LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
16 mai 2001

LE PROCUREUR

C/

RADOSLAV BRDANIN et MOMIR TALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEUXIÈME REQUÊTE DE BRDANIN AUX FINS DE REJETER L’ACTE D’ACCUSATION
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Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
M. Nicolas Koumjian
M. Andrew Cayley
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland

Les Conseils de la Défense :

M. John Ackerman pour Radoslav Brdjanin
Maître Xavier de Roux et Maître Michel Pitron pour Momir Talic

 

 

 

1. L’accusé Radoslav Brdjanin («Brdjanin») a déposé une requête sollicitant le rejet de l’acte d’accusation.1 Il se plaint que le Tribunal ne lui a pas attribué, et n’est pas disposé à lui attribuer, dûment et légalement des ressources suffisantes pour lui permettre de préparer sa défense, et qu’il a causé des retards inutiles en ne fournissant pas au Bureau du Procureur des moyens suffisants pour assurer la traduction des documents. Selon lui, ou le Tribunal dispose des ressources nécessaires pour assurer l’égalité entre l’Accusation et la Défense, ou bien il s’est abstenu de demander des fonds supplémentaires au Conseil de sécurité ou à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, ou a refusé de le faire. Les retards causés par ces manquements enfreignent le droit de l’accusé à un procès rapide.2 Il affirme qu’il est très nettement désavantagé pour préparer son procès par rapport à l’Accusation, car celle-ci dispose de ressources plus importantes.3 Il soutient que le rejet de l’acte d’accusation est l’unique solution raisonnable vu l’incapacité du Tribunal à «appliquer le principe d’égalité des armes et à attribuer les ressources nécessaires à la Défense en l’espèce4». Subsidiairement, il demande à la Chambre de prendre une ordonnance enjoignant au Greffier d’attribuer à la Défense des ressources «correspondantes à celles consacrées par le Procureur» à cette affaire, et il soutient qu’à défaut pour le Greffier d’attribuer ces ressources dans un délai raisonnable, l’acte d’accusation devrait être rejeté.5

2. Dans sa réponse,6 l’Accusation soutient que la Requête n’a trait qu’à la répartition des ressources et que, conformément à la Directive du Tribunal relative à la commission d’office du conseil de la Défense,7 le règlement de tout différend concernant la répartition des ressources relève du Greffe et/ou du Président.8 L’Accusation se déclare convaincue qu’un règlement en vertu de cette Directive répondrait aux objections soulevées par Brdjanin.9

3. Une fois dépouillée de ses affirmations rhétoriques et non fondées, la Requête n’a effectivement trait qu’au caractère suffisant des ressources attribuées à Brdjanin pour sa défense. Il convient que l’accusé épuise tout d’abord les voies de recours dont il dispose en vertu de la Directive avant de demander réparation à la Chambre de première instance. Le Greffe a maintenant donné suite à la demande la plus récente présentée par l’accusé en vue d’obtenir des ressources supplémentaires.10 La requête est donc rejetée.

4. Toutefois, la Chambre de première instance n’est pas insensible aux difficultés rencontrées par la Défense dans la préparation d’un procès aussi complexe. Il est fondamental pour tout système de justice pénale que nul ne soit reconnu coupable d’un crime autrement qu’à l’issue d’un procès équitable conforme à la loi. Les articles 20.1 et 22.2 du Statut du Tribunal disposent que toute personne accusée comparaissant devant le Tribunal a droit à un procès équitable. Aux termes de l’article 20.1, la Chambre de première instance a pour mission essentielle de veiller à ce que le procès soit équitable.

5. S’il est démontré que les ressources nécessaires pour garantir un procès équitable ne sont pas disponibles, la Chambre de première instance ne saurait accepter un déni de justice. Il n’y a pas déni de justice s’il est établi qu’une personne accusée accepte librement d’être jugée sans bénéficier de ressources. Même dans le cas où un procès constituerait un déni de justice, le rejet de l’acte d’accusation ne serait approprié que dans des ciconstances exceptionnelles. Cependant, si la Chambre de première instance est convaincue que l’absence de telles ressources aboutira à un déni de justice, elle a le pouvoir inhérent et l’obligation de surseoir à la procédure jusqu’au moment où les ressources nécessaires seront mises à disposition de l’accusé afin d’empêcher l’abus de procédure en l’espèce.11 Les conséquences d’un tel sursis sur le maintien en détention de l’accusé dépendraient des circonstances de l’espèce.

Dispositif

6. La Requête est rejetée.

 

 

Le Juge de la mise en état
/signé/
David Hunt

 

Fait le 16 mai 2001
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête aux fins de rejeter l’acte d’accusation, 2 mai 2001 («Requête»), par. 16 et 17.

2 - Ibid, par. 1a. à 1d.

3 - Ibid, par. 1e.

4 - Ibid, par. 16.

5 - Ibid, par. 17

6 - Réponse de l’Accusation à la «Requête aux fins de rejeter l’acte d’accusation» déposée par l’Accusé Radoslav Brđanin, 8 mai 2001 («Réponse»).

7  - Directive n° 1/94 (IT/73/Rev 7). L’article 33 de la Directive prévoit ce qui suit : «En cas de désaccord sur des questions de calcul ou de paiement d’émoluments ou de remboursement de frais, le Greffier décide sur une base équitable après consultation du Président et si nécessaire, du Conseil consultatif.»

8 - Réponse, par. 2.

9 - Ibid, par. 3.

10 - Copie de la lettre adressée le 10 mai 2001 par le conseil à M. Ackerman.

11 - La charge de la preuve qui incombe à toute personne accusée sollicitant un sursis sur cette base n’a pas fait l’objet d’un débat, et il est inutile, aux fins de la présente décision, de statuer sur la question. Elle peut être suffisante s’il est démontré que l’absence de telles ressources risque d’aboutir à un déni de justice.