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1 Le jeudi 10 juillet 2008
2 [Jugement]
3 [Audience publique]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 17.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez annoncer l'affaire.
6 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame
7 et Messieurs les Juges. Il s'agit de
8 l'affaire IT-04-82-T, le Procureur contre Ljube Boskoski et Johan
9 Tarculovski.
10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre de première instance est
11 réunie aujourd'hui pour rendre son jugement dans l'affaire, le Procureur
12 contre Ljube Boskoski et Johan Tarculovski.
13 Au cours de la présente audience, la Chambre exposera ses conclusions de
14 manière succincte. Nous tenons à souligner qu'il s'agit ici uniquement d'un
15 résumé, seul fait autorité l'exposé des conclusions motivées de la Chambre
16 que l'on trouve dans le jugement écrit dont des copies seront mises à la
17 disposition des parties à l'issue de l'audience.
18 Ljube Boskoski et Johan Tarculovski sont tous deux accusés de crimes qui
19 auraient été commis entre le 12 et le 15 août 2001 contre des Albanais de
20 souche de Ljuboten, un village situé à proximité de Skopje, en ex-
21 République yougoslave de Macédoine, ci-après, la Macédoine.
22 Selon l'acte d'accusation, une unité de police placée sous le commandement
23 de Johan Tarculovski serait entrée dans le village le 12 août au matin. Des
24 membres de cette unité y auraient abattu six villageois non-armés, Albanais
25 de souche, et auraient infligé des sévices graves à 13 autres villageois
26 également Albanais de souche. Dix d'entre eux auraient subi d'autres
27 sévices encore dans un poste de contrôle installé par la police à l'entrée
28 du village, puis au poste de police de Mirkovci à Skopje. L'un des
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1 villageois serait décédé des suites de ces sévices.
2 Il est allégué en outre que des policiers auraient délibérément mis le feu
3 à au moins 14 maisons du village, leur occasionnant ainsi des dégâts
4 importants ou entraînant leur destruction. Les policiers auraient causé
5 d'autres dommages en jetant des grenades à main dans les maisons et en
6 ouvrant le feu avec leurs fusils.
7 Dans l'après-midi du 12 août, environ 90 villageois, Albanais de souche,
8 qui fuyaient Ljuboten, auraient également subi des traitements cruels entre
9 les mains d'autres policiers dans un poste de contrôle situé non loin du
10 village, puis dans plusieurs postes de police, au tribunal II et à
11 l'hôpital de Skopje.
12 La police est une composante du ministère de l'Intérieur du gouvernement de
13 la Macédoine. A l'époque des faits, Ljube Boskoski était ministre de
14 l'Intérieur. Il est tenu responsable, sur la base de l'article 7(3) du
15 Statut du Tribunal, tel qu'adopté par les Nations Unies, au motif qu'en sa
16 qualité de ministre, il était le supérieur hiérarchique des policiers en
17 cause et que, alors qu'il savait ou avait des raisons de savoir que ses
18 subordonnés avaient commis des crimes, il n'a pas pris les mesures
19 nécessaires et raisonnables pour qu'une enquête soit menée au sujet de ces
20 crimes et que les responsables en soient punis.
21 D'après l'acte d'accusation, Ljube Boskoski aurait continué à manquer à ses
22 obligations jusqu'en mai 2002, lorsque le Procureur du Tribunal a annoncé
23 qu'il se chargeait d'enquêter sur les événements de Ljuboten.
24 C'est en tant que supérieur hiérarchique des policiers qui auraient commis
25 les crimes allégués que Ljube Boskoski est tenu responsable pour les crimes
26 suivants :
27 Premièrement, le meurtre de sept hommes, Albanais de souche, une violation
28 des lois aux coutumes de la guerre reconnue par l'article 3(1)A des
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1 conventions de Genève de 1949. Six de ces hommes auraient été abattus dans
2 le village tandis qu'un autre serait décédé à l'hôpital des suites des
3 sévices qui lui auraient été infligés dans le village et au poste de police
4 de Mirkovci.
5 Deuxièmement, la destruction sans motif d'un village en incendiant au moins
6 14 maisons, une violation des lois aux coutumes de la guerre.
7 Et troisièmement, les traitements cruels infligés à des villageois,
8 Albanais de souche, dans les lieux indiqués, une violation des lois aux
9 coutumes de la guerre reconnue par l'article 3(1)A des conventions de
10 Genève de 1949.
11 La responsabilité présumée de l'autre accusé en l'espèce, Johan
12 Tarculovski, est tout autre. Johan Tarculovski était un policier ayant un
13 rang relativement plus élevé dans la hiérarchie. Il était membre de l'unité
14 chargée d'assurer la sécurité du président de la Macédoine et de sa
15 famille.
16 D'après l'acte d'accusation, il aurait commandé l'unité de police qui est
17 entrée dans le village de Ljuboten le 12 août 2001 et aurait dirigé celle-
18 ci durant l'attaque. Il aurait également été présent au moment de la
19 commission des crimes reprochés.
20 Johan Tarculovski est tenu responsable sur la base de l'article 7(1) du
21 Statut pour avoir ordonné, planifié et incité à commettre les crimes commis
22 dans le village par la police et pour s'en être rendu complice. Il est, par
23 ailleurs, mis en cause pour avoir participé à une entreprise criminelle
24 commune de concert avec d'autres personnes en vue de commettre les crimes
25 en question. Il n'est toutefois pas tenu responsable des mauvais
26 traitements qui auraient été infligés ailleurs qu'à Ljuboten.
27 Pour que le Tribunal puissent connaître des crimes reprochés aux accusés,
28 l'Accusation doit prouver que la Macédoine était le théâtre d'un conflit
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1 armé à l'époque des faits. Aux dires de l'Accusation, un conflit armé
2 interne a opposé entre janvier et septembre 2001 au moins, les forces de
3 sécurité, c'est-à-dire l'armée et la police, et l'Armée de libération
4 nationale albanaise, ci-après, l'ALN. Cette question très controversée au
5 procès s'avère complexe tant au plan factuel qu'au plan juridique.
6 La Chambre a examiné les points importants du dossier et exposé son
7 raisonnement dans le jugement. Elle est, en conséquence, convaincue qu'en
8 août 2001 un conflit armé interne opposait les forces de sécurité et l'ALN.
9 L'Accusation et la Défense ont présenté des thèses diamétralement opposées
10 au sujet des événements survenus à Ljuboten le 12 août 2001.
11 La Défense, pour sa part, affirme que les événements de Ljuboten
12 s'inscrivaient dans le cadre d'une opération légitime menée par les forces
13 de l'ordre dans le but de localiser des membres de l'ALN et d'empêcher
14 d'autres attaques.
15 L'Accusation soutient, quant à elle, que l'opération menée par la police à
16 Ljuboten et les destructions qui s'en sont suivies ne sauraient constituer
17 une opération légitime de la part des forces de l'ordre. Selon
18 l'Accusation, cette opération n'était pas justifiée par les exigences
19 militaires, Ljuboten n'était pas un bastion de l'ALN et le village ne
20 servait pas de base logistique à celle-ci.
21 La Chambre a entendu de nombreux témoignages contradictoires sur ce point
22 ainsi que sur d'autres points évoqués au procès. La Chambre fait observer
23 qu'elle a estimé que les témoignages de certains habitants de Ljuboten,
24 notamment concernant la présence et les activités de l'ALN dans le village
25 et ceux de certains membres de la police et de l'armée à propos des
26 événements en question, n'étaient ni sincères ni dignes de foi.
27 La Chambre est convaincue que, le 12 août 2001 au matin, un groupe composé
28 d'au moins 60 à 70 policiers de réserve, voire peut-être plus de 100
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1 policiers, tous très bien armés et dont certains étaient employés par une
2 agence de sécurité appelée Kometa, est entré dans le village de Ljuboten.
3 Ils transportaient un grand nombre d'explosifs et de munitions
4 incendiaires. Un véhicule blindé de transport de troupes de la police les
5 accompagnait. Johan Tarculovski dirigeait ce groupe de policiers. Des
6 unités de l'armée macédonienne positionnées dans les montagnes entourant le
7 village ont fourni un appui feu, notamment à l'aide de mortiers, tout
8 particulièrement lorsque le groupe s'est apprêté à pénétrer dans le
9 village.
10 Cependant, aucun membre de l'armée n'est mis en cause dans le cadre des
11 événements en question.
12 Aussitôt entré dans le village, le groupe a dynamité le portail de la
13 propriété d'une famille albanaise de souche, tiré de nombreux coups de feu
14 en direction de la maison et à travers la porte d'entrée qui était ouverte,
15 abattant ainsi un homme non armé et habillé en civil alors que celui-ci
16 tentait de fermer la porte. L'homme est décédé peu de temps après dans la
17 maison en présence de membres de sa famille. Or, les éléments de preuve ne
18 permettent pas d'établir que cet homme avait des liens quelconques avec
19 l'ALN. De toute évidence, il ne constituait pas une menace pour les
20 policiers au moment où ceux-ci l'ont abattu et il ne prenait aucune part
21 aux hostilités. Les policiers n'ont pas cherché à pénétrer dans la maison
22 pour fouiller celle-ci ou interroger les autres occupants. En revanche, une
23 voiture et du matériel de construction se trouvant dans la cour devant la
24 maison ont été délibérément mis à feu par les policiers à l'aide des
25 dispositifs incendiaires dont ils étaient équipés. Les policiers ont
26 ensuite poursuivi leur chemin. Après quoi ils ont délibérément mis à feu
27 une maison située à proximité et appartenant à un autre Albanais de souche,
28 et ce, en se servant là encore des mêmes dispositifs incendiaires. Ils
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1 n'ont pas pénétré dans la maison pour perquisitionner. Or, les éléments de
2 preuve ne permettent pas d'établir que cette maison avait été utilisée pour
3 lancer une attaque contre la police ou l'armée ce jour-là ni que son
4 propriétaire avait des liens avec l'ALN. Les policiers ont continué leur
5 progression le long de la route principale du village et incendié, ce
6 faisant, une dizaine d'autres maisons dans des circonstances similaires.
7 Non loin du centre du village, les policiers ont découvert 13 hommes,
8 Albanais de souche, qui avaient trouvé refuge dans les caves de deux
9 maisons de la propriété familiale d'Adem Ametovski. Des femmes se
10 trouvaient également dans l'une des caves. Les hommes n'étaient pas armés,
11 ils étaient habillés en civil et n'ont pas opposé la moindre résistance à
12 l'arrivée de la police. Les hommes ont été dépouillés de leurs objets de
13 valeur, leur argent et leurs pièces d'identité, et les femmes se sont vu
14 confisquer leurs objets de valeur et leur argent.
15 A l'extérieur, dans la cour située devant l'une des deux maisons, les
16 hommes ont été contraints à s'allonger sur le sol et à remonter leurs
17 vêtements de manière à se couvrir les yeux et la tête. Ils ont alors été
18 frappés très violemment et de manière répétée par les policiers qui leur
19 ont également donné des coups de pied. Certains ont été frappés à l'aide de
20 crosses de fusil tandis qu'ils gisaient sur le sol. Ils ont été menacés
21 avec des couteaux et l'un des policiers a fait une entaille en forme de
22 croix dans le dos d'un homme. Un autre homme a reçu une balle dans le bras
23 ou dans la main alors qu'il était à terre. Un autre a ensuite été abattu de
24 plusieurs balles alors que ses compagnons étaient allongés par terre.
25 Les hommes restants ont alors, pour la plupart, été contraints à marcher
26 sous escorte armée jusqu'à un poste de contrôle de la police installé près
27 d'une maison située à l'entrée du village, la maison de Brace. Toutefois,
28 deux vieillards ont été contraints à rester au domicile d'Adem Ametovski.
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1 Les policiers ont tiré de nombreux coups de feu sur l'un d'eux. Il est
2 décédé non loin de la maison. Les dix hommes restants ont continué à subir
3 d'autres sévices entre les mains des policiers qui les ont escortés à la
4 maison de Brace, à l'entrée du village, tant et si bien que plusieurs ont
5 perdu connaissance.
6 Les hommes ont ensuite été maintenus au poste de police de Mirkovci où ils
7 ont de nouveau été roués de coups. L'un deux a succombé à ses blessures le
8 lendemain. Il avait été conduit à l'hôpital après avoir été violemment
9 malmené par des membres de l'unité de police déployée à Ljuboten, puis par
10 plusieurs policiers du poste de Mirkovci.
11 Cependant, les éléments de preuve ne permettent pas d'établir que les
12 policiers dirigés par Johan Tarculovski qui ont maltraité cet homme dans le
13 village de Ljuboten l'ont fait avec l'intention de lui donner la mort. Les
14 policiers qui se sont acharnés sur lui au poste de police de Mirkovci ne
15 faisaient pas partie du groupe dirigé par Johan Tarculovski.
16 Les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que l'un quelconque
17 des hommes réfugiés dans la propriété familiale d'Adem Ametovski avait le
18 moindre lien avec l'ALN. Lorsque ces hommes ont été abattus ou lorsqu'ils
19 ont subi des mauvais traitements, ils se trouvaient sous la garde de la
20 police, ne portaient pas d'armes, étaient en infériorité numérique et ne
21 menaçaient aucunement les policiers armés. Ils ne prenaient aucune part
22 active aux hostilités.
23 Poursuivant leur avancée dans le village, les policiers ont atteint un
24 ensemble de maisons situées à la périphérie du village appartenant à une
25 famille albanaise de souche. Bien que les éléments de preuve présentés en
26 rapport avec les activités menées à cet endroit ne soient pas concluants à
27 de nombreux égards, ils ne permettent pas d'exclure la possibilité que l'on
28 ait pu tirer sur la police et l'armée à partir d'une ou plusieurs de ces
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1 maisons. Alors que les policiers s'approchaient, cinq hommes sont sortis
2 par l'arrière de l'une des maisons et ont pris la fuite en courant. Ils ont
3 traversé un champ pour se diriger vers la zone boisée située sur la
4 colline. Dans leur fuite, ils ont essuyé des tirs nourris de la police et
5 de l'armée qui avait pris position sur les hauteurs du village. Deux des
6 hommes sont parvenus à s'enfuir. Les corps des trois autres, tous criblés
7 de balles, ont été retrouvés dans le champ.
8 La police affirme avoir découvert trois armes à feu et des munitions près
9 de ces trois corps. Cependant, la version donnée par la police au sujet de
10 ces trois armes paraît douteuse. En effet, la police a prétendu plus tard
11 que ces mêmes armes appartenaient à certains des 13 hommes qui s'étaient
12 réfugiés dans les caves de la propriété d'Adem Ametovski ainsi qu'il a été
13 indiqué précédemment. Ces armes ont été indiquées en tant que pièces à
14 conviction dans le cadre des procédures engagées à leur encontre.
15 Les corps des trois hommes retrouvés dans le champ, tout comme ceux des
16 deux hommes abattus de plusieurs balles par la police plus tôt à
17 l'extérieur du domicile d'Adem Ametovski, ont été laissés en l'état. La
18 police n'a ouvert aucune enquête sur les lieux, pas plus qu'elle n'a
19 procédé à l'examen des corps. Les défunts ont été inhumés par des
20 villageois deux jours plus tard.
21 Environ huit mois plus tard, leurs corps ont été exhumés en présence de
22 représentants du Tribunal, puis autopsiés. Leur apparence toutefois avait
23 considérablement changé.
24 S'agissant des trois hommes abattus dans le champ, il a été établi que
25 leurs corps présentaient de nombreuses blessures par balle occasionnées par
26 des tirs provenant de plusieurs directions. Il n'a cependant pas été
27 possible de déterminer laquelle ou lesquelles de ces blessures par balle
28 avaient entraîné la mort. Par conséquent, il n'a pas été possible de
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1 déterminer si ces trois hommes avaient été mortellement touchés par les
2 tirs de la police ou par ceux de l'armée. Or, seuls sont mis en cause les
3 tirs effectués par la police. Aussi n'a-t-il pas été établi que des membres
4 de la police étaient responsables du décès de ces trois hommes.
5 Qui plus est, bien que les éléments de preuve produits ne soient pas tout à
6 fait convaincants, il est possible que les trois hommes abattus dans le
7 champ aient tiré sur la police ou sur l'armée et se soient enfuis munis de
8 leurs armes pour trouver refuge ailleurs. A cet égard, il n'a pas été
9 établi que ces hommes n'avaient pas pris part aux affrontements armés.
10 Pour les deux raisons exposées plus haut, il n'a pas été prouvé que les
11 trois hommes abattus dans le champ avaient été tués par la police.
12 Alors que les villageois cherchaient à s'enfuir, ce 12 août dans l'après-
13 midi, un poste de contrôle installé par la police sur la route de Skopje où
14 d'autres policiers étaient en faction, les hommes ont été séparés des
15 femmes et soumis à des traitements cruels. Ils ont ensuite été conduits
16 dans plusieurs postes de police de Skopje où nombre d'entre eux ont été
17 encore violemment malmenés. Plusieurs villageois de Ljuboten ont alors été
18 emmenés à l'hôpital de la ville de Skopje, d'autres au tribunal II de
19 Skopje.
20 D'après les éléments de preuve, il est possible qu'à ces deux endroits, les
21 hommes en question aient subi d'autres mauvais traitements. Cependant, il
22 n'a pas été établi que les auteurs des mauvais traitements infligés au
23 tribunal et à l'hôpital relevaient du ministère de l'Intérieur.
24 Ainsi qu'il a été indiqué, Ljube Boskoski ne peut être déclaré coupable des
25 infractions retenues dans l'acte d'accusation qu'en sa qualité de supérieur
26 hiérarchique sur la base de l'article 7(3) du Statut en vertu du principe
27 de la responsabilité du supérieur hiérarchique.
28 La Défense de Boskoski fait essentiellement valoir que Ljube Boskoski
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1 n'était pas le supérieur hiérarchique ni de jure ni de facto des policiers
2 qui sont entrés dans Ljuboten le 12 août 2001. Il n'était pas non plus le
3 supérieur hiérarchique de Johan Tarculovski, pas plus que celui des autres
4 policiers en faction au poste de contrôle, aux postes de police, au
5 tribunal ou à l'hôpital, en d'autres termes, aux endroits où les
6 infractions reprochées auraient été commises.
7 De plus, la Défense soutient que Ljube Boskoski n'avait pas, au sens de
8 l'article 7(3), le pouvoir de punir les responsables de ces crimes. De
9 nombreux éléments de preuve ont été présentés à l'appui de cette thèse.
10 Cependant, pour les motifs exposés dans le jugement écrit, la Chambre est
11 convaincue que Ljube Boskoski, en sa qualité de ministre de l'Intérieur au
12 moment des faits, avait le pouvoir de contrôler et de diriger la police
13 ainsi que tout autre agent du ministère de l'Intérieur, y compris les
14 membres de la police de réserve. Ce pouvoir lui permettait notamment de
15 veiller à ce que les policiers chargés d'enquêter sur d'éventuels crimes, y
16 compris ceux qui étaient tenus de suivre les instructions des organes
17 judiciaires et d'apporter leur concours au ministère public, à savoir les
18 fonctionnaires de la police judiciaire du ministère de l'Intérieur,
19 s'acquittent de leurs fonctions de manière efficace et dans le cadre de la
20 loi. Il va de soi que ce pouvoir de contrôle et de direction s'appliquait à
21 Johan Tarculovski, à l'époque employé par le ministère de l'Intérieur.
22 Contrairement à ce qu'ont rapporté certains médias et à ce qu'ont cru
23 certaines personnes à l'époque, Ljube Boskoski ne se trouvait pas à
24 Ljuboten pendant toute la journée du 12 août pour diriger l'opération des
25 forces de police. Lorsque la nouvelle de celle-ci s'est répandue, le
26 président macédonien lui a demandé de se rendre sur place. Il est arrivé à
27 Ljuboten alors que l'opération touchait à sa fin et a assisté à certains
28 événements depuis la maison de Brace située à l'entrée du village. Il est
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1 resté là pendant plus d'une heure.
2 Les éléments de preuve montrent qu'il a appris que l'opération contre les
3 terroristes avait été un succès et que quelques-uns avaient été arrêtés.
4 Personne ne lui a dit que certains avaient été abattus. Non loin de là, il
5 a vu les dix derniers hommes qui avaient été détenus chez Adem Ametovski
6 dans le village. De là, ils avaient été emmenés sous escorte dans la maison
7 de Brace. Ils étaient allongés face contre terre, la tête recouverte, et il
8 ne semble pas qu'il ait eu des raisons de penser qu'ils avaient été
9 sauvagement maltraités. On voyait de la fumée s'élever de certaines parties
10 du village, ce qui n'est pas anormal dans le cadre d'opérations
11 antiterroristes.
12 En bref, d'après ce qu'il a pu voir et d'après ce que la police lui a dit,
13 il n'avait aucune raison de penser qu'il y avait eu meurtre, traitement
14 cruel ou destruction sans motif.
15 Deux jours plus tard, Ljube Boskoski a appris par les rapports de police
16 que des terroristes avaient été tués. En outre, il a été très vite informé
17 par des diplomates, par des organisations, notamment de défense des droits
18 de l'homme et par les médias, des allégations graves mettant en cause le
19 comportement de policiers à Ljuboten et ailleurs le 12 août et le
20 lendemain. Les informations qui lui parvenaient suffisaient à lui faire
21 comprendre que des policiers avaient probablement commis des crimes.
22 Puisqu'il était leur supérieur hiérarchique, Ljube Boskoski avait
23 l'obligation d'ouvrir une enquête ou de transmettre un rapport aux
24 autorités macédoniennes compétentes dont la tâche était d'enquêter sur des
25 crimes afin de faire toute la lumière sur ce qui s'était produit et de
26 punir les responsables.
27 Aux fins de l'article 7(3) du Statut, Ljube Boskoski se serait acquitté de
28 l'obligation qui lui était faite en tant que supérieur de punir ses
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1 subordonnés auteurs de crimes s'il avait transmis un rapport aux autorités
2 compétentes, rapport qui aurait probablement entraîné l'ouverture d'une
3 enquête.
4 Dans les faits, la police du ministère de l'Intérieur a transmis deux
5 rapports de routine aux autorités compétentes, c'est-à-dire au juge
6 d'instruction et au procureur. Le 12 août 2001 au soir, un rapport a été
7 établi au sujet des personnes décédées à Ljuboten et un autre a fait état
8 du décès à l'hôpital de l'homme qui avait subi des mauvais traitements dans
9 ce même village puis au poste de police de Mirkovci.
10 Ljube Boskoski a été informé que les autorités judiciaires avaient été
11 mises au courant et que des mesures avaient déjà été prises en vue d'une
12 enquête. Certes, ces rapports établis par ses subordonnés n'étaient ni
13 complets ni précis et ne relataient pas en détail les comportements
14 incriminés, mais ils suffisaient pour ouvrir une enquête. En effet, en
15 vertu des lois en vigueur, ces rapports auraient dû inciter les autorités
16 judiciaires ainsi que le procureur à enquêter sur chacun des décès. Ces
17 enquêtes auraient officiellement permis au juge d'instruction et au
18 procureur de faire la lumière sur les allégations de traitement cruel et de
19 destruction sans motif étroitement liées aux agissements des membres de la
20 police et de déterminer si des poursuites se justifiaient.
21 En fait, aucune enquête n'a été diligentée par les autorités compétentes.
22 Aucune action pénale n'a été engagée à l'encontre de membres de la police.
23 Plusieurs raisons peuvent expliquer cette inaction, notamment le fait que
24 les policiers de Cair n'ont pas correctement fait leur travail le 12 août
25 2001 et les jours suivants, et le fait que les autorités compétentes n'ont
26 manifestement pas fait preuve de toute la diligence voulue.
27 Ljube Boskoski n'exerçait aucun pouvoir sur ces autorités, c'est-à-dire sur
28 le juge d'instruction et le procureur, qui n'appartenaient pas au ministère
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1 de l'Intérieur. Il n'a pas été démontré que le manquement des policiers à
2 leurs obligations résultait des ordres qu'il avait donnés, qu'il en avait
3 connaissance à l'époque des faits ni qu'il aurait dû le prévoir. En
4 conséquence, il n'a pas été établi que Ljube Boskoski devait faire un
5 rapport aux autorités compétentes ou prendre d'autres mesures pour
6 s'acquitter de son obligation au sens de l'article 7(3) du Statut.
7 Si les éléments de preuve font état d'un grave disfonctionnement à l'époque
8 de la police et des autorités macédoniennes compétentes, il n'a pas été
9 établi que Ljube Boskoski n'a pas pris les mesures nécessaires et
10 raisonnables au sens de l'article 7(3) du Statut pour punir des membres de
11 la police.
12 Ainsi qu'il a été dit, Johan Tarculovski est tenu pénalement
13 individuellement responsable sur la base de l'article 7, paragraphe premier
14 du Statut pour avoir ordonné, planifié, incité à commettre les crimes visés
15 à l'article 3 su Statut et décrits dans l'acte d'accusation pour s'en être
16 rendu complice et pour les avoir commis dans le cadre d'une entreprise
17 criminelle commune.
18 Contrairement à ce qu'a avancé la Défense de Johan Tarculovski, la Chambre
19 de première instance est convaincue que les éléments de preuve suffisent
20 pour dire que celui-ci a joué un rôle-clé dans les événements qui se sont
21 déroulés le 12 août 2001 à Ljuboten. Les 10 et 11 août, il était chargé du
22 soutien logistique pour la préparation de l'attaque. La police et l'armée
23 ont fourni un soutien. Il a coordonné ces actions et l'appui feu, notamment
24 à l'aide de mortiers fournis par l'armée.
25 Le 12 août, Johan Tarculovski a personnellement dirigé l'opération menée
26 par des membres de la police qu'il a accompagnés lorsqu'ils sont entrés
27 dans le village. Même en l'absence d'une nomination officielle, il a exercé
28 un contrôle effectif sur la police ce jour-là dans le village. Les
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1 opérations menées par la police l'ont été sur ses ordres.
2 En conséquence, la Chambre est convaincue que Johan Tarculovski est
3 pénalement responsable pour avoir ordonné, planifié et incité à commettre
4 les crimes commis par la police dans le village. Puisqu'il a directement
5 donné l'ordre de commettre ces crimes, on ne saurait donc dire qu'il en a
6 été simplement complice.
7 Les éléments de preuve ne permettent pas d'établir que Johan Tarculovski a
8 participé à une entreprise criminelle commune ainsi qu'il est allégué dans
9 l'acte d'accusation. Les policiers de réserve qui se trouvaient avec lui
10 dans le village agissaient sous ses ordres et non pas comme membres d'une
11 entreprise criminelle commune.
12 En outre, ainsi qu'il est expliqué en détail dans le jugement écrit, la
13 Chambre est convaincue qu'en prenant part à l'opération de police à
14 Ljuboten, Johan Tarculovski exécutait lui-même des ordres. Les éléments de
15 preuve ne permettent pas d'établir l'identité de la personne ou des
16 personnes qui ont donné ces ordres. Compte tenu des circonstances, il
17 s'agissait d'un ou de plusieurs de ses supérieurs au sein de la police.
18 Il est à noter que l'opération menée par la police le 12 août a eu lieu la
19 veille de la signature des accords d'Ohrid qui ont mis fin aux combats
20 opposant les forces de sécurité macédoniennes à l'ALN.
21 La Chambre estime que le comportement de la police à Ljuboten fait
22 apparaître une attaque délibérée et indiscriminée contre les Albanais de
23 souche qui habitaient ce village et qui ont été victimes de meurtres et de
24 traitements cruels et dont les maisons et les biens ont été détruits sans
25 motif.
26 Il ne s'agissait pas d'une opération de police visant à rechercher à
27 arrêter des membres de l'ALN. Cette opération visait avant tout à faire
28 payer aux Albanais du village les actions de l'ALN dont les membres se
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1 seraient réfugiés dans le village et auraient obtenu le soutien de ses
2 habitants et qui étaient tenus responsables du meurtre de soldats
3 macédoniens, en particulier lors de l'explosion d'une mine le 10 août 2001
4 dans les environs de Ljuboten. Cette attaque avait fait huit morts parmi
5 les soldats et plusieurs blessés. Cette opération n'était pas seulement une
6 mesure de représailles, mais aussi une mise en garde adressée aux habitants
7 du village contre tout soutien apporté à l'ALN.
8 Ljube Boskoski, veuillez vous lever.
9 La Chambre vous déclare non coupable de tous les chefs d'accusation. La
10 Chambre ordonne votre libération du quartier pénitentiaire des Nations
11 Unies dès qu'auront été arrêtées les dispositions nécessaires.
12 Vous pouvez vous asseoir.
13 Johan Tarculovski, veuillez vous lever.
14 La Chambre vous déclare coupable en application de l'article 7(1) du Statut
15 des crimes suivants :
16 Chef 1, meurtre, violation des lois ou coutumes de la guerre, punissable
17 aux termes de l'article 3 du Statut, pour avoir ordonné, planifié et incité
18 à commettre le meurtre de Rami Jusufi, Sulejman Bajrami et Muharem
19 Ramadani;
20 Chef 2, destruction sans motif de villes et de villages, violation des lois
21 ou coutumes de la guerre, punissable au terme de l'article 3 du Statut,
22 pour avoir ordonné, planifié et incité à commettre la destruction sans
23 motif de maisons ou de biens appartenant à 12 Albanais de souche dont le
24 nom est donné dans le jugement écrit;
25 Chef 3, traitement cruel, violation des lois ou coutumes de la guerre,
26 punissable aux termes de l'article 3 du Statut, pour avoir ordonné,
27 planifié et incité à commettre les traitements cruels infligés d'une part
28 dans la maison d'Adem Ametovski à 13 Albanais de souche dont le nom est
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1 donné dans le jugement écrit, et d'autre part, dans la maison de Brace à
2 dix Albanais de souche dont le nom est donné dans le jugement écrit.
3 S'agissant de la peine, la Chambre a exposé dans le jugement les divers
4 éléments dont elle a tenu compte pour fixer celle qui s'impose. Elle a
5 notamment tenu compte des peines qui étaient applicables en 2001 dans l'ex-
6 République yougoslave de Macédoine et de celles qui ont été infligées par
7 ce Tribunal pour des crimes qui sont, dans une certaine mesure, similaires
8 à ceux dont vous avez été déclaré coupable.
9 La Chambre tient à souligner que vous étiez un policier occupant un rang
10 relativement peu élevé et obéissant aux ordres lorsque vous avez planifié,
11 incité à commettre et ordonné ces crimes. Ces circonstances, si elles
12 n'excusent pas votre comportement, en atténuent la gravité.
13 Vous êtes condamné à une peine unique de 12 années d'emprisonnement. Vous
14 avez droit à ce que le temps que vous avez passé en détention soit déduit
15 de la durée totale de la peine infligée. Vous restez sous la garde du
16 Tribunal jusqu'à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires à
17 votre transfert vers l'Etat dans lequel vous purgerez votre peine.
18 Vous pouvez vous asseoir.
19 Le procès est à présent terminé.
20 L'audience est levée.
21 --- L'audience est levée à 15 heures 04.
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