Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

2 Affaire IT-95-14-T

3

4

5 Lundi 20 avril 1998

6

7 LE PROCUREUR

8 c/

9 TIHOMIR BLASKIC

10

11 L’audience est ouverte à 17 heures 10.

12

13 M. le Président. - Monsieur le greffier, veuillez introduire le

14 général Blaskic dans la salle.

15 (L’accusé est introduit dans la salle d’audience.)

16 Nous allons reprendre le cours de nos travaux, qui avaient été

17 interrompus pour cause de manque de salle d'audience, problème auquel il

18 sera, je crois, bientôt remédié, je pense à partir du mois de juillet.

19 Raison de plus pour essayer de reprendre de bonnes habitudes, des

20 interrogatoires et des contre-interrogatoires courts, brefs, synthétiques.

21 Nous allons reprendre. Monsieur Cayley va nous présenter le témoin.

22 Je me tourne vers le Général Blaskic. Est-ce que vous m'entendez

23 ?

24 M. Blaskic (interprétation). - Bonjour, Messieurs les Juges. Je

25 vous entends très bien, Monsieur le Président.

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1 M. le Président. - Pour le reste, tout fonctionnait tout à

2 l'heure, nous pouvons commencer tout de suite.

3 M. Cayley (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

4 Messieurs les Juges et les collègues de la défense.

5 Le témoin suivant est le lieutenant-colonel Rémy Landry. C'est

6 un officier de carrière dans l'armée canadienne. Le lieutenant-colonel

7 était membre de la mission de contrôle de la communauté européenne en ex-

8 Yougoslavie à partir de février 1993 jusqu'en août 1993.

9 Il a occupé un certain nombre de postes au sein de cette

10 organisation et lorsqu'il est parti, il était chef-adjoint de mission, il

11 travaillait sous les ordres de l'ambassadeur français Jean-Pierre

12 Thébault, auprès de cette mission.

13 Ce témoin va s'exprimer sur un certain nombre de points et

14 j'aimerais d'ores et déjà prévenir les juges du fait qu'il va s'agir d'un

15 interrogatoire principal assez long, je m'en excuse, mais le lieutenant-

16 colonel a beaucoup de choses à dire.

17 Je ferai de mon mieux, j'essaierai d'être concis, mais de fait,

18 un certain nombre de choses nouvelles seront abordées par le lieutenant-

19 colonel au cours de son contre-interrogatoire. J'ai éliminé tous les

20 aspects qui avaient déjà été abordés par d'autres témoins.

21 Ce témoin commencera par nous parler de sa formation, de sa

22 carrière à Zagreb, par exemple, il nous parlera des informations qui lui

23 ont été communiquées par la cellule d'information de l'ECMM, ou MCCE.

24 Ensuite, il nous parlera des conditions de son séjour en Bosnie-

25 Herzégovine ; il était membre de la commission mixte à Busovaca, un

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1 organisme établi à Busovaca par la Forpronu et l'ECMM, et qui avait pour

2 but d'essayer d'établir des conditions de vie à peu près normales dans la

3 région de la rivière de l'Ajva, notamment pas le biais de cessez-le-feu.

4 La commission mixte agissait comme intermédiaire entre la HVO et

5 l'armée de Bosnie-Herzégovine, tâchait d'apaiser les tensions, menait des

6 enquêtes sur les plaintes formulées, notamment en matière de violation des

7 droits de l'homme dans tout ce secteur.

8 Le Colonel Landry a pris une part active à tous les travaux de

9 cette commission, il va nous donner nombre d'exemples des tâches qu'il a

10 accomplies, notamment une enquête menée dans le village de Krazna dans la

11 municipalité de Busovaca.

12 Il abordera ici les chefs d'accusation, notamment de

13 persécutions, et le transfert forcé de Musulmans de Bosnie, de ce village.

14 Il nous parlera par la suite de la mise en place d'un cessez-le-feu dans

15 la ville de Busovaca même et, par là-même, il nous démontrera quelles

16 étaient les structures de commandement du HVO et de l'armée de Bosnie-

17 Herzégonive, comment les ordres passaient des unités supérieures aux

18 unités inférieures, comment fonctionnaient les structures de commandement

19 au sein de ces deux entités.

20 Il poursuivra en nous faisant part de l'histoire que lui a

21 relatée un vieux couple de Croates. Il a permis la réunion de ce couple

22 croate dans un village, ce village de Solakovici et, par le biais de cette

23 histoire, il nous fera part de sa compréhension de la situation sur le

24 terrain à l'époque, la façon dont, d'après lui, la population ordinaire

25 arrivée a fort bien coopéré dans la région de la vallée de la Lasva

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1 jusqu'au début du conflit.

2 Il nous fera part de ses opinions sur l'évolution de ce conflit

3 et, plus généralement, il parlera de la mise en oeuvre des accords de

4 cessez-le-feu, de la mise en oeuvre des ordres donnés pas la communauté

5 internationale dans la région et, brièvement, il nous parlera des systèmes

6 de communication qui existaient à la fois au HVO et au sein de l'armée de

7 Bosnie-Herzégovine.

8 Enfin, il en viendra à la description des événements qui se sont

9 produits dans la ville de Travnik les 12 et 13 avril, il nous parlera de

10 ce qu'il a perçu comme étant une provocation du HVO dans ce secteur,

11 ensuite, il nous parlera de la réponse de l'armée de Bosnie-Herzégovine à

12 cette provocation.

13 Il parlera du limogeage du maire de cette ville, un Musulman, et

14 il expliquera comment, par la suite, il y a eu une terrible

15 intensification de la tension dans le secteur. Par la suite, il parlera du

16 kidnapping de quatre membres de l'état major du HVO, quatre officiers, un

17 sujet qui a déjà été abordé lors de précédents témoignages.

18 Il a pris une part très active à tous ces événements, notamment,

19 il y a eu une plainte formulée auprès de l'ECMM et il a participé à

20 l'enquête.

21 Il vous donnera également des informations générales quant aux

22 explications possibles qui permettent d'expliquer cet événement, quelles

23 sont les raisons de cet enlèvement des officiers du HVO.

24 Monsieur Landry était à Vitez le matin du 13 avril. Très

25 brièvement, il nous parlera de ce qu'il a vu de l'offensive du HVO lancée

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1 sur la ville de Vitez le 16 avril. Il a également vu Ahmici en flammes le

2 soir du 16 avril, comme cela a été le cas de nombreux autres témoins qui

3 sont venus ici. Il parlera très brièvement de la situation et nous fera

4 part de son opinion en tant que professionnel, en tant qu'officier des

5 forces armées, sur la nature de l'opération militaire lancée.

6 Puis il parlera de ce qui s'est passé le 18 avril. La

7 protestation formulée conjointement par le colonel Blaskic à l'époque et

8 par M. Kordic et M. Kostroman. Des protestations relatives à des atrocités

9 prétendument commises contre des Croates de Bosnie dans les villages de la

10 région.

11 Il a participé à l'enquête qui a été menée sur le sujet, et il

12 nous fera part des actions qui ont été menées dans le cadre de cette

13 enquête, et comment il a découvert qu'en effet, il y avait eu des

14 atrocités commises contre des Croates de Bosnie, mais qu'en fait le HVO

15 avait terriblement exagéré la situation. Il expliquera comment l'armée a

16 essayé de s'assurer le contrôle de la région, a essayé d'assurer la

17 sécurité des civils, qu'ils soient Croates ou Musulmans de Bosnie, tous

18 les civils qui se trouvaient dans le secteur, comment l'armée de Bosnie a

19 tenté de mettre un frein aux violations du droit humanitaire qui se

20 produisaient dans la région.

21 Il expliquera également comment le HVO a refusé, en revanche, de

22 coopérer pour tout ce qui concernait les enquêtes lancées sur les

23 événements survenus à Ahmici. Il parlera notamment de ce qui était,

24 d'après lui, une tentative de couverture de ce qu'il s'était passé. En

25 fait, la communauté internationale s'est vue refuser toute possibilité

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1 d'enquête et les représentants de la communauté internationale ont dû

2 entrer de force dans le village pour essayer de savoir ce qui s'était

3 effectivement passé sur place. Il confirmera qu'il n'y a eu absolument

4 aucun rapport établi par le HVO qui aurait dû porter sur une enquête des

5 faits produits à Ahmici, pendant l'époque qui nous concerne.

6 M. le Président. - Faites un résumé objectif, si vous voulez

7 bien. Faites un résumé le plus objectif possible. C'est très bien, mais ne

8 plaidez pas, d'accord ?.

9 M. Cayley (interprétation). - Je vais aller aussi vite que

10 possible.

11 M. le Président. - Ce n'est pas une question de rapidité. Vous

12 faites le sommaire résumé de l'intervention et nous vous en savons gré. Ne

13 vous laissez pas entraîner à faire apparaître votre propre opinion, même

14 si c'est votre témoin. Il faut penser à la Défense. Je ferai les mêmes

15 objections à la Défense le moment venu. Continuez.

16 M. Cayley (interprétation). - M. Landry nous fera part de ses

17 opinions sur le limogeage du commandant adjoint du HVO, juste avant le

18 lancement des opérations sur Vitez et Ahmici le 16 avril et de son opinion

19 et de sa perception des choses.

20 Il a vu cela comme un limogeage de cet homme. Il parlera

21 également de la mise en place du centre d'opérations conjointes à Travnik

22 le 20 avril 1993 Là encore, tentative de la communauté internationale

23 visant à normaliser la situation dans la région de la rivière Lasva. Le

24 lieutenant-colonel expliquera comment Franjo Nakic, l'homme limogé, a

25 réapparu subitement comme chef de l'état-major du HVO, comment ce même

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1 homme a occupé un poste au sein de la commission dont je venais de parler.

2 Il nous fera part des opinions de M. Nakic sur cette commission.

3 Ensuite, il nous parlera de ce qui s'est passé le 21 Avril dans la

4 municipalité de Kiseljak. Il parlera des visites qu'il a faites lui-même,

5 entre autre, au village de Rotilj et le Lieutenant-colonel Landry nous

6 dira ce qu'il a vu, en tant que témoin oculaire à l'époque. Puis nous

7 aborderons la période de la mi-mai, période à laquelle il y a eu un

8 changement dans la situation tactique qui prévalait sur le terrain. A

9 cette époque, le HVO se trouvait sur une position de défensive, et l'armée

10 de Bosnie faisait monter la pression sur la poche de Vitez. Le

11 Colonel Landry nous expliquera quelle était la situation qui prévalait

12 dans la poche de Vitez.

13 Ensuite nous passerons au mois de juin 1993. Nous parlerons de

14 tous les événements qui concernent les convois de Tuzla. Là, notamment, le

15 colonel nous expliquera comment ce convoi a été mis à sac par le HVO dans

16 la municipalité de Vitez. Le colonel Landry nous expliquera comment il a

17 lui-même vu cela comme une attaque organisée lancée par le HVO sur ce

18 convoi précis.

19 Enfin, il nous fera part de ses opinions quant à l'influence du

20 plan Vance-Owen sur ce qui a pu se passer par la suite en Bosnie centrale

21 et, d'ailleurs, dans l'ensemble des territoires placés sous le contrôle du

22 HVO.

23 Vous vous en souvenez, Monsieur le Président, j'ai dit qu'il

24 était commandant adjoint de mission, donc il recevait toutes sortes de

25 rapports. Il a vu lui-même ce qu'il s'est passé sur le terrain. Il avait

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1 donc une perception très claire de tout ce qui a pu se passer dans

2 l'ensemble du pays.

3 Il va également parler de la HV, de l'armée croate et de sa

4 participation dans le conflit, comment elle est intervenue entre le HVO et

5 l'armée de Bosnie Herzegovine. Il peut nous faire part de ces informations

6 par le biais de rapports qu'il a obtenus et par le biais de témoignages

7 oculaires.

8 Enfin, il nous fera part de ce qui est, selon lui, la

9 responsabilité de l'accusé dans le cadre des événements qui ont eu lieu en

10 Bosnie centrale.

11 Cette opinion est donc exprimée par un officier de carrière, un

12 officier professionnel. Cette opinion se base sur ce qu'il a pu voir en

13 tant que témoin oculaire des événements qui se sont passés à partir du

14 mois d'avril jusqu'au mois d'août 1993.

15 Enfin, dans le cadre de son témoignage, il va aborder un certain

16 nombre de points qui touchent directement aux actes d'accusation,

17 notamment les paragraphes 1, 3 et 4 de l'acte d'accusation : informations

18 générales, responsabilité du supérieur hiérarchique, paragraphes 5, 5.1 et

19 5.2, paragraphes 6, 6.1 et 6.2, 6.3, 6.6 et 6.7 : chef d'accusation de

20 persécutions. Enfin, le paragraphe 8, il s'agit des attaques illégales,

21 ensuite paragraphe 9, à savoir homicide intentionnel. Paragraphe 10, à

22 savoir les chefs d'accusation 11 à 13, destruction et pillage de biens.

23 Paragraphe 11, chef d'accusation 14, destruction d'édifices consacrés à la

24 religion ou à l'enseignement et enfin, paragraphes 12 et 13 qui relèvent

25 des chefs d'accusation 15 à 20 : traitements inhumains, prise d'otages et

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1 utilisations de boucliers humains.

2 Bien sûr, Monsieur le Président, je tiendrai compte de vos

3 recommandations, je vais laisser le témoin s'exprimer librement, mais de

4 temps en temps, je lui poserai des questions afin de refocaliser son

5 témoignage, sinon, nous pourrions passer des semaines à écouter ce témoin

6 qui nous fait part d'un témoignage particulièrement intéressant. Si cela

7 vous va, nous pouvons introduire le témoin.

8 M. le Président. - La méthode me paraît tout à fait au point,

9 nous pouvons demander au Greffier d'introduire le colonel Landry.

10 M. Hayman (interprétation). - Pour ce qui est de la demande

11 formulée par notre collègue, bien évidemment, nous n'objectons pas à ce

12 que le témoignage soit refocalisé par le biais de certaines questions

13 posées par l'accusation, mais bien sûr, il ne faut pas poser de questions

14 tendancieuses au témoin, qui auraient une influence sur la réponse que

15 celui-ci pourrait formuler.

16 M. le Président. - C'est une observation qui me paraît

17 superfétatoire, les Juges sont là pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de

18 questions tendancieuses, sauf les limites, bien entendu, au fait qu'il

19 s'agit d'un témoin de l'accusation.

20 (Le témoin est introduit dans la salle d'audience).

21 M. le Président. - M'entendez-vous, Colonel ?

22 M. Landry. - Oui.

23 M. le Président. - Pouvez-vous nous rappeler votre nom, votre

24 prénom et votre grade dans l'armée ?

25 M. Landry. - Mon nom est Rémy Landry et je suis Lieutenant-

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1 colonel dans l'armée canadienne.

2 M. le Président. - Vous allez rester debout le temps de lire

3 votre déclaration solennelle, votre serment, comme cela se fait dans

4 toutes les juridictions. C'est le texte que va vous tendre l'huissier.

5 (L’huissier s’exécute)

6 M. Landry. - Je déclare solennellement que je dirai la vérité,

7 toute la vérité et rien que la vérité.

8 M. le Président. - Bien, Colonel, vous pouvez vous asseoir.

9 Le Procureur nous a fait une relation déjà sommaire, mais dense,

10 de ce que sera le contenu de votre témoignage et après quelques questions

11 d'introduction que va vous poser M. Cailey, vous pourrez faire librement

12 votre déposition. Le cas échéant, le Procureur interviendra pour recentrer

13 sur les points qui paraissent essentiels à l'accusation.

14 Je vous rappelle qu'après le Procureur, mais vous le savez déjà,

15 vous serez soumis au contre-interrogatoire de la défense dans le cadre de

16 ce procès Blaskic, pour lequel l'accusé est présent ici dans le box.

17 Maître Cailey, sans plus tarder, nous allons siéger environ

18 jusqu'à 18 heures et demie, nous couperons à une séquence qui paraîtra

19 cohérente et nous reprendrons bien sûr demain en début d'après-midi.

20 Maître Cailey, c'est à vous.

21 M. Cailey (interprétation). - Lieutenant-colonel Landry, je

22 crois comprendre que, dans sa plus grande partie, le travail que vous avez

23 accompli en Bosnie a été fait en langue anglaise ; parfois, vous

24 ressentirez le besoin de vous exprimer en anglais parce que vous parlerez

25 des tâches que vous avez accomplies dans un certain cadre, mais d'une

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1 façon générale, vous tâcherez de témoigner en français, n'est-ce pas ?

2 M. Landry. - Oui.

3 M. le Président. - Ne découragez pas un témoin qui va peut-être

4 s’exprimer en français, Maître Cailey !

5 M. Landry. - Je voudrais juste, tout de même, renchérir à ce que

6 Maître Cailey vient de dire. L'ensemble de mon travail a été fait dans la

7 langue de Shakespeare, la majorité de mes travaux écrits aussi. Je

8 voudrais que la Cour soit compréhensive, peut-être d'occasion en occasion,

9 j'aurai à m'exprimer dans la langue...

10 M. le Président. - .. de Molière ! Vous vous exprimerez dans la

11 langue qui vous paraîtra la plus opportune et efficace pour votre

12 témoignage. Allez-y, Maître Cailey.

13 M. Cailey (interprétation). - Peut-on communiquer au témoin et à

14 la Cour le premier document, à savoir le document 282, un document,

15 Monsieur le Président, qui n'existe qu'en français, vous serez heureux de

16 l'apprendre. Il n'y a pas eu de traduction en anglais de ce document.

17 (Le greffier s'exécute)

18 M. Cailey (interprétation). - Lieutenant-colonel Landry, il

19 s'agit là de votre curriculum vitae. Bien évidemment, je ne vais pas vous

20 demander de le lire aux Juges, mais puis-je très brièvement tâcher de

21 résumer votre carrière ? Vous êtes citoyen canadien, n'est-ce pas ?

22 M. Landry. - Oui.

23 M. Cailey (interprétation). - En 1973, vous avez été assigné à

24 un régiment royal appartenant à l'armée canadienne. Cela faisait suite à

25 cinq années que vous avez passées dans le Collège royal à Montréal. Vous

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1 êtes un officier professionnel d'infanterie, vous avez touché à tous les

2 postes que peut occuper un officier d'infanterie, n'est-ce pas ?

3 M. Landry. - Oui.

4 M. Cailey (interprétation). - Dans le cadre de votre carrière,

5 vous avez été responsable d'un certain nombre de postes de commandement et

6 notamment, vous avez eu sous les ordres jusqu'à six cents hommes, n'est-ce

7 pas ?

8 M. Landry. - C'est cela.

9 M. Cailey (interprétation). - Vous avez également une formation

10 de pilote aérien et vous êtes instructeur à l'école de formation aérienne.

11 M. Landry. - Je ne suis pas pilote mais parachutiste. Pour le

12 reste c'est bien cela.

13 M. Cayley (interprétation). - On peut dire que vous avez passé

14 trente ans de votre vie dans l'armée canadienne et vous avez travaillé

15 également en Allemagne, dans le cadre d’un certain nombre d’opérations

16 M. Landry. – Oui, c’est bien cela.

17 M. Cayley (interprétation). - En 1977, vous avez obtenu un

18 diplôme en sciences politiques à l'université de Montréal et je crois que

19 le sujet de votre thèse était l'origine réelle du conflit en Bosnie-

20 Herzégovine.

21 M. Landry. – Oui, j'ai passé une maîtrise en sciences politique

22 en 1997.

23 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous êtes

24 suffisamment proche du micro pour que tout le monde puisse vous entendre.

25 Votre témoignage aujourd'hui va se baser sur des faits dont vous

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1 avez été témoin oculaire en Bosnie-Herzégovine et sur des rapports établis

2 par l’ECMM et par des informations que vous avez d’ailleurs communiquées

3 au bureau du Procureur.

4 M. Landry. - Oui.

5 M. Cayley (interprétation). - Un certain nombre de médailles

6 apparaissent sur votre poitrine et votre uniforme. Parmi ces décorations,

7 vous avez une des médailles du rang le plus élevé qu'on peut obtenir en

8 temps de paix au sein de l'armée canadienne.

9 M. Landry. - Ce n'est pas une médaille de bravoure, je suis

10 officier de l'ordre du mérite militaire, cette médaille est décernée à une

11 infime partie de la population militaire au Canada.

12 M. Cayley (interprétation). – Merci, Lieutenant-colonel. Venons-

13 en maintenant à la teneur même de votre témoignage, si vous le voulez

14 bien.

15 Ai-je bien raison de dire que vous avez été envoyé en tant que

16 membre de l'ECMM en Bosnie-Herzégovine à la fin du mois de février 1993

17 par le gouvernement canadien ?

18 M. Landry. - Oui.

19 M. Cayley (interprétation). - Mais le Canada ne fait pas partie

20 de l'Union européenne. Pourquoi le Canada a-t-il donc fourni des

21 représentants dans le cadre de cette mission ?

22 M. Landry. - A cette époque, la communauté européenne recevait

23 avec plaisir les pays qui désiraient participer à cette mission. En plus

24 du Canada, la Suède, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie ont envoyé des

25 moniteurs de façon à pouvoir participer à cette mission de surveillance.

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1 M. Cayley (interprétation). - Je crois que le dirigeant de

2 l'ECMM à ce moment était Jean-Pierre Thébault, de France.

3 M. Landry. - L'ambassadeur Thébault était le chef du centre

4 régional de Zenica et non pas le chef de la mission de l’ECMM. Il était

5 bien le chef du centre régional de Zenica.

6 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous-même avez assumé

7 un certain nombre de responsabilités. Vous étiez responsable des

8 opérations et ensuite responsable adjoint. Vous étiez donc directement

9 sous les ordres de M. Jean-Pierre Thébault.

10 M. Landry. – Mon séjour en Bosnie-Herzégovine s'est fait sous la

11 direction de l'ambassadeur Thébault. Comme c'était la pratique au niveau

12 de la Communauté européenne, les nouveaux arrivants faisaient un bref

13 séjour comme moniteur, et selon la durée de leur séjour, leurs aptitudes,

14 ils pouvaient par la suite être appelés à remplir divers postes un peu

15 plus seniors, soit au sein du quartier général à Zagreb, soit au sein des

16 divers secteurs régionaux.

17 M. Cayley (interprétation).- Je crois vous avez participé à une

18 réunion à Zagreb au moment où vous êtes arrivé en Bosnie ou avant d’y

19 arriver.

20 M. Landry. - Il faut bien comprendre que la majorité des

21 moniteurs qui étaient envoyés pour servir avec la Communauté européenne

22 avaient une connaissance plus ou moins limitée du conflit en ex-

23 Yougoslavie. En plus de recevoir une information de nos gouvernements,

24 lorsque nous arrivions en ex-Yougoslavie, nous avions à ce moment-là un

25 apprentissage au quartier général à Zagreb, qui durait quelques jours.

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1 M. Cayley (interprétation). – Pourrait-on montrer au témoin la

2 pièce 283, s'il vous plaît.

3 Pouvez-vous expliquer aux juges quel était l'objectif de ce

4 document ?

5 M. Landry. - Lors de cette période de familiarisation avec les

6 procédures de la mission de la Communauté européenne, naturellement, nous

7 devions assister à une séance d'information sur la situation actuelle où,

8 à ce moment-là, les principaux belligérants, ou du moins, la situation sur

9 le terrain, nous était expliquée de façon assez détaillée, basée sur

10 l'accumulation d'intelligences ou de renseignements que le quartier

11 général de l'ECMM avait à cette époque-là.

12 M. Cayley (interprétation). - Puis-je attirer votre attention

13 sur le paragraphe 27 de ce document ? Et pourriez-vous lire ce document

14 aux Juges, s'il vous plaît ?

15 M. Landry (interprétation). - "Le conseil croate de la défense,

16 le HVO, pense être contrôlé par l'armée croate de Zagreb. Le HVO lance des

17 opérations dans deux zones principales : le Nord de la Bosnie et l'Ouest

18 de l’Herzégovine. Le quartier général se trouve à Mostar, en Herzégovine".

19 M. Cayley (interprétation). - Veuillez maintenant consulter le

20 paragraphe 33, et notamment la troisième phrase de ce 33ème paragraphe.

21 Pourriez-vous nous lire cette phrase à haute voix, s'il vous plaît ?

22 M. Landry (interprétation).- « Ils ont également un soutien qui

23 leur est fourni par des unités paramilitaires, le HOS, des soldats qui

24 sont maintenant intégrés dans le HVO, comme cela était le cas dans le HV,

25 l'armée croate en Croatie ».

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1 M. Cayley (interprétation). - Ce sont des déclarations assez

2 osées, n'est-ce pas ? Etaient-elles fondées sur des informations qui

3 avaient été rassemblées par des moniteurs de l'ECMM ?

4 M. Landry. - Je dois répondre oui à votre question, avec tout de

5 même le caveat, si je peux me permettre, que c'était de l'information qui

6 avait été analysée par la section des renseignements de l'ECMM et à cette

7 époque-là, toutes les informations qu'ils avaient reçues tendaient à

8 confirmer, ou du moins, tendaient dans la direction que les paragraphes 23

9 et 33... la façon dont ils ont été écrits.

10 M. Cayley (interprétation). - Par conséquent, ces deux

11 déclarations étaient l'expression d'opinions que tous les représentants de

12 l'ECMM formulaient ? Ce n'était pas un grand secret ?

13 M. Landry. - Ce n’était pas un grand secret, mais il faut bien

14 comprendre que cette information circulait surtout à l'intérieur de l'ECMM

15 et n'était pas publiée dans les journaux ou dans d'autres documents qui

16 auraient pu être vus par, entre autres, les divers belligérants dans le

17 conflit yougoslave.

18 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous avez parcouru

19 l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine ; je souhaiterais que vous consultiez

20 la pièce 284. Il s'agit d'une carte.

21 (L’huissier s’exécute)

22 M. Cayley (interprétation). - Cette carte représente-t-elle les

23 différentes municipalités de Bosnie-Herzégovine dans lesquelles vous avez

24 passé la plupart de votre temps ? Je pense que vous en avez parcouru

25 d'autres, mais s'agit-il bien de cela ?

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1 M. Landry. - Oui, c'est en plein cela. Vous devez comprendre que

2 le centre régional de Zenica avait comme territoire d'opération l'ensemble

3 des territoires qui étaient sous le contrôle des Bosniaques et du HVO. Et

4 c'est principalement à l'intérieur de ce vaste territoire que j'ai opéré

5 les six mois que j'ai été présent en territoire bosniaque.

6 M. Cayley (interprétation). - Peut-on dire, donc, que vous

7 compreniez assez bien les événements qui avaient lieu dans la majorité de

8 ces municipalités, ces municipalités représentées en gris foncé ? Tout du

9 moins dans la façon dont vous avez reçu les informations, par des

10 rapports, par exemple ?

11 M. Landry. - Il faut bien comprendre que la majorité de mon

12 séjour, je dis bien la majorité de mon séjour, mon lieu de résidence était

13 en Bosnie centrale, mais à compter du moment où j'ai reçu des postes

14 supérieurs, entre autres à partir du moment où on m'a nommé chef des

15 opérations et éventuellement adjoint de M. Thébault, c'est surtout à

16 partir de cette époque que je me suis un peu plus promené sur le

17 territoire bosniaque et que j'étais en mesure d'être en contact avec

18 divers rapports ainsi qu'avec les contacts intimes avec les divers

19 détachements qui composaient le centre régional de Zenica.

20 M. Cayley (interprétation). - Pourrait-on maintenant montrer la

21 pièce 285 au témoin ? Il y a une traduction en français de ce document qui

22 porte la cote 285a.

23 Malheureusement, Monsieur le Président, la traduction française

24 n'est pas totalement terminée, il manque quelques pages, mais cela n'aura

25 aucun effet sur le témoignage du témoin puisqu'il résumera l’essence même

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1 de ce document.

2 Colonel Landry, pourriez-vous expliquer aux juges, en utilisant

3 ce document, dans quelles circonstances la commission conjointe de

4 Busovaca a été créée et quel était son objectif ultime en Bosnie

5 centrale ?

6 M. Landry. - Il faut dire que la création de la commission de

7 Busovaca a été réalisée avant mon arrivée. Comme vous vous rappelez, je

8 suis arrivé en terrain d'opérations au début de mars alors que le document

9 que vous avez devant vous date de février 1993.

10 A cette époque, en février 1993, entre les factions bosniaques

11 musulmanes et bosniaques croates, soit le commandant du troisième camp

12 bosniaque et le commandant de la zone centrale d'opération, il y a eu un

13 cessez-le-feu qui a été décidé et ce cessez-le-feu aurait été plus ou

14 moins parrainé par l'intervention directe de la Communauté européenne à

15 travers le centre régional de Zenica.

16 Ce cessez-le-feu couvrait diverses sections de façon à permettre

17 à l'ensemble de la population de la Bosnie centrale de pouvoir retourner

18 vers une situation normale suite aux diverses séries de conflits et de

19 violences qui avaient résulté des combats initiés, d'après ce qu'on me

20 dit, à l'hiver 1993.

21 Comme tel, suite à cette signature de cessez-le-feu et à cet

22 engagement des divers commandants régionaux, il avait été reconnu que,

23 pour pouvoir implanter ces diverses résolutions, il devait y avoir une

24 commission conjointe avec des représentants des Bosniaques musulmans et

25 des représentants des Bosniaques croates, ainsi qu'une représentation

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1 d'éléments de l’Umprofor, principalement les gens du Britbat, ainsi qu'une

2 représentation présidée par le centre régional d'ECMM, de façon à veiller

3 et à permettre que le tout puisse se faire de façon ordonnée et en

4 l'espace de très peu de temps, et à permettre également d’avoir une

5 tribune officielle où les divers belligérants puissent, à diverses

6 occasions, adresser leurs protêts en ce qui concerne l'application ou non

7 de ces ententes de cessez-le-feu.

8 M. Cayley (interprétation) - Pourrait on maintenant montrer au

9 témoin la pièce 286 s'il vous plaît, et je souhaiterais que cette pièce

10 soit placée sur le rétroprojecteur.

11 (L’huissier s’exécute.)

12 Colonel, s'agit-il de la structure de la commission mixte de

13 Busovaca et du comité de coordination ?

14 M. Landry. - Oui, c'est la structure qu'il y avait lorsque je

15 suis arrivé début mars à Zenica.

16 M. Cayley (interprétation). - Sous "comité de coordination", on

17 voit : "Président du ECMM, commandant du troisième corps de l'armée de

18 Bosnie-Herzégovine et commandement central du HVO", est-ce exact ?

19 M. Landry. - Oui, c'est bien cela.

20 M. Cayley (interprétation). - Et le colonel Stewart en était

21 bien le commandant ?

22 M. Landry. - Oui.

23 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous identifier les autres

24 personnes travaillant dans cette commission mixte ? Vous n'avez pas besoin

25 de préciser, de nous dire quelles étaient les équipes.

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1 M. Landry. - Disons que la commission de Busovaca était composée

2 principalement de deux corps, : un corps qui s'appelait le comité de

3 coordination, qui se regroupait d'une façon régulière, environ une fois

4 par mois, ou au besoin, qui était constitué des principaux signataires du

5 cessez-le-feu ainsi que des membres du groupe de travail ou de la

6 commission de Busovaca.

7 La commission de Busovaca était composée, encore une fois, de

8 quatre sous-éléments qui regroupaient une représentation de trois

9 représentants de l'ECMM. Il y avait en moyenne trois à six représentants

10 de la Forpronu, cela dépendait des besoins logistiques que l'on avait

11 d'eux. Suite à cela, chaque belligérant, si je peux employer ce terme, ou

12 chaque représentant de l'armée BiH et de l'armée HVO était doté de trois à

13 quatre, et occasionnellement cinq représentants.

14 Si vous regardez l'entente qui a été signée au mois de février,

15 vous verrez que certains de ces représentants étaient désignés par noms,

16 représentaient un champ d'actions spécifiques et avaient un rôle

17 spécifique à jouer au sein de la commission. Le fait important est que les

18 deux commandants adjoints, soit le commandant adjoint du troisième corps

19 bosniaque, le général Merdan, et le commandant adjoint du HVO de la zone

20 centrale d'opération du HVO, M. Nakic, étaient sur cette commission.

21 Contrairement à la commission jointe, la commission de Busovaca

22 siégeait d'une façon permanente pratiquement tous les jours. Voulez-vous

23 que je continue, Maitre ?

24 M. Cayley (interprétation). - Savez-vous à quels ordres

25 répondaient les deux commandants adjoints du troisième corps de l'armée de

Page 7547

1 Bosnie-Herzégovine et du commandement central du HVO, quel était le nom

2 des personnes qui étaient leurs supérieurs hiérarchiques ?

3 M. Landry. - Le Général Merdan rapportait directement au

4 Général Hadzjananovic qui était le commandant du 3ème camp. Franjo Nakic

5 rapportait directement au commandant de la zone centrale d'opération HVO,

6 soit, à l'époque, le Colonel Plazic.

7 M. Cayley (interprétation). - Quelle était la nature des

8 plaintes reçues par cette convention et qui émanaient des deux parties ?

9 M. Landry. - La majorité des plaintes que l'on recevait était

10 des plaintes directement dirigées vers la mise en place des diverses

11 ententes qui avaient été signées le 13 février. Vous devez comprendre que

12 cette commission avait principalement deux rôles : celui de surveiller la

13 mise en place des diverses ententes qui avaient été signées et en même

14 temps de pouvoir agir en tant qu'arbitre neutre en ce qui concerne les

15 plaintes formulées soit par le troisième corps, soit par les HVO

16 représentant la zone centrale d'opération.

17 Donc puis-je me permettre de décrire rapidement une journée

18 typique de la commission ?

19 M. Cayley (interprétation). - Une dernière question. Des

20 rapports émanaient-ils des deux parties faisant état de violation du droit

21 humanitaire ?

22 M. Landry. - C'est ce que je voulais vous expliquer. Dans la

23 commission, on débutait le matin par un compte rendu des demandes qui

24 avaient été faites la veille. Suite à cela les deux représentants ou les

25 deux groupes de représentants émettaient des commentaires ou des plaintes

Page 7548

1 concernant la mise en place ou non des ententes du 14 février et par la

2 suite, durant la journée, on se divisait en deux groupes de façon à

3 pouvoir étudier la nature des plaintes qui avaient été émises.

4 Par la suite, les deux représentants seniors Bosniaques

5 musulmans et Bosniaques croates devaient faire un rapport à leur quartier

6 général, étudier les protêts et éventuellement devaient revenir à la

7 commission dans les jours qui suivaient pour faire état des démarches

8 qu'ils avait entreprises pour remédier à ces lacunes.

9 M. Cayley (interprétation). - Pourrait-on soumettre la pièce 287

10 au témoin s'il vous plaît, ainsi que la traduction de ce document en

11 français qui porte la cote 287a ?

12 (L'huissier s'exécute.)

13 Très brièvement, Colonel, pourriez-vous expliquer au juge ce que

14 montre ce document quant à l'application, la mise en place d'ordres

15 ultérieurs que vous avez déjà présentés ?

16 M. Landry. - Lorsque la commission jointe siégeait, la

17 commission de Busovaca devait présenter à la commission jointe un compte

18 rendu sur chacune des sections où le cessez-le-feu du 13 février avait été

19 signé. Donc, ce que vous avez ici est un exemplaire de début avril qui

20 démontre le progrès que les deux factions ont réalisé au cours du dernier

21 mois sur la mise en place des ententes du 13 février.

22 M. Cayley (interprétation). - Puis-je attirer votre attention

23 sur l'ordre 432 qui est : "Retour de la population" ? Pourriez vous

24 expliquer quels progrès ont été réalisés dans ce domaine, c'est-à-dire le

25 retour d'individus dans leur foyer ou dans la région.

Page 7549

1 M. Landry. - Comme il est écrit en français, il faut que vous

2 compreniez que les conflits qui avaient eu lieu en Bosnie centrale

3 n'étaient pas strictement militaires, mais impliquaient la participation,

4 à certains moments, de civils. Plusieurs personnes avaient été déplacées

5 pour des raisons de sécurité, ou s'étaient sauvées pour des raisons de

6 sécurité.

7 Avant de pouvoir pleinement mettre en place toutes les

8 directives qui avaient été signées, il fallait créer un climat de

9 confiance de façon à pouvoir permettre aux gens de revenir librement.

10 Il faut bien comprendre qu'à cette époque, il n'y avait pas

11 beaucoup d'institutions qui fonctionnaient en Bosnie centrale. La police

12 était plus ou moins active, il n'y avait pas de système de justice. Bref,

13 les deux chefs militaires représentaient, à toutes fins pratiques,

14 l'autorité par excellence qui prévalait à cette époque.

15 C'est d'ailleurs pour cette raison qu'à ce moment, on avait

16 décidé de faire cette entente de façon que les deux chefs régionaux

17 puissent initier une série de procédures, pour pouvoir normaliser la

18 situation et que, progressivement, la situation puisse revenir à la

19 normale.

20 Mais il faut bien comprendre qu'on était conscient qu'avant de

21 pouvoir permettre aux gens de réintégrer leur maison, il y aurait

22 définitivement plusieurs autres étapes à accomplir.

23 Le rapport mentionnait donc entre autres qu'on n'avait pas eu le

24 succès escompté et que toutes les ententes de février 1993 n'avaient pas

25 été pleinement mises en application.

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1 M. Cayley (interprétation). - Allons de l'avant. Pourriez-vous

2 nous donner l'exemple d'une enquête menée par la commission mixte de

3 Busovaca (je parle notamment du village de Skradno) et notamment, des

4 événements qui ont eu lieu début mars.

5 M. Landry. - Une de mes premières enquêtes a été d'aller

6 investiguer les plaintes formulées par le côté bosniaque musulman et le

7 fait que la petite enclave de Skradno, qui se trouve tout près de

8 Busovaca, dont la majorité des gens étaient musulmans et avaient des

9 plaintes de harcèlement et d'actes de volontairement.

10 Suite aux protêts que nous avons reçus à ce moment, avec une

11 délégation de la Forpronu, avec des représentants HVO et des représentants

12 bosniaques musulmans, nous nous sommes déplacés pour aller investiguer sur

13 la nature des plaintes dans ce petit village.

14 Je m'en rappelle très bien, car c'était ma première expérience,

15 du moins la première investigation pratique que je faisais depuis mon

16 arrivée en Bosnie.

17 Je suis entré dans le village, qui était naturellement très

18 touché par les pleurs des femmes que j'ai rencontrées à ce moment. Le

19 village de Skradno était principalement un petit village de fermiers, la

20 majorité des travailleurs étaient des femmes avec des enfants, et il y

21 avait certains adultes mâles aussi. Les revendications faites étaient que

22 le village était principalement gardé sous le contrôle de la police et des

23 soldats du HVO. Les gens ne pouvaient pas se déplacer librement.

24 Régulièrement, des vols de véhicules étaient perpétrés, qui

25 indisposaient énormément les gens et empêchaient certains de faire leur

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1 travail. On refusait aux gens de pouvoir aller librement faire des travaux

2 dans leurs champs. De plus, j'étais à même de voir physiquement les

3 plaintes de harcèlement faites contre certaines familles, surtout les

4 femmes avec les enfants.

5 On m'a dit que, régulièrement, des gens venaient les déranger

6 durant la nuit ; des gens vêtus de noir avec des masques forçaient les

7 gens à sortir de la maison. Puis, on procédait à une simulation

8 d'exécution, car à ce moment, les gens étaient alignés sur les murs de

9 leur maison et les gens qui les avaient en vue les pointaient, tiraient

10 sur eux, mais naturellement, sans les blesser.

11 On pouvait voir sur deux maisons les traces que les balles

12 avaient laissées sur les murs légèrement au-dessus de la tête des gens.

13 Vous pouvez comprendre que cela créait un climat assez difficile pour ces

14 gens.

15 Par la suite, on m'a indiqué que si les gens voulaient quitter

16 le village de Skradno, ils pouvaient le faire, dans la mesure où ils

17 signaient un bout de papier disant qu'ils le faisaient librement et qu'ils

18 ne reviendraient pas à Skradno.

19 M. Cayley (interprétation). - Quelle autorité essayait de les

20 convaincre de signer ce papier, à savoir qu'ils quittaient volontairement

21 les lieux ?

22 M. Landry. - Ce que je comprenais, c'était une poche de

23 Musulmans à l'intérieur d'une municipalité qui était sous domination HVO,

24 donc les éléments de police ou militaires qui entouraient ce village

25 étaient directement ou indirectement sous le contrôle des chefs militaires

Page 7552

1 du HVO.

2 M. Cayley (interprétation). - Après avoir mené cette enquête sur

3 cette plainte, avez-vous parlé à Franjo Nakic, le commandant adjoint du

4 HVO, à propos de ce qui s'était passé ?

5 M. Landry. - Je ne crois pas qu'il était avec moi lors de cette

6 première visite mais comme je l’ai déjà dit, il n'y avait pas seulement

7 M. Nakic, il y avait d'autres représentants HVO, présents avec nous

8 lorsque l'on interrogeait les gens. La pratique courante était que ces

9 personnes devaient par la suite faire état de la situation à leur chaîne

10 de commandement.

11 Par la suite, dans un temps raisonnable, ils devaient nous

12 apporter les améliorations sur les lacunes qui leur étaient reprochées.

13 M. Cayley (interprétation). – Est-il exact de dire que, lorsque

14 vous enquêtiez sur ce type d'incident, cette question remontait toujours

15 cette chaîne de commandement dans l'armée de Bosnie-Herzégovine et dans le

16 HVO ?

17 M. Landry. – Oui, effectivement, c'était la nature de la

18 commission. Donc l'entente était qu'éventuellement, ce qui était rapporté

19 par la commission devait faire son chemin et être rapporté directement aux

20 divers quartiers généraux des deux forces.

21 M. Cayley (interprétation). - Je suppose que lorsque vous étiez

22 membre de la commission, vous avez mené des enquêtes sur un certain nombre

23 d'incidents de ce genre ?

24 M. Landry. – Oui, sur plusieurs incidents de cette nature. Bref,

25 comme je le disais, la majeure partie de l'après-midi, toutes nos journées

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1 de délibération étaient spécifiquement dédiées à investiguer la nature des

2 protêts que l'on recevait.

3 M. Cayley (interprétation). - Passons maintenant à un point

4 suivant. Peut-on proposer la pièce 288 au témoin ; sa traduction en

5 français porte la cote 288-a.

6 Pourriez-vous expliquer aux juges quelle est la nature de ce

7 document, comment vous avez participé aux événements et comment vous avez

8 pu conclure, quelle était la structure de commandement, la chaîne de

9 commandement au sein du HVO et de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

10 M. Landry. - Pour essayer de simplifier, la structure des deux

11 groupes d'armée qui nous faisaient face, le commandement opérationnel du

12 HVO et du Bosniaque musulman représentait le niveau opérationnel.

13 Directement en dessous d’eux, il y avait ce qu’on pourrait

14 appeler en termes un peu plus militaires, des brigades, qui étaient

15 directement responsables de certaines municipalités ou de secteurs.

16 En dessous de chacune de ces brigades, il y avait une série de

17 commandants locaux qui étaient peut-être l'équivalent de commandants de

18 bataillons ou de commandants de compagnies.

19 Ce rapport précis explique la progression que l'on faisait. Il

20 faut bien comprendre que les ententes du 13 février avaient été signées au

21 niveau des commandants opérationnels. Leur application devait se faire au

22 niveau des commandants locaux.

23 Donc, la commission a travaillé de façon à ce que l’on soit en

24 mesure de rencontrer les commandants des brigades et ensuite de rencontrer

25 les commandants locaux de façon, entre autres, à pouvoir maintenir un

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1 cessez-le-feu et de façon à pouvoir s'assurer que ces personnes

2 remplissent les tranchées.

3 Il faut comprendre que la situation sortait un peu de

4 l'ordinaire. Les belligérants s’étaient regroupés à l'intérieur de

5 diverses municipalités et des lignes artificielles avaient été créées

6 entre ces municipalités ou ce qu'on pouvait retrouver à l'intérieur d'un

7 même village, une section à majorité croate et une section à majorité

8 musulmane. Ces deux sections, à cause des conflits, avaient établi des

9 postes de surveillance, des tranchées armées avec des équipements

10 militaires qui se surveillaient pratiquement vingt quatre heures par jour.

11 Au moindre signe d'activité belligérante, il y avait une

12 réaction de l'autre côté, et souvent pouvait s'ensuivre une série de coups

13 de feu et même parfois des personnes pouvaient être blessées lors de ces

14 échanges de coups de feu.

15 L'une de nos tâches était de nous assurer une meilleure

16 compréhension et un partage d'informations entre les commandants locaux de

17 façon éventuellement à pouvoir les désengager, espacer les tranchées qui

18 leur permettaient de s'observer mutuellement.

19 On voulait tout simplement faire remplir les tranchées

20 immédiates, toutes proches de ce que je pourrais appeler la ligne de

21 bataille entre les deux côtés belligérants.

22 M. Cayley (interprétation). - Je pense qu'en fait ce rapport

23 indique que vous avez réussi à faire en sorte que les deux commandants

24 locaux recrutent bien la totalité des personnels nécessaires pour leur

25 position.

Page 7555

1 M. Landry. – Oui, mais il faut comprendre qu'aux alentours du

2 6 avril, nous étions très optimistes malgré un départ plutôt laborieux

3 pour regrouper ces personnes. On a dû pondérer et plusieurs fois faire

4 office de médiateur entre les deux sectes de belligérants pour faciliter

5 la progression.

6 Aux alentours du 6 avril, on avait remporté énormément de

7 succès. Ces rencontres avaient lieu régulièrement, soit du côté bosniaque,

8 soit du côté croate et nécessitaient le transport des chefs locaux d'un

9 endroit à l'autre.

10 Lorsqu'on a débuté ces rencontres, elles se faisaient sous

11 escorte blindée de la part des Britanniques. Par la suite, les relations

12 allant de mieux en mieux, on pouvait se servir de nos véhicules légers

13 pour les transporter.

14 Puis, aux alentours du 6 avril, les belligérants locaux se

15 rencontraient sans même la présence d'observateurs de l'ECMM. Les rapports

16 entre eux étaient normalisés. Il y avait de moins en moins de fréquence de

17 cessez-le-feu.

18 Il faut comprendre, encore une fois, que ces gens-là n'étaient

19 pas des ennemis depuis toujours mais souvent, c'étaient des voisins, des

20 gens qui avaient été sur les mêmes bancs d’école, et qui, pour une raison

21 ou une autre, étaient devenus des ennemis.

22 Une fois qu'on a pu initier ce dialogue entre eux au moyen

23 d'échanges fréquents, on a pu être en mesure de renouer certains liens de

24 camaraderie qu'ils avaient entre eux. A cette époque-là, le 6 avril, je

25 dois vous avouer que personnellement, dans mon secteur, qui était surtout

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1 le secteur au sud-est de Busovaca ou la région de Kacuni, de Donje Polje,

2 de Gornji et de Solakovici, les relations étaient excellentes et on

3 progressait vers éventuellement la réalisation et le remplissage de ces

4 tranchées.

5 Mais encore une fois, si je puis me permettre d’ajouter quelque

6 chose, il y avait énormément d'inquiétude à physiquement remplir les

7 tranchées. Les commandants locaux voulaient avoir des ordres écrits de la

8 part de leur commandant de brigade, leur disant clairement et par écrit

9 qu'ils devaient remplir leur tranchée, même si au cours de toutes ces

10 présentations, on avait avec nous les ordres des commandants de niveau

11 opérationnel disant qu'ils acceptaient et qu'ils ordonnaient le

12 remplissage de ces tranchées.

13 M. Cayley (interprétation). - En fait, vous avez fourni au

14 Procureur un exemplaire de cet ordre, pièce à conviction 289, en langue

15 originale, 289-a en traduction française et 289-b en traduction anglaise.

16 J'aimerais que ce document soit montré au témoin.

17 Colonel, vous avez déclaré que des ordres étaient nécessaires

18 pour assurer le comblement des tranchées. Ce niveau de commandement était

19 en fait situé en dessous du commandement opérationnel, est-ce exact ?

20 M. Landry. – Oui, c'est cela.

21 M. Cayley (interprétation). - Vous êtes officier dans l'armée.

22 Qu'est-ce que cela vous indique en ce qui concerne la chaîne de

23 commandement au sein du HVO et de l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

24 M. Landry. - Tout simplement, cela m'indique qu'il y avait

25 énormément de méfiance de la part des gens et les gens ne voulaient pas,

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1 ou du moins les belligérants de niveau de compagnie ou de bataillon, ne

2 voulaient pas être vus comme prenant des initiatives qui pouvaient

3 éventuellement aller à l'encontre de certaines stratégies de leur propre

4 chaîne de commandement.

5 Donc, le fait d'exiger, pour moi, ce genre d'ordre écrit, malgré

6 le fait qu'il y avait déjà eu une publication faite d'une façon très large

7 sur le cessez-le-feu du 13 février, montrait que les gens, à l'intérieur

8 de chacune des chaînes de commandement, voulaient tout simplement se

9 couvrir, couvrir leurs arrières, de façon à ce que les actions qu'ils

10 allaient mener sur le terrain, le remplissage des tranchées, soient

11 couvertes et qu'ils puissent au moins se tourner vers leur propre chaîne

12 de commandement s’ils étaient accusés de trahison ou de quoi que ce soit,

13 pour leur faire bien comprendre qu'ils avaient reçu des ordres écrits pour

14 le faire. Ils avaient énormément de méfiance vis-à-vis de leur propre

15 chaîne de commandement.

16 M. Cayley (interprétation). - Vous avez déclaré que des ordres

17 écrits étaient exigés parce que le contenu des ordres pouvait être

18 contraire à la stratégie de leur propre commandement. Pensez-vous que dans

19 le HVO, la stratégie de la chaîne de commandement n'était pas synchrone

20 avec les activités auxquelles vous participiez vous-même ?

21 M. Landry. - Je dois vous avouer qu'à compter d'avril, il y

22 avait une certaine situation, qui était difficile à expliquer et qui était

23 partagée par l'ensemble des moniteurs du Hos Zenica et de certains autres

24 éléments du quartier général à Zagreb tant du côté local que des gens qui

25 étaient sur le terrain, qui avaient une bonne volonté de vouloir

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1 éventuellement normaliser la situation. Il semblait qu'au niveau du HVO

2 concernant la réalisation d'autres ententes, qu'ils avaient dit qu'ils

3 signeraient, toutes les excuses étaient bonnes pour retarder leur mise en

4 place.

5 A cette époque, il faut bien comprendre que fin mars, début

6 avril, la situation stratégique de l'armée bosniaque est très fragile.

7 L'armée bosniaque doit se battre pratiquement sur deux fronts, les Serbes

8 sont de plus en plus agressifs. C'était l'époque, si vous vous en

9 souvenez, où l'on parlait énormément des zones de sécurité. Les renforts,

10 les convois de ravitaillement commencent à se faire plus rares pour la

11 Bosnie, pour les Bosniaques. Il y a énormément de difficultés pour les

12 Bosniaques à maintenir intact le territoire qu'ils contrôlent, alors que

13 du côté du HVO, il semble à cette époque qu'il soit dans une meilleure

14 position. Il était évident qu'à cette époque, en Bosnie centrale, pour des

15 raisons de meilleurs renforts, de meilleure ligne de communication, le HVO

16 était dans une situation stratégique beaucoup plus forte que celle des

17 Bosniaques.

18 On pouvait donc voir lors de cette période que, autant les gens

19 locaux voulaient normaliser la situation, autant la stratégie HVO était de

20 retarder la mise en place de ces ententes. On peut dire également, pour

21 des raisons stratégiques, que les Bosniaques cherchaient par tous les

22 moyens de satisfaire ces besoins au niveau du HVO, en étant très

23 conciliants sur les exigences, les nouvelles demandes faites par les

24 représentant HVO, avant de mettre en pratique certaines des ententes

25 signées le 13 février.

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1 M. Cayley (interprétation). - Quelle est la date de cet ordre

2 écrit particulier qui a été émis par le commandant de la brigade du HVO de

3 Busovaca et par le commandant de l'armée de Bosnie-Herzégovine de

4 Busovaca ? Je vois le 9 avril.

5 M. Cayley (interprétation). - Il y a le 9 avril et le 8 avril.

6 Je crois que l'ordre en tant que tel n'a pas été signé, si ma mémoire est

7 bonne, en présence des deux généraux. Mais en revanche, l'ordre s'est

8 promené dans un quartier général de brigade et par la suite dans un

9 deuxième quartier général. Mais le tout s’est fait aux alentours du 9 et

10 du 8 avril.

11 M. Cayley (interprétation). - Combien de temps après le premier

12 accord signé par le colonel Blaskic et le colonel Halilovic cet ordre

13 écrit a-t-il été émis par le commandant local de la brigade de Busovaca ?

14 M. Landry. - Il faut bien comprendre que le premier cessez-le-

15 feu avait été signé aux alentours du 13 février. Vous voyez, le tout était

16 signé le 13 février et pratiquement six semaines après, les commandants de

17 brigade donnent des ordres écrits à leurs commandants locaux pour

18 exécuter, entre autres, le remplissage des tranchées.

19 M. Cayley (interprétation). - Que vous indique le laps de temps

20 qui s'est écoulé entre l'accord initial et l'ordre du mois d'avril ?

21 M. Landry. - Evidemment, cela démontre que, même si les

22 intentions initiales étaient de mettre en pratique dès que possible les

23 ententes du 13 février, en pratique la volonté n'était peut-être pas

24 pleinement présente pour effectivement appliquer cette entente de cessez-

25 le-feu. Il y avait un manque évident de confiance entre les factions

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1 belligérantes et on cherchait par tous les moyens à se rassurer avant de

2 faire des actes qui pourraient éventuellement avoir des conséquences

3 tactiques sur les côtés, ou du moins sur le côté, qui était apparemment le

4 plus faible lors de cette période.

5 M. Cayley (interprétation). - Pourrions-nous maintenant parler

6 d'un incident auquel vous avez participé, dans la localité de Solakovici,

7 où vous avez permis la réunion d'un couple de Bosniaques âgés ? J'aimerais

8 que vous expliquiez brièvement les faits relatifs à cet incident et que

9 vous donniez les conclusions que vous avez tirées de ces événements.

10 Qu'est-ce que ces faits vous ont indiqué au sujet du conflit dans la

11 vallée de la Lasva ?

12 M. Landry. - Il faut dire que, lorsque je suis arrivé en

13 territoire bosniaque, j'avais déjà une perception de la situation. J'étais

14 convaincu qu'on avait affaire à un conflit ethnique, que les Catholiques

15 détestaient les Musulmans et vice-versa.

16 Lors de nos rencontres avec les commandants locaux, entre autres

17 dans la région de Solakovici, petit village composé de deux éléments,

18 Gornji Solakovici, qui veut dire en haut et Donji Solakovici, qui veut

19 dire en bas, les Musulmans étaient isolés sur le haut de Solakovici, alors

20 que les Croates étaient au bord de Solakovici et avaient accès au système

21 routier.

22 Lors d'une des premières rencontres qui a eu lieu à

23 Gornji Solakovici, alors que j'escortais les représentants HVO, un

24 vieillard croate est venu me voir en pleurant, me demandant de donner

25 certains objets à son épouse qui, depuis le début du conflit entre les

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1 villageois, avait été séparée de lui. Lorsque le conflit a commencé, son

2 épouse était à la maison dans la partie musulmane, alors que lui était en

3 train de travailler ou de jaser avec les gens de la partie croate, en bas.

4 Depuis quelques mois, il n'avait pas été en mesure d'avoir des nouvelles

5 de son épouse. Il ne savait pas la sécurité de cette dernière, dans quelle

6 condition elle vivait.

7 Suite à cela j'ai pris l'initiative de demander aux

8 représentants croates s'ils voyaient un problème à ce que j'emmène le

9 vieillard, car je dois vous avouer que l'individu devait avoir dans les

10 70 ans, de l'emmener avec nous en haut. Pendant la rencontre, il pourrait

11 voir la situation de son épouse et la façon dont elle était traitée.

12 Pour faire court, finalement j'ai réussi à convaincre les

13 Croates qu'on pouvait laisser cet homme avec son épouse, lorsque j'ai

14 réalisé l'accueil chaleureux que les villageois musulmans lui avaient

15 fait. Les gens m'avaient dit l'appeler "mon oncle". Les commandants locaux

16 musulmans ne voyaient aucun problème à ce que le vieillard soit réuni avec

17 son épouse.

18 Par la suite, j'ai pris l'habitude de les rencontrer

19 régulièrement. Tout semblait bien aller, les gens étaient heureux, je

20 crois que c'était une des occasions, car moi-même je sentais que j'avais

21 pu apporter un peu de bonheur à ces gens.

22 Par la suite, la situation s'est gâtée, les conflits ont repris

23 un peu plus tard et les gens du village de Gornji Solakovici ont été

24 isolés du sud. Un soir, ils ont été bombardés. Je n'ai pas pu les visiter

25 aussi fréquemment que je voulais.

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1 Par la suite, suite à un autre cessez-le-feu, je suis retourné à

2 Gornji Solakovici, pour m'apercevoir que le vieillard n'existait plus.

3 Quelques jours auparavant, il s'était pendu suite au bombardement. Le

4 vieil homme ne comprenait pas du tout ce qu'il se passait dans son pays,

5 il ne pouvait pas comprendre que les gens d'en bas bombardaient ses amis

6 musulmans. C'est son épouse qui l'a découvert pendu vers 3 ou 4 heures du

7 matin.

8 Naturellement, le corps avait été enterré, mais la dame ne

9 voulait pas se séparer de sa maison, elle voulait continuer à demeurer

10 avec les gens et elle n'avait pas été autorisée à suivre le car pour

11 pouvoir donner un service funéraire à son mari.

12 Tout cela pour vous dire que cela me donnait réellement

13 l'impression que les gens ne comprenaient pas ce qu'il se passait. Ils

14 avaient des difficultés à comprendre que leurs amis de toujours étaient

15 devenus des gens perfides, des gens méchants. On semblait comprendre qu'il

16 y avait une volonté au-dessus de ces gens qui les forçait éventuellement à

17 faire des actions qu'ils ne voulaient pas toujours.

18 A partir de ce moment, j'ai bien compris que ce n'était pas une

19 guerre de religions qui avaient lieu, du moins dans le coin où j'étais.

20 C'était plutôt quelque chose d'artificiel qu'on essayait de créer en

21 faisant des incidents, en créant des incidents de violence, d'atrocité et

22 éventuellement en espérant que ces incidents allaient générer de la haine,

23 de la revanche, et par la suite que ça deviendrait de plus en plus

24 difficile de contrôler des gens qui se haïssaient, suite à des atrocités

25 qui avaient été commises soit envers leurs proches, soit envers certains

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1 de leurs amis.

2 M. Cayley (interprétation). - Vous avez dit estimer que les

3 habitants du village avaient, par le passé, de très bonnes relations les

4 uns avec les autres, mais qu'il existait des tentatives destinées à

5 provoquer des incidents de violence. Qui se trouvait derrière ces

6 provocations, à votre avis ?

7

8 M. Landry. - A l'époque, il est tenu évident que pour des

9 raisons de stratégie, que je pourrais éventuellement expliquer plus tard,

10 il semblait qu'il y avait énormément d'incidents provoqués du côté HVO, de

11 façon à pouvoir provoquer des réactions du côté des Musulmans et,

12 éventuellement, d'avoir toutes les raisons d'agir contre ces réactions.

13 Il faut comprendre qu'à ce moment, il était important pour le

14 HVO d'un côté de pouvoir gagner le support international en signant des

15 cessez-le-feu, entre autres, et en adhérant, à cette époque, au mois de

16 mars, début avril, au plan Vance-Owen. Il allait de l'avant, le HVO a été

17 parmi les premières ethnies à signer ce plan. Donc d'un côté on signifiait

18 à la communauté internationale qu'on était très intéressé de poursuivre,

19 d'aller de l'avant, on était conciliant, et d'un autre côté, on pouvait

20 voir que, sur le terrain, c'était une autre stratégie qui se développait.

21 A ce moment-là, on semblait vouloir consolider nos positions, on

22 semblait vouloir entre autres s'assurer que les territoires qui allaient

23 devenir territoires croates sous le plan Vance-Owen allaient être dirigés

24 seulement par des Croates.

25 On voulait s'assurer en plus que la majorité des Croates

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1 demeurent à l'intérieur de ces provinces. On voulait tout faire aussi pour

2 faciliter ou initier le départ des Musulmans, de façon que ces derniers

3 puissent aller en territoire musulman et que les Croates puissent revenir

4 en territoire croate.

5 Je pourrai revenir par la suite au moyen de cartes pour

6 expliquer plus en détail ma compréhension de la situation du moment, à

7 l'intérieur de la Bosnie centrale, situation, il faut bien comprendre, qui

8 avait lieu aussi en Bosnie ou en Herzégovine, s'il s'agit de considérer le

9 siège, que la ville de Mostar avait depuis déjà quelque temps.

10 M. Cayley (interprétation). - Pour en finir avec cette partie de

11 votre déposition, comment décririez-vous le degré de coopération qui

12 existait entre le commandement du HVO et le commandement de l'armée de

13 Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne l'application des cessez-le-feu et

14 des accords liés à ces cessez-le-feu ? Pourriez-vous donner au Tribunal

15 les

16

17 raisons justifiant une éventuelle divergence entre l'optique défendue par

18 les deux commandements ?

19 M. Landry (interprétation). - Je vais répéter ce que j'ai dit

20 auparavant, mais c'était la compréhension, et pas seulement la mienne,

21 mais celle de l'ensemble du centre régional de Zenica, qu'on faisait face

22 à une situation où les deux joueurs ne regardaient pas la situation sous

23 un même angle.

24 Les Bosniaques étaient dans une situation où ils devaient faire

25 face à deux fronts ; ils étaient très conciliants. On voulait garantir dès

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1 que possible une entente avec le HVO de façon à pouvoir se servir des

2 routes de communication qui menaient à la Bosnie centrale, car

3 principalement à cette époque, les HVO contrôlaient les principaux axes

4 qui menaient en Bosnie centrale, d'où on parle de ravitaillement, de

5 pouvoir se ravitailler en denrées et en munitions et en armes.

6 D'un autre côté, il était apparu qu'à ce moment, le HVO avait

7 une situation tactique et stratégique qui était beaucoup plus optimiste

8 pour eux, et à ce moment, ils semblaient au contraire exercer cette

9 position de façon à pouvoir ralentir à leur avantage l'implantation, ou du

10 moins la mise en place de ces diverses ententes de cessez-le-feu, afin

11 d'exercer un meilleur contrôle sur l'ensemble des provinces qui allaient

12 sûrement devenir des provinces sous le contrôle croate HVO.

13 Il faut dire aussi qu'à la même époque, plusieurs rapports

14 circulaient, où il semblait y avoir des ententes non écrites, mais des

15 ententes entre certains éléments ou factions HVO et factions serbes, ce

16 qui, à ce moment, permettait au HVO d'exercer encore plus de pression sur

17 les Bosniaques.

18 Ce n'est pas nouveau de dire que, même à cette époque, il y

19 avait des rapports qui circulaient au niveau de l'ECMM où l’on parlait

20 d'entente tacite entre Milosevic et Tudjman dans le but d'un partage

21 éventuel du territoire bosniaque.

22

23 Ce partage éventuel du territoire bosniaque aurait probablement

24 lieu en regardant le plan Vance-Owen ; les provinces qui, à ce moment,

25 avaient été désignées comme provinces à majorité croate, soit les

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1 provinces.., allaient devenir croates. On voyait effectivement qu'il

2 semblait y avoir une attitude de la part du HVO très intransigeante envers

3 les Bosniaques.

4 Chose curieuse, il faut comprendre aussi qu'à la même époque,

5 depuis le début du conflit, des troupes HVO se battaient à côté des

6 troupes bosniaques au Nord de la Bosnie centrale. Si vous regardez à cette

7 époque la région de Tuzla, vous voyez qu’il y avait des troupes HVO qui,

8 dès le début du conflit, ont toujours été en mesure de supporter et de

9 combattre aux côtés des Bosniaques contre les Serbes.

10 Donc cela nous donnait comme une impression qu'il y avait

11 effectivement quelque chose de bizarre. Pourquoi les Croates ou les HVO de

12 la Bosnie centrale étaient-ils si intransigeants et tardaient-ils tant à

13 coopérer avec les Bosniaques alors que les mêmes HVO, les mêmes Bosniaques

14 croates légèrement au Nord de la Bosnie centrale, ne cherchaient pas à

15 fuir la compagnie des Bosniaques, mais au contraire, se joignaient aux

16 troupes bosniaques pour combattre d'une façon régulière les Serbes ?

17 La seule façon que j'avais d'expliquer cela, c'est

18 qu'effectivement, il y a eu une entente quelque part, et on avait décidé

19 de façon stratégique qu'on concentrerait les HVO au Sud de la Bosnie et

20 que le reste du territoire bosniaque serait éventuellement donné aux

21 Serbes. C'était la compréhension, ou du moins, la seule compréhension que

22 je pouvais, à ce moment, essayer d'avoir. Pourquoi les choses se

23 passaient-elles ainsi ?

24 Encore une fois, je tiens à redire que mes contacts avec la

25 population locale, et Dieu sait que j'en ai eu plusieurs, encore une fois

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1 me démontraient que ces gens-là étaient prêts, non pas à effacer le passé,

2 mais étaient prêts à vouloir coopérer, voulaient demeurer dans leur

3 maison, voulaient rester avec leurs voisins bosniaques ou leurs voisins

4 croates.

5

6 Pour moi, ainsi que pour les gens avec qui on travaillait, la

7 seule façon dont on pouvait comprendre ce genre d'attitude est

8 qu'effectivement, il y avait une stratégie HVO qui cherchait par tous les

9 moyens éventuellement à gagner le contrôle absolu de la Bosnie centrale de

10 façon éventuellement à pouvoir, une fois le fait accompli, se détacher ou

11 partager la Bosnie entre eux et les Serbes.

12 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, je pense

13 que c'est un temps opportun pour effectuer une pause car nous passerons

14 par la suite à un autre secteur dans la déposition de M. Landry.

15 M. le Président. - Tout à fait d'accord avec vous, Maître

16 Cayley. Donc nous reprendrons demain à 14 heures 30.

17

18 L'audience est suspendue à 18 heures 30.

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