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1 Le mercredi 17 décembre 2008
2 [Jugement]
3 [Audience publique]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 20.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, veuillez donner le
6 numéro de l'affaire inscrite au rôle.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.
8 Affaire IT-04-84-R77.4, l'Accusation contre Astrit Haraqija et Bajrush
9 Morina.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vois que M. Haraqija est présent
11 ainsi que son conseil, Me Khan, et M. Morina également, et M. Saxon est
12 présent au nom de l'Accusation.
13 La Chambre siège aujourd'hui pour rendre son jugement dans l'affaire le
14 Procureur contre Astrit Haraqija et Bajrush Morina. Au cours de la présente
15 audience, la Chambre de première instance résumera brièvement la procédure
16 en l'espèce, le droit applicable, certains arguments des parties et les
17 conclusions qu'elle a tirées. Nous tenons à souligner qu'il s'agit ici
18 uniquement d'un résumé. Seul fait autorité l'exposé des constatations et
19 conclusions de la Chambre de première instance que l'on trouve dans le
20 jugement écrit dont les copies seront disponibles à l'issue de l'audience.
21 Je vais commencer par un rappel de la procédure et de l'acte
22 d'accusation.
23 L'acte d'accusation dressé contre Astrit Haraqija et Bajrush Morina a
24 été présenté par le bureau du Procureur le 8 janvier 2008 et confirmé le 12
25 février 2008. Il est allégué qu'en juillet et août 2007, les accusés,
26 agissant de leur propre initiative ou à la demande de tiers, on incité à
27 commettre ou commis un outrage au Tribunal en entravant sciemment et
28 délibérément le cours de la justice en faisant pression sur un témoin
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1 protégé dans l'affaire le Procureur contre Haradinaj et consorts. Dans le
2 jugement, le témoin protégé sera appelé Témoin 2.
3 Dans l'acte d'accusation, il est allégué que les accusés savaient que
4 le Témoin 2 était un témoin important dans l'affaire Haradinaj et consorts.
5 Au début du mois de juillet 2007, Astrit Haraqija, alors ministre de la
6 Culture, de la Jeunesse et des Sports, aurait donné pour instruction à
7 Bajrush Morina, qui connaissait le Témoin 2, d'organiser une rencontre avec
8 celui-ci pour le persuader de ne pas témoigner contre Ramus Haradinaj.
9 Selon l'acte d'accusation, même si Astrit Haraqija avait initialement prévu
10 d'accompagner Bajrush Morina à l'étranger pour rencontrer le Témoin 2, seul
11 Bajrush Morina a finalement rencontré ce dernier.
12 L'acte d'accusation indique que les 10 et 11 juillet 2007, Bajrush
13 Morina et le Témoin 2 se sont rencontrés à deux reprises et que ces
14 rencontres ont été enregistrées par la police. Bajrush Morina aurait fait
15 pression sur le Témoin 2 afin de le persuader de ne pas déposer contre
16 Ramush Haradinaj. En tant qu'employé du ministère de la Culture, de la
17 Jeunesse et des Sports, Bajrush Morina a demandé l'autorisation d'effectuer
18 un déplacement à l'étranger. Selon l'acte d'accusation, les frais ont été
19 payés par le ministère.
20 Sur la base de ces faits, l'Accusation a accusé Astrit Haraqija
21 d'outrage au Tribunal, infraction punissable en application de l'article
22 77(A) (iv) de son Règlement de procédure et de preuve ou, à défaut,
23 d'incitation à outrage au Tribunal, infraction punissable en application de
24 l'article 77(A) (iv) et (B) de son Règlement, et Bajrush Morina a été
25 accusé par l'Accusation d'outrage au Tribunal, infraction punissable en
26 application de l'article 77(A)(iv) de son Règlement.
27 Le procès a eu lieu du 8 au 11 septembre 2008. La Chambre de première
28 instance a versé au dossier 39 pièces à conviction et elle a également
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1 entendu cinq témoins à charge et quatre témoins qui ont déposé en faveur
2 d'Astrit Haraqija. Ce dernier a, comme l'y autorisait l'article 84 bis du
3 Règlement, fait une déclaration et déposé en tant que témoin. Le conseil de
4 Bajrush Morina n'a appelé aucun témoin à la barre.
5 Je vais à présent passer au droit applicable en l'espèce.
6 Même si le Statut est muet sur la question de l'outrage au Tribunal,
7 il est de jurisprudence constante que le Tribunal a le pouvoir inhérent de
8 poursuivre et punir les auteurs d'outrage. Il en est ainsi car le compétent
9 doit pouvoir exercer pleinement la compétence que lui confère le Statut et
10 remplir ses fonctions judiciaires fondamentales.
11 Les deux accusés sont mis en cause sur la base de l'article 77(A)(iv)
12 du Règlement. Cet article dispose :
13 "Dans l'exercice de son pouvoir inhérent, le Tribunal peut déclarer
14 coupables d'outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment
15 le cours de la justice, y compris notamment toute personne qui :
16 "(iv) menace, intimide, lèse ou essaie de corrompre un témoin ou un
17 témoin potentiel qui dépose, a déposé ou est sur le point de déposer devant
18 une Chambre de première instance, ou de toute autre manière fait pression
19 sur lui…"
20 La "menace" s'analyse comme l'expression de l'intention de nuire à un
21 témoin ou une tierce personne et/ou d'endommager le bien d'un témoin ou
22 d'une tierce personne afin de l'intimider ou de fléchir sa volonté.
23 "L'intimidation" s'entend des actes ou omissions coupables qui
24 peuvent constituer des menaces directes, indirectes ou potentielles
25 adressées à un témoin et faire pression sur lui ou influencer son
26 témoignage.
27 "Les pressions exercées de toute autre manière sur un témoin"
28 englobent les actes ou les omissions autres que les menaces,
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1 l'intimidation, les atteintes à l'intégrité physique ou la subornation qui
2 peuvent dissuader un témoin de faire une déposition entièrement véridique
3 ou influencer d'une manière ou d'une autre son témoignage. Celui qui exerce
4 des pressions de toute autre manière doit avoir agi délibérément et en
5 sachant que son comportement pourrait dissuader le témoin de déposer ou
6 influencer son témoignage.
7 A défaut, Astrit Haraqija est également accusé d'incitation à outrage
8 au Tribunal en application de l'article 77(B) du Règlement, qui dispose que
9 toute personne qui sciemment et délibérément encourage un tiers à commettre
10 l'un des actes énumérés à l'article 77(A) et/ou le persuade de le faire
11 encourt la même peine que l'auteur de l'outrage.
12 Les éléments de preuve corroborants, je vais à présent aborder un
13 point soulevé par la Défense d'Astrit Haraqija concernant la question de
14 savoir si les éléments de preuve versés au dossier se rapportant aux actes
15 et aux comportements d'Astrit Haraqija tels qu'ils ont été fournis par
16 Bajrush Morina pendant son audition en tant que suspect doivent être
17 corroborés et, dans l'affirmative, si les éléments de preuve corroborants
18 doivent venir du même témoignage. Si tel est le cas, la Chambre de première
19 instance doit alors considérer dans quelle mesure elle peut se fonder pour
20 tirer ses conclusions sur des déclarations dont l'auteur n'a pas été soumis
21 à un contre-interrogatoire.
22 La Chambre d'appel a confirmé le principe selon lequel le fait de prononcer
23 une déclaration de culpabilité en se fondant exclusivement ou de manière
24 décisive sur les déclarations d'un témoin, que l'accusé n'a pas eu la
25 possibilité d'interroger ou de faire interroger pendant l'enquête ou au
26 procès, constitue une violation inacceptable du droit de l'accusé à un
27 procès équitable. Le droit d'un accusé de réfuter des déclarations à charge
28 s'applique tant aux déclarations faites par des témoins que par ses co-
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1 accusés. En conséquence, les déclarations d'un témoin qui n'a pas été
2 soumis à un contre-interrogatoire doivent être suffisamment corroborées par
3 des éléments de preuve importants si elles servent à fonder une déclaration
4 de culpabilité.
5 Dans la mesure où ni le Règlement ni la jurisprudence du Tribunal
6 n'énoncent les conditions requises s'agissant des éléments de preuve
7 corroborant, la Chambre de première instance a analysé les approches
8 adoptées par plusieurs juridictions nationales sur ce point. Puisqu'elle
9 n'est pas tenue de suivre les règles de droit interne concernant les
10 éléments de preuve corroborants, elle s'en est simplement servie à titre
11 indicatif.
12 Vu l'analyse exposée dans le Jugement, la Chambre de première
13 instance a conclu que si certaines juridictions exigent que les éléments de
14 preuve corroborants proviennent d'une source distincte et indépendante,
15 d'autres adoptent une approche moins technique et exigent seulement que les
16 éléments de preuve corroborants établissent un lien entre l'accusé et la
17 perpétration du crime, sans qu'ils soient nécessairement fournis par une
18 autre source.
19 Gardant à l'esprit l'obligation qui est sienne d'appliquer les règles
20 d'administration de la preuve qui lui permettent de se prononcer en toute
21 équité et qui respectent l'esprit du Statut et les principes généraux du
22 droit, la Chambre de première instance a estimé que pour qu'un élément de
23 preuve serve à en corroborer un autre pour lequel il n'y a pas eu de
24 contre-interrogatoire, il doit non seulement donner fortement à penser que
25 celui-ci est véridique, c'est-à-dire renforcer sa valeur probante, mais
26 aussi être obtenu de manière indépendante. Ecartant toute approche
27 technique sur cette question, la Chambre de première instance a estimé que
28 les éléments de preuve corroborants pouvaient englober des éléments qui,
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1 même s'ils proviennent de la même source, ont été obtenus dans des
2 circonstances différentes, à des moments différents, et dans un but
3 différent. En effet, de tels éléments de preuve suffisent à en corroborer
4 d'autres, ce qui permet de ne pas porter atteinte aux droits de l'accusé.
5 J'en viens maintenant aux conclusions tirées par la Chambre de première
6 instance en ce qui concerne la responsabilité de Bajrush Morina.
7 La Chambre a entendu des éléments de preuve établissant que Bajrush
8 Morina avait pris contact avec le Témoin 2 le 2 juillet 2007, et qu'il
9 s'était ensuite rendu à l'étranger les 10 et 11 juillet pour le rencontrer.
10 Lors de ces rencontres, Bajrush Morina a expliqué au Témoin 2 qu'Astrit
11 Haraqija l'avait envoyé pour le persuader de ne pas témoigner contre Ramush
12 Haradinaj afin d'éviter toute condamnation à ce dernier. Il lui a également
13 été dit par Bajrush Morina que d'autres personnes avaient été tuées après
14 avoir témoigné au procès Haradinaj et consorts.
15 La Chambre de première instance a conclu que les éléments de preuve
16 montraient invariablement que Bajrush Morina savait que le Témoin 2 était
17 sur le point de déposer dans le procès Haradinaj et consorts. La Chambre de
18 première instance a rejeté l'argument de la Défense qui disait que
19 l'Accusation n'aurait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que, par
20 son comportement, Bajrush Morina pouvait persuader le Témoin 2 de ne pas
21 déposer. Même si le comportement de Bajrush Morina a pris la forme d'un
22 conseil d'ami et même si les rencontres se sont déroulées dans une
23 atmosphère détendue, il était clair que Bajrush Morina cherchait à adresser
24 un avertissement clair au témoin et cherchait à le dissuader de déposer au
25 procès Haradinaj et consorts, et que ses paroles ne pouvaient pas être
26 comprises autrement. De l'avis de la Chambre, son comportement constitue
27 une forme d'intimidation assimilable à des pressions au sens de l'article
28 77(A)(iv) du Règlement. Le fait que Bajrush Morina n'a pas finalement
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1 réussi à convaincre le Témoin 2 n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit
2 d'établir ou de décider de sa responsabilité.
3 L'absence de mobile, argument avancé aussi par la Défense, n'est pas
4 pertinente en l'espèce. De même que l'existence d'un mobile n'a que peu ou
5 pas du tout de valeur probante pour établir que l'accusé a commis le crime
6 qui lui est reproché, l'absence de mobile ne peut être avancée pour réfuter
7 des faits qui ont été établis par des preuves fiables. L'absence de mobile
8 peut toutefois exiger d'examiner de plus près la valeur probante des
9 éléments de preuve présentés pour conclure que le crime en question a été
10 commis et que l'accusé en est l'auteur. Or, en l'espèce, des preuves
11 solides et convaincantes ont été apportées.
12 La Chambre de première instance a donc conclu que le comportement de
13 Bajrush Morina constituait un outrage au Tribunal au sens de l'article
14 77(A)(iv) du Règlement de procédure et de preuve.
15 Je vais à présent résumer les conclusions tirées par la Chambre de première
16 instance en ce qui concerne la responsabilité présumée d'Astrit Haraqija.
17 La Chambre de première instance a d'abord examiné ce qu'avançait
18 l'Accusation, à savoir que le 2 juillet 2007 Astrit Haraqija aurait
19 rencontré Bajrush Morina lors d'un rassemblement culturel à Peja, et il lui
20 aurait dit d'organiser une réunion avec le Témoin 2. Bien que les éléments
21 de preuve présentés sur ce point n'aient pas été concluants, la Chambre a
22 estimé qu'il importait peu de savoir exactement à quelle date et où cette
23 conversation avait eu lieu pour juger la responsabilité d'Astrit Haraqija.
24 Elle s'est ensuite demandée s'il avait été établi qu'Astrit Haraqija avait
25 donné des instructions à Bajrush Morina pour faire pression sur le Témoin
26 2.
27 La Chambre rappelle qu'elle a conclu que le comportement de Bajrush Morina
28 constituait un outrage au Tribunal. Même si la participation d'Astrit
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1 Haraqija ressort en grande partie directement des propos qu'a tenus Bajrush
2 Morina pendant son audition en tant que suspect et des conversations
3 interceptées pendant les rencontres que celui-ci avait eues avec le Témoin
4 2, la Chambre de première instance a estimé que cette participation avait
5 également été établie au vu de la totalité des éléments de preuve présentés
6 à la Chambre. Elle était consciente du fait que la plupart des éléments de
7 preuve avaient en fin compte été fournis par Morina. Mais elle a considéré
8 qu'ils étaient indépendants, non seulement des propos qu'il avait tenus
9 pendant son audition en tant que suspect, mais aussi les uns des autres,
10 puisqu'ils avaient été obtenus dans des circonstances différentes, à des
11 moments différents, et dans un but différent, comme l'explique le Jugement
12 de manière plus détaillée.
13 La Chambre a non seulement jugé que les différentes catégories de
14 preuve étaient suffisamment autonomes, indépendantes les unes des autres et
15 qu'elle pouvait par là même corroborer les déclarations faites par Morina
16 pendant son audition en tant que suspect, mais de plus, la Chambre a estimé
17 que les éléments de preuve concernant la part prise par Haraqija allaient
18 tous dans le même sens. La Chambre a estimé, en outre, que les éléments de
19 preuve qui lui avaient été soumis infirmaient l'idée que Bajrush Morina
20 aurait systématiquement cherché à impliquer Astrit Haraqija dans tous les
21 cas et à tout moment lorsqu'il a fait des déclarations qui l'incriminaient.
22 Qui plus est, l'agenda d'Astrit Haraqija et ses engagements qu'il avait
23 pris pour ses déplacements ne contredisaient pas les éléments de preuve
24 établissant la participation de ce dernier, puisque aucun d'entre eux ne
25 faisait état d'engagements pris par Astrit Haraqija aux dates concernées,
26 engagements qui auraient pu faire naître un doute raisonnable quant à sa
27 participation.
28 Enfin, y aurait-il eu un autre doute qui pourrait faire croire qu'il n'y
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1 aurait pas eu de participation ? Là, ces considérations n'ont pas soulevé
2 de doute raisonnable. La Chambre a pensé qu'il était fort peu probable que
3 Bajrush Morina aurait fait ce voyage seul, vu sa situation personnelle et
4 financière. Par ailleurs, Astrit Haraqija était impliqué dans la Défense de
5 Ramush Haradinaj, du fait des fonctions politiques qu'il remplissait au
6 sein de la Ligue démocratique du Kosovo, du LDK, et du gouvernement de
7 coalition formé par Ramush Haradinaj. Par ailleurs, Astrit Haraqija avait à
8 maintes reprises exprimé son mécontentement, son incompréhension concernant
9 le procès qui avait été intenté aux Albanais du Kosovo, comme à Ramush
10 Haradinaj, par ce Tribunal.
11 Pour conclure, la Chambre de première instance est convaincue que la seule
12 déduction qui peut raisonnablement être tirée de la totalité des éléments
13 de preuve, ces éléments étant concordants, et vu l'ensemble des
14 circonstances de l'espèce, la Chambre est convaincue qu'Astrit Haraqija
15 savait que le témoin devait déposer devant le Tribunal dans le cadre du
16 procès Haradinaj et consorts, et qu'il avait donné pour instruction à
17 Morina de prendre contact avec ce témoin dans le but précis de faire
18 pression sur ce témoin pour qu'il ne dépose pas dans cette affaire.
19 Même si Astrit Haraqija n'a pas personnellement rencontré le Témoin
20 2, ni n'a eu de contact avec lui, la Chambre a estimé que les éléments de
21 preuve établissaient au-delà de tout doute raisonnable qu'Astrit Haraqija,
22 sachant que le Témoin 2 était sur le point de déposer devant le Tribunal,
23 avait usé de son influence sur Bajrush Morina, qui acceptait de se
24 soumettre à son autorité et avait obéi à ses instructions. La Chambre de
25 première instance a dès lors conclu que le comportement d'Astrit Haraqija
26 faisait partie intégrante du comportement criminel de Bajrush Morina, et
27 qu'il constituait outrage au Tribunal au sens de l'article 77(A)(iv) du
28 Règlement de procédure et de preuve.
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1 J'en viens maintenant aux éléments pris en compte par la Chambre de
2 première instance s'agissant de la peine à fixer.
3 La Chambre de première instance relève que, s'agissant des deux accusés,
4 l'intimidation des témoins constitue l'une des plus graves entraves au
5 cours de la justice. Pour apprécier la gravité de l'infraction, la Chambre
6 a également pris en compte l'importance qu'il y a à protéger les témoins de
7 toute forme de pression pour garantir la bonne administration de la justice
8 dans les affaires portées devant le Tribunal. En conséquence, la Chambre
9 n'a pas retenu comme circonstance aggravante les difficultés rencontrées au
10 cours du procès Haradinaj et consorts pour obtenir la comparution de bon
11 nombre de témoins qui se sentaient en danger.
12 La Chambre a retenu comme circonstance aggravante le fait qu'Astrit
13 Haraqija avait usé de son autorité en tant que membre du gouvernement de
14 façon abusive pour faire pression sur un employé de son ministère.
15 La Chambre de première instance a retenu comme circonstance atténuante la
16 bonne moralité de Bajrush Morina, l'absence d'antécédents judiciaires et sa
17 situation familiale. La Chambre a aussi tenu compte du fait qu'en se
18 rendant coupable d'outrage au Tribunal, Bajrush Morina avait fait l'objet
19 de pression de la part d'Astrit Haraqija, qu'il s'était montré réticent à
20 obéir à ses ordres et qu'il avait présenté ses excuses pour son
21 comportement envers le Témoin 2.
22 La Chambre de première instance a retenu comme circonstance atténuante la
23 bonne moralité d'Astrit Haraqija, les efforts de conciliation et de
24 rapprochement qu'il a fait sur le plan politique, et la Chambre a aussi
25 tenu compte de sa situation familiale.
26 Je vais maintenant donner lecture du dispositif.
27 Monsieur Haraqija, veuillez vous lever.
28 Monsieur Morina, veuillez vous lever.
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1 En vertu du Statut du Tribunal, et en application des articles 77 [comme
2 interprété] et 77 bis du Règlement, l'accusé Astrit Haraqija est déclaré
3 coupable d'outrage au Tribunal, chef 1, infraction punissable en
4 application des articles 77(A)(iv) et 77(G) du Règlement.
5 Astrit Haraqija est condamné à une peine unique de cinq mois de
6 détention. Il est en détention préventive depuis 36 jours. En application
7 de l'article 101(C) du Règlement, on va déduire la période qu'il a passée
8 en détention provisoire de la peine qui lui a été imposée.
9 L'accusé Bajrush Morina est déclaré coupable d'outrage au Tribunal, chef 1,
10 infraction punissable en application des articles 77(A)(iv) et 77(G) du
11 Règlement de procédure et de preuve.
12 Bajrush Morina est ainsi condamné à une peine unique de trois mois
13 d'emprisonnement. Il se trouve en détention préventive depuis 36 jours. En
14 application de l'article 101(C) du Règlement de procédure et de preuve, le
15 temps qu'il a passé en détention préventive sera décompté de la peine qui
16 lui a été imposée.
17 M. le Greffier se chargera des mesures nécessaires à l'application de la
18 peine.
19 Ceci met fin à la lecture du prononcé du Jugement, lequel sera désormais
20 rendu public.
21 L'audience est levée.
22 M. KHAN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Permettez-
23 moi d'évoquer brièvement deux choses. Tout d'abord, nous vous remercions du
24 jugement que vous venez de prononcer. Il est bien sûr dit à l'article 77(J)
25 qu'il y a droit d'appel. Ce ne serait pas devant vous qu'un tel appel
26 serait interjeté, mais nous avons bientôt les vacances de Noël, et je
27 m'interrogeais, est-ce qu'il serait possible d'obtenir l'accord du bureau
28 du Procureur, ne serait-ce que pour des fins officielles, pour qu'il dise
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1 qu'il n'y aura pas d'objection à ce qu'il y ait prorogation du délai de 15
2 jours, et que ce délai commence à courir l'année prochaine. C'est la
3 première chose très précise, mais ceci nous permettra peut-être d'accélérer
4 la procédure d'appel qui serait engagée par l'article 127 pour qu'il y ait
5 prorogation du temps.
6 Et j'aimerais d'abord que M. Saxon réponde avant que j'aborde le point
7 suivant.
8 M. SAXON : [interprétation] L'Accusation n'est pas d'accord avec l'idée qui
9 vient d'être émise par mon estimé confrère. Nous sommes d'avis que la
10 procédure idoine serait le dépôt d'une requête qui pourrait suivre la
11 procédure usuelle.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi, Maître Khan, de dire
13 ceci. La présente Chambre vient d'entendre ce que vous avez demandé à M.
14 Saxon. Vous demandez que soit inscrite au procès-verbal une réponse
15 éventuelle à votre demande. Vous le savez, la Chambre de première instance
16 n'a pas le droit de vous donner droit, si j'ose dire, pour ce qui est de
17 proroger un délai. C'est consigné mais c'est tout ce que nous pouvons dire
18 pour le moment. Et je ne veux pas me livrer à des débats pour savoir dans
19 quelle mesure des délais courants en matière d'appel sont des choses
20 entérinées dans le Règlement, si je ne me trompe, à l'article 126, plus
21 exactement. Mais ceci maintenant est au procès-verbal, ne comptez pas sur
22 cette Chambre pour qu'elle soulève la question par la suite.
23 M. KHAN : [interprétation] Je vous comprends. Nous n'avons pas d'attentes
24 particulières. Je pense que nous sommes à cet égard tout à fait
25 raisonnables. Mais ce délai de 15 jours, il arrive à terme le 2 janvier.
26 Nous allons suivre la filière habituelle pour le dépôt de la requête.
27 L'autre question, c'est la peine. Parce que ceci, votre décision, aura des
28 effets sérieux sur mon client qui a bénéficié de mise en détention
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1 provisoire. Je pense que maintenant il y a peut-être un vide dans le
2 Règlement, s'agissant de la procédure à suivre désormais. Je pense que
3 l'article 65(i) le dit, au-delà de tout doute, la Chambre d'appel a tout à
4 fait le loisir d'accorder une libération provisoire, mais il faut qu'il y
5 ait d'abord dépôt de l'acte d'appel. En droit, de façon générale, on dit
6 qu'une décision doit devenir effective, on ne peut pas la rendre sans
7 qu'elle ait effet. Vu le temps déjà passé en détention provisoire, vu la
8 peine de cinq mois qui vient de lui être imposée et du fait qu'il y a un
9 vide d'un mois qui ne lui est pas imputable parce que c'est à cause des
10 vacances de Noël que ceci se passe, à notre avis, vous avez, en vertu de
11 l'article 65 du Règlement le pouvoir inhérent d'accorder la libération
12 provisoire, la mise en liberté provisoire, en attendant qu'il y ait une
13 demande faite aux Chambres d'appel.
14 Si nous n'avons pas le moyen de demander cette justice, ça voudrait dire
15 que nous ne pouvons pas interjeter d'appel pour que justice soit faite. Or,
16 je le rappelle, c'est la peine la plus lourde, à ma connaissance, qui ait
17 jamais été infligée par ce Tribunal pour outrage, depuis qu'il existe.
18 C'est donc un point de principe que je pose ici. Vous avez le pouvoir, pas
19 nécessairement uniquement en raison de l'article 54, mais aussi au sens de
20 l'article 65, d'accorder une mise en liberté provisoire en attente d'appel.
21 C'est ma demande de principe.
22 Je ne sais pas si l'Accusation peut répondre. Je serais, à ce moment-là, à
23 même de répondre à ce qu'il aura dit. Mais en un mot, nous n'avons pas ce
24 droit, et si nous n'avons pas ce droit, tout appel serait vidé de son sens.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Dieckmann.
26 M. DIECKMANN : [interprétation] Je me permets de souscrire à la demande qui
27 vient d'être formulée par Me Khan au nom de mon client.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Monsieur Saxon.
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1 M. SAXON : [interprétation] L'Accusation n'a certainement pas le droit de
2 spolier la Défense de ses droits de procédure, mais ceci étant dit, nous
3 laissons le soin à la Chambre de première instance pour qu'elle décide si
4 elle a compétence en la matière.
5 M. KHAN : [interprétation] Merci de ces indications. A cet égard, ce qui a
6 été dit et ce qui a été accepté par la Chambre auparavant est pertinent, à
7 savoir qu'ici il y avait outrage présumé que vous avez confirmé, mais il
8 semble que M. Haraqija avait pu bénéficier d'une mise en liberté
9 provisoire. Et on n'a jamais laissé supposer qu'il aurait été en infraction
10 pendant les mois où il est resté en liberté provisoire. Ceci étant, et
11 étant donné la sentence draconienne, l'effet que celle-ci va forcément
12 avoir sur l'accusé, je pense que là il faudrait se dire qu'il a le droit
13 d'avoir une mise en liberté provisoire en attente d'appel.
14 Et si vous avez des questions, Madame et Messieurs les Juges, je
15 ferai de mon mieux pour y répondre. Mais la MINUK n'a eu aucun mal à
16 appliquer des mesures prévues auparavant. Si l'appel est rejeté, si nous
17 sommes déboutés, et vous l'avez dit très clairement et très franchement
18 dans votre résumé, il s'agit ici d'un domaine inconnu, d'une terra
19 incognita en matière de droit. On ne sait pas le poids qu'il faut donner à
20 ces circonstances, et du coup je vous demande de faire droit à notre
21 demande.
22 [La Chambre de première instance se concerte]
23 M. KHAN : [interprétation] Je vous suis reconnaissant.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Khan et Maître Dieckmann, vous
26 avez soulevé la question de la présence d'une lacune dans le Règlement pour
27 ce qui est des procédures en première et deuxième instance. J'ai compris
28 que Me Dieckmann se joignait à vous pour dire que les circonstances
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1 n'avaient pas évoluées, à la différence près que désormais nous avons un
2 verdict. Mais je suis convaincu que vous avez tenu compte de cela.
3 Vous avez laissé entendre qu'au cours de cette période qui cause une
4 espèce de vide judiciaire, la Chambre de première instance avait compétence
5 lorsqu'il s'agissait de statuer sur des demandes de mise en liberté, je ne
6 vais pas dire si c'est provisoire ou pas, disons en attente de l'appel. Et
7 vous avez pensé que nous sommes compétents. Nous allons examiner la
8 question.
9 Si à l'issue de cet examen, notre réponse est positive, nous pourrons
10 nous prononcer sur votre demande. Néanmoins, il y a toujours deux versants
11 à un vide. Il y a d'un côté du vide, la Chambre de première instance; et de
12 l'autre, la Chambre d'appel. Qui va intervenir pour combler cette lacune,
13 les deux Chambres, ou est-ce qu'il y a une raison à la présence de ce temps
14 mort entre les deux procédures. Ceci reste à voir. Au cas où nous
15 estimerions ne pas être compétents, nous vous conseillons de ne pas oublier
16 l'autre versant de cette période, car si nous ne sommes pas compétents en
17 première instance pour statuer, il est fort probable que ce sera à un
18 moment ou à un autre la Chambre d'appel.
19 N'oubliez dès lors pas la Chambre d'appel.
20 M. KHAN : [interprétation] Merci beaucoup, et si vous me le permettez,
21 j'aimerais soulever deux points. Je me permets de laisser entendre
22 respectueusement qu'en ce moment même, comment dire, ce vide ne naît que
23 plus tard. C'est lorsque la Chambre d'appel est saisie de la requête. Pour
24 le moment, vous êtes la seule Chambre à être saisie de la requête. Vous
25 êtes la Chambre de première instance, vous n'êtes toujours pas défunt de
26 cette affaire parce que le jugement écrit n'a toujours pas été distribué
27 aux parties. Alors je vous comprends bien, je vous reçois dans ce que vous
28 dites, mais en principe, si nous échouons dans notre procédure, à ce
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1 moment-là, bien sûr, nous pouvons saisir la Chambre d'appel. Il faudra
2 d'abord qu'elle soit saisie.
3 Une deuxième chose --
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Soyez bref, s'il vous plaît, parce
5 qu'ici il est très exceptionnel que nous abordions ce genre de débat après
6 prononcé d'un jugement, le jugement est rendu. Mais les circonstances étant
7 exceptionnelles, nous vous avons donné le droit de vous exprimer.
8 M. KHAN : [interprétation] Je serai très bref. Il y a eu des cas de peines
9 suspendues données par une Chambre d'appel, et ces circonstances, à ma
10 connaissance, il n'y a pas eu de controverse quant à la compétence
11 qu'aurait la Chambre de première instance d'administrer la suspension de
12 l'exécution de la peine. Et il y a la possibilité aussi de sursis de
13 l'exécution, vous avez deux filières.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En vertu de quel article ?
15 M. KHAN : [interprétation] Mais c'est un pouvoir inhérent que vous avez,
16 intrinsèque, bien sûr, vous connaissez très bien l'architecture même,
17 l'ossature et la raison d'être du Règlement de procédure et de preuve qui
18 permet de parer à toute éventualité procédurale. Et ici, lorsque vous avez
19 un outrage, si vous voulez, c'est un dérivé de ce genre de choses, mais je
20 vous demande d'examiner avec le plus grand soin ces deux options en matière
21 de procédure que j'essayais fort mal, je l'avoue, de vous présenter.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous en tiendrons compte.
23 Je tiens tout d'abord à vous remercier, Maître Dieckmann. Oui, parce que je
24 vous ai mal cité.
25 M. DIECKMANN : [interprétation] Pas de problème, Monsieur le Président.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre déclare l'audience levée.
27 --- L'audience est levée à 15 heures 05.
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