LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II
Composée comme suit :
M. le Juge Antonio Cassese, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge David Hunt
Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le :
4 novembre 1999
LE PROCUREUR
C/
Momir TALIC
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DÉCISION DE SURSEOIR À STATUER SUR LA REQUÊTE
AUX FINS DE DISJONCTION DINSTANCES
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Le Bureau du Procureur :
Mme Joanna Korner
M. Michael Keegan
Mme Ann Sutherland
Le Conseil de la Défense :
M. Xavier de Roux
M. Michel Pitron
1. Dans un acte daccusation déposé le 2 septembre 1999, Radoslav Brdjanin («Brdjanin») et Momir Talic («Talic») sont accusés conjointement de crime contre lhumanité, à raison de persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses1.
2. Il est allégué dans lacte daccusation que :
i) En 1992, des opérations ont été menées dans certaines régions de Bosnie-Herzégovine, notamment dans la Région autonome de Krajina (la «RAK»), qui ont abouti à la mort ou au départ forcé de la majorité des Musulmans et Croates de Bosnie habitant ces régions2.
ii) Les forces engagées dans ces opérations comprenaient des unités de police, des groupes paramilitaires, des unités de la Défense territoriale et des unités de lArmée populaire de Yougoslavie (la «JNA»)3.
iii) Un «plan en trois parties» a été élaboré : (1) créer des conditions de vie impossibles en exerçant des pressions et en semant la terreur, afin dencourager les non-Serbes à quitter la région, (2) expulser et chasser ceux qui refusaient de partir et (3) liquider les non-Serbes qui étaient restés dans la région et nadhéraient pas au concept dÉtat serbe4.
iv) Lexécution de ce plan a compris :
1) le déni des droits fondamentaux des Musulmans et Croates de Bosnie, y compris le droit au travail et la liberté de déplacement,
2) la destruction arbitraire des régions et villages musulmans de Bosnie et croates de Bosnie, notamment dédifices religieux et culturels dans les régions attaquées,
3) le meurtre de Musulmans de Bosnie, de Croates de Bosnie et dautres personnes non-Serbes,
4) des atteintes graves à lintégrité physique ou mentale de Musulmans de Bosnie, de Croates de Bosnie et dautres personnes non-Serbes,
5) la détention de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie en les soumettant intentionnellement à des conditions dexistence devant entraîner la destruction physique dune partie de ces populations et
6) le transfert forcé ou lexpulsion de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie hors des régions de Bosnie-Herzégovine proclamées territoire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine5.
v) Brdjanin et Talic étaient des «personnages-clés» de la cellule de crise de la RAK, agissant de concert en planifiant, incitant à commettre, ordonnant, commettant ou de toute autre manière, en aidant et en encourageant lexécution de toute la gamme dopérations liées à la conduite des hostilités et à la destruction des communautés musulmane et croate de Bosnie et dautres communautés non-serbes de la RAK6.
vi) Les accusés ont chacun assumé les responsabilités spécifiques à lappui du plan densemble, qui sattachaient à leurs fonctions, Brdjanin en qualité de Président de la Cellule de crise de la RAK et Talic en tant que Commandant du 5e Corps de la JNA (appelé plus tard le 1er Corps de la Krajina)7.
II. Demande
3. Talic a déposé le 14 octobre 1999 une Requête aux fins de disjonction dinstances entre Brdjanin et lui-même relativement à lacte daccusation déposé le 2 septembre 1999 (la «Requête»)8. Toutefois, avant de pouvoir juger du bien-fondé de cette demande, il faut se pencher sur deux questions que pose cet acte daccusation.
III. Les différents actes daccusation
4. M. le Juge Rodrigues a confirmé le 14 mars 1999 un acte daccusation qui lui avait été transmis par le Procureur en application des articles 18 4) et 19 du Statut du Tribunal et de larticle 47 de son Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»). Le même jour, le juge a rendu une ordonnance, en vertu de larticle 53 du Règlement, aux fins de non-divulgation de lacte daccusation quil avait confirmé, des mandats darrêt et des autres documents qui lui avaient été soumis. En dautres termes, lacte daccusation a été placé sous scellés. Le fait que certains documents sont encore sous le sceau de la confidentialité, conduit inévitablement à penser que lacte daccusation initial, confirmé par M. le Juge Rodrigues, mentionnait dautres accusés que ceux dont les noms ont été publiés à ce jour.
5. Lorsquil a confirmé lacte daccusation, M. le Juge Rodrigues a également :
1) autorisé
[...] la préparation dune copie expurgée de lacte daccusation pour chaque accusé, supprimant toute référence aux coaccusés, ce qui suppose notamment de modifier la formulation de lacte daccusation en remplaçant le pluriel par le singulier aux endroits opportuns et, le cas échéant, de renuméroter les paragraphes et les annexes en conséquence [...].9
et
2) ordonné lannulation partielle de lordonnance aux fins de non-divulgation quil avait lui-même rendue, pour les documents relatifs à un accusé détenu ou arrêté, ordonnance restant en vigueur jusquà larrestation des accusés encore en liberté ou jusquà une nouvelle ordonnance.
Les actes daccusation individuels expurgés ont alors été certifiés par le Greffe comme répondant à la décision de M. le Juge Rodrigues. Ils ont été déposés le même jour. Lacte daccusation expurgé portant uniquement sur Brdjanin a servi à son arrestation en juillet tandis que celui contre Talic a été utilisé lors de son arrestation en août.
6. Après larrestation de Talic, lAccusation a déposé, le 2 septembre un nouvel acte daccusation expurgé aux noms de Brdjanin et Talic, les accusant conjointement du crime contre lhumanité auquel il est déjà fait référence. Cet acte daccusation, est censé avoir été déposé en application de lordonnance de M. le Juge Rodrigues, alors que celle-ci nautorise en aucune manière la préparation dun acte daccusation expurgé mentionnant deux des trois (au moins) accusés de lacte daccusation initial confirmé. Qui plus est, lacte daccusation conjoint na pas été certifié comme se conformant à lordonnance. Il peut être intéressant de noter que ce nouvel acte daccusation expurgé na pas été déposé le 14 mars comme les deux actes daccusation expurgés mentionnant les accusés individuellement.
7. Ce problème risque évidemment de resurgir chaque fois que lon utilise des actes daccusation sous scellés à lencontre de plus dun accusés. Il faut donc éviter quune approche trop technique vienne faire obstacle à lutilisation de tels actes daccusation. Cependant, il est précisé dans lautorisation que chaque acte daccusation expurgé doit être rédigé contre un seul accusé, ce qui ninclut pas, comme cela aurait pu être le cas, la possibilité détablir un acte daccusation expurgé visant une partie des accusés.
8. En outre, la présente demande exige que certaines précautions soient prises. Sil est raisonnable de conclure de lacte daccusation expurgé que lacte daccusation initial visait au moins trois accusés, ce document reste sous scellés. Le seul acte daccusation auquel la présente demande aux fins de disjonction dinstances peut se référer est donc celui déposé en date du 2 septembre. Étant donné que laccusation navait pas lautorisation de déposer cet acte daccusation, la présente demande est nécessairement prématurée.
9. Une solution raisonnable serait que lAccusation demande lautorisation de préparer et de déposer lacte daccusation expurgé et conjoint dressé contre Brdjanin et Talic et ensuite de sassurer que le Greffier certifie que le document est conforme à cette autorisation. Étant donné que le contenu de lacte daccusation initial confirmé doit être connu avant que cette autorisation soit accordée, et que ce document demeure sous scellés, il serait préférable que cette demande dautorisation soit transmise à M. le Juge Rodrigues en sa qualité de juge de confirmation.
IV. Demande de modification
10. Dans sa Réponse à la demande, lAccusation a toutefois précisé quen tout état de cause, elle avait lintention dintroduire une demande aux fins de modifier lacte daccusation auprès de M. le Juge Rodrigues en tant que juge de confirmation10. La Chambre de première instance nest pas sans savoir que lobjet de cette procédure est dajouter des chefs daccusation sur la base de nouveaux éléments de preuve, et quune même demande a été émise en ce qui concerne lacte daccusation contre Brdjanin. Ceci constitue un motif supplémentaire de demander la préparation et le dépôt dun nouvel acte daccusation expurgé à soumettre au juge de confirmation.
11. Une pratique courante, lorsque laccusation cherche à ajouter le nom dun accusé dans un acte daccusation déjà établi, consiste à présenter un nouvel acte daccusation contre le défendant (ou les défendants) existant et le nouvel accusé, de telle sorte que, lorsque ce nouvel acte daccusation est confirmé, une autorisation permet le retrait de lacte daccusation initial11. Bien que la situation actuelle ne lexige pas vraiment, cette procédure paraît mieux adaptée aux circonstances de lespèce.
12. Quelle que soit la procédure, il est néanmoins certain quon ne saurait trancher la présente demande aux fins de disjonction dinstances tant que la nature des modifications nest pas connue. Si, suite aux modifications de lacte daccusation, Talic se voit contraint de plaider pour dautres chefs, un délai supplémentaire de 30 jours lui est accordé, aux termes de larticle 50 C) du Règlement, pour soulever des exceptions préjudicielles concernant la disjonction dinstances. Par conséquent, la Chambre de première instance sursoit à statuer jusquà ce que le libellé final de lacte daccusation soit connu.
V. Dispositif
13. PAR CES MOTIFS, la Chambre de première instance II :
1) sursoit à statuer sur la Requête, en attendant la décision relative à la demande de laccusation aux fins de modification de lacte daccusation, et
2) autorise
a) laccusé Talic à déposer un addendum à sa Requête, le cas échéant, au plus tard quatorze jours après la communication de la décision relative à la demande et la réception dun acte daccusation modifié, et
b) le Procureur à déposer une nouvelle Réponse à la Requête et à laddendum, au plus tard quatorze jours après le dépôt de celui-ci.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le 4 novembre 1999
La Haye (Pays-Bas)
Juge de la mise en état (sur demande du Président de la Chambre)
(signé)
M. le Juge David Hunt
[Sceau du Tribunal]