Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 16 avril 2007

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Veuillez appeler l'affaire,

6 je vous prie.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur

8 les Juges, il s'agit de l'affaire IT-04-82-T, le Procureur contre Ljube

9 Boskoski et Johan Tarculovski.

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie beaucoup. Les

11 parties s'étaient déjà présentées mais étant donné que nous en sommes au

12 tout début de ce procès, je pense que nous demanderons à nouveau aux

13 parties de se présenter pour que toutes les personnes qui suivent ces

14 débats les entendent.

15 Monsieur Saxon, je vous prie.

16 M. SAXON : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je suis Dan

17 Saxon pour l'Accusation. Je suis ici avec mes consoeurs et confrères, Mme

18 Joanne Motoike; M. Neuner ainsi que notre commis aux audiences qui se

19 trouve à ma gauche, Mme Lakshima Walpita.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

21 Qu'en est-il de la Défense.

22 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

23 Monsieur le Juge. Je suis Maître Edina Residovic et je suis aidée de Me

24 Guenal Mettraux, co-conseil; ainsi que de notre commis aux audiences, M.

25 Residovic.

26 Je vous remercie.

27 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

28 Maître Apostolski.

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1 M. APOSTOLSKI : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Je

2 représente les intérêts de M. Johan Tarculovski. Je suis Maître Antonio

3 Apostolski, je suis également aidé de mon co-conseil, Me Jasmina Zivkovic

4 et de Jordan Apostolski, qui est le commis aux audiences.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vais dans un premier temps entendre

6 -- m'assurer plutôt du fait que M. Boskoski peut suivre les débats dans une

7 langue qu'il comprend.

8 L'ACCUSÉ BOSKOSKI : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je peux

9 suivre dans une langue que je comprends.

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

11 L'ACCUSÉ TARCULOVSKI : [interprétation] Moi aussi, Monsieur le Président,

12 je peux vous entendre.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

14 Nous sommes ici ce matin pour entendre les déclarations liminaires dans

15 cette affaire. Je vais dans un premier temps donner la parole à M. Saxon.

16 M. SAXON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

17 Je serai très bref dans un premier temps pour vous dire avant ma

18 déclaration liminaire pour vous donner l'ébauche de ce que souhaite faire

19 l'Accusation.

20 Je vais commencer cette déclaration liminaire en présentant une discussion

21 ou un débat à propos de l'existence d'un conflit armé dans la République de

22 Macédoine pendant l'année 2001. Puis, ma consoeur, Mme Motoike, va vous

23 faire un descriptif des événements qui se sont déroulés dans le village de

24 Ljuboten entre le 10 et le 12 août 2001; ainsi que la responsabilité pénale

25 de l'accusé Tarculovski.

26 Puis, je mettrai un terme à cette déclaration liminaire en abordant les

27 éléments de preuve qui ont trait à la responsabilité pénale de M. Boskoski.

28 Mais je dirais, Madame, Messieurs les Juges, que l'Accusation a préparé un

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1 certain nombre de ce que nous avons appelé les classeurs de la Chambre, que

2 nous avons montrés et dont nous avons parlé d'ailleurs lors de la

3 conférence préalable au procès. Ces classeurs ou ces liasses de documents

4 ont maintenant été reliées, des copies en ont été faites, et je me

5 demandais si avec l'aide de M. l'Huissier, ces copies ou ces classeurs

6 pourraient être distribués aux Juges ainsi qu'aux co-conseils. Parce que ma

7 consoeur va y faire référence et va faire référence à une, voire plusieurs

8 photographies lors de sa déclaration liminaire aujourd'hui.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

10 M. SAXON : [interprétation] Je vous remercie.

11 Madame, Messieurs les Juges, il y a plusieurs critères juridiques qui

12 doivent être déterminés par l'Accusation afin de prouver qu'il y a eu

13 existence d'un conflit armé, et ce, conformément à la définition du droit

14 humanitaire international. Il faut qu nous puissions prouver l'existence de

15 ce conflit armé lors de la période pertinente du deuxième acte d'accusation

16 modifié. Dans un premier temps, l'Accusation doit d'abord prouver qu'il y a

17 eu suffisamment d'organisation et que les forces belligérantes armées

18 étaient structurées à telle enseigne qu'elles aient pu mener à bien des

19 opérations militaires.

20 Deuxièmement, l'Accusation doit pouvoir démontrer que l'intensité des

21 combats armés a atteint un certain niveau, à savoir le niveau de cette

22 violence armée dépassait les crimes de droit commun, la délinquance, le

23 grand banditisme ou des activités désorganisées et ponctuelles, de courte

24 durée ou des activités terroristes qui ne sont pas l'objet du droit

25 international international.

26 Troisièmement, il faut au moins pouvoir prouver qu'il y ait eu contrôle

27 territorial de la part des groupes armés dissidents, et ce, afin de pouvoir

28 leur permettre d'effectuer des opérations militaires concertées et

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1 soutenues. Il faut savoir également que le critère juridique que l'on

2 trouve dans le protocole supplémentaire des conventions de Genève ait

3 existé pour pouvoir déterminer l'existence du conflit armé.

4 L'Accusation, en fait, ne se rallie pas à ce critère. Mais quoi qu'il en

5 soit, les éléments de preuve qui vont être avancés par l'Accusation vont

6 pouvoir permettre d'établir en l'espèce que le groupe d'insurgés qui a

7 combattu les forces du gouvernement de Macédoine et l'armée de libération

8 nationale avaient investi 20 % du territoire de la Macédoine en 2001.

9 L'Accusation va également pouvoir déterminer qu'il y a eu lien pertinent

10 entre le comportement pénal allégué dans le deuxième acte d'accusation

11 modifié et le conflit armé.

12 Il faut savoir que la République de la Macédoine, qui est limitrophe de la

13 Serbie et de l'Albanie, a réussi à éviter une participation directe au

14 conflit armé, le conflit armé qui a embrasé la région des Balkans pendant

15 les années 1990. Ce n'est qu'en 2001 que des tensions interethniques qui

16 étaient latentes entre la majorité macédonienne de souche slave et la

17 minorité ethnique albanaise en Macédoine a culminé en un conflit armé

18 interne, et ce, sur le territoire ou à l'intérieur des frontières

19 macédoniennes. Les parties en conflit étaient les forces de sécurité de la

20 Macédoine, notamment l'armée de la Macédoine, les forces du ministère de

21 l'Intérieur et l'Armée de libération nationale albanaise que l'on connaît

22 sous le nom de ALN.

23 Les escarmouches et les conflits ainsi que les confrontations armées entre

24 les parties ont commencé en janvier 2001 et ont rapidement dégénéré en un

25 conflit armé de longue durée au cours duquel l'ALN a conquis 20 % au moins

26 du territoire macédonien et s assuré son contrôle sur le territoire. A la

27 suite de mois de combats très, très intenses et ne pouvant pas éliminer par

28 la force l'ALN, le gouvernement macédonien a dû essayer de trouver un

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1 accord politique négocié.

2 Le 13 août 2001, l'accord cadre d'Ohrid a été signé, ce qui a en fait

3 précipité le processus de désarmement de l'ALN ainsi que la démobilisation,

4 et ce, en échange d'amendements législatifs et constitutionnels favorables

5 à la minorité albanaise de souche.

6 Le commandant suprême de l'ALN, Ali Achmete, a annoncé officiellement la

7 dissolution de l'ALN le 27 septembre 2001.

8 Je vais maintenant vous décrire brièvement certains des moyens de preuve

9 qui vont être présentés par l'Accusation afin de décrire la structure et

10 l'organisation des différentes forces armées.

11 Il faut savoir, Madame, Messieurs les Juges, que l'armée de la République

12 de Macédoine composait l'essentiel des forces gouvernementales de la

13 Macédoine et était composée de plus de 10 000 soldats d'active ainsi qu'un

14 contingent de réserve qui s'élevait jusqu'à 24 000 hommes. Les armes de

15 l'armée de la République de Macédoine comprenaient environ 100 chars,

16 jusqu'à 100 véhicules de transport de troupes, plusieurs centaines de

17 canons, d'obusiers, de mortiers ainsi que des armes antiaériennes et des

18 armes de combat aérien.

19 L'armée de la République de la Macédoine a déployé toutes les

20 catégories d'armes conventionnelles durant le conflit armé en 2001,

21 notamment des armes légères, des pièces d'artillerie, des véhicules

22 transport de troupes, des chars, des hélicoptères de combat ainsi que des

23 avions de chasse. Il faut, bien entendu, indiquer que toutes ces forces de

24 l'armée fonctionnaient en fonction d'une chaîne de commandement qui était

25 unifiée et qui fonctionnait.

26 J'aimerais maintenant vous montrer deux clips vidéo très brefs qui vont

27 vous montrer comment l'armée de la République de la Macédoine a utilisé

28 certaines de ces armes pendant le conflit en 2001. Il faut savoir que ces

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1 vidéos sont des pièces à conviction de l'Accusation au titre de l'article

2 65 ter numéro 985. Elles vont vous être montrées sans la bande-son.

3 [Diffusion de la cassette vidéo]

4 Nous voyons un char qui tire. Il y a apparemment des positions de

5 l'ALN dans ce village. Nous avons vu des obus atterrir.

6 Puis dans le prochain clip vidéo, vous allez voir l'utilisation des

7 mortiers de la part de l'armée de la République de Macédoine. Vous voyez

8 des obus qui atterrissent et qui visiblement semblent cibler des positions

9 de l'ALN sur le mont Kala.

10 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, les forces du ministère

11 de l'Intérieur représentaient le reste des forces placées sous le

12 commandement du gouvernement de la Macédoine. Les forces du ministère de

13 l'Intérieur s'élevaient environ à 9 700 membres de la police. Elles ont été

14 actives dans les zones de conflit et ont souvent participé à des opérations

15 conjointes avec l'armée de la République de Macédoine. Du fait de la

16 dégradation rapide de la situation en matière de sécurité, il y a eu

17 mobilisation des réservistes de la police, ce qui fait que lorsque le

18 conflit armé était le plus intense il y avait 10 200 réservistes qui

19 participaient à ce conflit auprès des forces du ministère de l'Intérieur.

20 Toutes ces forces ont été subordonnées et étaient placées sous le contrôle

21 efficace et effectif de Ljube Boskoski qui est devenu ensuite ministre de

22 l'Intérieur en mai 2001.

23 Je vais vous montrer maintenant un autre clip vidéo qui fait partie de la

24 liste des pièces à conviction numéro 984, là encore la bande son ne vous

25 sera pas présentée. Il s'agit d'un clip vidéo qui a été pris dans la ville

26 de Tetovo pendant le printemps de l'année 2001 à un moment où il y avait

27 des combats très, très intenses entre les forces du gouvernement de la

28 Macédoine et l'ALN.

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1 Est-ce que nous pouvons le voir ?

2 [Diffusion de la cassette vidéo]

3 Vous voyez qu'il y a un véhicule de transport de troupes qui passe

4 par les rues de la ville. Nous voyons qu'il y a des soldats ou des

5 officiers de police qui tirent avec une arme. Il y a des positions de l'ALN

6 en amont de la ville. Puis là, nous voyons un officier de police qui tire

7 avec sa kalachnikov et qui tire apparemment sur une position de l'ALN. Il y

8 avait un groupe d'officiers de police, voilà un autre véhicule de transport

9 de troupes qui se déplace dans la ville.

10 Madame, Messieurs les Juges, il y avait en face des forces de sécurité

11 macédonienne l'Armée de libération nationale que l'on connaît sous le sigle

12 ALN qui correspond de l'albanais de l'UCK. L'ALN était une organisation

13 politico-militaire dont on peut retracer les origines à plusieurs groupes

14 albanais, de groupes qui se trouvaient au Kosovo et en Macédoine, et ce,

15 depuis les années 1980 ainsi qu'en Europe. L'ALN, à la suite de la guerre

16 du Kosovo en 1999 et de la campagne de bombardement de l'OTAN, a en quelque

17 sorte émané de cette mouvance albanaise au Kosovo et a pris en

18 considération les griefs de la minorité albanaise de souche en Macédoine.

19 Sous la direction générale d'Ali Achmete, le nombre des membres de l'ALN a

20 augmenté rapidement pour arriver à un nombre de 6 000 hommes qui étaient

21 essentiellement des ressortissants macédoniens, albanais de souche ainsi

22 qu'une réserve non armée qui assurait le soutien logistique.

23 L'ALN était une force armée organisée. Le rapport d'expert de Victor

24 Bezruchenko nous permet de comprendre qu'il y avait quatre composantes

25 principales : le commandant suprême, à savoir le commandement Suprême et le

26 représentant politique ainsi que tout le personnel de soutien; il y avait

27 l'état-major général; il y avait les unités de combat déployées; il y avait

28 une organisation associée externe qui répondait au nom de "Liria

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1 Kombetare," à savoir "liberté nationale," qui était responsable de la

2 coordination des activités politiques et des collectes de fonds à

3 l'étranger.

4 Les personnes les plus connues au sein de la direction de l'ALN étaient Ali

5 Achmete, que l'on connaît également sous le surnom d'Abaz, le commandant

6 suprême de l'ALN et le représentant politique Gzim Ostreni connu également

7 sous le nom de Plaku, le chef de l'état-major général de l'ALN; puis

8 finalement Fazli Veliu, qui était le coordonnateur des activités politiques

9 de l'ALN pour la diaspora albanaise.

10 J'aimerais vous demander maintenant de bien vouloir consulter un extrait

11 d'un document, le document 969. Il s'agit d'un document qui émane des

12 archives du secteur du renseignement secret militaire du ministère de la

13 Défense. Cela vous permet de comprendre comment l'ALN était structurée.

14 Vous avez la composante militaire avec l'état-major général Gzim Ostreni.

15 Il y a six brigades de combat dont le nombre d'effectifs et la composition

16 varient.

17 A partir de la gauche vous voyez qu'il y a la 112e Brigade, puis la

18 116e Brigade; vous avez également la 113e Brigade ainsi que la 114e Brigade

19 qui était opérationnelle dans la région proche du village de Ljuboten; vous

20 avez la 115e Brigade ainsi que la

21 111e Brigade dont les commandants se présentaient au rapport auprès de

22 l'état-major général.

23 Il y avait au sein de l'ALN une hiérarchie qui était tout à fait

24 identifiable avec des relations entre les supérieurs et les subordonnés, et

25 ce, entre l'état-major, le commandement Suprême et les brigades. Toutes les

26 activités militaires étaient planifiées et coordonnées par l'état-major

27 général qui exerçait le commandement de l'ALN et qui avait également une

28 fonction de contrôle.

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1 L'Accusation présentera des moyens de preuve afin de montrer qu'il y

2 avait contrôle effectif du personnel et des unités ainsi que l'utilisation

3 du QG et des postes de commandement avec la possibilité de planifier et de

4 coordonner des opérations armées.

5 Madame, Messieurs les Juges, le commandement et le contrôle au niveau

6 de la brigade étaient effectués grâce à des contacts quotidiens entre le

7 commandant de brigade et le chef d'état-major général de l'ALN, Gzim

8 Ostreni. Les communications latérales et verticales entre les brigades et

9 l'état-major général étaient effectuées par l'entremise de communications

10 grâce à des téléphones satellites. L'ALN avait également un système de

11 logistique qui était rudimentaire mais qui existait et des zones

12 d'entraînement. Les dirigeants de l'ALN ont déployé des efforts afin de

13 faire en sorte qu'il y ait uniformité d'uniformes, insignes qui indiquaient

14 le grade et l'unité, règlements internes, réglementation et police

15 militaire.

16 Les armes de l'ALN incluaient essentiellement des armes automatiques,

17 semi-automatiques, des mitraillettes antiaériennes, des SAM portables, des

18 mines antipersonnel, antichars et des grenades à main.

19 Si nous prenons la pièce 662, nous voyons qu'il s'agit d'un rapport

20 du ministère de l'Intérieur, Département de la sécurité et du contre-

21 renseignement en date du 23 août 2001, et si vous voyez ce que nous avons

22 en bas de la page, nous voyons que le ministère de l'Intérieur avait

23 remarqué que l'ALN possédait plus de 100 000 armes, notamment 16 000 fusils

24 automatiques, 3 000 fusils semi-automatiques, 2 000 fusils à lunette, 3 000

25 mitraillettes légères, 20 000 grenades à main, 3 000 lance-roquettes, et

26 vous voyez même qu'il y a 50 obusiers en bas de la liste ainsi que 100

27 canons antiaériens pour n'en citer que quelques-uns.

28 Bien que la structure de l'ALN ne dépendait pas véritablement d'une

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1 organisation complexe telle qu'une armée conventionnelle moderne, elle

2 possédait toutefois tous les éléments de base d'une force armée organisée

3 et structurée avec un élément de commandement, les unités de combat, les

4 éléments d'appui logistique. Il faut également savoir, et cela est une

5 autre indication de la force et de l'organisation de l'ALN, qu'elle

6 jouissait des relations extérieures avec les organisations internationales

7 et les médias. Elle émettait des communiqués ainsi que des déclarations

8 politiques et avait des réunions avec les représentants des partis,

9 essayant de jouer les médiateurs, et ce, avant la conclusion de l'accord

10 cadre d'Ohrid.

11 En d'autres termes, pendant la période pertinente l'ALN présentait

12 toutes les caractéristiques d'un groupe armé organisé capable de s'engager

13 dans des opérations militaires.

14 J'aimerais maintenant vous parler de l'intensité de la violence armée et du

15 deuxième critère juridique.

16 Comme cela a été extrêmement bien expliqué dans le chapitre 5 du

17 rapport d'expert de l'analyste Viktor Bezruchenko, la violence armée en

18 Macédoine, lors de la période janvier à septembre 2001, a atteint le niveau

19 nécessaire pour prouver l'existence d'un conflit armé interne. L'intensité

20 de cette violence armée s'est caractérisée par, dans un premier temps, la

21 durée, la fréquence et la portée géographique de cette violence armée ainsi

22 que par le contrôle territorial des parties belligérantes, sans oublier le

23 déplacement des personnes et des victimes. De surcroît, même au début le

24 conflit a atteint une intensité telle qu'il a attiré l'attention du Conseil

25 de sécurité des Nations Unies ainsi qu'en dernier lieu, l'intervention de

26 l'OTAN et de l'Union européenne.

27 J'aimerais vous montrer une ou deux pages qui émanent de la pièce à

28 conviction 3, au titre de l'article 65 ter, pièce à conviction de

Page 338

1 l'Accusation. Il s'agit d'une publication du ministère des Affaires

2 intérieures de la Macédoine, qui est connu comme le livre blanc et qui

3 contient une grande partie des informations relatives au conflit de l'année

4 2001. Je souhaiterais que la page suivante soit affichée à l'écran, je vous

5 prie. J'aimerais, dans un premier temps, que nous consultions le paragraphe

6 premier. Vous voyez que le Conseil de sécurité, dès le mois de mars 2001,

7 condamne fermement la violence extrémiste, notamment les activités

8 terroristes dans certaines parties de la République de la Macédoine ainsi

9 que dans certaines municipalités du sud de la Serbie, République fédérale

10 de Yougoslavie et remarque que cette violence bénéficie du soutien

11 d'extrémistes albanais de souche qui se trouvent à l'extérieur de ces zones

12 et représentent une menace à la sécurité et à la stabilité de l'ensemble de

13 cette région.

14 Est-ce que nous pourrions avoir la page à nouveau, je vous prie ? Je

15 souhaiterais que nous voyions maintenant le paragraphe 4, je vous prie.

16 Vous voyez qu'un peu plus tard, toujours dans la même résolution, le

17 Conseil de sécurité exige que toutes les personnes qui sont à l'heure

18 actuelle engagées dans des actions armées contre les autorités de ces Etats

19 cessent immédiatement toutes ces opérations, déposent leurs armes et

20 rentrent dans leurs foyers.

21 Madame et Messieurs les Juges, nous allons évoquer brièvement la

22 chronologie de ce conflit, lequel est évoqué plus en détail au chapitre 5

23 du rapport de M. Bezruchenko. Nous y voyons ici une indication du niveau

24 des opérations de combat opposant l'ALN et les forces de sécurité

25 macédoniennes entre les mois de janvier et de septembre 2001.

26 Afin de faciliter la tâche à toutes les personnes présentes dans le

27 prétoire, l'Accusation a fourni une version papier de deux cartes qui

28 figurent également dans la pièce à conviction de l'Accusation numéro 3 au

Page 339

1 titre de l'article 65 ter, ce que l'on appelle le livre blanc. Avec l'aide

2 de l'Huissier, je souhaiterais que l'on place un exemplaire de ce document

3 sur rétroprojecteur, ainsi mes collègues ainsi que les Juges pourront

4 suivre plus facilement mon propos.

5 La raison pour laquelle nous nous servons de la version papier du

6 rétroprojecteur c'est parce qu'à l'écran la qualité de cette carte n'est

7 pas très bonne, elle n'est pas très lisible.

8 Madame et Messieurs les Juges, à partir du mois de

9 janvier 2001, l'ALN a lancé une attaque contre les forces gouvernementales

10 dans un village appelé Tearce, situé au nord de Tetovo, près de la

11 frontière entre le Kosovo et la Macédoine. Des affrontements, dans le

12 secteur de Tanusevci, un village situé au nord de la ville de Skopje, le

13 long de la frontière entre le Kosovo et la Macédoine, se sont déroulés en

14 février 2001.

15 Dans le courant du mois de mars 2001, des attaques ont été menées par l'ALN

16 contre les forces de sécurité macédoniennes dans la région de Tanusevci. Il

17 y a eu également des conflits au cours du mois de mars 2001 entre l'ALN et

18 les forces de sécurité macédoniennes dans les secteurs de Kudra Fura, Caska

19 et près de la frontière avec la Serbie.

20 D'autres affrontements ont eu lieu dans le village de Tanusevci, mais la

21 plupart des combats se sont déroulés dans le secteur de Tetovo au cours de

22 la deuxième moitié du mois de mars. Des combats intenses ont eu lieu dans

23 la région de Tetovo et dans les régions voisines. Sur la carte, au bas de

24 la page que je vous ai communiquée, vous verrez un certain nombre d'étoiles

25 rouges indiquant les villages situés autour de la ville de Tetovo qui ont

26 été le théâtre d'opérations de combat au début du mois de mars 2001.

27 La situation a conduit les forces gouvernementales à lancer une

28 opération de grande envergure dans le secteur de Tetovo. Au cours de la

Page 340

1 deuxième moitié du mois de mars, des combats intenses ont lieu dans les

2 secteurs de Kale, Lavce, Selce, Gajre, Germo, Sipkovica, Vejce, Brodec à

3 l'ouest de Tetovo.

4 En mai 2001, si nous examinons la partie supérieure de la carte, nous

5 voyons la ville de Kumanovo au nord-est de Skopje et à Vaksince, l'ALN a

6 ouvert un autre secteur au nord de Kumanovo. L'ALN a pris le contrôle de

7 plusieurs villages les uns après les autres, y compris Slupcane, Lojane et

8 Matejce, repoussant petit à petit les forces adverses vers Skopje.

9 Entre février et juin 2001, l'ALN a investi une partie importante du

10 territoire dans les secteurs proches de la frontière de la RSFY depuis les

11 villages de Brest et de Malino jusqu'aux montagnes situées autour de

12 Tetovo.

13 En juin 2001, l'ALN a étendu le front du nord jusqu'à un secteur situé à 10

14 kilomètres de Skopje, ce que nous voyons vers le milieu de la carte. L'ALN

15 a pris le contrôle du quartier d'Aricinovo situé à l'est de Skopje et

16 étendu sa zone de contrôle jusqu'à la ville frontalière de Radusha.

17 En juillet 2001, les combats ont continué sur tous les fronts. L'ALN a pris

18 le contrôle de villages supplémentaires situés dans le secteur de Tetovo.

19 En août 2001, l'ALN a pris le contrôle, ou plutôt, devrais-je dire, a coupé

20 l'axe stratégique, Skopje-Tetovo, si bien que les soldats de l'ALN ont pu

21 se déplacer librement le long de l'axe situé entre Grupshin [phon] et Novo

22 Selo et a établi des postes de contrôle. La ville de Tetovo était sur le

23 point de tomber entre les mains des forces de l'ALN. Il y a eu des combats

24 de rues à différents endroits de la ville et des postes de contrôle de

25 l'ALN ont été érigés dans la zone urbaine. Le caractère urgent et grave de

26 la situation a conduit le président Trajkovski à ordonner une opération

27 militaire pour regagner le contrôle de la route reliant Tetovo à Jezince

28 [phon] afin d'empêcher la prise de Tetovo.

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1 Le 10 août 2001, certains membres de soldats macédoniens, huit au total,

2 sont décédés dans une explosion au nord du village de Ljuboten. Ces

3 incidents sont décrits au chapitre 5 du rapport de l'expert Viktor

4 Bezruchenko et figurent également dans d'autres pièces à conviction que

5 l'Accusation a l'intention de présenter au cours du procès.

6 Au cours du conflit, l'ALN a réussi à établir son contrôle sur 20 % du

7 territoire de la Macédoine, notamment au nord et au nord- ouest. Je

8 souhaiterais maintenant que l'on examine une page extraite de la pièce à

9 conviction de l'Accusation numéro 410 dans la

10 liste 65 ter. Je remercie Mme Walpita de son efficacité. Cette page est

11 extraite du rapport annuel du ministère de l'Intérieur pour l'année 2001.

12 Pourrait-on, je vous prie, examiner de plus près le premier paragraphe. Ce

13 rapport a été publié au début de l'année 2002 et s'est intéressé aux

14 événements qui s'étaient déroulés en 2001. Ce rapport émane du ministère de

15 l'Intérieur. A l'époque, le ministre de l'Intérieur était l'accusé

16 Boskoski.

17 Nous voyons au début du paragraphe la phrase suivante : "Suite aux

18 activités armées menées par l'organisation terroriste albanaise appelée

19 ALN, dans le courant de l'année 2001 dans la partie nord-ouest de la

20 République de la Macédoine, 20 % du territoire de la Macédoine a été

21 provisoirement occupé."

22 Le contrôle territorial exercé par l'UCK a permis de mener des opérations

23 militaires caractérisées par un certain degré de stabilité dans les zones

24 contrôlées à l'exclusion des forces gouvernementales. Le contrôle

25 territorial de l'ALN était manifeste car il a pris la forme de poste de

26 contrôle et de barrages routiers; du déploiement libre d'unités de l'ALN

27 d'un endroit à l'autre; du renfort des positions défensives de l'ALN et du

28 renfort des structures de fortification. Des autorités de contrôle ont

Page 342

1 également été mises en place dans les zones dites libérées.

2 Je souhaiterais que l'on revoie le premier paragraphe de cette page

3 extrait de la pièce 410, le rapport du ministère de l'Intérieur. Nous

4 voyons que 69 membres des forces de sécurité ont été tués ainsi que 16

5 civils, 174 membres du ministère de l'Intérieur, 211 membres de l'armée de

6 la République de Macédoine ont été blessés ainsi qu'un certain nombre de

7 citoyens. 150 millions d'euros de dégâts provoqués par les incendies et des

8 dommages causés à l'économie ont été estimés à plus de 500 000 euros - 500

9 millions d'euros.

10 Nous voyons que plus de 86 000 citoyens ont été déplacés sur le territoire

11 de la République de Macédoine, 80 000 ont quitté le territoire de la

12 République de Macédoine et sont restés temporairement à l'étranger. Plus de

13 40 édifices consacrés à la religion ont été endommagés.

14 Dans ce conflit nous avons constaté des affrontements armés fréquents

15 et intensifs qui se sont déroulés de façon quasi continue entre janvier et

16 septembre 2001 dans une zone géographique étendue et de plus en plus vaste.

17 Même si les forces de l'ALN étaient inférieures au nombre aux forces

18 gouvernementales, il ressort des éléments de preuve que le conflit n'était

19 pas unilatéral. Les attaques menées par l'ALN l'ont été contre un certain

20 nombre de cibles militaires macédoniennes sur une zone vaste et de plus en

21 plus étendue de la Macédoine. En outre les forces de l'ALN ont pu opposer

22 une résistance importante et efficace aux forces macédoniennes en menant

23 des opérations militaires et policières.

24 Tandis qu'un nombre important de forces macédoniennes bien équipées

25 ont été déployées dans les zones pertinentes de la Macédoine au cours de la

26 période couverte par l'acte d'accusation, l'ALN a connu des succès

27 militaires importants grâce à des opérations de type guérilla.

28 En conclusion, l'Accusation présentera suffisamment de preuves pour établir

Page 343

1 que pendant toute la période couverte par l'acte d'accusation il existait

2 un conflit armé en Macédoine ce qui provoque l'application du droit

3 international humanitaire, et nous prouverons également qu'un lien existait

4 entre ce conflit armé et les crimes qui se sont déroulés au village de

5 Ljuboten et dans les environs en

6 août 2001.

7 Maintenant je vais donner la parole à ma collègue qui va traiter d'un

8 autre aspect de la thèse de l'Accusation à l'espèce.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

10 Mme MOTOIKE : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

11 Comme l'a indiqué M. Saxon, je vais traiter des événements qui se

12 sont déroulés à Ljuboten par rapport aux allégations figurant dans le

13 deuxième acte d'accusation modifié, et je vais parler de la responsabilité

14 pénale de Johan Tarculovski.

15 S'agissant des événements de Ljuboten, je souhaiterais que l'on voie un

16 extrait de la cinquième page de la liasse de documents portant le numéro

17 ERN N0057603. Nous voyons ici une vue panoramique du village de Ljuboten

18 prise depuis le sud-est.

19 Ljuboten est un petit village qui se trouve au sud-ouest du massif de

20 la Skopska Crna Gora dans la partie septentrionale de la Macédoine. Ce

21 village est situé à une dizaine de kilomètres à vol d'oiseau du centre de

22 Skopje, la capitale de la Macédoine. La plupart des habitants de Ljuboten

23 sont des Albanais de souche essentiellement des paysans.

24 Ce village est entouré de trois villages où habitent essentiellement

25 des Macédoniens de souche : Ljubanci au nord-ouest; Rastak au sud-ouest et

26 Radushane au sud-ouest.

27 L'Accusation présentera des éléments de preuve selon lesquels à l'aube du

28 dimanche 12 août 2001, ce petit village et ses habitants ont été victimes

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1 d'une attaque intensive, brutale et illicite dont les accusés sont tenus

2 pénalement responsables. Avant de parler de cette attaque, je vais revenir

3 brièvement sur certains événements qui se sont produits juste avant ce 12

4 août.

5 Le 10 août 2001, c'est-à-dire deux jours avant cette attaque

6 illicite, un véhicule militaire macédonien faisant partie du

7 3e Bataillon de la 1ère Brigade de la Garde a été détruit par un engin

8 explosif téléguidé dans le cadre d'une embuscade. Cet incident s'est

9 produit à Ljubotenski Bacila, qui se trouve dans le secteur du massif de la

10 Skopska Crna Gora à 5 kilomètres environ au nord de Ljuboten. Ce véhicule

11 transportait des soldats de la 2e Compagnie qui se rendaient à Ljubanci.

12 Malheureusement, au cours ce cet incident huit soldats ont été tués dont

13 deux étaient des habitants de Ljubanci.

14 L'Accusation produira des éléments de preuve selon lesquels juste

15 après l'explosion des membres de l'Armée de libération nationale également

16 connue sous le nom d'ALN ont ouvert le feu sur ce véhicule militaire

17 macédonien. Ce qui a provoqué une riposte de la part de la 2e Compagnie de

18 l'armée macédonienne. Des tirs ont été échangés pendant plusieurs heures ce

19 jour-là. Après quoi, le

20 3e Bataillon de l'armée macédonienne a ouvert le feu à l'aide d'armes

21 légères sur le village de Ljuboten. Deux tirs de mortier, de canon, ont

22 visé Ljuboten en guise de représailles pour la mort de ces huit soldats.

23 Ces tirs ont entraîné la mort de deux habitants civils de Ljuboten dont un

24 enfant de 5 ans.

25 Les preuves établiront qu'à l'époque où l'armée a ouvert le feu, ce

26 vendredi, il n'y avait aucune cible militaire légitime dans le village

27 outre un groupe de trois personnes armées. Aucun acte hostile ou défensif

28 n'a été commis par ces personnes ou par tout autre habitant de Ljuboten.

Page 345

1 L'Accusation démontrera que plus tard, ce jour-là, une unité de la

2 police commandée par l'accusé Johan Tarculovski est arrivée dans le village

3 voisin de Ljubanci. Pendant la nuit, ce vendredi, l'unité en question a

4 mené une opération de reconnaissance à Ljuboten.

5 Il ressort des éléments de preuve que le samedi matin, ce

6 11 août, l'armée macédonienne a de nouveau ouvert le feu à l'aide d'armes

7 légères sur Ljuboten. Plus tard, ce soir-là, des membres de l'unité de

8 police de Johan Tarculovski ont tiré plusieurs tirs de roquettes sur le

9 village.

10 Au moment où ces actions ont été menées, il n'y avait aucune cible

11 militaire légitime dans le village. En outre, aucun acte hostile ou

12 défensif n'avait été commis à l'encontre de l'armée ou de l'unité de la

13 police par les habitants de Ljuboten.

14 A l'aube du lendemain, c'est-à-dire le dimanche 12 août 2001,

15 l'attaque intensive et illicite terrestre menée contre Ljuboten a débuté.

16 Il ressort des éléments de preuve que vers 8 heures, ce matin-là, l'unité

17 de police de Johan Tarculovski, qui comptait environ 100 hommes, est entrée

18 dans le secteur nord-ouest de Ljuboten en venant de Ljubanci.

19 Je souhaiterais que nous regardions la photo 199 au titre de

20 l'article 65 ter. Il s'agit d'une photo qui se trouve également à la page 8

21 du classeur. C'est une vue aérienne du secteur nord-ouest et nord-est du

22 lieu de Ljuboten.

23 J'ai indiqué les photos dont j'allais me servir pour gagner du temps.

24 J'ai annoté ces photos en traçant une ligne rouge qui part de la

25 partie droite de la photo et qui va jusqu'à gauche. Nous voyons ici

26 l'itinéraire emprunté par l'unité, à quel endroit ils sont entrés dans

27 Ljuboten. Cet endroit est indiqué par le chiffre "1" et un cercle rouge.

28 Il ressort des éléments de preuve que l'attaque visait

Page 346

1 essentiellement les parties nord et est du village. Tandis que l'unité

2 avançait dans le village, comme l'ont indiqué les témoins, l'armée

3 macédonienne a fourni un appui feu à l'attaque terrestre menée par la

4 police en tirant à l'aide de mortier, de canon dans le village et dans les

5 environs entre, environ 6 heures du matin et

6 10 heures du matin.

7 Il ressort des éléments de preuve que ce pilonnage visait à anéantir

8 toute résistance éventuelle ou à l'avancée de l'unité de police dirigée par

9 l'accusé Tarculovski.

10 L'Accusation présentera des témoignages selon lesquels vers

11 8 heures 20 ce matin-là, des membres de l'unité de la police sont entrés

12 par la force dans la cour de la propriété des Jusufi. Cette propriété se

13 trouve au nord-ouest de Ljuboten.

14 Je souhaiterais que nous voyions une nouvelle photographie qui montre

15 mieux la partie nord-ouest du village de Ljuboten, photo numéro 199 de la

16 liste 65 ter. Il s'agit d'une photo qui se trouve à la page 9 du classeur.

17 Sur cette photographie, de nouveau la ligne rouge indique le point

18 d'entrée de l'unité et va de la partie droite de la photo vers la gauche.

19 Le cercle rouge marqué par le chiffre "1" indique le point d'entrée de

20 l'unité. Le cercle rouge marqué par le chiffre "2" indique l'endroit où se

21 trouvait la propriété des Jusufi.

22 Rami Jusufi, un Albanais de souche âgé de 33 ans dormait dans son lit

23 lorsque sa mère l'a appelé pour qu'il se présente à la porte de la maison.

24 Lorsqu'il s'est levé pour se rendre à la porte, il a été abattu par au

25 moins un policier dans la cour. Rami Jusufi n'était pas armé. Il est décédé

26 suite à ses blessures et a été traîné loin de l'entrée par sa vieille mère

27 âgée de 57 ans. Deux heures plus tard, en présence de son père, de sa mère

28 et d'autres membres de la famille, Rami Jusufi a succombé à ses blessures.

Page 347

1 Après le meurtre de Rami Jusufi, il ressort des éléments de preuve

2 que l'unité de police s'est ensuite dirigée vers la partie est de Ljuboten

3 pour arriver aux domiciles d'Adem Ametovski et de Zija Ademi vers 11 heures

4 du matin.

5 Je souhaiterais que l'on revienne sur la photo précédente qui indique

6 que la partie nord-est et nord-ouest de Ljuboten, numéro 199 dans la liste

7 65 ter. Là encore, il s'agit de la photo située à la page 8 du classeur.

8 La partie est du village se trouve dans la partie inférieure de la

9 photo tandis que la partie ouest se trouve dans la partie supérieure. Si

10 l'on suit le tracé de la ligne rouge sur cette photographie qui va de la

11 gauche vers la droite, nous voyons l'itinéraire emprunté par l'unité. Là

12 encore le cercle rouge marqué par le chiffre "1" indique le point d'entrée,

13 tandis que le cercle marqué par le chiffre "3" sur cette photographie

14 indique l'endroit où se trouvait le domicile d'Ametovski et d'Ademi.

15 A ces deux domiciles il y avait des hommes, des femmes et des

16 enfants, personne n'était armé. Il s'agissait exclusivement d'Albanais de

17 souche qui avaient trouvé refuge au sous-sol pour échapper à l'offensive

18 terrestre menée par la police et au pilonnage mené par l'armée. La plupart

19 des hommes se trouvaient au sous-sol de la maison d'Ametovski, tandis que

20 les femmes et les enfants avaient trouvé refuge au sous-sol de la maison

21 d'Ademi qui se trouvait juste à côté.

22 La police a ordonné aux hommes de sortir des caves et a placé en

23 détention 13 d'entre eux près du portail de la maison d'Ametovski. Des

24 hommes ainsi détenus, y compris un adolescent, ont été contraints de

25 s'allonger par terre tandis qu'ils étaient frappés, qu'on leur donnait des

26 coups de pied, qu'on les piétinait et qu'on les frappait à l'aide de

27 crosses de fusils et de bâtons. Un policier a même tracé une croix dans le

28 dos d'un détenu. Suite à ces sévices les hommes ont connu des blessures

Page 348

1 multiples à la tête et au corps.

2 Des témoins déclareront qu'à un moment donné pendant ces passages à

3 tabac, l'un des détenus, Sulejman Bajrami, un Albanais de souche âgé de 23

4 ans, s'est levé et a cherché à s'enfuir. Tandis qu'il cherchait à s'enfuir,

5 il a été abattu par au moins un policier tandis que son jeune frère et son

6 père assistaient à la scène.

7 Des témoins raconteront également qu'à un moment donné, le père de

8 Sulejman, Aziz Bajrami, a reçu une balle dans la main. Après le meurtre de

9 Sulejman Bajrami, dix [comme interprété] hommes, y compris l'adolescent,

10 ont été contraints de marcher sous escorte armée tandis qu'ils subissaient

11 de nouveaux sévices et se rendaient dans le village voisin de Ljubanci.

12 Deux hommes appartenant à ce groupe, vu leur âge, ont reçu pour ordre de

13 partir. Tandis qu'ils s'éloignaient, des membres de l'unité de police ont

14 tiré sur eux. L'un des hommes a été tué. Il s'agissait de Muharrem

15 Ramadani, un Albanais de souche du village âgé de 65 ans.

16 Il ressortira des éléments de preuve que ces "dix hommes" [comme

17 interprété] ont été escortés le long de leur route allant de l'ouest vers

18 l'est à Ljuboten.

19 Je souhaiterais que l'on voie de nouveau cette photographie aérienne

20 indiquant les parties nord-est et nord-ouest de Ljuboten, numéro 199 dans

21 la liste 65 ter. Il s'agit de la photo A située à la page 8 de la liasse de

22 documents.

23 Comme je l'ai déjà indiqué, le cercle tracé en rouge à côté duquel se

24 trouve le chiffre "3" sur cette photographie indique l'endroit où les

25 hommes ont été détenus. Si on suit cette ligne rouge qui part du cercle

26 pour aller vers la partie droite de la photographie, cette ligne indique

27 l'itinéraire qui a dû être emprunté par les hommes qui sortaient du village

28 pour se rendre vers Ljubanci. Il s'agit, grosso modo, du même itinéraire

Page 349

1 emprunté par l'unité de la police pour entrer dans le village. Ljubanci est

2 situé juste à droite de l'endroit indiqué par un cercle rouge et le chiffre

3 "1" sur la photographie.

4 Les hommes ont été escortés jusqu'au poste de contrôle de la police

5 situé dans la maison de Braca, à la périphérie de Ljuboten et du village

6 voisin de Ljubanci. La maison de Braca est entourée par un mur en béton

7 appelé par certains témoins "la muraille de Chine." Des témoins relateront

8 qu'à la maison de Braca, les sévices infligés par les membres de l'unité de

9 la police se sont poursuivis pendant environ une demi-heure. Les hommes ont

10 continué à être frappés par des coups de pied et piétinés. Certains ont

11 même été frappés à l'aide de bâtons incandescents. Là encore, ils ont été

12 blessés suite à ces passages à tabac.

13 Après quoi, les hommes ont été contraints de monter dans un camion de

14 la police pour être emmenés au poste de police de Mirkovci. Un témoin

15 racontera qu'à son arrivée au poste de police, plusieurs hommes ont été

16 simplement jetés hors du camion sur la route asphaltée devant le poste de

17 police. A partir de ce moment-là, le

18 12 août, et ce, jusqu'au 14 août, les hommes se sont vus infliger des

19 sévices par des officiers d'active et de réserve de la police à l'intérieur

20 du poste de police et à l'extérieur également. Ces sévices ont donné lieu à

21 des blessures multiples causées aux victimes.

22 L'Accusation présentera également des éléments de preuve selon

23 lesquels l'un des hommes a finalement succombé à ses blessures. Des témoins

24 relateront qu'Atulla Qaili, un Albanais de souche de 35 ans, était l'un des

25 10 hommes restants qui a été contraint de marcher depuis la maison

26 d'Ametovski jusqu'à la maison de Braca ce 12 août. En route, il a subi des

27 passages à tabac continuels. Suite à quoi, lorsqu'il est arrivé à la maison

28 de Braca, M. Qaili se trouvait dans un état critique. Il ressort des

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1 éléments de preuve, que malgré tout, des membres de l'unité de la police

2 ont continué à le frapper à l'aide de coups de pied au poste de contrôle,

3 puis l'ont jeté dans un camion de la police avec d'autres hommes.

4 Comme les autres, il a été conduit à Mirkovci au poste de police où

5 les sévices se sont poursuivis. Ces sévices ont été d'une intensité telle

6 que M. Qaili ne pouvait même plus parler. Il a ensuite été conduit à

7 l'hôpital de Skopje où il est mort le

8 13 août 2001 après avoir succombé à ses blessures. Il avait le crâne

9 fracturé, une hémorragie cérébrale et neuf côtes cassées. L'Accusation

10 présentera également des éléments de preuve selon lesquels les blessures de

11 M. Qaili indiquent qu'il a été victime de coups à l'aide d'objets divers

12 sur son corps. Il est décédé suite à ces blessures.

13 Après les meurtres de Rami Jusufi, Sulejman Bajrami et Muharrem

14 Ramadani, et tandis que les dix hommes ont été contraints de poursuivre

15 leur route à pied, ont été frappés et détenus à la maison de Braca, l'unité

16 de police a poursuivi son avancée vers le secteur est du village jusqu'à la

17 maison de Qani Jushari.

18 Je souhaiterais que l'on voie une autre photo du village de Ljuboten,

19 numéro 199 dans la liste 65 ter. Il s'agit de la photo D, à la page 8 de la

20 liasse de documents.

21 Dans la partie inférieure de cette photo, nous voyons la partie sud-

22 est du village de Ljuboten. Le cercle marqué par le chiffre "1" [comme

23 interprété] indique l'endroit où se trouve le domicile d'Ametovski et

24 d'Ademi. Si l'on suit le tracé de la ligne rouge jusqu'au cercle indiqué à

25 l'aide du chiffre "2," [comme interprété] nous voyons la route suivie par

26 l'unité jusqu'à la maison de Jashari ce jour-là.

27 Des témoins raconteront qu'à la maison de Jashari, cinq hommes qui

28 n'étaient pas armés avaient trouvé refuge pour échapper à l'avancée de

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1 l'unité de police. Lorsque la police est arrivée à la maison de Jashari,

2 les témoins raconteront qu'elle a ouvert le feu sur la maison, puis s'est

3 servie d'essence pour mettre le feu à la maison et à la grange. Les cinq

4 hommes qui n'étaient pas armés avaient trouvé refuge dans cette maison, se

5 sont échappés par la fenêtre pour se cacher non loin de là dans un champ.

6 Mais lorsque ces hommes ont été repérés, la police a ouvert le feu. Les

7 hommes ont continué à fuir à travers les champs jusqu'aux montagnes. Il

8 ressort de l'élément de preuve que tandis que ces hommes fuyaient à travers

9 champ, la police a tiré sur eux et a tué trois d'entre eux : Xhelal

10 Bajrami, Bajram Jashari et Kadri Jashari, tous Albanais de souche. Les deux

11 autres hommes, (expurgé), ont pu s'enfuir; l'un

12 d'entre eux a été blessé par balle, l'autre est ressorti indemne.

13 L'Accusation présentera également des preuves selon lesquelles

14 l'unité de police, dirigée par l'accusé Tarculovski, a incendié des maisons

15 et causé toutes sortes de dégâts pendant son avancée à travers Ljuboten, ce

16 dimanche. L'unité a mis le feu, endommageant au moins 14 maisons en se

17 servant de grenades à main et d'armes légères. Dans les parties nord-est et

18 plus à l'est encore du village, la police a mis le feu à un certain nombre

19 de maisons à l'aide d'essence et a ouvert le feu à l'aide d'armes légères.

20 Une vidéo prise ce jour-là indique ces destructions. Je souhaiterais

21 que l'on voie le document numéro 309 de la liste 65 ter qui montre le

22 village de Ljuboten ce jour-là.

23 [Diffusion de la cassette vidéo]

24 L'Accusation présentera aussi des preuves d'une évaluation indépendante

25 effectuée par un groupe de reconstruction international en septembre 2001

26 qui va décrire les dommages infligés aux maisons. Les preuves montreront

27 aussi qu'aucune de ces maisons n'était occupée par des combattants et

28 qu'aucune n'était utilisée par les résidents du village comme étant un

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1 endroit de résistance. Cela montrera que la destruction a été parfaitement

2 aléatoire, intentionnelle et commise sans aucune justification militaire.

3 En plus des sévices et de la destruction physique du village de Ljuboten,

4 des témoins témoigneront aussi du traitement cruel infligé à de nombreux

5 autres hommes Albanais de souche, y compris au moins un adolescent de

6 Ljuboten au point de contrôle Buzalak le 12 août 2001. Le 12 août, les

7 villageois ont quitté Ljuboten avec leurs familles en se dirigeant vers la

8 ville de Skopje. Une vidéo prise ce jour-là le montre bien.

9 Il faudrait maintenant que nous puissions voir un clip de la liste 65

10 ter portant la cote 309.

11 Il s'agit d'un clip vidéo qui a été filmé près du point de contrôle

12 Buzalak, le 12 août 2001. On voit cette colonne de villageois qui

13 s'enfuient et qui partent vers Skopje.

14 Ensuite, nous montrerons qu'entre le début de l'après-midi et 18

15 heures le 12 août 2001, des Albanais de souche qui étaient arrivés au point

16 de contrôle de Buzalak ont été arrêtés à la pointe du fusil alors qu'ils

17 étaient en train de quitter leur village. Des témoins montreront que ces

18 hommes ont été battus de façon régulière à la fois par la police et par

19 certains civils qui ont été encouragés par la police. Ils ont été frappés

20 de façon répétée parfois avec des objets comme des crosses de fusils ou des

21 bâtons.

22 Des éléments de preuve montreront aussi qu'un Albanais de souche a

23 été tué d'une balle dans la tête alors qu'il était en train d'essayer de

24 s'enfuir avec un autre homme car il avait peur. Nous pouvons le voir

25 d'ailleurs sur la vidéo.

26 Il s'agit encore de films qui ont été pris près de Buzalak où l'on

27 voit un homme qui a déjà été tué et l'autre homme essaie de s'enfuir et

28 court.

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1 L'Accusation présentera des moyens de preuve montrant que les hommes

2 détenus au point de contrôle Buzalak ont été blessés suite aux sévices

3 infligés. Des handicaps permanents ont résulté suite aux blessures

4 infligées à ces détenus. Suite à ces blessures, un certain nombre de ces

5 détenus ne peuvent plus travailler et ne peuvent donc plus subvenir aux

6 besoins de leurs familles.

7 Les témoins vont aussi témoigner que les traitements cruels

8 d'Albanais de souche de Ljuboten et d'autres endroits ont eu lieu dans la

9 ville de Skopje et à l'extérieur de la ville de Skopje le

10 12 août. Cet après-midi-là, les détenus du "check-point" de Buzalac ont été

11 emmenés en groupes séparés à Cair, Kisela Voda, Bit Pazar et Karpos. Il

12 s'agit de postes de police dans ces différents endroits.

13 Des témoins montreront que dans ces endroits-là, ces détenus ont été

14 passés à tabac par des officiers de police de réserve soit dans les postes

15 de police, soit à l'extérieur des postes de police au cours de leur

16 détention quand ils sont arrivés, ensuite quand ils sont partis. Ces

17 passages à tabac ont été commis souvent avec des instruments.

18 L'Accusation montrera aussi des preuves selon lesquelles ces sévices

19 ont été poursuivis lors du transport vers le tribunal de Skopje pour leur

20 apparition initiale. Le 14 août 2001, un certain nombre de détenus ont été

21 présentés au tribunal de Skopje. Ils ont toujours été battus même dans les

22 cours, même dans les couloirs du tribunal. Ils ont été battus toujours par

23 des policiers réservistes, ainsi que par des policiers de métier et par des

24 gardiens de prison et par des civils avec la permission et les

25 encouragements à la fois de la police et des gardes.

26 Les moyens de preuve montreront que ces sévices se sont poursuivis

27 alors même que certains des détenus étaient transportés à l'hôpital de

28 Skopje pour y être soignés. Entre le 12 et 21 août 2001 un certain nombre

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1 de détenus albanais ethniques, blessés sérieusement, ont été amenés à

2 l'hôpital de Skopje, et ils témoigneront qu'ils ont continué à être battus

3 même devant l'hôpital ou, voire dans leur chambre d'hôpital par la police

4 soit la police de réserve, soit la police régulière ainsi que par le

5 personnel de l'hôpital.

6 Nous montrerons aussi que les détentions et les sévices infligés à

7 ces hommes ont été organisé systématiquement et certains des détenus ont

8 été battus de façon répétée à différents endroits alors qu'ils étaient

9 transportés d'un poste de police à un autre.

10 Je tiens maintenant à parler de la responsabilité criminelle pénale

11 de l'accusé Johan Tarculovski. Les preuves présentées par l'Accusation

12 montreront au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé Tarculovski est

13 responsable au titre de l'article 7(1) du Statut des crimes qui lui sont

14 reprochés dans le deuxième acte d'accusation modifié. A un moment de

15 l'attaque sur Ljuboten, l'accusé Tarculovski avait 26 ans, il était

16 officier de police, il travaillait pour le ministère de l'Intérieur comme

17 garde du corps du président. Il était membre aussi du même parti politique

18 que l'accusé Ljube Boskoski.

19 L'Accusation montrera qu'environ deux semaines avant l'attaque sur

20 Ljuboten en juillet 2001, Ljube Boskoski a donné l'ordre à Johan

21 Tarculovski de choisir un groupe d'individus qui serait sous son

22 commandement avec le but de participer à une opération de police.

23 Johan Tarculovski a personnellement choisi différentes personnes dans

24 les forces de police de réserve, dans les forces de police régulières pour

25 participer à cette opération. Certaines de ces personnes qui ont été

26 choisies par Johan Tarculovski étaient aussi membres de Kometa, qui était

27 une agence de sécurité privée qui était très proche de Johan Tarculovski.

28 Nous montrerons que les membres de Kometa ont été engagés et ont fonctionné

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1 en tant que réservistes après avoir été choisis par Johan Tarculovski.

2 Nous montrerons aussi que l'accusé Tarculovski a organisé l'armement

3 et l'équipement de ces individus bien choisis en leur donnant des armes

4 semi-automatiques et des pistolets, tout ceci avec l'approbation, bien sûr,

5 de l'accusé Boskoski.

6 Nous présenterons aussi des éléments de preuve montrant que le 10

7 août 2001, alors que les tensions étaient extrêmement élevées suite aux

8 meurtres des huit soldats macédoniens à Ljubotenski Bacila, l'accusé

9 Boskoski a donné l'ordre à Johan Tarculovski de chercher Xhavid Asani dans

10 tout le village de Ljuboten. Nous montrerons que Ljube Boskoski considérait

11 que M. Asani était responsable de la mort des huit soldats et que Ljube

12 Boskoski était certain que M. Asani se cachait à Ljuboten. Johan

13 Tarculovski a été choisi, parce qu'il connaissait bien Ljuboten étant donné

14 qu'il y possédait une résidence dans le village très proche de Ljubanci.

15 L'Accusation montrera aussi des documents et des témoignages qui

16 prouveront que l'accusé Tarculovski a agi sur cet ordre et a ensuite choisi

17 environ 100 hommes des forces de police de réserve et des forces de réserve

18 active ainsi qu'à partir des employés de Kometa.

19 Au cours de l'après-midi du 10 août 2001, nous montrerons que Johan

20 Tarculovski a commencé à planifier et à préparer l'attaque illégale du

21 village de Ljuboten. Des témoins montreront que Johan Tarculovski est

22 arrivé au poste de police de Cair avec environ 50 hommes habillés en

23 uniforme de police de camouflage et bien armés. Lorsqu'ils sont arrivés, il

24 a demandé que les officiers qui se trouvaient à Cair transportent ces 50

25 hommes vers l'école de Ljubanci qui était le village où habitaient deux des

26 soldats qui ont été tués par l'explosion le même jour.

27 Les témoins montreront aussi que ce même jour un camion du ministère

28 de l'Intérieur, conduit par les effectifs de la police, est arrivé à

Page 357

1 l'école de Ljubanci pour y livrer des munitions, des bombes et lance-

2 grenades qui ont ensuite été distribuées à 60 à 70 personnes qui s'étaient

3 rassemblées dans cette école.

4 Au cours de ces deux jours, il s'agit des 10 et 11 août 2001, nous

5 montrerons que Johan Tarculovski a participé à au moins deux réunions et a

6 eu plusieurs contacts avec les officiers de police et les officiers

7 dignitaires en charge de la sécurité militaire et de la sécurité de la

8 police de cet endroit.

9 Des documents et des témoignages montreront que lors de ces réunions

10 et au travers de ces contacts, Johan Tarculovski a exigé d'avoir plus

11 d'armes et d'avoir plus de soutien logistique de la part de la police et de

12 l'armée. Au cours de la dernière réunion ayant lieu le 11 août, Johan

13 Tarculovski a dit à ces officiers que c'était lui qui allait commander

14 l'attaque contre Ljuboten, qui allait démarrer le 12 août 2001 à 4 heures

15 30 du matin, que l'armée macédonienne apporte son soutien ou non. A l'aube

16 de ce samedi, c'était le 11 août, nous montrerons que les unités de police

17 commandées par l'accusé Tarculovski ont utilisé des lance-grenades pour

18 incendier des maisons à Ljuboten. Des témoins montreront aussi que le

19 lendemain, le dimanche matin 12 août 2001, l'accusé Tarculovski a en effet

20 commandé ou dirigé cette attaque illégale sur Ljuboten. L'attaque a

21 commencé avec des tirs de mortier sur Ljuboten à la demande de l'accusé

22 Tarculovski.

23 L'Accusation présentera ensuite des témoignages de témoins selon

24 lesquels, suite à l'attaque de mortiers, l'accusé Tarculovski a contacté

25 l'accusé Boskoski pour lui demander de pouvoir utiliser un véhicule de

26 l'armée du ministère de l'Intérieur, qui était censée donner une certaine

27 assistance à l'unité de police de Johan Tarculovski, et l'accusé Boskoski a

28 permis que ce véhicule soit mis à disposition.

Page 358

1 Comme nous l'avons déjà dit, nous allons montrer que l'unité de police

2 dirigée par Johan Tarculovski a tué de façon délibérée des civils non

3 armés, a incendié de façon aléatoire, a détruit un grand nombre de maisons

4 sans justification, et a traité cruellement un groupe de résidents, dont

5 sept ont trouvé la mort.

6 Au cours de cette attaque terrestre illégale, nous montrerons que

7 Johan Tarculovski était bel et bien le commandant de cette unité et a

8 toujours été présent à tout moment lors de cette attaque. En conséquence,

9 nous voyons que l'accusé Tarculovski avait bel et bien un dessein criminel,

10 ce qui a été montré d'ailleurs par la manière, la méthode et les résultats

11 de l'attaque. L'objectif illégal de cette entreprise criminelle commune

12 était de diriger une attaque illégale à l'encontre de civils et d'objets

13 civils dans le village de Ljuboten. Cette attaque n'était pas justifiée par

14 aucune nécessité militaire.

15 Dès que cette unité de police est entrée dans le village le dimanche

16 12 août 2001, et dès le meurtre de Rami Jusufi, nous montrerons que cette

17 attaque était de nature totalement illégale. L'attaque criminelle s'est

18 poursuivie avec d'autres meurtres de deux résidents civils non armés,

19 Sulejman Bajrami et Muharem Ramadami. Trois autres résidents de Ljuboten

20 non armés ont été abattus le même jour, Xhelal Bajrami, Kadri Jashari et

21 Bajram Jashari. Cela montrera bien la nature criminelle de cette attaque.

22 D'autres preuves et d'autres documents seront présentés par

23 l'Accusation pour indiquer l'existence de cette entreprise criminelle

24 commune et de son dessein illégal. L'Accusation, au travers des pièces,

25 montrera que la police au sein du ministère de l'Intérieur avait un système

26 de "reporting" extrêmement bien organisé, le reliant au ministère de

27 l'Intérieur jusqu'à l'attaque et après l'attaque. Néanmoins, malgré

28 l'existence de ce système, il semble qu'il n'y ait pas de rapport bien

Page 359

1 détaillé portant sur les plans et les activités qui ont été effectués à

2 Ljuboten lors de ce week-end fatal.

3 L'Accusation présentera ensuite des preuves selon lesquelles les

4 trois armes, qui ont été saisies par la police à la maison Jashari au cours

5 de cette attaque, ont ensuite été utilisées pour étayer des accusations

6 portées contre les personnes détenues à la maison Ametovski, qui était dans

7 une autre partie de Ljuboten. L'existence et le dessein illégal de cette

8 entreprise criminelle commune seront aussi démontrés au travers de

9 témoignages de personnes et de documents portant sur les dossiers médicaux

10 de certains des détenus albanais de souche résidant à Ljuboten.

11 Pour ce qui est de la destruction des maisons lors du chemin emprunté

12 par la police, les preuves présentées par l'Accusation montreront bien

13 l'intention criminelles des membres de l'unité alors qu'ils étaient en

14 train d'entrer dans le village. La nature criminelle de cette entreprise

15 criminelle commune est bien montrée par le meurtre, par l'unité de police,

16 de civils non armés à Ljuboten et le traitement très cruel infligé aux

17 hommes qui ont été détenus à la maison Ametovski, qui a d'ailleurs résulté

18 dans la mort de l'un de ces détenus Atulla Qaili. L'Accusation présentera

19 aussi des preuves selon lesquelles cette attaque terrestre illégale à

20 l'encontre de civils par la police, a été planifiée quand Ljube Boskoski a

21 donné l'ordre à Johan Tarculovski et à son unité de police de se rendre à

22 Ljuboten pour rechercher Xhavid Asani. Etant donné la nature absolument

23 criminelle de toute l'opération, le plan devait être exécuté très

24 rapidement à partir du moment où la police est entrée dans le village.

25 Nous allons montrer que l'accusé Tarculovski a participé à cette

26 entreprise criminelle en tant que co-auteur.

27 Comme débattu précédemment, nous allons montrer qu'il était la

28 personne responsable de l'attaque, étant donné que c'était lui qui a

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1 déterminé quand et comment le village allait être attaqué. C'est lui qui a

2 utilisé les ressources et le personnel logistique; et c'était lui le

3 commandant de l'unité de police lorsqu'elle était en train de commettre ces

4 crimes au travers du village.

5 Nous allons aussi montrer que les crimes, énumérés aux chefs 1, 2 et

6 3 du deuxième acte d'accusation modifié étaient des conséquences naturelles

7 et envisageables de l'exécution d'un objectif de l'entreprise criminelle

8 commune, et que l'accusé Tarculovski savait bien que ces crimes allaient

9 être des conséquences tout à fait envisageables de la mise en œuvre de

10 l'entreprise criminelle commune. Avec cela en tête, néanmoins, il a décidé

11 d'exécuter et de participer à l'entreprise.

12 En plus de sa participation à l'entreprise criminelle commune telle

13 qu'elle vient d'être décrite, nous allons aussi montrer que l'accusé

14 Tarculovski est responsable pénalement et individuellement pour avoir

15 ordonné, planifié, organisé et aidé à la commission des crimes qui se

16 trouvent dans l'acte d'accusation. Etant donné l'autorité qui lui avait été

17 donnée par l'accusé Boskovski et étant donné son rôle dans la

18 planification, la préparation et l'exécution de l'attaque à l'encontre de

19 ce village, Johan Tarculovksi avait bel et bien l'autorité lui permettant

20 de donner les ordres d'attaquer. Nous allons montrer que l'accusé

21 Tarculovski a ordonné les crimes lors de cette attaque, ou qu'il a au moins

22 agi tout en sachant que dans l'exécution de ses ordres, des crimes

23 risquaient d'être commis.

24 Sur la base de ces preuves, l'Accusation montrera au-delà de tout

25 doute raisonnable que l'accusé Tarculovski est bel et bien responsable, en

26 application de l'article 7.1 du Statut, d'avoir ordonné, d'avoir planifié,

27 d'avoir préparé et d'avoir aidé à la commission des crimes dont il est

28 accusé dans l'acte d'accusation.

Page 361

1 Je vais maintenant donner la parole à mon collègue, M. Saxon, qui va

2 parler de la responsabilité pénale de Ljube Boskoski. Merci.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

4 Monsieur Saxon, c'est à vous.

5 M. SAXON : [interprétation], Madame, Messieurs les Juges, je vois que

6 l'heure avance. Il serait peut-être bon de faire la pause.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, peut-être.

8 M. SAXON : [interprétation] En effet, car j'en ai pour une heure. Je

9 pense qu'il serait peut-être bon de faire la pause maintenant. Nous

10 reprendrons ensuite, et nous pourrons en avoir terminé à midi.

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous allons maintenant

12 faire une pause d'une demi-heure et nous reprendrons à

13 11 heures moins 05.

14 --- L'audience est suspendue à 10 heures 26.

15 --- L'audience est reprise à 10 heures 55.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Saxon.

17 M. SAXON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

18 Madame, Messieurs les Juges, je vais maintenant parler de la

19 responsabilité pénale de l'accusé Ljube Boskoski en vertu de l'article 7.3

20 du Statut du Tribunal.

21 Au cours de l'après-midi du 12 août 2001, alors que les habitants

22 albanais de souche de Ljuboten étaient roués de coups, faisaient l'objet de

23 sévices et étaient détenus, Ljube Boskoski, qui était à l'époque le

24 ministre de l'Intérieur de la Macédoine et le supérieur de toutes les

25 forces de police qui relevaient de ce ministère, est arrivé à un endroit

26 appelé la maison de Braca dans le deuxième acte d'accusation modifié. Cette

27 maison et son mur d'enceinte ainsi que le jardin se trouvent à la

28 périphérie du village de Ljuboten. Derrière le mur, que l'on connaît sous

Page 362

1 le nom de mur chinois, M. Boskoski a été en mesure de voir, d'assister à

2 l'attaque menée à bien par sa police à Ljuboten. J'aimerais maintenant vous

3 montrer une vidéo clip, pièce à conviction 309 au titre de

4 l'article 65 ter, qui montre M. Boskoski se trouvant sur ce lieu ce jour-

5 là.

6 [Diffusion de cassette vidéo]

7 Vous voyez de la fumée qui s'échappe du village de Ljuboten. Vous voyez la

8 vue à partir de ce que l'on appelait la muraille de Chine; vous voyez

9 l'officier de police qui se trouve derrière le mur en question; l'intérieur

10 du jardin; vous voyez l'arrivée. Voilà trois armes à feu qui ont été

11 apparemment saisies à Ljuboten ce jour-là - nous parlerons davantage de ces

12 armes. Là, vous voyez M. Boskoski qui se trouve à cet endroit que l'on

13 appelait la muraille de Chine, il s'agit de la maison de Braca, et il est

14 en train d'indiquer la direction des activités qui avaient eu lieu à ce

15 moment-là à Ljuboten.

16 Est-ce que nous pouvons poursuivre, je vous prie.

17 Là, nous voyons encore la vue que M. Boskoski avait à partir de

18 l'endroit où il se trouvait. Encore, nous voyons de la fumée qui s'élève du

19 village de Ljuboten. Plusieurs témoins vont décrire comment ils ont vu M.

20 Boskoski à cet endroit, le 12 août, après qu'ils ont été détenus par les

21 officiers de police, roués de coups et forcés à marcher jusqu'à la maison

22 de Vraca.

23 En sus de la présence de M. Boskoski à Ljuboten pendant cette

24 attaque, l'Accusation avancera des éléments de preuve supplémentaires qui

25 prouveront qu'il savait quels événements de déroulaient dans ce village le

26 12 août 2001. Des témoins vont témoigner que le 12 août

27 M. Boskoski a rencontré des personnes qui ont participé à cette attaque,

28 tel que l'accusé Tarculovski, et que le soir il a rencontré d'autres

Page 363

1 participants à l'entreprise criminelle commune tel que Zoran Juvanoski,

2 connu également sous le nom de Bucik, le propriétaire d'une agence de

3 sécurité appelée Kometa.

4 Il y a un certain nombre de rapports de la police qui portent sur les

5 événements de Ljuboten, qui ont été envoyés le long de la chaîne de la voie

6 hiérarchique.

7 Si nous prenons le document 224, au titre de l'article 65 ter, vous

8 voyez qu'il s'agit d'un rapport envoyé par le ministère de l'Intérieur,

9 secteur des Affaires intérieures à Skopje, le

10 11 août 2001, portant sur la situation en matière de sécurité dans la ville

11 pendant la période comprise entre 8 heures du matin et

12 20 heures le 11 août. Si nous prenons la page suivante, nous voyons en haut

13 qu'il y est indiqué Cair. Il s'agissait de la division de police de la

14 municipalité de Cair. Vous voyez qu'entre 8 heures et

15 10 heures du matin, en amont du massif, si l'on prend le terrain de

16 récréation du village de Ljubanci, l'armée de la République de Macédoine a

17 utilisé des armes d'infanterie pour tirer sur le village de Ljuboten.

18 Le document 217, document 65 ter, il s'agit d'une note signée par le

19 superviseur du poste de police de Cair. La date du mois

20 d'août 2001; et si nous pouvons surligner cela, si vous voyez le titre.

21 Il s'agit d'un rapport relatif aux événements répertoriés et aux

22 mesures prises à propos de l'opération intitulée Ramno. Il s'agit d'un nom

23 de code, Madame, Messieurs les Juges; vous voyez que cela se trouvera dans

24 un certain nombre de documents présentés pendant le procès par

25 l'Accusation. Le terme Ramno fait tout simplement référence à des

26 opérations menées à bien par la police à propos du conflit armé de l'année

27 2001.

28 Nous voyons que dans cette note il est question de la conversation

Page 364

1 avec le commandant du poste de police à Mirkovci, qui se trouve dans cette

2 zone opérationnelle. Il est question du chef de police, Slavko Ivanovski à

3 qui on demande d'assurer la sécurité du village de Ljuboten.

4 Nous allons prendre la pièce à conviction 232. Là encore il s'agit

5 d'un document du 12 août 2001, destiné au secteur des affaires intérieures

6 du ministère de l'Intérieur de Skopje. C'est encore un autre rapport

7 relatif aux événements et aux mesures prises dans le cadre de l'opération

8 Ramno.

9 J'aimerais vous demander de bien vouloir vous concentrer sur le texte

10 du rapport émanant du chef du poste de police de Cair. Nous voyons qu'à 10

11 heures du matin un groupe de personnes a été vu quittant le village de

12 Ljuboten. Au paragraphe suivant, il est indiqué des tirs et des salves de

13 tirs avec des armes d'infanterie en direction du village de Ljuboten, et

14 cetera.

15 J'aimerais maintenant que nous référions à un autre document, qui est

16 la pièce à conviction 243 -- 232 ou peut-être 243. Est-ce que vous pouvez

17 repartir en arrière. Quel est le numéro de ce document ? Voilà, il s'agit

18 bien du document 243, document 65 ter. Madame,

19 Messieurs les Juges, vous voyez que la date est la date du

20 1er août 2001. Je pense qu'il s'agit d'une coquille, parce qu'il s'agit d'un

21 autre rapport relatif à l'opération Ramno, rapport émis par le superviseur

22 ou le responsable du poste de police de Cair. Vous voyez au milieu du

23 document qu'il y a une liste de noms. Il s'agit d'une liste de personnes

24 qui ont été détenues à Ljuboten le 12 août. Voilà le rapport du chef du

25 poste de police.

26 Qui plus est, il faut savoir que l'attention des médias a été attirée

27 par les événements de Ljuboten après le 12 août. L'Accusation vous

28 présentera un certain nombre d'articles de presse qui incluent, notamment

Page 365

1 des commentaires ou des observations faites par Boskoski lui-même et qui

2 ont fait l'objet de reportages à la presse macédonienne le 15 août 2001. De

3 surcroît, des organisations internationales telles que "Human Rights

4 Watch", ainsi que le comité européen pour la prévention de la torture, ont

5 publié des rapports à propos des événements de Ljuboten. "Human Rights

6 Watch" a publié un rapport officiel le 6 septembre 2001.

7 J'aimerais vous demander de prendre le document 235 [comme

8 interprété], document 65 ter. Il s'agit de la pièce à conviction suivante.

9 Page suivante, je vous prie. Il s'agit de la première page du rapport qui a

10 été publié par "Human Rights Watch", intitulé "Des crimes contre des civils

11 : sévices des forces macédoniennes à Ljuboten, 10 au 12 août 2001."

12 J'aimerais vous demander de prendre la deuxième page de ce rapport,

13 je vous prie. Nous allons dans un premier temps examiner le troisième

14 paragraphe du sommaire. Vous voyez que "Human Rights Watch" a indiqué,

15 entre autres, que des forces de police macédoniennes ont commis des sévices

16 très graves lors de l'opération qui a duré trois jours à Ljuboten. "Lors de

17 l'attaque du dimanche, attaque menée de maison en maison, les forces de la

18 police ont tué six civils. Un homme a été tué par la police alors qu'il

19 essayait de fermer la porte de sa maison lorsque la police est entrée dans

20 la cour de sa maison."

21 J'aimerais maintenant que l'on reprenne la page 2, je vous prie, et

22 que l'on examine le cinquième paragraphe. Vous voyez que "Human Rights

23 Watch" a également fait état dans son rapport du traitement cruel infligé

24 ce jour-là. Vous voyez qu'ils ont écrit : "Les sévices se sont poursuivis

25 pour les centaines de civils albanais de souche qui ont essayé de fuir

26 Ljuboten."

27 Un peu plus bas, il est écrit : "Plus d'une centaine d'hommes ont été

28 arrêtés et ont été conduits à des postes de police à Skopje où ils ont subi

Page 366

1 des passages à tabac très graves.

2 Vous avez "Atula Qaili" -- il faudrait que ce soit "Atula Qaili, âgé

3 de 35 ans, a été conduit hors du village encore en vie par des officiers de

4 police, et son corps roué de coups et extrêmement mutilé a par la suite été

5 récupéré par les membres de sa famille à la morgue de la municipalité.

6 Si nous pouvons prendre la page suivante, je vous prie. Au quatrième

7 paragraphe de ce document - je souhaiterais juste avoir le quatrième

8 paragraphe. Vous voyez que la première recommandation dudit rapport est

9 comme suit : "Human Rights Watch" demande au gouvernement macédonien de

10 mener à bien une enquête et de diligenter des enquêtes et de poursuivre les

11 personnes responsables des sévices de Ljuboten; de mener à bien une enquête

12 crédible, impartiale et transparente pour ce qui est des allégations de

13 sévices de la part du gouvernement à Ljuboten, notamment à propos du rôle

14 du ministre de l'Intérieur Ljube Boskoski et des forces qui se trouvaient

15 placées sous son commandement.

16 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, avant la

17 publication de ce rapport, des articles ont été publiés par le "Sunday

18 Telegraph" à Londres, à propos des conclusions auxquelles on s'attendait

19 pour ce qui est du rapport de "Human Rights Watch". Ce sont des articles

20 qui ont été publiés à la fin du mois d'août 2001, et qui portaient sur les

21 préoccupations exprimées à propos du rôle et de la responsabilité de Ljube

22 Boskoski pour les crimes qui se sont déroulés à Ljuboten.

23 J'aimerais vous demander de prendre la pièce numéro 120. Il s'agit du

24 texte d'une diffusion à la radio. C'est un texte qui a été lu à la radio

25 macédonienne de Skopje le 27 août 2001. J'aimerais vous demander de bien

26 vouloir agrandir le paragraphe du milieu. Vous voyez cela est précédé par

27 "Boskoski," il s'agit d'une réponse de l'accusé aux conclusions auxquelles

28 on s'attendait de la part de "Human Rights Watch".

Page 367

1 D'après ce rapport, M. Boskoski a dit : "Je réfute de façon véhémente

2 les accusations portées contre le ministère de l'Intérieur, contre les

3 forces de police de métier et les forces de police de réserve qui ont fait

4 preuve d'un courage sans précédent dans la défense de la souveraineté de la

5 Macédoine et de l'intégrité territoriale au cours des six derniers mois. Je

6 considère les accusations proférées par "Human Rights Watch" comme une

7 tentative absolument typique de vouloir faire porter la faute au ministère

8 de l'Intérieur, parce que leurs informations se fondent sur ce qu'ont

9 avancé certains témoins. D'après ces témoins, j'aurais observé le massacre

10 de la population civile à partir d'un balcon. Je réfute de façon véhémente

11 ces allégations. Je suis tout à fait prêt à assumer la responsabilité pour

12 la Macédoine à tout moment. Mon but ici est de défendre les intérêts

13 nationaux de la population macédonienne et je n'ai aucune intention de

14 justifier mes actions concrètes. S'il y a des éléments de preuve, je suis

15 tout à fait disposé à y répondre, bien que tout cela soit absolument hors

16 de question."

17 Par conséquent, je vous dirai que l'Accusation a des éléments de

18 preuve absolument percutants qui indiquent que Ljube Boskoski savait, ou

19 avait de bonnes raisons de savoir, que ses subordonnés avaient commis des

20 crimes, les crimes allégués dans le deuxième acte d'accusation modifié.

21 Conformément à l'article 7(3) du Statut, l'Accusation doit prouver que M.

22 Boskoski exerçait le contrôle effectif sur ses subordonnés. La Défense ne

23 réfute absolument pas le fait, qu'à ce moment-là, au moment de l'attaque

24 illicite menée contre le village de Ljuboten, Ljube Boskoski était le

25 ministre de l'Intérieur de la Macédoine et un membre d'un des partis

26 politiques au gouvernement. Ljube Boskoski a assumé ce poste, le poste le

27 plus élevé dans la hiérarchie du ministère de l'Intérieur, entre les mois

28 de mai 2001 et novembre 2002.

Page 368

1 En tant que ministre de l'Intérieur, Ljube Boskoski avait l'autorité

2 et la responsabilité de contrôle général pour assurer le bon fonctionnement

3 des forces de police de métier, des forces de police spéciales et des

4 forces de police de réserve au sein du ministère de l'Intérieur. Il a

5 exercé le contrôle effectif de jure et de facto sur ces forces de police,

6 ce qui inclut Johan Tarculovski et l'unité de police qui a participé

7 directement au crime incriminé dans l'acte d'accusation.

8 Madame, Messieurs les Juges, l'autorité de jure de Ljube Boskoski sur les

9 forces police émanait de plusieurs sources. J'aimerais dans un premier

10 temps attirer votre attention sur la pièce à conviction 93 de l'Accusation.

11 Il s'agit de la constitution macédonienne qui était en vigueur à ce moment-

12 là. Si vous voulez bien examiner l'article 95 de ladite constitution, vous

13 voyez qu'il est indiqué au premier paragraphe de l'article 95 que

14 l'administration de l'Etat est composée des ministres et des autres organes

15 administratifs ainsi que des organisations tel que cela est déterminé par

16 le droit.

17 Si nous prenons maintenant la pièce à conviction 95, qui est l'article

18 relatif à la loi afférente à l'organisation et au travail des organes

19 gouvernementaux, et si vous prenez l'article 16, nous voyons que le

20 ministère de l'Intérieur, en fonction du droit, qu'il y a plusieurs

21 éléments qui relèvent de la compétence du ministère de l'Intérieur,

22 notamment la mise en œuvre d'un système de sécurité publique et d'un

23 système pour l'Etat.

24 Si nous prenons l'article 47(1), vous voyez qu'il est indiqué que M.

25 Boskoski était responsable du comportement de ses employés en tant que

26 ministre du ministère de l'Intérieur, cela en fonction de la même loi. Vous

27 avez à l'article 47, le paragraphe 1 qui indique que "Le travail du

28 ministère est géré par le un ministre."

Page 369

1 Si nous prenons maintenant l'article 49, nous voyons que cette loi indique

2 :

3 "Le ministre représente le ministère, il organise et structure les

4 tâches et activités efficaces et licites. Il présente des réglementations

5 et autres pour lesquelles il est responsable, et il prend toutes les

6 mesures pour assurer la compétence du ministère, conformément à la

7 législation. Il décide des droits, devoirs et responsabilités des employés

8 du gouvernement et des autres personnes employées par le ministère qui

9 n'ont pas le statut d'employés du gouvernement, à moins que cela ne soit

10 indiqué par la législation."

11 Finalement si nous prenons l'article 88, qui est la loi relative aux

12 affaires internes en Macédoine en vigueur en 2001, et si vous prenez

13 l'article 6, vous voyez que ladite loi indique, dans la deuxième partie de

14 cet article :

15 "Un employé du ministère doit exécuter et mettre en œuvre les ordres

16 du ministre ou de la personne habilitée par le ministre, et ce, eu égard

17 aux fonctions de ce ministère, sauf lorsque l'exécution de ces ordres

18 représente un délit au pénal.

19 Parmi les responsabilités officielles conférées à Ljube Boskoski, notamment

20 en matière de sécurité publique et de sûreté de l'Etat, il s'agissait

21 également d'empêcher les violations des lois ou coutumes de la guerre. Je

22 souhaiterais vous montrer un extrait de la pièce numéro 83 de la liste 65

23 ter, qui est la traduction en anglais du code pénal macédonien tel qu'il

24 existait en 2001. Nous voyons la table des matières. Si nous examinons la

25 page suivante, ou plutôt le chapitre 34, on voit qu'il est question des

26 crimes relevant du droit humanitaire et du droit international. Si nous

27 nous reportons aux articles 403 et 417, nous voyons qu'à l'article 403 il

28 est question de crime de génocide. A l'article 404, qui se trouve au bas de

Page 370

1 la page, "Les crimes de guerre à l'encontre de la population civile".

2 Nous voyons à la page suivante qu'il est question des "Crimes à l'encontre

3 des blessés".

4 Ensuite, "Crimes de guerre contre les prisonniers de guerre", à

5 l'article 406. Puis à l'article 407, "Utilisation de moyens de combat non

6 autorisés".

7 Je souhaiterais que l'on passe à l'article 417. Nous allons nous y attarder

8 quelques instants. L'article 417 décrit les crimes motivés par des motifs

9 raciaux. On peut lire au premier alinéa :

10 "Une personne qui, sur la base de sa race, de sa couleur de peau, de

11 sa nationalité ou de son appartenance ethnique, viole les droits

12 fondamentaux et libertés fondamentales des hommes, tels que reconnus par la

13 communauté internationale, est passible d'une peine d'emprisonnement de six

14 mois à cinq ans."

15 Ljube Boskoski exerçait de jure et de facto son autorité à différents

16 niveaux du ministère de l'Intérieur. Les documents qui seront présentés au

17 procès montreront que M. Boskoski exerçait un contrôle effectif jusque dans

18 les détails sur l'administration de la police.

19 Je demande que l'on examine la pièce 36. Il s'agit d'une décision en date

20 du 25 mai 2001. Est-ce que l'on pourrait mettre en exergue le premier

21 paragraphe, s'il vous plaît. Nous y voyons que

22 M. Ungelof est nommé commandant adjoint de la force spéciale, appelée les

23 Tigres, au sein du ministère de l'Intérieur de la République de Macédoine.

24 Est-ce que l'on pourrait revoir la première page, s'il vous plaît, page

25 suivante. Nous voyons qu'au bas de cette décision --

26 M. LE JUGE THELIN : [interprétation] Monsieur Saxon, nous ne voyons pas ce

27 document à l'écran.

28 M. SAXON : [interprétation] Est-ce que vous le voyez maintenant ? Nous

Page 371

1 voyons, comme je disais, que cette décision est signée par Ljube Boskoski

2 en sa qualité de ministre de l'Intérieur.

3 Pourrait-on voir maintenant le document 65 ter numéro 37. Il s'agit d'une

4 décision datée du 20 juin 2001. Pourrait-on voir le premier paragraphe,

5 s'il vous plaît. Nous pouvons lire que M. Ilic est muté des fonctions qu'il

6 exerçait au poste de police de Centar pour être nommé au sein du poste de

7 police Mirkovci, département du ministère de l'Intérieur.

8 Je souhaiterais que l'on revoie la première page du document, s'il

9 vous plaît. Nous voyons que cette décision -- non, excusez-moi, ce n'est

10 pas la bonne décision. Décision suivante, s'il vous plaît. Page suivante.

11 Nous voyons que cette décision a été signée par Ljube Boskoski.

12 Pourrait-on voir la pièce suivante, je vous prie. Nous avons ici un

13 document portant la date du 26 juin 2001. Est-ce que l'on pourrait voir le

14 titre et les premiers paragraphes, s'il vous plaît. Ce document est

15 intitulé "Décision portant sur la création d'unités spéciales de police du

16 ministère de l'Intérieur."

17 Paragraphe 1, je cite : "Une unité de police spéciale est mise en place

18 pour accomplir certaines fonctions."

19 Paragraphe 2 : "L'unité spéciale est créée pour protéger la sécurité de la

20 République de Macédoine dans une situation complexe en matière de sécurité

21 alors que nous assistons à des troubles à l'ordre public."

22 Nous voyons au paragraphe 4 que : "Le commandement de l'unité spéciale

23 comprend le commandant de la brigade, le commandant de bataillon, les

24 commandants de compagnie et les commandants de la sécurité chargée de la

25 logistique."

26 Peut-on voir la page suivante, s'il vous plaît ? Page suivante. Nous voyons

27 que cette décision a été signée par Ljube Boskoski en sa qualité de

28 ministre de l'Intérieur. M. Boskoski exerçait un contrôle effectif, comme

Page 372

1 je le disais, et a même émis des instructions concernant les procédures à

2 suivre en matière de délivrance de pièces d'identité aux policiers de

3 réserve. Est-ce que l'on pourrait, s'il vous plaît, voir la pièce numéro 87

4 de la liste 65 ter. Peut-on mettre en exergue le titre, je vous prie. Ce

5 document est daté du mois de juillet 2001. Il s'agit du "Règlements portant

6 sur la procédure de délivrance de pièces d'identification à l'intention des

7 membres des forces de réserve du ministère de l'Intérieur."

8 Nous voyons ici un certain nombre de règles concernant les modalités

9 de délivrance de ces documents. Peut-on voir la page suivante, s'il vous

10 plaît. Ce document comporte plusieurs pages décrivant un certain nombre de

11 règles. Nous voyons à la dernière page sous l'article 7 que ce règlement

12 était signé par Ljube Boskoski en sa qualité de ministre de l'Intérieur.

13 M. Boskoski inspectait souvent les forces de police placées sous son

14 autorité et sa responsabilité. Je souhaiterais maintenant vous montrer deux

15 séquences vidéo sans la bande-son où nous voyons

16 M. Boskoski inspecter des unités spéciales des forces de police

17 macédonienne au cours de l'année 2001. Il s'agit d'un extrait de la pièce

18 65 ter, numéro 979.

19 [Diffusion de la cassette vidéo]

20 M. SAXON : [interprétation] Nous voyons ici l'arrivée du ministre.

21 Nous voyons des hommes au garde à vous et nous voyons

22 M. Boskoski qui s'adresse à ses subordonnés.

23 Clip suivant, s'il vous plaît.

24 [Diffusion de la cassette vidéo]

25 M. SAXON : [interprétation] Ici M. Boskoski s'adresse à un groupe

26 important de policiers. Cela suffira. Merci.

27 En tant que supérieur hiérarchique et ayant connaissance des crimes

28 reprochés dans l'acte d'accusation, Ljube Boskoski était tenu d'enquêter

Page 373

1 sur les crimes commis et de sanctionner par voie de mesures disciplinaires

2 et autres les auteurs de crimes reprochés. Cette obligation a été continue

3 au moins jusqu'en mai 2002, date à laquelle le Procureur de ce Tribunal a

4 informé les autorités macédoniennes qu'il entendait faire valoir la

5 primauté du Tribunal s'agissant de juger les crimes découlant de l'attaque

6 menée contre Ljuboten en août 2001.

7 Qu'a donc fait M. Boskoski ? Le 13 août 2001, Ljube Boskoski a mis en

8 place une soi-disant commission chargée d'examiner les circonstances et

9 d'analyser les activités menées par les forces de sécurité du ministère de

10 l'Intérieur pour repousser l'attaque armée lancée par les groupes

11 terroristes le 12 août 2001 dans le village de Ljuboten. Le rapport établi

12 par cette commission porte la cote 239 dans la liste 65 ter. Peut-on

13 examiner la première page, s'il vous plaît. Notamment, le paragraphe

14 intitulé "Objet." Nous voyons ici un titre assez long. Il s'agit du titre

15 du rapport. Juste en dessous nous voyons que cette commission a été créée

16 conformément à la décision prise le 13 août 2001. Au cours du procès, vous

17 entendrez des témoignages selon lesquels cette commission comprenait trois

18 hauts dirigeants de la police subordonnés à Ljube Boskoski.

19 Le 4 septembre 2001, la commission a établi ce rapport. Je

20 souhaiterais vous montrer l'opinion fournie par la commission à la fin du

21 rapport, l'avis de cette commission en d'autres termes. Est-ce que l'on

22 peut voir la page en question, s'il vous plaît. Peut-on voir le premier

23 paragraphe, s'il vous plaît. Nous voyons dans la première phrase qu'il est

24 dit que les activités menées par les forces de sécurité du ministère de

25 l'Intérieur --

26 Je reprends :

27 "Les activités menées par les forces de sécurité du ministère de

28 l'Intérieur afin de repousser les attaques armées lancées par les groupes

Page 374

1 terroristes le 12 août 2001 dans le village de Ljuboten sont

2 indispensables, justifiées et licites."

3 Tel était donc l'avis de cette soi-disant commission. Le président de

4 cette commission, Goran Mitevski, était chef de la sécurité publique au

5 sein du ministère de l'Intérieur, un subordonné direct et un collaborateur

6 depuis longtemps de Ljube Boskoski. Cette commission n'a procédé en réalité

7 à aucune enquête concernant les événements de Ljuboten, comme il affirmait

8 dans son rapport.

9 Les trois membres de ladite commission ne se sont jamais rencontrés,

10 n'ont jamais auditionné de témoins ou de suspects, qu'il s'agisse de

11 membres de la police, de l'armée ou de victimes albanaises de souche

12 identifiés en rapport avec les événements de Ljuboten. Ils n'ont jamais

13 recueilli de preuves orales ou documentaires concernant les meurtres, les

14 traitements cruels et la destruction des biens pendant ou après l'attaque.

15 N'ont jamais suivi les règles de procédure et de preuve et n'ont fait que

16 faire état d'un avis vague dans un document de cinq pages. L'Accusation

17 démontrera, par conséquent, que Ljube Boskoski a manqué à son obligation de

18 prendre les mesures raisonnables pour s'assurer que ses subordonnés, qui

19 avaient commis les crimes reprochés dans le deuxième acte d'accusation

20 modifié, seraient punis.

21 Les preuves présentées au procès démontreront que seuls les habitants

22 albanais de souche de Ljuboten ont fait l'objet d'enquête et ont été

23 poursuivis pour les événements survenus en août 2001. Un certain nombre de

24 mesures raisonnables auraient toutefois pu être prises par Ljube Boskoski.

25 Je vais en énoncer quelques-unes avant de terminer mon intervention.

26 M. Boskoski aurait pu déposer une plainte au pénal conformément aux

27 dispositions du Règlement sur la conduite des affaires du ministère de

28 l'Intérieur, numéro 370 dans la liste 65 ter, article 103. Aux termes de

Page 375

1 cet article, M. Boskoski, s'il avait des raisons raisonnables de penser

2 qu'un crime avait été commis, était tenu de prendre les mesures nécessaires

3 pour identifier les auteurs des crimes, empêcher leur fuite et recueillir

4 les éléments de preuve nécessaires.

5 Aux termes de l'article 167 du même document, sur la base des informations

6 recueillies, le ministre était tenu de déposer une plainte au pénal auprès

7 du ministère public. M. Boskoski aurait pu procéder à une enquête interne

8 au sein du ministère de l'Intérieur et aurait pu congédier les employés de

9 ce ministère responsable des crimes reprochés. Conformément à la loi du

10 travail, document 65 ter numéro 376, conformément à cette loi sur les

11 affaires intérieures, une commission digne de ce nom devait être mise en

12 place afin de déterminer la responsabilité des employés mis en cause et de

13 rédiger une proposition à l'intention du ministre.

14 S'agissant de l'utilisation des armes à feu et autres moyens de coercition

15 utilisés par les employés de M. Boskoski à Ljuboten le

16 12 août, des rapports auraient dû être rédigés et une enquête aurait dû

17 être menée, qu'il s'agisse d'une enquête criminelle ou sous forme de

18 rapport interne.

19 Je souhaiterais que l'on revienne maintenant sur le document numéro 100

20 dans la liste 65 ter. Il s'agit d'un décret portant sur l'utilisation des

21 moyens de coercition et des armes à feu au sein du ministère de

22 l'Intérieur.

23 A l'article 5 il est dit :

24 "Avant d'utiliser tout moyen de coercition ou des armes à feu, si les

25 circonstances le permettent, la personne habilitée doit s'identifier et

26 mettre en garde de façon claire la personne concernée sur l'utilisation de

27 ces moyens."

28 Article 27, il s'agit d'un chapitre intitulé "Transmission de rapport sur

Page 376

1 l'utilisation de moyens de coercition ou d'armes à feu."

2 Article 27, je cite : "Une personne habilitée, qui a eu recours à des

3 moyens de coercition ou à une arme à feu, présente un rapport écrit à son

4 supérieur direct qui détermine le caractère légitime de l'utilisation de

5 ces moyens de coercition, c'est-à-dire des armes à feu."

6 L'Accusation présentera des preuves au procès selon lesquelles ces

7 procédures étaient en vigueur à l'époque du conflit armé qui a fait rage en

8 2001. Il n'existe cependant aucune preuve selon lesquelles ces procédures

9 ont été mises en œuvre s'agissant des événements de Ljuboten.

10 Peut-on maintenant voir l'article 9 de ce même document, s'il vous plaît.

11 Je cite :

12 "Une personne habilitée qui enfreindra les dispositions légales en

13 matière d'utilisation des moyens de coercition ou d'armes à feu sera

14 poursuivie conformément au règlement en vigueur."

15 Peut-on maintenant examiner le document 65 ter numéro 88. Il s'agit là

16 encore de la loi sur les affaires intérieures. Article 38. A nouveau, nous

17 voyons qu'en vertu de la loi des affaires

18 intérieures :

19 "La raison, la justification et emploi régulier des moyens de

20 coercition ou utilisation des armes à feu doit être évalué au cas par cas

21 par le supérieur hiérarchique."

22 Donc, M. Boskoski devait mener une enquête en tant qu'officier, en

23 tant que fonctionnaire autorisé au ministère de l'Intérieur. Il était de

24 son devoir d'ouvrir des enquêtes à propos des crimes qui avaient eu lieu à

25 Ljuboten. Il n'y a pas eu d'enquête en tant que telle. Il n'y a pas eu de

26 demande d'enquête faite par M. Boskoski ou par les membres du ministère de

27 l'Intérieur en ce qui concerne les meurtres, les traitements cruels et les

28 destructions aléatoires et sans motif dont il est question dans l'acte

Page 377

1 d'accusation.

2 Malgré cette obligation et malgré le fait que Boskoski était au

3 courant de ces crimes, l'Accusation montrera que ni Johan Tarculovski ni

4 l'unité de police qu'il dirigeait lors de cette attaque illégale sur

5 Ljuboten, ni aucun membre des forces de police qui était impliqué dans les

6 meurtres, dans les traitements cruels et dans les destructions sans motif

7 de propriétés de résidents albanais de souche de Ljuboten, n'a jamais été

8 puni, sanctionné ou réprimandé de quelque façon que ce soit par M. Boskoski

9 ou par tout membre du ministère de l'Intérieur. M. Tarculovski a continué à

10 être employé au sein du ministère de l'Intérieur pendant tout le mandant de

11 M. Boskoski.

12 Madame et Messieurs les Juges, étant donné que M. Boskoski n'a pas pris les

13 mesures nécessaires pour sanctionner les auteurs de crimes commis dans le

14 village de Ljuboten, l'Accusation vous demandera de le juger coupable

15 pénalement en tant que supérieur hiérarchique en application de l'article

16 7(3) du Statut de ce Tribunal.

17 J'en ai maintenant terminé avec les déclarations linéaires de l'Accusation

18 et je vais me rasseoir.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Saxon.

20 Madame Residovic, le Règlement prévoit que la Défense de

21 M. Boskoski peut maintenant répondre à ce qui vient d'être dit, du moins

22 que la Défense peut faire une déclaration. Avez-vous l'intention de le

23 faire ?

24 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, la Défense, en

25 application de l'article 84 du Règlement de procédure et de preuve, va

26 utiliser son droit à faire sa déclaration liminaire avant de présenter ses

27 moyens.

28 Je tiens ainsi à informer la Chambre de première instance que notre

Page 378

1 client, M. Boskoski, ne va pas utiliser son droit permis au titre de

2 l'article 84 bis, qui serait de faire une déclaration aujourd'hui, si tant

3 est que le Tribunal l'autorise.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Si j'ai bien compris, vous

5 n'allez pas prendre la parole maintenant, mais vous allez le faire lorsque

6 vous présenterez vos moyens de preuve, et votre client lui non plus n'a pas

7 l'intention de parler maintenant.

8 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Tout à fait.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Monsieur Apostolski,

10 maintenant. Qu'en est-il de votre position ? Avez-vous décidé de faire une

11 déclaration liminaire maintenant ?

12 M. APOSTOLSKI : [interprétation] Monsieur le Président, la Défense de Johan

13 Tarculovski est du même avis que celle de

14 M. Boskoski en ce qui concerne ce point, donc nous ne ferons notre

15 déclaration liminaire que lors de la présentation de nos moyens de preuve.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Apostolski. Nous

17 devions aujourd'hui faire les déclarations liminaires en l'espèce puisque

18 le procès commence aujourd'hui, officiellement en tout cas. Comme nous le

19 savons maintenant, l'Accusation a fait sa déclaration liminaire et la

20 Défense préfère utiliser la pratique plus courante dans cette enceinte, qui

21 est de faire sa déclaration liminaire lors de la présentation de ses

22 propres moyens. Ce qui met donc un terme à nos débats aujourd'hui.

23 Avant de lever la séance, quelqu'un a-t-il quoi que ce soit à

24 demander ?

25 M. METTRAUX : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

26 La Défense a indiqué aux Juges qu'elle aimerait répondre rapidement à

27 trois demandes provenant de l'Accusation. Nous devons le faire maintenant.

28 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Allez-y.

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1 M. METTRAUX : [interprétation] Très bien.

2 Première réponse de la Défense portant sur la dernière demande de la

3 Défense portant sur l'amendement des pièces au titre de l'article 65 bis,

4 la Défense tient à indiquer qu'elle n'a aucune objection formelle à

5 soulever en ce qui concerne sa demande de modification de la liste des

6 pièces.

7 La Défense aimerait néanmoins qu'il soit noté au compte rendu qu'elle est

8 assez inquiète en ce qui concerne les modifications permanentes que

9 l'Accusation apporte à sa liste de pièces et ainsi qu'à sa liste de

10 témoins. Nous avons fait d'ailleurs la même chose précédemment. La Défense

11 est assez concernée et assez préoccupée à propos de ces modifications sans

12 qu'il semble ne jamais se terminer.

13 Pour ce qui est de l'autre demande de l'application, c'est-à-dire le fait

14 qu'ils voudraient retirer 30 pièces de l'article 65 ter, la Défense ici ne

15 soulève aucune objection.

16 Ensuite, deuxièmement, ce qui concerne la modification par l'Accusation à

17 la Défense selon laquelle certains documents auraient été oubliés sur la

18 liste des pièces qui a été fournie à la Défense. La Défense ici voudrait

19 juste indiquer qu'elle n'a aucune objection à ce que ce document soit remis

20 en place dans la liste des pièces de l'Accusation, puis, disons, que ce

21 soit uniquement un oubli.

22 La Défense aimerait enfin répondre à la demande de l'Accusation à

23 propos de mesures de protection pouvant être apportées à l'un de ses

24 témoins. La position de la Défense est qu'il est encore très prématuré de

25 faire cette demande à l'heure actuelle étant donné que jusqu'à présent ce

26 témoin a déclaré qu'elle ne voulait pas venir témoigner devant ce Tribunal.

27 Mais la Défense considère que tous les points portant sur des mesures de

28 protection apportées à des témoins devraient être faites, le cas échéant,

Page 380

1 quand le témoin est cité ou quand il est enjoint de comparaître.

2 La Défense ne souhaite pas réitérer les arguments qui ont été avancés

3 par le conseil principal, Mme Residovic, pour ce qui est des arguments tout

4 à fait incorrects, à notre avis, fournis par l'enquêteur de l'Accusation.

5 Nous allons juste noter que ce système de mesures de protection ne devrait

6 pas être suremployé en ayant recours à de soi-disant menaces qui poseraient

7 un risque à des témoins.

8 Cela dit, bien sûr, la Défense est entre les mains des Juges de la

9 Chambre pour ce qui est de la décision d'accorder ou de ne pas accorder des

10 mesures de protection à des personnes, et bien sûr, la Défense ne soulèvera

11 aucune objection formelle si de telles mesures sont accordées.

12 Je vous remercie.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Mettraux.

14 Monsieur Apostolski, avez-vous quoi que ce soit à ajouter en ce qui

15 concerne ce qui vient d'être abordé ?

16 M. APOSTOLSKI : [interprétation] Absolument pas. Je vous remercie.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

18 Donc il semble qu'il n'y ait plus rien à l'ordre du jour. Ce qui nous

19 permet de lever la séance. Nous commencerons la présentation des moyens à

20 charge le lundi 7 mai 2007.

21 Nous remercions les conseils d'être venus à l'audience et nous levons la

22 séance jusqu'au 7 mai.

23 --- L'audience est levée à 11 heures 54 et reprendra le

24 7 mai 2007, à 14 heures 15.

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