Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mardi 3 avril 2007

  2   [Audience publique]

  3   [Jugement en appel]

  4   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 00.

  6   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous,

  7   s'il vous plaît, annoncer l'affaire inscrite au rôle.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

  9   et Madame les Juges, c'est l'affaire IT-99-36-A, le Procureur contre

 10   Radoslav Brdjanin.

 11   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie. Les parties peuvent-

 12   elles se présenter.

 13   Pour l'Accusation.

 14   Mme BRADY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Helen Brady

 15   comparaissant pour l'Accusation. Avec Mme Katarina Margetts et Mme Barbara

 16   Goy et notre commis à l'affaire Mme Lourdes Garcia.

 17   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

 18   Pour la Défense.

 19   M. ACKERMAN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je suis John

 20   Ackerman et je suis ici avec Barbara Baruch.

 21   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Ackerman.

 22   Monsieur Brdjanin, est-ce que vous pouvez entendre clairement et suivre

 23   l'interprétation ?

 24   L'ACCUSÉ : [interprétation] Bonjour à tous. Oui, je peux suivre dans une

 25   langue que je comprends.

 26   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Brdjanin.

 27   Vous pouvez vous asseoir.

 28   Comme le Greffier l'a annoncé, l'affaire dont la Chambre d'appel est saisie

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  1   aujourd'hui porte pour titre Le Procureur contre Radoslav Brdjanin. Comme

  2   indiqué dans l'ordonnance portant calendrier rendue le 16 mars 2007, la

  3   Chambre d'appel va maintenant rendre son arrêt.

  4   Conformément à l'usage au Tribunal international, je ne donnerai pas

  5   lecture du texte de l'arrêt, à l'exception de son dispositif. Aux fins de

  6   la présente audience, je rappellerai les questions soulevées dans le cadre

  7   de la procédure d'appel. Je souligne qu'il s'agit ici d'un résumé qui ne

  8   fait pas partie intégrante de l'arrêt. Seul fait autorité l'exposé des

  9   conclusions et motifs de la Chambre qui figurent dans le texte écrit de

 10   l'arrêt dont des copies seront mises à la disposition des parties à la fin

 11   de l'audience.

 12   L'acte d'accusation qui est à l'origine de la présente affaire reproche à

 13   Radoslav Brdjanin une série de crimes commis entre le mois d'avril et le

 14   mois de décembre 1992 en Bosnie-Herzégovine, en particulier dans la Région

 15   autonome de Krajina, appelée aussi la RAK. Au cours de cette période,

 16   Radoslav Brdjanin a occupé différents postes dans la RAK où il a notamment

 17   exercé les fonctions de président de la cellule de Crise de la RAK et

 18   ultérieurement le président de l'organe qui a succédé cette cellule, à

 19   savoir, la présidence de Guerre de la RAK.

 20   Dans le jugement qu'elle a rendu le 1er septembre 2004, la Chambre de

 21   première instance II a déclaré Radoslav Brdjanin coupable en application de

 22   l'article 7(1) du Statut du Tribunal des crimes suivants : persécution, un

 23   crime contre l'humanité, (Chef 3); incluant la torture, un crime contre

 24   l'humanité, (Chef 6); déportation, un crime contre l'humanité, (Chef 8); et

 25   des actes inhumains, transfert forcé un crime contre l'humanité, (Chef 9);

 26   homicide intentionnel, une infraction grave aux conventions de Genève,

 27   (Chef 5); torture, une infraction grave aux conventions de Genève, (Chef

 28   7); destruction sans motif d'agglomérations, de villes et de villages ou

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  1   dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, une violation

  2   des lois ou coutumes de la guerre,

  3   (Chef 11); et destruction ou endommagement délibéré d'édifices consacrés à

  4   la religion, une violation des lois ou coutumes de la guerre (Chef 12).

  5   La Chambre de première instance a déclaré Radoslav Brdjanin non coupable

  6   des crimes de : Génocide, (Chef 1); complicité dans le génocide, (Chef 2);

  7   extermination, un crime contre l'humanité,

  8   (Chef 4); destruction et appropriation de biens non justifiées par la

  9   nécessité militaire et exécutées de façon illicite et arbitraire, une

 10   infraction grave aux conventions de Genève, (Chef 10).

 11   La Chambre de première instance II a condamné Radoslav Brdjanin a une peine

 12   unique de 32 ans d'emprisonnement. L'Accusation et Radoslav Brdjanin ont

 13   l'un et l'autre interjeté appel du jugement et nous avons entendu les

 14   exposés concernant ces appels, les 7 et

 15   8 décembre 2006. Par ces exposés ainsi que par un mémoire écrit antérieur,

 16   nous avons aussi été informés des vues de l'Association des conseils de la

 17   Défense en ce qui concerne la question de l'entreprise criminelle commune

 18   qui est au premier plan de l'appel du bureau du Procureur.

 19   Je vais brièvement rappeler les moyens que Radoslav Brdjanin a

 20   soulevés dans le cadre de son appel, après quoi j'examinerai les moyens

 21   présentés par l'Accusation.

 22   Dans son acte d'appel, Radoslav Brdjanin allègue plus de

 23   150 erreurs ont été commises. Je ne les examinerai pas toutes; à la place

 24   j'exposerai en premier lieu la méthode que la Chambre d'appel a suivie

 25   d'une façon générale pour examiner les erreurs alléguées. J'exposerai

 26   ensuite les conclusions globales auxquelles la Chambre d'appel est parvenue

 27   au sujet des conclusions de la Chambre de première instance que Radoslav

 28   Brdjanin a contestées concernant le programme politique des Serbes de

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  1   Bosnie et le rôle qui a été le sien dans sa mise en œuvre. Enfin,

  2   j'analyserai les allégations d'erreurs qui mettent en cause directement

  3   certaines déclarations de culpabilité.

  4   D'emblée, la Chambre d'appel a décidé d'écarter purement et

  5   simplement bon nombre d'erreurs alléguées par Radoslav Brdjanin. La Chambre

  6   d'appel a procédé de la sorte lorsque les erreurs qu'il a alléguées, (1)

  7   conteste des constatations sur lesquelles la Chambre de première instance

  8   ne s'est pas fondée pour le déclarer coupable; (2) lorsque les erreurs

  9   qu'il allègue déforment les constatations de la Chambre de première

 10   instance ou ne tiennent pas compte d'autres constatations pertinentes; (3)

 11   lorsqu'il se borne à affirmer que la Chambre de première instance n'a pas

 12   pris en considération les éléments de preuve pertinents; (4) lorsque ces

 13   allégations se bornent à affirmer que la Chambre de première instance ne

 14   pouvait raisonnablement tirer telle ou telle conclusion de preuves

 15   indirectes; (5) lorsqu'il est clair que ces allégations sont dénuées de

 16   pertinence ou qu'elles renforcent la constatation attaquée; (6)

 17   lorsqu'elles font grief à la Chambre de première instance de s'être fondée

 18   ou non fondée sur tel ou tel élément de preuve sans expliquer pourquoi

 19   cette constatation est erronée compte tenu des autres éléments de preuve;

 20   (7) lorsque ces allégations sont contraires au bon sens; (8) lorsque les

 21   allégations en question ont trait à des constatations dont la pertinence

 22   n'est pas claire. En pratique, en recourant à ces huit catégories que je

 23   viens de préciser, la Chambre d'appel a purement et simplement écarté des

 24   dizaines d'erreurs alléguées par Brdjanin.

 25   Cela étant, la Chambre d'appel a soigneusement examiné les nombreuses

 26   autres erreurs qu'il a alléguées. Certaines de ces prétendues erreurs ont

 27   trait aux constatations de la Chambre de première instance concernant le

 28   programme politique des Serbes de Bosnie et le rôle joué par Radoslav

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  1   Brdjanin pour le mettre en œuvre. La Chambre d'appel n'a pas estimé que les

  2   moyens soulevés à cet égard par Radoslav Brdjanin étaient convaincants et

  3   justifiaient d'infirmer les déclarations de culpabilité le concernant.

  4   En particulier, la Chambre d'appel laisse telles quelles les

  5   conclusions de la Chambre de première instance concernant les questions

  6   suivantes : la nature du plan stratégique tendant à créer une entité serbe

  7   d'où la plupart des non-Serbes seraient définitivement exclus; l'autorité

  8   de la cellule de Crise de la RAK sur les autorités municipales, y compris

  9   la municipalité de Prijedor; les rapports entre la RAK et d'autres organes

 10   tels que l'armée serbe de Bosnie, la police et les groupes paramilitaires;

 11   ainsi que l'incidence et décisions de la cellule de Crise de la RAK sur les

 12   licenciements, le désarmement et la réinstallation de la population non-

 13   serbe.

 14    La Chambre d'appel laisse également intactes les conclusions de la Chambre

 15   de première instance quant au fait que Radoslav Brdjanin avait connaissance

 16   du plan stratégique et qu'il y a contribué et aussi que Brdjanin savait que

 17   les crimes étaient en train d'être commis dans le cadre de l'exécution du

 18   plan stratégique en question.

 19   J'en viens maintenant à ce que Radoslav Brdjanin conteste s'agissant des

 20   crimes précis. Je commencerai par examiner les questions sur lesquelles la

 21   Chambre d'appel infirme le jugement de la Chambre de première instance.

 22   Elles sont au nombre de deux.

 23   La première concerne la déclaration de culpabilité concernant les

 24   tortures dans les camps et centres de détention. Radoslav Brdjanin soutient

 25   que la Chambre de première instance a commis une erreur en concluant qu'il

 26   avait aidé à infliger ces tortures et les avait encouragées. La Chambre

 27   d'appel reconnaît que pour un juge du fait raisonnable, les éléments de

 28   preuve ne permettent pas de constater que le comportement de Radoslav

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  1   Brdjanin a eu un effet certain pour ce qui est d'infliger des tortures. La

  2   Chambre de première instance a déduit que le fait que Radoslav Brdjanin

  3   n'est pas intervenu pour empêcher des tortures dans les camps et dans les

  4   centres de détention, ainsi que son attitude en public, a eu pour effet

  5   d'encourager le personnel des camps et des centres de détention à infliger

  6   des tortures.

  7   Toutefois, la Chambre de première instance est parvenue à cette

  8   conclusion, sans avoir de preuve que le personnel en question était même

  9   conscient de l'attitude de Radoslav Brdjanin en public à l'égard de ces

 10   camps et de ces centres. En conséquence, la Chambre d'appel annule les

 11   déclarations de culpabilité prononcées à l'encontre de Radoslav Brdjanin

 12   concernant les tortures infligées dans les camps et les centres de

 13   détention.

 14   En particulier, la Chambre d'appel annule la déclaration par laquelle

 15   Radoslav a été reconnu coupable d'avoir aidé et encouragé les membres des

 16   forces serbes de Bosnie à commettre les crimes suivants : tortures

 17   infligées à un certain nombre de civils musulmans de Bosnie dans le camp de

 18   Kozila au début du mois de juin 1992; tortures infligées à un certain

 19   nombre de Musulmanes de Bosnie dans la camp de Keraterm en juillet 1992;

 20   tortures infligées à un certain nombre de Musulmanes de Bosnie dans le camp

 21   de Trnopolje entre le mois de mai et le mois d'octobre 1992; tortures

 22   infligées à un certain nombre de Musulmanes de Bosnie dans le camp

 23   d'Omarska en

 24   juin 1992; tortures infligées à un certain nombre de Musulmans de Bosnie

 25   dans le bâtiment du SUP à Teslic; et tortures infligées à plusieurs civils

 26   musulmans de Bosnie et Croates de Bosnie dans le bâtiment servant

 27   d'entrepôt de Pribinic en juin 1992.

 28   Pour les motifs qu'elle expose dans son arrêt, la Chambre d'appel

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  1   n'examine pas la question de savoir si Radoslav Brdjanin pourrait en

  2   revanche être tenu pour responsable de ces actes de torture sur la base de

  3   la théorie de l'omission proprement dite. L'annulation de cette déclaration

  4   de culpabilité aura un effet limité sur une partie de la déclaration de

  5   culpabilité prononcée pour persécution.

  6   La Chambre d'appel annule aussi d'office le jugement de la Chambre de

  7   première instance sur un autre point. Elle infirme la déclaration de

  8   culpabilité prononcée par la Chambre de première instance pour le chef de

  9   destruction sans motif d'agglomérations, de villes et de villages ou

 10   dévastation que ne justifient pas des exigences militaires pour autant que

 11   cette déclaration de culpabilité concerne la municipalité de Bosanska

 12   Krupa. Pour les autres municipalités, cependant, la Chambre conclut que la

 13   Chambre de première instance n'a pas commis d'erreur en déclarant Radoslav

 14   Brdjanin coupable au-delà de tout doute raisonnable pour avoir aider et

 15   encourager à commettre des crimes de (1) destruction sans motif

 16   d'agglomérations, de villes et de villages ou dévastation qui ne justifie

 17   pas les exigences militaires; et (2) destruction ou endommagement délibéré

 18   d'édifices consacrés à la religion.

 19   J'en reviens maintenant aux déclarations de culpabilité pour les crimes

 20   spécifiques que Radoslav Brdjanin conteste.

 21   Radoslav Brdjanin avance de nombreux autres arguments contre la déclaration

 22   de culpabilité proposée pour torture. Il soutient que la Chambre de

 23   première instance a commis une erreur de droit en concluant que le fait

 24   d'infliger des "douleurs ou des souffrances aiguës" constitue le critère

 25   pour considérer qu'il s'agit de torture. La Chambre d'appel rejette cet

 26   argument et confirme que des "douleurs ou des souffrances aiguës"

 27   correspondent au critère retenu en droit international coutumier pour juger

 28   qu'il s'agit de torture.

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  1   Savoir si ce critère qui est atteint relève de l'enquête destinée à

  2   établir la matérialité des faits que doit effectuer le juge du fait. En

  3   particulier, la Chambre d'appel rejette la suggestion de Brdjanin selon

  4   laquelle un mémorandum récent et qui a fait par la suite l'objet d'un

  5   retrait par le Département de la Justice des Etats-Unis d'Amérique a

  6   modifié ce critère en droit international. Non seulement le mémorandum en

  7   question a été retiré, mais encore, la position d'un seul Etat ne saurait

  8   quoi qu'il en soit modifier le droit international coutumier.

  9   Radoslav Brdjanin affirme aussi que certains actes de torture, en

 10   l'occurrence, les viols et violences sexuelles étaient des crimes d'isoler

 11   le droit commun et non des crimes commis dans le cadre d'un conflit armé ou

 12   s'inscrivant dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique. La

 13   Chambre d'appel rejette cet argument, car les faits de l'espèce comporte

 14   clairement les constatations contraires de la Chambre de première instance.

 15   La Chambre de première instance n'est pas parvenu à une conclusion

 16   déraisonnable quand elle a décidé que des crimes commis par des combattants

 17   et par des membres de force qui les accompagnent lorsqu'ils recherchent des

 18   armes au cours d'un conflit armé, en profitant de leur situation, sont des

 19   crimes commis dans le cadre d'un conflit armé. La Chambre de première

 20   instance a aussi raisonnablement conclu sur la base des éléments de preuve

 21   qu'ils lui ont été présentés que ces crimes ont été commis dans le cadre

 22   d'une attaque généralisée ou systématique contre la population civile.

 23   Radoslav Brdjanin avance encore un certain nombre d'arguments pour

 24   contester la déclaration de culpabilité pour avoir aider et encourager à

 25   commettre des actes de torture lors de l'attaque de villes, de villages et

 26   alentours. La Chambre d'appel rejette ces arguments. En particulier, elle

 27   maintient telle quelle la conclusion de la Chambre de première instance

 28   selon laquelle des décisions de la cellule de Crise de la RAK, y compris

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  1   les décisions de désarmer a eu un effet important sur ces attaques.

  2   En ce qui concerne la déclaration de culpabilité pour homicide

  3   intentionnel, Radoslav Brdjanin fait valoir que cette déclaration de

  4   culpabilité devrait être annulée, parce que, entre autres choses, la

  5   Chambre de première instance n'a pas démontré que les forces qui ont commis

  6   ces homicides étaient des forces serbes de Bosnie et non pas, par exemple,

  7   des groupes venus de Serbie. Eu égard à la définition claire qui a été

  8   donnée de l'expression "Forces serbes de Bosnie" dans l'acte d'accusation,

  9   lors du procès et dans le jugement de la Chambre de première instance, la

 10   Chambre d'appel rejette cet argument.

 11   Radoslav Brdjanin formule également plusieurs griefs concernant la

 12   déclaration de culpabilité prononcée à son encontre pour persécution. La

 13   Chambre de première instance a reconnu Radoslav Brdjanin complice de

 14   persécution ayant pris la forme des crimes suivants : homicide

 15   intentionnel; torture; destruction de biens et d'édifices consacrés à la

 16   religion; expulsion et transfert forcé; actes de violence physique; viols;

 17   violences sexuelles; humiliation et dégradation constantes; refus de

 18   reconnaître la liberté de circulation; et le droit à une procédure

 19   régulière.

 20   La Chambre de première instance a également jugé que Radoslav Brdjanin

 21   avait incité à commettre des persécutions dans le cas des expulsions et des

 22   transferts forcés et qu'il avait ordonné des persécutions contre les

 23   personnes privées du droit à l'emploi. Radoslav Brdjanin affirme qu'en

 24   droit, certains types de comportement, (notamment les actes de violence

 25   physique, le refus de reconnaître le droit à ne pas être privé d'un emploi,

 26   le refus de reconnaître la liberté de circulation et le refus de

 27   reconnaître le droit à une procédure régulière) ne relèvent pas de la

 28   compétence du Tribunal.

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  1   La Chambre d'appel rejette cet argument et rappelle à cet égard que les

  2   actes sous-tendant les persécutions sanctionnées par l'article 5(h) du

  3   Statut ne doivent pas nécessairement constituer des crimes en droit

  4   international; dès lors, qu'ils présentent le même degré de gravité que les

  5   crimes énumérés à l'article 5 du Statut, qu'ils soient considérés isolément

  6   ou conjointement avec d'autres. La Chambre d'appel estime par ailleurs que

  7   Radoslav Brdjanin n'a pas démontré pourquoi aucun juge du fait n'aurait pu

  8   raisonnablement conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que les

  9   Musulmans et les Croates de Bosnie de la RAK avaient été privés du droit à

 10   une procédure régulière pour des raisons discriminatoires.

 11   Radoslav Brdjanin conteste également la conclusion de la Chambre de

 12   première instance sur laquelle il s'est rendu complice des crimes contre

 13   l'humanité que sont l'expulsion et le transfert forcé et qu'il en a été

 14   l'instigateur compte tenu des décisions portant sur la "réinstallation

 15   volontaire" prise par les autorités de la RAK. Au vu des faits établis au-

 16   delà de tout doute raisonnable, la Chambre d'appel considère que Radoslav

 17   Brdjanin n'a pas démontré en quoi la Chambre de première instance avait eu

 18   tort de conclure que les décisions relatives à la réinstallation volontaire

 19   et au désarmement avaient amené les autorités chargées de leur application

 20   à commettre des crimes d'expulsion et de transfert forcé.

 21   Nous en venons maintenant aux moyens d'appel soulevés par l'Accusation;

 22   initialement au nombre de cinq. L'un d'entre eux ayant été retiré, il n'est

 23   donc pas examiné dans l'arrêt.

 24   Sur les quatre moyens d'appel restants deux se rapportent à des

 25   points de droit concernant la théorie de entreprise criminelle commune.

 26   Dans son premier moyen d'appel, l'Accusation conteste la conclusion

 27   implicite de la Chambre de première instance selon laquelle les auteurs

 28   principaux d'un crime, c'est-à-dire ceux qui le commettent matériellement,

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  1   doivent être membres de l'entreprise criminelle commune pour qu'un accusé

  2   puisse être déclaré coupable de ce crime pour participation à cette

  3   entreprise.

  4   Dans son deuxième moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de

  5   première instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu : d'une

  6   part, qu'il faut prouver l'existence d'un accord ou d'une entente entre

  7   l'accusé et l'auteur principal du crime pour que l'accusé puisse être

  8   déclaré coupable de ce crime pour participation à l'entreprise criminelle

  9   commune. Et d'autre part, que la théorie de l'entreprise criminelle commune

 10   ne s'applique qu'à des entreprises de portée moindre que celle mise en

 11   cause en l'espèce.

 12   Après avoir examiné la jurisprudence née des procès de la Deuxième Guerre

 13   mondiale et celle du Tribunal, la Chambre d'appel fait droit au premier et

 14   deuxième moyen d'appel soulevé par l'Accusation.

 15   En bref, s'agissant du premier moyen d'appel, la Chambre d'appel

 16   estime que tout membre d'une entreprise criminelle commune peut être tenu

 17   responsable de crimes commis par des personnes ne participant pas à ladite

 18   entreprise à condition que le crime reproché puisse être imputé à l'un de

 19   ces membres, et que celui-ci, lorsqu'il a fait appel à l'auteur principal

 20   du crime, une personne extérieure à l'entreprise criminelle commune ait

 21   oeuvré à la réalisation du but commun.

 22   S'agissant du deuxième moyen d'appel, la Chambre d'appel estime que la

 23   Chambre de première instance a eu tort de conclure que l'Accusation doit

 24   prouver que l'accusé avait conclu un accord avec l'auteur principal du

 25   crime en vue de commettre celui-ci. Point n'est besoin de prouver

 26   l'existence d'un tel accord, puisque tous les membres de l'entreprise

 27   criminelle commune adhéraient nécessairement au but commun. L'Accusation

 28   doit néanmoins prouver d'autres éléments. Notamment le fait que l'accusé

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  1   adhérait au but criminel commun et que le crime reproché s'inscrivait dans

  2   le cadre de celui-ci. S'agissant toujours du deuxième moyen d'appel, la

  3   Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance a commis une

  4   erreur en concluant que la théorie de l'entreprise criminelle commune ne

  5   s'applique qu'à des affaires de portée moindre.

  6   Il ressort clairement de la jurisprudence du Tribunal que la théorie

  7   de l'entreprise criminelle commune peut s'appliquer à des affaires

  8   concernant plusieurs municipalités.

  9   Par contre, la Chambre d'appel fait droit au premier et au deuxième

 10   moyen d'appel soulevés par l'Accusation en ce qu'ils ont trait aux points

 11   de droit susmentionnés. Reste à déterminer l'incidence de cette décision

 12   sur les déclarations de culpabilité prononcées en l'espèce. L'Accusation

 13   avance que même si son premier moyen d'appel était accueilli, il ne serait

 14   injuste de déclarer Radoslav Brdjanin coupable pour participation à

 15   l'entreprise criminelle commune, puisque les parties étaient convenues au

 16   procès que pour prononcer une telle déclaration de culpabilité les auteurs

 17   principaux des crimes devaient être des membres de l'entreprise criminelle

 18   commune.

 19   Compte tenu de la position commune des parties sur ce point, il

 20   serait injuste de prononcer de nouvelles déclarations de culpabilité à

 21   l'encontre de Radoslav Brdjanin sur cette base, car on peut raisonnablement

 22   penser qu'au procès il aurait pu réfuter la thèse de l'Accusation en

 23   démontrant que les auteurs principaux des crimes n'étaient pas des membres

 24   de l'entreprise criminelle commune. D'autres moyens à décharge auraient pu

 25   être présentés sur ce point et ne l'ont pas été.

 26   Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, la Chambre

 27   d'appel estime qu'elle ne peut prononcer de nouvelles déclarations de

 28   culpabilité à l'encontre de Radoslav Brdjanin, que si la Chambre de

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  1   première instance a conclu que les auteurs principaux des crimes reprochés

  2   étaient tous des membres de l'entreprise criminelle commune. Or, la Chambre

  3   de première instance n'a rien conclu de tel. Elle n'a pas non plus précisé

  4   qui parmi les auteurs principaux étaient des membres de l'entreprise

  5   criminelle commune. Partant, vu la position commune des parties sur ce

  6   point, la Chambre d'appel ne prononcera pas de nouvelles déclarations de

  7   culpabilité sur la base de la théorie de l'entreprise criminelle commune.

  8   Pour ce qui est de certains aspects de l'appel de l'Accusation

  9   concernant l'entreprise criminelle commune, la Chambre d'appel fait

 10   remarquer que le Juge Shahabuddeen ne sera rallie pas à la position

 11   exprimée par la majorité des Juges et qu'il joint en conséquence une

 12   opinion partiellement dissidente. J'ai également joint une brève opinion

 13   individuelle dans laquelle j'expose mon opinion concernant un aspect bien

 14   précis de la peine interjetée par l'Accusation. Le Juge Van Den Wyngaert a

 15   joint une déclaration une déclaration sur ce point.

 16   Dans son troisième moyen d'appel, l'Accusation fait grief à la

 17   Chambre de première instance d'avoir acquitté Radoslav Brdjanin des

 18   homicides intentionnels commis dans les camps et les lieux de détention

 19   pour lesquels il était mis en cause en tant que complice et de plusieurs

 20   meurtres commis par le groupe paramilitaires de Mice dans la municipalité

 21   de Teslic. Ce moyen d'appel est rejeté. L'argument de l'Accusation selon

 22   lequel Radoslav Brdjanin devrait être déclaré coupable des meurtres

 23   perpétrés dans les camps et les lieux de détention se fonde sur le

 24   raisonnement suivi par la Chambre de première instance lorsqu'elle l'a

 25   déclaré coupable en tant que complice des tortures infligées dans les camps

 26   et les lieux de détention.

 27   Cependant, la Chambre d'appel ayant conclu que la Chambre de première

 28   instance avait eu tort de tenir Radoslav Brdjanin responsable des tortures

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  1   infligées dans les camps et les lieux de détention, les arguments avancés

  2   par l'Accusation sur ce point ne sauraient être retenus.

  3   S'agissant des meurtres commis par le groupe paramilitaire de Mice,

  4   la Chambre d'appel estime que l'Accusation n'a pas démontré qu'aucun juge

  5   du fait n'aurait pu raisonnablement acquitter Radoslav Brdjanin de ces

  6   crimes.

  7   Dans son quatrième moyen d'appel, l'Accusation reproche à la Chambre

  8   de première instance d'avoir acquitté Radoslav Brdjanin de complicité

  9   d'extermination. Ce moyen d'appel est lui aussi rejeté.

 10   Si la Chambre d'appel estime, tout comme l'Accusation, que la Chambre de

 11   première instance a eu tort de ne pas conclure que les auteurs principaux

 12   de quatre massacres étaient animés de l'intention requise pour

 13   l'extermination, elle n'a cependant aucune raison de revenir sur la

 14   conclusion selon laquelle Radoslav Brdjanin ne savait qu'une extermination

 15   serait commise dans la RAK.

 16   Enfin, les parties n'avancent aucun argument fondé concernant l'appel

 17   outre que ceux concernant les déclarations de culpabilité et les

 18   acquittements. La Chambre d'appel ne se penchera donc pas plus avant sur

 19   les questions relatives à la peine. Plusieurs déclarations de culpabilité

 20   ayant été annulées, la Chambre d'appel a réduit en conséquence la peine

 21   infligée à Radoslav Brdjanin. Toutefois, compte tenu d'une part de la

 22   gravité des crimes pour lesquels des déclarations de culpabilité ont été

 23   annulées et de celles des crimes pour lesquels des déclarations de

 24   culpabilité ont été confirmées, et d'autre part des circonstances

 25   aggravantes et atténuantes qu'il convient de retenir en l'espèce, il n'y a

 26   pas lieu de réduire sensiblement la peine.

 27   Je vais à présent donner lecture du dispositif de l'arrêt.

 28   Monsieur Brdjanin, veuillez vous lever.

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  1   Par ces motifs, la Chambre d'appel, en application de

  2   l'article 25 du Statut et des articles 117 et 118 du Règlement de procédure

  3   et de preuve, vu les écritures respectives des parties et leurs exposés au

  4   procès en appel tenu les 7 et 8 décembre 2006, siégeant en audience

  5   publique, accueille en partie l'appel de Radoslav Brdjanin et annule la

  6   déclaration de culpabilité prononcée à son encontre concernant le Chef 3

  7   (persécution et crime contre l'humanité), en ce qu'elle a trait aux

  8   tortures constitutives de crimes contre l'humanité infligées dans les camps

  9   et les lieux de détention (Chef 6); annule la déclaration de culpabilité

 10   prononcée à son encontre le Chef 7 (torture, une infraction grave aux

 11   conventions de Genève de 1949) seulement en ce qu'elle a trait aux tortures

 12   infligées dans les camps et les lieux de détention; annule la déclaration

 13   de culpabilité prononcée à son encontre concernant le Chef 11 (destruction

 14   sans motif d'agglomérations, de villes et de villages ou dévastation que ne

 15   justifient les exigences militaires, une violation des lois ou coutumes de

 16   la guerre seulement en ce qui a trait à la municipalité de Bosanska Krupa;

 17   rejette l'appel de Radoslav Brdjanin pour le surplus; accueille le premier

 18   moyen d'appel de l'Accusation, le Juge Shahabuddeen étant partiellement en

 19   désaccord, et le deuxième moyen d'appel de l'Accusation, sans pour autant

 20   modifier les déclarations de culpabilité prononcées à l'encontre de

 21   Radoslav Brdjanin à cet égard pour les motifs exposés dans l'arrêt; rejette

 22   les troisième et quatrième moyen d'appel de l'Accusation; note que le

 23   cinquième moyen d'appel de l'Accusation a été retiré; condamne Radoslav

 24   Brdjanin à une nouvelle peine de 30 ans d'emprisonnement, le temps passé en

 25   détention préventive étant déduit de la durée totale de la peine comme le

 26   prévoit l'article 101(C) du Règlement; ordonne en application des articles

 27   103(C) et 107 du Règlement, que Radoslav Brdjanin reste sous la garde du

 28   Tribunal jusqu'à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires pour

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  1   son transfert vers l'Etat dans lequel il purgera sa peine.

  2   Le Juge Christine Van Den Wyngaert joint une déclaration.

  3   Le Juge Théodore Meron joint une opinion individuelle.

  4   Le Juge Mohammed Shahabuddeen joint une opinion partiellement

  5   dissidente.

  6   Monsieur Brdjanin, vous pouvez vous asseoir.

  7   Monsieur le Greffier, veuillez distribuer des exemplaires de l'arrêt aux

  8   parties.

  9   Je vous remercie. L'audience est levée.

 10   --- L'audience est levée à 14 heures 37.

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