Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL  Affaire IT-95-14-T

  2   POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

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  4   Mardi 12 Mai 1998

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  6   LE PROCUREUR

  7   c/

  8   TIHOMIR BLASKIC

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 10   L'audience est ouverte à 10 heures 05.

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 11  Pages 8757-8860 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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  9   (Le témoin est introduit dans la salle d'audience)(Audience publique)

 10   Quel est son nom, Maître Cayley ? Il va nous le dire. Vous

 11   m'entendez, Capitaine ?

 12   M. Liebert. - Oui, Monsieur.

 13   M. le Président. - Très bien. Vous allez rester debout le temps

 14   de prononcer la déclaration solennelle que va vous tendre l'huissier.

 15   Lisez-la.

 16   M. Liebert (interprétation). -  Je déclare solennellement que je

 17   dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 18   M. le Président. - Merci. Avant de vous asseoir, indiquez-nous

 19   votre grade, votre nom et votre prénom.

 20   M. Liebert (interprétation). - Je m'appelle

 21   Capitaine Eric Liebert.

 22   M. le Président. - Asseyez-vous. Capitaine, vous avez été

 23   convoqué devant le Tribunal pénal international dans le procès contre le

 24   Général Blaskic, accusé ici présent, et colonel à l'époque des faits.

 25   Le Procureur nous a donné un sommaire de votre déclaration, les


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  1   points importants qui intéressent le Tribunal. Je vous demanderai de vous

  2   concentrer surtout sur ces points. Après quoi, vous aurez bien entendu les

  3   questions de la défense et éventuellement celles des Juges. Maître Cayley,

  4   voulez-vous commencer ?

  5   M. Cayley (interprétation). - Quelques points avant de commencer

  6   l'interrogatoire, Monsieur le Président. Tout d'abord, je vais poser

  7   plusieurs questions à notre témoin. Monsieur le Président, si vous ne

  8   voulez pas avoir tous les détails, j'aimerais que le témoin parle

  9   simplement d'un certain nombre de dates plutôt que des événements parce

 10   certaines dates sont importantes, si vous en êtes d'accord,

 11   Monsieur le Président. C'est une première chose. Deuxièmement, ce témoin a

 12   des notes dont je n'ai pas donné lecture mais ces notes peuvent être

 13   importantes. Si vous considérez que cela peut être utile -et surtout le

 14   témoin-, il pourra s'y référer.

 15   Maintenant les questions : Monsieur Liebert, est-il vrai que

 16   vous êtes rentré à l'armée canadienne en tant que (...?). Vous avez

 17   appartenu à la brigade de la Princess Trissa de l'infanterie 95 ?

 18   M. Liebert (interprétation). - Oui.

 19   M. Cayley (interprétation). - Vous avez eu un certain nombre de

 20   commandements au-dessus de vous ?

 21   M. Liebert (interprétation). - Oui.

 22   M. Cayley (interprétation). - Ensuite, vous êtes allée dans le

 23   22e régiment canadien royal.

 24   M. Liebert (interprétation). - Oui. J'étais effectivement un

 25   officier d'échange au 22ème régiment.


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  1   M. Cayley (interprétation). - Je vais changer quelque chose dans

  2   le compte rendu. Ce n'était pas 1995 mais 1985. L'année n'était pas bonne.

  3   M. Liebert (interprétation). - Oui, 1985.

  4   M. Cayley (interprétation). - Le régiment royal avait pour

  5   mission du gouvernement canadien de faire partie de la Forpronu en Bosnie.

  6   C'était en avril.

  7   M. Liebert (interprétation). - Effectivement, nous avons fait

  8   partie de la Forpronu entre le mois d'avril 1993 jusqu'au début de

  9   novembre 1993.

 10   M. Cayley (interprétation). - Je pense que vous vous êtes

 11   d'abord rendu en République de Croatie en avril 1993 et que vous êtes

 12   ensuite passé en Herzégovine le 30 avril 1993 ?

 13   M. Liebert (interprétation). - Oui.

 14   M. Cayley (interprétation). - Vous êtes resté jusqu'au début de

 15   novembre 1993 ?

 16   M. Liebert (interprétation). - Oui, au début novembre 1993.

 17   M. Cayley (interprétation). - Pendant votre séjour en Bosnie-

 18   Herzégovine, vous étiez l'officier de liaison ?

 19   M. Liebert (interprétation). - Oui.

 20   M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous nous décrire vos

 21   activités ?

 22   M. Liebert (interprétation). - Ma responsabilité en tant

 23   qu'officier supérieur de liaison était d'abord de coordonner mes activités

 24   ainsi que celles des officiers de liaison qui m'ont été subordonnés. Mes

 25   responsabilités principales portaient sur la coordination des activités,


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  1   les opérations de mon groupe de combat avec la Croix-Rouge internationale

  2   et avec le HCR. Il s'agissait donc de la protection, de l'organisation des

  3   Organisations non gouvernementales qui se trouvaient sur place. C'était

  4   une de mes tâches.

  5   Je remplissais aussi ces tâches vis-à-vis des unités de renfort

  6   et assurais la liaison avec notre commandement principal. S'y ajoutaient

  7   un certain nombre des tâches spécifiques que j'ai reçues sous forme

  8   d'ordres du commandement de bataillon.

  9   M. Cayley (interprétation). - Vous parlez des unités de

 10   protection qui provenaient d'autres pays ?

 11   M. Liebert (interprétation). - Oui.

 12   M. Cayley (interprétation). - Etiez-vous en contact avec

 13   d'autres bataillons, les bataillons britanniques de Vitez ?

 14   M. Liebert (interprétation). - Oui, la plupart du temps, quand

 15   j'ai parlé des unités d'aide, c'est que j'ai coopéré avec eux.

 16   M. Cayley (interprétation). - Pièce à conviction 362 :

 17   Capitaine Liebert, auriez-vous l'amabilité de nous donner plus

 18   d'explications sur cette carte, sur ce qu'elle représente ?

 19   M. Liebert (interprétation). - Sur cette carte, les parties en

 20   gris représentent les régions où le bataillon canadien se trouvait pendant

 21   que j'y étais, pendant ma mission d'officier de liaison. Vous voyez que

 22   notre zone d'opérations allait de Tarcin, vers le sud, jusqu'à la commune

 23   d'Olovo, au nord. Il y a Vares et Olovo. Ensuite, en dehors de notre zone

 24   opérationnelle, se trouvait l'enclave de Srebrenica, tout à fait à l'est.

 25   Nous avions les deux compagnies là-bas.


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  1   M. Cayley (interprétation). - Les deux pelotons d'infanterie

  2   étaient donc à Srebrenica ? Ils étaient donc totalement séparés de Vares

  3   et d'Olovo ?

  4   M. Liebert (interprétation). - Oui. Il y avait plus de

  5   100 kilomètres.

  6   M. Cayley (interprétation). - Y avait-il une possibilité de

  7   communication ?

  8   M. Liebert (interprétation). - Non. Ce n'était pas facile,

  9   c'était pratiquement impossible. Nous pouvions éventuellement nous

 10   déplacer toutes les six semaines en appliquant une véritable coordination

 11   avec les Serbes de Bosnie. Il fallait donc passer par Tuzla, jusqu'à

 12   Svornik vers le sud, pour rejoindre l'enclave de Srebrenica.

 13   M. Cayley (interprétation). - Comment le commandant du groupe de

 14   Visoko était-il en contact avec Srebrenica ?

 15   M. Liebert (interprétation). - Nous avions la radio ainsi que

 16   les portables, les téléphones par satellite, pour maintenir la

 17   communication de minutes en minutes, d'heures en heures. A deux, trois, et

 18   même à quatre reprises, pendant que j'étais là-bas, le commandant s'est

 19   rendu à Srebrenica et s'est déplacé par hélicoptère. Il est un fait qu'il

 20   allait rarement à Srebrenica.

 21   M. Cayley (interprétation). - Votre commandant considérait-il

 22   que ce n'était pas sous son contrôle ?

 23   M. Liebert (interprétation). - Non, non.

 24   M. Cayley (interprétation). - Capitaine Liebert, est-ce

 25   l'habitude, lors des opération militaires, que les éléments des forces


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  1   militaires soient séparés par rapport au quartier général, par rapport au

  2   commandement ?

  3   M. Liebert (interprétation). - C'est une chose normale quand il

  4   s'agit des opérations des Nations Unies.

  5   M. Cayley (interprétation). - Avez-vous été incorporé dans

  6   d'autres opérations militaires lors desquelles vous étiez séparé de votre

  7   quartier général ? Vous ne pouviez donc pas les rejoindre fréquemment ?

  8   M. Liebert (interprétation). - Oui, en 1990, lorsque j'étais à

  9   Chypre, je me suis trouvé dans la poche de Longuine, et j'étais séparé de

 10   mon bataillon par 26 kilomètres, à peu près. Il y avait également une

 11   différence entre les compagnies qui se trouvaient dans toute cette région.

 12   Par conséquent, entre moi-même et les deux quartiers généraux, il y avait

 13   un certain nombre de points de contrôle qui avaient été contrôlés par les

 14   Grecs, soit chypriotes, soit turcs. Les déplacements n'étaient pas

 15   faciles, surtout la nuit. Il fallait bien coordonner tout cela.

 16   M. Cayley (interprétation). - Maintenant, nous allons revenir à

 17   la République de Bosnie-Herzégovine. Voulez-vous bien, Capitaine Liebert,

 18   faire votre déposition devant les Juges et nous dire quels étaient vos

 19   premiers contacts avec M. Rajic du HVO et avec Vinko Lutic ?

 20   M. Liebert (interprétation). - Je pense que la première fois que

 21   j'ai visité ce quartier général, c'était au moment où je devais recevoir

 22   les ordres. Mes premiers souvenirs datent de cette époque.

 23   Je me souviens que M. Rajic, à l'époque où je l'ai rencontré

 24   pour la première fois, ainsi que tous ceux qui l'entouraient, c'est-à-dire

 25   les membres du quartier général, tous ceux qui l'accompagnaient, avaient


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  1   une attitude bien définie. J'avais tout au moins l'impression que M. Rajic

  2   ne faisait pas trop attention à la situation dans laquelle se trouvait la

  3   population musulmane, notamment dans la région qui était sous son contrôle

  4   et sous son commandement. J'avais également dit que j'étais fort préoccupé

  5   de voir qu'il ne pensait pas à cette population. D'après la réponse,

  6   c'était tout simplement une plaisanterie, ce n'était pas tout à fait

  7   vrai ; je me préoccupais pour rien car tout ce qui se passait avec des

  8   civils n'était que des plaisanteries, ce n'était pas sérieux. Il disait

  9   même que tout ceci, au fond, ne pourrait, en fin de compte, qu'améliorer

 10   la situation. Tels sont mes souvenirs.

 11   M. Riad (interprétation). - A quoi pensez-vous ?

 12   M. Liebert (interprétation). - Que le départ des civils

 13   musulmans allait améliorer la situation dans la région. C'est ce à quoi il

 14   pensait.

 15   M. Cayley (interprétation). - Capitaine, quel était le rôle de

 16   M. Rajic au quartier général ?

 17   M. Liebert (interprétation). - Il était commandant, c'était

 18   évident. Il avait également contrôlé les soldats dans sa région.

 19   M. Cayley (interprétation). - Qui était M. Vinko Lucic ?

 20   M. Liebert (interprétation). - Monsieur Vinko Lucic communiquait

 21   avec le public. Il était le porte-parole, si je peux dire ainsi, aussi

 22   bien de M. Rajic que pour d'autres fonctionnaires du HVO ou des

 23   commandants du HVO qui étaient au-dessus.

 24   M. Cayley (interprétation). - La première fois que vous avez

 25   rencontré M. Lucic, quelle était son attitude vis-à-vis de la population


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  1   musulmane ?

  2   M. Liebert (interprétation). - Monsieur Lucic partageait

  3   exactement le point de vue de M. Rajic et de ceux qui l'entouraient à

  4   cette époque.

  5   M. Cayley (interprétation). - Saviez-vous quels étaient les

  6   quartiers généraux qui étaient sous le contrôle de Kiseljak ?

  7   M. Liebert (interprétation). - Je pense que les trois brigades

  8   étaient sous le contrôle de M. Rajic. Une de ces brigades avait opéré dans

  9   la zone Fojnica Kresevo et c'est M. Branko Stanic qui en était le

 10   commandant à cette époque. Il y avait également une autre brigade de la

 11   région de Kiselja. Je ne peux pas me souvenir exactement du nom du

 12   commandant, mais j'ai eu très peu de contacts avec celui-ci. De toute

 13   façon, une troisième brigade -la brigade de Bobovac- se trouvait dans la

 14   zone de Vares et était sous le contrôle d'Emil Herak.

 15   M. Cayley (interprétation). - Avez-vous été informé de

 16   l'importance d'un commandant à Kiseljak ? Qui était le commandant le plus

 17   important de Kiseljak ?

 18   M. Liebert (interprétation). - A ma connaissance, c'était

 19   M. Blaskic et c'est lui qui était le commandant de Rajic. Je recevais ces

 20   informations par les Britanniques.

 21   M. Cayley (interprétation). - Voulez-vous montrer, s'il vous

 22   plaît, la pièce à conviction 363 ? Monsieur le Capitaine, c'est bien vous

 23   qui avez fait ce schéma à ma demande ? Il se trouve dans l'ordinateur.

 24   D'après vous, est-il exact vu la structure et l'organisation du

 25   commandement ?


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  1   M. Liebert (interprétation). - Oui, c'est un schéma qui est

  2   exact.

  3   M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous expliquer aux Juges

  4   ce que M. Emil Herak en pensait ? Quel était exactement le rôle de

  5   M. Zvonko Bronko ?

  6   M. Liebert (interprétation). - Monsieur Herak a été le plus

  7   modéré dans Vares, du côté des Croates bosniaques. Il se trouvait dans une

  8   situation quelque peu délicate. Vares a été encerclé aussi bien par

  9   l'armée bosniaque, par les Croates de Bosnie, que par les Serbes. Je n'ai

 10   personnellement jamais vu qu'il avait véritablement partagé le point de

 11   vue des autres commandants. Je suis convaincu que M. Zvonko Duzinovic*

 12   était effectivement quelqu'un qui avait des responsabilités au niveau de

 13   Vares et qu'il était en quelque sorte de la sécurité. Il se trouvait dans

 14   une structure différente. Il n'a pas travaillé pour Emil Herak et,

 15   personnellement, j'ai eu l'impression, lors de mes rencontres avec

 16   M. Herak, que les forces de sécurité le menaçaient de temps à autre, peut-

 17   être pas directement mais il a été fort préoccupé concernant l'attitude de

 18   ces gens-là. D'après moi, il s'agissait d'une section sécurité qui devait,

 19   en quelque sorte, compenser le comportement de M. Herak qui était modéré,

 20   ainsi que de ceux qui l'étaient également autour de lui, et donc de mettre

 21   en application les ordres qui venaient d'un niveau supérieur.

 22   M. Cayley (interprétation). - Vous a-t-il parlé des Musulmans ?

 23   M. Liebert (interprétation). - Monsieur Dujinovic était le plus

 24   grand extrémiste que j'ai pu rencontrer lorsque je travaillais en Bosnie

 25   centrale avec les Croates bosniaques. Je me souviens d'un événement : je


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  1   me souviens qu'à un moment donné, il m'avait tenu tout un propos sur les

  2   Musulmans bosniaques qui devaient partir de cette région et qui ne

  3   devaient absolument pas y rester. Les raisons du conflit, selon

  4   M. Dujinovic, étaient tout simplement que les Musulmans étaient d'une race

  5   inférieure. Il a toujours parlé des Turcs en parlant des Musulmans, et

  6   donc des êtres qui sont inférieurs aux autres.

  7   M. Cayley (interprétation). - Revenons maintenant au quartier

  8   général de Sojera Kiseljak. D'après vous, a-t-il été bien organisé ?

  9   M. Liebert (interprétation). - D'après mes premières

 10   impressions, il s'agissait véritablement d'un quartier général qui était

 11   très bien organisé. Il y avait d'abord une caserne qui avait été

 12   construite dans ce but par la JNA. C'était donc une caserne très bien

 13   organisée.

 14   Lorsque je m'y suis rendu, il y avait un garde à la grille. Il

 15   demandait quelqu'un pour m'accompagner jusqu'à l'endroit où je devais me

 16   rendre, jusqu'au bureau. Il y avait tout un complexe. Il y avait plusieurs

 17   bureaux comme n'importe quel édifice au Canada de ce genre. Il y avait

 18   tout le personnel, le secrétariat, l'administration, d'autres

 19   subordonnés... tous ceux qui étaient des principaux dans le quartier

 20   général. Monsieur Rajic avait des subordonnés. Il y avait également le

 21   directeur du quartier général.

 22   En conclusion, je dirais qu'il s'agissait, pour ce qui concerne

 23   le contrôle et le commandement, d'une structure qui était très bien

 24   organisée.

 25   M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, je vais


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  1   terminer la première partie de ce témoignage. L'autre partie est assez

  2   longue, et c'est donc à vous de décider si nous continuons ou non.

  3   M. le Président. - Nous continuerons jusqu'à moins le quart,

  4   Maître Cayley, puisque nous avons commencé à 14 heures 45. Nous pouvons

  5   tout à fait commencer cette seconde partie.

  6   M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

  7   Monsieur Liebert, au mois de mai, quand vous avez visité le village de

  8   Rotilj et Visnjica, vous pourriez peut-être nous dire quelles étaient vos

  9   premières impressions. Je vais également vous demander de montrer la pièce

 10   à conviction 34-64. Je crois qu'il s'agit, une fois de plus, d'une pièce à

 11   conviction que nous avons préparée et qui est inversée par l'ordinateur.

 12   Pourriez-vous expliquer au Tribunal la route qui mène à l'entrée du

 13   village (le cercle n° 1), puis ce que vous avez rencontré quand vous avez

 14   emprunté cette route qui fait un cercle ?

 15   M. Liebert (interprétation). - Oui, vous avez ici une

 16   photographie aérienne. Je vais essayer de faire de mon mieux pour désigner

 17   le chemin que j'ai emprunté lorsque j'ai visité cette zone pour la

 18   première fois, en commençant par la ville de Kiseljak. J'étais accompagné

 19   de mon homologue. Nous avons approché le village de Rotilj à partir d'une

 20   route qui commençait à Kiseljak et qui traversait un barrage routier,

 21   environ ici. Ce barrage routier était entre les mains des soldats du HVO

 22   et il y avait, à ce moment-là encore, une liberté de mouvement

 23   relativement importante.

 24   Nous avons donc traversé ce barrage routier sans trop de

 25   difficulté et nous sommes entrés dans la zone qui est ici encerclée. A cet


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  1   endroit, j'ai rencontré les premières maisons visiblement endommagées dans

  2   cette région. C'est la première fois que j'ai pu constater les effets de

  3   ce qui s'était produit à cet endroit. L'impression que j'en ai retiré

  4   était extrêmement marquante et frappante, car j'ai été frappé par la

  5   nature chirurgicale de cette action, et j'utilise ce terme car des maisons

  6   (une, deux ou trois maisons) étaient brûlées et, au milieu, vous pouviez

  7   voir une maison intacte et encore habitée. Un peu plus loin, vous alliez

  8   rencontrer davantage de maisons détruites. Il n'y avait pas de schéma

  9   immédiatement visible. Et, en parlant aux habitants, j'ai compris

 10   rapidement que les maisons endommagées appartenaient à des civils

 11   musulmans bosniaques et, dans bien des cas, les maisons intactes

 12   appartenaient à des Croates bosniaques. Il y avait encore des maisons

 13   habitables dans cette région, qui n'étaient pas endommagées ou légèrement

 14   endommagées, qui appartenaient à des Musulmans bosniaques, mais c'était

 15   très frappant et surprenant de voir comment ces maisons avaient été

 16   endommagées.

 17   Compte tenu de mon expérience à Chypre, qui était mon seul point

 18   de comparaison, la manière dont on avait endommagé ces maisons était

 19   également quelque peu surprenante. Dans la plupart des cas -dans une

 20   majorité des cas-, les quatre murs de la maison étaient intacts et il n'y

 21   avait pas de "dommages de bataille" comme vous en voyiez dans la zone

 22   tampon à Chypre, la zone où j'ai travaillé. Nous avons poursuivi par cette

 23   route jusqu'à la deuxième partie du village. Les dégâts sur cette partie

 24   étaient moins importants. Nous avons fait le tour par ce chemin jusqu'à

 25   Visjnica, ici. A Visjnica, à la limite de l'écran, un certain nombre de


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  1   maisons étaient encore intactes.

  2   Moi-même et le capitaine Lambert, qui m'accompagnait, nous

  3   sommes arrêtés pour prendre un café. Nous avons bu le café avec quelques

  4   hommes qui se sont avérés être des Croates bosniaques et nous avons pris

  5   quelques minutes là-bas. Nous nous sommes détendus et nous avons essayé de

  6   nouer contact avec les villageois. Au cours de cette réunion, les deux

  7   hommes âgés, Croates bosniaques, qui nous accompagnaient, nous ont dit

  8   qu'ils avaient aidé à mettre le feu aux maisons de leurs voisins. J'ai

  9   trouvé cela relativement surprenant. En effet, ils étaient peut-être âgés

 10   de 55 à 65 ans. Par ailleurs, si j'avais bien compris l'histoire de la

 11   région, ils avaient cohabité avec ces personnes depuis environ trente ans.

 12   Ma première question a donc été : "Pourquoi avez-vous fait cela si vous

 13   avez coexisté avec ces personnes depuis si longtemps ?" Ils m'ont répondu

 14   que le moment était venu pour eux de partir. Cela a plus ou moins mis un

 15   terme au café et nous avons décidé de poursuivre notre voyage.

 16   Nous avons continué le long de la route et nous sommes entrés

 17   dans la zone encerclée qui porte le n° 2. A l'extrémité droite se trouve

 18   la mosquée de Visjnica qui avait été détruite et brûlée avant notre

 19   arrivée ainsi que plusieurs maisons dont l'état ressemblait à ce que

 20   j'avais vu quand je suis entré dans le village pour la première fois. La

 21   manière dont la destruction avait été perpétrée montrait une

 22   discrimination. Il y avait des maisons intactes à proximité de maisons qui

 23   avaient subi des dégâts.

 24   Nous avons achevé notre tour. Je ne me souviens plus exactement

 25   où nous nous sommes arrêtés, mais nous avons rejoint la route et nous


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  1   sommes rentrés au camp. C'était ma première visite dans cette zone de

  2   Rotilj, Visjnica.

  3   M. Cayley (interprétation). - Quelle était l'étendue des dégâts

  4   que vous avez constatés ?

  5   M. Liebert (interprétation). - La destruction, les dégâts, comme

  6   vous le voyez, étaient relativement dispersés, n'étaient pas concentrés.

  7   Mais certaines zones étaient détruites. Les maisons détruites n'étaient

  8   plus habitables. Elles étaient essentiellement brûlées.

  9   M. Cayley (interprétation). - Savez-vous quand elles ont été

 10   brûlées ?

 11   M. Liebert (interprétation). - Les renseignements que j'ai reçus

 12   du capitaine Lambert et d'autres informations du capitaine Lanthier

 13   m'amènent à penser que ces dégâts étaient intervenus environ deux semaines

 14   auparavant. Je n'ai pas assisté à des dégâts dans cette zone à ce moment-

 15   là.

 16   M. Cayley (interprétation). - Vous ne connaissez donc pas les

 17   personnes qui ont mis le feu à ces maisons ?

 18   M. Liebert (interprétation). - Exactement.

 19   M. Cayley (interprétation). - A l'époque, avez-vous eu la

 20   possibilité de voir la mosquée de Kiseljak ?

 21   M. Liebert (interprétation). - Si mes souvenirs sont bons, soit

 22   au cours de cette visite ou peu de temps après, j'ai vu la mosquée de

 23   Kiseljak et, si mes souvenirs sont bons, cette mosquée était endommagée au

 24   moment où j'y suis arrivé. On y avait mis le feu.

 25   M. Cayley (interprétation). - C'était début mai 1993 ?


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  1   M. Liebert (interprétation). - Oui, c'est exact.

  2   M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous dire au Tribunal ce

  3   que vous savez des activités de la radio de Kiseljak ?

  4   M. Liebert (interprétation). - Bien entendu, ma connaissance

  5   directe de Radio Kiseljak est limitée car l'essentiel de leurs programmes

  6   étaient en serbo-croate et donc incompréhensibles pour moi. Toutefois, je

  7   crois savoir que Radio Kiseljak a joué un rôle relativement actif en terme

  8   de propagande pour le HVO, le HDZ, les forces croates bosniaques. Ce qui

  9   m'amène à penser de la sorte, c'est qu'à une autre occasion, j'ai eu des

 10   entretiens avec des personnes en dehors de la poche de Kiseljak, de la

 11   zone contrôlée par les Croates bosniaques, et ces personnes avec qui

 12   j'avais eu des entretiens souhaitaient que je transmettre des

 13   renseignements à leur famille sur leur état pour dire que tout allait

 14   bien. Etant donné que ces renseignements n'avaient aucune signification

 15   militaire, je les ai transmis à un représentant de la Forpronu à Kiseljak.

 16   Les renseignements ont été transmis par la suite aux personnes en

 17   question, à Kiseljak, par radio. La fois suivante, lorsque j'ai revu ces

 18   personnes, elles étaient extrêmement fâchées contre moi car ces

 19   renseignements avaient été diffusés par cette radio. Elles m'ont dit très

 20   clairement que selon elles, j'avais mis leur famille en danger en

 21   transmettant les renseignements de la sorte. Je ne m'attendait pas à cela

 22   et j'ai été très surpris de leur réaction.

 23   M. Cayley (interprétation). - Les personnes que vous avez aidées

 24   en transmettant ces renseignements étaient des Musulmans bosniaques ?

 25   M. Liebert (interprétation). - C'est exact.


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  1   M. Cayley (interprétation). - Essayons d'avancer dans le temps

  2   maintenant et d'arriver au 13 mai 1993, lorsque vous avez eu une réunion à

  3   Zenica. Je crois que c'était votre première réunion en qualité d'officier

  4   de liaison avec les organisations non gouvernementales qui travaillent en

  5   Bosnie centrale. Pourriez-vous dire au Tribunal de quoi vous avez parlé au

  6   cours de cette réunion ?

  7   M. Liebert (interprétation). - La date de la réunion était le

  8   3 mai et non pas le 13 mai.

  9   M. Cayley (interprétation). - Je vous prie de m'excuser.

 10   M. Liebert (interprétation). - C'était ma première réunion à

 11   Zenica. C'est ce que nous décrivions comme une réunion avec les ONG ou les

 12   organisations non gouvernementales. Elle était présidée par le HCR. Y ont

 13   participé toutes les organisations non gouvernementales ainsi que le

 14   comité international de la Croix-Rouge. Y ont également assisté un

 15   représentant du bataillon canadien, un représentant du bataillon

 16   britannique et également un représentant du bataillon de transports

 17   néerlandais et si possible, un représentant du quartier général du HCR à

 18   Kiseljak.

 19   Au cours de cette réunion précise -et je fais référence à mes

 20   notes-, nous avons parlé des points suivants : premièrement (c'est

 21   Mme Margaret Green qui a soulevé ce point ; elle était officier juridique

 22   à Zenica à l'époque), nous avons parlé du nettoyage ethnique de la zone

 23   dont nous pensions qu'il allait se poursuivre. C'était une remarque

 24   d'ordre général pour la Bosnie centrale. Nous avons également dit que nous

 25   n'avions pas énormément de renseignement sur le nombre de ces personnes à


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  1   Visoko et à Kiseljak, ou sur leur état à l'époque. On m'a également

  2   informé du fait que le HVO avait commencé à publier des avis d'expulsion

  3   dans ces zones. Des activités semblables n'avaient pas été rapportées dans

  4   les zones contrôlées par l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il était fait état

  5   d'activités de l'armée serbe-bosniaque dans la région de Banja Luka,

  6   notamment d'activités de nettoyage ethnique, et de rapports selon lesquels

  7   2 000 personnes déplacées allaient vers Novi Travnik. Environ

  8   1 200 personnes déplacées avaient quitté Kiseljak pour se rendre à Visoko.

  9   Puis nous avons parlé de diverses questions administratives.

 10   M. Cayley (interprétation). - Les avis d'expulsion émis par le

 11   HVO étaient-ils adressés à des civils musulmans bosniaques ?

 12   M. Liebert (interprétation). - Oui.

 13   M. Cayley (interprétation). - Les 1 200 personnes étaient-elles

 14   des Musulmans bosniaques ?

 15   M. Liebert (interprétation). - Oui. C'est la manière dont j'ai

 16   compris ces renseignements. Il s'agit de renseignements qu'on m'a

 17   rapportés.

 18   M. Cayley (interprétation). - Le nettoyage ethnique visait-il la

 19   population musulmane bosniaque de Bosnie centrale ?

 20   M. Liebert (interprétation). - C'est la manière dont j'ai

 21   compris les choses à ce stade du conflit.

 22   M. Cayley (interprétation). - C'était la manière dont toutes les

 23   personnes représentant ces ONG voyaient les choses ?

 24   M. Liebert (interprétation). - C'étaient essentiellement des

 25   renseignements fournis au groupe dans son ensemble. Ils n'ont peut-être


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  1   pas été exposés par la même personne, mais il s'agissait de points qui ont

  2   été discutés devant ce groupe.

  3   M. Cayley (interprétation). - Nous sommes sur le point d'entrer

  4   dans un autre point majeur, Monsieur le Président, qui me prendra plus de

  5   cinq minutes. Je peux commencer si vous le souhaitez ou m'en tenir là.

  6   M. le Président. - Non, Maître Cayley. Nous allons nous en tenir

  7   là. Il est 17 heures 45. Nous allons donc reprendre l'audience demain

  8   matin à 10 heures, et on me signale que nous passerions dans la salle

  9   d'audience n° 1. C'est cela, Monsieur le greffier ?

 10   M. Dubuisson. - C'est bien cela, Monsieur le Président.

 11   M. le Président. - Mais pour la journée ?

 12   M. Dubuisson. - Pour la journée, ainsi que jeudi.

 13   M. le Président. - Après cette incursion en Chambre n° 2, nous

 14   reviendrons dans notre première salle d'audience.

 15   L'audience est levée, elle reprend donc demain matin à

 16   10 heures, salle d'audience n° 1.

 17   (Le témoin est reconduit à l'extérieur du prétoire)

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 19   L'audience est levée à 17 heures 45

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