CHAMBRES
RÉSUMÉ DU JUGEMENT RENDU DANS L’AFFAIRE LE PROCUREUR C/ MIROSLAV BRALO Press Release
(Exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 7 decembre 2005

Le 19 juillet 2005, Miroslav Bralo a plaidé coupable des huit chefs de l’acte d’accusation modifié déposé le même jour par le Bureau du Procureur. Son plaidoyer de culpabilité était assorti d’un accord public sur le plaidoyer conclu entre l’Accusation et lui-même, lequel contenait l’exposé des faits incriminés dans l’acte d’accusation modifié. Estimant que le plaidoyer de culpabilité avait été fait délibérément, en connaissance de cause, et qu’il n’était pas équivoque, la Chambre de première instance I a déclaré Miroslav Bralo coupable des huits chefs d’accusation retenus contre lui.

Suite aux déclarations de culpabilité prononcées à l’encontre de Miroslav Bralo, son affaire a été déférée devant la présente Chambre de première instance, qui a tenu une audience consacrée à la peine le 20 octobre 2005. Durant celle-ci, l’Accusation et la Défense ont exposé leurs arguments afin d’aider la Chambre à fixer une juste peine. La Chambre de première instance a également pu prendre connaissance des mémoires de l’Accusation et de la Défense, auxquels étaient joints des déclarations de témoins, ainsi que d’autres documents que les parties avaient jugé pertinents. Elle a aussi entendu Miroslav Bralo, qui s’est brièvement exprimé à l’audience.

La Chambre de première instance a fixé la peine sur la base des arguments présentés par les parties et de l’analyse qu’elle a faite de l’exposé des faits joint à l’accord sur le plaidoyer. Avant de prononcer la sentence, je passerai brièvement en revue les éléments que la Chambre a pris en compte, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement du Tribunal.

La Chambre de première instance a tout d’abord analysé la gravité des crimes commis par Miroslav Bralo. Dans le cadre de cette analyse, elle a également examiné l’ensemble des circonstances entourant les crimes et qui ajoutent à leur gravité.

S’agissant du premier chef d’accusation, celui de persécutions constituant un crime contre l’humanité, la Chambre observe qu’il s’agit d’une infraction extrêmemement grave, qui suppose l’intention délibérée d’exercer une discrimination à l’encontre d’un groupe de personnes donné dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. En l’occurrence, la population visée était la communauté musulmane des villages d’Ahmići et de Nadioci, attaquée en avril 1993 par des forces du Conseil de défense croate (le « HVO »). Miroslav Bralo a pris part ŕ l’attaque en tant que membre des « Jokers », l’unité anti-terroriste du 4e bataillon de police militaire du HVO. Il a reconnu avoir commis pendant l’attaque des crimes assimilables à des persécutions, dont le meurtre de Mirnesa Salkić, le fait d’incendier de nombreuses maisons, le placement et la mise à feu d’engins explosifs entraînant la destruction de la petite mosquée d’Ahmići, le meurtre d’un homme dont l’identité est inconnue et l’aide apportée au meurtre de quatorze civils musulmans de Bosnie, tous membres de la famille Salkić et de celle de Mehmet Čeremić, dont neuf enfants. La Chambre de premičre instance estime que ce crime est d’autant plus grave que les victimes sont nombreuses et que certaines d’entre elles étaient très jeunes. La Chambre a par ailleurs tenu compte des déclarations produites par l’Accusation au sujet des conséquences passées et présentes des persécutions commises par Miroslav Bralo pour les personnes qui en ont été les victimes directes. Ces déclarations témoignent toutes de vies brisées, de moyens d’existence réduits à néant, de souffrances et de traumatismes atroces et persistants.

S’agissant du deuxième chef d’accusation, qui a trait au meurtre, qualifié de violation des lois ou coutumes de la guerre, de trois prisonniers musulmans par Miroslav Bralo en avril ou en mai 1993, la Chambre de première instance note qu’il s’agit là encore d’un crime extrêmement grave, d’autant plus grave qu’il a fait plusieurs victimes. La Chambre a également tenu compte des conséquences qu’ont eu ces meurtres pour les familles des victimes. Un témoin, proche de l’une des victimes, a évoqué la peur et la détresse profondes qu’avaient suscitées chez lui les agissements de Miroslav Bralo.

Les troisième, quatrième, cinquième et sixième chefs d’accusation concernent tous la participation de Miroslav Bralo au viol et à la détention par les « Jokers » d’une femme musulmane de Bosnie, le témoin A. En mai 1993, Miroslav Bralo a violé la victime à maintes reprises en présence d’autres soldats. Il a menacé de la tuer, a battu un homme sous ses yeux, l’a mordue et a éjaculé sur son corps. Ces viols et ces actes de torture brutaux, ajoutés au fait que la victime a été détenue pendant deux mois environ, période au cours de laquelle elle a été violentée et livrée à la merci de ses ravisseurs, constituent des crimes particulièrement abjects. La Chambre de première instance estime que les crimes reprochés à Miroslav Bralo sont d’autant plus graves que ce dernier a cherché à avilir, terroriser et humilier la victime. Elle prend note à cet égard des propos du témoin A au sujet de l’expérience traumatisante qu’elle a vécue à l’époque et qu’elle continue de vivre aujourd’hui.

En dernier lieu, les septième et huitième chefs de l’acte d’accusation concernent le rôle joué par Miroslav Bralo dans la détention illégale et les traitements inhumains infligés à des civils musulmans de Bosnie, forcés de creuser des tranchées en avril et mai 1993 autour du village de Kratine. Ces civils ont également été utilisés comme « boucliers humains » pour protéger les soldats du HVO des tireurs embusqués. Avec d’autres, Miroslav Bralo a empêché ces civils de s’enfuir et il les a également obligés à accomplir un rite catholique. La Chambre de première instance conclut une fois encore que ces infractions revêtent une gravité extrême et que, par son comportement, Miroslav Bralo a contrevenu aux principes fondamentaux du droit international humanitaire. Le nombre des victimes ajoute à la gravité des crimes.

Partant, la Chambre de première instance conclut que vous, Miroslav Bralo, avez commis une série de crimes odieux qui doivent être condamnés sans équivoque. Il ne saurait y avoir aucune excuse ou justification à vos actions et les raisons qui vous ont conduit à vous en prendre à un nombre si important de personnes dépassent l’entendement.

Afin de fixer la peine qui s’impose, la Chambre de première instance a mis en balance la gravité des crimes commis et toutes les circonstances atténuantes avérées. La Défense a invoqué de nombreuses circonstances atténuantes, dont certaines ont été retenues par la Chambre de première instance. La principale circonstance atténuante réside dans le fait que Miroslav Bralo ait plaidé coupable de ses crimes longtemps avant le procès. Un tel plaidoyer de culpabilité traduit de sa part une véritable reconnaissance de sa responsabilité personnelle et contribue bien davantage à la réconciliation des populations dans la région concernée qu’une déclaration de culpabilité prononcée au terme d’un procès pendant lequel l’accusé a persisté à nier ses crimes. Ce plaidoyer dispense également des victimes et des témoins vulnérables de déposer au procès et permet au Tribunal d’aller de l’avant dans sa mission judiciaire. De surcroît, il convient de noter que Miroslav Bralo a avoué des persécutions qui ne lui étaient pas initialement reprochées, entraînant l’ajout du chef 1 dans l’acte d’accusation modifié.

De plus, des preuves des remords de Miroslav Bralo ont été produites, dont certaines de ses déclarations orales et écrites et les efforts qu’il a faits pour aider à localiser et à exhumer les corps des victimes exécutées par lui et d’autres au cours de l’attaque d’Ahmići, ainsi que pour identifier les secteurs minés. La Chambre de premičre instance reconnaît la sincérité et la profondeur des remords de l’accusé et elle est convaincue qu’il a changé personnellement depuis les faits. La Chambre de première instance est persuadée que cette transformation se poursuivra pendant l’exécution de sa peine et que la sanction contribuera à parachever l’amendement de l’accusé. En outre, la Chambre de première instance reconnaît que Miroslav Bralo s’est efforcé de se racheter en participant à des travaux d’intérêt général dans sa communauté et en aidant à localiser les dépouilles de certaines de ses victimes.

La reddition de Miroslav Bralo au Tribunal a également été retenue comme circonstance atténuante. La Chambre de première instance a également tenu compte de sa situation personnelle et familiale, de son comportement en détention et de sa coopération avec le Procureur, même si elle ne leur a accordé qu’un poids limité.

La Chambre de première instance a d’autre part pris en compte la grille générale des peines appliquées en ex-Yougoslavie et conclu que l’article 142 du Code pénal de la République socialiste fédérative de Yougoslavie avait un rapport avec la présente espèce, dans la mesure où il traite des crimes commis au cours d’un conflit armé, et notamment du meurtre, de la torture, des traitements inhumains, du viol et de la détention illégale. Aux termes de cette disposition, de tels crimes étaient passibles de sanctions allant de cinq ans d’emprisonnement à la peine capitale, remplacée par une peine de réclusion de longue durée après l’abolition de celle-ci en Bosnie-Herzégovine.

Ayant soigneusement examiné l’ensemble de ces circonstances, la Chambre de première instance a fixé la peine en l’espèce.

Miroslav Bralo, veuillez vous lever.

Vu l’extrême gravité et la sauvagerie des crimes dont vous avez été déclaré coupable, en l’absence de circonstances atténuantes, la Chambre de première instance vous aurait condamné (et j’insiste sur le conditionnel) à une peine de réclusion de 25 ans au minimum. Cependant, un certain nombre de circonstances justifient un substantiel allègement de la peine. Il en est ainsi de votre plaidoyer de culpabilité qui est intervenu avant le procès, des remords que vous avez exprimés et des progrès que vous avez faits dans la voie de votre amendement. Compte tenu de ces circonstances, la Chambre de première instance vous condamne à une peine de 20 années de réclusion. Le temps que vous avez passé en détention, du 12 novembre 2004 à ce jour, sera déduit de la durée totale de votre peine. Vous resterez sous la garde du Tribunal jusqu’à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires pour votre transfert vers l’État dans lequel vous purgerez votre peine.

L’audience est levée.

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Le texte intégral du jugement est disponible sur demande aux services de communication ainsi que sur le site Internet du Tribunal : www.un.org/icty.

Les audiences du Tribunal peuvent être suivies sur le site internet du Tribunal.