Affaire n° : IT-99-36-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Amin El Mahdi
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
7 décembre 2004

LE PROCUREUR

c/

RADOSLAV BRDJANIN

__________________________________________

DÉCISION RELATIVE AUX REQUÊTES PAR LESQUELLES L’APPELANT DEMANDE QUE L’ACCUSATION S’ACQUITTE DE SES OBLIGATIONS DE COMMUNICATION EN APPLICATION DE L’ARTICLE  68 DU RÈGLEMENT ET QU’UNE ORDONNANCE IMPOSE AU GREFFIER DE COMMUNIQUER CERTAINS DOCUMENTS

__________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Mark J. McKeon

Le Conseil de l’Accusé :

M. John Ackerman

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU le Jugement rendu en l’espèce par la Chambre de première instance II le  1er septembre 2004,

VU l’acte d’appel de l’Accusation (Prosecution’s Notice of Appeal), déposé le 30 septembre 2004,

VU l’acte d’appel (Notice of Appeal), déposé le 1er octobre 2004 par Radoslav Brdjanin (respectivement l’« Acte d’appel » et l’« Appelant »),

VU la requête aux fins d’obtenir la communication de documents en application de l’article 68 du Règlement et la requête aux fins d’obtenir qu’une ordonnance impose au Greffier de communiquer certains documents (Motion for Disclosure Pursuant to Rule 68 and Motion for an Order to the Registrar to Disclose Certain Materials ), déposées le 14 octobre 2004 (les « Requêtes »), par lesquelles l’Appelant demande ce qui suit :

A. Une ordonnance imposant à l’Accusation de

i) s’acquitter des obligations que lui impose l’article 68 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

ii) communiquer tout document relevant de l’article 68 du Règlement compris dans les déclarations de témoin et les pièces à conviction produites dans l’affaire Le Procureur c/ Momcilo Krajisnik1 (l’« affaire Krajisnik »),

iii) communiquer tout document relevant de l’article 68 du Règlement qui provient d’une saisie de documents récemment effectuée à Pale (Bosnie-Herzégovine),

B. Une ordonnance imposant de façon permanente au Greffier de communiquer au Conseil de l’Appelant toutes les déclarations de témoin et toutes les pièces à convictions produites dans l’affaire Krajisnik, ainsi qu’une ordonnance appropriée pour assurer la protection des documents confidentiels,

VU la réponse de l’Accusation aux Requêtes (Prosecution’s Response to Appellant’s “Motion for Disclosure Pursuant to Rule 68 and Motion for an Order to the Registrar to Disclose Certain Materials”), déposée le 26 octobre 2004 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation déclare qu’elle a conscience des obligations que lui impose l’article 68 du Règlement et qu’elle s’applique à les respecter, qu’une ordonnance imposant de communiquer des déclarations de témoin et des pièces à conviction produites dans l’affaire Krajisnik ne devrait pas être adressée au Greffier mais à la Chambre de première instance saisie de l’affaire, et qu’en conséquence les Requêtes devraient être rejetées2,

ATTENDU que l’Appelant n’a pas déposé de réponse à la Réponse,

De A. i)

ATTENDU que la communication à la Défense d’éléments de preuve qui sont de nature à disculper en tout ou en partie l’Accusé est l’une des plus hautes responsabilités qui s’imposent à l’Accusation3, et que par conséquent les obligations qui incombent à l’Accusation en vertu de l’article  68 du Règlement doivent être considérées comme tout aussi importantes que l’obligation d’engager des poursuites4,

ATTENDU que c’est à l’Accusation qu’il appartient de déterminer quels sont les documents qui répondent aux critères énoncés par l’article 68 du Règlement5,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 68 du Règlement, le devoir de l’Accusation est une obligation permanente qui subsiste après le procès en première instance, y compris durant les procédures en appel,6

ATTENDU que si l’Appelant estime qu’une violation de l’article 68 du Règlement a été commise, il lui appartient de soumettre à la Chambre tout commencement de preuve de nature à rendre vraisemblable le caractère disculpatoire des éléments de preuve en question ainsi que leur détention par l’Accusation7,

ATTENDU que l’Appelant n’a pas présenté d’écritures concernant un manquement par l’Accusation aux obligations qu’impose l’article 68 du Règlement à celle-ci et que, s’il avait voulu en exciper, il n’a rapporté aucune preuve à l’appui d’un tel manquement,

ATTENDU que l’Accusation est censée remplir ses obligations de bonne foi et qu’une ordonnance de ce type ne devrait être envisagée que lorsque la Défense parvient à démontrer à la Chambre que l’Accusation a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 68 du Règlement8,

ATTENDU que l’Accusation a déclaré avoir conscience que l’article 68 du Règlement lui impose une obligation permanente de communiquer tout élément de preuve disculpatoire 9 et que, faute de preuve du contraire, la Chambre d’appel doit présumer que l’Accusation agit de bonne foi,

De A. ii)

ATTENDU que l’affaire Krajisnik suit son cours en même temps que le présent appel et qu’elle est connexe à la présente espèce qu’elle recoupe en partie,

ATTENDU que l’Accusation a le devoir de communiquer tout document disculpatoire issu d’affaires connexes et que ce devoir est une obligation permanente indépendante du caractère, public ou non, des éléments de preuve concernés10,

ATTENDU, cependant, que l’Accusation peut toujours être déchargée de l’obligation que lui impose l’article 68 du Règlement si la Défense est informée que des éléments de preuve à décharge pertinents existent, et qu’elle peut raisonnablement y avoir accès11, autrement dit des éléments accessibles à la Défense si elle fait preuve de toute la diligence voulue12,

ATTENDU que le Greffe publie une version électronique de tous les comptes rendus officiels de déposition de témoin – y compris ceux issus de l’affaire Krajisnik – sur le site Internet du Tribunal international, que la Défense y a facilement accès et que lesdits comptes rendus sont donc accessibles à la Défense lorsqu’elle fait preuve de toute la diligence voulue,

ATTENDU que, pour ce qui est des documents confidentiels, l’Accusation a indiqué être consciente de son devoir de communiquer les éléments disculpatoires produits dans des affaires connexes – y compris dans l’affaire Krajisnik13 – et que l’Appelant n’a pas présenté d’écritures qui fassent penser que l’Accusation néglige son devoir,

De A. iii)

ATTENDU que, dans la Réponse, l’Accusation a déclaré qu’elle a récemment obtenu un ensemble de documents officiels de la police de Republika Srpska, provenant du poste de sécurité publique de Pale, et qu’elle s’attache actuellement à examiner et à traiter lesdits documents14,

ATTENDU que l’Accusation a fait savoir qu’elle était consciente de son devoir de communiquer tout document disculpatoire dont elle prendrait connaissance en examinant les documents susmentionnés15, et qu’un de ces documents a déjà été communiqué16,

ATTENDU que, en ce qui concerne lesdits documents, l’Appelant n’a pas prétendu – et n’a apporté aucune preuve – que l’Accusation a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 68 du Règlement,

De B.

ATTENDU que le Conseil de la Défense peut se mettre en rapport avec le Greffe et lui demander certains documents publics tels que des comptes rendus de déposition, et que le Greffier peut accéder à cette demande dans la mesure du possible17,

ATTENDU que, si le Greffe avait été saisi d’une telle demande sans pouvoir y faire droit, l’Appelant aurait été libre de s’adresser à la Chambre d’appel par la voie d’une requête sollicitant son assistance pour accéder aux documents demandés18,

ATTENDU, cependant, qu’une telle requête doit décrire les démarches entreprises par la Défense pour obtenir du Greffe les documents en question ainsi que les problèmes rencontrés par suite du refus de ce dernier19,

ATTENDU que l’Appelant n’a pas décrit les démarches qu’il a entreprises pour obtenir ces documents du Greffe, et qu’il n’a ni identifié avec exactitude les documents recherchés, ni précisé leur utilité,

ATTENDU que, s’agissant de documents confidentiels, l’article 75 G) du Règlement prévoit expressément qu’une fois accordées les mesures de protection en faveur d’une victime ou d’un témoin, seule la Chambre qui les a accordées peut les modifier ou les annuler20,

ATTENDU que, s’agissant de la première requête de l’Appelant visée au point « A », l’Accusation agit de bonne foi quant aux obligations que lui impose l’article  68 du Règlement, et que par conséquent il n’est nul besoin de rendre une ordonnance imposant à l’Accusation de s’acquitter desdites obligations,

ATTENDU en outre que la seconde requête de l’Appelant visée au point « B » est irrecevable au motif qu’une requête aux fins de communication d’éléments de preuves issus d’une affaire connexe doit être adressée soit au Greffier soit – dans le cas d’éléments confidentiels – à la Chambre de première instance saisie de l’affaire en question,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE les Requêtes.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Theodor Meron

Le 7 décembre 2004
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Affaire n° IT-00-39-T.
2 - Réponse, par. 4, 6, 11 et 12.
3 - Voir Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin, affaire n° IT-99-36-T, Décision relative à la « requête aux fins de mesures en réparation pour les manquements du Procureur aux obligations que lui impose l’article 68 du Règlement et de sanctions en application de l’article 68 bis du Règlement, et requête aux fins d’ajournement dans l’attente du règlement des questions influant sur la justice et l’équité du procès », 30 octobre 2002, par. 23.
4 - Le Procureur c/ Dario Kordic & Mario Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Décision relative aux requêtes aux fins de proroger le délai de dépôt des mémoires des Appelants, 11 mai 2001, par. 14.
5 - Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Arrêt, 29 juillet 2004 (l’« Arrêt Blaskic »), par. 264.
6 - Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Arrêt relatif aux requêtes de l’Appelant aux fins de production de documents, de suspension ou de prorogation du délai de dépôt du mémoire et autres, 26 septembre 2000 (la « Décision Blaskic »), par. 42.
7 - Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT, Décision sur la production forcée de moyens de preuve, 27 janvier 1997, par. 50. 2.
8 - Décision Blaskic, par. 45.
9 - Réponse, par. 6.
10 - Arrêt Blaskic, par. 267.
11 - Décision Blaskic, par. 38.
12 - Arrêt Blaskic, par. 296.
13 - Réponse, par. 9.
14 - Réponse, par. 11.
15 - Ibidem.
16 - Réponse, note de bas de page 11.
17 - Décision Blaskic, par. 54.
18 - Ibid.
19 - Décision Blaskic, par. 54.
20 - Décision Blaskic, par. 55.