ne comprenais pas ce qu'il

 18   souhaitait obtenir en Bosnie-Herzégovine.

 19   Au cours de ces entretiens, il va sans dire que nous avons tous

 20   les deux dit jusqu’où nous étions prêts à aller.

 21   Je peux également citer comme preuve le fait que vingt-trois

 22   députés m’ont promis

 23  

 24  

 25   de quitter le HDZ. Or, lorsque je l’ai quitté, seuls onze d’entre eux ont


Page 7374

  1   quitté le HDZ. J'essayais donc auprès d'eux de bénéficier de cette masse

  2   critique pour que l'on change l'attitude vis-à-vis de la Bosnie-

  3   Herzégovine.

  4   Ces arguments, apparemment, ont été compris par les

  5   représentants de la Bosnie-Herzégovine. Ils m’ont rencontré. Terazije,

  6   Alja Izetbegovic, et bien d'autres représentants de la Bosnie-Herzégovine

  7   lors de leur venue à Zagreb, venaient toujours me voir. En effet, ils

  8   avaient compris que je me battais pour une autre politique, pour d'autres

  9   rapports vis-à-vis de la Bosnie-Herzégovine.

 10   Concrètement, avant la visite au Pape, Alja Izetbegovic m’ai dit

 11   par téléphone qu'il souhaitait me rencontrer, qu'il souhaitait que je lui

 12   organise une rencontre avec le Président Tudjman.

 13   Je lui ai dit que je le ferais bien volontiers, mais que le

 14   Président Tudjman était en Chine et qu’il ne rentrait que le lendemain. Il

 15   m’a dit : « Très bien, je viendrai donc avec Terazije, le Premier

 16   ministre, demain à Zagreb et quand tu verras le Président Tudjman à

 17   l’aéroport, tu lui diras que je souhaite le voir. »

 18   Nous avons terminé cette conversation téléphonique. Ils sont

 19   tous les deux venus à Zagreb et avec mes députés, nous avons parlé et il

 20   m'a dit : « si j'ai trois propositions à faire à Franjo Tudjman, je dirai,

 21   premièrement, que les Bosniaques doivent remplacer tous les commandants

 22   dans l'armée que souhaite la Croatie, à une condition : que la Croatie

 23   remplace également les commandants qui se sont compromis pendant ce

 24   conflit, comme cela est demandé par la partie bosniaque. »

 25   La deuxième proposition était que la Croatie fasse tout ce qui


Page 7375

  1   et en son pouvoir pour que l'on crée une confédération entre la Bosnie-

  2   Herzégovine et la Croatie.

  3   La troisième proposition de sa part était que le général croate,

  4   Martin Spegelj, assume le commandement de l'armée bosniaque pour montrer

  5   qu'il ne s'agissait pas d'intégrisme,

  6  

  7  

  8   mais qu'il se battait pour le maintien de la Bosnie-Herzégovine. Or, en

  9   tant que professionnel, il pensait qu'il en était capable.

 10   Voilà, pour vous donner une idée, les questions avec lesquelles

 11   il venait me voir, car il connaissait ces deux politiques.

 12   M. le Président. - J’ai une observation sur les conditions de

 13   votre témoignage, mais celle-ci ayant été faite par mon collègue

 14   Shahabuddeen, donc je ne reposerai pas la même question. Mais, sous un

 15   autre angle, si vous donniez une interview après la présente déposition,

 16   quand vous serez revenu chez vous, est-ce que vous considériez que vous

 17   avez manqué aux obligations vis-à-vis du Tribunal ?

 18   Autrement dit, vous interdisez-vous de donner la moindre

 19   interview à votre retour, s’agissant de cette déposition bien entendu ?

 20   M. Mesic (interprétation). - J’estime, tout d'abord, qu’on

 21   n'aurait pas dû politiser le fait que je coopère avec le Tribunal de

 22   La Haye. D'autres personnes l'ont fait et cela a été préjudiciable pour

 23   moi-même, mais également pour la crédibilité de la Croatie.

 24   Etant donné que nous avons accepté que c'était une séance à huis

 25   clos, j'ai le devoir de ne pas faire de commentaire sur ce qui s'est passé


Page 7376

  1   lors d'une audience à huis clos, sur cette séance-ci. Pour ce qui est des

  2   séances publiques, je peux toujours faire des commentaires dessus.

  3   M. le Président. - En ce qui me concerne, j’ai terminé. Je crois

  4   que M. Riad voulait poser encore une question.

  5   M. Riad. - Vous avez posé ma question.

  6   M. le Président. - Je vous remercie beaucoup, monsieur le Juge.

  7   Nous devions, je m’en excuse auprès des interprètes, reprendre plus tôt,

  8   mais à la suggestion de mes collègues, nous ne reprendrons qu'à

  9   14 heures 45.

 10   Je voudrais terminer en vous remerciant, Monsieur Mesic. C’est

 11   un témoignage

 12  

 13  

 14   historique important. Vous avez occupé des positions très importantes. Ce

 15   Tribunal doit avoir une vision la plus complète possible de ce qui s'est

 16   passé, s'agissant de responsabilités du général Blaskic, ce sont des

 17   responsabilités de commandement. Vous l’avez fait et le Tribunal vous sait

 18   gré de cette coopération, en espérant qu'elle ne se retournera pas contre

 19   vous, mais en espérant aussi que de votre côté, vous ne provoquerez pas

 20   des possibilités que cela puisse se retourner contre vous.

 21   Il faut que chacun y mette du sien. Le Tribunal vous a assuré la

 22   protection la plus complète. A vous aussi d'assurer la vôtre.

 23   Cela étant, les Juges vous remercie de cette contribution.

 24   Nous allons lever la séance et nous la reprendrons à

 25   14 heures 45.


Page 7377

  1  

  2   L’audience est suspendue à 13 heures 30

  3  

  4   (Audience publique)

  5   L’audience est reprise à 14 heures 50.

  6  

  7   M. le Président. – L'audience est reprise. Monsieur le Greffier,

  8   veuillez introduire l'accusé.

  9   (L’accusé est introduit dans la salle d’audience.)

 10   M. le Président. – Monsieur le Procureur, quel est le témoin

 11   suivant, s'il vous plaît ?

 12   M. Harmon (interprétation). – Merci, Monsieur le Président,

 13   bonjour, Monsieur le Président. Le prochain témoin est M. Pady Ashdown.

 14   M. le Président. – Conformément à ce que nous faisons toujours,

 15   pouvez-vous donner à la Chambre les lignes essentielles de ce témoignage

 16   et nous dire en quoi il peut se raccorder, s’adapter avec les chefs

 17   principaux de l’acte d’accusation contre le Général Blaskic, s'il vous

 18   plaît.

 19   M. Harmon (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

 20   Monsieur Ashdown commencera par nous expliquer et nous donner les grandes

 21   lignes de sa carrière politique. C'est un membre du Parlement du Royaume-

 22   Uni. Il dirige le parti libéral démocrate du Royaume-Uni. Il va tout

 23   d'abord nous faire part de ses expériences en ex-Yougoslavie, puis il nous

 24   relatera un entretien qu'il a eu avec M. Tudjman, le 6 mai 1995.

 25   L'accusation fournira à la Chambre une copie d'une carte qui a


Page 7378

  1   été dressée par M. Tudjman et qui est accompagnée d'une série de notes de

  2   M. Pady Ashdown.

  3   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce témoignage traite

  4   des paragraphes 5/0 et 5/1 de l'acte d'accusation, à savoir l'existence

  5   d'un conflit armé international. Il concerne tous les chefs d'accusation

  6   d'infractions graves, à savoir les chefs  5, 8, 11, 15, 17 et 19 de l'acte

  7   d'accusation.

  8   M. le Président. – Si je comprends bien, Monsieur le Procureur,

  9   ce témoignage va

 10  

 11  

 12   porter sur les entretiens que le témoin a eus avec M. Franjo Tudjman ;

 13   nous sommes d'accord ?

 14   M. Harmon (interprétation). - Absolument, Monsieur le Président.

 15   M. le Président. – Il s'agit de focaliser sur l'existence ou non

 16   d'un conflit armé international ?

 17   M. Harmon (interprétation). - Absolument, Monsieur le Président.

 18   M. le Président. – S'il n'y a pas de questions complémentaires

 19   de la part de mes collègues, merci. Nous pouvons donc,

 20   Monsieur le Greffier, demander à l'huissier d'introduire

 21   Monsieur Pady Ashdown qui, si j'ai bien compris, n'a pas requis de mesures

 22   de protection particulière, n'est-ce pas ?

 23   M. Harmon (interprétation). - En effet, Monsieur le Président.

 24   M. le Président. – M'entendez vous, Monsieur Ashdown ?

 25   M. Ashdown (interprétation). - Je vous entends fort bien,


Page 7379

  1   Monsieur le Président.

  2   M. le Président. – Pouvez-vous donner au Tribunal votre prénom

  3   et votre nom ?

  4   M. Ashdown (interprétation). - Je m'appelle Jeremy, Gerald,

  5   Haam Ashdown. On m'appelle Pady Ashdown, c'est un surnom.

  6   M. le Président. – Je ne me permettrais pas de vous appeler tout

  7   de suite par votre surnom, Monsieur Ashdown. Vous allez rester debout pour

  8   lire votre déclaration et votre serment que va vous tendre sur ce

  9   document, Monsieur l'huissier.

 10   (L’huissier s’exécute.)

 11   M. Ashdown (interprétation). - Je déclare solennellement que je

 12   dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 13   M. le Président. – Merci. Vous pouvez vous asseoir.

 14   Monsieur Ashdown, vous avez accepté de témoigner à la demande de

 15   l'accusation, dans le cadre du procès intenté devant le présent Tribunal

 16   Pénal International pour l'ex-Yougoslavie contre le Général Blaskic,

 17   l'accusé ici présent.

 18   Le Procureur nous a sommairement donné les lignes essentielles

 19   de votre témoignage. Vous connaissez particulièrement bien le type de

 20   procédure qui est utilisé devant ce Tribunal largement emprunté à des

 21   procédures que vous connaissez. Vous ne serez donc pas étonné de devoir

 22   répondre aux questions du Procureur.

 23   Néanmoins le Tribunal tient beaucoup à ce que la déposition soit

 24   le plus possible spontané et d'un contenu suivi, étant entendu que le

 25   Procureur à tout moment peut faire préciser telle ou telle question.


Page 7380

  1   Le contexte étant bien clarifié, Monsieur le Procureur, c'est à

  2   vous pour quelques questions préalables. Vous avez la parole.

  3   M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

  4   Monsieur Ashdown, bonjour.

  5   M. Ashdown (interprétation). - Bonjour, Monsieur.

  6   M. Harmon (interprétation). - Monsieur Ashdown, pourriez-vous

  7   tout d'abord expliquer aux Juges quelle est votre carrière politique ?

  8   M. Ashdown (interprétation). - Je suis Irlandais de naissance.

  9   J'ai suivi toute mon éducation au Royaume-Uni dans une école privée, école

 10   publique en anglais, mais école privée. J'ai terminé mes études à 18 ans.

 11   Je me suis engagé dans la Marine royale en tant qu'officier.

 12   J'ai servi dans des unités de commandement et dans une unité spéciale, en

 13   fait une unité ressemblant à la Force de l'air spéciale. J'ai fait partie

 14   de cette unité pendant 13 ans et j'ai terminé ma carrière dans cette unité

 15   en tant que capitaine.

 16   J'ai fait une partie de mon service en Extrême-Orient, notamment

 17   dans la campagne de Bornéo dans les années 1960. J'ai également travaillé

 18   au Moyen Orient. Enfin, je suis retourné dans ma ville natale, Belfast, en

 19   Irlande du Nord. Puis, j'ai étudié le chinois et j'ai passé un diplôme

 20   dans ce domaine.

 21  

 22  

 23   Ensuite, j'ai rejoint le ministère des Affaires étrangères

 24   de 1965 à 1972. Je suis devenu premier secrétaire du Royaume-Uni dans le

 25   cadre de la mission permanente des Nations Unies à Genève, en 1974. J'ai


Page 7381

  1   donné ma démission auprès du service des Affaires étrangères et je suis

  2   entré dans le monde de la politique.

  3   Après une période de huit ans, j'ai essayé de me faire élire au

  4   sein d'une communauté locale. J'ai été élu au Parlement britannique

  5   en 1983. Je représentais une circonscription électorale du sud-ouest de

  6   l'Angleterre. J'ai été élu président de mon parti en 1988 et désigné comme

  7   conseiller privé de sa Majesté la Reine en 1989. J'ai servi à la fois en

  8   tant que membre du Parlement et en tant que dirigeant du Parti libéral

  9   démocrate au cours des dix dernières années.

 10   M. Harmon (interprétation). - Monsieur Ashdown, pouvez-vous dire

 11   aux Juges si, en tant que membre du Parlement, vous avez commencé à vous

 12   intéresser aux affaires de l'ex-Yougoslavie ? Et, si c'est le cas, vous

 13   êtes-vous rendu en ex-Yougoslavie ?

 14   M. Ashdown (interprétation). - J'ai commencé à m'y intéresser en

 15   juillet/août 1992. La crise a commencé à apparaître par le biais de

 16   certains articles diffusés dans les médias britanniques. Vers 1992 et

 17   jusqu'à la fin du conflit, je me suis rendu à dix reprises...

 18   M. le Président - Voulez-vous parler plus lentement pour nos

 19   interprètes, s’il vous plaît.

 20   M. Ashdown (interprétation). - Je m'excuse,

 21   Monsieur le Président. Entre 1992 et la fin du conflit en Bosnie, je me

 22   suis rendu à dix reprises en Bosnie, notamment à Sarajevo au cours du

 23   siège de la ville. Ma première visite a eu lieu au mois août 1992, ma

 24   deuxième visite très peu de temps après.

 25   En fait j'ai été invité à me rendre en Bosnie par les Serbes et


Page 7382

  1   par le Pr. Karadzic. A ce moment-là, j'ai traversé la Republika Srpska. Je

  2   suis allé de Sarajevo jusqu'au corridor de Posavina en passant par Banja

  3   Luka, j'étais la première personne à entrer dans le camp de

  4  

  5  

  6   Manjaca, en dépit de certaines menaces dont nous avons fait l'objet. Les

  7   Serbes nous ont menacés de nous abattre si nous le faisions. Nous nous y

  8   sommes rendus. Et le lendemain, nous sommes allés à Prijedor et à

  9   Ternopolje.

 10   J'ai ensuite fait huit visites et cette huitième visite

 11   correspondait avec la fin du conflit, alors qu'il y a eu cette grande

 12   bataille. Je l'ai dit, j'ai en tout fait dix voyages en ex-Yougoslavie.

 13   Généralement, j'en faisais un en été et un en l'hiver. En décembre 1992,

 14   je me suis rendu dans le secteur de Vitez. J'ai vu beaucoup de choses là-

 15   bas, notamment ce qui se passait à Kiseljak et en d'autres endroits.

 16   Ensuite je suis retourné sur place en quelques occasions.

 17   M. Harmon (interprétation). - Le 6 mai 1995, avez-vous eu un

 18   entretien avec Tudjman ?

 19   M. Ashdown (interprétation). - En effet, Maître Harmon. J'ai été

 20   invité au banquet de célébration du jour de la victoire au Guild Hall de

 21   Londres, le 6 mai 1995. C'était une réunion de toute première importance.

 22   Il y avait beaucoup de participants. Nous devions être 300 ou

 23   400 personnes. Il y avait nombre de chefs d'Etats. J'ai été placé, sans

 24   doute par un membre du ministère des Affaires étrangères puisqu'on devait

 25   supposer que je connaissais quelque chose à l'ex-Yougoslavie, à côté même


Page 7383

  1   du Président Tudjman. J'ai donc eu un entretien conséquent avec le

  2   Président.

  3   M. Harmon (interprétation). - Veuillez nous faire part de cet

  4   entretien.

  5   M. Ashdown (interprétation). - A l'époque j'ai pris un certain

  6   nombre de notes dans mon journal. Ce soir-là, le soir même du banquet,

  7   j'ai écrit un certain nombre de choses dans mon journal. Je voudrais

  8   m'appuyer sur ces notes. J'étais juste à côté de M. Tudjman. Je peux dire

  9   que nous avons été régalés d'excellents vins au cours de ce banquet. Je

 10   dois dire également que le Président Tudjman a abondamment dégusté

 11   l'excellent vin qui nous était proposé. Donc nous avons engagé la

 12   conversation très rapidement.

 13   Dès les premières phrases, je lui ai demandé de me dire ce à

 14   quoi, d'après lui,

 15  

 16  

 17   ressemblerait l'ex-Yougoslavie dans 10 ans. Au dos du menu, j'ai tracé

 18   quelques lignes, un petit croquis en fait. Je lui ai demandé d'apporter

 19   quelques précisions à la carte très succincte que j'avais dressée et je

 20   lui ai répété ma question.

 21   M. Harmon (interprétation). - Je vous interromps. Je vais vous

 22   faire passer un exemplaire de la carte à laquelle vous venez de faire

 23   référence.

 24   Avec l'aide de l'huissier, j'aimerais que l'on me donne la pièce

 25   de l'accusation numéro 275/A. Je souhaite que ces pièces soient


Page 7384

  1   communiquées au témoin et placées sur le rétroprojecteur. Commençons par

  2   la pièce 275/A de l'accusation.

  3   M. le Président. - La défense en dispose-t-elle, Maître Harmon ?

  4   M. Harmon (interprétation). - J'allais expliquer à l’instant,

  5   Monsieur le Président, qu'il s’agit en fait de l’exemplaire original.

  6   C'est M. Ashdown qui a l'original de ce document sous les yeux. Avant que

  7   nous n'entrions dans la salle d'audience, le conseil de la défense a eu

  8   l'occasion de se pencher sur les documents originaux.

  9   Monsieur le Président, je demanderai que M. Ashdown soit

 10   autorisé à garder les originaux. L'exemplaire qui sera authentifié par

 11   M. Ashdown sera versé au dossier, si vous le voulez bien.

 12   Les originaux seront à la disposition de la défense dès lors

 13   qu'elle manifestera le désir de les examiner de plus près.

 14   Je peux expliquer ce qu'est la pièce 275/A de l'accusation. Je

 15   vais me permettre de parler au nom du témoin afin de préciser un certain

 16   nombre de choses. Il s'agit d'un diagramme, d'un petit croquis dressé au

 17   dos du menu du banquet. On y voit une carte dressée en partie par

 18   M. Ashdown et par le Président Tudjman.

 19   La pièce 275/B est une copie de la pièce 275/A. M. Ashdown a

 20   porté des notes sur ce deuxième exemplaire, le lendemain du banquet. La

 21   pièce 275/A apparaît sur le rétroprojecteur, Monsieur le Président. Je

 22   vais poursuivre.

 23   Monsieur Ashdown, en continuant à vous exprimer librement et

 24   spontanément, et à nous expliquer la nature de votre entretien avec

 25   M. Tudjman, veuillez commencer par identifier ce document. Qu'est-ce que


Page 7385

  1   ce document et quelles sont les lignes que vous y avez apposées ?

  2   M. Ashdown (interprétation). - Ce document, Monsieur Harmon,

  3   vous le voyez bien, est le menu du banquet qui s'est tenu ce soir-là. Au

  4   dos du menu, on trouve des lignes qui ont été apposées par moi-même et

  5   M. Tudjman. J'ai tracé cette ligne ici qui montre la ligne côtière. J'ai

  6   indiqué Sarajevo ici même, Belgrade là-haut, Banja Luka à l'endroit où je

  7   pose le pointeur et là j'ai placé un point... Pardon, Zagreb là-bas et

  8   Belgrade ici. Zagreb là où il y a la croix et Belgrade là où il y a le

  9   point. J'ai fait ces indications et j'ai demandé au Président Tudjman de

 10   me dessiner l'ex-Yougoslavie.

 11   Les autres lignes qui apparaissent sur cette carte, notamment

 12   les deux flèches, ont été apposées par le Président Tudjman. Nous voyons

 13   d’abord un espèce de rond qui nous montre la Bosnie. Puis, il a tracé

 14   cette ligne, la ligne de front à l'époque, qui se trouvait à l'est de

 15   Banja Luka. Ensuite il a tracé cette ligne qui est une ligne clé puisque,

 16   d'après lui, c'était la ligne de division qui allait être établie par la

 17   suite en ex-Yougoslavie. On voit bien que Sarajevo est à l'ouest de cette

 18   ligne et que Banja Luka se trouve dans la région appartenant aux Serbes.

 19   Il m'a indiqué -parce que je lui ai posé la question précisément- que

 20   Tuzla se trouverait dans le territoire serbe. C'est ainsi qu'il voyait les

 21   choses.

 22   Je lui ai alors demandé : "Qu'est ce côté là ?". Il a tracé la

 23   flèche et a dit : "C'est la Serbie et cette partie-là, avec l'autre

 24   flèche, c'est la Croatie". J’ai ajouté : "Et qu'en est-il des

 25   Musulmans ?". Il a répondu : "Il n'y aura pas de région musulmane. Ce ne


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  1   sera qu'un élément mineur constituant l'Etat croate". Je lui ai posé la

  2   question de savoir s'il était convaincu que les Serbes allaient accepter

  3   d'échanger Banja Luka contre Tuzla. Il a dit : "Absolument". Il pensait

  4   que c'était ainsi que la situation allait évoluer.

  5   Il a poursuivi et déclaré qu'il avait l'intention, vers la fin

  6   du mandat des

  7  

  8  

  9   Nations Unies, de reprendre Knin et la région de la Krajina qui se trouve

 10   autour ; nous avons commencé à parler de ce point-là. Je lui ai dit que du

 11   point de vue militaire (j'ai une certaine capacité d'analyse de ce genre

 12   de question) ce serait extrêmement difficile parce qu'il s'agit d'un

 13   territoire facile à défendre. Je lui ai demandé s'il avait l'impression

 14   que ce serait une opération très difficile. Il pensait la mener à bien en

 15   huit jours avec moins de 1000 pertes humaines de son côté.

 16   A ce moment-là, on a ouvert une bouteille de vin blanc. Il a

 17   fait un parallèle avec une bouteille de vin en disant qu’il serait plus

 18   rapide de se saisir de ce territoire que d'ouvrir une bonne bouteille de

 19   vin blanc croate. Ensuite, nous avons commencé à parler de ses rapports

 20   avec les deux autres dirigeants, M. Izetbegovic et M. Milosevic. Il a

 21   déclaré qu’Izetbegovic était un intégriste, un Algérien, ce sont les mots

 22   qu'il a employés. J'ai indiqué dans mon journal qu'il a bien dit ces mots.

 23   Et je me rappelle aussi avoir consigné qu'il avait dit que M. Izetbegovic,

 24   je cite "allait partir".

 25   Ensuite, il a dit que le président Milosevic était, je


Page 7387

  1   cite "l'un des nôtres", ce qui n'était pas le cas de M. Izetbegovic. Il a

  2   également dit que les Musulmans étaient simplement des Serbes et des

  3   Croates qui n'avaient pas réussi à faire face aux Turcs lors de l'invasion

  4   de l'empire ottoman.

  5   J'ai vraiment pensé à ce moment-là que j'étais en train de tenir

  6   une conversation absolument extraordinaire, sans comparaison possible avec

  7   aucune autre que j'ai tenue jusqu'à ce jour.

  8   M. Harmon (interprétation). - Monsieur Ashdown, veuillez vous

  9   tourner vers la pièce 275/B et nous raconter ce qui s'est passé ensuite.

 10   M. Ashdown (interprétation) - Je suis retourné dans ma chambre

 11   ce soir-là, chez moi. J’ai pris des notes dans mon journal, ce que je fais

 12   toujours, et j'ai parlé à ma femme de cette discussion absolument

 13   extraordinaire.

 14  

 15  

 16   Afin de pouvoir bien analyser la carte, je l'ai fait photocopier

 17   le lendemain matin. J'y ai apposé un certain nombre d'annotations qui me

 18   permettaient d'éclaircir bien la situation. Là, j'ai marqué qu'il

 19   s'agissait de la ligne côtière, là, il y a Belgrade, il y a la Serbie.

 20   Tout apparaît et toutes ces annotations, je les ai faites de ma propre

 21   main parce que tout cela me permet de bien comprendre ce qui a été dit

 22   lors de cette conversation.

 23   J'ai également dressé cet axe ici. J'ai repassé sur la ligne

 24   tracée par le président Tudjman. J'ai essayé d'épaissir cette forme en

 25   "S", parce que, bien évidemment, c'était une démarcation clé. Je l'ai


Page 7388

  1   épaissie jusque-là et puis, je n'ai pas continué, parce que le petit bout

  2   de ligne qu'on voit en fin de "S" n'est pas du tout important.

  3   M. Harmon (interprétation). - Monsieur Ashdown, merci beaucoup.

  4   Je n'ai pas de question supplémentaire et, avec votre autorisation,

  5   Monsieur le Président, je demanderai le versement au dossier des pièces de

  6   l'accusation 275/A et /B.

  7   M. Hayman (interprétation). - Pas d'objection,

  8   Monsieur le Président pour la pièce 275/A. Pour la pièce 275/B, je demande

  9   que l'on attende la fin du contre-interrogatoire de la défense.

 10   M. le Président. - Je ne vois pas très bien, excusez-moi,

 11   Maître Hayman, je ne vois pas très bien pourquoi vous voulez que l'on

 12   attende. Ce sont vos questions qui vont déterminer la pertinence ? Pour

 13   l'instant, c'est identifié. Je ne vois pas pourquoi on ne déposerait pas

 14   cette pièce comme pièce à conviction. Le témoin, non seulement la

 15   reconnaît, mais il en est l'auteur.

 16   M. Hayman (interprétation). - La question est de savoir si

 17   certaines parties de ce document ne sont pas précises. Par exemple, il est

 18   marqué en haut du document : « lignes tracées par FT ». Le témoin a

 19   déclaré que certaines des lignes qui apparaissent sur le document ont été

 20   tracées par lui. Il nous faut bien établir quelles sont les lignes qui ont

 21   été tracées de sa propre main et celles qui ne l’ont pas été.

 22   Mais nous n'avons pas d'objection quant au document lui-même. Il

 23   me faut d'abord

 24  

 25  


Page 7389

  1   avoir la possibilité d'interroger le témoin pour me prononcer de façon

  2   définitive sur ce document.

  3   M. le Président. - Je consulte mes collègues.

  4   (Les Juges se consultent.)

  5   Les Juges sont d'avis que le document doit être déposé comme

  6   pièce à conviction. Maintenant, il vous appartient de le contester de la

  7   façon dont vous voudrez le contester. Allez-y, commencez votre contre-

  8   interrogatoire, Maître Hayman.

  9   M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

 10   Bonjour, Monsieur Ashdown.

 11   M. Ashdown (interprétation) - Bonjour, Monsieur Hayman.

 12   M. Hayman (interprétation). - Etiez-vous assis en face de

 13   M. Tudjman ou à côté de lui ?

 14   M. Ashdown (interprétation) - A côté du président.

 15   M. Hayman (interprétation). - Qui se trouvait à vos côtés, à

 16   votre côté à vous ou à côté du président Tudjman ?

 17   M. Ashdown (interprétation) - Je crois que c'était l'ambassadeur

 18   croate qui se trouvait là, peut-être pas immédiatement à côté de nous,

 19   mais tout près de nous.

 20   M. Hayman (interprétation). - Qui se trouvait en face de vous ?

 21   Ou bien était-ce une table extrêmement large ?

 22   M. Ashdown (interprétation) - Ce n'était pas une table très

 23   large, une table tout à fait classique. Ceci s'est passé il y a quatre

 24   ans, vous le savez. Je ne voudrais pas déformer les faits. Je préfère

 25   m'appuyer sur mon journal et sur les notes que j'y ai consignées.


Page 7390

  1   Si je me rappelle bien, il y avait d'autres Croates de l'autre

  2   côté de la table, je n'en suis pas absolument certain, ceci dit.

  3   M. Hayman (interprétation). - Hormis vous-même et M. Tudjman,

  4   une personne

  5  

  6  

  7   quelconque a-t-elle pris part à cet entretien ?

  8   M. Ashdown (interprétation) - Pas à cet entretien précis, pas à

  9   cet échange-là. Mais, là encore, je répugne à essayer de faire appel à ma

 10   mémoire de façon trop poussée. Je préfère m'appuyer sur des certitudes et

 11   sur ce qui est dit dans mon journal. D'après ce qui est dans mes notes, je

 12   ne crois pas que qui que ce soit d’autre ait participé à cet échange.

 13   M. Hayman (interprétation). - Pourriez-vous dire à la Chambre de

 14   première instance combien de temps cet entretien a duré, cet entretien qui

 15   traitait de l'élaboration de cette carte qui apparaît sur le menu ?

 16   M. Ashdown (interprétation). - C’est très difficile à dire,

 17   Monsieur Hayman. C'était un banquet extrêmement long. Il y a eu des

 18   discours. Bien évidemment, nous avons abordé d'autres sujets, des points

 19   sans importance. J'ai dû également adresser la parole à la personne qui se

 20   trouvait assise de l'autre côté. Cette partie de la conversation qui est

 21   la plus intéressante a duré vingt minutes, une demi-heure au plus.

 22   M. Hayman (interprétation). - Quelle langue avez-vous utilisée

 23   pour vous parler l'un à l'autre ?

 24   M. Ashdown (interprétation). - L'anglais.

 25   M. Hayman (interprétation). - Vous parlez serbo-croate,


Page 7391

  1   Monsieur ?

  2   M. Ashdown (interprétation). - Non.

  3   M. Hayman (interprétation). - Avez-vous demandé au

  4   président Tudjman de dresser une carte de la Bosnie ou bien de l'ex-

  5   Yougoslavie de façon générale ?

  6   M. Ashdown (interprétation). - Je lui ai demandé de me dire à

  7   quoi, d'après lui, ressemblerait l'ex-Yougoslavie dans dix ans, et

  8   notamment la Bosnie-Herzégovine parce que c'est ce qui m'intéressait le

  9   plus ; mais je lui ai parlé de l'ex-Yougoslavie.

 10   M. Hayman (interprétation). - Peut-on placer la pièce 275/A sur

 11   le rétroprojecteur, s'il vous plaît ?

 12  

 13  

 14   (L’huissier s’exécute.)

 15   M. Ashdown (interprétation). - Je crois que c'est l'autre carte

 16   qu'il nous faut.

 17   M. Hayman (interprétation). - Vous nous avez précisé que vous

 18   aviez apporté un certain nombre de précisions sur ce document ou plutôt

 19   que c'est vous qui aviez commencé à tracer ces lignes ?

 20   M. Ashdown (interprétation). - En effet.

 21   M. Hayman (interprétation). - Voyez-vous le quart supérieur du

 22   cercle de ce que vous avez appelé la Bosnie-Herzégovine ?

 23   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

 24   M. Hayman (interprétation). - On dirait qu'il y a un "X", une

 25   espèce de "B" et un petit carré. Voyez-vous ce à quoi je fais référence ?


Page 7392

  1   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

  2   M. Hayman (interprétation). - Est-ce vous qui avez fait ces

  3   annotations ?

  4   M. Ashdown (interprétation). - Comme je le dis d’ailleurs dans

  5   mon journal, j'ai dessiné Zagreb en traçant une croix. J’ai tracé la ligne

  6   côtière. Il y a une croix pour Zagreb, une croix pour Banja Luka, une

  7   croix pour Sarajevo et, si je me souviens bien, un point ou un petit rond

  8   pour Belgrade.

  9   M. Hayman (interprétation). - Où se trouve ce point, ce cercle ?

 10   M. Ashdown (interprétation). - Il doit être sous la croix, donc

 11   par ici.

 12   M. Hayman (interprétation). - Mais voit-on ce point sur la

 13   pièce 275/A, Monsieur ?

 14   M. Ashdown (interprétation). - Permettez-moi de regarder de plus

 15   près. Je n'ai pas l'impression qu'on puisse le voir. Je crois que c'est ce

 16   petit point-là, mais je n'en suis pas certain.

 17   M. Hayman (interprétation). - Excusez-moi, mais vous êtes en

 18   train de faire des indications sur l'original. Alors, s’il vous plaît,

 19   placez-le sur le rétroprojecteur,

 20  

 21  

 22   Monsieur Ashdown, cela nous permettra à tous de mieux suivre ce que vous

 23   dites.

 24   Sur le menu original, pouvez-vous apercevoir le point que vous

 25   avez indiqué comme étant l'emplacement de Belgrade ?


Page 7393

  1   M. Ashdown (interprétation). - Monsieur Hayman, ce n'est pas une

  2   carte en bonne et due forme. Mais, sur le pli du menu, on voit bien qu'il

  3   y a au bout de la flèche un petit point. Si vous regardez le document

  4   original, on le voit. Je l'indique avec le pointeur. Je crois que c'est le

  5   point que j'ai tracé. J'ai juste placé mon stylo. Et là, c’est Belgrade.

  6   M. Hayman (interprétation). - Pourriez-vous, s’il vous plaît,

  7   placer la pièce 275/B juste à côté du menu original. Je ne sais pas si

  8   cela tient sur le rétroprojecteur, mais j'aimerais essayer de voir ces

  9   deux documents ensemble, dans la mesure du possible ; je remercie la

 10   cabine technique de ses efforts.

 11   Pourriez-vous nous indiquer où se trouve Belgrade sur la

 12   pièce 275/B ?

 13   M. Ashdown (interprétation). - Elle se trouve ici.

 14   M. Hayman (interprétation). - Etes-vous d'accord pour dire

 15   qu'elle se trouve bien loin de ce qui apparaît sur le pli du menu

 16   original ?

 17   M. Ashdown (interprétation). - Tout à fait, Monsieur Hayman,

 18   tout à fait.

 19   Mais, rappelez-vous, j’ai retracé une carte qui avait été

 20   préalablement tracée le jour précédent. Regardez la photocopie de

 21   l'original qui a été faite le lendemain sur cette photocopie, on voit bien

 22   que la Belgrade que j'ai indiquée par une croix ne ressemble pas à cette

 23   Belgrade qui a été faite le jour précédent, qui est en encre noire par

 24   opposition à mon encre bleue.

 25   M. Hayman (interprétation). - Est-ce que Belgrade n'a pas


Page 7394

  1   cependant été marquée par un cercle au cours du banquet ?

  2   M. Ashdown (interprétation). - Belgrade n'a pas été indiquée par

  3   un cercle. Si je m'en souviens bien, mais je répète que tout cela s’est

  4   passé il y a quatre ans, je crois bien avoir tracé les croix qui se

  5   trouvent à main gauche de la carte. Je pense que Belgrade est ici, là où

  6   je

  7  

  8  

  9   pose le pointeur.

 10   Je ne pensais pas que la position de Belgrade, qui est une ville

 11   bien connue, était d’une telle importance. Ce qui est important c'est

 12   Sarajevo et Banja Luka.

 13   M. Hayman (interprétation). - Mais est-il exact de dire que, le

 14   lendemain matin, vous avez essayé d'améliorer la carte en notant

 15   l'emplacement de Belgrade ?

 16   M. Ashdown (interprétation). - Non, je n'ai pas amélioré la

 17   carte, je n'ai pas apporté de précisions à la carte. J'ai annoté la carte

 18   afin de pouvoir me rappeler correctement de tout ce qui était dit.

 19   M. Hayman (interprétation). - Vous dites donc avoir ou ne pas

 20   avoir indiqué de façon visible, avec un crayon, au cours du banquet

 21   l'emplacement de Belgrade ?

 22   M. Ashdown (interprétation). - Je l'ai simplement indiqué en

 23   faisant un petit signe avec mon crayon sur le menu. Ensuite, je...

 24   M. le Président. - Maître Hayman, pouvez-vous avancer ? Je crois

 25   que le témoin a répondu.


Page 7395

  1   M. Hayman (interprétation). - En effet, Monsieur le Président.

  2   Je n'ai pas d'autres questions quant à l'emplacement de Belgrade sur la

  3   pièce 275/B de l'accusation.

  4   Monsieur Ashdown, pouvez-vous, s’il vous plaît, vous tourner

  5   vers le document 275/A. Pouvons-nous obtenir un agrandissement de ce

  6   document et retirer le document 275/B ? Je voudrais que nous apercevions

  7   très précisément le document 275/A.

  8   (L’huissier s’exécute.)

  9   A côté de la croix, dont vous dites qu'elle indique

 10   l'emplacement de Banja Luka, voyez-vous un petit "B" ?

 11   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

 12   M. Hayman (interprétation). - Vous rappelez-vous de la personne

 13   qui a fait cette annotation ?

 14  

 15  

 16   M. Ashdown (interprétation). - Oui, c’est moi.

 17   M. Hayman (interprétation). - Et que souhaitiez-vous indiquer ?

 18   M. Ashdown (interprétation). - Je souhaitais indiquer qu’il

 19   s’agissait de Banja Luka.

 20   M. Hayman (interprétation). - Et cette petite boîte qui apparaît

 21   à côté du "B", c’est vous-même qui l’avez tracée ?

 22   M. Ashdown (interprétation). - Sincèrement, Monsieur Hayman, je

 23   ne sais pas qui a fait cette petite case. Franchement, je ne crois pas que

 24   cette petite case ait une importance quelconque. Nous parlions au cours

 25   d'un dîner. On nous passait des assiettes, on nous remplissait nos verres,


Page 7396

  1   les plats circulaient. Peut-être ai-je fait une petite annotation tout à

  2   fait par hasard avec mon crayon. Peut-être n'aurais je pas dû la faire.

  3   Mais, franchement, je ne sais pas.

  4   M. Hayman (interprétation). - C'était une atmosphère très

  5   détendue qui régnait lors de ce banquet ?

  6   M. Ashdown (interprétation). - Non, c'était un banquet officiel.

  7   M. Hayman (interprétation). - Le président Tudjman était-il en

  8   train de profiter de l'hospitalité dont on faisait preuve à son égard ?

  9   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

 10   M. Hayman (interprétation). - Il profitait du vin, il le

 11   dégustait ?

 12   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

 13   M. Hayman (interprétation). - Et vous-même, appréciiez-vous le

 14   vin qu’on vous servait ?

 15   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

 16   M. Hayman (interprétation). - D'après vous, il a peut-être été

 17   saisi d'une légère ébriété au cours de ce banquet ?

 18   M. Ashdown (interprétation). - Pour être tout à fait franc, je

 19   me rappelle que cette conversation était particulièrement fascinante, mais

 20   que son verre de vin était sans cesse rempli au cours de la conversation

 21   et du banquet.

 22   M. Hayman (interprétation). - Pourriez- vous être d’accord avec

 23   moi pour dire qu'il était légèrement troublé par les vapeurs du vin.

 24   M. Ashdown (interprétation). - Monsieur Hayman, c'est un chef

 25   d'Etat. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'utiliser ce type de langage, eu


Page 7397

  1   égard à M. Hayman. Il suffit de dire qu’il était tout à fait heureux de

  2   l'atmosphère qui régnait au cours du banquet.

  3   M. le Président. - Il serait bien d’avoir un peu de sérénité

  4   dans ces débats. Je n'aurais pas pensé que l’on puisse, un jour, faire des

  5   suggestions sur l'atmosphère d'ébriété d'un chef d'Etat. Il s'agit d'un

  6   banquet officiel dans lequel il y avait certainement d'excellents vins.

  7   Voulez-vous passer à la question suivante ?

  8   M. Hayman (interprétation). - Veuillez examiner la pièce 275/B,

  9   s'il vous plaît, Monsieur Ashdown. En haut de ce document, quelqu'un a

 10   écrit les mots « lignes tracées par Franjo Tudjman ?

 11   M. Ashdown (interprétation). - Oui, c'est moi qui ait indiqué

 12   ces éléments en haut de la carte.

 13   M. Hayman (interprétation). - Fort bien. Je suppose que vous ne

 14   voulez pas dire que c’est Franjo Tudjman qui a tracé les cartes qui se

 15   trouvent à l'extrême gauche, tout en bas du document ?

 16   M. Ashdown (interprétation). - D'après ce que dit mon journal,

 17   et d'après mes notes de l'époque, il apparaît que c'est moi qui ait apposé

 18   ces lignes. Mais les lignes intéressantes qui apparaissent sur la carte

 19   ont été tracées par Tudjman et non pas par moi-même.

 20   M. Hayman (interprétation). - Vous voyez ces lignes épaisses,

 21   l’une qui provient de Banja Luka dans le coin supérieur gauche de la

 22   carte. Si vous suivez cette ligne vers le coin supérieur gauche, on trouve

 23   Banja Luka en Croatie. Il y a ensuite cette ligne qui descend de cet

 24   emplacement.

 25   M. Ashdown (interprétation). - C’est une flèche.


Page 7398

  1   M. Hayman (interprétation). - Ce n’est pas une ligne ?

  2   M. Ashdown (interprétation). - Non, c’est une flèche.

  3   M. Hayman (interprétation). - Toutes les flèches ne sont pas des

  4   lignes et elles n'ont pas forcément été tracées par M. Tudjman ? C'est

  5   vous-même qui les avez tracées, n'est-ce pas ?

  6   M. Ashdown (interprétation). - Oui.

  7   M. Hayman (interprétation). - Pour ce qui est du « S » et de

  8   cette ligne de division, le professeur Tudjman, au cours de cet entretien,

  9   a-t-il déclaré qu'une fédération croate serait mise sur pied ?

 10   M. Ashdown (interprétation). - Non.

 11   Vous voyez qu'il a très nettement tracé ces deux flèches. Je lui

 12   ai demandé quelle était cette partie-là ?  Il a dit « c'est la Serbie ».

 13   Je lui ai demandé ensuite « et ce côté-là » ? Il a tracé la flèche et a

 14   dit « c'est la Croatie ». Il a dit que l'Etat bosniaque n'existerait pas,

 15   ne serait qu'un élément mineur qui constituait une partie de la fédération

 16   croate.

 17   M. Hayman (interprétation). - De la fédération croate ? D'après

 18   vous, qu'est-ce que cela signifiait ?

 19   M. Ashdown (interprétation). - J'ai pensé que cela serait en

 20   fait le nom donné à la Croatie, que la Croatie aurait tout le contrôle.

 21   M. Hayman (interprétation). - Donc pas une partie de la

 22   République de la Croatie, mais plutôt un élément du territoire qui ferait

 23   partie d'une fédération avec la Croatie, n'est-ce pas ?

 24   M. Ashdown (interprétation). - Ce que j'écris dans mon journal

 25   indique que ce


Page 7399

  1  

  2  

  3   serait en fait un élément tout à fait insignifiant de la confédération

  4   croate.

  5   M. Hayman (interprétation). - Je parle de la Fédération croate.

  6   Vous a-t-il dit que la fédération Croate serait avec la Croatie ou avec

  7   d’autres composantes de la Bosnie-Herzégovine ?

  8   M. Ashdown (interprétation). - J'ai eu l'impression très claire

  9   que c'était une fédération avec la Croatie. J'ai, pour ma part,

 10   l'impression que ce qu'il désirait, c'était une plus grande Croatie.

 11   M. Hayman (interprétation). - C'est l'impression que vous avez

 12   eue ou vous l’a-t-il dit ?

 13   M. Ashdown (interprétation). - Non, il n'a pas dit cela,

 14   Monsieur Hayman. Il me semble que les indications, la flèche indique

 15   parfaitement qu'il voyait deux éléments en présence, un élément serbe et

 16   un élément croate et que ce dernier serait une entité unique appelée la

 17   Croatie.

 18   M. Hayman (interprétation). - A-t-il fait référence à ces

 19   éléments comme étant de nature culturelle ou des éléments constituant un

 20   Etat de chaque côté du S ?

 21   M. Ashdown (interprétation). - Vous dites « culturelle »,

 22   Monsieur Hayman. Je vous rappelle que tout cela s'est passé au cours d'un

 23   banquet. La seule chose qui aurait pu me laisser penser qu'il pensait de

 24   ces éléments qu’ils pouvaient être de nature culturelle, c'est qu'il y

 25   avait un ton très raciste lorsqu'il parlait des Musulmans.


Page 7400

  1   J'ai l’impression qu'il considérait l'élément musulman comme un

  2   élément inférieur, un élément qu'il ne fallait pas prendre en compte.

  3   Le seul élément culturel qui me vient à l'esprit, c'est ce ton

  4   très insultant, ce ton presque raciste qu'il avait lorsqu'il parlait des

  5   Musulmans.

  6   M. Hayman (interprétation). - Mais il n'a pas précisé plus avant

  7   s'il parlait du territoire croate comme étant un territoire culturellement

  8   croate ou comme étant un territoire habité par des Croates ethniques et ce

  9   par opposition à un Etat Croate, à savoir la République de Croatie ?

 10   M. Ashdown (interprétation). - Non. Le point le plus important

 11   est qu'il a dit que les Musulmans n'étaient qu'un élément infime qui

 12   n'avait aucune importance, que c'était plutôt une question qui le

 13   concernait lui et Milosevic. Il a dit que cette question allait être

 14   résolue entre la Croatie et la Serbie. J'avais l'impression vraiment que

 15   c'était déjà un accord conclu, quelque chose de déjà tranché en fait.

 16   Nous savons bien qu'il est parfois difficile de savoir si ces

 17   accords existent ou pas. Nous avons maints exemples historiques qui nous

 18   le prouvent. On ne sait pas si cet accord a réellement eu lieu, mais

 19   j'avais vraiment l'impression qu'une offensive serait lancée vers le mois

 20   d’août ou de septembre de cette année-là, laquelle aurait pour objectif

 21   d'arriver à une solution du problème musulman de Bosnie ou bosnien. Cela

 22   permettrait de régler la question, c'est-à-dire de diviser l'élément entre

 23   la Croatie et la Serbie de l'autre côté.

 24   M. Hayman (interprétation). - Mais il vous a bien dit qu'il

 25   allait lancer une opération militaire pour reprendre la Krajina dans la


Page 7401

  1   dernière partie de 1995 ?

  2   M. Ashdown (interprétation). - Pour ce dont je me souviens, il a

  3   relié ce sujet à la fin du mandat des Nations Unies. D'après ce que je me

  4   rappelle qu'il a dit, il a rappelé que le mandat des Nations Unies était

  5   sensé s'achever à la fin de cette année.

  6   Le lendemain matin, lorsque j'ai relu mon journal intime -je

  7   demande toujours à ma secrétaire de le taper- qu'il avait alors parlé de

  8   reprise de la région de la Krajina, probablement après le mois d’août.

  9   Etant donné les événements qui ont eu lieu, je pense que cette

 10   conversation et cette carte sont connues du public aujourd'hui. Je ne

 11   pouvais que souhaiter que la communauté internationale sache quelles

 12   étaient mes intentions.

 13   M. Hayman (interprétation). - Mais il vous a dit que lors de la

 14   fin du mandat des Nations Unies en Krajina, il avait l'intention de

 15   reprendre la Krajina par la force, avec l'armée

 16  

 17  

 18   croate ?

 19   M. Ashdown (interprétation). - Oui, c'était bien son intention.

 20   M. Hayman (interprétation). - En fait, cela a fait l'objet d'un

 21   pari entre vous deux ?

 22   M. Ashdown (interprétation). - Effectivement.

 23   M. Hayman (interprétation). - Avant la fin du dîner, vous a-t-il

 24   dit qu'il planifiait une opération militaire en vue de reprendre quelques

 25   parties que ce soit de la Bosnie-Herzégovine ?


Page 7402

  1   M. Ashdown (interprétation). - Non, il n'a pas dit cela. Mais

  2   d'après la carte qu'il a tracée, cela apparaît très clairement. Sur cette

  3   carte, on voit très clairement que l'opération de Krajina est une première

  4   opération destinée à aboutir à l'objectif final qu'il trace sur la carte.

  5   M. Hayman (interprétation). - C'est ce que vous avez déduit de

  6   la conversation ?

  7   M. Ashdown (interprétation). - C’est ce que j'ai déduit de la

  8   conversation, mais cela repose sur mon expérience militaire et le rôle

  9   particulier qu'il jouait à ce moment-là.

 10   M. Hayman (interprétation). - Dites-vous dans votre déposition

 11   qu'à la fin de ce dîner, vous avez pensé qu'un accord d'une certaine

 12   nature existait entre Tudjman et Milosevic ?

 13   M. Ashdown (interprétation). - Cela n'a jamais fait l'objet du

 14   débat. J'ai cru, j'ai estimé qu'il s'agissait bien de l'exécution, de la

 15   réalisation d'un accord entre le Président Tudjman et le Président

 16   Milosevic. Ma conclusion a été que s'il parlait sérieusement de reprendre

 17   la Krajina, il lui serait impossible d'agir de la sorte sur le plan

 18   militaire sans une campagne militaire d'une très grande intensité, à moins

 19   qu'il y ait eu accord préalable au sujet du sort à réserver à la région de

 20   la Krajina.

 21   M. Hayman (interprétation). - Déclarez-vous, dans ces

 22   conditions, que vous pensez qu'il y a eu un accord au sujet de la Krajina

 23   ou impliquant la Bosnie-Herzégovine ?

 24   M. Ashdown (interprétation). - L'accord, c'est le « S » sur la

 25   carte. C'est cela l'accord.


Page 7403

  1   M. Hayman (interprétation). - Pensez-vous que cet accord

  2   existait au moment où vous avez quitté la table de ce banquet ?

  3   M. Ashdown (interprétation). - Je pensais qu'il était probable

  4   que cet accord existe. Je n'avais pas de preuve à cet égard. J’ai quitté

  5   ce dîner en pensant que c'était une forte probabilité.

  6   M. Hayman (interprétation). - Vous avez reçu vos notes en retour

  7   peu de temps après ?

  8   M. Ashdown (interprétation). - Excusez-moi je ne sais pas

  9   exactement combien de temps après j'ai reçu mes notes en retour.

 10   Normalement, je m'occupais de mon journal intime le soir même, très

 11   rarement le lendemain soir. En général, je dicte le soir même. Je

 12   transmets les notes à ma secrétaire qui les tape au propre et je les

 13   reçois, normalement, dans les six jours. C'est la procédure normale.

 14   M. Hayman (interprétation). - Lorsque vous avez reçu vos notes

 15   concernant la carte, et la carte également bien sûr, avez-vous estimé être

 16   en possession d'une information d'une grande importance diplomatique ou

 17   sur le plan du renseignement ou potentiellement d’une grande importance

 18   sur ces deux plans ?

 19   M. Hayman (interprétation). - Non, je ne pouvais pas penser

 20   qu'il était probable que le Président Tudjman ait dit ce qu'il allait

 21   faire réellement. J'ai pensé que j'étais en possession d'un document qui

 22   pouvait être considéré comme comportant une information historique. Je ne

 23   suis pas allé plus loin.

 24   M. Hayman (interprétation). - Seriez-vous d'accord pour dire

 25   qu'à l'époque, en juin 95, il était souvent stipulé dans les médias que le


Page 7404

  1   Président Tudjman et la République de Croatie estimaient qu'à moins d'un

  2   accord politique à l'automne, la Croatie allait lancer une opération

  3   militaire pour récupérer les zones occupées de Croatie, ou des rebelles

  4   avaient proclamé une République Serbe de Krajina qui était une scission de

  5   la Croatie ?

  6   M. Ashdown (interprétation). - Monsieur Hayman, excusez-moi,

  7   mais je ne peux pas me rappeler exactement si cela faisait partie du

  8   domaine public ou pas à l'époque. Je ne peux me rappeler que ce que me

  9   disent mes notes. Je ne peux pas faire de commentaires au-delà de ce que

 10   mes notes me permettent de me remémorer.

 11   M. Hayman (interprétation). - Avez-vous pensé que les

 12   informations que vous aviez reçues au sujet d'une intention militaire de

 13   lancer une action en Krajina étaient un élément confidentiel ou que un

 14   élément qui n'appartenait pas au domaine public au moment où vous l'avez

 15   reçu, en juin 1995 ?

 16   M. Ashdown (interprétation). - Je les ai reçues en mai.

 17   M. Hayman (interprétation). - Oui, excusez moi.

 18   M. Ashdown (interprétation). - Je n'ai pas pensé que

 19   l'information qu'il m'avait donnée appartenait au domaine public, non

 20   certainement pas.

 21   M. Hayman (interprétation). - En mai, je suppose que vous n'avez

 22   pas publié cette carte, que vous n'avez accordé aucune interview à ce

 23   sujet ?

 24   M. Ashdown (interprétation). - Non.

 25   M. Hayman (interprétation). - Qu'est-ce qui vous a incité à


Page 7405

  1   changer d’avis et à remettre ces informations aux médias ?

  2   M. Ashdown (interprétation). - Comme je l'ai déjà dit, c’est la

  3   réalisation de ce que le Président Tudjman m'avait dit, les suites de

  4   l'attaque serbe sur la Krajina le 6 ou le 7 août. J'ai vu ces événements

  5   se produire. J'ai vu les troupes croates reprendre Knin. Je pensais

  6   qu'elles ne pouvaient pas le faire sans subir de grosses pertes.

  7   J'ai donc assisté à ces événements. J'ai vu que c'était une

  8   forme de scission, de partition entre les Croates et les Serbes. J'ai

  9   pensé qu'à ce moment-là, il était nécessaire pour moi de transmettre ces

 10   informations pour qu'elles appartiennent au domaine public. Il fallait

 11   alerter, me semble-t-il, la communauté internationale quant à ce que le

 12   Président Tudjman

 13  

 14  

 15   m'avait dit de ses intentions.

 16   J'ai également pensé qu'étant donné la réaction qui s'en était

 17   suivie, il se pouvait que certains membres de la Communauté internationale

 18   se trouvent alertées par ses ambitions et que celles-ci ne puissent pas

 19   être complètement exécutées.

 20   M. Hayman (interprétation). - Je crois comprendre que l'armée

 21   croate n'a pas pénétré en Bosnie-Herzégovine dans le cadre de l'opération

 22   tempête, n'est-ce pas ?

 23   M. Ashdown (interprétation). - Maître Hayman, je suis désolé

 24   mais je ne peux vraiment pas faire le moindre commentaire à ce sujet. Je

 25   ne sais pas si l’armée croate est entrée en Bosnie-Herzégovine à ce 


Page 7406

  1   moment-là ou pas ?

  2   M. Hayman (interprétation). - Avez-vous des informations

  3   laissant entendre que l'armée croate n'y a pas pénétré ?

  4   M. Ashdown (interprétation). - Non, mais je n'en ai pas non plus

  5   laissant penser le contraire. Je ne peux pas faire de commentaires sur

  6   cette information.

  7   M. Hayman (interprétation). - Lorsque vous avez accordé ces

  8   interview en août 1995, combien en avez-vous accordés ?

  9   M. Ashdown (interprétation). - Dans mon souvenir, j’ai examiné

 10   quelle était la meilleure façon pour moi de rendre cette information

 11   publique. J’ai donc pensé que c'était sans doute préférable de commencer

 12   par une interview exclusive accordée au Times de Londres. Je suppose qu'il

 13   y a eu quelques fuites, suite à quoi des interviews m’ont été demandées.

 14   J’ai accordé quelques interviews. Je ne rappelle pas vraiment combien il y

 15   en a eu, peut-être huit ou dix par jours. C'est ce que l'on dit, mais je

 16   ne suis pas sûr qu'il y en ait eu autant.

 17   M. Hayman (interprétation). - Dans l’une de ces interviews, on

 18   vous a demandé si vous, vous estimiez qu’il existait un accord secret

 19   entre la Croatie et la Serbie destiné, en dernière analyse, à diviser la

 20   Bosnie. Vous avez répondu : « Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est

 21   ce que le Président Tudjman m'a dit lors de ce dîner et ce que je sais,

 22   c’est que ce qu’il

 23  

 24  

 25   dit s’est avéré exact jusqu'à présent ».


Page 7407

  1   M. Ashdown (interprétation). - Maître Hayman, je ne peux

  2   vraiment pas me rappeler chacune des réponses que j’ai apportées aux

  3   questions de cet interview. Je pense que si j’accordais  une interview

  4   publique au sujet d'une suspicion privée, personnelle, il arrive que l'on

  5   vous demande de justifier vos soupçons personnels de façon détaillée et en

  6   termes très précis. C'est une chose d'avoir un soupçon personnel, c’en est

  7   une autre de le faire savoir publiquement à haute et intelligible voix.

  8   L'avoir dit ne réduirait en rien la force de mon soupçon

  9   personnel à ce sujet.

 10   M. Hayman (interprétation). - Seriez-vous d'accord avec la

 11   déclaration suivante : « Je ne pense pas qu'il faut considérer la carte

 12   comme un plan ou comme une intention, ce n’est peut-être qu'une

 13   prévision ». Etes-vous d'accord avec cette déclaration qui porte sur la

 14   carte tracée au moment de ce dîner ?

 15   M. Ashdown (interprétation). - Lorsque cette carte a été tracée,

 16   je l’ai considéré comme une prévision, en effet.

 17   M. Hayman (interprétation). - Et même au mois d'août 1995 ? Même

 18   après le lancement de l'opération Tempête ? Vous seriez toujours d'accord

 19   avec la déclaration selon laquelle cette carte ne devrait pas être

 20   considérée comme un plan ou comme une intention ?

 21   M. Ashdown (interprétation). - Il est fort possible qu'elle ait

 22   été une prévision portant sur une opération devant précéder l'opération

 23   Tempête. Je ne vois pas de problème à ce sujet. L'opération Tempête

 24   pouvait fort bien avoir été conçue comme une opération limitée à la

 25   Krajina. Il était fort possible que si, cette opération réussissait, elle


Page 7408

  1   pouvait être considérée comme un premier élément de quelque chose qui

  2   devait se poursuivre.

  3   M. Hayman (interprétation). - Je demanderai à M. l'huissier de

  4   remettre ce texte au témoin pour le procès-verbal. Il s'agit d'un article

  5   de l'Association Limited du lundi 7 août 1995 intitulé "J'ai vu la carte

  6   de la Bosnie dépecée, déclare Ashdown". C'est très court,

  7   Monsieur Ashdown, nous pouvons vous laisser lire rapidement cet article.

  8   Je mettrai l'accent la seconde moitié de cet article.

  9   M. Ashdown (interprétation). - Très bien.

 10   M. Hayman (interprétation). - Vous rappelez-vous avoir prononcé

 11   une déclaration qui, sur le fond, est conforme aux interviews que vous

 12   avez accordées en août 1995 ?

 13   M. Ashdown (interprétation). - Pour être honnête, Maître Hayman,

 14   je ne me rappelle pas, mais je n'ai aucune raison de penser que c'est

 15   inexact.

 16   M. Hayman (interprétation). - Etes-vous d'accord avec les

 17   déclarations qui vous sont attribuées dans cet article ?

 18   M. Ashdown (interprétation). - Je n'ai aucune raison de penser

 19   que cette déclaration est inexacte.

 20   M. Hayman (interprétation). - Vous le dites aujourd'hui, assis

 21   sur cette chaise ?

 22   M. Ashdown (interprétation). - Il n'y a aucune contradiction

 23   entre ce que je pensais qu'il se passait et ce qui est dit ici. Je

 24   souhaitais que les gens le sachent. L'un des objectifs que j'ai stipulé

 25   clairement était de garantir que l'opération de Krajina -si elle devait se


Page 7409

  1   poursuivre- aille plus loin. Il n'y avait aucune raison...

  2   M. Hayman (interprétation). - Excusez-moi de vous interrompre.

  3   Le fait de fournir la carte et celui d'accorder des interviews ne sont

  4   aucunement reliés.

  5   M. Ashdown (interprétation). - Maître Hayman, mon objectif était

  6   d'alerter la communauté internationale quant à ce que j'estimais être les

  7   intentions du président Tudjman, sur la base des informations qu'il

  8   m'avait fournies lors du dîner, au moment où cette carte a été tracée.

  9   M. Hayman (interprétation). - J'aimerais demander une nouvelle

 10   fois que la pièce à conviction 275/B soit placée sur le rétroprojecteur.

 11   Elle y est peut-être encore d'ailleurs. Peut-on allumer le rétroprojecteur

 12   dans ces conditions ? Le document B et la carte sur laquelle

 13  

 14  

 15   figurent des annotations : je crois comprendre que vous avez compris que

 16   tout ce qui était à droite du "S" sur cette carte serait concédé à la

 17   Serbie dans le cadre d'un accord conclu entre la Croatie et la Serbie ?

 18   M. Ashdown (interprétation). - Maître Hayman, je ne peux que

 19   répéter les mots que j'ai déjà dits, que le président Tudjman a tracé le

 20   "S" ainsi que les autres éléments qu'il a tracés et dont j'ai parlé. J'en

 21   ai conclu qu'il considérait tout ce qui se trouvait à gauche du "S" comme

 22   devant faire partie de la grande Serbie. Mon soupçon personnel, très fort

 23   à l'époque, consistait à penser que cette conversation et cette carte

 24   indiquaient qu'il y avait une possibilité d'accord entre eux.

 25   M. Hayman (interprétation). - J'attirerai votre attention sur la


Page 7410

  1   pièce à conviction 275/B. Y a-t-il une portion au nord ou dans la partie

  2   supérieure de la carte à partir de la frontière de la Bosnie-Herzégovine,

  3   c'est-à-dire une partie du territoire de la République de Croatie, qui se

  4   trouve dans la partie droite du "S" ?

  5   M. Ashdown (interprétation). - Maître Hayman, excusez-moi, je

  6   n'ai pas tout à fait compris votre question.

  7   M. Hayman (interprétation). - Au-dessus de ce que l'on peut

  8   définir comme la ligne en barbelés, mais à droite du sommet du "S", il y a

  9   une partie de territoire, n'est-ce pas ?

 10   M. Ashdown (interprétation). - Dans cette région, ici n'est-ce

 11   pas ?

 12   M. Hayman (interprétation). - Oui. Vous avez compris, sur la

 13   base de la conversation que vous avez eue avec lui, que ce territoire

 14   ferait partie de la grande Serbie ?

 15   M. Ashdown (interprétation). - Oui, en tout cas, c'est ce que

 16   j'ai cru et je vous invite une nouvelle fois à tenir compte du fait que

 17   cette carte n'est pas une carte d'état-major mais qu'elle a été tracée

 18   rapidement au cours d'un dîner. Selon ce dont je me souviens, je

 19   considérerais ceci comme la rivière Save et, dans la région en dessous de

 20   la Save, vous avez le corridor de Posadina. Vous savez bien que la Save

 21   est la frontière avec la Bosnie et que la ligne

 22  

 23  

 24   en barbelés est également la frontière bosniaque.

 25   Là, il y a une légère inexactitude qui, je pense, montre que la


Page 7411

  1   carte et la ligne en "S" étaient davantage en rapport avec la grande

  2   Serbie et la grande Croatie.

  3   M. Hayman (interprétation). - Avez-vous demandé à M. Tudjman

  4   quel était ce territoire ?

  5   M. Ashdown (interprétation). - Non, le point important n'était

  6   pas de savoir si cette carte était correcte ou pas. Elle consistait à

  7   placer les Musulmans dans ce que je considérais être la grande Croatie.

  8   M. Hayman (interprétation). - Etes-vous d'accord avec le fait

  9   que, si la ligne en barbelés est la frontière de la Bosnie-Herzégovine,

 10   alors le territoire...

 11   M. Ashdown (interprétation). - Au nord.

 12   M. Hayman (interprétation). - Oui, le territoire au nord

 13   constitue une partie au moins de la région de Slavonie Orientale qui fait

 14   partie de la République de Croatie.

 15   M. Ashdown (interprétation). - Exact, je suis d'accord avec

 16   cela, je ne pense pas que la carte était précise à ce point. J'ai insisté

 17   sur le S ici que j'ai considéré comme la rivière en question. Elle a été

 18   tracée par un homme qui avait déjà bu quelque verres de vin et qui

 19   profitait d'un bon dîner.

 20   Je ne pensais pas que la position précise de chacun des éléments

 21   sur cette carte ait eu une importance absolue. Ce n'était pas l'objet du

 22   débat. Le point important de cette carte était la façon dont la Bosnie

 23   était divisée et ce qu'il fallait faire de la communauté musulmane.

 24   M. Hayman (interprétation). - Est-il permis de dire que cette

 25   carte a été tracée rapidement ?


Page 7412

  1   M. Ashdown (interprétation). - Il est tout à fait permis de le

  2   dire. Vous n'avez pas le cerveau d'un chirurgien quand vous regardez une

  3   carte tracée aussi rapidement.

  4   M. Hayman (interprétation). - Il est indiscutable, n'est-ce pas,

  5   que les flèches que

  6  

  7  

  8   vous avez indiquées apparaissent à l'ouest et à l'est de la Slavonie sur

  9   cette carte ?

 10   M. Ashdown (interprétation) - Selon les notes de mon journal

 11   intime à l'époque, je lis : "Il a pris son stylo et a tracé une ligne en

 12   "s" générale qui, je suppose, est la ligne de la Krajina, avec passage à

 13   l'ouest de Sarajevo et retour vers la mer".

 14   J'ai écrit : "Belgrade, Zagreb, Sarajevo. Je lui ai laissé le

 15   reste. Il a inscrit une ligne en "s" d'une façon générale en commençant

 16   par la Slavonie, suivant la Save qui est la frontière qui inclut Tuzla".

 17   Tuzla se trouvait ici, puis passant à l'est de Sarajevo, puis

 18   vers le bas, vers la mer. Je crois que c'est assez clair.

 19   M. Hayman (interprétation). - Est-ce qu'à l'époque les Serbes

 20   tenaient la Slavonie ? Contrôlaient-ils cette partie de la Croatie ?

 21   M. Ashdown (interprétation). - A l'époque, si je me rappelle

 22   bien, les Serbes contrôlaient la Slavonie Occidentale.

 23   M. Hayman (interprétation). - Vukovar ?

 24   M. Ashdown (interprétation). - Vukovar, excusez-moi, je ne me

 25   rappelle pas exactement ce que les Serbes contrôlaient à l'époque et ce


Page 7413

  1   qu'ils ne contrôlaient pas.

  2   M. Hayman (interprétation). - En ce qui concerne le haut du "S",

  3   la carte montre de façon assez exacte ceux qui étaient alors aux mains des

  4   Serbes en ce qui concerne les territoires qui se trouvaient à l'intérieur

  5   de la République de Croatie ?

  6   M. Ashdown (interprétation). - Excusez-moi, mais je ne comprends

  7   pas votre question, Maître Hayman.

  8   M. Hayman (interprétation). - J'en poserai une autre.

  9   M. Ashdown (interprétation). -  Je voudrais m'exprimer tout à

 10   fait clairement. J'ai considéré que ceci représentait la Save. Je

 11   considérais que cette ligne en barbelés comme vous l'avez appelée et le

 12   territoire situé entre cette ligne en barbelés et la Save était le

 13   corridor de

 14  

 15  

 16   Posavniva. Je crois que c'était la position défendue à l'époque.

 17   M. Hayman (interprétation). - En ce qui concerne le nord, la

 18   partie septentrionale de la frontière, qui figure en tant que frontière

 19   actuelle de la Bosnie-Herzégovine ?

 20   M. Ashdown (interprétation). - Si vous me demandez si quoi que

 21   ce soit d'autre a été dit dans notre conversation quant à un accord entre

 22   la Slavonie orientale d'un côté et la Krajina de l'autre, je ne crois pas

 23   qu'il y ait eu un tel élément dans notre conversation.

 24   M. Hayman (interprétation). - Vous seriez d'accord pour dire

 25   qu'il serait exagéré de penser que la Croatie allait abandonner la


Page 7414

  1   Slavonie orientale ?

  2   M.  Ashdown (interprétation). - Non, excusez-moi, ce n'est pas

  3   du tout ce que j'ai dit. Vous savez bien que c'est ce qui fait

  4   prétendument l'objet de l'échange de Karadjordjevo. Tout ce que nous

  5   disons, c'est que l'accord dont nous parlions à l'époque était

  6   parfaitement conforme avec l'élément bosniaque de ce qui était appelé

  7   "l'accord du rendez-vous de chasse". Si, à l’époque, la Serbie à l'époque,

  8   je parle bien d'une intention, à abandonner Knin et la Krajina, et si l'on

  9   considère la réalité des opérations militaires, on doit en conclure qu'ils

 10   ne se sont pas battus très fermement pour cet objectif. Il était donc tout

 11   à fait possible qu'il y ait eu un échange ou une intention d'échange selon

 12   les lignes que vous venez d'indiquer.

 13   M. Hayman (interprétation). - Une telle carte indiquerait les

 14   intentions d'un tel échange ?

 15   M. Ashdown (interprétation). - Non, je n'irai pas plus loin que

 16   dire ce qu'il m'a dit à l'époque au sujet de cette carte, à savoir qu'elle

 17   portait sur la Bosnie et la division de la Bosnie. Nous n'avons pas parlé

 18   de la Slavonie orientale à l'époque, pour autant que je m'en souvienne.

 19   M. Hayman (interprétation). - Vous êtes d'accord pour dire que

 20   vous et moi, ici, aujourd'hui, savons que la Slavonie orientale n'a pas

 21   été cédée à la Serbie dans un quelconque accord ?

 22   M. Ashdown (interprétation). - Vous le savez ou pas, c'est votre

 23   affaire. Certains

 24  

 25  


Page 7415

  1   pensent que cela faisait partie d'un plan. Tout ce que je peux vous dire,

  2   c'est ce que cette carte indique ce qui s'est passé cette nuit-là. Et

  3   cette carte est exclusivement concentrée sur le territoire de la Bosnie,,

  4   notamment sur la situation des Musulmans.

  5   M. Hayman (interprétation). - Vous êtes d'accord avec moi pour

  6   dire que la Slavonie orientale fait partie de la Croatie aujourd'hui.

  7   M. Harmon (interprétation). - Je fais objection à d'autres

  8   questions sur la Slavonie orientale. Le témoin n'a pas cessé de répéter ce

  9   que représentait cette carte et ce qu'il en pense.

 10   M. le Président (interprétation). - Je pense que l'objection est

 11   valable, Maître Hayman. Vous insistez beaucoup sur cet aspect alors que le

 12   témoin vous rapporte ce qu'il a constaté, ce qu'il a fait, de quoi il a

 13   discuté concernant la carte, et puis je crois ce qu'il la dit.

 14   M. Hayman (interprétation). - Avez-vous inscrit sur vos notes

 15   que le soir du dîner vous aviez une idée très claire du but que

 16   poursuivait ce plan ? Vous avez écrit : "Il (en vous référant probablement

 17   au Pr. Tudjman) essaye de parvenir à une espèce d'accord avec les Serbes

 18   le plus rapidement possible, dès que militairement ils se seront pris ce

 19   qu'ils peuvent se prendre l'un à l'autre".

 20   M. Ashdown (interprétation) - Je ne sais pas ce que vous citez

 21   là.

 22   M. Hayman (interprétation). - C'est la deuxième ligne du

 23   paragraphe entier.

 24   M. Ashdown (interprétation) - C'est parfaitement clair. Oui,

 25   tout à fait, c’est mon souvenir de l'époque.


Page 7416

  1   M. Hayman (interprétation). - En d'autres termes, il n'y avait

  2   pas d'accord mais vous estimiez qu'il pouvait y avoir une intention de

  3   conclure un accord après que les Croates et les Serbes se soient battus et

  4   en soient arrivés au point mort, est-ce exact ?

  5   M. Ashdown (interprétation) - Je pense que la ligne qu'il a

  6   tracée était une ligne qui, avec ou sans accord, représentait une position

  7   acceptable pour les deux parties, c'est-à-dire pour la grande Croatie d’un

  8   côté et pour la grande Serbie de l’autre, qui a permis de satisfaire

  9  

 10  

 11   les deux parties quant à la division du territoire de la Bosnie.

 12   M. Hayman (interprétation). - Vous êtes sorti de ce dîner

 13   Monsieur Ashdown en estimant qu'un tel accord n’existait pas à l'époque,

 14   n’est-ce pas ?

 15   M. Ashdown (interprétation) - Je suis sorti du dîner, comme je

 16   l’ai déjà dit assez fréquemment, avec une forte suspicion quant à l'accord

 17   qui pouvait bien exister.

 18   M. Hayman (interprétation). - Rien, dans les notes que vous avez

 19   écrites, rien dans les notes que vous avez dictées ce soir-là ne le

 20   montre, n’est-ce pas ?

 21   M. Ashdown (interprétation) - Non, il n’y a rien dans ce que

 22   j'ai dicté qui l’indique. C'est ce que je croyais à l'époque.

 23   M. Hayman (interprétation). - Depuis ce dîner, après avoir

 24   ajouté vos annotations en avez-vous envoyé un exemplaire au

 25   professeur Tudjman pour qu'il voit ces annotations ?


Page 7417

  1   M. Ashdown (interprétation) - Non.

  2   M. Hayman (interprétation). - Lui avez-vous reparlé depuis ?

  3   M. Ashdown (interprétation) - Non.

  4   M. Hayman (interprétation). - Est-ce que vous avez commencé à

  5   estimer que M. Tudjman était fortement antipathique au cours du dîner ?

  6   M. Ashdown (interprétation) - Je ne pourrais pas dire que je

  7   l’ai trouvé très agréable, non.

  8   M. Hayman (interprétation). - C'est votre sentiment à l'époque ?

  9   M. Ashdown (interprétation) - Oui, c'est ainsi que je ressentais

 10   les choses à l'époque, oui, oui.

 11   M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, je

 12   demanderai l'aide de l'huissier...

 13   Ceci est un article en langue anglaise qui se compose de deux

 14   pages et je demanderai que cet article soit remis au témoin. Il est daté

 15   du 10 juin 1995. Il est tiré du

 16  

 17  

 18   Financial Times de Londres et intitulé : « Menaces croates d'une nouvelle

 19   guerre contre les Serbes ». Il y a deux pages, il devrait y avoir une

 20   deuxième page. Vous avez les deux pages recto verso sur vos exemplaires.

 21   J'aimerais attirer votre attention, Monsieur Ashdown, sur les

 22   troisième et quatrième paragraphes à partir du bas de la première page. Le

 23   paragraphe commence par « En Croatie, un avion des rebelles serbes ». Je

 24   vais le lire de façon que nous puissions avoir une interprétation, les

 25   interprètes n’ont pas le texte, je les prie de m’excuser.


Page 7418

  1   M. le Président. - Pouvez-vous indiquer quand même le contexte

  2   de cet article, s’il vous plaît ?

  3   M. Hayman (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. C'est

  4   un article qui est paru cinq semaines à peu près après le dîner, avant la

  5   décision prise par le témoin au mois d'août de partager ses expériences

  6   avec les médias. Donc c’est dans l'intervalle qui sépare les deux moments.

  7   Je lis donc les troisième et quatrième paragraphes à partir du

  8   bas. Je cite : « En Croatie, un avion des rebelles serbes a bombardé des

  9   positions croates. Le président Franjo Tudjman a menacé de reprendre le

 10   contrôle de toutes les zones sous contrôle serbe dans sa République, par

 11   la force. Il a déclaré qu'à moins d'un accord politique d’ici l'automne,

 12   il lancerait une campagne militaire destinée à reprendre les zones

 13   occupées en Croatie où les rebelles ont proclamé une République

 14   scissionniste de la Krajina serbe ». Fin de citation.

 15   Ma question, Monsieur Ashdown, porte sur les commentaires de

 16   M. Tudjman, commentaires quant au fait qu'une offensive militaire serait

 17   lancée en Krajina. Est-ce que ces commentaires sont identiques à ceux que

 18   l'on trouve dans cet article ?

 19   M. Ashdown (interprétation) - Monsieur Hayman, vous me demandez

 20   un commentaire, une opinion. Vraiment, je ne suis pas en mesure de tirer

 21   des conclusions à ce sujet. Je ne suis pas en mesure de donner un avis au

 22   sujet d'un article du Financial Times publié

 23  

 24  

 25   un mois plus tard, que je n'ai pas vu jusqu'au jour d'aujourd'hui. Savoir


Page 7419

  1   si ce qui est dit ici est un rapport exact ou inexact de la réalité, je ne

  2   peux vraiment faire aucun commentaire à ce sujet aujourd'hui.

  3   M. Hayman (interprétation). - Votre décision de publier la

  4   carte, vos annotations etc., est motivée par les événements qui ont eu

  5   lieu au cours de l'opération Tempête.

  6   Vous souvenez-vous si, dans l’intervalle, vous avez reçu des

  7   informations quant au fait qu'une accumulation d'armement avait lieu en

  8   rapport avec la Slavonie orientale ? Avez-vous entendu parler de la

  9   présence du regroupement de 150 chars serbes et d'éléments

 10   militaires croates ?

 11   M. Ashdown (interprétation) - Excusez-moi, Monsieur Hayman, mais

 12   je ne peux pas me rappeler cette information. Des articles ont été

 13   publiés, des contre-articles également, beaucoup de choses ont été dites à

 14   l'époque. Il est possible que j'ai noté ces informations mais je ne m'en

 15   souviens pas vraiment.

 16   Ce que j'ai vu, et ce qui m'a semblé être une prévision émanant

 17   du président Tudjman m'apparaît tout à fait vrai et avéré aujourd'hui.

 18   M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, objection.

 19   Les questions posées par le Procureur au cours de l'interrogatoire

 20   principal étaient des questions très précises qui portaient précisément

 21   sur la conversation qui a eu lieu au cours du dîner. Nous sommes en ce

 22   moment embarqués dans une histoire militaire qui porte sur diverses

 23   campagnes militaires en ex-Yougoslavie.

 24   M. le Président. - Objection accordée. Il faut bien voir que le

 25   témoin a été convoqué par l'accusation pour narrer ce qui s'est passé lors


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  1   d'un dîner de gala au Guilde Hall, le 6 mai 1995. Il nous a dit tout ce

  2   qu'il savait sur ce dîner.

  3   Que vous posiez des questions pour essayer de voir jusqu'à quel

  4   point les informations qu'il nous apporte de cet entretien peuvent

  5   apporter au débat par rapport à la

  6  

  7  

  8   défense du Général Blaskic, et notamment à la position de la Croatie,

  9   les Juges le comprennent.

 10   Mais nous n'allons quand même pas rentrer dans une conférence

 11   d'état-major où nous faisons de la politique-fiction pour savoir si

 12   l'honorable membre du parlement pouvait savoir ceci ou cela. Il est

 13   quelqu'un qui a assisté à un dîner de gala avec le président Tudjman.

 14   Peut-être pourriez-vous passer à une autre question. Cela étant, vous avez

 15   quand même fait montré une pièce, et je suis bien d'accord pour qu'on

 16   termine sur cette pièce, mais très rapidement s'il vous plaît.

 17   M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, je vais

 18   retirer ce document. Mais j’aimerais vous poser une question : si je ne

 19   puis pas aller au-delà des éléments factuels et du fond alors les opinions

 20   d'experts, les opinions militaires, les autres opinions exprimées par le

 21   témoin devraient être retirées du dossier. Car il ne s’est pas limité au

 22   récit des faits dont il a personnellement fait l'expérience. Il n'est pas

 23   un expert interrogé sur les éléments factuels. C'est la raison pour

 24   laquelle, par exemple, nous lui demandons de nous expliquer la logique ou

 25   l'absence de logique qui préside à la conclusion d'un accord impliquant la


Page 7421

  1   Slavonie orientale.

  2   M. le Président. - Avec tout le respect que je dois à votre

  3   position de la défense, Maître Hayman, je ne peux pas être tout à fait

  4   d'accord avec vous. Dans ce procès, comme dans tous les procès, un témoin

  5   est convoqué par une partie. Il est convoqué sur un point très précis.

  6   Maître Harmon a fait, c'est bien pour cela que nous faisons faire un

  7   sommaire avant que le témoin ne rentre. Ce sommaire a été très clair.

  8   D'autre part, vous savez très bien que le contre-interrogatoire

  9   est limité aux éléments essentiels de l’interrogatoire. Bien entendu, il

 10   est tout à fait normal que vous essayez de montrer jusqu'à quel point la

 11   crédibilité des opinions du témoin peut être prouvé. Reconnaissez que

 12   les Juges vous laisse beaucoup de latitude, Maître Hayman.

 13   Si vous voulez bien terminer sur ce point-là. Il n'est pas du

 14   tout question de vous empêcher de l'aborder. Reconnaissez aussi qu'il y a

 15   très longtemps que nous sommes sur cet

 16  

 17  

 18   aspect de politique, sinon fiction, tout au moins réellement concrétisé,

 19   mais dont on ne peut pas dire que le témoin soit un personnage historique

 20   actif de la partie qui est en relation avec son témoignage. Terminez ce

 21   point-là rapidement. Si vous voulez passer à d'autres questions. Merci.

 22   M. Hayman (interprétation). - Un instant, je vous prie.

 23   Monsieur le Président, il y a un certain nombre de points qui devraient

 24   être couverts en session à huis clos, étant donné qu'il s'agit de points

 25   sensibles. Je pense que nous devrions demander à verser au dossier des


Page 7422

  1   articles que j'ai mentionnés. Je n'ai pas d'autres questions en audience

  2   publique.

  3   M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai une

  4   question. Monsieur Ashdown, vous avez fait référence à votre journal.

  5   Maître Hayman a posé une question. Il a lu l'extrait d'une phrase qui

  6   commençait au deuxième paragraphe, deuxième ligne en partant du bas.

  7   Maître Hayman vous a lu l'extrait suivant : "il va essayer d'arriver à un

  8   accord avec les Serbes dès qu'ils auront pris par la force militaire

  9   autant qu'ils le pourront". Pourriez-vous nous lire la suite ?

 10   M. Ashdown (interprétation). - "Et, à ce moment-là, ils vont

 11   tous les  deux s'attaquer aux Musulmans et en terminer avec eux."

 12   M. Harmon (interprétation). - Je n'ai pas d'autres questions.

 13   Merci.

 14   Monsieur le Président. - Je voulais avoir votre opinion,

 15   Monsieur le Procureur, sur les questions concernant la session à huis clos

 16   partiel. En ce qui me concerne, je pensais tout de même que le témoignage

 17   était terminé.

 18   M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, il m'est

 19   difficile de faire des commentaires sur des points que le conseil de la

 20   défense souhaite soulever avec le Tribunal. Je pense que le conseil de la

 21   défense, s'il a des points qu'il souhaite examiner avec la Chambre,

 22   devrait les soulever. S'il s'agit de points sensibles, il faudrait passer

 23   à un huis clos partiel.

 24   M. Hayman (interprétation). - Je peux le faire en huis clos

 25   partiel. Je pense qu'il n'est pas besoin de baisser les stores et je pense


Page 7423

  1   que cela sera bref.

  2   Monsieur le Président. - La Chambre a décidé de procéder au huis

  3   clos partiel pour les quelques questions qui doivent compléter le contre-

  4   interrogatoire. Monsieur le Greffier, vous procédez au huis clos partiel,

  5   s'il-vous-plaît. (Audience à huis clos partiel)

  6   (expurgée)

  7   (expurgée)

  8   (expurgée)

  9   (expurgée)

 10   (expurgée)

 11   (expurgée)

 12   (expurgée)

 13   (expurgée)

 14   (expurgée)

 15   (expurgée)

 16   (expurgée)

 17   (expurgée)

 18   (expurgée)

 19   (expurgée)

 20   (expurgée)

 21   (expurgée)

 22   (expurgée)

 23   (expurgée)

 24   (expurgée)

 25   (expurgée)


Page 7424

  1   (expurgée)

  2   (expurgée)

  3   (expurgée)

  4   (expurgée)

  5   (expurgée)

  6   (expurgée)

  7   (expurgée)

  8   (expurgée)

  9   (expurgée)

 10   (expurgée)

 11   (expurgée)

 12   (expurgée)

 13   (expurgée)

 14   (expurgée)

 15   (expurgée)

 16   (expurgée)

 17   (expurgée)

 18   (expurgée)

 19   (expurgée)

 20   (expurgée)

 21   (expurgée)

 22   (expurgée)

 23   (expurgée)

 24   (expurgée)

 25   (expurgée)


Page 7425

  1   (Audience publique)

  2   M. Riad (interprétation). -  Bonjour, Monsieur Ashdown.

  3   M. Ashdown (interprétation). – Bonjour.

  4   M. Riad (interprétation). - Vous avez eu la possibilité d'avoir

  5   un dialogue franc et ouvert avec le Président Tudjman. Peut-être, le vin

  6   aidant, vous avez trouvé in vino veritas. Peut-être pourrez-vous m'aider à

  7   mieux comprendre les incidences pratiques d'un certain nombre des

  8   déclarations et les conséquences de la carte.

  9   Pouvez-vous être d'accord avec moi et dire que cette carte

 10   montre que la Bosnie ne devrait plus exister, devrait cesser d’exister ?

 11   M. Ashdown (interprétation). – Oui, je pense que c'est cela. Je

 12   suis sûr que le

 13  

 14  

 15   Président Tudjman a l'habitude des banquets et l'alcool n'est pas en

 16   cause.

 17   Je pense qu'il a fait part, de manière très précise, de ses

 18   intentions et de la réponse qui, selon lui, était la plus précise à la

 19   question que je lui ai posée, à savoir comment il voyait la

 20   Bosnie-Herzégovine dans dix ans. Sa réponse a été qu'elle n'existerait

 21   plus.

 22   M. Riad (interprétation). - Qu'on allait la couper en deux ? Que

 23   la Serbie et la Croatie annexeraient ceux qu'ils auront conquis ?

 24   M. Ashdown (interprétation). – Oui, c’était l’application

 25   pratique de la carte et c’est la conclusion que j’en ai retirée.


Page 7426

  1   M. Riad (interprétation). - Vous a-t-il dit ce qui allait

  2   arriver aux citoyens, aux Bosniaques, où il allait les envoyer, ce qui

  3   allait se passer avec eux ?

  4   M. Ashdown (interprétation). – Non. Il m'a dit que les Musulmans

  5   allaient représenter une très petite partie, insignifiante, de l'Etat

  6   croate. Mais il n'y a pas eu d'indication, dans ce qu'il a dit, qu'un

  7   génocide allait être perpétré ou que les actions de ses subordonnés

  8   allaient aller dans ce sens. En tout état de cause, il m'a fait part d'une

  9   attitude vis-à-vis de la communauté musulmane. C'est un mot très fort,

 10   mais qui m’a paru raciste.

 11   M. Riad (interprétation). - Pouvez-vous répéter ?

 12   M. Ashdown (interprétation). – Qu'il était raciste. C'est un mot

 13   très fort mais je pense que c'est le terme exact.

 14   M. Riad (interprétation). - Mais il vous a dit clairement que

 15   Milosevic ne fait pas partie de …

 16   M. Ashdown (interprétation). – Oui. Mais cela s'appliquait-il à

 17   Izetbegovic en tant que personne ?

 18   M. Ashdown (interprétation). – Je ne pense pas qu'il aimait

 19   particulièrement Izetbegovic, en tant que personne. Ses remarques

 20   générales montraient que la manière dont il voyait les choses se fondait

 21   plutôt sur la race que sur les individus.

 22   M. Riad (interprétation). - Et vous pensez que cette race ne

 23   faisait pas partie de la nation ?

 24   M. Ashdown (interprétation). – Je pense que sa remarque la plus

 25   intéressante a été que les Musulmans ne sont que des Serbes ou des Croates


Page 7427

  1   qui n'ont pas été suffisamment forts pour résister aux Turcs dans l'empire

  2   ottoman.

  3   Cela montrait que, pour lui, la Bosnie était une création

  4   étrange qui n'aurait pas dû exister et qu'on parlait, ici, de grande

  5   Serbie et de grande Croatie.

  6   M. Riad (interprétation). - Il n'a pas dit ce qui allait se

  7   passer de cet élément étranger ?

  8   M. Ashdown (interprétation). – Il s'agissait d'une partie

  9   insignifiante de la Fédération de Croatie et, par là, de la grande

 10   Croatie.

 11   M. Riad (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur Ashdown.

 12   M. le Président. – Monsieur le Juge Shahabuddeen.

 13   M. Shahabuddeen (interprétation). – Monsieur Ashdown, comme vous

 14   l'avez dit, au cours de votre carrière, vous avez assisté à bien des

 15   dîners et vous avez l'expérience de personnes qui s'expriment dans des

 16   situations où le vin coule à flot. Est-ce que je comprends bien ce que

 17   vous avez dit ? Est-il possible de dire que, au cours de cette expérience,

 18   vous-même avez conservé votre capacité de discernement quant aux faits qui

 19   se sont produits, quant aux paroles qui ont été prononcées ? Est-ce fidèle

 20   ou cela a-t-il été influencé par l'alcool ?

 21   M. Ashdown (interprétation). – Je pense que vous êtes d’accord.

 22   A la fois, la vie d'un homme politique et la vie d'un diplomate reposent

 23   sur des entretiens privés qui sont très révélateurs. Professionnellement,

 24   en tant que diplomate et homme politique, je connais cela depuis vingt-

 25   cinq ans maintenant.


Page 7428

  1   Généralement, ces entretiens ont lieu au cours d'un dîner, d'un

  2   déjeuner. Or, généralement, on sert de l'alcool. Il peut également se

  3   faire que votre capacité professionnelle

  4  

  5  

  6   dépende de votre capacité de discernement, de savoir si ce que l’on vous

  7   dit est la vérité ou non.

  8   Précédemment, en tant que diplomate, je me trouvais à côté de

  9   chefs d'Etat, d'autres diplomates au cours de longs dîners où on

 10   consommait pas mal d'alcool. Je devais rédiger des télégrammes le

 11   lendemain. Sur la base de cela, mon gouvernement déterminait les lignes de

 12   sa politique étrangère sur certains points.

 13   Cela, en termes de nature de l'événement, de consommation

 14   d'alcool, n'était pas nouveau pour moi et, en termes de conversations

 15   privées, je pense que j'y étais bien habitué. Pour ce qui est des

 16   entretiens privés que j'ai eu dans de telles circonstances, il s'agit

 17   certainement d'un entretien très intéressant, mais pas d'une expérience

 18   inhabituelle pour moi au cours de ces vingt-cinq dernières années.

 19   M. Shahabuddeen (interprétation). - Le Tribunal peut-il estimer

 20   alors que dans le jugement que vous avez porté à l’époque, les lignes

 21   tracées par le Président Tudjman et les paroles qu'il a prononcées sur la

 22   forme probable de la géographie politique de cette région, dix ans plus

 23   tard, pouvez-vous estimer que cela a représenté son opinion ?

 24   M. Ashdown (interprétation). -  Je pense que cela représentait

 25   son point de vue et ses espoirs.


Page 7429

  1   M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie.

  2   M. le Président. - Je voudrais poser au témoin deux questions.

  3   La première concerne la carte que vous avez dessinée. La question, me

  4   sembe-t-il, vous a été posée. Excusez-moi de la répéter pour une plus

  5   grande précision à mon intention. Avez-vous eu l'impression que la part

  6   faite aux Musulmans serait une part dans une fédération croato-musulmane

  7   s’est réalisée, ou avez-vous l’impression que c’était un véritable

  8   dépeçage de la Bosnie, la Bosnie n'existant plus et devenant une grande

  9   Croatie ?

 10   Vous avez répondu, je crois, à la question. Mais j'aimerais,

 11   pour moi-même, me faire une opinion de ce que vous avez pensé.

 12   M. Ashdown (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Je

 13   suis fermement convaincu que ce dont on parlait ici, c'était d'une grande

 14   Croatie et d'une grande Serbie. Il ne s'agissait pas d'une fédération

 15   bosniaque entre la Bosnie-Herzégovine, les Musulmans et les Croates. Il

 16   s'agissait d'une grande Croatie et d'une grande Serbie. Je pense que cela

 17   ressort clairement de la carte. Je ne sais pas si je peux utiliser le

 18   pointeur. Les deux flèches, ici, correspondent à des flèches qui vont bien

 19   au-delà des frontières de la Krajina et de la Croatie et qui, de l'autre

 20   côté, vont bien au-delà des frontières de la Bosnie symbolisées par ce que

 21   M. Hayman a appelé le barbelé.

 22   M. le Président. - Ont-elles été tracées par vous, Monsieur ?

 23   M. Ashdown (interprétation). - Non, ces deux flèches ont été

 24   tracées par le Président Tudjman. Il ressort très clairement de cela qu'en

 25   fait, il voyait par là une grande Croatie et une grande Serbie.


Page 7430

  1   M. le Président. - Je vous remercie, vous avez été très clair.

  2   Ma seconde question concerne la façon dont vous avez géré ce

  3   secret, ou en tout cas cette confidence diplomatique. Rassurez-vous, je ne

  4   vous parlerai ni de la quantité ni de la qualité des vins qui ont été

  5   servis à ce dîner. Je voudrais vous poser la question de savoir pourquoi

  6   vous n'en avez pas parlé, en fin de compte, aux autorités officielles de

  7   votre pays ?

  8   Vous sentez que c'est très important. Monsieur John Major était

  9   alors le Premier ministre. Vous n'allez pas voir le ministre des Affaires

 10   étrangères. Vous êtes un homme politique. Vous fréquentez beaucoup de

 11   monde. Vous connaissez bien ce territoire. En fin de compte, vous

 12   choisissez les médias pour parler de ce à quoi vous avez assisté, alors

 13   que vous-même dites que c'était d'une importance qui vous est apparue

 14   historique. Vous ne vous précipitez pas chez M. Major, chez le ministre

 15   des Affaires étrangères en disant avoir -je n'ose pas dire un scoop-  une

 16   information très importante.

 17   Peut-être est-ce une question indiscrète ? Auquel cas, n’y

 18   répondez pas.

 19  

 20  

 21   M. Ashdown (interprétation). - Non. Monsieur le Président, je

 22   vous prie de m'excuser, mais je dois vous donner une réponse équivoque

 23   ici. J’essayerai d’être clair. Je crois me souvenir que je croyais que

 24   cette conversation était suffisamment importante pour en faire état au

 25   ministère des Affaires étrangères à l'époque. J'ai fait part au ministre


Page 7431

  1   des Affaires étrangères de ce que j'avais vu lors de mes visites en

  2   Bosnie-Herzégovine. J'avais l'habitude de soumettre des rapports

  3   confidentiels au gouvernement à mon retour.

  4   Je crois me souvenir, mais je peux vous le confirmer

  5   ultérieurement si vous le souhaitez, que j'ai transmis cela. A l'époque,

  6   cela m'est apparu comme étant une conversation hors du commun. J'ai trouvé

  7   qu'il était difficile de croire qu'un chef d'Etat pouvait être aussi

  8   indiscret honnêtement.

  9   La raison pour laquelle, par la suite, j'en ai informé ou pas

 10   mon gouvernement -je suis désolé de ne pas pouvoir y répondre

 11   directement-, la raison pour laquelle j'ai rendu cela public, était pour

 12   alerter la communauté internationale vis-à-vis des intentions à long

 13   terme, comme je les avais perçues, du Président Tudjman compte tenu de

 14   cette conversation. Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre à votre

 15   première question aussi clairement que je le souhaiterais.

 16   Si le Tribunal le souhaite, je peux voir si je l'ai fait ou non.

 17   M. le Président. - Puis-j'en conclure, sans extrapoler votre

 18   pensée, que vous n'en avez informé ni le Premier ministre ni le ministre

 19   des Affaires étrangères du Royaume Uni ?

 20   M. Ashdown (interprétation). - Non. Monsieur le Président, je

 21   suis désolé de vous donner une réponse ambiguë ici. Je crois me souvenir

 22   que je l'ai fait. Mais maintenant, je ne m'en souviens pas. J'ai transmis

 23   énormément d'éléments d'information au gouvernement. Quand je revenais de

 24   Bosnie, je faisais un rapport confidentiel. Je crois me souvenir avoir

 25   transmis ces renseignements au ministre des Affaires étrangères de


Page 7432

  1   l'époque. Je ne peut être absolument sûr de cela.

  2  

  3  

  4   M. le Président. - Je me tourne vers mes collègues. Y a-t-il

  5   encore des questions ? Monsieur le Juge Riad voulait encore poser une

  6   question, me semble-t-il.

  7   M. Riad (interprétation). - Vous venez de parler d'un élément

  8   intéressant maintenant. Vous avez dit que vous étiez surpris de voir que

  9   M. Tudjman avait fait preuve d'une telle indiscrétion. Il est un homme

 10   public. Il est habitué, tout comme vous, à parler lors d'un dîner, même

 11   accompagné de vin. Pensez-vous que cette indiscrétion était sensée

 12   contenir un message à votre intention ?

 13   M. Ashdown (interprétation). - Non, je ne le pense pas.

 14   M. Riad (interprétation). - Etait-ce simplement une

 15   conversation ?

 16   M. Ashdown (interprétation). - Comme je l’ai dit depuis, sans

 17   pour étant être impoli vis-à-vis d’un chef d’Etat, j'ai entendu dire

 18   depuis lors que le Président Tudjman peut être relativement franc lors de

 19   telles conversations. Etant donné que je ne l'avais pas rencontré

 20   auparavant ni eu de conversation de ce type avec lui, je suis sûr qu'à

 21   l'époque il m'avait dit ce qu'il pensait qui se produirait à l'époque. Je

 22   ne pense pas qu'il avait une intention et qu'il pensait que cela devrait

 23   représenter un avertissement.

 24   M. Riad (interprétation). - Je vous remercie.

 25   M. le Président. - Avez-vous eu des signaux du Président Tudjman


Page 7433

  1   depuis déplorant que vous ayez diffusé une telle information ? Vous a-t-il

  2   fait téléphoner en disant qu’il s’agissait de propos de fin de repas ?

  3   M. Ashdown (interprétation). - Non, Monsieur le Président. Mais

  4   il est certain que l'ambassadeur croate m'a fait savoir que la Croatie

  5   n'avait pas été très satisfaite lorsque cette carte a été rendue public.

  6   Je n'ai pas l'habitude de rendre public de telles conversations. J'assume

  7   l'entière responsabilité de cette décision personnelle que j'ai prise à

  8   l'époque. D’autres me critiqueront peut-être. J'estime qu'à l'époque,

  9   c'était la meilleure façon de faire car j'étais extrêmement préoccupé

 10   d'une situation très délicate en Bosnie-Herzégovine. La paix pouvait

 11  

 12  

 13   être entrevue. Cette situation pouvait être détruite.

 14   Je n'ai pas pris cette décision sans réfléchir longuement. Si le

 15   Président Tudjman estime que j'ai trahi sa confiance, je le comprendrais.

 16   Je pense toutefois que la décision que j'ai prise de rendre la chose

 17   publique, a été la bonne. Je pense que cela est renforcé par le fait que

 18   la Communauté internationale a agi pour faire en sorte que l'opération

 19   Krajina n'aille pas plus loin et ne porte pas atteinte aux perspectives de

 20   paix en Bosnie.

 21   M. le Président (interprétation). - Vous avez eu l'occasion de

 22   revenir à Zagreb ? Vous avez demandé un visa ?

 23   M. Ashdown (interprétation). -  Non, Monsieur le Président.

 24   Non, Monsieur, je ne l'ai pas fait. J'ai traversé Split peu de

 25   temps après la paix. J'ai essayé de venir en aide à mes collègues, les


Page 7434

  1   libéraux bosniaques, pour lesquels j'ai énormément d'admiration. Ils sont

  2   très courageux. Ce sont eux qui m'ont fait traverser le Mont Igman, qui

  3   m'ont fait traverser le tunnel qui relie Sarajevo dans une Renault 5. J'y

  4   suis revenu pour leur exprimer ma reconnaissance et les aider dans leur

  5   campagne électorale. A ce moment-là, j'ai brièvement traversé la Croatie,

  6   mais je ne me suis pas rendu à Zagreb depuis lors.

  7   M. le Président (interprétation). - Je voudrais terminer cet

  8   entretien et vous dire au nom de mes collègues, combien nous sommes

  9   sensibles de votre venue. Vous êtes un homme politique occupé, comme nous

 10   tous. Vous avez apporté un témoignage que vous avez estimé être d'une

 11   grande importance. Je voudrais, à travers votre venue,

 12   Monsieur l'honorable membre du Parlement d'une grande nation, vous dire

 13   que le Tribunal y est particulièrement sensible. Le Tribunal a besoin de

 14   la coopération de tous les Etats. Et il est également particulièrement

 15   sensible au fait que vous ayez accepté de témoigner sans mesure de

 16   protection et dans un témoignage qui était particulièrement transparent à

 17   l'égard du public et de cette juridiction qui se veut internationale et

 18   transparente.

 19   A présent, Monsieur le Greffier va donc vous raccompagner. Nous

 20   allons procéder à

 21  

 22  

 23   une suspension d'audience de 20 minutes. Nous reprendrons ensuite le cours

 24   des travaux.

 25   Je voudrais que M. Harmon nous explique, à la reprise, la suite


Page 7435

  1   du programme.

  2  

  3   L’audience, suspendue à 16 heures 25, est reprise à 16 heures 55.

  4  

  5   M. le Président - L'audience est reprise.

  6   Le témoin suivant est un témoin protégé.

  7   M. Cayley (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

  8   Messieurs les Juges, conseil de la défense, bonjour. Le prochain témoin

  9   est un témoin protégé. J'ai consulté Me Nobilo. Il n'a pas d'objection.

 10   M. le Président - Allez-y. Pouvez-vous nous expliquer le

 11   témoignage, s'il vous plaît ? Maître Nobilo, avez-vous une objection à

 12   faire ?

 13   M. Nobilo (interprétation). - Non, Monsieur le Président, je

 14   n'en ai pas

 15   M. le Président - Maître Cayley, pouvez-vous nous résumer le

 16   témoignage ?

 17   M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président,

 18   Messieurs les Juges, le témoin suivant sera désigné par les lettres "JJ".

 19   C'est un homme musulman qui vient de la municipalité de Kiseljak. Son

 20   témoignage se divisera en cinq parties distinctes, mais reliées les unes

 21   aux autres.

 22   Dans la première partie de sa déposition, il vous parlera

 23   brièvement de l'endroit où se trouve son village dans la municipalité de

 24   Kiseljak, du nombre d'habitants qui peuplaient ce village pendant la

 25   guerre, de la composition ethnique du village. Il vous dira quelques mots


Page 7436

  1   de son appartenance à une organisation appelée la Ligue patriotique, et

  2   vous expliquera la désorganisation de cet organisme particulier. Il vous

  3   dira quelques mots de son appartenance à la police de Bosnie pendant un

  4   temps limité, sa décision de quitter la police. Tous ces éléments seront

  5   mis en rapport avec la situation qui prévalait à Kiseljak au début

  6   de 1993.

  7   Il expliquera, c'était un fait connu de chacun, qu'il existait à

  8   l'époque deux courants au sein du HVO de Kiseljak. Dans la dernière partie

  9   de sa déposition, il parlera de la montée des tensions dans la région et

 10   de la coopération qui a fini par se nouer entre les Musulmans et les

 11   Croates de Bosnie dans son village qui a été saisi.

 12   Dans la toute dernière partie de sa déposition, il parlera des

 13   multiples attaques qui ont eu lieu le 18 avril 1993 dans la municipalité

 14   de Kiseljak. Il vous dira qu'il a vu les villages de Visnijca et Gomionica

 15   en flammes. Il vous parlera des tentatives pour défendre ces villages et

 16   de la façon dont, avec l'accord du HVO, les maisons de son village n'ont

 17   pas été incendiées, les hommes et les enfants n'ont pas été tués et tous

 18   les hommes du village se sont rendus.

 19   Il vous expliquera comment le HVO a décidé d'utiliser les hommes

 20   du village en qualité de bouclier humain pour protéger les autres

 21   habitants du village, que des autobus sont arrivés en convois organisés

 22   pour emmener à leur bord tous les hommes du village. Il vous parlera de la

 23   conclusion d'un accord entre le HVO et les habitants qui ont coopéré avec

 24   le HVO dans le village pour sauver les autres habitants.

 25   Il vous dira ensuite que, finalement, les habitants du village


Page 7437

  1   ont été réduits à l'état de prisonniers dans leur propre maison. Il vous

  2   expliquera comment lui-même et d'autres habitants du village ont été

  3   forcés de creuser des tranchées et comment les soldats du HVO venaient

  4   pratiquement toutes les nuits en portant des masques noirs sur le visage,

  5   pour voler la population. Il vous expliquera que le bétail, qui était le

  6   bien le plus précieux du village, a été en particulier volé.

  7   Dans la troisième partie de sa déposition, il vous parlera

  8   d'événements qui ont eu lieu quelques mois plus tard, au moment où un

  9   grand nombre de villageois ont été emmenés au village de (expurgé). Il vous

 10   parlera de ce village de (expurgé). Il décrira le regroupement de la

 11   population des villages avoisinants. Il dira comment les habitants ont été

 12   amenés à croire à un certain nombre de choses que le HVO leur a dites et

 13   comment ils ont remis les clefs de leur

 14  

 15  

 16   propriété, de leur maison et de leur voiture aux membres du HVO.

 17   Il décrira la façon dont les habitants ont été trompés pour être

 18   finalement emmenés au village de (expurgé). Il décrira les conditions qui

 19   régnaient dans ce camp, dans ce ghetto créé par le HVO, un camp dépourvu

 20   de mur. Il décrira la surpopulation dans ce ghetto, vous parlera de la

 21   pénurie chronique de nourriture et de la façon dont les Musulmans étaient

 22   régulièrement pillé de leurs biens lorsqu'ils essayaient d'apporter de la

 23   nourriture aux Musulmans à (expurgé), à partir de Kiseljak.

 24   Il décrira la façon dont les soldats -arrivés en plein milieu de

 25   la nuit, pour surveiller ce qui se passait dans ce camp, ce village, qui


Page 7438

  1   servait de camp sans mur dont les gens pouvaient avoir envie de s'évader-

  2   étaient là pour les en empêcher. Il parlera des tranchées creusées tous

  3   les jours de 7 heures 15 à 16 heures environ.

  4   Enfin, dans une autre partie de sa déposition, il parlera de la

  5   mosquée du village et vous dira que cette mosquée a finalement été

  6   détruite, elle aussi.

  7   Il parlera de la principale mosquée de Kiseljak qui, elle aussi,

  8   a été détruite. Dans une autre partie de la déposition, il abordera la

  9   situation d'un grand nombre d’hommes qui se trouvaient dans la ville de

 10   Kiseljak. Il parlera de l'emprisonnement de ces hommes dans la caserne de

 11   Kiseljak et du traitement absolument atroce qui a été réservé à ces hommes

 12   musulmans dans la caserne, de la régularité des tortures qu'ils ont

 13   subies, des passages à tabac, du creusement des tranchées et des

 14   conditions dans lesquelles ces tranchées devaient être creusées. Il vous

 15   parlera des soldats qui venaient dans la caserne chercher des hommes pour

 16   les emmener creuser des tranchées tous les jours.

 17   Il décrira la façon dont, avant l'arrivée des représentants du

 18   HCR à la prison, les prisonniers ont été bien alimentés pendant quelques

 19   jours pour pouvoir être montrés officiellement. Il vous parlera du fait

 20   qu'ils ont été changés de cellule, de façon à laisser entendre à la

 21   communauté internationale que la situation était moins grave et moins

 22   inhumaine qu'elle ne

 23  

 24  

 25   l'était en réalité. Mais il vous dira que ce n'était qu'une illusion créée


Page 7439

  1   par le HVO à l'intention des observateurs internationaux.

  2   Il vous parlera de la mission qui lui a été donnée

  3   personnellement d'aller chercher des cadavres de soldats bosniaques, dont

  4   deux avaient été décapités, et il vous dira qu'il a dû jouer au football

  5   avec ces têtes dans la ville de Kiseljak. Enfin, ces têtes ont été mises

  6   au bout de pic et promenées dans la ville.

  7   Il parlera de la prison de Kiseljak, du vol régulier des biens

  8   des prisonniers dans cette prison et du fait que des prisonniers étaient

  9   emmenés par des soldats du HVO en dehors de la prison pour leur montrer où

 10   se trouvaient leurs objets de valeur.

 11   Il parlera de l'échange qui a eu lieu en novembre 1993 et de son

 12   retour -en fait de sa visite car il n'a jamais été autorisé à y rester- de

 13   sa visite dans sa maison où lui-même et sa famille résidaient depuis de

 14   nombreuses années.

 15   Il parlera également de son avis au sujet de l'organisation des

 16   campagnes orchestrées contre la population musulmane dans les villes de la

 17   municipalité de Kiseljak. Son témoignage porte sur le chef numéro 1, le

 18   chef de persécution, paragraphes 6 et 7, sur les chefs 8, 9 et 10,

 19   blessures graves, mentales et physiques, infligées à des civils. C'est le

 20   paragraphe 9 de l'acte d'accusation.

 21   Ces allégations porteront sur les chefs 11 à 13, destruction et

 22   pillage de biens, de propriétés, paragraphe 10 de l'acte d'accusation, sur

 23   le chef 14, destruction d'institutions consacrées au culte religieux et à

 24   l’éducation, paragraphe 11 et, enfin, sur les chefs 15 à 20, traitements

 25   inhumains, prise d'otage et utilisation de prisonniers en qualité de


Page 7440

  1   bouclier humain, paragraphe 12 à 16 du deuxième acte d’accusation.

  2   M. le Président. - Merci, Maître Cayley, de cette relation très

  3   claire et très précise. On peut introduire le témoin JJ.

  4  

  5   (Le témoin est introduit dans la salle d'audience.)

  6   M. le Président. - Témoin JJ, vous m'entendez ?

  7   Témoin JJ (interprétation). - Oui, je vous entends.

  8   M. le Président. - Vous allez d'abord identifier votre nom, vous

  9   ne le prononcerez pas. Vous allez simplement acquiescer.

 10   Témoin JJ (interprétation). - Oui.

 11   M. le Président. - Vous allez vous asseoir. Vous faites l'objet

 12   de mesures de protection. Vous allez faire votre déclaration, votre

 13   serment, devant une formule qui vous est tendue par M. le greffier. Vous

 14   lisez la formule, s'il vous plaît.

 15   Témoin JJ (interprétation). - Je déclare solennellement que je

 16   dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 17   M. le Président. - Merci. Vous nous excuserez, mais c'est pour

 18   votre bénéfice, nous vous appellerons donc « Témoin JJ ». Vous avez

 19   accepté de témoigner dans le procès intenté devant le Tribunal de La Haye

 20   contre le général Blaskic, l’accusé, ici présent. Vous parlez sans

 21   crainte, vous êtes protégé par la justice internationale.

 22   Le Procureur, dont vous êtes le témoin, nous a dit quels étaient

 23   les grands traits de votre déposition, ce qui devrait faciliter la clarté

 24   des débats. Vous déposerez de façon libre et vous serez aidé, bien sûr,

 25   par les questions que vous posera le Procureur, en l'occurrence,


Page 7441

  1   Me Cayley. Monsieur le Procureur, c'est à vous.

  2   M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

  3   Témoin JJ, vous êtes de nationalité bosniaque, n'est-ce pas ?

  4   Témoin JJ (interprétation). - Oui.

  5   M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous répéter votre

  6   réponse à cette question ? Il conviendrait que vous parliez à haute voix

  7   pour être entendu.

  8   Témoin JJ (interprétation). - Oui.

  9   M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous habitiez

 10   auparavant dans le village d'Hercezi qui se trouve dans la municipalité de

 11   Kiseljak, n'est-ce pas ?

 12   Témoin JJ (interprétation). - C’est exact.

 13   M. Cayley (interprétation). - Pourrait-on montrer au témoin la

 14   pièce à conviction 276 ?

 15   Monsieur l'huissier, pourriez-vous placer le document sur le

 16   rétroprojecteur ? Peut-on allumer le rétroprojecteur ?

 17   Témoin JJ, je vous demanderai de pointer l'endroit où se trouve

 18   votre village sur cette carte.

 19   Témoin JJ (interprétation). - Mon village se trouve ici.

 20   M. Cayley (interprétation). - Je vous prierai de placer le

 21   pointeur sur la ville de Kiseljak, maintenant.

 22   Témoin JJ (interprétation). - Kiseljak se trouve ici.

 23   M. Cayley (interprétation). - Les deux flèches indiquant les

 24   routes qui vont vers Busovaka et vers Sarajevo.

 25   (Le témoin les montre.)


Page 7442

  1   Témoin JJ, avant la guerre, combien y avait-il environ

  2   d'habitants dans le village d’Hercezi ?

  3   Témoin JJ (interprétation). - Environ 100 à 120 habitants.

  4   M. Cayley (interprétation). - Quelle était la composition

  5   ethnique de cette population ?

  6   Témoin JJ (interprétation). - La composition ethnique était

  7   mixte, il y avait des Croates et des Musulmans. Il n'y avait pas de Serbes

  8   dans ce village.

  9   M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous dire maintenant aux

 10   Juges, en quelques mots, ce qui s'est passé à l'époque où vous avez adhéré

 11   à la Ligue patriotique et ce, jusqu'à

 12  

 13  

 14   l'attaque de votre village, le 18 avril. Je vous demanderai de vous

 15   arrêter à cette date, mais de décrire la Ligue patriotique, votre entrée

 16   dans la police militaire de la Bosnie et, de façon générale, quelle était

 17   la situation qui prévalait à Kiseljak dans cette région, selon votre

 18   perception.

 19   Témoin JJ (interprétation). - Je suis entré dans la ligue

 20   patriotique parce que nous avions été convoqués par la JNA pour entrer

 21   dans l'armée, en rapport avec l'attaque contre la Croatie.

 22   Mais, comme nous n'avons pas accepté de rejoindre la JNA, je

 23   suis entré dans les rangs de la Ligue patriotique.

 24   Seulement, la guerre s'étendait en Bosnie, à commencer par

 25   Sarajevo qui n'est pas très loin. Je suis entré dans la police militaire


Page 7443

  1   dans la section de Koscan, Lepenica, de façon à assurer la défense du

  2   peuple Musulman. Nous l'avons fait avec les Croates parce qu'à l'époque

  3   nous étions assez souvent ensemble.

  4   J'ai quitté la police militaire parce que la situation devenait

  5   de plus en plus tendue entre le peuple Musulman et le peuple Croate. Le

  6   HVO croate de Kiseljak n'autorisait pas le passage dans Kiseljak. Il y

  7   avait des prises d'armes et de biens appartenant au peuple musulman. Pour

  8   des raisons de sécurité, j'ai quitté la police militaire et je suis entré

  9   dans mon village. Dans ce village, nous avons assuré des tours de garde

 10   nocturnes, en prévision d'une éventuelle entrée des Serbes dans le

 11   village, et pour empêcher des meurtres la nuit.

 12   Mais, pour revenir à la ligue patriotique, en ce qui concerne

 13   les armes, je dirai que nous avions quelques armes de chasse. Je possédais

 14   un revolver qui avait appartenu à mon père, et nous avions quelques

 15   dispositifs que nous fabriquions nous-mêmes, du type explosif, ce genre-

 16   là. Par la suite, nous avons reçu des armes du HVO, parce qu'ils sont

 17   entrés dans la caserne de l'armée populaire yougoslave. Ils ont saisi

 18   toutes les armes qui s'y trouvaient et nous ont donné trois  ou quatre 

 19   fusils que nous avons utilisés.

 20  

 21  

 22   M. Cayley (interprétation). - Témoin JJ, comment décririez-vous

 23   le niveau d'organisation de la ligue patriotique ?

 24   Témoin JJ (interprétation). - Il n'y avait pas d'organisation

 25   particulière. En fait, dans le village, nous inscrivions sur une liste les


Page 7444

  1   noms de ceux qui participaient au tour de garde, et le lendemain nous nous

  2   mettions d'accord sur ceux qui allaient assurer la garde plus tard. C'est

  3   tout ce qu'il y avait.

  4   M. Cayley  (interprétation). - Vous avez dit que la situation

  5   entre les Musulmans et les Croates à Kiseljak s'est régulièrement

  6   aggravée. Existait-il à votre avis deux courants du HVO à Kiseljak ?

  7   Si vous pensez qu'il existait deux courants, pouvez-vous en

  8   expliquer la nature aux juges ?

  9   Témoin JJ (interprétation). - Il y avait deux courants, l'un

 10   dirigé par Raic, et l'autre par Lujo. Mais un conflit a fini par éclater

 11   entre ces deux courants, parce que le courant de Lujo aidait assez

 12   considérablement le peuple Musulman. Il protégeait le peuple musulman, si

 13   bien que je sais quand est mort Lujo et quand est mort Pecirep Marko, un

 14   voisin à moi qui travaillait avec Lujo. Je sais que ce sont des soldats

 15   d'une unité spéciale de Raic qui les ont tués.

 16   M. Cayley  (interprétation). - Quelle a été l'attitude de la

 17   faction Ivica Raic par rapport à la municipalité de Kiseljak ?

 18   Témoin JJ (interprétation). - La situation était telle qu'en

 19   fait, il n'autorisait pas le passage à travers Kiseljak si un nombre assez

 20   important de soldats arrivaient dans le secteur de Koscan. A ce moment-là,

 21   ils ôtaient leurs armes et leurs uniformes aux soldats qui en avaient,

 22   parce que tous les soldats n'arrivaient pas à s'acheter un uniforme.

 23   M. Cayley (interprétation). - Vous avez décrit des patrouilles

 24   de nuit dans votre village pour vous défendre contre des attaques. Ces

 25   patrouilles impliquaient-elles la participation des habitants croates de


Page 7445

  1   Hercezi également ?

  2   Témoin JJ (interprétation). - Au début, il y a eu des

  3   patrouilles conjointes avec les Croates. Au fur et à mesure que la

  4   situation s'est aggravée sur le territoire de Kiseljak, ces patrouilles

  5   conjointes ont cessé d'exister. Mais nous avons continué à nous rencontrer

  6   de temps en temps sur un pont où nous nous racontions ce qui s'était

  7   passé, ce qu'il y avait de nouveau.

  8   M. Cayley (interprétation). - Je proposerais que nous passions à

  9   la deuxième partie de votre déposition. Je vous demanderai de dire aux

 10   Juges, quels ont été les événements du 18 avril 1993. Que s'est-il passé

 11   dans votre village ? Et puis ensuite, je vous demanderai de parler de

 12   toute la période pendant laquelle l'ensemble (expurgé)

 13   (expurgé).

 14   Témoin JJ (interprétation). - Le 18, j'étais de garde dans la

 15   patrouille jusqu'à deux heures, et je suis parti me coucher. Je dormais

 16   quand ma mère est entrée dans la maison et m'a dit que la guerre avait

 17   éclaté. Mais comme c'était une fête croate, j'ai pensé que les coups de

 18   feu qu'on entendait étaient dus à la célébration de cette fête. En

 19   sortant, j'ai bien vu que quelques maisons étaient en feu, que des obus et

 20   des coups de feu étaient tirés. Nous nous sommes rendu compte que ce

 21   n'était pas la célébration d'une fête, mais bien le début de la guerre.

 22   Donc, dans le village, nous étions une quinzaine d'hommes en âge

 23   de porter les armes. Nous avons décidé de nous organiser. La moitié

 24   d'entre nous est allée à un bout du village, l'autre à l'autre bout. Nous

 25   savions ce qu'il fallait faire pour défendre le village. Nous avons perdu


Page 7446

  1   le contact avec Gomionica et Visnjica. Nous ne savions plus du tout ce qui

  2   se passait. Plus nous avancions dans la journée, plus les coups de feu

  3   s'intensifiaient, plus le nombre de maisons en feu s'accroissait, si bien

  4   que nous avons décidé de cesser de nous défendre et de nous retirer dans

  5   la forêt. Les deux premiers jours, personne n'est entré dans le village.

  6   Le troisième jour, les soldats du HVO sont arrivés et nous avons reçu

  7   l'ordre de remettre toutes nos armes à ces soldats. C'était la condition

  8   pour qu'ils ne mettent pas le feu à

  9  

 10  

 11   toutes les maisons du village et qu'ils ne tuent pas les femmes, les

 12   enfants, les vieillards et nous aussi, les hommes en âge de combattre.

 13   C'est ce que nous avons fait sans qu'une seule balle ne soit tirée. Nous

 14   avons remis l'ensemble de nos armes, de sorte qu'il n'y a pas eu

 15   d'incendie ni de meurtre.

 16   M. Cayley (interprétation). - Lorsque les soldats du HVO ont

 17   pénétré dans votre village, ont-ils nettoyé les maisons du village ? Ont-

 18   ils utilisé les hommes du village pour les aider dans cette tâche ?

 19   Pouvez-vous expliquer aux Juges ce qui s'est passé ?

 20   Témoin JJ (interprétation). - Tous les hommes en âge de

 21   combattre ont été enfermés dans la maison de (expurgé). C'est ce

 22   qu'on nous a dit. Nous avons vu un autocar qui était censé nous emmener

 23   tous dans la caserne de Kiseljak. (expurgé)

 24   (expurgé), nous a garanti que, parce que

 25   nous avions remis toutes nos armes, il n'y aurait pas de problème et que


Page 7447

  1   nous pouvions rester dans nos maisons. Nous avons passé deux à trois nuits

  2   dans la maison de (expurgé), après quoi on nous a permis de

  3   retourner chez nous, mais à condition de nous rendre dans la maison de

  4   (expurgé), trois fois par jour.

  5   Pourquoi devions-nous nous y rendre ? Cela ne nous a pas été

  6   dit, mais l'objectif était sans doute de nous empêcher de nous enfuir, de

  7   quitter le village. Le reste du temps, nous devions le passer à

  8   l'intérieur de nos maisons, à des fins de sécurité, parce que les soldats

  9   circulaient dans tous les sens, et Pero ne pouvait donc pas assurer notre

 10   sécurité si nous circulions dans la rue. Il fallait que nous restions en

 11   détention à domicile.

 12   M. Cayley (interprétation). - Est-ce que les résidents, les

 13   habitants musulmans du village étaient en fait prisonniers dans leur

 14   propre maison ?

 15   Témoin JJ (interprétation). - Oui, c'est exactement cela.

 16   M. Cayley  (interprétation). - Est-ce que les soldats du HVO

 17   vous ont emmenés, vous, les hommes musulmans du village, de jour,

 18   accomplir des travaux forcés ?

 19   Témoin JJ (interprétation). - Tous les jours, on nous emmenait

 20   accomplir des travaux forcés.

 21   M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous expliquer aux Juges,

 22   où vous avez accompli ces travaux forcés pendant cette période et en quoi

 23   consistaient ces travaux forcés, ce que vous avez dû faire pour le HVO ?

 24   Témoin JJ (interprétation). - Dans la période où nous étions

 25   assignés à résidence, nous allions creuser des tranchées de nuit. Nous


Page 7448

  1   creusions des tranchées, des abris souterrains, tout ce qui pouvait les

  2   aider à mieux se défendre contre les attaques musulmanes, ou plutôt tout

  3   ce qui pouvait les aider à attaquer les Musulmans.

  4   M. Cayley (interprétation). - Alors que vous étiez encore à

  5   Hercezi, les soldats du HVO sont-ils arrivés au milieu de la nuit dans

  6   votre village ?

  7   Témoin JJ (interprétation). - Ils entraient dans le village de

  8   jour et de nuit. Il y avait des pillages, il y avait de tout. Simplement,

  9   de temps en temps, si c'était un voisin que vous connaissiez qui arrivait

 10   chez vous, il se mettait un bas sur le visage et, bien entendu, prenait

 11   chez vous tout ce qui l'intéressait.

 12   M. Cayley (interprétation). - Il y avait des individus qui

 13   portaient des uniformes du HVO ?

 14   Témoin JJ (interprétation). - Ils avaient tous des uniformes et

 15   des insignes du HVO.

 16   M. Cayley (interprétation). - Vous déclarez qu'ils portaient un

 17   bas noir sur le visage de façon à ne pas être reconnus par les habitants

 18   du village ?

 19   Témoin JJ (interprétation). - Sans doute est-ce pour cela qu’ils

 20   portaient ces bas, certainement d’ailleurs, pour qu'on ne puisse pas voir

 21   leur visage. Peut-être avaient-ils honte. Sinon, je ne vois pas pourquoi,

 22   s’ils venaient de nuit, ils auraient eu la moindre raison de porter ces

 23   bas ou d'avoir honte.

 24  

 25  


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  1   M. Cayley (interprétation). - Qu’est-il arrivé au bétail dans

  2   votre village ?

  3   Témoin JJ (interprétation). - Tout le bétail qui se trouvait

  4   dans le village a été emmené à Kiseljak. On nous a dit que c'était un

  5   ordre stricte de Raic et que ce bétail était nécessaire pour nourrir les

  6   soldats du HVO.

  7   M. Cayley (interprétation). - Afin que les choses soient tout à

  8   fait claires pour les Juges, pouvez-vous nous dire, à votre avis, qui

  9   était Ivica Raic ?

 10   Témoin JJ (interprétation). - A cette époque, il avait été placé

 11   au poste de commandant en tant que membre du HVO.

 12   M. Cayley (interprétation). - Dans la municipalité de Kiseljak ?

 13   Témoin JJ (interprétation). - Oui.

 14   M. Cayley (interprétation). - Serait-il possible de rallumer le

 15   rétroprojecteur. Je vous demanderai de placer le pointeur sur les villages

 16   que vous avez pu voir en flamme, le matin du 18 avril depuis votre village

 17   de Hercezi.

 18   M. Riad (interprétation). - Quel était exactement le grade de

 19   M. Raic ? Le témoin est-il en mesure de nous le dire ? Quel était son

 20   grade au sein de l’armée ?

 21   M. Cayley (interprétation). - Témoin JJ, connaissez-vous le

 22   grade de M. Raic ?

 23   M. Riad (interprétation). - Etait-ce un officier ? Un soldat ?

 24   Un général ?

 25   Témoin JJ (interprétation). - Je ne connais pas son grade, mais


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  1   il avait un poste de responsabilité important, il commandait. Je ne sais

  2   pas très bien quel était son grade.

  3   M. Riad (interprétation). - Il commandait toute une division ou

  4   bien agissait-il de sa propre initiative ? Agissait-il seul ?

  5   Témoin JJ (interprétation). - Je pense qu'il était placé sous

  6   les ordres de quelqu'un d'autre, mais moi je sais qu’il commandait toutes

  7   les unités qui se trouvaient sur la municipalité de Kiseljak.

  8   M. Riad (interprétation). - Merci beaucoup, Monsieur.

  9   M. Cayley (interprétation). - Témoin JJ, pouvez-vous simplement

 10   indiquer aux Juges l’emplacement des villages dont vous avez dit qu'ils

 11   étaient en train de brûler le 18 avril ? Indiquez-les avec le pointeur et

 12   vous donnez-nous leur nom, s'il vous plaît.

 13   Témoin JJ (interprétation). - Voilà Visnijca et Gomionica, il

 14   s'agit de ces deux villages.

 15   M. Cayley (interprétation). - Merci. Vous avez dit qu'un message

 16   avait été transmis par le HVO selon lequel, si tous les hommes du village

 17   se rendaient, le village ne serait pas incendié et les femmes et les

 18   enfants ne seraient pas abattus. Avez-vous reçu directement ce message ou

 19   avez-vous entendu dire par quelqu'un d'autre que ce message avait été

 20   envoyé ?

 21   Témoin JJ (interprétation). - Ce message nous a été passé par

 22   (expurgé) qui à cette époque-là était... comment dire ?...notre

 23   commandant à nous, les quinze hommes en âge de combattre. Il a donc reçu

 24   ce message. L'homme qui lui a donné était le commandant qui était venu à

 25   la tête d'une unité et qui nous avait dit qu’il fallait que nous rendions


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  1   nos armes.

  2   M. Cayley (interprétation). - Cette unité qui était venue

  3   procéder au nettoyage du village était une unité du HVO, n'est-ce pas ?

  4   Témoin JJ (interprétation). - Absolument, c'était une unité du

  5   HVO. (expurgé)

  6   (expurgé). Nous les connaissions bien.

  7   M. Cayley (interprétation). - Venons-en maintenant à la

  8   troisième partie de votre témoignage, témoin JJ, s'il vous plaît.

  9   Pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé, quelques mois après le 18

 10   avril, lorsque le HVO est arrivé dans votre village et a rassemblé tous les

 11   habitants pour les emmener au village de (expurgé) ? J'aimerais que

 12   vous décriviez aux Juges comment tous les habitants ont été rassemblés ?

 13   Je voudrais que vous nous disiez quelles ont été les conditions de

 14   détention à (expurgé) ? Et j'aimerais également que vous nous expliquiez

 15   pourquoi vous n'avez pas essayé de vous échapper de cet endroit ? Enfin

 16   pouvez-vous, pour conclure cette partie de votre

 17  

 18  

 19   témoignage, nous dire comment vous avez été emmenés aux casernes de

 20   Kiseljak ?

 21   Témoin JJ (interprétation). - Un jour, tous les hommes du

 22   village en âge de combattre se trouvaient à l'extérieur du village. Ils

 23   creusaient des tranchées. J'étais resté dans le village parce que j'étais

 24   malade.

 25   Ce matin-là, un bus est arrivé accompagné d'un certain nombre de


Page 7452

  1   voitures dans lesquels se trouvaient des membres de la police du HVO et

  2   des membres militaires du HVO. Ils nous ont dit que nous avions 5 minutes

  3   pour nous préparer, qu'on nous emmenait pour être soumis à un échange

  4   privé. On nous emmenait du côté musulman, nous a-t-on dit. Bien sûr, nous

  5   étions très heureux de pouvoir sortir de cette assignation à résidence en

  6   quelque sorte. Nous étions heureux d'échapper à cette corvée quotidienne

  7   des tranchées.

  8   Nous ne pouvions pas tous tenir dans un même bus. On nous a dit que nous

  9   avions 5 minutes. Un policier se tenait devant chaque maison et il nous

 10   disait de nous dépêcher, donc nous n'avons même pas eu 5 minutes. On nous a

 11   fait monter dans le bus et on nous a emmenés à Kiseljak. De là, nous sommes

 12   partis vers (expurgé). Le bus s'est arrêté et on nous a dit, alors que nous

 13   nous trouvions devant la cafétéria Konak, que nous allions à (expurgé) et

 14   que nous allions y demeurer. C'était à nous de nous préoccuper de

 15   notre logement et de notre installation. Nous avons bien compris qu'il n'y

 16   avait pas d'échange, qu'on nous avait trompé sur ce point.

 17   A partir de là, avec nos sacs à la main, nous sommes allés à

 18   (expurgé). Nous avons trouvé quelques petites maisons qui avaient été

 19   abandonnées.

 20   Le lendemain nous avons vu que de nouveaux bus étaient arrivés

 21   en provenance d'autres villages comme Topole, Brnjaci, enfin de tous

 22   endroits où il y avait des Musulmans. Les Musulmans ont été amenés là où

 23   nous nous trouvions déjà. Nous nous sommes aperçus qu'il n'y aurait

 24   absolument pas d'échange, qu'il allait nous falloir rester en détention.

 25   M. Cayley (interprétation). - (expurgé)


Page 7453

  1   (expurgé), que vous ont dit les membres de la police militaire du HVO

  2   quant à vos véhicules et vos maisons dans le

  3  

  4  

  5   village ?

  6   Témoin JJ (interprétation). - On nous a dit qu'il fallait que

  7   nous donnions les clefs de nos maisons et de nos voitures. Bien sûr, nous

  8   avons obéi, nous avons donné nos clefs.

  9   M. Cayley (interprétation). - Peut-on allumer le rétroprojecteur

 10   une fois de plus, s'il vous plaît.

 11   (L’huissier s’exécute.)

 12   Pourriez-vous indiquer aux Juges l'emplacement du village de

 13   (expurgé), s'il vous plaît ?

 14   Témoin JJ (interprétation). - C'est ici.

 15   (Le témoin s’exécute.)

 16   M. Cayley (interprétation). - Pendant que vous faisiez des

 17   annotations sur cette carte (pour moi) précédemment, vous avez tiré des

 18   lignes en pointillé auprès du village. Que représentent-elles, Monsieur,

 19   s'il vous plaît ?

 20   Témoin JJ (interprétation). - Nous avons indiqué une partie de la route qui

 21   mène de Kiseljak à (expurgé). Cette partie de la route avait fait

 22   l'objet d'un nettoyage ethnique de Musulmans. Tout avait été brûlé,

 23   détruit. Il n'y avait plus aucun habitant. Tout avait été détruit et

 24   incendié.

 25   M. Cayley (interprétation). - Donc les Musulmans ont été


Page 7454

  1   concentrés vers l'une des extrémités du village de (expurgé), c’est cela ?

  2   Témoin JJ (interprétation). - Oui, à l'une des extrémités du

  3   village, dans la vallée.

  4   M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous expliquez aux Juges

  5   quelles étaient les conditions de votre séjour à (expurgé) ?

  6   Témoin JJ (interprétation). - C’étaient des conditions de vie

  7   très désagréables. Nous n'avions pas eu le temps d'emporter des aliments

  8   ou des vêtements. Pour mon enfant en bas âge, un tout-petit bébé qui

  9   n'avait que quelques mois, je n'avais pas pu prendre de lait en poudre.

 10   Bien évidemment, nous n'avions pas de vrai lait puisqu’il n’y avait pas de

 11   têtes de bétail.

 12  

 13  

 14   Par conséquent, c’était effectivement des conditions de vie pénibles.

 15   M. Cayley (interprétation). - Combien de familles se trouvaient

 16   dans la maison où vous avez été placé par le HVO ?

 17   Témoin JJ (interprétation). -  Non, ce n'est pas le HVO qui nous

 18   y a placés. C'est nous-mêmes qui nous sommes occupé de notre installation.

 19   Nous nous débrouillions avec ce que nous trouvions. Dans la maison où je

 20   me trouvais, il y avait trois familles. Il me semble, non, d'ailleurs je

 21   suis sûr, il y avait 14 personnes en tout dans cette maison.

 22   M. Cayley (interprétation). - D'une façon générale, dans le

 23   village de (expurgé), peut-on dire que toutes les maisons étaient combles ?

 24   Témoin JJ (interprétation). - Oui. Il y avait du monde partout.

 25   Comme les maisons étaient déjà saturées, comme il n'y avait vraiment plus


Page 7455

  1   de place, les autres personnes ne pouvaient plus y entrer ni s'y

  2   installer. Elles se sont donc réfugiées dans une petite mosquée. Cette

  3   mosquée, très rapidement, a été remplie.

  4   M. Cayley (interprétation). - Les Musulmans qui ont été emmenés

  5   à (expurgé) ont-ils essayé d'acheter de la nourriture à Kiseljak ?

  6   Témoin JJ (interprétation). - Oui, en effet. On nous a dit que

  7   nous pouvions aller voir l'organisation Caritas et qu'ils allaient nous

  8   donner de la nourriture. Certaines personnes s'y sont rendues

  9   effectivement. Ce qui s'est passé, c'est que très souvent nous souffrions

 10   beaucoup parce que, de temps en temps, des soldats du HVO frappaient une

 11   femme, nous retiraient nos aliments. Nous préférions souffrir de la faim

 12   plutôt que d'aller voir l'organisation Caritas et obtenir une aide.

 13   M. Cayley (interprétation). - Avez-vous été obligé de prendre

 14   part à des travaux forcés à (expurgé)  ?

 15   Témoin JJ (interprétation). -  Le premier jour, on ne nous a pas

 16   emmenés faire des travaux forcés. Tous les jours, par la suite, on nous a

 17   emmenés creuser des tranchées depuis

 18  

 19  

 20   7 heures du matin jusqu'à 16 heures ou 16 heures 30.

 21   M. Cayley (interprétation). - Que deviez-vous creuser

 22   exactement ? Qu'est-ce que le HVO vous demandait de faire ?

 23   Témoin JJ (interprétation). - Eh bien, là encore, il nous a

 24   fallu creuser des tranchées, des abris souterrains. D'une façon générale,

 25   nous creusions.


Page 7456

  1   M. Cayley (interprétation). - Peut-on montrer au témoin la

  2   pièce 68-1, 68-2 et 68-3, plus précisément ?

  3   Quelques jours après votre arrivée à (expurgé), je crois que vous

  4   avez été emmené à Mrakovi pour y creuser des tranchées. Je crois que vous

  5   êtes passé par le village de Hercezi . N'est-ce pas exact ?

  6   Témoin JJ (interprétation). - Oui, en effet.

  7   M. Cayley (interprétation). - A cette occasion, avez-vous vu la

  8   mosquée ?

  9   Témoin JJ (interprétation). - Oui. Nous sommes passés juste à

 10   côté de la mosquée. Nous nous trouvions à 50 mètres de la mosquée, parce

 11   qu'elle est à une distance de 50 mètres de la route à peu près.

 12   M. Cayley (interprétation). - Cette photographie nous

 13   montre-t-elle précisément ce que vous avez vu à cette époque ?

 14   Témoin JJ (interprétation). - Oui. Exactement. Il s'agit de la

 15   mosquée du village de Hercezi.

 16   M. Cayley (interprétation). - Elle avait été détruite, ainsi

 17   qu'on peut le constater sur cette photographie.

 18   Témoin JJ (interprétation). - Oui. La mosquée et la maison qui

 19   se trouvaient à côté de la mosquée, là où vivaient les OTJA, tout avait

 20   été détruit.

 21   M. Cayley (interprétation). - Monsieur. le Greffier, pourriez-

 22   vous retirer cette photographie, parce qu'il me semble que le témoin vient

 23   de faire un commentaire relatif à une maison que l'on peut voir sur la

 24   photographie. Pouvez-vous nous indiquer la maison de ce prêtre musulman

 25   dont vous venez de parler ?


Page 7457

  1   Témoin JJ (interprétation). - Oui, voici la maison du prêtre

  2   musulman. Elle se trouve juste à côté de la mosquée.

  3   M. Cayley (interprétation). - Peut-on maintenant soumettre au

  4   témoin l'autre photographie, s'il vous plaît ?

  5   Il s'agit bien de l'intérieur de la mosquée, n'est-ce pas ? Même

  6   si vous n'étiez pas à même de le voir depuis la route, vous reconnaissez

  7   bien la photographie comme étant celle vous montrant l'intérieur de la

  8   mosquée de votre village ?

  9   Témoin JJ (interprétation). - Oui, bien sûr, je reconnais cela.

 10   Je voudrais dire que, il y a 2 ans, je suis entré dans la mosquée. J'y ai

 11   enterré mon père. De fait, j'ai bien vu toutes ces ruines.

 12   M. Cayley (interprétation). - Peut-on à présent montrer au

 13   témoin la pièce 277, s'il vous plaît ?

 14   Vous reconnaissez ce que nous montre cette photographie,

 15   Monsieur ?

 16   Témoin JJ (interprétation). - Oui. C'est la mosquée de la

 17   municipalité de Kiseljak.

 18   M. Cayley (interprétation). - Et avez-vous vu ce monument peu de

 19   temps après, alors que le HVO vous emmenait pour creuser des tranchées ?

 20   Témoin JJ (interprétation). - Nous sommes passés à côté de cette

 21   mosquée tous les jours, à chaque fois qu'on nous emmenait creuser des

 22   tranchées. La première fois que je l'ai vue dans cet état-là, c'est

 23   lorsqu'on nous a emmenés à (expurgé) pour ce qui était supposé être un

 24   échange, comme je l'ai dit. En fait, ils ont juste changé le village dans

 25   lequel nous étions détenus. Rien n'a changé quant à nos conditions de vie.


Page 7458

  1   M. Cayley (interprétation). - Il serait donc juste de dire que,

  2   quelques mois après, le 18 avril 1993, la mosquée de Kiseljak s'est

  3   retrouvée dans cet état que nous constatons ici,

  4  

  5  

  6   parce que vous l'avez vue à ce moment-là dans cet état ?

  7   Témoin JJ (interprétation). - A cette époque, elle était dans

  8   cet état-là. Aujourd'hui, elle est dans un état encore plus déplorable.

  9   M. Cayley (interprétation). - Tandis que vous vous trouviez dans

 10   le village de (expurgé), là encore les Musulmans recevaient-ils des visites

 11   nocturnes des soldats du HVO ?

 12   Témoin JJ (interprétation). - C’est difficile à dire. Ce n'était

 13   peut-être pas toutes les nuits, mais disons que dans 90 % des cas nous

 14   étions maltraités et tous nos biens, tout ce que nous avions nous était

 15   retiré.

 16   M. Cayley (interprétation). - Monsieur, expliquez-moi pourquoi

 17   vous n'avez pas essayé de vous enfuir du village de (expurgé) ?

 18   Témoin JJ (interprétation). - Un homme dans une telle situation pense

 19   toujours à ce type de possibilités, pense même au suicide. On nous avait

 20   dit que si on essayait de s'échapper alors que nous étions en train de

 21   creuser des tranchées, alors sa femme et ses enfants seraient abattus. De

 22   toute façon, il était impossible de s'échapper de (expurgé), parce que le

 23   village est placé de telle façon qu'il est entouré de collines. Ces

 24   collines étaient, elles, entourées par les lignes du front du HVO. Nous ne

 25   pouvions pas nous échapper. De toute façon, on nous avait bien dit que, si


Page 7459

  1   qui que ce soit essayait de s'échapper au moment du creusement des

  2   tranchées, sa famille, c'est-à-dire sa femme, ses enfants, sa mère, tous

  3   ses proches seraient abattus.

  4   M. Cayley (interprétation). - Si nous pouvons passer à la

  5   quatrième partie de votre témoignage, Témoin JJ. Pouvez-vous expliquer aux

  6   juges ce qui s'est passé lorsque vous avez été emmené, alors que vous

  7   creusiez des tranchées, aux casernes de Kiseljak et pourriez-vous nous

  8   décrire dans quelles conditions vous avez été détenu dans ces baraques ? A

  9   quel traitement avez-vous été soumis, que vous a-t-on demandé de faire ?

 10   Qu'est-ce que le HVO vous a demandé de faire pendant que vous vous

 11   trouviez dans ces casernes ?

 12   Témoin JJ (interprétation). - Comme d'habitude, je me trouvais

 13   en train de creuser

 14  

 15  

 16   des tranchées, un jour, à Mrakovi. C’est alors que trois policiers du HVO

 17   sont arrivés. Je connaissais l'un d'entre eux. Il s'appelait Zeljo

 18   Pravdic. Il m'a appelé et m’a dit qu'il fallait que nous allions aux

 19   casernes. Il cherchait un de mes proches, un de mes membres de ma famille

 20   qu’il voulait emmener également. Lui, il ne creusait pas des tranchées.

 21   Nous l'avons retrouvé à (expurgé). Il était malade et tous les deux avons été

 22   emmenés aux casernes.

 23   On nous a emmenés dans une pièce où un homme gisait sur le sol,

 24   immobile. Plus tard, lorsque nous lui avons demandé ce qui n'allait pas,

 25   il nous a dit qu'il avait été battu. Je voyais bien qu'il était sincère,


Page 7460

  1   qu'il disait la vérité parce que très peu de temps après, on m'a emmené

  2   dans un bureau où nous attendait Miro Biletic, le directeur de la prison.

  3   Il y avait deux autres soldats du HVO et Zeljo Pravdic m’a posé des

  4   questions. Il m'a demandé où étaient nos armes. Mais nous n'en avions pas.

  5   En fait, c'était une excuse. Cela leur permettait de me frapper.

  6   J'ai subi la même chose que ce qu’avait subi l'homme qui se trouvait dans

  7   notre chambre. On m'a frappé. Ils m'ont frappé avec leurs poings, avec des

  8   bâtons et je me suis évanoui dans cette pièce.

  9   Lorsque j'ai repris connaissance, j'ai vu que (expurgé) n'était plus

 10   là. J'ai compris qu'on l'avait emmené pour qu'il subisse le même

 11   traitement que celui qui m'avait été réservé. De fait, c'est ce qui s'est

 12   passé.

 13   M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous expliquez aux juges

 14   ce que l'on vous a demandé de faire, ce que le HVO vous a demandé de faire

 15   à la caserne de Kiseljak ?

 16   Témoin JJ (interprétation). - Nous accomplissions toutes sortes

 17   de travaux. En fait, principalement, nous creusions. Il nous fallait aussi

 18   nettoyer les locaux, là où s'étaient installés les membres de la police.

 19   Il fallait également nettoyer les toilettes. Nous travaillons tous les

 20   jours.

 21   M. Cayley (interprétation). - Peut-on montrer au témoin la

 22   pièce 278, s'il vous plaît ?

 23  

 24  

 25   Peut-on placer cette pièce sur le rétroprojecteur, s'il vous


Page 7461

  1   plaît ?

  2   Témoin JJ (interprétation). - Reconnaissez-vous ce que nous

  3   montre cette photographie ?

  4   Témoin JJ (interprétation). - Oui, absolument.

  5   M. Cayley (interprétation). - Vous avez fait un certain nombre

  6   d'annotations sur cette photographie, à ma demande. Veuillez expliquer aux

  7   juges, s'il vous plaît, ce qu'indiquent les cercles que vous avez tracés

  8   sur cette photographie. Veuillez, à chaque fois, préciser le chiffre du

  9   cercle auquel vous faites référence.

 10   Témoin JJ (interprétation). - Voici le cercle n° 1. Il s'agit du

 11   bâtiment dans lequel se trouvaient les cellules. C'est dans ces cellules

 12   que nous étions détenus. C'est là également que se trouvaient les membres

 13   de la police du HVO.

 14   Le cercle n° 2 correspond au quartier général d’Ivica Raic.

 15   Quant au cercle n° 3, il indique l'emplacement de l'endroit où

 16   on nous a fait monter dans des bus, à partir desquels nous partions pour

 17   travailler. Cette ligne en pointillé indique la route que nous avons

 18   empruntée pour entrer dans l'enceinte de la prison et que nous empruntions

 19   également pour sortir.

 20   Au numéro 3, on nous faisait monter dans des camions et on nous

 21   emmenait accomplir des travaux forcés.

 22   M. Cayley (interprétation). - Qu'elle était la fréquence de ces

 23   transports lorsqu'on vous emmenait exécuter des travaux forcés ?

 24   Témoin JJ (interprétation). - On m'a emmené tous les jours.

 25   Peut-être que cela m'a été épargné cinq ou six jours, parce que j'avais


Page 7462

  1   été frappé si violemment que, même eux, savaient bien que je ne pouvais

  2   pas aller travailler.

  3   M. Cayley (interprétation). - Si vous vous en souvenez, pouvez-

  4   vous nous dire combien d’hommes étaient rassemblés en ce point précis

  5   avant d'être emmenés pour creuser des

  6  

  7  

  8   tranchées ?

  9   Témoin JJ (interprétation). - Dans la cellule où je me trouvais,

 10   il y avait entre 60 et 80 personnes.

 11   M. Cayley (interprétation). - Si vous vous en souvenez, pouvez-

 12   vous nous donner les dimensions de cette cellule ?

 13   Témoin JJ (interprétation). - Elle n'était vraiment pas très

 14   grande. Je crois que, dans une situation normale, elle aurait permis

 15   d'accueillir 20 soldats ou 20 prisonniers ; je ne sais pas quel terme

 16   choisir.

 17   M. Cayley (interprétation). - Cela convient parfaitement,

 18   Monsieur.

 19   Pourriez vous d'écrire aux Juges quelles étaient les conditions

 20   sanitaires dans cette prison ?

 21   Témoin JJ (interprétation). - Les conditions d'hygiène étaient

 22   telles que nous n'avions ni eau, ni toilettes. Nous avions des bidons

 23   d’une contenance de 3 litres pour uriner. Lorsque nous avions besoin

 24   d'aller aux toilettes, alors que nous creusions des tranchées, certains

 25   faisaient leurs besoins dans un petit morceau de papier. Le lendemain,


Page 7463

  1   alors qu'ils étaient sur le lieu où l'on creusait des tranchées, ils

  2   jetaient ces petits paquets.

  3   M. Cayley (interprétation). - Avez-vous reçu de la nourriture

  4   alors que vous vous trouviez dans la caserne de Kiseljak et, le cas

  5   échéant, en quelle quantité ?

  6   Témoin JJ (interprétation). - Nous avions une miche de pain de

  7   moins d'un kilo. Il fallait que nous nous la répartitions entre nous tous,

  8   soit 20 personnes.

  9   M. Cayley (interprétation). - Au début de cette partie de votre

 10   témoignage, vous avez indiqué aux Juges que vous aviez été frappé. Avez-

 11   vous était battu plus violemment encore par le HVO une seconde fois ? Si

 12   c'est le cas, pouvez-vous décrire exactement ce qui s'est passé ?

 13   Témoin JJ (interprétation). - Après la première fois où j'ai été

 14   battu, j'ai

 15  

 16  

 17   effectivement été frappé très violemment à une seconde occasion. Il devait

 18   être 2 heures du matin. A ce moment-là, un garde ou un policier m'a

 19   appelé. Il m'a fait sortir de la cellule et m'a dit qu'il fallait que

 20   j'aille laver des tasses.

 21   Mais lorsque je suis sorti et que je suis passé dans le couloir,

 22   on m'a donné l'ordre de mettre mes mains dans le dos, de baisser la tête

 23   et ce même policier a fermé la porte. J'étais le premier. Il m'a sauté

 24   dessus par derrière et m'a frappé dans le dos. Bien évidemment, j'ai

 25   trébuché. J'ai vu qu'il y avait cinq ou six autres types dans le couloir.


Page 7464

  1   Ils ont commencé à me donner des coups de pied, à me frapper avec des

  2   bâtons.

  3   Puis, ils m'ont emmené dans une pièce très sombre. Lorsque je

  4   suis tombé par terre, Ivo Medic, un policier du HVO, a touché ma colonne

  5   vertébrale sur toute sa longueur. Il me frappait en me disant qu'après

  6   cela j'aurai besoin d'une chaise roulante pour me déplacer. Ils ont

  7   continué à me frapper. Je ne sais pas combien de temps tout cela a duré.

  8   Pas un seul des prisonniers ne m'a approché. Je le comprends fort bien

  9   parce que, si un prisonnier venait en aide à un autre prisonnier qui avait

 10   été frappé, il était sûr d'être la prochaine victime. Personne n'osait

 11   aider qui que ce soit.

 12   M. Cayley (interprétation). - Les 60 ou 80 personnes qui se

 13   trouvaient dans votre cellule ont-elles chacune été battues alors que vous

 14   vous trouviez dans la caserne de Kiseljak ?

 15   Témoin JJ (interprétation). - Il n'y a pas une seule personne

 16   détenue, qu'elle soit jeune, âgée, femme, homme, pas une soeur qui ait

 17   échappée à ces passages à tabac. Ils n'ont pas été passés à tabac une

 18   fois, mais plusieurs fois.

 19   M. Cayley (interprétation). - Peut-on placer devant le témoin la

 20   pièce 279, s'il vous plaît ?

 21   (L’huissier s’exécute.)

 22   Monsieur le Président, les interprètes sont-ils prêts à

 23   travailler encore 5 à 10 minutes ? Si c'est le cas, je pense pouvoir

 24   terminer mon interrogatoire principal ce soir.

 25  


Page 7465

  1  

  2   M. le Président. - Nous allons leur demander. Je sais qu'ils

  3   sont très fatigués, ils ont commencé à 11 heures. Je suis très ennuyé

  4   parce qu’effectivement je connais leur problème. Je partage leurs

  5   préoccupations, comme mes deux collègues. Je ne comprends pas très bien

  6   pourquoi l’équipe d'interprètes qui cette semaine devait travailler de

  7   14 heures 15 à 19 heures, a commencé à 11 heures. Les interprètes n'y

  8   peuvent rien, mais il est certain que c'est un peu ennuyeux pour nos

  9   travaux.

 10   Il faudra que nous reprenions demain. Je me suis entretenu par

 11   correspondance, écrite, interposée avec le conseiller juridique de la

 12   Chambre. Demain, toute la matinée est prise soit par une plénière,

 13   (expurgé).

 14   En accord avec le Président de l'autre Chambre, nous avons

 15   décidé de reprendre à 14 heures 30. Nous rendrons la Chambre à 16 heures.

 16   Entre temps, il faut que nous achevions l'audition du témoin JJ

 17   et que nous entendions la défense dans ses explications qui, je pense, ne

 18   seront pas trop longues puisque nous avons les requêtes écrites pour les

 19   audiences ex parte. Je ne sais pas ce que vous en pensez. Nous sommes là

 20   pour vous entendre mais il s'agira d'observations. Normalement, nous

 21   reprenons demain à 14 heures 30 jusqu'à 16 heures. Tout cela représente

 22   beaucoup de contraintes pour tout le monde, pour les Juges et les

 23   interprètes.

 24   Les interprètes sont-ils prêts à travailler 5 à 10 minutes

 25   supplémentaires pour terminer l'interrogatoire principal ?


Page 7466

  1   L'interprète. - Cela ne pose pas de problème,

  2   Monsieur le Président.

  3   M. le Président. - Je ne manquerai pas de souligner au Chef de

  4   la division d'interprétariat qu’il faut se tenir aux équipes une fois

  5   celles-ci constituées. Maître Cayley, essayez de respecter ces 5 ou

  6   10 minutes. Nous reprendrons demain à 14 heures 30. Merci.

  7   M. Cayley (interprétation). - Je m'engage auprès des interprètes

  8   à ce que cela ne dure que 5 minutes.

  9  

 10  

 11   Témoin JJ, reconnaissez-vous la photographie qui se trouve sous

 12   vos yeux ?

 13   Témoin JJ (interprétation). - Oui, je reconnais très bien ce

 14   bâtiment. C'est le bâtiment de la police militaire dans lequel moi-même et

 15   d'autres personnes avons été détenus.

 16   M. Cayley (interprétation). - Une enseigne figure à côté du

 17   bâtiment où l'on peut lire : "Police militaire - Kiseljak", "HVO -

 18    Kiseljak", c'est bien cela ? Pouvez-vous dire oui ou non, Monsieur ?

 19   Témoin JJ (interprétation). - Oui, c'est exact.

 20   M. Cayley (interprétation). - Quel poids avez-vous perdu pendant

 21   votre détention dans la caserne de Kiseljak ?

 22   Témoin JJ (interprétation). - 10 à 12 kilos.

 23   M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous expliquer aux Juges ce

 24   qui s'est passé lorsque des représentants du Haut-commissariat aux

 25   réfugiés des Nations unies ont visité la prison ?


Page 7467

  1   Témoin JJ (interprétation). - Ce qui s'est passé, c'est que nous

  2   avons vécu dans un monde différent. La nourriture s'est améliorée, mais

  3   cela n'a duré que ce jour-là. Par la suite, tout a repris comme par le

  4   passé.

  5   M. Cayley (interprétation). - Les prisonniers ont-ils été

  6   transférés d'une cellule à l'autre de façon à donner l'impression que le

  7   confort était plus important (le confort n'est peut-être pas le meilleur

  8   mot) de façon à créer l'impression que les cellules, en tout cas,

  9   n'étaient pas surpeuplées ?

 10   Témoin JJ (interprétation). - Combien étions-nous à ce moment-

 11   là ? 70 je pense, je ne sais pas exactement. La moitié d'entre nous ont

 12   été transférés dans une pièce voisine. Bien entendu, ce transfert n'avait

 13   pour but que d'éviter de donner l'impression que nous étions entassés

 14   comme des sardines. Mais avant la soirée, avant la nuit, nous avons tous

 15   été regroupés de nouveau dans une seule pièce.

 16   M. Cayley (interprétation). - Peut-on montrer au témoin la pièce

 17   à conviction numéro 280 ?

 18   Reconnaissez-vous les hommes qui figurent sur cette

 19   photographie ?

 20   Témoin JJ (interprétation) (expurgée)

 21   (expurgée)

 22   (expurgée)

 23   (expurgée)

 24   M. Cayley (interprétation).  - Pouvez-vous expliquer aux juges

 25   pourquoi ils portent des pantalons si sales, si troués, si élimés ?


Page 7468

  1   Témoin JJ (interprétation). - Je crois que c'est la meilleure

  2   preuve des conditions d'hygiène dans lesquelles nous vivions et combien

  3   nous devions travailler. Je n'ai pas d'autres commentaires à apporter.

  4   M. Cayley (interprétation).  - Les prisonniers qui sont restés

  5   dans la caserne de Kiseljak, se sont-ils vus dérober leurs biens et objets

  6   personnels ?

  7   Témoin JJ (interprétation). - Ils nous prenaient tout, les

  8   vestes, les montres, l'argent. N'importe qui, qui avait par exemple une

  9   bonne paire de chaussures ou une veste de bonne qualité, se la voyait

 10   enlever. Ils forçaient les hommes à les enlever et ils vous auraient même

 11   forcés à enlever les chaussures d'un combattant musulman tué pour les

 12   porter.

 13   M. Cayley (interprétation).  - Mais les prisonniers qui étaient

 14   particulièrement aisés sur le plan matériel, et qui étaient détenus dans

 15   la caserne, que leur est-il arrivé ?

 16   Témoin JJ (interprétation). - Pouvez-vous répéter votre

 17   question ?

 18   M. Cayley (interprétation). - Si un prisonnier était connu par

 19   les soldats du HVO comme une personne riche, que lui arrivait-il ?

 20   Témoin JJ (interprétation). - Dans ce cas, on le faisait sortir

 21   de la prison pendant quelques heures. On l'emmenait jusqu'à son domicile

 22   où il subissait des pressions pour dire où il avait caché les objets de

 23   valeur, l'or, les biens de valeur, ce genre de choses. Bien entendu, après

 24  

 25  


Page 7469

  1   cela, il était ramené à la prison.

  2   M. Cayley (interprétation).  - Ce sont les membres de la police

  3   militaire du HVO qui agissaient ainsi ?

  4   Témoin JJ (interprétation). - Il y avait des membres de la

  5   police militaire. Un jour, je me suis trouvé moi-même dans une situation

  6   où j'ai vu un homme d'un certain âge qui a été emmené par un soldat

  7   régulier qui l’a fait monter à bord de son véhicule, l’a emmené chez lui,

  8   lui a demandé son or et l’a passé à tabac.

  9   M. Cayley (interprétation).  - Pouvez-vous dire aux juges, en

 10   quelques mots, pourquoi on a exigé de vous que vous alliez chercher

 11   plusieurs cadavres de soldats musulmans pour les transférer de Kiseljak à

 12   Kresevo ?

 13   Témoin JJ (interprétation). - Cela s'est passé sur la montagne

 14   Kresevo breg. Le HVO avait pris le contrôle d'une grande partie de ce

 15   territoire. Là-haut, sur la montagne de Kresevo, les détenus qui s'y

 16   trouvaient n’ont pas réussi à assurer la relève des lignes de sorte que

 17   nous tous qui étions à Kiseljak avons été transférés à Kresevo pour

 18   creuser de nouvelles tranchées.

 19   Moi, j'y suis resté 15 jours, mais d'autres personnes, d'autres

 20   détenus y sont restés un mois. Le premier matin, nous avons creusé, puis

 21   tout l'après-midi, toute la journée et le soir, nous sommes tombés sur six

 22   cadavres de Kresevo dont deux n'avaient plus de têtes. Nous les avons vu

 23   jouer là-haut au football avec ces têtes.

 24   M. Cayley (interprétation).  - C'était des soldats bosniens ?

 25   Témoin JJ (interprétation). - Oui, des soldats de l'armée de


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  1   Bosnie-Herzégovine.

  2   M. Cayley (interprétation).  - J'aimerais que l'on montre au

  3   témoin les deux dernières pièces à conviction (281 et 281/A). Peut-on

  4   placer cette pièce à conviction sous les yeux du témoin et pas sur le

  5   rétroprojecteur ?

  6   Témoin JJ, ceci est une carte que vous avez annotée pour moi,

  7   n'est-ce pas ?

  8  

  9  

 10   Pourriez-vous expliquer aux juges quel est chacun des endroits qui a été

 11   annoté et quels sont les différents signes que vous avez apposés sur la

 12   carte ?

 13   Témoin JJ (interprétation). - Les signes apposés sur la carte

 14   correspondent à l'emplacement des endroits où j'ai été emmenés accomplir

 15   des travaux forcés. Au n° 1, nous voyons le village de Mrakovi. Le n° 2,

 16   c’est le Mont Palasko. Le n° 3, Cimburov Brijeg. Le n° 4, Dubrave. Le

 17   n° 5, Duke. Le n° 6, Kunjace. Le n° 7, le Mont Palasko. En fait, le n° 2

 18   correspond à la sortie de Kiseljak vers Visoko et Crvene Stijne.

 19   M. Cayley (interprétation).  - L'ensemble de ces annotations

 20   représentent des endroits où on a exigé de vous que vous creusiez des

 21   tranchées jusqu'à votre libération en novembre 1993 ?

 22   Témoin JJ (interprétation). - Oui, ce sont tous les endroits où

 23   j'ai été obligé de creuser pendant la durée de ma détention.

 24   M. Cayley (interprétation).  - Je crois pouvoir dire que votre

 25   échange s'est produit en novembre 1993.


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  1   Témoin JJ (interprétation). - Oui, cela a eu lieu le 6 novembre

  2   1993. J'ai été remis en liberté dans la mesure où je creusais sur les

  3   lignes de front avec le peu de nourriture que nous recevions et je n'avais

  4   plus de force. Je suis tombé au sol. Je ne pouvais plus creuser, ce jour-

  5   là. J'ai été transféré à l'hôpital de Kiseljak où ils ont estimé que je

  6   n'avais aucune chance de survivre. Ils m'ont emmené à Visoko pour subir

  7   une intervention et un traitement médical. Il a été décidé que je n'avais

  8   pas besoin d'intervention chirurgicale. Depuis ce jour, je suis resté du

  9   côté bosniaque.

 10   M. Cayley (interprétation).  - En fait, vous êtes retourné à

 11   Hercezi, n’est-ce pas ?

 12   Témoin JJ (interprétation). - Non, il était impossible d'y

 13   retourner. Au jour d'aujourd'hui, je n'y suis pas retourné. Je vis à

 14   Vojnica.

 15   M. Cayley (interprétation).  - Aimeriez-vous retournez à

 16   Hercezi ?

 17   Témoin JJ (interprétation). - L’envie est bien là et elle est

 18   grande. Mais se réalisera-t-elle ou pas ? Je n'en sais rien.

 19   M. Cayley (interprétation).  - C'est la fin de mon

 20   interrogatoire principal, Monsieur  le Président. Je demanderai le

 21   versement au dossier de l'ensemble des pièces à conviction, à savoir 276,

 22   277, 278, 279, 280 et 281 et 281/A.

 23   M. le Président. - Merci, maître Cayley. Je dis au témoin JJ

 24   qu’il reviendra demain. Qu'il se repose ce soir, qu'il se détende.

 25   Demain, vous aurez certainement des questions que vous poseront


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  1   rapidement la défense et puis, peut-être les juges. Ce sera demain à

  2   14 heures 30. L'audience est levée.

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  4   L’audience est levée à 18 heures 10.

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