Affaire n° : IT-99-36-P

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président

Mme le Juge Ivana Janu
Mme le Juge Chikako Taya

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
15 avril 2003

LE PROCUREUR
c/

RADOSLAV BRDJANIN

______________________________

ORDONNANCE RELATIVE AUX ALLÉGATIONS FORMULÉES À L’ENCONTRE DE MILKA MAGLOV

______________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
M. Andrew Cayley

Le Conseil de l’accusé :

M. John Ackerman

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la déclaration préalable d’un témoin qui devrait déposer à charge en l’espèce (le « Témoin »), déclaration déposée le 19 avril 2002, dans laquelle il est allégué que Milka Maglov, coconseil de Radoslav Brdanin à l’époque des faits, a intimidé le Témoin,

VU la désignation, le 26 avril 2002, par le Greffier à la demande de la Chambre de première instance, d’un amicus curiae aux fins d’enquêter sur l’allégation susdite,

VU le rapport déposé le 14 juin 2002 par l’amicus curiae, exposant de manière circonstanciée les résultats de son enquête,

OUÏ l’audience du 10 juillet 2001, au cours de laquelle les parties et le conseil de Milka Maglov ont répondu aux conclusions présentées dans le rapport, quant au fait que Milka Maglov aurait non seulement intimidé le Témoin, mais aurait aussi révélé à un particulier, au mépris d’une ordonnance d’une Chambre de première instance1, l’identité du Témoin,

ATTENDU que le but et la portée des dispositions applicables en cas d’outrage sont considérés comme un moyen par lequel les tribunaux peuvent agir pour prévenir ou sanctionner une conduite tendant à entraver le cours de la justice, à y porter préjudice ou à en abuser, soit en relation à une affaire en particulier, soit en général2,

ATTENDU que le Tribunal a le pouvoir inhérent de déclarer coupable d’outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de la justice en menaçant ou en intimidant un témoin qui doit déposer devant une Chambre de première instance, ou en divulguant des informations relatives à ces procédures en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre3,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 77 D) du Règlement, la Chambre de première instance est tenue de déterminer si, au vu des rapports qui lui ont été présentés , il y a lieu d’engager une procédure pour outrage, et non de trancher définitivement la question de savoir s’il y a eu bel et bien outrage au Tribunal,

ATTENDU que les faits portés à la connaissance de la Chambre de première instance, s’ils sont convaincants, pourraient amener à conclure que a) Milka Maglov est entrée en contact avec le Témoin et l’a intimidé, et/ou que b) Milka Maglov a révélé l’identité du Témoin à un particulier au mépris d’une ordonnance d’une Chambre,

ATTENDU que, par conséquent, au vu de ce qui précède, il existe des motifs suffisants pour poursuivre Milka Maglov pour outrage sur la base de l’article 77  A), alinéas iv) et ii), du Règlement,

PAR CES MOTIFS,

RENVOIE l’affaire devant le Président du Tribunal afin qu’il désigne une Chambre de première instance qui agira conformément à l’article 77 D) ii) du Règlement .

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 15 avril 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Brdjanin, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 3 juillet 2000, par. 65 4) a).
2 - Rapport du Committee on Contempt of Court, UK Cmnd 5794 (1974) (« Phillimore Committee Report »), par. 1. Ce passage a été accepté par la Cour européenne des droits de l’homme comme étant une évaluation correcte du but et de la portée des dispositions applicables en matière d'outrage, dans l'affaire Sunday Times c/ Royaume-Uni, série A, vol. 30, par. 18 et 55 (1979), 2 EHRR, p. 256 et 274, par la Chambre des Lords, dans l'affaire Attorney General v Times Newspaper Ltd (1992) 1 AC, p. 207 à 209 (per Lord Ackner) et par la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Regina v Glasner (1994)119 DLR (4e) p. 128 et 129. Voir également AMIEU v Mudginberri Station Pty Ltd (1986) 161 CLR, p. 106 (Cour suprême d'Australie) ; Witham v Holloway (1995)183 CLR p. 533 (« per joint judgment »), p. 538 et 539 (per McHugh J) (Cour suprême d'Australie) ; US v  Dixon & Foster 509 US 688 (1993) p. 694 (Cour suprême des États-Unis). Concernant la jurisprudence de la Chambre d’appel du Tribunal, voir Le Procureur c/ Tadic, affaire n° IT-94-1-A-R77, Arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin, 31 janvier 2000 (« Arrêt Vujin »), par. 26 a) ; Le Procureur c/ Aleksovski, n° IT-95-14/1-A-R77, Arrêt relatif à l’appel de la décision portant condamnation pour outrage au tribunal interjeté par Anto Nobilo, 30 mai 2001 (« Arrêt Nobilo »), par. 30.
3 - Arrêt Vujin, par. 26 a), 39 à 42 ; voir également l’article 77 A) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »)
.