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1 (Jeudi 5 septembre 2002.)
2 (L'audience est ouverte à 14 heures 18.)
3 (Audience publique.)
4 M. le Président (interprétation): Vous pouvez citer l'affaire, s'il vous
5 plaît, Madame la Greffière?
6 Mme Philpott (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-99-36-T…
7 (Le Président interrompt la Greffière.)
8 M. le Président (interprétation): Merci.
9 Mme Philpott (interprétation): Affaire IT-99-36-T, le Procureur contre
10 Radoslav Brdjanin et Momir Talic.
11 M. le Président (interprétation): Très bien.
12 Monsieur Brdjanin, bonjour à vous. M'entendez-vous dans une langue que
13 vous comprenez?
14 M. Brdjanin (interprétation): Oui, Monsieur le Président, je vous entends
15 et vous comprends.
16 M. le Président (interprétation): Merci, veuillez vous asseoir.
17 Général Talic, m'entendez-vous dans une langue que vous comprenez?
18 M. Talic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je vous entends
19 et vous comprends.
20 M. le Président (interprétation): Bonjour à vous. Veuillez vous asseoir.
21 Les présentations pour le Bureau du Procureur?
22 Mme Korner (interprétation): Joanna Korner assistée de Denise Gustin,
23 substitut d'audience. Bonjour, Monsieur le Président et Mesdames les
24 Juges.
25 M. le Président (interprétation): Les présentations pour M. Brdjanin?
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1 M. Ackerman (interprétation): Je suis Me Ackerman, assisté de Marela
2 Javtevic pour la défense de M. Brdjanin.
3 M. le Président (interprétation): Les présentations pour la défense du
4 général Talic?
5 M. Zecevic (interprétation): Je suis Me Zecevic, assisté de Mme Ivanovic-
6 Fauveau pour la défense du général Talic.
7 M. le Président (interprétation): Des remarques?
8 Mme Korner (interprétation): Simplement à propos de l'ordonnance 92,
9 ordonnance au titre de l'Article 92 du Règlement.
10 Monsieur le Président, est-ce que vous allez…
11 Je crois que nous appellerons les quatre témoins pour le contre-
12 interrogatoire, au cours des deux jours consacrés aux moyens de preuve
13 pour Kljuc, à raison d'une demi-heure par accusé.
14 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Madame Korner.
15 Mme Korner (interprétation): J'aurais dû vous dire que nous n'avions pas
16 encore été contactés, mais nous vous en aviserons le moment venu.
17 M. le Président (interprétation): Merci. Vous pensez conclure
18 l'interrogatoire du témoin?
19 Mme Korner (interprétation): J'entends conclure l'interrogatoire
20 principal, en tout cas, après la première pause de l'après-midi. Je crois
21 que M. Filipovic en a assez d'entendre ma voix.
22 (Le témoin, M. Muhamed Filipovic, est introduit dans le prétoire.)
23 M. le Président (interprétation): Bonjour, Monsieur.
24 M. Filipovic (interprétation): Bonjour.
25 M. le Président (interprétation): Je vous demanderai de bien vouloir
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1 répéter votre déclaration solennelle, s'il vous plaît.
2 M. Filipovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
3 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
4 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.
5 Madame Korner va poursuivre, puis conclure son interrogatoire principal.
6 Madame Korner, vous avez la parole.
7 (Interrogatoire principal du témoin, M. Muhamed Filipovic, par Mme
8 Korner.)
9 Mme Korner (interprétation): Monsieur Filipovic, j'aurais souhaité revenir
10 à l'histoire que vous nous racontiez hier. Vous nous aviez expliqué qu'on
11 vous avait passé à tabac à l'entrée du poste de police et qu'ensuite on
12 vous a conduit à l'intérieur du poste de police. Que s'est-il passé une
13 fois que vous étiez à l'intérieur du poste de police?
14 M. Filipovic (interprétation): A vrai dire, ils ne m'ont pas conduit à
15 l'intérieur parce que s'ils m'avaient conduit à l'intérieur, j'aurais pu y
16 aller en marchant, mais en fait j'étais inconscient, donc ils m'ont amené
17 à l'intérieur, ils m'y ont porté. Je suis donc arrivé dans le bureau de
18 l'enquêteur Todo Gajic, et à partir de ce moment-là, c'est-à-dire à partir
19 du moment où j'ai repris connaissance -17 heures 30, ce jour-là-, pour
20 autant que je peux m'en souvenir, j'ai perdu connaissance sept à huit
21 fois.
22 Ils m'ont frappé, et ils m'interrogeaient, mais l'interrogateur Todo Gajic
23 ne me frappait pas lui personnellement. D'ailleurs, en sa présence ils ne
24 me frappaient pas parce que je le connaissais personnellement. Et il m'a
25 dit… Mais il m'a d'abord demandé: "Où est Omer?"; et j'ai dit: "Eh bien,
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1 Omer est parti avec Vinko pour veiller à ce que le corps de "Duca" soit
2 bien retiré". Et lui, il m'a dit: "Je t'ai dit de ne pas t'engager dans la
3 politique. Tu es un bon professionnel. Tu aurais mieux fait de ne pas
4 t'impliquer dans les affaires politiques!". C'est la seule chose que
5 l'interrogatoire Todo Gajic me disait à l'époque.
6 Puis après, il se levait, il sortait. Après, d'autres personnes que je ne
7 connaissais pas, qui n'étaient d'ailleurs pas de Kljuc, entraient; ils
8 portaient des uniformes de la police serbe, des uniformes de camouflage
9 bleu, et ce sont eux qui me passaient à tabac. Ensuite, une fois qu'ils
10 partaient Todo Gajic revenait dans la salle où j'étais, et je crois que la
11 troisième fois, ils m'ont ordonné de me déshabiller et je ne portais plus
12 que mon slip. Ils ont pris tout le reste. Et puis, ils m'ont frappé, ils
13 ont frappé mon corps nu avec des bottes, avec des matraques.
14 Et je crois que c'est la cinquième fois –je ne me souviens plus du nom de
15 cet homme, mais je sais qu'il conduisait une camionnette à Sumarstvo à
16 Kljuc, et on l'appelait "Lizija", c'était son surnom- et lui, il m'a mis
17 un couteau à la gorge. Moi, j'étais couché au milieu de cette pièce, de ce
18 bureau, j'étais sans aide. Il a pris une grenade et il la faisait rouler
19 comme ça. On aurait cru qu'elle était télécommandée parce qu'elle est
20 arrivée juste à côté de moi. Alors, à ce moment-là, il m'a dit: "Regarde
21 l'Oustachi, il a une grenade à côté de lui!" Alors qu'en fait tout ce que
22 j'avais, c'était mon slip, mes sous-vêtements. J'ai réussi à reprendre
23 suffisamment de forces pour dire: "Moi, des bombes comme ça, je n'en ai
24 jamais vues." Parce que lorsque j'étais sous les drapeaux, je n'en avais
25 jamais vu de grenades comme celle-ci. C'était une grenade d'une marque
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1 plus récente.
2 Alors, après, il a mis la grenade dans ma bouche et il a dit: "Alors, tu
3 veux que je l'active?". J'ai supplié Dieu qu'il le fasse, parce que si
4 Muhamed était tué, alors cinq Chetnik seraient tués aussi; alors j'ai prié
5 Dieu pour qu'il active cette grenade, quoi qu'il advienne. Mais, malgré
6 tout, il ne l'a pas fait. Parce que les soldats serbes sont de véritables…
7 sont très lâches, ils ont peur; et ça été prouvé tout à la fin de la
8 guerre, lorsque nous, nous avons créé notre propre armée véritable.
9 Et puis après, vers 5 heures de l'après-midi je crois, un homme est entré
10 dans le bureau. Son nom m'échappe, mais il était commandant de police -son
11 nom me reviendra tout à l'heure- et il les a attaqués lorsqu'il a vu dans
12 quel état j'étais.
13 Question: Tout d'abord, lorsque l'interrogateur Gajic est revenu dans le
14 bureau, est-ce qu'il vous interrogeait et vous posait des questions à
15 chaque fois à propos de votre frère?
16 Réponse: Une fois seulement, la première fois. Ensuite, lorsqu'il venait
17 dans le bureau, parfois c'était Gajic, une autre fois c'était Zoran
18 Bracar, un boucher, qui était aussi membre des forces de réserve, et deux
19 ou trois autres que je connaissais aussi entraient dans le bureau et me
20 posaient toujours les mêmes questions: "Muhamed, à quoi cela t'a servi
21 tout ça? Tu es contre nous maintenant. Ce n'était pas bien quand on était
22 tous ensemble?". Et j'ai dit: "Mais j'en sais rien, je ne sais pas qui se
23 révolte. Nous, la coexistence nous la souhaitions aussi vivement que
24 vous".
25 Mais je dois dire, ici, qu'aucun habitant de Kljuc ne m'a frappé, à part
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1 cet homme qui a mis cette grenade dans ma bouche. Mais même lui n'est pas
2 de Kljuc vraiment, il est de Donji Ribnik. Lorsque le commandant de police
3 est arrivé, il a hurlé, il les a engueulés, il a juré et il a dit:
4 "Qu'est-ce que vous êtes, vous êtes des animaux ou des policiers? Regardez
5 comment vous le traitez ce pauvre homme!".
6 Je ne sais pas si c'est ce qu'il pensait vraiment ou s'il essayait de
7 m'impressionner, mais ce qu'il a dit, c'est: "Amenez cet homme en
8 cellule". J'ai donc été conduit vers 17 heures vers ma cellule, et lorsque
9 j'ai vu les gens qui étaient à l'intérieur de la cellule, j'ai tout de
10 suite compris que cela n'avait strictement rien à voir avec ce qu'ils
11 appelaient "une rébellion".
12 Question: Avant que nous en arrivions aux autres personnes présentes dans
13 la cellule, vous nous avez dit que le commandant de police, voyant dans
14 quel état vous étiez, leur a dit de mettre fin à ces mauvais traitements.
15 A la fin de ce passage à tabac, de quelle blessure souffriez-vous?
16 Réponse: Tout d'abord, je tiens à vous dire que je viens de me souvenir du
17 nom du commandant de police: Dragan Stojicic. Pour répondre à votre
18 question à propos des blessures, je ne me voyais pas. Mon corps était
19 encore chaud, j'étais couvert de sang et, lorsqu'ils m'ont conduit dans la
20 cellule, j'étais encore en slip. A ce moment-là, ils m'ont rendu mes
21 vêtements, j'ai donc dû m'habiller très rapidement en allant vers la
22 cellule. La cellule se situe dans la cave, il n'y avait pas de lumière.
23 Mon corps était encore chaud. Ça n'est que le troisième jour que j'ai
24 commencé à sentir les conséquences de ces coups qu'on m'avait portés, et
25 je me suis rendu compte que je n'arrivais pas à marcher ou à me déplacer.
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1 Question: C'est ce que j'allais vous poser comme question. Nous allons
2 parler de votre jambe tout à l'heure, mais est-ce que c'est à ce moment-là
3 qu'on vous a frappé, que vous avez subi cette blessure à la jambe?
4 Réponse: J'imagine que c'était à ce moment-là, parce qu'à part ce moment-
5 là où on m'a passé à tabac au poste de police, on m'avait aussi frappé à
6 l'entrée du poste de police vers 6 heures; et ensuite, juste avant de
7 monter dans le camion où on était en train de nous faire monter et encore
8 sept fois huit fois entre Kljuc et Mali Logor, et (expurgée).
9 Donc j'ai dû être blessé au cours de cette période-là.
10 Mais dans la cellule, j'ai reconnu Rebac Domagoj un Croate, Darko Dzaja un
11 autre Croate, Leopold Flat, un dentiste allemand, Branko Dzaja, le père de
12 Darko un Croate, Luka Brkic, un Croate, ainsi qu'un certain nombre
13 d'autres Musulmans. C'est à ce moment-là que je me suis aperçu que tout
14 cela n'avait strictement rien à voir avec ce dont on nous accusait, parce
15 que j'étais en train de me dire alors: "Ils nous ont dit qu'on était en
16 train de lancer une émeute, alors que ce Croate et cet Allemand, le
17 Docteur Flat n'avaient strictement rien à voir avec les Musulmans".
18 Je me suis donc rendu compte, à ce moment-là, que tout cela avait pour
19 seul objectif de nettoyer Kljuc et de débarrasser Kljuc des non-Serbes.
20 Question: A propos des gens qui étaient dans la cellule avec vous, vous
21 nous avez dit que l'un de ces hommes était un Allemand et que les autres
22 étaient des Croates. Mais quels étaient leurs postes à Kljuc, quelle
23 position occupaient-ils à Kljuc?
24 Réponse: Il y avait aussi des Musulmans, savez-vous. Leopold Flat est un
25 dentiste. Luka Brkic était un vendeur dans la sylviculture. Un autre était
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1 professeur d'art, Rebac Domagoj. Il y avait aussi Branko Dzaja, qui était
2 un vétérinaire et son fils Darko qui était étudiant, il n'était pas encore
3 diplômé mais il travaillait comme chauffeur de taxi en ville. Ils étaient
4 tous assez à l'aise financièrement, ils avaient du travail. Il y avait
5 Misad Sehic parmi les Musulmans, Djelic Mehmed, moi-même. Nous étions au
6 nombre de 21, et Kujundzic aussi, je ne me souviens plus de son prénom,
7 mais lui était chauffeur et il était inconscient. Tandis que nous tous
8 pouvions communiquer les uns avec les autres, mais par le regard parce que
9 nous n'osions rien dire parce que les Serbes regardaient à travers le trou
10 dans la porte et s'ils nous voyaient parler, alors ils nous insultaient.
11 Question: Vous nous avez dit que vers 5 heures et demie, 6 heures, on vous
12 a sorti de la cellule. Et que c'est à ce moment-là qu'on vous a jeté du
13 haut de l'escalier dans le poste de police. On vous a chargé sur un camion
14 et on vous a conduit à Mali Logor. Combien de temps avez-vous passé à Mali
15 Logor?
16 Réponse: Tout d'abord, lorsque l'on nous a conduits, on nous a frappés à
17 nouveau. D'abord, il fallait monter un petit escalier, des marches pour
18 arriver dans l'escalier, mais nous avions une corde autour des mains, des
19 poignets. Et pendant quatre mois après, je n'avais plus de force. Et puis,
20 je suis tombé au moment de monter dans le camion parce que, vous savez,
21 c'est difficile quand on a les mains, les poignets attachés, il est
22 difficile de monter même quelques marches. Et au moment où je suis tombé,
23 ils m'ont tous donné des coups de pied. Un policier, Jovo Perisic, est
24 arrivé et il a dit: "Mais qu'est-ce que vous êtes en train de lui faire, à
25 ce pauvre homme?". Ils ont dit: "C'est le Turc numéro 1". Il a dit:
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1 "Laissez-le tranquille, chargez-le sur le camion".
2 Alors, ils m'ont pris comme un sac de ciment, ils m'ont pris par les
3 épaules, par les jambes et puis ils m'ont jeté dans le camion. Et au
4 moment où ils nous ont conduits de Kljuc à Banja Luka, le camion s'est
5 arrêté une première fois. Je crois que c'était aux alentours de 19 heures,
6 7 heures du soir. Le camion s'est arrêté près de Hraslanak (phon.);
7 c'était une localité habitée. Et le Chetnik est sorti à ce moment-là et il
8 a dit: "Toi, le chef, viens ici". Et puis après, quelqu'un a dit: "Mais il
9 n'y a pas de chef ici". Et lui, il a dit: "Si, si, il y a un chef parmi
10 vous. Filipovic, il est parmi vous. Faites-le sortir".
11 Alors, ils sont allés vers lui. Et au moment où je me suis approché de lui
12 –les Serbes sont des lâches!-, nous étions tous attachés, mais il n'a même
13 pas eu le courage de monter dans le camion. Il m'a frappé depuis la route,
14 deux fois, avec des coups de poing dans le menton; et à ce moment-là, j'ai
15 perdu connaissance, je me suis évanoui. Il a hurlé, il a dit que je devais
16 me lever. Moi, je ne voulais pas me lever; alors, je me suis dit: "Il
17 n'aura même pas le courage de monter dans le camion. Et ça a continué… ça
18 s'est reproduit sept fois, huit fois jusqu'à ce qu'on arrive à la caserne
19 de Mali Logor.
20 Dans l'intervalle, Enes Mrsic a réussi à libérer ses poignets, il a
21 détaché tous ceux qui avaient les poignets attachés; et puis on les a mis
22 devant nous, parce que c'est plus facile de se défendre quand on a les
23 poignets devant, plus que quand on a les poignets derrière. Et lorsqu'ils
24 me frappaient, ça me permettait de me protéger. Et comme ça, quand on est
25 arrivés à Mali Logor, je ne faisais que prier; je priais le Seigneur pour
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1 qu'il me sauve ou qu'il m'aide à mourir. Alors, à ce moment-là, ils ont
2 hurlé: "Donne-nous Mehmet Begic qui a divulgué les codes au bureau de
3 poste". C'est un ingénieur en électricité diplômé qui travaille au bureau
4 de poste.
5 Mais d'abord, ils m'ont pris moi, et puis ils m'ont jeté en bas du… et
6 après, ils ont jeté tous les autres au-dessus de moi. Moi, j'étouffais,
7 j'étais écrasé par le poids de tous ces corps, mais je me disais: "Après
8 tout, Dieu existe parce qu'il m'a sauvé". Et j'étouffais! Mais, au moins,
9 on ne me frappait pas; parce que tout le monde frappait celui qui était
10 au-dessus, qui avait une veste, mais la veste était complètement déchirée.
11 Il s'agissait de Mehmed Begic.
12 Et après, après une heure de coups, Zoran Brkin est arrivé. On l'a
13 reconnu. Enfin, moi, je l'ai reconnu aussi. On l'appelait "Brkija". Son
14 père s'appelait Brko, il était policier dans les forces de réserve, il
15 était policier à la retraite; et il prétendait, enfin il jurait contre
16 Dieu; il disait: "Mais qu'est-ce que vous êtes en train de faire? Vous
17 êtes en train de frapper ces pauvres gens de Kljuc?".
18 Medic Fadil, mon collègue, a dit à ce moment-là: "Ce voisin, le voisin va
19 nous sauver". Et moi, j'ai dit -excusez-moi-: "Mais je t'emmerde! Personne
20 ne va nous sauver". Et Brkin, pour essayer de nous impressionner, leur a
21 hurlé quelque chose pendant un petit moment; et puis ils ont arrêté, mais
22 ils avaient fait ce qu'ils avaient l'intention de faire. Ils avaient
23 frappé Mehmed Djelic. Ensuite, ils nous ont conduits à Stara Gradiska.
24 Je souhaiterais simplement encore dire une chose. Dans le camion, il y
25 avait un trou dans la bâche. Et un homme nous disait, à travers ce trou:
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1 "On a passé tel endroit et tel autre endroit" A travers le trou. "Tant
2 qu'ils ne nous conduisent pas à Kula, tout ira bien, parce que c'est là
3 qu'ils tuent les gens". Donc, ils nous ont dit: "Ça y est, on a passé
4 Kula"; et c'est là qu'on s'est rendu compte qu'on était arrivés à Bosanska
5 Gradiska. Le nom de cet homme, c'était "Kuljo", son surnom.
6 On demandait où ils allaient nous amener. Et alors moi, j'ai dit: "On va à
7 Stara Gradiska", qui était une prison bien connue dans la Yougoslavie.
8 Donc c'était là qu'on allait nous conduire, parce que Stara Gradiska se
9 trouve juste de l'autre côté de la rivière, et ça se situe dans la
10 République de Croatie.
11 Et lorsqu'ils nous ont conduits à l'intérieur de la prison à Stara
12 Gradiska, (expurgée)
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20 Et puis, le lendemain matin, il y avait un médecin femme qui est venue,
21 qui m'a examiné, c'était le deuxième jour de mon séjour dans cette
22 cellule, il y en avait quatre, j'en ai parlé tout à l'heure, et le médecin
23 avait demandé qu'on se lève, et j'ai dit que je ne pouvais pas le faire.
24 Le fait même que je me lève, je me lève avec difficulté (expurgée)
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7 j’étais pratiquement pas mobile. Vukic avait été chargé de me porter jusqu'au
8 dispensaire. Il me portait... Il faut dire qu'à ce moment-là vous ne vous
9 rendez pas compte dans quel état vous êtes.
10 Teufik, il me demandait: "Mais moi, comment je suis?". Le Chetnik qui
11 allait devant nous, il a dit: "Surtout ne parlez pas". Et moi je lui ai
12 chuchoté quelque chose à l'oreille, j'ai dit: "Tu es tout bleu". Et lui,
13 il a dit: "Moi, je peux être n'importe comment mais, de toutes façons, je
14 te garantis que toi tu es cent fois pire.". Lui était mobile et pouvait se
15 voir. Moi, j'étais quelque peu intéressé quand il avait dit ça et, une
16 fois rentrée dans l'ambulance du médecin, je suis allé vers le lavabo et
17 il y avait les deux glaces. J'ai demandé au médecin si je pouvais me
18 laver; elle a répondu: "Il n'y a pas de problème. Vous êtes chez le
19 médecin, vous n'êtes pas en prison."
20 Je suis allé me laver et, en me lavant, j'ai soulevé quelque peu les yeux
21 pour me regarder dans le miroir, et le Chetnik était à côté de moi; il
22 m'avait demandé de baisser la tête et de ne pas regarder dans le miroir,
23 mais le médecin, cette femme, lui a demandé de sortir de l'ambulance, de
24 son cabinet et lui a dit: "Vous n'avez rien à chercher ici, c'est un
25 patient". Et moi je me suis bien lavé; une fois quand il était sorti, j'ai
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1 mis vraiment la tête sous le robinet, mais ma tête était presque double,
2 comme si j'avais deux têtes et on ne savait absolument pas où était le
3 nez. Moi, j'avoue que ma tête ressemblait à un ballon de football.
4 Ensuite, elle m'avait dit que j'allais être traité avec de la pénicilline
5 et elle m'a dit que je n'avais qu'à remercier Dieu parce qu'elle avait
6 encore des réserves de pénicilline et que, tant que je serais ici, je
7 serais traité à la pénicilline.
8 Et ça, c'était vrai. Tous les jours, le matin et le soir, on m'avait fait
9 une piqûre de pénicilline. Le cinquième jour, sixième jour, après cette
10 consultation et ce traitement qui m'a été accordé par le médecin, elle
11 avait disparu. Je ne sais pas où elle est partie. Probablement qu'elle ne
12 correspondait pas à ce qu'on s'imaginait au niveau des dirigeants, mais
13 moi, cela me convenait.
14 Question: Et est-ce que vous receviez également par la suite des soins
15 médicaux?
16 Réponse: Oui. On m'avait traité avec de la pénicilline. Et comme Stara
17 Gradiska n'est pas loin, elle est proche de Bosanska Gradiska, on m'avait
18 demandé également de me préparer, et puis elle m'a amené jusqu'à Bosanska
19 Gradiska, à l'hôpital, avec Asim Egrlic. On n'avait pas le droit de se
20 parler, on s'est tout simplement échangé des vues, mais on se comprenait
21 et on savait très bien ce qui se passait. On avait très bien compris, mais
22 on ne se parlait pas, on échangeait juste quelques regards.
23 Question: Et est-ce qu'à l'hôpital à Bosanska Gradiska, on vous a soigné?
24 Réponse: Je vais vous en parler là maintenant, parce que j'y suis resté.
25 Tout d'abord, on nous a fait rentrer dans un couloir. J'étais dans un
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1 fauteuil, ou plutôt c'était un brancard, et Egrlic sur l'autre. (expurgée)
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11 (expurgée). Nous avons attendu un chirurgien
12 une demi-heure à peu près et il est sorti de la salle d'opération.
13 Il y avait un monsieur; par différence aux autres, il était très cultivé,
14 correct, il se comportait correctement vis-à-vis de nous; et il y avait
15 les trois infirmières également.
16 Il y avait une infirmière qui m'avait salué "sala aleïkh", c'est une
17 salutation musulmane. Moi, je ne croyais pas qu'elle était musulmane et je
18 ne voulais pas lui répondre, mais c'est de la manière tout à fait exacte
19 qu'elle avait prononcé cette salutation comme si elle était musulmane,
20 mais je n'ai pas répondu.
21 Ensuite, le chirurgien est arrivé. Il m'a examiné et m'a dit: "Monsieur
22 Filipovic, vous devez vous rendre dans un autre hôpital qui est de plus
23 grande envergure, parce qu'en ce qui concerne votre jambe, il est
24 indispensable de procéder à une intervention chirurgicale que nous ne
25 pouvons effectuer ici. (expurgée)
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1 (expurgée)
2 (expurgée)et c'est la première fois que
3 j'ai entendu parler de ce terme "les pays tiers".
4 J'ai dit au médecin: "Docteur, je ne veux pas aller à Banja Luka". Il m'a
5 demandé pourquoi; et je lui ai dit: "En ce qui concerne mon nom de
6 famille, cela ne va pas me sauver, parce que dès qu'ils verront que mon
7 nom de famille est Filipovic, ils vont me passer à tabac, et pire qu'ici
8 dans la prison". Il m'a dit: "Si vous vous rendez dans un pays tiers,
9 demandez tout de suite qu'on vous passe sur une table d'opération pour une
10 intervention chirurgicale." Il m'a dit: "Moi je peux vous aider et vous
11 faire une piqûre". Il a appelé l'infirmière. Il avait fait procéder à une
12 ponction, il a sorti le sang de mon genou effectivement, et il m'avait
13 soulagé la douleur. C'est tout ce qu'il m'avait dit: "Je ne peux pas faire
14 mieux".
15 Ensuite, il m'a donné également une languette en plâtre. Ce n'était donc
16 pas le plâtre. Il y avait le pansement et, juste pour tenir la jambe, des
17 deux côtés, il y avait des petites languettes.
18 Question: Excusez-moi, mais est-ce que nous pouvons juste nous arrêter
19 ici, et voulez-vous bien nous dire quelque chose à propos de votre jambe?
20 Vous avez dit qu'elle avait fait une ponction et que du sang est sorti de
21 votre genou. Y avait-il des fractures éventuellement?
22 Réponse: Je ne sais pas. Je ne peux pas vous le dire. J'ignorais
23 complètement ce qui se passait avec ma jambe avant de me rendre à Londres.
24 On n'a pas fait de radio et on ne pouvait pas, et moi encore moins, savoir
25 ce qui se passait.
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1 Question: Entendu mais, dans tous les cas, d'après ce que nous avons pu
2 entendre, votre jambe a été gonflée, c'est la raison pour laquelle
3 notamment au niveau du genou, il a fallu retirer du liquide qui était
4 mélangé avec du sang, n'est-ce pas?
5 Réponse: Oui.
6 Question: Outre cette visite à l'hôpital de Bosanska Gradiska, jusqu'au
7 moment où on vous a transféré à Manjaca, est-ce que vous êtes allé
8 ailleurs, dans un autre hôpital?
9 Réponse: Non.
10 Question: Et vous êtes resté à Stara Gradiska jusqu'au 15 juin, n'est-ce
11 pas? Pendant que vous étiez là-bas, combien d'hommes y avait-il avec vous
12 dans votre cellule?
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23 (expurgée) Mme Fauveau: Nous écoutons depuis une demi-heure
24 les preuves sur le camp de Stara Gradiska. Stara Gradiska
25 se trouve en Croatie. Il n'est pas dans l'Acte d'accusation. A un moment
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1 donné, ce camp se trouvait dans l'Acte d'accusation. Nous avons fait
2 l'exception préjudicielle afin que ce camp soit expurgé de l'Acte
3 d'accusation puisqu'il s'agit d'un camp qui se trouve dans une autre
4 république; et le Juge Hunt a accepté cette exception préjudicielle et a
5 ordonné au Procureur de modifier l'Acte d'accusation afin que Stara
6 Gradiska ne se trouve pas dans l'Acte d'accusation.
7 Je comprends donc bien que le témoin veuille nous raconter tout ce qui a
8 été son expérience, mais qui étaient les gardes dans le camp de Stara
9 Gradiska n'est vraiment pas pertinent pour cette affaire.
10 M. le Président (interprétation): Oui, Madame Korner, est-ce que vous
11 voulez éventuellement répondre?
12 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges,
13 excusez-moi. C'est tout à fait vrai, Stara Gradiska ne figure pas dans
14 l'Acte d'accusation: on avait enlevé Stara Gradiska car elle se trouve en
15 Croatie. Mais, nous, nous affirmons que ceci n'a rien à voir avec.
16 M. le Président (interprétation): Oui, je suis d'accord, j'aimerais vous
17 demander de bien vouloir répondre à Me Fauveau. Est-ce que votre question
18 concernant les policiers ou les gardiens étaient des militaires ou des
19 policiers? Est-ce que ceci est pertinent ou non parce qu'on parle des
20 gardiens en Croatie?
21 Mme Korner (interprétation): Ceci n'est pas véritablement le plus
22 important car ceci est déjà dans le dossier. On sait qu'il s'agissait du
23 commandement qui a été tenu par le 5e Corps d'armée.
24 M. le Président (interprétation): Est-ce que c'était sur le territoire
25 croate tout le temps?
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1 Mme Korner (interprétation): Oui, en Croatie.
2 M. le Président (interprétation): Exactement.
3 Mme Korner (interprétation): Mais c'était en Croatie, mais à un moment
4 donné c'était la JNA et c'était le 7e Commandement du 5e Corps.
5 Mme Fauveau: Monsieur le président, quand nous avons fait notre exception
6 préjudicielle et quand le Juge Hunt a rendu sa décision que Stara Gradiska ne
7 doit pas figurer dans l’acte d’accusation Madame Korner n'a pas fait appel à
8 cette décision. Si elle voulait introduire les preuves sur ce camp de Stara
9 Gradiska, elle aurait dû faire appel sur cette décision. Mme Korner
10 (interprétation): Monsieur le Président, nous ne sommes pas d'accord parce
11 que ça n'a rien à voir, s'il s'agit de quelque chose qui figure dans l'Acte
12 d'accusation ou non parce qu'il s'agit d'un élément de preuve qui correspond
13 à la déposition, et d'ailleurs, le Juge Hunt en a parlé également lorsqu'il
14 s'agissait des Actes d'accusation qui concernaient la Croatie. C'est la
15 raison pour laquelle nous ne savons pas tout ce qui s'est passé à Stara
16 Gradiska. Après, on peut voir la suite.M. le Président (interprétation): Je
17 suppose que le témoin a été amené à Stara Gradiska et que c'étaient les
18 gardiens serbes, que c'était la police, n'est-ce pas? Mme Korner
19 (interprétation): Oui, effectivement. M. le Président (interprétation): Est-
20 ce que ce sont les Serbes qui l'ont gardé une fois qu'il était à Stara
21 Gradiska? Mme Korner (interprétation): Oui, c'est correct.
22 M. le Président (interprétation): C'est correct. Par conséquent,
23 indépendamment du fait qu'il s'agit d'un endroit qui est en dehors du
24 territoire de Bosnie-Herzégovine et en dehors de l'Acte d'accusation, je
25 pense qu'il est important quand même de constater que nous parlons encore
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1 des gardiens qui étaient des gardiens serbes.
2 Le Procureur affirme et avance -ce qui doit être prouvé bien évidemment-
3 que ces gardiens serbes avaient escorté ce monsieur-là jusqu'à Stara
4 Gradiska et que tout ceci a été sous le contrôle du 5e Corps d'armée.
5 Mme Fauveau: Le 5ème Corps n’existait plus à ce moment là, Monsieur le
6 président. (L'interprète: On demande à Mme Fauveau de ne pas parler
7 parallèlement avec les interprètes.)
8 M. le Président (interprétation): Madame Korner?
9 Mme Korner (interprétation): Oui, le 5e Corps qui a été rebaptisé "1er
10 Corps de la Krajina" autour du 28 avril…
11 Mme Fauveau: Oui mais justement le 1er Corps de Krajina, enfin le 1er Corps
12 de la Republika Srpska n’était jamais responsable de Stara Gradiska. C'est ça
13 le problème, justement. M. le Président (interprétation): Mais ce doit être
14 prouvé, c'est le Procureur qui doit le prouver, Maître Fauveau.
15 Je sais que la défense le conteste bien évidemment.
16 Mme Fauveau: Il s’agit tout à fait d’une autre république qui avait ses
17 propres organes et sa propre force armée.
18 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges,
19 excusez-moi, mais je me dois de souligner quelque chose qui me paraît
20 important. Tout ce sur quoi le témoin dépose est très grave et, par
21 conséquent, il ne faut pas l'interrompre avec un aspect juridique.
22 M. le Président (interprétation): Je vous en prie, vous pouvez poursuivre.
23 Ceci n'est pas un préjugé. Le Procureur va prouver si Stara Krajina était
24 sous le contrôle du 1er Corps de la Krajina. Le témoin n'a pas encore
25 répondu, d'ailleurs. Il va peut-être dire que les gardiens n'appartenaient
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1 même pas à l'armée.
2 Mme Korner (interprétation): Mais c'est exactement ce que je pense.
3 M. le Président (interprétation): Monsieur Filipovic, une question va
4 maintenant vous être posée par Mme Korner.
5 Mme Korner (interprétation): Monsieur Filipovic, est-ce qu'il s'agissait
6 de policiers ou de policiers militaires? De quel type de policiers
7 s'agissait-il?
8 M. Filipovic (interprétation): Moi, je suis très énervé, c'est vrai, par
9 ces objections des avocats de la défense.
10 Ils m'ont emmené à Stara Gradiska; ils savaient très bien que c'était le
11 territoire de la Croatie. Comment, à cette époque-là, ne se sont-il pas
12 posé la question qu'ils ne devaient pas m'emmener, moi, en tant que
13 quelqu'un qui étais ressortissant de Bosnie-Herzégovine, en Croatie?
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18 M. le Président (interprétation): Entendu. Mais la question n'a pas eu de
19 réponse.
20 Mme Korner (interprétation): Oui, non… Mais c'est vrai, Monsieur le
21 Président.
22 Monsieur Filipovic, je vais vous laisser raconter ce que vous pensez, mais
23 nous allons quand même nous concentrer d'abord sur ce que j'aimerais
24 obtenir comme réponse de vous.
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13 Question: Vous avez dit qu'Omer Filipovic, votre frère, a été amené dans
14 votre cellule. A quelle période avez-vous appris qu'il était également à
15 Stara Gradiska?
16 Réponse: Non.
17 Question: Vous avez répondu par la négative? Je pensais qu'il avait été
18 emmené dans votre cellule.
19 Réponse: C'était la fête de Bajram, le 11 juin; il a été amené dans ma
20 cellule. Le gardien l'a amené en disant: "Vous avez une demi-heure pour
21 discuter et ce soir, à partir de 18 heures, pendant que je serai de garde,
22 vous aurez plus de temps.".
23 Je n'ai pas tout à fait compris et Omer m'a dit: "Je partage ma cellule
24 avec un Serbe; c'est un Serbe très bien, originaire de Derventa. C'est un
25 homme riche. Ce gardien est l'un de ses hommes et c'est lui qui nous a
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1 rendu possible cette rencontre.".
2 Donc effectivement, nous avons passé une demi-heure ensemble. Le gardien
3 est arrivé et nous a dit: "Dépêchez-vous. Il ne faut pas que l'on vous
4 voie, parce que c'est moi qui en subirai les conséquences".
5 Omer m'a raconté tout ce qui s'est passé. Il n'a pas pu me reconnaître;
6 c'est ce qu'il m'a dit. Il avait entendu que j'étais à Gradiska, alors que
7 nous étions dans deux cellules qui étaient l'une en face de l'autre.
8 A deux reprises, j'ai entendu qu'on appelait un certain Filipovic pour lui
9 donner une piqûre. J'ai demandé au gardien: "Mais qui est ce Filipovic?".
10 Il a répondu: "C'est Mohamed Filipovic. Je lui ai répondu: "Chez nous, à
11 Kljuc, il y a quatre Muhamed Filipovic.". Il m'a dit que c'était une
12 personne chauve, maigre, avec une barbiche; et j'étais persuadé que ce
13 n'était pas mon frère, puisque mon frère était quelqu'un de corpulent.
14 Omer a donc demandé au gardien de voir, dans le registre, quel était le
15 nom du père de la personne; c'est ce qu'il a fait et il a lu que le nom du
16 père était Suljo. C'est à ce moment-là qu'Omer a compris que c'était de
17 moi qu'il s'agissait. Et comme le gardien a donné une description de moi
18 disant que j'étais chauve, que j'étais maigre, etc… Mon frère m'avait
19 connu, quelques jours auparavant, avec plus de 100 kilos; je pesais plus
20 de 100 kilos, avant, et je n'étais pas chauve. Donc c'était la conséquence
21 du stress, tout ça.
22 Question: On va passer maintenant rapidement, avant de commencer à parler
23 de Manjaca.
24 Votre frère a-t-il été passé à tabac, avant que vous l'ayez vu?
25 Réponse: Non, pas à Stara Gradiska; c'est ce qu'il m'a dit. Il m'a dit:
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1 "Je suis désolé de te voir dans cet état. Moi, je n'ai pas pas été battu"
2 Todo Gajic est venu me voir, il vient tous les jours. C'est l'enquêteur
3 chargé de mon affaire. Et, grâce à Vinko Kondic, je suis toujours en vie.
4 Vinko respecte des règles, mais si c'était Jovo Banjac, le responsable, je
5 ne serais plus en vie alors que Vinko respecte quand même quelques règles.
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7 Question: Donc passons à Manjaca maintenant. Les Juges ont entendu
8 beaucoup de choses à ce sujet et je vais donc juste me concentrer sur
9 quelques aspects de ce sujet. Avez-vous été amené à Manjaca le 15 juin?
10 Réponse: Oui.
11 Question: Et votre frère Omer a été amené à Manjaca à la même date?
12 Réponse: Oui.
13 Question: Lorsque vous êtes arrivé à Manjaca, avant votre arrivée, avez-
14 vous été battu?
15 Réponse: Non, ils ne nous ont pas battus, mais ça aurait peut-être été
16 mieux. D'habitude, le bus ne peut contenir que 50 personnes, mais nous
17 étions 150 à l'extérieur, la température était de 30 degrés et le
18 chauffeur avait en plus branché le chauffage, donc on étouffait à
19 l'intérieur. Le chauffeur avait ouvert la fenêtre, avait baissé la vitre,
20 il l'a fait exprès donc, alors que nous, à l'arrière, étions en train
21 d'étouffer. J'aurais préféré avoir été battu que d'étouffer de cette
22 manière. Nous étions 150 et étions empilés les uns sur les autres.
23 Question: Lorsque vous êtes arrivé à ce camp, avez-vous été passé à tabac
24 au camp même?
25 Réponse: Oui.
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1 Question: Le jour de votre arrivée ou plus tard?
2 Réponse: Le jour de notre arrivée, Zeljko Bulatovic, un gardien -j'ai
3 appris son nom par la suite- a demandé à haute voix: "Ils sont bien
4 inscrits ceux-là?". On ne savait pas de quoi il s'agissait. Lorsqu'on vous
5 demande d'habitude cela, c'est dans le but de vous inscrire dans un
6 registre. Alors qu'il s'agissait de coups. Il a demandé si on était
7 inscrit dans le registre pour être battu. Donc il m'a battu jusqu'à ce que
8 je tombe.
9 Lorsque je suis tombé, mon frère est arrivé, il voulait me relever, me
10 mettre sur les pieds et Zeljko Bulatovic s'est mis à battre mon frère; il
11 a dit: "Mais pourquoi aides-tu un Oustachi?". Omer a dit: "Mais je dois le
12 faire, c'est mon frère". Alors il a dit: "Puisque tu dois le faire, je
13 vais te battre toi aussi", et il a cessé de me battre moi et a commencé à
14 asséner des coups à Omer.
15 Question: C'était la première fois que votre frère a été battu?
16 Réponse: Oui, c'était la première fois que l'on battait mon frère Omer.
17 Question: Pendant votre séjour à Manjaca, avez-vous été interrogé?
18 Réponse: Oui. Une fois.
19 Question: A la fin de cet interrogatoire, avez-vous fait une déclaration
20 par écrit?
21 Réponse: J'ai fait une déclaration. J'ai signé quelque chose. L'enquêteur
22 écrivait pendant que je parlais, mais je dois vous dire d'abord, il m'y a
23 amené, il m'a frappé avec une matraque. J'avais du mal à marcher, je
24 boitais et il me disait: "Dépêche-toi" en me battant, donc il a fallu
25 contourner les tables pour arriver au bureau de l'enquêteur. L'enquêteur
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1 était quelqu'un de bien, j'estime, il m'a donné une cigarette; je lui ai
2 raconté ce que j'avais à lui dire.
3 Lorsque j'étais à Gradiska, mon frère m'a dit: "Moi, je ne survivrai
4 certainement pas, mais toi, tu dois survivre à justement à cause d'Emir et
5 de mes enfants. Et, dès que tu peux, tu leur dis que c'est de ma faute."
6 Donc, pendant que je faisais cette déclaration, je mentais un peu mais, en
7 même temps, je voulais donner de bonnes réponses pour ne pas être battu.
8 Mais c'était en quelque sorte une déclaration forcée puisque j'ai été
9 battu avant et après.
10 Mme Korner (interprétation): Je vous prie, maintenant, de regarder votre
11 déclaration. C'est le document qui se trouve dans le classeur qui porte la
12 date du 2 juillet. A l'en-tête figure: "Le camp de prisonniers de guerre
13 de Manjaca."
14 (Intervention de l'huissier.)
15 Je vois, on a une nouvelle Greffière. Je vous prie donc de me passer cette
16 série de documents pour que je voie moi-même. Ce sera plus rapide.
17 Lorsqu'on vous a remis toutes les déclarations, vous a-t-on remis cette
18 déclaration aussi?
19 M. le Président (interprétation): (Hors micro.) Vous pensez au document
20 qui, dans la version anglaise, portait la cote 03045352?
21 Mme Korner (interprétation): Oui.
22 Je vous prie de regarder en même temps la version en BCS, pour des raisons
23 qui me semblent évidentes. Je vous prie, tout d'abord, de regarder les
24 signatures qui figurent à la fin de ce document. Ce document a été signé,
25 apparemment, par un monsieur qui s'appelle Dane Lukajic et Rada
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1 Maksimovic, et on y voit également votre signature. C'est bien votre
2 signature que l'on voit là? S'agit-il bien de votre signature?
3 M. Filipovic (interprétation): Oui, c'est ma signature. Mais ma signature,
4 d'habitude, n'est pas telle qu'elle figure ici. Je peux signer pour vous
5 ici à plusieurs reprises, puisque j'ai eu du mal à l'époque à écrire,
6 signer. Mais c'est effectivement ma signature.
7 Question: Je vous prie de parcourir le document. Il y a un paragraphe où
8 figure le passage suivant: "En général, je ne sais rien sur Kljuc dans son
9 ensemble, sur la ville et ses communes locales et s'ils étaient armés. Je
10 me suis distancé de toute activité politique puisque j'ai réalisé que tout
11 ceci pourrait amener à la guerre."
12 C'est exact?
13 Réponse: C'était pour sauver ma vie. J'ai écouté ce que mon frère m'a dit;
14 mon frère m'a dit qu'il le fallait, que je n'avais qu'à dire que c'était
15 sa faute à lui et que si je disais cela, j'aurais des chances de survivre.
16 Question: Est-ce que ce document pourrait recevoir la cote 1102 a) et b)?
17 Comme je l'ai déjà dit auparavant, Monsieur Filipovic, nous avons eu
18 beaucoup d'éléments de preuves à propos de Manjaca. Mais pouvez-vous nous
19 donner un résumé: en quelques phrases, à quoi ressemblait Manjaca?
20 Réponse: On peut en parler pendant des mois et des années mais,
21 brièvement, je vais vous dire la chose suivante: entre Auschwitz,
22 Mauthausen et Manjaca, il n'y a qu'une différence: là-bas il y avait des
23 chambres à gaz, et à Manjaca il n'y avait pas de chambre à gaz.
24 J'ai dit que les Serbes avaient commis plusieurs erreurs. La deuxième
25 était de me placer dans un endroit où il y avait du béton, donc j'étais
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1 obligé de me coucher sur du béton. S'ils m'avaient donné un lit, je ne
2 serais certainement plus vivant moi-même et les autres détenus. Ces
3 conditions-là nous ont aidé à rester en vie.
4 Question: Je vais vous demander de me répondre à plusieurs questions.
5 D'abord, vous nous avez décrit comment vous avez été battu par Bulatovic.
6 Avez-vous été battu ultérieurement pendant votre séjour à Manjaca? Vous
7 nous avez évoqués déjà les passages à tabac lors des interrogatoires.
8 Réponse: Encore une fois, oui, j'étais immobile. Pendant toute cette
9 période, j'étais couché, on m'a battu encore une fois.
10 Tous les mercredis, ils faisaient l'appel et, lorsqu'ils venaient, donc,
11 pour faire l'appel, il fallait sortir rapidement de cette étable qui était
12 d'une longueur de 100 mètres. Et moi, je ne pouvais pas le faire
13 rapidement, alors je recevais des coups.
14 Ce qui était le plus difficile à Manjaca était de se nourrir. On avait
15 faim et soif et il n'y avait pas de nourriture. Un pain de 800 grammes
16 était partagé entre 44 personnes et une boîte de conserve, de pâté
17 également pour huit personnes.
18 Lorsque Mehmet nous a envoyé de l'aide, la situation s'est quelque peu
19 améliorée, mais ce n'est qu'au moment où la CICR nous a pris sous son aile
20 que nous avons obtenu de la nourriture. On était, on ressemblait plutôt à
21 des squelettes. On a une vidéocassette où j'apparais. Déjà, en arrivant à
22 Londres, j'avais dix kilos de plus puisque le chef cuisinier, après le
23 meurtre de mon frère, il a dit: "Muhamed doit rester en vie." Alors il
24 m'apportait du lait, il m'apportait du sucre, donc j'avais pris un peu de
25 poids pendant cette période.
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1 Question: Nous allons visionner cette cassette dans quelques instants.
2 Dans cet espace où vous avez été enfermé, est-ce qu'on avait l'habitude de
3 faire sortir d'autres personnes et de les battre?
4 Réponse: Oui. Il y avait un militaire de la JNA, un certain Sinisa, un Rom
5 de Nis. Il venait de Serbie, il n'était pas musulman. Donc un militaire
6 actif de la JNA. C'était un caporal.
7 J'ai compté… lorsque Zeljko Bulatovic le battait, il lui a asséné 94
8 coups; j'ai compté. Et Zeljko Bulatovic lui disait qu'il fallait qu'il
9 regrette. L'autre lui répondait: "Je ne suis pas un criminel, je n'ai rien
10 à regretter. Je n'ai pas à me repentir." Alors qu'on l'accusait, en tant
11 que caporal, d'avoir trahi son Etat en donnant des informations à Franjo
12 Tudjman.
13 Mais à mon avis, ce qui les gênait, c'était le fait qu'il était tzigane,
14 rom. Et le SDS, lorsqu'il était au pouvoir, il avait instauré un régime
15 qui ressemble au régime nazi, il ne voulait pas de Musulmans, de Croates,
16 de Tziganes, etc.
17 Question: Vous a-t-on soigné? Vos blessures ont-elles étaient soignées
18 lorsque vous étiez à Manjaca avant l'arrivée de la Croix-Rouge
19 internationale?
20 Réponse: On m'a amené au dispensaire. Là-bas, il y avait trois médecins.
21 C'était également des détenus, mais leur métier était la médecine. Enes
22 Sabanovic m'a ausculté, m'a pris ma tension et c'est mon frère qui m'y a
23 emmené. Mon frère connaissait personnellement le Dr Sabanovic. Sabanovic a
24 donc pris ma tension; je n'avais pas de tension du tout.
25 Omer lui a posé la question suivante: "Docteur, as-tu des cachets?". Le
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1 docteur lui a répondu: "Ce n'est pas un hôpital; tu sais bien où on se
2 trouve, à quoi ressemble cet endroit.". Le dispensaire se trouvait un peu
3 à l'extérieur du camp, là où se situaient leurs bureaux. "Il faut que tu
4 dises, une fois rentré au camp, au cuisinier de lui donner de l'oignon et
5 de lui donner à boire de l'eau". Et lorsque je suis entré, effectivement,
6 j'ai mangé un oignon, j'ai bu de l'eau et, effectivement, la tension est
7 un peu montée.
8 Lorsque Sabanovic se procurait des cachets, il me les passait sans que ça
9 se sache, en secret. Que ce soit le Dr Meho ou Sabanovic, ils amenaient
10 donc ces cachets pour me les donner, mais c'étaient uniquement des anti-
11 douleur; c'étaient les seuls soins dont j'ai bénéficié lorsque l'un des
12 docteurs me donnait des cachets anti-douleur.
13 Question: Votre frère… Peut-être préférez-vous ne pas évoquer ce qui s'est
14 passé?
15 Réponse: Je suis prêt à témoigner, c'est pour ça que je suis ici.
16 Question: Votre frère se trouvait-il au même endroit que vous, dans la
17 même grange?
18 Réponse: Oui, jusqu'à ce qu'il en soit gêné. Parce que mon frère était
19 celui qui donnait de l'espoir aux gens. Les gens étaient découragés,
20 déprimés; ils mangeaient de l'herbe, ils broutaient de l'herbe. Et mon
21 frère venait, il leur disait: "Mais vous voyez, il ne faut pas leur donner
22 ce plaisir de nous voir brouter de l'herbe, nous autres Musulmans.". Donc,
23 en quelque sorte, lui, il nous encourageait, il nous remontait le moral
24 parce que, en entendant ses paroles, on pouvait supporter les coups, on
25 pouvait supporter la manière dont ils nous maltraitaient.
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1 Ils l'ont emmené, donc, dans une cellule et il y a passé 19 jours, dans un
2 cachot.
3 Alors, après l'avoir battu, le gardien -c'était Bulatovic- apportait du
4 thé chaud et, au lieu de lui donner à boire, il lui faisait baisser sa
5 culotte et lui jetait ça sur lui. Donc il cherchait à l'humilier.
6 Une fois, lorsque nous sommes partis manger dans la cantine, Omer était
7 sorti suite aux recommandations de la Croix-Rouge qui avait dit que
8 personne ne pouvait être enfermé dans un cachot plus de 15 jours, donc
9 Omer était relâché; on allait… on marchait ensemble et Bulatovic est
10 arrivé. Il se donnait le surnom de "Fadil" et il disait: "Je préfère être
11 au service de Karadzic que de servir Alija Izetbegovic". C'était juste une
12 provocation et nous, on le savait.
13 Donc Bulatovic s'est approché d'Omer et lui a dit: "Professeur, à quoi
14 réfléchis-tu maintenant?". Omer lui a répondu, avec beaucoup de dignité:
15 "Si jamais je survis, si jamais on me libère de Manjaca, si jamais je sors
16 d'ici, j'écrirai un livre". L'autre lui demande: "Y aura-t-il une place
17 pour moi, dans ce livre?". Il lui a répondu: "Monsieur… Mon Caporal, tu
18 seras le héros de mon livre".
19 Après avoir dit cela, "Bula"… Donc deux ou trois jours après, il
20 l'emmenait au cachot, il le passait à tabac, il lui faisait subir toutes
21 sortes de tortures.
22 Mme Korner (interprétation): L'avez-vous vu, le jour où il est mort?
23 M. Filipovic (interprétation): Je l'ai vu le 29. Il est décédé le 28 au
24 soir et on m'a donné l'autorisation d'aller le voir le 29. Donc je l'ai vu
25 le 29, vers 4 heures. Je l'ai vu; il était déjà mort. Il était nu; il
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1 n'avait plus son alliance.
2 Nihad Filipovic, mon neveu, était avec moi et je lui ai dit: "Mais regarde
3 s'il y a une alliance quelle part!". Et donc j'ai fait ma prière, la
4 Fatiha, selon notre coutume musulmane. Nihad a bien regardé et m'a dit:
5 "Non, il n'y a pas d'alliance.". A cet instant, j'ai embrassé mon frère.
6 Le chef des deux Chetniks -c'était un capitaine- est venu; il m'a présenté
7 ses condoléances. Il m'a dit, mot à mot –je vous répète ce qu'il m'a dit-:
8 "Sois convaincu que je n'y suis pour rien. Je te présente mes sincères
9 condoléances.". J'ai répondu: "Je remercie le bon Dieu et je suis heureux
10 de voir qu'en Bosnie, il y a quelqu'un qui pense comme ça. Mais pourquoi
11 avez-vous enlevé son alliance?".
12 Ensuite, on a emporté son corps et sans qu'il y ait eu d'ordre
13 particulier, tous les détenus se sont mis au garde-à-vous.
14 Et à ce moment-là, les Serbes ont eu peur d'une rébellion. Ils ont eu peur
15 qu'il y ait effectivement une insurrection. Ils ont dit: "Si c'est comme
16 ça que vous faites vos adieux à votre chef, vous allez faire de même avec
17 Alija Izetbegovic."
18 Lorsque le corps d'Omer a été transféré de Banja Luka à Kljuc, j'ai trouvé
19 l'alliance sur le squelette, sur les os d'Omer, et j'imagine que c'est le
20 capitaine qui a exprimé, qui a présenté ses condoléances et qui a forcé
21 les deux Chetniks à rendre cette alliance. Lorsque j'ai revu son corps,
22 lorsqu'il a été transféré de Banja Luka à Kljuc, lorsqu'ils ont ouvert le
23 cercueil, c'était le pire des moments, c'était pire que tout ce que
24 j'avais vécu à Manjaca, tous les passages à tabac.
25 M. le Président (interprétation): Nous pouvons nous arrêter à présent,
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1 nous ferons une pause de 15 minutes.
2 (L'audience, suspendue à 15 heures 49, est reprise à 16 heures 10.)
3 Mme Korner (interprétation): Monsieur Filipovic, j'ai seulement une ou
4 deux questions supplémentaires à vous poser.
5 Tout d'abord, Esad. Vous avez parlé d'Esad, s'agit-il d'Esad Bender?
6 M. Filipovic (interprétation): Oui.
7 Question: Qui est mort au même moment, plus ou moins?
8 Réponse: Le 29.
9 Question: Est-ce qu'Esad Bender était un ami de la famille de longue date?
10 Réponse: Oui, il est mort entre mes bras à Manjaca, il est mort à 5 heures
11 30 du matin dans mes bras.
12 Question: Et dans quel état était-il au moment où il est mort dans vos
13 bras?
14 Réponse: Il avait été frappé, il était malade, il n'y avait déjà plus de
15 vie en lui. La veille, il m'avait dit: "J'urine du sang".
16 Mujo Stakic, un autre prisonnier, qui était notre interlocuteur parce que
17 nous ne dormions pas dans la même rangée, alors Mujo faisait passer les
18 messages; c'était plus un messager qu'un interlocuteur.
19 Question: L'état d'Omer et d'Esad: est-il possible que cet état de santé,
20 les gardes n'en aient rien su?
21 Réponse: La nuit du 28 juillet, lorsqu'ils les ont passés à tabac, il y
22 avait aussi d'autres prisonniers qui avaient été frappés. Omer a sauté
23 dans un champ de mine. Il a demandé qu'Esad Bender soit libéré. Et puis,
24 il est ressorti de ce champ de mine. Il y avait un gros risque qu'Omer ne
25 mette le pied sur une mine parce qu'il était épuisé. Et puis, les Chetniks
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1 se sont levés. Les autres prisonniers avaient déjà été libérés. Ils sont
2 allés vers la grange. Puis Omer, on l'a jeté dans un trou, on l'a passé à
3 tabac à fond dans ce trou. Ensuite on l'a mis au cachot.
4 Question: Deux autres questions comme je vous l'ai dit tout à l'heure.
5 Tout d'abord, vous avez parlé de l'aide que vous a offerte Merhamet.
6 Connaissez-vous quelqu'un répondant au nom d'Adil Medic?
7 Réponse: Oui.
8 Question: Vous a-t-il parlé, à vous personnellement, lorsqu'il est venu à
9 Manjaca?
10 Réponse: Lorsqu'il est venu à Manjaca, il n'a fait simplement un signe de
11 la main, il n'avait pas le droit de me contacter. Dans chacune des
12 granges, il y avait un prisonnier qui pouvait aller lui parler. Dans notre
13 grange, c'était Omer qui était l'interlocuteur. Il a demandé une veste, et
14 Adil a insisté que les représentants de Merhamet puissent discuter avec le
15 colonel Popovic. Ils ont dit que nous n'étions pas frappés à Manjaca. Et
16 puisque ma veste était couverte de sang, Omer a demandé qu'on remette ma
17 veste, cette veste constituait la preuve du fait qu'il y avait du sang à
18 Manjaca, et que c'était la veste d'un des détenus parce que la veste était
19 couverte de taches de sang. On l'avait donc bien frappé.
20 Et puis, j'ai vu Esad plusieurs autres fois. Et l'arrivée de Merhamet,
21 c'était pour nous le salut, parce qu'on nous a nourris à ce moment-là. A
22 l'époque, tous les prisonniers, qui pouvaient se déplacer, attendaient à
23 midi ou une heure de l'après-midi, et quand ils voyaient les camions
24 arriver, ils voyaient des vivres arriver et cela les mettait de meilleure
25 humeur.
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1 Question: Merhamet vous a fourni de l'aide, mais combien de nourriture en
2 plus pouviez-vous recevoir grâce à Merhamet?
3 Réponse: Je ne peux pas dire de combien ont augmenté les portions de
4 vivre. Je dirais plutôt que c'était une forme d'aide différente. En fait,
5 ça permettait aux Serbes d'éviter de nous nourrir. Ils attendaient
6 simplement que Merhamet arrive parce qu'eux-mêmes, les Serbes, étaient en
7 crise. Certes, nous recevions très peu de vivres de leur part, les Serbes
8 les utilisaient pour eux-mêmes, et nous, on ne mangeait que ce que
9 Merhamet nous apportait.
10 Lorsque ça a été repris par la Croix-Rouge, on a été mieux nourri à
11 Manjaca. On était même mieux nourri que les Chetniks qui nous gardaient:
12 on avait trois repas, on avait un quart de pain pour chaque repas. Ils ont
13 demandé de la nourriture pour nous, et les Serbes ont dit que nous étions
14 mieux nourris qu'eux.
15 Question: Au bout du compte, on vous a retirés de Manjaca, on vous a
16 conduits par avion en Angleterre, est-ce exact?
17 Réponse: Oui, je ne sais plus exactement quel jour c'était. Je crois que
18 c'était le premier samedi, "Spaga" qui était responsable de la prison a
19 dit: "Que tous ceux dont je lirai les noms à présent prennent leurs
20 possessions et se mettent en rangs ici". Et mon nom figurait sur cette
21 liste. Donc nous avons attendu et attendu encore; et puis la nuit a
22 commencé à tomber. Nous, nous pensions que c'était une blague qu'on nous
23 jouait. Puis nous avons dû retourner au camp. Et là, on nous a dit: "Vous
24 voyez, personne ne veut de vous! En fait, les Turcs auraient dû atterrir à
25 l'aéroport de Banja Luka, mais ils n'en ont pas eu le courage".
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1 Puis, "Spaga" est revenu; il est venu dans les étables ou dans les
2 granges. Et il a dit: "Tous ceux dont je lis les noms se lèvent." Alors,
3 j'ai entendu que mon nom a été lu une fois de plus.
4 Il pleuvait ce jour-là. Nous sommes sortis et ensuite les bus sont arrivés
5 et un des enquêteurs principaux a dit: "Vous voyez, sans les orthodoxes,
6 rien ne vous arrivera. Vous voyez, même les Turcs ne veulent pas de vous.
7 Ils ne viennent même pas à Banja Luka." Il a dit: "Les orthodoxes vont
8 vous emmener. L'avion russe atterrit à Banja Luka". Et il a dit: "Vos
9 frères, les orthodoxes vont vous amener". Et il nous a dit: "Vous devez
10 vous faire traiter".
11 Nous, nous devinions l'endroit où on allait nous conduire. On nous a
12 conduit en Croatie; puis, on nous a dit pour la première fois qu'on allait
13 nous conduire en Angleterre. Et alors, un des gardes a crié: "Filipovic,
14 grâce à M. Karadzic, tu es maintenant libre! Vous bénéficiez de la grâce.
15 Et si personne ne sait ce que cela veut dire, alors, Filipovic, tu n'as
16 qu'à l'expliquer à tout le monde".
17 Et moi, j'ai dit dans ma déclaration que je ne savais pas quoi faire. J'ai
18 dit: "Grâce à M. Karadzic, nous sommes aussi des prisonniers. Sans
19 Karadzic, je n'aurais jamais vu Manjaca. Il a dit: "Ça, on en parlera plus
20 tard".
21 Ensuite, on nous a fait monter dans des bus, on nous a conduits à
22 l'aéroport de Banja Luka. Ça, c'était un bus et puis il y avait un autre
23 bus, qui venait de Trnopolje, qui amenait un groupe de prisonniers de là-
24 bas. Et 68 d'entre nous avons été conduits à Londres ensuite.
25 J'aimerais expliquer autre chose, un détail à propos de Manjaca, mais je
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1 crois que c'est un détail important. Lorsque Bernard Kouchner, M. Bernard
2 Kouchner est venu visiter le camp, envoyé par la communauté internationale
3 pour examiner les conditions qui régnaient au camp de Manjaca, je
4 l'intriguais: j'ai mis ma tête dans le bassin où boivent les vaches, et
5 puis j'ai pris une béquille et je l'ai mise en dessous de moi. Et M.
6 Kouchner a demandé à M. Popovic: "Mais c'est quoi son problème à ce
7 prisonnier?"; Popovic a répondu immédiatement: "Celui-là, il est passé
8 sous un cheval!" Et moi, j'ai parlé, j'ai dit: "Non, je ne suis pas passé
9 sous un cheval, je n'ai pas été frappé par un cheval!". Et la personne qui
10 traduisait à Kouchner a traduit littéralement que je n'avais pas été
11 frappé par un cheval. Et M. Kouchner, ça l'intéressait; il ne voulait pas
12 partir. Il a posé la question et moi, j'ai dit: "Non, c'est une armée qui
13 m'a frappé." Et Kouchner a dit: "Quelle armée?" Et moi, j'ai répondu:
14 "Mais il n'y a que l'armée serbe là-bas". Il a dit: "Où?" J'ai dit: "A
15 (expurgée)". Il m'a dit: "Est-ce qu'on vous a frappé à Manjaca aussi?"
16 J'ai dit: "Oui, mais j'avais déjà été frappé avant Manjaca: à Kljuc, à
17 Mali Logor". Alors, il a répondu, Kouchner: "Donc vous voyez que ces gens
18 n'ont pas été frappés à Manjaca, mais en dehors de Manjaca!". Et je crois
19 que c'était quelque chose qu'il était important de souligner.
20 Question: Une fois que vous êtes arrivé en Angleterre, est-ce que vous
21 avez bénéficié d'un traitement médical adéquat pour vos blessures?
22 Réponse: Le 15 septembre, à partir de l'aéroport, on nous a dispatché dans
23 différents hôpitaux; nous étions au nombre de 68 dans cet avion russe qui
24 avait été affrété pour nous, spécifiquement. Il y avait les blessés
25 sérieux. On avait retiré les sièges de l'avion et on y avait mis des lits.
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1 Et le 15, je suis entré à l'hôpital; on m'a examiné. Le 16, à 8 heures du
2 matin, j'ai été opéré; j'ai subi trois opérations à ma jambe et une à mon
3 nez.
4 Je vous présente mes excuses, mais je dois ajouter quelque chose: au cours
5 de mon séjour à Manjaca, ma jambe a cessé d'enfler, mais mon frère m'a dit
6 que mon nez était cassé. Donc il a fallu un certain temps avant que mon
7 nez ne soit plus enflé.
8 Question: Pouvez-vous nous dire, suite aux blessures et aux opérations,
9 quelles sont les séquelles qui vous sont restées? Nous avons vu que vous
10 boitez, mais de quelles autres séquelles souffrez-vous?
11 Réponse: Je suis invalide à vie à cause de ma jambe droite qui est plus
12 courte que l'autre. J'ai des ligaments artificiels, j'ai des vis dans mon
13 genou. M. Stalard, un spécialiste a effectué cette opération en
14 Angleterre. Il m'a dit que si j'étais arrivé à temps, il aurait pu me
15 sauver, mais que la situation s'était tellement détériorée, qu'il ne
16 pouvait que me guérir de manière superficielle et pas de façon complète.
17 Question: Monsieur Filipovic, vous parlez là de blessures et de séquelles
18 physiques. Si vous le pouvez, pouvez-vous dire à cette Chambre quel a été
19 l'effet des événements que vous avez vécus en 1992 à ce jour?
20 Réponse: Monsieur le Président, je dois dire que je suis mentalement assez
21 bien. Je ne suis pas du genre revanchard, je ne veux pas me venger de ce
22 qui nous est arrivé, mais, pour moi, la justice, ce sera quand je verrai
23 que les prisonniers…
24 Les enquêteurs qui m'ont interrogé à Manjaca m'ont demandé si je
25 chercherais à me venger et j'ai dit à l'enquêteur à Manjaca que "Non, je
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1 ne me vengerai pas. Je ne chercherai pas à me venger, mais j'attends avec
2 grande impatience le jour où je verrai ces gens-là derrière les barreaux.
3 J'attends avec impatience le jour où mon ancien ami Vinko Kondic sera à La
4 Haye.
5 Question: Finalement, sur ce point, au cours de votre séjour en
6 Angleterre, vous a-t-on convié à participer à une émission de télévision
7 produite par Channel 4, la chaîne anglaise, à propos de la Bosnie et des
8 réfugiés venus de Bosnie?
9 Réponse: Oui, c'est exact. Ils m'ont demandé si je souhaitais participer à
10 cette émission, et c'est là la troisième erreur des Serbes parce qu'ils
11 m'ont permis d'aller me faire traiter, et ainsi j'ai guéri. Parce que je
12 me suis dit à moi-même "Si tu survis, tu diras la vérité, toute la vérité
13 et rien que la vérité".
14 Et ceux qui se sont montrés cléments à mon égard -j'en ai parlé- Ratko
15 Radojcic et d'autres Serbes qui se sont montrés humains à mon égard, je
16 les mentionnerai. Lorsqu'on m'a demandé si je souhaitais participer à
17 cette émission, ils m'ont expliqué le concept, ils voulaient faire une
18 émission "la Bosnie ensanglantée ou sanguinolente", et il devait y avoir
19 un Serbe, un Croate et un Musulman qui raconteraient l'histoire. Ils
20 voulaient avoir un réfugié des trois côtés pour que chacun raconte sa
21 version des faits et raconte l'histoire à sa manière, de manière à ce que
22 le public britannique puisse se faire une idée lui-même.
23 Mme Korner (interprétation): Je vous demanderai à présent de montrer la
24 vidéo que l'on a remise aux techniciens.
25 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, il y a un transcript. C'est une
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1 vidéo anglaise. Il s'agit simplement de la première page. Vous devriez
2 donc avoir la vidéo sur le moniteur.
3 Madame l'huissière, est-ce que vous avez mis le moniteur de M. Filipovic
4 sur vidéo? Oui? Très bien.
5 (Diffusion de la cassette vidéo.)
6 Mme Philpott (interprétation): On m'a informée qu'il n'y avait pas de son
7 à cette cassette.
8 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
9 Mme Korner (interprétation): Si, il y a du son. Je ne sais pas ce qui
10 s'est passé. J'avais demandé qu'on nous prépare un extrait parce que moi
11 j'ai vu l'original et je l'ai retiré de l'original.
12 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
13 Mme Korner (interprétation): Je vais demander qu'on amène l'original de la
14 vidéo.
15 M. le Président (interprétation): (Hors micro.) Parce que regarder cette
16 vidéo sans bande son, cela n'a aucun son.
17 Mme Korner (interprétation): Non effectivement, cela n'en a aucun. Je
18 crois que la Chambre doit entendre la bande son.
19 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
20 Il va falloir qu'on attende longtemps ou pas?
21 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges, je
22 crois que cela prendra à peu près cinq minutes, mais peut-être que la
23 Chambre souhaite-t-elle interrompre les travaux?
24 M. le Président (interprétation): Oui, nous allons faire une petite pause
25 jusqu'à ce qu'arrive la cassette.
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1 (L'audience, suspendue à 16 heures 35, est reprise à 16 heures 38.)
2 Mme Korner (interprétation): Larsen, horrible Larsen! Je ne sais pas ce
3 que c'est: Larsen a disparu.
4 M. le Président (interprétation): Poursuivons. Il semblerait qu'il y ait
5 quelque chose qui ne fonctionne pas tout à fait.
6 (Diffusion de la cassette vidéo sans le son.)
7 Mme Korner (interprétation): Veuillez arrêter la cassette. Pourrait-on
8 avoir le son, s'il vous plaît?
9 (Diffusion de la cassette vidéo.)
10 Je souhaiterais qu'on mette fin à la cassette. Arrêtez la cassette.
11 (Interprétation de la vidéo.)
12 "Je n'arrive pas à le trouver, il est dans la cave."
13 (Arrêt de la diffusion de la cassette vidéo.)
14 M. le Président (interprétation): Veuillez nous ramener au début de la
15 vidéo, s'il vous plaît. Veuillez rembobiner un tout petit peu.
16 (Reprise de la diffusion vidéo et son interprétation.)
17 "A l'époque, nous étions inséparables. A l'époque, cela n'avait aucune
18 importance que mon frère, Omer, et moi-même étions musulmans et que notre
19 meilleur ami, Vinko, était serbe. Nos familles vivaient dans des maisons
20 l'une à côté de l'autre. Tous les week-ends, on mangeait ensemble. Nos
21 enfants jouaient ensemble.
22 Puis, est arrivée la guerre en Bosnie. Omer était devenu un personnage
23 important dans notre ville de Kljuc. Puis lorsque les Serbes ont capturé
24 Kljuc, notre ami Vinko est devenu chef de la police.
25 Bien entendu, Vinko savait tout de la position d'Omer et il l'a sûrement
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1 considéré comme une menace. "Sors de là? Où ils l'ont caché? Omer, je vais
2 de te trouver, je vais te trouver et j'encule tous les tiens. Il est là-
3 bas, peut-être? Il est dans la cave."
4 Un soir, la milice serbe est venue nous chercher; Omer, moi-même et tous
5 les autres hommes musulmans avons été arrêtés.
6 "Il n'est pas dans la cave. Il va monter en haut. Regarde un petit peu
7 par-là."
8 Mais en fait, c'est Omer qu'ils voulaient véritablement. On nous a conduit
9 au camp de Manjaca. Là, les gardes venaient trouver Omer à la tombée du
10 jour. Ils le frappaient pendant des heures et puis ensuite, ils le
11 ramenaient le matin.
12 Il s'affaiblissait de jour en jour. Un jour, Vinko est entré dans le camp
13 portant son uniforme de police. Il m'a lancé un regard. Vinko savait très
14 bien ce qu'il se passait, il savait ce qui arrivait à l'homme qu'il
15 appelait, il fut un temps, son meilleur ami.
16 Le dernier jour, ils sont venus chercher Omer et tout le monde savait
17 qu'il allait mourir. Omer m'a fait un signe de la main et puis il m'a dit
18 au revoir. Et lorsque j'ai fermé mes yeux, lorsque je ferme les yeux cette
19 nuit, je le vois encore me faire signe de la main.
20 Lorsqu'ils m'ont conduit vers l'avion à Londres, je ne me sentais pas
21 soulagé, j'étais effondré. Je me demandais si je reverrais ma famille un
22 jour. Bien entendu, je savais qu'Omer, je ne le reverrai jamais. Il fut
23 enterré le jour même où je quittai la Bosnie.
24 Très souvent, je pense au bon vieux jour où Omer, Vinko et moi mangions
25 ensemble et je me demande ce qui passait véritablement par la tête de
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1 Vinko lorsque nous étions assis ensembles autour de la table à manger et à
2 rire.
3 Mon certificat de la Croix-Rouge dit que j'ai 38 ans, mais ce n'est pas
4 vrai. En fait, je n'ai qu'un an parce que cela ne fait qu'un an que j'ai
5 appris à comprendre comment les gens sont vraiment."
6 (Fin de la diffusion vidéo et de son interprétation.)
7 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, je souhaiterais que
8 l'on verse cette vidéo au dossier sous la cote 1103 et le transcript de la
9 vidéo sous la cote 1103.1 et .2.
10 M. le Président (interprétation): Aucune objection de la part de la
11 défense? Très bien, nous verserons ces deux-pièces à conviction au
12 dossier.
13 Et c'est tout? Ceci conclut votre interrogatoire principal? Je
14 souhaiterais en être certain.
15 Qui commence?
16 M. Filipovic (interprétation): Monsieur le Président, puis-je dire quelque
17 chose?
18 M. le Président (interprétation): Oui, bien entendu.
19 M. Filipovic (interprétation): Il y a une erreur ici. Ces gens-là, ce sont
20 des gens de Channel 4, la chaîne anglaise. Moi, je leur racontais
21 l'histoire et je ne sais pas pourquoi il a dit: "Un jour, Vinko est venu
22 au camp", parce que Vinko n'est jamais venu au camp, donc je ne sais pas
23 pourquoi ces gens de la télévision ont dit cela. Je voulais simplement
24 corriger cela. Autrement, tout le reste est vrai.
25 M. le Président (interprétation): Très bien, je vous remercie. Eh bien,
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1 nous allons, comme j'ai essayé de vous l'expliquer la toute première fois
2 que vous êtes venu déposer ici, dans ce prétoire, suite à l'interrogatoire
3 principal par le Bureau du Procureur, la défense pour les deux accusés a
4 le droit, au titre de notre Règlement, de procéder à un contre-
5 interrogatoire.
6 Le premier de ces deux contre-interrogatoires sera celui qui est fait pour
7 la défense de Radoslav Brdjanin. L'avocat qui procédera à ce contre-
8 interrogatoire est le conseil principal Me John Ackerman.
9 Je crois vous avoir expliqué déjà, aussi, que ces deux personnes qui
10 défendent les accusés font leurs devoirs. Ils sont rémunérés par le
11 Tribunal pour faire leur devoir, à savoir défendre leurs clients, parce
12 que comme toute autre personne, les deux accusés ici présents sont
13 considérés comme étant innocents jusqu'à ce qu'on puisse prouver leur
14 culpabilité.
15 Je vous laisse entre les mains de Me Ackerman à présent. Et le conseil que
16 je vous prodigue est le suivant: veuillez répondre à la question, à toute
17 la question et rien d'autre qu'à la question.
18 Maître Ackerman, le témoin à vous?
19 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Muhamed Filipovic, par Me Ackerman.)
20 M. Ackerman (interprétation): Bonjour, Monsieur le Témoin.
21 M. Filipovic (interprétation): Bonjour.
22 Question: Monsieur Filipovic, je vais vous dire d'abord que moi-même,
23 ainsi que tous ceux qui sont présents dans le prétoire, nous avons
24 beaucoup de compassion et de compréhension pour tout ce que vous avez
25 vécu. Vous nous avez relaté tous ces événements et j'espère que vous
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1 voudrez bien accepter toute ma compassion pour tout ce que vous avez vécu.
2 Mais j'aimerais une fois de plus revenir sur un certain nombre de sujets.
3 Nous allons commencer par les élections. Au sujet des élections…
4 Excusez-moi, j'ai quelques problèmes avec mon casque… écouteur, je
5 n'entends pas très bien.
6 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous m'entendez, Maître
7 Ackerman?
8 M. Ackerman (interprétation): Un petit moment, s'il vous plaît.
9 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous m'entendez, Maître
10 Ackerman?
11 Je vais demander à l'huissier de bien vouloir aider Me Ackerman.
12 M. Ackerman (interprétation): Non, quelque chose ne va pas. … Je ne sais
13 pas.
14 M. le Président (interprétation): Il y a beaucoup de casques, par
15 conséquent, ceci ne va pas poser de problème.
16 Est-ce que vous m'entendez, Maître Ackerman, maintenant?
17 Maître Ackerman, je pense que votre substitut m'entend. Je pense qu'il y a
18 un petit problème. C'est ce que j'allais justement vous proposer. Il est
19 peut-être préférable de prendre la place de votre collègue. Prenez son
20 casque.
21 Est-ce que ça marche, maintenant? Est-ce que vous m'entendez?
22 M. Ackerman (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
23 M. le Président (interprétation): Entendu. Parce que j'ai commencé à avoir
24 peur pour votre ouïe. Vous pouvez poursuivre.
25 M. Ackerman (interprétation): Merci.
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1 Monsieur, j'aimerais revenir à la période au cours de laquelle les
2 élections multipartites ont eu lieu. Après ces élections, le SDS avait
3 obtenu plus de 50% de sièges à l'assemblée municipale de Kljuc, n'est-ce
4 pas?
5 M. Filipovic (interprétation): Oui, c'est exact.
6 Question: Ce qui voulait dire que le SDS avait le contrôle, au sein de
7 l'assemblée, pour tous les sujets pour lesquels, au moment du vote, il
8 avait été indispensable d'assurer la majorité simple, n'est-ce pas?
9 Réponse: Oui.
10 Question: Et le résultat de ces élections, de ces élections démocratiques,
11 n'était pas acceptable pour vous-même et votre frère, n'est-ce pas?
12 Réponse: Ce n'est pas exact.
13 Question: Excusez-moi, je vais juste chercher un document dans le
14 classeur.
15 Vous avez donné une déclaration au Bureau du Procureur en date du 28 août
16 2002, ici même, à La Haye. Je pense que vous avez parlé avec Mme Korner.
17 J'aimerais vous remettre une copie de votre déclaration pour que vous
18 puissiez voir de quoi je parle.
19 (Intervention de l'huissier.)
20 Si vous jetez un coup d'œil sur la page n°2 -en version anglaise, c'est le
21 troisième paragraphe- et qui commence par –je cite-: "Les Serbes, en leur
22 qualité de peuple majoritaire, vont pouvoir entreprendre… " et, ensuite,
23 le texte suit. Est-ce que vous avez trouvé le paragraphe?
24 Réponse: Oui.
25 Question: Vous avez dit au Procureur, au moment où vous avez parlé des
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1 résultats des élections, au moment où vous avez parlé également du fait
2 que les Serbes étaient majoritaires à l'Assemblée, que ceci serait au
3 détriment des Musulmans. Et c'est là où vous avez dit: "Les Serbes, en
4 tant que peuple majoritaire, vont mettre à exécution tout cela; ils vont
5 adopter un certain nombre de règles et de législations et règlements qui
6 vont priver d'un certain nombre de droits les non-Serbes." (Fin de
7 citation.)
8 Vous avez dit également que votre frère et vous-même, vous alliez porter
9 des brassards jaunes et que si ça se poursuivait comme ça, les Serbes
10 feraient des Musulmans des Juifs de Kljuc. Est-ce exact?
11 Réponse: Oui.
12 M. Ackerman (interprétation): Et que vouliez-vous dire quand vous avez dit
13 que vous alliez terminer comme des Juifs à Kljuc?
14 M. Filipovic (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges,
15 il faudrait également que je vous donne un peu plus de détails, de
16 précisions. Moi, je suis suffisamment cultivé et formé; je sais ce que les
17 Juifs ont vécu au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
18 Nous savions également ce qui allait nous arriver; on savait qu'on allait
19 nous priver de tous les droits. On savait également que des individus
20 allaient être exécutés, qu'on allait être privés de notre patrimoine.
21 Peut-être n'aurait-on pas choisi le brassard jaune comme pour les Juifs au
22 cours de la Deuxième Guerre mondiale; peut-être un brassard vert ou un
23 autre. Mais de toute façon, à ce moment-là, on aurait été tout simplement
24 marqués; on aurait su ce qui nous serait arrivé parce qu'un Etat serbe
25 était en train de se créer; un Etat où les Serbes auraient eu tous les
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1 droits et auraient eu le pouvoir.
2 Et c'est en toute responsabilité que je tiens à dire que ma famille et
3 moi-même, nous avons toujours vécu dans un état où les Serbes nous
4 dominaient, avaient une domination; où les Serbes avaient le rôle
5 prépondérant qu'ils jouaient. C'était le cas du temps du Roi, c'était le
6 cas du temps de Rankovic, c'était le cas un petit peu partout.
7 On est toujours restés sans propriétés. On avait beaucoup de propriétés
8 mais, malheureusement, beaucoup de réformes avaient été entreprises au
9 cours de la période précédente. On avait des terres labourables, il y
10 avait sept "dulums" pour chaque famille, alors que c'est le Roi Alexandre
11 qui nous a expropriés de nos terres qui nous ont appartenu, qui ont
12 appartenu à ma famille.
13 C'est la raison pour laquelle je me disais que de telles lois allaient
14 s'appliquer une fois qu'ils auraient le pouvoir au sein de l'assemblée et
15 quand ils ont créé la Région autonome de la Krajina.
16 M. le Président (interprétation): Mais qu'est-ce que c'est, le "dulum"?
17 M. Filipovic (interprétation): Il s'agit de 1.000 mètres carrés de terre.
18 M. le Président (interprétation): Merci.
19 M. Ackerman (interprétation): Dans votre déclaration, vous avez dit que
20 vous craigniez de finir comme les Juifs pendant la Deuxième Guerre
21 mondiale, que vous alliez être les Juifs de Kljuc, tout simplement parce
22 que les Serbes, en tant que peuple majoritaire, allaient voter des lois,
23 des décisions qui allaient vous menacer et vous mettraient en cause.
24 Je pense que vous avez considéré qu'à partir du moment où ils
25 emporteraient la victoire au cours des élections, ils contrôleraient
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1 l'assemblée et, également, procéderaient de la manière que vous nous avez
2 décrite?
3 M. Filipovic (interprétation): Mais d'après le statut de l'assemblée de
4 Kljuc, on avait demandé les deux tiers, la majorité des deux tiers, alors
5 que eux, ils n'avaient pas cette majorité absolue. C'est la raison pour
6 laquelle, étant donné que nous aussi avions des sièges au Parlement, on
7 avait pu contester un certain nombre de décisions, car le SDS n'avait pas
8 la majorité des deux tiers. En revanche, pour toutes les décisions pour
9 lesquelles il leur a été possible d'obtenir la majorité absolue, ils les
10 ont adoptées et nous, on aurait pu ne pas être présents; notre présence
11 n'était pas indispensable.
12 Question: Et vous-même et votre frère, au moment où il y avait cette
13 conférence de presse, lors de laquelle vous avez eu ce brassard jaune, où
14 vous trouviez-vous? Où cette conférence avait eu lieu pendant que vous
15 avez parlé justement de ce qui allait se passer aux Musulmans?
16 Réponse: Mais c'était dans des locaux du centre culturel où les Musulmans,
17 les Bosniens avaient leur propre organisation et pouvaient donc tenir de
18 tels types de conférence de presse.
19 Question: En d'autres termes, c'était la possibilité de convoquer tous les
20 représentants des médias?
21 Réponse: Oui, il y avait des correspondants de la Radio Kljuc, et puis il
22 y avait également quelques journalistes, des reporters, enfin tous ceux
23 qui travaillaient pour Radio Kljuc.
24 Question: Et ce que vous-même et votre frère aviez dit, lors de cette
25 conférence de presse, a été transmis en quelque sorte par les médias à
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1 Kljuc, n'est-ce pas?
2 Réponse: Je ne sais pas. Je ne m'en souviens plus.
3 Question: Est-ce que vous avez vu des journaux? Est-ce que vous avez
4 écouté la radio? Est-ce que vous avez fait attention à ce qui se passait
5 ou non?
6 Réponse: J'ai écouté la radio et je lisais la presse, mais je ne sais pas
7 si ceci a été publié. Je pense que Nikola Golos l'a publié, mais moi
8 personnellement je ne l'ai pas entendu.
9 Question: Et le but de tout cela, sans aucun doute, était d'inquiéter
10 quelque peu, de perturber la population musulmane à Kljuc, de leur faire
11 peur. D'un autre côté, il fallait également que vous-même et votre frère
12 vous ayez un appui grâce à cette conférence de presse organisée?
13 Réponse: Non, ce n'était pas indispensable. Le peuple musulman avait déjà
14 eu peur et ne savait pas quoi faire. Nous avons tout simplement voulu
15 ouvrir les yeux à ceux qui considéraient que des Serbes étaient encore
16 leurs voisins, leurs amis. Et c'est tout.
17 Question: Mais ce symbole des brassards jaunes, c'était pour renforcer ce
18 sentiment de peur et de crainte?
19 Réponse: Non, ce n'est pas exact. On n'avait pas renforcé quoi que ce
20 soit, je ne sais pas pourquoi les gens étaient gênés. Nous voulions
21 souligner, une fois de plus, que nous allions nous sentir tous comme des
22 Juifs en Allemagne nazie, dans un Etat qui allait être créé par les
23 Serbes.
24 Ceci a été prouvé par la suite, car nos sœurs, nos mères, nos filles ont
25 été violées, nos enfants ont été expulsés des écoles; les enfants, on leur
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1 a demandé de faire le signe de la croix, de vénérer St-Sava. On nous a
2 imposé un certain nombre de comportements qu'on ne voulait pas.
3 C'est comme maintenant, Maître Ackerman, je ne sais pas quelle est votre
4 foi et votre confession -moi je suis Musulman- mais je ne peux pas vous
5 imposer quoi que ce soit, vous avez votre droit tout à fait librement de
6 choisir votre foi et votre religion. Mais le SDS voulait effacer tout ce
7 que nous étions et nous imposer un certain nombre d'autres choses.
8 Question: Par conséquent, en tant que peuple, vous avez cru à d'autres
9 choses et vous avez considéré que vous aviez eu le droit à une
10 autodétermination, donc à déterminer votre propre sort et ne pas être
11 gouvernés par la majorité.
12 Réponse: C'est ce que la Constitution nous garantissait. La Constitution
13 est la loi suprême. C'est la Constitution qui nous garantissait ce droit
14 d'être le peuple constitutif. Nous étions Musulmans, et on avait
15 exactement le même droit, tout comme les Serbes, comme les Croates, car,
16 dans la Constitution, il était bien stipulé que des Musulmans, des Serbes
17 et des Croates étaient des peuples de Bosnie-Herzégovine.
18 Par conséquent, la Bosnie-Herzégovine n'appartient pas aux Serbes,
19 n'appartient pas aux Musulmans, n'appartient pas aux Croates, mais la
20 Bosnie-Herzégovine appartient aux citoyens de Bosnie-Herzégovine. En
21 d'autres termes, elle appartient aussi bien aux Serbes qu'aux Musulmans et
22 qu'aux Croates. Alors que les Serbes voulaient effacer tout ce qui était
23 bosnien, ils ont donné les noms serbes. Par exemple, à titre
24 d'illustration, pour rire un petit peu, s'il y avait un bois, une pinède,
25 ils l'appelaient "la pinède serbe".
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1 Question: Je vais vous demander quand même de répondre aux questions que
2 je vous pose. Ma question était la suivante: est-ce que vous-même, en tant
3 que membre d'une minorité nationale, parce qu'il s'agissait d'une minorité
4 ethnique, est-ce que vous pensez que vous avez eu le droit de gérer vous-
5 même votre sort et de contrôler Kljuc?
6 Réponse: Vous avez dit, au début, qu'il s'agissait d'une minorité
7 nationale, alors que nous sommes un peuple, une communauté ethnique.
8 M. Ackerman (interprétation): Excusez-moi, je vous ai mal posé la
9 question. Je parlais de la question de Kljuc et du fait que vous étiez une
10 minorité. Est-ce que vous pensez que vous aviez eu le droit de déterminer
11 votre sort? C'est ma question.
12 M. le Président (interprétation): Non, mais on n'avait pas parlé tout à
13 fait dans ces termes-là. Il faut donc que vous reposiez votre question.
14 M. Ackerman (interprétation): Oui, j'ai posé la question, je demande la
15 réponse.
16 M. Filipovic (interprétation): Mais Me Ackerman a utilisé clairement un
17 terme, il a dit que j'étais membre d'une "minorité", alors que moi je
18 n'appartiens pas à une minorité nationale. Nous ne sommes pas une
19 minorité, nous sommes une nation, nous sommes un peuple égal en droit avec
20 tous les autres; et depuis le recensement de 1991, ça toujours été comme
21 cela.
22 M. Ackerman (interprétation): Mais vous n'avez toujours pas répondu à ma
23 question. Je vous pose la question différemment. Au moment des élections,
24 le SDS a donc emporté la victoire et il a été majoritaire. Vous avez été
25 minoritaire sur le plan électoral. Est-ce que vous pensiez que vous aviez
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1 le droit à l'autodétermination, vous gouverner vous-même et ne permettiez
2 pas d'être gouvernés par une majorité avec laquelle vous n'étiez pas
3 d'accord? Etait-ce votre attitude?
4 M. Filipovic (interprétation): Mais, Maître Ackerman, c'est la
5 Constitution qui nous a garanti ce droit-là. Nous avons demandé à ce qu'on
6 se tienne à la Constitution. Je ne veux pas que vous m'induisiez en erreur
7 et que vous posiez d'autres questions. Le SDS avait besoin d'une majorité
8 des deux-tiers, il y avait un certain nombre de choses sur lesquelles il
9 pouvait décider. On n'avait pas rien contre le SDS, il fallait qu'il se
10 tienne aux règles d'une démocratie. Donc nous étions opposés à la manière
11 dont ils ont mis en exécution un certain nombre de décisions.
12 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman, je pense que vous avez
13 obtenu la réponse et je ne vais pas insister.
14 M. Ackerman (interprétation): Je vais passer à un autre sujet, mais je
15 maintiens que le témoin n'a pas répondu à ma question, mais cela ne rien
16 fait rien, il ne veut pas répondre et donc je renonce.
17 Monsieur, c'est vous-même, ainsi que votre frère, qui avez organisé la
18 Ligue patriotique à Kljuc, n'est-ce pas?
19 Réponse: Oui, mais il y avait quelques amis aussi avec nous.
20 Question: Vous aviez déployé des efforts dans le sens d'organiser et
21 d'armer le peuple musulman dans la municipalité de Kljuc et, de toute
22 façon, vous avez eu du succès, n'est-ce pas?
23 Réponse: Je ne sais pas. Cela dépend comment vous analysez les choses.
24 Vous avez pu constater, lors de ma déposition, que nous n'avons pas réussi
25 comme nous l'aurions souhaité, mais nous n'avions pas d'alliés comme
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1 c'était le cas des Serbes qui avaient la JNA derrière. Si l'OTAN était
2 derrière nous, on se serait bien mieux tirés.
3 Question: Vous avez réussi à vous armer quand même et vous avez armé un
4 grand nombre de votre peuple et vous avez créé la Ligue patriotique. Vous
5 avez réussi donc à réunir un bon nombre autour de vous et à armer ces
6 gens-là, n'est-ce pas?
7 Réponse: Ma réponse à la question que vous me posez, Maître Ackerman,
8 c'est de vous dire que c'était beaucoup plus des Serbes qui ont obtenu un
9 succès car, du jour au lendemain, les Serbes prenaient des décisions qui
10 rapprochaient notre peuple à nos propres positions et à nous-mêmes.
11 M. Ackerman (interprétation): Est-ce que vous m'avez entendu quand je vous
12 ai posé la question? Moi, je ne vous ai pas demandé si les Serbes avaient
13 obtenu un succès en s'armant.
14 M. Filipovic (interprétation): C'est pas à cette question que je vous ai
15 répondu. Je vous ai dit que ce sont les Serbes qui nous ont aidés, qui ont
16 aidé mon peuple, parce que ce sont eux qui entreprenaient un certain
17 nombre de démarches et de décisions, et qui nous ont aidés beaucoup plus
18 d'ailleurs que moi j'en ai pu faire ou quelqu'un au SDA ensemble avec moi,
19 ou MBO.
20 M. le Président (interprétation): Monsieur Filipovic, je pense que vous ne
21 m'avez pas bien écouté, et surtout pas mon conseil. Je vous ai demandé de
22 répondre aux questions. Surtout ne sortez pas du champ de la question,
23 sinon c'est un labyrinthe dans lequel on va s'engouffrer.
24 La question qu'on vous a posée est: avez-vous considéré que vous avez
25 réussi, de manière fructueuse, à vous organiser, à armer votre peuple?
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1 M. Filipovic (interprétation): Non.
2 M. le Président (interprétation): Entendu.
3 M. Filipovic (interprétation): J'ai dit qu'on n'a pas eu de succès, mais
4 je ne sais pas pourquoi vous êtes gêné si je dis qu'on n'avait pas
5 d'alliés.
6 M. le Président (interprétation): Ceci explique les raisons pour
7 lesquelles vous n'avez pas travaillé avec succès, mais c'est là où il faut
8 s'arrêter. Ne faites pas de comparaison.
9 Maître Ackerman, vous pouvez poursuivre.
10 M. Ackerman (interprétation): La Ligue patriotique était une organisation
11 qui existait sur l'ensemble du territoire de Bosnie. Elle était assez
12 importante, et existait dans toutes les municipalités pratiquement en
13 Bosnie-Herzégovine qui comptait entre 65 et 70.000 personnes, n'est-ce
14 pas?
15 M. Filipovic (interprétation): Je sais que la Ligue patriotique a été mise
16 en place dans toutes les municipalités, je ne peux pas vous dire combien
17 de membres il y avait.
18 Question: Est-ce que vous-même et votre frère vous avez assisté aux
19 réunions de la Ligue de patriotique en dehors de Klujc et de la
20 municipalité de Klujc?
21 Réponse: Non.
22 Question: Est-ce que vous-même ou votre frère, vous êtes rendu à Mehurici,
23 à côté de Travnik à une réunion? C'était plutôt un forum militaire
24 organisé par Sefer Halilovic et au nom de la Ligue patriotique, n'est-ce
25 pas?
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1 Réponse: Non.
2 Question: Et est-ce que vous étiez au courant que la Ligue patriotique
3 avait neuf QG régionaux?
4 Réponse: Non.
5 Question: Savez-vous quel était le quartier général, l'état-major régional
6 à Kljuc et pour la municipalité de Kljuc?
7 Réponse: Non.
8 Question: Un jour est arrivé où, à l'assemblée municipale de Kljuc après
9 les élections multipartites, on a mis à l'ordre du jour ou on a suggéré de
10 mettre à l'ordre du jour un point dans le cadre duquel, on avait demandé
11 que cette municipalité s'annexe à la Région autonome de la Krajina, n'est-
12 ce pas?
13 Réponse: Oui.
14 Question: A ce moment-là, les membres de l'assemblée qui sont issus du SDA
15 et du MBO participaient encore aux travaux de l'assemblée, n'est-ce pas?
16 Réponse: Oui.
17 Question: Et l'attitude conjointe du SDA et du MBO consistait dans le fait
18 que la municipalité de Kljuc ne devait pas se joindre à la Région autonome
19 de la Krajina, n'est-ce pas?
20 Réponse: Oui.
21 Question: Et au moment où il est devenu clair qu'on allait mettre au vote
22 cette proposition et que celle-ci allait être votée, tous les membres du
23 SDA et du MBO ont quitté le parlement, l'assemblée. Et c'est là où vous
24 avez, de votre côté, proclamé l'Assemblée municipale Bosanski Kljuc. Est-
25 ce correct?
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1 Réponse: Oui.
2 Question: Ne pensez-vous pas qu'il s'agissait d'une insurrection illégale,
3 alors qu'il y avait un gouvernement démocratique qui a été établi de
4 manière tout à fait légale à Kljuc?
5 Réponse: Non, ce n'était pas illégal. Nous avons considéré que la loi
6 devait être arrêtée par l'Etat de Bosnie-Herzégovine, alors que le SDS
7 arrêtait les décisions qui n'ont pas été appuyées pas le gouvernement
8 officiel à Sarajevo, alors que nous, on appuyait les décisions prises à
9 cette époque-là par le gouvernement officiel à Sarajevo.
10 Question: Et les décisions étaient prises par les représentants qui ont
11 été élus par la population de Kljuc, n'est-ce pas?
12 Réponse: Quelles décisions?
13 Question: Mais cette décision de s'annexer à la Région autonome de la
14 Krajina?
15 Réponse: Mais quand il s'agit de la Région autonome de la Krajina, en
16 Bosnie-Herzégovine, à ce moment-là, il fallait que ces décisions soient
17 votées au sein du Parlement de Bosnie-Herzégovine.
18 Question: Cette décision a été quand même prise par les députés qui ont
19 été élus de manière légale par les électeurs de la municipalité de Kljuc,
20 n'est-ce pas?
21 Réponse: Mais sans notre volonté. La décision a été prise par un seul
22 peuple, par les représentants d'un seul peuple. En d'autres termes, la
23 décision a été prise par les Serbes de s'annexer à la Région autonome de
24 la Krajina.
25 M. Ackerman (interprétation): Je ne sais pas si vous êtes au courant de la
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1 situation dans d'autres démocraties, mais, dans mon pays, grand nombre de
2 décisions sont prises par les Républicains. Par exemple...
3 M. le Président (interprétation): Il faut que je vous dise, Monsieur
4 Ackerman, il a expliqué comment a été prise la décision pour Kljuc de
5 rejoindre la Région autonome de la Krajina, et également la création de
6 cette région autonome.
7 M. Ackerman (interprétation): Ce n'est pas une réponse exacte.
8 M. le Président (interprétation): Je ne pense pas non plus que ce soit
9 exact ou pas, mais il est évident qu'il vient de nous parler de la
10 légalité telle qu'il la conçoit. Donc il a expliqué assez clairement ce
11 qu'il estimait être vrai et pourquoi ils ont agi de telle manière,
12 pourquoi il estime qu'ils avaient agi de manière légale.
13 M. Ackerman (interprétation): J'ai bien compris.
14 M. le Président (interprétation): Je ne prends pas parti pour ou contre.
15 M. Ackerman (interprétation): Je vais juste vous poser la question
16 suivante, Monsieur. Lorsque vous avez décidé de quitter l'assemblée, de
17 proclamer la municipalité de Bosanski Kljuc, cela ressemble étrangement et
18 pratiquement de façon identique au moment où les membres du SDS ont quitté
19 l'assemblée de la République de Bosnie-Herzégovine puisqu'ils s'opposaient
20 à la résolution selon laquelle la Bosnie-Herzégovine devait proclamer son
21 indépendance. A ce moment-là, ils ont effectivement créé la République
22 serbe de Bosnie-Herzégovine. Cela n'est-il pas pareil?
23 M. Filipovic (interprétation): Il y a une différence. Néanmoins, nous, on
24 amenait ces personnes alors que M. Karadzic, lors de cette réunion, de
25 cette assemblée a dit "qu'un peuple va disparaître". Nous, en quittant en
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1 revanche l'assemblée de Kljuc, nous n'avons menacé personne; nous voulions
2 juste respecter les lois en vigueur en Bosnie-Herzégovine.
3 M. Ackerman (interprétation): Mais vous l'avez fait parce que les
4 Musulmans de Kljuc, et partout en Bosnie-Herzégovine, n'étaient pas prêts
5 à un statut de minorité. Ils voulaient contrôler la situation, ils
6 voulaient être les décideurs lors des votes et à propos de tout. N'est-ce
7 pas exact?
8 M. Filipovic (interprétation): Non, nous voulions rester en Yougoslavie,
9 dans le cadre de la Yougoslavie, même si nous n'étions pas un peuple
10 majoritaire, mais on nous reconnaissait en ex-Yougoslavie. Et nous
11 voulions habiter et vivre dans le pays où nous vivions depuis des siècles.
12 Nous estimions qu'il n'était plus possible de vivre dans le cadre d'une
13 Yougoslavie où la Slovénie et la Croatie ne seraient plus, dont la Croatie
14 et la Slovénie ne feraient plus partie.
15 M. le Président (interprétation): Peut-on faire une pause maintenant?
16 M. Ackerman (interprétation): Oui.
17 M. le Président (interprétation): Une pause de 15 minutes. Nous
18 reprendrons à 17 heures 35.
19 (L'audience, suspendue à 17 heures 20, est reprise à est reprise à 17
20 heures 38.)
21 M. Ackerman (interprétation): Je peux poursuivre?
22 M. le Président (interprétation): Oui, allez-y.
23 M. Ackerman (interprétation): Tout à l'heure, nous avons parlé des actions
24 des organes législateurs et vous évoquiez le fait que la Constitution
25 protégeait les nations telles que les Musulmans, les Serbes et les
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1 Croates.
2 Selon la Constitution, une décision ne pouvait être prise par une majorité
3 quelconque si c'était contraire aux intérêts légitimes des autres organes
4 constitutifs…, des autres peuples constitutifs.
5 M. Filipovic (interprétation): Je le sais.
6 Question: C'est bien de cela que vous parliez lorsque vous évoquiez la
7 Constitution?
8 Réponse: J'ai répondu à cette question et j'ai dit que c'était autant
9 (sic) que je le savais.
10 Question: Pour ce qui est de l'assemblée, au niveau de la République et de
11 la question de l'indépendance, les Croates et les Musulmans ont dit qu'ils
12 allaient prendre une décision contrairement aux intérêts des Serbes,
13 d'après ce que les Serbes disaient. C'était bien une violation de la
14 Constitution, n'est-ce pas, tout à fait comparable à ce qui s'est produit
15 à Kljuc, et c'est pour cela que les Serbes ont quitté l'assemblée, à cause
16 du fait que c'était contraire à la Constitution? Les Musulmans et les
17 Croates étaient en train de violer la Constitution en insistant sur le
18 vote qui était contraire aux intérêts du peuple Serbe; est-ce exact?
19 Réponse: Ce sont les représentants du SDS qui ont quitté l'assemblée de la
20 République. Mais il y avait d'autres Serbes qui sont restés là-dedans, qui
21 étaient membres des autres partis. Donc ce sont les membres du SDS qui
22 sont partis, uniquement. Il me semble que les membres du parti de Seselj
23 les ont rejoints.
24 Question: Avant la pause, la question que j'aurais aimé vous poser était
25 la suivante. Vous avez pris la décision que vous avez prise à Kljuc,
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1 concernant la municipalité de Bosanski Kljuc, puisque les Musulmans de
2 Bosnie-Herzégovine n'étaient pas prêts à se retrouver dans une position de
3 minorité; ils voulaient contrôler la situation, ils voulaient diriger.
4 Vous m'avez dit que ce n'était pas le cas; c'est pour cela que je
5 souhaiterais que vous jetiez un regard sur le document qui porte la cote
6 P854.
7 (Intervention de l'huissier.)
8 Ce document, vous avez déjà eu l'occasion de le voir au cours de votre
9 témoignage; il s'agit d'un rapport provenant de Radio Kljuc au sujet d'une
10 réunion à Kljuc.
11 Le professeur Muhamed Filipovic est l'orateur, dans ce document; il parle
12 de la destruction de la Bosnie, de ceux qui sont en train de détruire la
13 Bosnie. Et il dit, d'après ce rapport: "La décision de la Croatie et de la
14 Slovénie de quitter la Yougoslavie, de faire sécession, ne ferait que
15 compliquer la situation pour tous, en particulier pour la Bosnie-
16 Herzégovine qui ne peut pas accepter les accords tels que ceux qui ont été
17 passés entre Cvetovic et Macek…". La phrase n'est pas terminée.
18 Ensuite, il poursuit: "… où les Musulmans serait une minorité dans une
19 Yougoslavie qui ne serait pas entière." C'est bien ce que Muhamed
20 Filipovic a dit lors de ce meeting, de cette réunion?
21 Réponse: C'est l'interprétation du journaliste. Mais je suis d'accord;
22 nous ne voulions pas rester dans une Yougoslavie où ne figureraient pas la
23 Croatie et la Slovénie. Selon la Constitution de 1974, ce n'était pas une
24 Yougoslavie qui était faite pour nous. Et je veux dire aujourd'hui que je
25 souhaiterais que la Yougoslavie d'antan existe, celle de 1974.
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1 Question: Veuillez vous concentrer sur le paragraphe qui commence par: "En
2 évoquant… ".
3 Le professeur Filipovic dit: "Il ne peut être toléré que quelques
4 personnes en Bosnie-Herzégovine reconnaissent la République et d'autres
5 pas. Comme la Serbie est souveraine et a sa propre Constitution, la
6 Bosnie-Herzégovine doit en disposer d'une également. Sinon, les Musulmans
7 ne réussiront jamais à faire passer leurs décisions.
8 L'autorité de la Bosnie-Herzégovine doit fonctionner sur chaque partie du
9 territoire du pays de Bosnie-Herzégovine". (Fin de citation.)
10 Est-ce exact?
11 Réponse: Je ne vois pas cette partie dans le texte.
12 Question: C'est le dernier paragraphe.
13 Réponse: Laissez-moi juste le temps de lire. C'est logique ce qu'il dit,
14 c'est que les autorités de la Bosnie-Herzégovine doivent contrôler la
15 situation en Bosnie-Herzégovine et que, nous, nous étions favorables à une
16 Yougoslavie où il y aurait six républiques au statut égal. Républiques ou
17 Etats, comme vous voulez.
18 Question: Il y avait un plan, n'est-ce pas, d'acquérir un statut de
19 majorité en recourant aux armes s'il le fallait, est-ce exact?
20 Réponse: Je ne le sais pas.
21 M. Ackerman (interprétation): Veuillez, je vous prie, regarder la pièce
22 DB95.
23 (Intervention de l'Huissière.)
24 Mme Korner (interprétation): A quoi correspond DB95? Nous ne l'avons pas à
25 notre disposition.
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1 M. le Président (interprétation): Nous non plus.
2 M. Ackerman (interprétation): Pourtant, vous auriez dû l'avoir puisqu'on
3 avait demandé que les exemplaires vous soient distribués.
4 Mme Korner (interprétation): Nous n'avons pas reçu les exemplaires.
5 M. Ackerman (interprétation): Je suis désolé. Cela aurait dû être fait.
6 (Distribution du document DB95.)
7 Nous avons trois autres pièces. Et je demanderai à la Greffière de vous
8 distribuer les exemplaires, les copies de ces pièces.
9 (Intervention de l'huissière.)
10 A vous, Monsieur le Président et Mesdames les Juges, et au Bureau du
11 Procureur.
12 Monsieur, le document que vous avez sous les yeux a deux dates, je pense
13 qu'il s'agit du 29 avril 1992. Il s'agit d'un document du ministère de
14 l'Intérieur de la République de Bosnie-Herzégovine, signé par le ministre
15 Alija Delimustafic. Savez-vous si Alija Delimustafic a été en fait
16 ministre de l'Intérieur de la Bosnie-Herzégovine en 1992?
17 M. Filipovic (interprétation): Oui, je le sais.
18 Question: Vous ne vous rapprochez pas suffisamment du micro pour que les
19 interprètes puissent entendre votre réponse.
20 Donc ce document est adressé au chef de tous les centres de sécurité
21 publique, de tous les postes de sécurité publique et au secrétaire du
22 secrétariat de l'Intérieur à Sarajevo.
23 "Il s'agit de prendre toutes les mesures nécessaires et mener les actions
24 nécessaires dans le cadre de leur pouvoir afin d'assurer que soit appliqué
25 l'ordre émanant du chef d'état-major de la Défense territoriale de la
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1 République de Bosnie-Herzégovine".
2 Ensuite, il est dit qu'il s'agit d'un ordre concernant l'application de la
3 décision de la présidence de la Bosnie-Herzégovine. Il s'agit du retrait
4 imminent des troupes de la JNA de la Bosnie-Herzégovine. Et au paragraphe
5 A, il est demandé que: "Toutes les routes sur le territoire de la
6 République de Bosnie-Herzégovine, qui sont utilisées par l'ancienne JNA
7 pour retirer leur matériel et leurs équipements, doivent être bloquées en
8 coordination avec le ministère de l'Intérieur. Les larges zones avec des
9 installations militaires par où ils tentent d'extraire le matériel et
10 l'équipement devraient être bloquées par tous les moyens possibles; elles
11 seront gardées par les unités de la Défense territoriale de la République
12 de la Bosnie-Herzégovine et par le ministère de l'Intérieur. Les convois
13 non annoncés des unités de l'ancienne JNA, ces convois ne seront pas
14 autorisés à quitter les casernes sans l'escorte du MUP".
15 Ceci sont donc des mesures qui avaient pour but de faire en sorte que la
16 TO de Bosnie-Herzégovine contrôle l'armement qui se trouvait en possession
17 de la JNA.
18 Réponse: Il ne s'agissait pas des unités qui se retiraient de la Bosnie-
19 Herzégovine mais de Croatie.
20 Question: Savez-vous que ceci se situait à l'époque où Milosevic a ordonné
21 que les troupes de la JNA se retirent de la Bosnie-Herzégovine?
22 Réponse: C'est encore un jeu de M. Milosevic, mais je sais que la JNA
23 venait de Croatie pour venir en Bosnie-Herzégovine. Kljuc faisait partie
24 de la Bosnie-Herzégovine. J'étais là-bas. Je regardais la télévision et je
25 ne pouvais capter que la première chaîne de la télévision de Sarajevo.
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1 Chez nous, on construisait une caserne à Laniste, et il n'y avait pas
2 d'autres installations militaires. Tout ce que je peux vous dire, c'est
3 que, eux, ils venaient de là-bas.
4 Question: Vous nous avez dit que vous vous armiez à Kljuc et sur tout le
5 territoire de la Bosnie-Herzégovine, uniquement pour vous défendre.
6 Donc au paragraphe 4, il est dit que: "La planification des activités de
7 combat et le début de ces activités sur le territoire de la République de
8 Bosnie-Herzégovine doivent être accélérées, et ces activités doivent être
9 coordonnées avec la Défense territoriale, avec les états-majors au niveau
10 de la région du district et de la République de Bosnie-Herzégovine.
11 Au cours de ces activités, les mesures seront prises pour protéger le
12 peuple et la propriété des citoyens de la République de Bosnie-
13 Herzégovine." (Fin de citation.)
14 C'est ce qu'on peut lire dans ce document, n'est-ce pas?
15 Réponse: Oui, mais c'est la première fois que je vois ce document.
16 Question: Mais quelqu'un vous a-t-il jamais dit qu'il a, effectivement,
17 reçu ce document?
18 Réponse: Comment ça? Pouvez-vous me répéter la date?
19 Question: Vous l'avez devant vous; il est écrit que ce document a été
20 rédigé le 29 avril 1992.
21 Réponse: Oui, mais ça, c'est la date de la réunion, alors qu'on voit, en
22 haut, "le 11 mai 1992". C'est quoi?
23 Question: Ça, je ne peux pas vous le dire, je ne le sais pas. C'est une
24 date qui a été ajoutée à la main, en haut à gauche. Peut-être que ceci
25 signifie que ça a été envoyé quelque part. Je ne sais pas.
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1 Réponse: Donc si j'ai bien compris, la réunion de la présidence a eu lieu
2 le 29 avril. Mais je ne sais pas quand ce document a été envoyé.
3 Question: Ma question était la suivante: est-ce que quelqu'un vous a
4 jamais dit qu'il avait reçu ce document?
5 Réponse: Non.
6 Question: Ce document a-t-il été la base des activités de blocage qui ont
7 été effectuées par les Musulmans de la municipalité de Kljuc? Le savez-
8 vous?
9 Réponse: Non. Ce document a été écrit à l'intention des centres de
10 sécurité, des postes de sécurité. Il s'agit donc d'un document qui a été
11 adressé au secrétaire au niveau de la République. C'est la première fois
12 que je vois ce document. Et tous ces postes de sécurité étaient contrôlés
13 par le SDS.
14 Question: Je passe à un sujet tout à fait différent, à présent.
15 Le premier jour où vous êtes venu déposer, Mme Korner vous a posé un
16 certain nombre de questions à propos des événements ayant précédé les
17 élections multipartites et des difficultés qui y furent associées; des
18 questions quant à la nature des relations entre les différents groupes au
19 sein de la municipalité de Kljuc, quant à la manière dont Musulmans,
20 Croates et Serbes cohabitaient.
21 Et votre réponse à ses questions était -et je vais citer vos propos-: "Il
22 est pratiquement impossible de séparer les groupes ethniques individuels,
23 tellement tout est mélangé." (Fin de citation.)
24 Est-ce exact?
25 Réponse: C'est exact.
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1 Question: Ma question se référait à l'année 1990. Or, si je calcule bien:
2 1990, c'est 45 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale; est-ce
3 exact?
4 Réponse: Si vous avez bien fait le compte, oui. Fin 1945 et 1990, oui.
5 Question: Au cours de la Seconde Guerre mondiale, vous nous avez décrit,
6 comme l'ont fait de nombreux autres témoins, la situation qui prévalait
7 dans la région de la Krajina pendant la guerre. Vous avez décrit les
8 horribles massacres de nombreux Serbes par les hommes d'Ante Pavelic; vous
9 en avez parlé. Et tout cela s'est produit 45 ans précisément avant la date
10 de 1990; est-ce exact?
11 Réponse: Ceci a eu lieu au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
12 Question: Vous savez que des milliers de Serbes furent massacrés dans la
13 Région de la Krajina au cours de la Deuxième Guerre mondiale; ne le savez-
14 vous pas?
15 Réponse: Ce n'étaient pas des centaines de milliers de Serbes, mais tous
16 ceux qui étaient communistes. Et parmi les communistes, il y avait des
17 Croates, des Musulmans, des Gitans. Les Oustachis exécutaient ceux qui
18 n'étaient pas leurs fidèles, et même les Croates si jamais ils n'étaient
19 pas communistes et s'ils n'appuyaient pas leur pouvoir.
20 Question: Oui, vous avez raison, ce sont les Oustachis qui commettaient
21 ces crimes. Mais il y avait aussi une unité SS musulmane bien connue;
22 n'est-ce pas exact?
23 Réponse: Mais, à cette époque-là, je n'étais même pas conçu! Je suis né en
24 1955, dix ans après.
25 Question: Y avait-il une unité SS musulmane bien connue?
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1 Réponse: J'en ai entendu parler.
2 Question: Je ne cherche en aucune manière à dresser un portrait historique
3 qui nous permettrait d'expliquer les choses. Je vous pose simplement la
4 question suivante: pour autant que vous le sachiez, combien de temps s'est
5 écoulé entre 1945 et la date à laquelle ces groupes ont pu établi ces
6 relations étroites auxquelles vous faites référence en 1990? Combien de
7 temps a-t-il fallu pour que ces groupes puissent à nouveau cohabiter
8 ensemble?
9 Réponse: En Yougoslavie, un régime a été mis en place; c'était un régime
10 communiste et ils tenaient tout ça dans leurs mains. La police et l'armée
11 étaient très puissantes. C'était sous le commandement du maréchal Josip
12 Broz Tito et il a très vite réussi donc à y aboutir, car sa thèse "la
13 fraternité et l'unité"...
14 Moi, j'étais tout jeune enfant et depuis que je le connais, depuis que
15 j'en ai conscience, nous avons cohabité avec nos voisins serbes, croates.
16 D'après ce que mes parents m'ont raconté, cela s'est passé également au
17 niveau de leur génération. Mon père avait eu l'occasion de nous dire
18 souvent: "Moi, j'ai vécu du temps du Royaume. J'avais du pain, j'avais une
19 propriété, mais je n'ai jamais vraiment mangé un aussi bon pain que du
20 temps de Tito".
21 Question: Donc à votre avis, cela s'est fait assez vite, après la guerre,
22 en partie en raison de la force utilisée par Tito?
23 Réponse: Non, ce n'était pas si vite que ça. Il a fallu du temps parce que
24 c'est le maréchal avec sa police et son armée; il fallait d'abord arrêter
25 Draza et les autres qui s'étaient retirés dans les bois.
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1 Je ne sais pas. Il faut se rappeler un petit peu l'histoire. Je ne me
2 souviens pas quand Kalabic et les autres ont été arrêtés -les Oustachis
3 extrémistes-, je ne me souviens plus maintenant quand Tito les a arrêtés,
4 mais c'est à ce moment-là que nous avons commencé à vivre normalement.
5 Question: Nous en arrivons finalement à l'année 1990 et à ce que vous et
6 bien d'autres témoins nous ont dit à propos des relations. Les populations
7 sont tellement mélangées qu'il est impossible de séparer les groupes
8 ethniques, disiez-vous. Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de mariages
9 mixtes, que vous fêtiez les fêtes des uns et des autres, que ce genre de
10 chose se passait fréquemment. Est-ce exact?
11 Réponse: C'est exact. Dans ma famille, ma belle-sœur est serbe.
12 Question: Je vous demanderai de bien vouloir examiner la carte P1097.
13 (Intervention de l'huissière.)
14 Est-ce que je pourrais la voir avant que vous ne la mettiez sur le
15 rétroprojecteur? Est-ce qu'on peut reculer un peu de manière à ce qu'on
16 voit la plus grande partie de la carte? Très bien.
17 Monsieur, je vous demanderai de bien vouloir regarder cette carte ethnique
18 de la municipalité de Kljuc. Elle n'a pas vocation à être mathématiquement
19 précise, mais vous voyez ici une partie de la municipalité de Kljuc où les
20 villages sont tous indiquées en couleur verte. Est-ce exact?
21 Réponse: Oui. Oui, je vois la couleur verte et la couleur bleue.
22 Question: Tous les endroits indiqués en vert sont des villages musulmans.
23 Je crois que vous nous avez dit que, dans certains de ces villages, il se
24 peut qu'il y ait eu une famille serbe à peu près, mais que ces villages
25 sont pratiquement à 100% musulman, n'est-ce pas?
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1 Réponse: Oui.
2 Question: Et si vous regardez ce que l'on voit au sud de Kljuc, toute une
3 série de villages en bleu. Or ces villages en bleu sont des villages à
4 prédominance serbe, est-ce exact?
5 Réponse: D'après le recensement de 1991, c'est le cas.
6 Question: Et je crois que vous conviendrez avec moi qu'il est vrai que,
7 dans ces villages en couleur bleue, il y a très peu d'habitants musulmans
8 ou qu'il y en avait très peu en 1990.
9 Réponse: En 1990, oui, Maître Ackerman, mais Zablace, Orahovljani, après
10 la Seconde Guerre mondiale, c'étaient des villages où la majorité de la
11 population était des Musulmans. Sitnica, Orahovljani actuellement sont
12 rattachés à Mrkonjic Grad. Alors, c'est la municipalité actuellement de
13 Mrkonjic Grad, et pas Kljuc. Au cours des années entières et d'un certain
14 nombre de démarches, dont j'ai parlé, les gens quittaient ces villages.
15 Actuellement, ce sont devenus des villages majoritairement serbes.
16 Maintenant, vous pouvez dire ce que vous dites.
17 Question: Je vous demanderai simplement de regarder la carte; les couleurs
18 que l'on voit sur la carte ne correspondent pas du tout à votre manière de
19 décrire la situation qui prévalait en 1990, où vous disiez: "Les peuples
20 sont tellement mélangés qu'on ne peut même pas isoler d'un groupe ethnique
21 d'un autre". Cela ne correspond pas, vous êtes d'accord?
22 Réponse: Je ne suis pas d'accord avec vous. Car où est Kopjenica? Est-ce
23 que vous pouvez me trouver ici sur cette carte le village de Kopjenica?
24 C'est un village à 100% serbe.
25 Question: Est-ce que vous pourriez m'expliquer, nous expliquer comment il
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1 se fait que les Musulmans vivent dans leurs propres villages et les Serbes
2 dans leurs propres villages, alors qu'il règne une telle harmonie? Comment
3 expliquez-vous cela?
4 Réponse: Moi, j'essaie de vous expliquer et je le fais de manière
5 persévérante, mais vous, vous ne voulez pas me comprendre. Parce que je
6 vous ai dit que les Musulmans ont été expulsés de Rastoka, de Zablace, de
7 Sitnica et de Orahovljani, et ils ne pouvaient pas se rendre ailleurs que
8 dans la ville de Kljuc. Comment voulez-vous que de Sitnica ils ne se
9 rendent pas à Kljuc?
10 Je vous ai dit que de Ratkovo, ils sont allés à Kljuc. De Sitnica, ils
11 sont allés à Kljuc. Moi également, là, maintenant, je suis expulsé; tous
12 les Musulmans sont expulsés de Kljuc. Où est-ce que vous voulez qu'on
13 aille? A Banja Luka? A ce moment-là, on aurait été exécutés. On avait été
14 expulsés à Travnik; et le peuple qui a été expulsé de Kljuc est
15 actuellement à Travnik; ils se sont installés à Travnik.
16 M. Ackerman (interprétation): Oui, mais cette carte représente la
17 constitution ethnique de la municipalité avant la guerre.
18 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, je crois que nous en
19 avons déjà parlé. C'est tout simplement une estimation, dans le meilleur
20 des cas. Nous n'avons vraiment pas les chiffres précis, donc à condition
21 que Me Ackerman dise qu'il y ait une majorité, on ne peut pas dire qu'il y
22 a des villages qui sont à 100% serbes sans avoir les chiffres précis.
23 M. Ackerman (interprétation): Oui. Il a témoigné, il a dit qu'un certain
24 nombre d'entre eux, en tout cas de ces villages en vert, avaient en eux
25 une famille serbe.
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1 Mme Korner (interprétation): Oui, mais c'est la question que vous posez.
2 Excusez-moi de vous interrompre, mais la raison pour laquelle je vous ai
3 interrompu est la suivante: cette carte représente la composition
4 ethnique… Oui. Mais, enfin, avec une nuance.
5 M. le Président (interprétation): Oui. Maître Ackerman, je crois que ce
6 qu'essaie de nous dire Mme Korner est tout à fait exact. Et si je me
7 souviens bien du début de la déposition du témoin, il nous avait expliqué
8 qu'il y avait une différence entre les villages et les grandes villes;
9 ajoutant que dans les grandes villes, les gens venaient de tous horizons,
10 mais que ce n'était pas le cas dans les petits villages et les toutes
11 petites villes. C'est en tout cas ce qu'il me semble me souvenir. Je ne
12 sais pas dans quelle mesure c'est très important pour vous.
13 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Président, j'ai commencé ma
14 question à ce propos en indiquant et en précisant que je savais que cette
15 carte ne reflétait pas la réalité mathématique.
16 M. le Président (interprétation): Eh bien, vous avez tout loisir de
17 poursuivre.
18 M. Ackerman (interprétation): Non, je crois que j'ai prouvé ce que je
19 voulais prouver.
20 Dans votre déposition, le premier jour de votre déposition, page 9.300 du
21 compte rendu d'audience, vous avez parlé des élections. Vous avez dit que
22 le SDS y a remporté le plus grand nombre de sièges et vous avez dit qu'à
23 ce moment-là, ils se sont emparés de toutes les institutions de pouvoir,
24 tous les services qui disposaient d'un certain pouvoir, que ce soit
25 l'armée, la police ou les ressources financiers.
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1 Ma question est fort simple: lorsque vous dites qu'ils se sont emparés des
2 institutions financières, qu'entendez-vous par là?
3 M. Filipovic (interprétation): Je parle de la direction des impôts, je
4 parle du SDK.
5 (Note de l'interprète: le SDK est le service de comptabilité publique.)
6 M. Ackerman (interprétation): Très bien; c'est bien ce que je pensais.
7 Je vous demanderai maintenant de vous reporter à la pièce à conviction
8 P...
9 (Intervention de l'huissier.)
10 ... Monsieur, ce document porte la date du 10 avril 1991; est-ce exact?
11 M. le Président (interprétation): Pourrait-on placer ce document sur
12 rétroprojecteur, s'il vous plaît?
13 (Intervention de l'huissier.)
14 Très bien. Nous allons poursuivre.
15 (La Greffière vient d'indiquer au Président que le document étant recto-
16 verso, il ne pouvait donc pas être placé sur le rétroprojecteur.)
17 M. Ackerman (interprétation): La date qui figure dans la version serbo-
18 croate de ce document est celle du 10 avril 1991 mais, manifestement, ce
19 n'est pas cette date-là.
20 En examinant ce document ainsi que le contexte, pourriez-vous nous donner
21 une estimation, la plus précise possible, selon vous, de la date à
22 laquelle remonte ce document?
23 M. Filipovic (interprétation): Je ne peux pas.
24 Question: Que savez-vous de ce document?
25 Réponse: J'ai déjà dit ce que je pensais au sujet de ce document. J'ai
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1 bien précisé qu'il s'agit d'un document qui parle d'une décision selon
2 laquelle on corrobore la décision d'annexion de la municipalité de Kljuc à
3 Banja Luka.
4 Moi, je maintiens qu'il s'agit d'une décision qui n'est pas légale, sinon
5 elle aurait dû être enregistrée partout et figurer dans tous les registres
6 de la municipalité. Moi, j'ai déjà dit que ce que je pensais de cette
7 décision. C'est Jovo Banjac qui était président de l'assemblée municipale
8 et qui a pratiquement corroboré, par cette décision, ce qui était déjà
9 décidé. Donc il a dit que la municipalité de Kljuc allait être annexée à
10 Banja Luka, c'est tout, alors que ça n'a pas été à l'ordre du jour de
11 notre assemblée.
12 Question: Donc ce document a probablement été délivré aux environs de la
13 date à laquelle est passée au vote la décision, à l'assemblée de Kljuc, de
14 rejoindre la Région autonome de la Krajina, et le moment où vous avez
15 quitté les lieux. C'est à peu près à cette date-là que le document a été
16 rédigé?
17 Réponse: Je ne peux pas vous le dire, mais je pense que c'était avant car,
18 pendant un an, on a échangé toutes les armes, entre guillemets.
19 Question: Oui, mais il y est fait mention de la Région autonome de la
20 Krajina, n'est-ce pas exact? Elle est indiquée comme étant Région autonome
21 de Bosanska Krajina.
22 Réponse: Oui, je l'ai déjà dit. Je pense que je vous ai déjà donné la
23 réponse à cette question.
24 Question: Donc, en tout cas, ce document ne date pas d'avant la formation
25 de la Région autonome de la Krajina; il date forcément d'une date
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1 ultérieure à la création de la RAK?
2 Réponse: La Région autonome de la Krajina de Bosnie a été créée, et ils
3 ont considéré que Kljuc faisait partie intégrante de cette région.
4 Cependant, à quel moment la RAK a-t-elle été créée? Je ne le sais pas.
5 Moi, je considère -je vous le répète- que cette décision date de la
6 période de la formation de la RAK; et ensuite, probablement, un peu plus
7 tard parce qu'il a été indispensable, tout simplement, pour qu'ils soient
8 au courant si Kljuc faisait partie ou non de la RAK, étant donné que là
9 maintenant, dans cette lettre, on constate tout simplement que Jovo Banjac
10 corrobore une décision qui soi-disant a été prise au sein de l'assemblée.
11 Question: J'en ai fini de ce document. Je vous demanderai maintenant de
12 vous reporter au document portant la cote P8255, s'il vous plaît.
13 (Intervention de l'huissière.)
14 C'est un document qui vous a été montré le premier jour de votre
15 déposition. Je crois que c'est une déclaration faite sur Radio Kljuc, où
16 l'on annonce un service à la mémoire des victimes devant se tenir, en
17 août, à l'église orthodoxe de Kljuc, en l'honneur des victimes des
18 événements de juillet et août 1941.
19 Est-ce que vous vous souvenez l'avoir vu? La date du service étant le 2
20 août. Donc la question qu'on vous a posée à ce propos était la suivante:
21 quel effet cela a-t-il eu sur la population musulmane de Kljuc, indiquant
22 que ceci avait pour vocation d'effrayer les populations musulmanes de
23 Kljuc de manière à ce qu'ils quittent la ville et se sentent mal à l'aise
24 dans la région? Est-ce que vous seriez d'accord pour dire que c'est
25 effectivement l'objectif de cette annonce et de ce service religieux?
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1 Réponse: Je suis d'accord avec ce que vous venez de dire, parce que c'est
2 un document qui témoigne du fait que le SPS et le SDS travaillent
3 ensemble.
4 Question: Et vous êtes d'accord avec ce que je vous ai décrit comme étant
5 l'objectif de la manœuvre?
6 Réponse: Oui.
7 Question: Donc à votre avis, il y avait un mobile parmi les dirigeants du
8 SDS et de la population serbe, ce mobile étant à Kljuc la volonté
9 d'effrayer et d'intimider les Musulmans de manière à les amener à quitter
10 la région?
11 Réponse: Vous voulez la réponse, c'est cela ce que vous attendez?
12 Question: Oui, c'est ce que je vous demande. Est-ce que vous êtes
13 d'accord?
14 Réponse: J'ai déjà dit que j'étais d'accord qu'il s'agit là d'une des
15 thèses qui a été avancée, à savoir que le but était de nous effrayer car,
16 lorsque la guerre s'est déclenchée, on a voulu entreprendre les
17 représailles et la vengeance à notre égard pour la bataille de Kosovo qui
18 a eu lieu en 1389 et que, nous autres, en Bosnie on n'avait strictement
19 rien à faire parce que c'étaient les Turcs et la Serbie du Moyen Age qui
20 étaient en guerre à cette époque-là.
21 Question: Permettez-moi de vous poser une question. Vous avez parlé de
22 cette période qui a suivi immédiatement 1945, vous nous avez dit que la
23 Yougoslavie était un pays communiste. Est-ce exact?
24 Réponse: Oui, elle a été un pays communisme jusqu'en 1990.
25 Question: Dans un pays communiste, d'une manière ou d'une autre, sévère ou
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1 pas, on décourageait, on interdisait, on empêchait ou on punissait toute
2 activité religieuse.
3 Réponse: Non, ce n'est pas exact, ça n'a pas été interdit. C'est que les
4 communistes avaient leur propre théorie. Ils disaient que: "Si vous voulez
5 être membres du Parti communiste -ou de la Ligue des communistes, comme
6 cela s'appelait à ce moment-là-, vous ne pouvez pas occuper un poste de
7 dirigeant".
8 La confession n'a pas été interdite, il était totalement autorisé d'aller
9 à l'église. Mais il y avait une grande différence parce qu'il ne faut pas
10 oublier qu'il y avait les trois peuples qui habitaient en Bosnie-
11 Herzégovine et qu'à Kljuc il y avait les deux peuples qui pouvaient
12 exprimer leur confession et leur foi, alors que le peuple serbe s'est
13 rattaché au Parti communiste. Ils étaient beaucoup plus grands communistes
14 que nous, tant qu'ils en ont eu besoin. Et je pense qu'un jour ou l'autre
15 viendra où les Serbes seront beaucoup plus grands Bosniens que nous-mêmes.
16 Question: Donc vous estimez qu'on pouvait pratiquer la religion librement
17 sans aucun problème dans l'ancienne République communiste yougoslave?
18 Réponse: C'est exact, mais comme je vous l'ai dit, ils ne pouvaient pas
19 occuper des postes de dirigeant. Ils n'avaient pas le droit d'exprimer
20 leur foi et leurs sentiments religieux. Sinon, quelqu'un qui était tout à
21 fait normal, ordinaire, enfin le commun des communs pouvait aller à la
22 mosquée ou à l'église.
23 Question: Oui, mais en 1990 tout a changé. Alors, on pouvait occuper un
24 poste de dirigeant et exercer des activités religieuses, pratiquer son
25 culte, n'est-ce pas exact?
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1 Réponse: Oui.
2 Question: Et peut-être pour la première fois depuis 45 ans, il était
3 possible d'avoir un mémorial, un service à la mémoire des victimes, auquel
4 tout le monde pouvait participer, à la mémoire des victimes tuées à cette
5 époque-là. Est-ce exact?
6 Réponse: Oui, mais je vous répète ce que j'ai déjà dit. Parmi ces
7 victimes, il n'y avait pas que des Serbes. Il y a des Musulmans et
8 beaucoup ont été exécutés par les Oustachis.
9 Question: Il y a quelque chose qui m'intrigue, et peut-être allez-vous
10 pouvoir nous aider à mieux le comprendre. Si, comme vous le dites, la
11 position des Serbes et du SDS était de faire des choses qui puissent
12 effrayer les Musulmans et les amener à partir, comment expliquez-vous que,
13 sur la cassette que nous avons eu l'occasion de voir hier, les interviews
14 des Musulmans que l'on a contraint à dire les choses qu'ils disaient aient
15 eu un objectif radicalement opposé, à savoir de dire: "Ne vous inquiétez
16 pas, n'ayez pas peur." Enfin, ils veillaient à ce que des Musulmans
17 disent: "Ne vous inquiétez pas des Serbes. Nous, tout va bien, on n'a pas
18 à s'en préoccuper."
19 Apparemment, là, il y a deux objectifs radicalement opposés. Au contraire,
20 on essayait de convaincre les Musulmans que tout allait très bien et
21 qu'ils n'avaient pas à avoir peur et donc qu'ils n'avaient pas à partir.
22 Comment expliquez-vous ces deux...
23 Réponse: Vous devez demander à Omer Zecevic. Il est actuellement aux
24 Etats-Unis. Il a honte de sa déclaration. Jusqu'à ce jour, il n'a jamais
25 voulu se rendre en Bosnie-Herzégovine.
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1 Question: Oui, mais selon vous, ce n'est pas lui qui est responsable de la
2 teneur de la déclaration. Vous nous avez dit que les autorités serbes
3 l'avaient contraint à tenir ces propos et contraint les autres personnes
4 musulmanes qui interviennent dans la cassette à dire des choses qui
5 rassurent, à dire que les Musulmans devaient se sentir en pleine sécurité.
6 Comment pouvez-vous concilier ces deux thèses qui sont les vôtres? Vous
7 dites, d'une part, qu'on essaye de les effrayer et, d'autre part, qu'on
8 essaye de les rassurer. Comment conciliez-vous ces deux positions?
9 M. Filipovic (interprétation): J'ai dit qu'Emir Kapetanovic a donné une
10 déclaration, et le lendemain matin, il s'est retrouvé à Manjaca. Si
11 vraiment c'était tellement bien pour lui, pourquoi n'est-il pas resté
12 jouer au basket à Kljuc? Par conséquent, s'il se sentait tellement bien, à
13 ce moment-là, il ne fallait pas… je ne vois pas pourquoi on l'a amené à
14 Manjaca.
15 M. Ackerman (interprétation): Je crois que nous devons conclure
16 aujourd'hui, mais nous poursuivrons demain.
17 Mme Korner (interprétation): Juste avant de conclure tout d'abord, tout
18 cela est lié à la même pièce à conviction.
19 J'ai fait du transcript de la dernière vidéo que nous avons vue la pièce à
20 conviction point 1 et point 2, mais je préférerais que ce soit point 1a)
21 et point 1b), comme ça, ce sera plus cohérent.
22 Et puis, Me Ackerman et Me Fauveau représentent parfois des pièces à
23 conviction que nous avons utilisées comme étant des pièces à conviction de
24 la défense, et je crois que cela rend les choses plus compliquées aux fins
25 de compte rendu. Parce que le document que moi, j'ai présenté, ils veulent
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1 le présenter maintenant comme étant le DB98. Donc est-ce qu'on pourrait
2 garder les numéros qu'on leur a donnés aujourd'hui, plutôt que de les
3 appeler maintenant "DB98"?
4 M. Ackerman (interprétation): Oui, mais je l'ai fait avant vous. Vous
5 voyez? Je l'ai appelé DB98 avant que vous ne l'appeliez… Je ne sais même
6 pas comment vous l'avez appelé d'ailleurs. Donc c'est vous qui me volez
7 mes pièces à conviction. Mais ce n'est pas la version complète. Moi, il
8 n'y a que la première page qui m'intéresse.
9 Mme Korner (interprétation): Oui, mais je sais bien que c'est seulement la
10 première page qui doit être versée au dossier. On vous a donné tout un jeu
11 de documents, mais ce n'est pas indispensable.
12 M. le Président (interprétation): Oui, mais tout cela, c'est à vous de le
13 régler entre vous. Il est vrai que c'est logique ce que vous dites, et
14 vous ne pouvez pas en faire le reproche à Me Ackerman.
15 Mme Korner (interprétation): Oui, mais il le savait très bien qu'on allait
16 le présenter comme pièce à conviction. Mais enfin, on va essayer de garder
17 un seul numéro, je crois que ce serait préférable.
18 M. le Président (interprétation): Effectivement, je propose que l'on
19 procède ainsi.
20 Merci, Monsieur Filopovic, nous reprendrons demain à la même heure, 14
21 heures 15. Merci.
22 (L'audience est levée à 18 heures 32.)
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