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2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes
6 présentes dans le prétoire et à l'extérieur du prétoire.
7 Madame la Greffière d'audience, veuillez appeler l'affaire, je vous prie.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, bonjour. Il
9 s'agit de l'affaire IT-02-54-R77.5-T dans la procédure ouverte contre
10 Florence Hartmann.
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je voulais juste que les parties
12 confirment leur présence aujourd'hui, en commençant par M. MacFarlane.
13 M. MacFARLANE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
14 les Juges.
15 Bruce MacFarlane au nom de l'Accusation et Lori Ann Wanlin se trouve à mes
16 côtés aujourd'hui, et nous sommes tous les deux originaires du Canada.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Maître Khan.
18 M. KHAN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
19 Juges.
20 Je suis Maître Karim Khan, accompagné de Me Guenal Mettraux et ainsi que de
21 Samrina Mohamad et nous représentons Mme Hartmann.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.
23 Maître Khan, je pense -- vous aviez terminé votre contre-interrogatoire,
24 vous avez terminé en fait ?
25 M. KHAN : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président. J'en
26 avais terminé, mais je souhaiterais soulever une question auprès de la
27 Chambre.
28 Dans un premier temps, il s'agit d'une question d'intendance, car j'ai fait
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1 référence à un certain nombre de documents présentés au témoin et j'ai fait
2 référence aux cotes du classeur. Il s'agit des cotes de plusieurs
3 documents. Juste aux fins du compte rendu d'audience, je voulais donner
4 leur équivalent de la liste 65 ter. Cela ne va pas durer très longtemps.
5 Pour ce qui est de l'intercalaire 12 du classeur qui a été montré à M.
6 Vincent, il s'agit de l'intercalaire 43 de la liste 65 ter. Pour ce qui est
7 de l'intercalaire --
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je m'excuse, mais je ne vous comprends
9 pas tout à fait, Maître. Vous êtes en train de nous dire que le document de
10 l'intercalaire 12 correspond à --
11 M. KHAN : [interprétation] Non, nous vous avons remis un classeur pour M.
12 Robin Vincent et il y avait des intercalaires.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.
14 M. KHAN : [interprétation] Pour qu'il n'y ait pas de malentendu ou de
15 confusion, je voulais vous donner les deux cotes, car ces documents font
16 partie de la liste 65 ter, car vous ne disposez que des intercalaires par
17 opposition aux cotes de la liste 65 ter.
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous comprends tout à fait, Maître.
19 Mais vous nous avez dit que l'intercalaire 12 correspondait à
20 l'intercalaire 53 [comme interprété]. Vous ne me donnez pas de cote 65 ter;
21 vous me parlez de deux intercalaires.
22 M. KHAN : [interprétation] Oui. Pour ce qui est de l'intercalaire 12, le
23 document correspond au numéro 43 de la liste 65 ter.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ok.
25 M. KHAN : [interprétation] L'intercalaire 31 correspond à la cote 64 de la
26 liste 65 ter. L'intercalaire 32 correspond à la cote 65 de la liste 65 ter.
27 L'intercalaire 36 correspond à la cote 71 de la liste 65 ter.
28 L'intercalaire 39 correspond à la cote 74 de la liste 65 ter.
Page 217
1 L'intercalaire 37 correspond à la cote 72 de la liste 65 ter.
2 L'intercalaire 38 correspond à la cote 73 de la liste 65 ter. Les
3 intercalaires 41 et 42 correspondent aux cotes 41, 42 de la liste 65 ter.
4 L'intercalaire 43 correspond à la cote 76 de la liste 65 ter.
5 Je vous remercie.
6 Puis, deuxièmement, nous avons distribué, avant que vous n'entriez, des
7 classeurs destinés aux Juges et, Messieurs les Juges, je souhaiterais en
8 fait que ces classeurs vous soient maintenant remis. Monsieur le Président,
9 ce sont des documents qui sont pertinents à la discussion juridique que
10 nous avons eue hier, juste avant de lever l'audience. Je souhaiterais tout
11 simplement que ces documents fassent partie du dossier en l'espèce et je
12 souhaiterais qu'on leur attribue des cotes, parce qu'il y a plusieurs
13 questions qui ont été posées à propos de la correspondance de la Défense et
14 l'orientation de ces questions.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais est-ce que l'Accusation a reçu
16 ces documents ?
17 M. KHAN : [interprétation] Oui, la lettre émane de l'Accusation. De toute
18 façon, l'Accusation a vu tous ces documents il y a un certain temps.
19 Vous verrez, Messieurs les Juges, que vous avez l'intercalaire 4 qui
20 correspond à la réponse de la question numéro 2 et vous avez ce que la
21 Défense qualifie d'engagement qui avait été pris par l'Accusation,
22 engagement sur lequel nous avions compté. Je vais vous en donner lecture
23 dans un moment, Monsieur le Président.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez parlé de l'intercalaire 4;
25 c'est cela ?
26 M. KHAN : [interprétation] L'intercalaire 4, oui, qui porte sur la question
27 numéro 2 --
28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, la question numéro 2 en chiffres
Page 218
1 romains; c'est cela ?
2 M. KHAN : [interprétation] Non, vous voyez, cela est surligné.
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il s'agit de votre demande auprès des
4 Nations Unies; c'est cela ?
5 M. KHAN : [interprétation] Je ne vous ai pas tout à fait compris, Monsieur
6 le Président.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous faites référence à la
8 question qui commence par la phrase suivante : "Votre demande aux Nations
9 Unies…" c'est de cette phrase que vous souhaitez parler ?
10 M. KHAN : [interprétation] De toute façon, "aucun de ces documents ne va
11 être versé au dossier par l'Accusation." Donc je pense qu'il y a une
12 numérotation différente maintenant. Il s'agit de l'intercalaire 3 en fait.
13 Je m'excuse.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Manifestement, nous n'avons pas vu ce
15 document. Je vous remercie. Je ne sais pas -- vous voulez souhaiter
16 demander le versement au dossier de ce document; c'est cela ?
17 M. KHAN : [interprétation] Oui. Non seulement le versement au dossier du
18 document, mais vous verrez, Monsieur le Président, qu'à l'intercalaire
19 numéro 1, il y a le document que voulait utiliser mon estimé confrère. Je
20 dirai juste aux fins du compte rendu d'audience que je n'ai jamais obtenu
21 de traduction anglaise. Je ne parle pas le français. Donc je n'ai jamais
22 obtenu de traduction anglaise et je n'ai pas essayé d'en obtenir une, parce
23 que mon estimé confrère a indiqué qu'il n'allait pas l'utiliser.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Cela ne me sert absolument à rien,
25 parce que je ne parle pas non plus le français. Donc je ne comprends pas le
26 document.
27 M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Mais je
28 voulais tout simplement vous dire que cela fait partie des questions qui
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1 ont été soulevées dans le cadre des questions juridiques qui avaient été
2 soulevées par mon estimé confrère hier.
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, est-ce que vous
4 avez une réponse à tout cela ? Parce que je ne suis pas très sûr de ce qui
5 est versé au dossier.
6 M. MacFARLANE : [aucune interprétation]
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Voilà, tous ces documents dont on
8 demande le versement au dossier, avez-vous quoi que ce soit à nous dire en
9 matière de recevabilité, Monsieur MacFarlane ?
10 M. MacFARLANE : [interprétation] Oui, j'ai quelques observations à faire.
11 Je viens de recevoir cette liasse de documents. Je n'ai pas d'objection.
12 Vous avez donc toute la chaîne de correspondance à ce sujet et la Chambre
13 décidera si cela est versé au dossier et lui accorder le poids qu'elle
14 jugera judicieux, mais je ne comprends pas en fait. Je ne sais pas s'il
15 s'agit de toute la chaîne de la correspondance. Je ne le pense pas
16 d'ailleurs. Je ne sais pas très bien où cela va nous mener. Donc à moins
17 que nous n'ayons toute la correspondance que la Chambre pourra étudier et à
18 laquelle elle pourra accorder le poids qu'elle souhaitera accorder --
19 voilà, c'est justement l'une de ces tangentes dont je parlais au début. Là,
20 je pense que l'on digresse. C'est ce dont je parlais au début --
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Certes.
22 M. MacFARLANE : [interprétation] -- mais pour ce qui est de la lettre du
23 greffier qui a fait l'objet d'une présentation et d'une décision hier, je
24 pense que cette décision a été rendue à huis clos partiel, me semble-t-il,
25 donc il faudra que nous passions à huis clos partiel.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que la Chambre peut passer à
27 huis clos partiel.
28 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos
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1 partiel, Monsieur le Président.
2 [Audience à huis clos partiel]
3 (expurgé)
4 (expurgé)
5 (expurgé)
6 (expurgé)
7 (expurgé)
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 [Audience publique]
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.
2 Oui, Monsieur Khan.
3 M. KHAN : [interprétation] Mon estimé confrère a décrit la proposition de
4 la Défense et elle n'a pas d'objection à ce que cette correspondance vous
5 soit fournie, mais elle indique qu'il s'agit d'une digression. Ce n'est pas
6 ainsi qu'il faut considérer cela. Si mon estimé confrère souhaite présenter
7 une correspondance supplémentaire à ce sujet, il n'y aura pas d'objection,
8 mais il faut savoir que ce qui est important pour la Chambre d'appel, si
9 cela est nécessaire ainsi que pour votre délibéré, de savoir quel poids
10 accorder au document. Pour ce faire, il faut considérer les circonstances.
11 Nous avons indiqué que nous voulions nous enquérir par rapport à la chaîne
12 de conservation des documents. Mon estimé confrère a indiqué de façon tout
13 à fait catégorique qu'il n'allait absolument pas présenter ce document et
14 que la chaîne de conservation de documents n'était pas pertinente, mais je
15 voudrais que cela fasse partie du compte rendu d'audience.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous vous avons bien pris. Cela fera
17 partie du dossier en l'espèce.
18 M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
20 Est-ce que vous pouvez appeler votre premier témoin, Maître ?
21 M. KHAN : [interprétation] Mais il faudrait que mon estimé confrère termine
22 la présentation de ses moyens à charge.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je pensais que cela avait été fait
24 hier. Je m'excuse.
25 Monsieur McFarlane.
26 M. MacFARLANE : [interprétation] Je pense à toutes les questions qui ont
27 été présentées à la Chambre et il y a notamment un dépôt d'écritures
28 présentés par mon estimé confrère à propos de la transcription d'un
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1 entretien et de sa traduction. Avant d'indiquer que je suis arrivé à la fin
2 de la présentation des moyens à charge, je dirais que je pense qu'il est
3 absolument essentiel et capital que la Chambre entende mon point de vue à
4 ce sujet.
5 J'espère en fait que je ne vais pas semer la confusion, mais mon
6 estimé confrère a posé un certain nombre de questions à propos de la
7 traduction de l'entretien à ce moment-là par opposition à la transcription
8 de la traduction qui a été versée au dossier. Il avait demandé certaines
9 informations. Il a demandé que la Chambre pose trois questions, et je suis
10 sûr que la Chambre se penchera là-dessus en temps voulu. Alors je ne sais
11 pas en fait. C'est de cela que je voulais parler. Je ne sais pas s'il est
12 plus judicieux que j'en parle juste avant de vous indiquer que j'ai terminé
13 la présentation de mes moyens à charge ou est-ce que cela fait partie de la
14 présentation des moyens à décharge. Mais pour ce qui est de la pièce
15 présentée par l'Accusation, il me semble que cela doit être entendu dans le
16 cadre de la présentation des moyens à charge. Je pense que si la Chambre le
17 pense, il serait plus judicieux que j'en parle maintenant.
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, je vous en prie.
19 M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie.
20 Je dirais, à propos du dépôt d'écriture d'hier, que mon estimé confrère
21 avait indiqué qu'il n'avait pas d'objection à ce que soit traduit les
22 propos attribués à l'accusé. Il semblerait qu'il y ait une certaine
23 fiabilité à ce sujet. Donc, si je ne m'abuse, il n'y a pas eu d'objection
24 soulevée pour que cela soit versé au dossier. Donc il ne semblerait pas
25 qu'il y a un problème par rapport à ce qui a été versé au dossier. Mais le
26 problème surgi par rapport à la traduction qui a été effectuée à l'époque
27 de l'entretien. Il fallait savoir si cela a eu un impact sur l'enquêteur
28 amicus curiae et son rapport présenté à la Chambre. Il semblerait que c'est
Page 223
1 l'orientation indiquée par mon estimé confrère. Je dirais, et cela fait
2 partie du décor du contexte, que le rapport de l'enquêteur --
3 M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse, Monsieur le Président,
4 d'interrompre mon estimé confrère, mais je dirais que la réponse à laquelle
5 fait référence M. MacFarlane recherchait de la part de la Chambre deux
6 recours.
7 Le premier recours est l'admissibilité. M. MacFarlane l'a indiqué. Nous
8 n'avons pas d'objection à ce que cela soit admis en l'espèce, mais ce que
9 nous voulions, c'était que la Chambre considère ce document recevable dans
10 son intégralité, à savoir sans l'expurgation de ce qui avait été traduit à
11 M. MacFarlane à l'époque.
12 Le deuxième recours, et ce pour être juste à l'égard de M. MacFarlane, est
13 la requête présentée par la Défense, avec l'aval de la Chambre d'ailleurs,
14 à savoir M. MacFarlane s'était vu demander de répondre à trois questions.
15 Nous pensons que ce sont des questions auxquelles il faut répondre dans la
16 mesure où l'amicus souhaite répondre.
17 Mais pour ce qui se passe, il faut savoir que M. MacFarlane essayait
18 d'obtenir des éléments de preuve à propos de la procédure retenue lors de
19 ces entretiens. Nous avons demandé l'aide de M. MacFarlane pour -- si M.
20 MacFarlane souhaite maintenant présenter des éléments de preuve à ce sujet,
21 nous l'invitons à prendre place à la place du témoin et nous poserons des
22 questions dans le cadre d'un contre-interrogatoire à ce sujet. Nous
23 rejetons toute éventualité que M. Macfarlane présente des éléments de
24 preuve directement, Monsieur le Président.
25 M. MacFARLANE : [interprétation] En dépit de tout le respect que je dois à
26 mon estimé confrère, je penserais qu'il serait plus utile de me laisser
27 terminer ce que j'avais à dire. Je n'ai pas l'intention de fournir des
28 éléments de preuve à propos de l'entretien en question. Ce n'est pas du
Page 224
1 tout mon intention. Je voulais juste vous donner des éléments de contexte,
2 parce que je pense que c'est un document qui est absolument essentiel et
3 dont vous ne disposez pas.
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, j'ai vu très
5 rapidement, je dois dire, mais j'ai vu toutefois les dernières écritures
6 présentées et je pense que le dernier document a été présenté conformément
7 à l'accord retenu lors de la dernière Conférence de mise en état lorsque
8 vous aviez présenté un exemplaire du document sans que soit prise en
9 considération l'interprétation chuchotée. Cela a été fait. C'est ce
10 qu'avait demandé la Défense. Voilà. Si autre chose doit être déposé, je
11 pense que vous pouvez présenter une requête.
12 Alors nos estimés confrères sont d'avis que vous êtes en train de témoigner
13 maintenant. Je suggère que s'il s'agit d'un document qui, à vos yeux, est
14 absolument capital et essentiel, si vous souhaitez demander le versement au
15 dossier de ce document, faites-le donc maintenant.
16 M. MacFARLANE : [interprétation] Je vais demander le versement au dossier
17 du document.
18 En fait, il s'agit d'un mémorandum, d'une lettre. Ce n'est pas un document
19 que j'ai rédigé ou que je présente moi-même. Ce n'est pas mon estimé
20 confrère qui le présente. C'est un document de la Chambre et vous ne l'avez
21 pas. Je pense qu'il est quand même important que vous ayez cette lettre de
22 la Chambre, parce que je souhaiterais dire que cette lettre vous donne le
23 récapitulatif de toutes les questions soulevées par mon estimé confrère.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, demandez son versement au
25 dossier, Monsieur.
26 M. MacFARLANE : [interprétation] J'ai d'ailleurs fourni à deux occasions
27 cette lettre à mon estimé confrère.
28 M. METTRAUX : [interprétation] Je vais tout simplement dire, de façon très
Page 225
1 simple, que notre confrère ne nous a jamais indiqué quelle était son
2 intention, à savoir soulever ces questions maintenant ou ne nous a jamais
3 indiqué que cette lettre serait utilisée.
4 M. MacFARLANE : [interprétation] C'est un document qui est versé au
5 dossier en réponse à un dépôt très récent, mais la lettre indique --
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Juste une petite seconde, car Me
7 Mettraux a dit quelque chose à propos de cette lettre. Voyons ce qu'il
8 avait à dire à ce sujet.
9 [Le conseil de la Défense se concerte]
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, nous attendons votre
11 réponse.
12 M. METTRAUX : [interprétation] Je vais attendre que mon confrère ait
13 terminé et je réagirai --
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais pour ce qui est du versement
15 au dossier de cette lettre, vous avez toujours une objection ?
16 M. METTRAUX : [interprétation] Ce n'était pas une objection, Monsieur le
17 Président. Pas pour le moment. Je voulais tout simplement vous dire que
18 nous n'avions pas été informés de l'intention de M. MacFarlane. Nous allons
19 réagir.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous avez pris connaissance de la
21 lettre. Maintenant, comment réagissez-vous vis-à-vis de cette intention de
22 versement au dossier ?
23 M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, je voudrais attendre que l'on me
24 présente le fondement de la lettre, la pertinence de la lettre, ensuite je
25 réagirai.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.
27 M. MacFARLANE : [interprétation] Comme indiqué il y a quelques minutes de
28 cela, c'est une lettre qui émane de la Chambre, ou c'est une lettre
Page 226
1 relative à la -- il s'agit en fait de la signature d'un juriste hors pair
2 qui, à l'époque, agissait sous la gouverne de la Chambre, et ce, pendant
3 l'enquête.
4 Alors, pour vous présenter des éléments de contexte. Le rapport de
5 l'enquêteur amicus curiae a été déposé le 12 juin de l'année 2008. Cette
6 lettre a été envoyée le 18 juin. Donc une semaine après la réception du
7 rapport, la Chambre est revenue là-dessus et a indiqué que le rapport
8 devait être étudié, mais que la Chambre demandait ou avait besoin de plus
9 amples renseignements. Les renseignements qui étaient recherchés étaient au
10 nombre de trois.
11 Il s'agit du rapport de l'enquêteur amicus curiae qui est
12 confidentiel, me semble-t-il. Donc je pense qu'il faut que nous passions à
13 huis clos partiel.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je souhaiterais que la Chambre passe à
15 huis clos partiel.
16 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos
17 partiel, Monsieur le Président.
18 [Audience à huis clos partiel]
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1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 (expurgé)
4 (expurgé)
5 [Audience publique]
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, je vous en prie.
7 M. MacFARLANE : [interprétation] Cela m'amène à parler des documents dont
8 je vais demander le versement au dossier. Donc une fois de plus je demande
9 l'orientation de la Chambre. Il se peut que cela fasse partie de nos moyens
10 à charge, mais mon estimé confrère a demandé et obtenu une ordonnance eu
11 égard à un document. Il y a un autre document dont je souhaiterais demander
12 le versement au dossier, un document qui découle en quelque sorte de cet
13 autre document qui vient d'être versé au dossier par la Défense. Ce
14 document que je souhaiterais verser au dossier est une ordonnance de la
15 Chambre, une ordonnance qui est encore confidentielle, Monsieur le
16 Président.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Elle est confidentielle, mais pour qui
18 ?
19 M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, est-ce que le Procureur pourrait
20 nous indiquer de quel document il s'agit, parce que nous n'avons pas la
21 moindre idée de quoi il s'agit.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pour qui est-ce que ce document est
23 confidentiel, Monsieur MacFarlane ?
24 M. MacFARLANE : [interprétation] Je m'excuse, je n'ai pas entendu votre
25 question.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous m'avez dit que le document était
27 confidentiel. Donc il est toujours confidentiel, c'est cela ? La
28 confidentialité n'a pas été supprimée ?
Page 232
1 M. MacFARLANE : [interprétation] Non.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais est-ce que les personnes qui se
3 trouvent dans le prétoire ont le droit de voir ce document ? Est-ce qu'ils
4 sont inclus comme étant les destinataires de cette lettre ?
5 M. MacFARLANE : [interprétation] Je pense que je peux répondre par
6 l'affirmative.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc en d'autres termes, il s'agit
8 d'un document qui émane de cette Chambre; c'est cela ?
9 M. MacFARLANE : [interprétation] Oui.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien.
11 [La Chambre de première instance se concerte]
12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si cela émane de la Chambre, par
13 la force des choses, cela doit faire partie du dossier.
14 M. MacFARLANE : [interprétation] Non, cela ne fait pas partie des écritures
15 en l'espèce.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous êtes en train de nous
17 dire qu'il y a des documents qui émanent de la Chambre qui ne font pas
18 partie du dossier ?
19 M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous demande juste un petit moment pour
20 conférer avec mon assistante.
21 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
22 M. MacFARLANE : [interprétation] Si je pouvais décrire le document que je
23 tiens en main, il serait peut-être nécessaire de passer à huis clos partiel
24 pour donner à la Chambre un petit plus d'informations. J'ai mal compris la
25 question qui a été posée. Ce n'est pas une ordonnance de cette Chambre en
26 particulier, mais c'est une ordonnance qui vient d'une Chambre de ce
27 Tribunal, donc il n'appartient pas à cette Chambre. Je serais tout à fait
28 heureux de vous donner de plus amples détails si nous passons à huis clos
Page 233
1 partiel, et je ne vais pas entrer dans les détails maintenant.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Avant de passer à huis clos partiel,
3 j'ai besoin de préciser certaines choses.
4 Vous dites qu'il est confidentiel et que la Chambre n'a pas levé la
5 confidentialité de ce document ?
6 M. MacFARLANE : [interprétation] Oui.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc cela signifie --
8 M. MacFARLANE : [interprétation] Que la confidentialité n'a pas été levée;
9 c'est exact.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous avez demandé la
11 permission à cette Chambre d'utiliser le document dans ces procédures et
12 est-ce que vous avez obtenu cette permission ?
13 M. MacFARLANE : [interprétation] Cela faisait partie --
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La première partie de votre réponse ne
15 répond pas à ma question.
16 M. MacFARLANE : [interprétation] Je fais en sorte d'être très prudent.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous mets en garde, soyez tout à
18 fait prudent, parce que je ne veux pas que vous révéliez le contenu si
19 c'est confidentiel --
20 M. MacFARLANE : [interprétation] Non. Je pense que je peux dire en toute
21 sécurité que cette ordonnance s'inscrit dans le mandat qui a été donné à
22 l'enquêteur amicus curiae dès le début.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] -- et aurait dû faire partie de vos
24 écritures dès le début, et ce que vous avez donc divulgué au début.
25 M. MacFARLANE : [interprétation] Cela a été divulgué au début de cet
26 entretien. Il fait l'objet de nombreuses discussions au cours de
27 l'entretien.
28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] S'il a été divulgué, pourquoi est-ce
Page 234
1 qu'il n'a pas été versé à ce moment-là ? Pourquoi est-ce que cela ne fait
2 pas partie de vos écritures ?
3 M. MacFARLANE : [interprétation] Je peux essayer de répondre à cela, mais
4 je pense que mon éminent confrère pourrait peut-être être quelque peu
5 préoccupé par la réponse, et je pense qu'il serait bon de passer à huis
6 clos partiel. Je m'excuse, je --
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'espère que l'audience à huis clos
8 partiel permettra de balayer ces préoccupations.
9 Est-ce que la Chambre peut passer maintenant à huis clos partiel.
10 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
11 [Audience à huis clos partiel]
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26 [Audience publique]
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
28 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Président.
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1 Cela fait partie de la présentation des moyens à charge.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.
3 Maître Khan.
4 M. METTRAUX : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,
5 Président.
6 La Défense va appeler comme premier témoin, M. Louis Joinet.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez épeler son
8 nom ?
9 M. METTRAUX : [interprétation] Il s'écrit L-o-u-i-s, c'est son prénom, et
10 son nom de famille, Joinet, s'écrit J-o-i-n-e-t.
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
12 M. METTRAUX : [interprétation] Nous voudrions reprendre le classeur de la
13 Cour avec l'aide de l'huissier. Je vous en remercie.
14 M. MacFARLANE : [interprétation] Avant le témoignage du témoin suivant, je
15 voulais demander si je pouvais parler à la Cour de la nature des éléments
16 de preuve et de la recevabilité.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] De quelle déposition ?
18 M. MacFARLANE : [interprétation] Il s'agit de la déposition du premier
19 témoin.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Vous pouvez poursuivre.
21 M. MacFARLANE : [interprétation] Mon éminent confrère m'a très gentiment
22 donné des documents concernant cette déposition et ma préoccupation est la
23 suivante : ce témoignage est essentiellement une description du droit ou de
24 ce que devrait être le droit, et il me semble que cette déposition porte
25 essentiellement sur des divers points que la Chambre devra examiner, à
26 savoir ce qu'est le droit, comment est-ce qu'il s'applique et également des
27 éléments concernant ce que devrait être le droit, des considérations de
28 politiques sous-jacentes à la loi et au droit, et donc l'avis du témoin sur
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1 ce qu'est le droit ne va pas faire avancer cette affaire. Cela me semble
2 superflu.
3 Par exemple, le dernier point concerne la déposition du témoin dans le
4 cadre de son poste aux Nations Unies concernant les restrictions à la
5 liberté d'expression.
6 Ce qui me préoccupe, c'est que nous risquons d'avoir un mélange confus
7 d'éléments de preuve concernant ce qu'est le droit au sens du témoin, ce
8 que devrait être le droit et les considérations politiques sous-jacentes au
9 droit. Je dirais, avec tout le respect que je vous dois, qu'il n'y a là
10 qu'un seul point, qu'est-ce que le droit et cela doit être déterminé par la
11 Chambre.
12 Donc le risque de confusion, découlant de ce mélange d'éléments
13 De preuve politique et de ce que devrait être le droit, et ce qu'il est,
14 fait courir le risque d'avoir quelque chose d'extrêmement confus, qui ne me
15 permettra pas de faire avancer cette affaire et qui est superflu.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, votre éminent
17 confrère vous a donné cette description. La Chambre ne dispose pas de ce
18 document et je vous demanderais, si vous considérez cela approprié, de
19 faire objection lorsqu'une question de la sorte est posée.
20 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
22 M. METTRAUX : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait maintenant faire
23 entrer le témoin ?
24 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour, Monsieur.
26 Je vais vous demander de lire, s'il vous plaît, la déclaration solennelle.
27 LE TÉMOIN : Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la
28 vérité et rien que la vérité.
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1 LE TÉMOIN: LOUIS JOINET [Assermenté]
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. Vous pouvez prendre
3 place.
4 Monsieur Mettraux.
5 M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
6 Peut-être qu'avant de commencer, avec l'aide de l'huissier, nous avons donc
7 des dossiers pour la Chambre, le Registre, l'Accusation et également le
8 témoin.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Une minute, s'il vous plaît. S'agit-il
10 d'un témoin qui va déposer sur les faits - comment l'appelez-vous - un
11 témoin expert ?
12 M. METTRAUX : [interprétation] Nous allons demander à M. Joinet de nous
13 faire quelques commentaires sur un certain nombre de documents qu'il a
14 préparés au cours de sa carrière et nous allons également lui demander ses
15 commentaires sur ces documents, également un certain nombre de questions et
16 de faits sur lesquels il pourrait témoigner, y compris ses contacts avec
17 Mme Hartmann, un certain nombre de documents, de papiers, d'ouvrages et
18 d'articles qu'il a écrits sur des sujets pertinents dans cette affaire.
19 L'élément le plus important sera, bien entendu, des rapports qu'il a
20 rédigés à l'époque où il travaillait pour les Nations Unies ou le
21 gouvernement français.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous en prie.
23 Interrogatoire principal par M. Mettraux :
24 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Joinet. Je suis Guenal Mettraux et
25 je suis le conseil de Mme Hartmann.
26 Monsieur Joinet, pourriez-vous décliner votre identité, votre nom et prénom
27 pour le procès-verbal d'audience ?
28 R. Oui. Je m'appelle Louis Joinet, J-o-i-n-e-t. Je suis né le 26 mai 1934.
Page 239
1 J'habite Paris.
2 Q. Pouvez-vous brièvement nous indiquer votre parcours universitaire ?
3 Quelles sont les études que vous avez suivies ?
4 R. Très classiques. J'ai passé le baccalauréat, qui est la première étape
5 avant d'accéder à l'université. J'ai préparé ma licence en droit à
6 l'Université de Panthéon Sorbonne. J'ai obtenu la licence, après quoi j'ai
7 préparé le concours de l'Ecole nationale de la magistrature, où j'ai été
8 reçu. A la suite de cela, je suis devenu magistrat. J'ai fait également
9 l'Institut de criminologie de Paris, donc j'ai un diplôme de criminologie.
10 Mais dans ma jeunesse, tout cela.
11 Q. Pour parler très rapidement de votre CV, est-ce que vous avez eu des
12 postes élevés au sein du gouvernement français ?
13 R. Oui, j'ai eu des fonctions indépendamment de mes fonctions de juge,
14 mais seulement à partir de 1978. J'avais travaillé pour le Conseil de
15 l'Europe et j'étais devenu spécialiste de la question de la protection des
16 données. Le Conseil de l'Europe m'avait pris comme consultant et le
17 gouvernement français m'a demandé après d'étudier la question. Une
18 commission indépendante a été créée, qu'on appelle la Commission nationale
19 informatique et liberté. En anglais, on dirait "Data Inspection." Donc j'ai
20 été le premier directeur jusqu'en 1981. C'était gouvernemental, mais
21 j'avais un statut d'indépendance. En 1981, le premier ministre de l'époque,
22 M. Pierre Marois, m'a demandé de le rejoindre dans son cabinet, son staff,
23 comme conseiller juridique sur la justice et les droits de l'homme. J'ai
24 travaillé avec lui dans son staff jusqu'en 1974, puis les premiers
25 ministres suivants m'ont demandé de rester. J'ai donc été conseiller
26 juridique pour la justice et les droits de l'homme de cinq premiers
27 ministres successifs.
28 Q. Je vous remercie. Peut-être pourriez-vous indiquer aux Juges quel était
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1 le poste juridique que vous avez pu occuper en France ou ailleurs ?
2 R. J'ai eu essentiellement des postes en tant que juge, que magistrat. Je
3 dis bien "magistrat," parce que j'étais au début comme juge, ensuite au
4 parquet. J'ai commencé dans un petit tribunal comme juge au tribunal de
5 Melun. Ensuite, j'ai été substitut du procureur de la République à Paris.
6 Ensuite, avocat général, c'est-à-dire procureur adjoint à la cour d'appel
7 de Paris. Puis je suis devenu ensuite membre de la cour de cassation, qui
8 correspond à la Cour suprême, et j'ai terminé comme premier avocat général,
9 c'est-à-dire procureur général adjoint à la cour de cassation où j'ai siégé
10 pendant 14 ans.
11 Pour ce qui est juste de fonctions spéciales lorsque j'étais à la cour de
12 cassation, outre que j'avais le contentieux de la presse, j'étais pendant
13 deux années procureur à la Haute cour de justice de la République, c'est
14 celle qui est compétente pour juger les ministres qui ont commis des
15 indélicatesses, pour ne pas dire des infractions. Ensuite, j'étais
16 procureur devant la commission qui siège à la Haute cour, la commission
17 chargée d'indemniser les personnes qui ont été emprisonnées injustement,
18 donc qui ont été acquittées ou qui ont eu un non-lieu. Puis ce fut la
19 retraite.
20 Q. Est-ce que vous avez également occupé un certain nombre de postes aux
21 Nations Unies, et si tel est le cas, pourriez-vous très rapidement nous
22 indiquer lesquels en nous parlant des plus importants.
23 R. Très rapidement, puisque j'ai exercé ces fonctions pendant 30 ans. J'ai
24 commencé sous la Guerre froide, la Glasnost, la chute du Mur de Berlin,
25 bref jusqu'en 2007. J'ai d'abord été élu comme expert indépendant de la
26 Sous-commission des droits de l'homme, qui est l'organe subsidiaire de la
27 commission, qui prépare des études et des rapports pour la commission. J'en
28 ai été --
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous allez trop vite. Les interprètes
2 essayent de vous suivre. Pourriez-vous ralentir.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai compris. Je m'excuse auprès des
4 interprètes. Qu'ils n'hésitent pas à me faire un petit signe.
5 Oui. J'ai donc commencé en 1979, où j'ai été élu expert indépendant à cette
6 Sous-commission des droits de l'homme, qui est un organe subsidiaire de la
7 commission, qui prépare des études et des rapports. Puis après en avoir été
8 le président, j'en avais été d'abord le rapporteur général. J'ai cessé mes
9 fonctions en 1991, car à ce moment-là, la Commission des droits de l'homme,
10 suite à un rapport qu'elle m'avait confié sur la détention arbitraire, a
11 décidé de créer une commission d'enquête sur la détention arbitraire, qu'on
12 appelle groupe de travail, et m'a élu président de ce groupe. J'ai donc
13 présidé le groupe de travail sur la détention arbitraire pendant neuf ans.
14 Au cours de ce mandat, j'ai visité une quinzaine de pays sur tous les
15 continents et j'ai visité, je crois, si mon assistant a fait le compte, 170
16 prisons ou camps d'internement.
17 Lorsque en 2002, le secrétaire général des Nations Unies m'a nommé expert
18 indépendant sur la situation des droits de l'homme en Haïti, fonction que
19 j'ai exercée jusqu'en juin 2007, c'était le 17, où j'ai pris pour la
20 dernière fois la parole à l'ONU après 30 ans de fonction onusienne.
21 M. METTRAUX : [interprétation]
22 Q. Monsieur Joinet, votre CV est assez long, donc je souhaiterai attirer
23 votre attention sur certains points pertinents.
24 Peut-être qu'avec l'aide de l'huissier, nous pourrions remettre un dossier
25 à M. Joinet.
26 Monsieur Joinet, lorsque vous recevrez ce classeur, je vous demanderai de
27 prendre l'onglet 56 de ce classeur. Il s'agit de votre CV en français. Pour
28 les non francophones, nous avons donc une traduction de ce curriculum vitae
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1 à l'onglet 56 bis.
2 Monsieur le Président, nous avons indiqué que la traduction du CV se trouve
3 au 56 bis pour ce qui est de la version anglaise et il s'agit de l'onglet
4 56 pour ce qui est de la version française.
5 M. LE JUGE MOLOTO : [hors micro]
6 M. METTRAUX : [interprétation] Il s'agit de l'onglet 2, Monsieur le
7 Président.
8 Q. Monsieur Joinet, si je pouvais vous demander de regarder la première
9 page de ce document en français.
10 C'est la deuxième page du document en anglais, à la date du 1899 --
11 L'INTERPRÈTE : Si l'interprète a bien entendu.
12 M. METTRAUX : [interprétation]
13 Q. -- il est écrit que vous avez préparé un rapport en anglais sur la
14 liberté d'opinion et d'expression. Est-ce que vous le voyez ?
15 R. Oui.
16 Q. Peut-être que, très brièvement, vous pourriez indiquer en quelques mots
17 comment vous en êtes arrivé à préparer ce rapport ? Quelles sont les
18 circonstances qui vous ont emmené à préparer ce rapport ?
19 R. Oui, ce sont des circonstances très particulières, puisque ce fut une
20 première, si je puis dire, à l'ONU, en ce sens que le thème de la liberté
21 d'opinion et d'expression était devenu un thème récurrent au sein de la
22 commission des droits de l'homme, donc de la sous-commission et même dans
23 certains cas, de l'assemblée générale, mais faisons bref. Il y avait toute
24 évolution, c'était l'époque de la Glasnost, donc le problème de repenser
25 que la liberté d'opinion et d'expression se posait.
26 La commission a demandé à la sous-commission de lui faire rapport et de
27 réfléchir à cette évolution. J'ai été désigné par mes collègues et l'idée
28 m'est venue dans la conjecture de cette époque, on était à deux ans de la
Page 244
1 chute du mur de Berlin, d'obtenir que ce soit un rapport conjointement fait
2 avec un des mes collègues, un co-rapporteur, donc ce fut M. Denis Loteur
3 [phon], qui lui était de nationalité yougoslave à l'époque, venu du groupe
4 à l'ONU de l'est, et moi-même de ce qu'on appelle le groupe occidental. Ça
5 avait une portée symbolique à l'époque. M. Denis Loteur et moi avons
6 présenté notre travail. Nous y avions proposé en conclusions que la
7 commission des droits de l'homme crée un mandat, crée la fonction de
8 rapporteur spécial sur la promotion et la protection de la liberté
9 d'expression dans le monde, qui serait chargé de veiller au respect de
10 cette liberté fondamentale.
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je ne comprends pas du tout où nous
12 allons --
13 M. METTRAUX : [aucune interprétation]
14 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
15 M. METTRAUX : [interprétation] Bien, nous allons demander d'identifier le
16 rapport en question. Il s'agissait simplement --
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous ne pouvez pas
18 simplement demander le versement de ce rapport --
19 M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous pensons qu'il
20 est extrêmement important, car nous devons établir un certain nombre de
21 faits qui, à notre sens, sont pertinents.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous devons écouter tous ces faits ?
23 M. METTRAUX : [interprétation] Nous voulons simplement établir qu'il a la
24 capacité et les connaissances lui permettant de déposer et de dire ce qu'il
25 va nous dire. Nous allons ensuite poursuivre en lui montrant les rapports.
26 Si les Juges souhaitent que l'on passe directement au rapport, il n'est pas
27 nécessaire de passer par tout ce processus qui permettra ensuite de
28 demander l'adoption de ces rapports. Donc nous allons lui demander de
Page 245
1 commenter ces rapports, Monsieur le Président.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien.
3 M. METTRAUX : [interprétation]
4 Q. Monsieur Joinet, nous allons passer au contenu du document. Je voudrais
5 d'abord vous demander de passer à l'onglet 55 de ce classeur.
6 Il s'agit donc du 54 pour la version anglaise, Monsieur le Président.
7 Pourriez-vous nous indiquer, Monsieur Joinet, s'il s'agit du rapport que
8 nous avons évoqué il y a un instant et dont il est fait mention dans votre
9 curriculum vitae ?
10 R. C'est cela.
11 Q. Très brièvement, peut-être, est-ce que vous pourriez nous indiquer où
12 était envoyé le rapport de la sous-commission et est-ce que vous pourriez
13 nous dire s'il a été adopté par les Nations Unies ?
14 R. Il a été adressé à la Commission des droits de l'homme qui l'a étudié
15 et qui a analysé les recommandations qui étaient faites.
16 Le processus décisionnel est le suivant : La commission décide de suivre ou
17 non les recommandations. En l'espèce, elle a suivi la recommandation,
18 puisqu'elle a créé un rapporteur spécial. Par conséquent, en vertu du
19 principe juridique selon lequel l'accessoire suit le principal, le
20 principal ayant été adopté en terme de recommandation, le rapport est
21 adopté.
22 Q. Est-ce que je pourrais vous demander de vous reporter à la page 3 dans
23 la version anglaise, qui correspond à la page 5 de la version française, et
24 c'est le paragraphe 11 qui m'intéresse plus particulièrement ? Page 5,
25 Monsieur Joinet. Intercalaire 54. Pour la version française, Monsieur
26 Joinet, je m'excuse, il s'agit de l'intercalaire 55. Je vous demanderais de
27 bien vouloir vous pencher sur le paragraphe 11 de la page 5 du document
28 français.
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1 Est-ce que vous l'avez trouvé ?
2 R. Oui.
3 Q. J'aimerais attirer votre attention sur la dernière phrase de ce
4 paragraphe, et je vais vous en donner lecture.
5 "L'assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution 59/1 du 14
6 décembre 1946, a réaffirmé que, et je cite : 'la liberté de l'information,'
7 est un droit de l'homme fondamental et la pierre angulaire de toutes les
8 libertés auxquelles aspirent les Nations Unies."
9 Alors j'aimerais vous poser une question : J'aimerais savoir si vous avez
10 préparé le rapport que nous avons maintenant tous sur la base de cette
11 résolution ?
12 R. Sur la base de cette résolution, certainement, puisque c'est la
13 matrice, si je puis dire, en la matière, notamment la date, et la haute
14 autorité de l'instance que vous venez de citer. Ce fut un des enjeux de la
15 Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme, et précisément,
16 c'est donc une suite normale de ce que vous venez d'énoncer.
17 Q. J'aimerais vous demander de bien vouloir prendre la page suivante. Donc
18 page 4 dans la version anglaise et page 6 de la version française. Je vais
19 vous demander de bien vouloir vous pencher sur le paragraphe 20, je vous
20 prie.
21 R. Oui.
22 Q. Je vais vous donner lecture du passage en question. Voilà ce qui est
23 dit :
24 "D'une part, le rapport est parti des prémisses selon lesquelles le droit à
25 la liberté d'opinion et d'expression doit faire l'objet d'une
26 interprétation extensive à l'inverse des limitations qui peuvent lui être
27 apportées et qui doivent faire l'objet d'une interprétation restrictive;
28 d'où la nécessité d'élaborer des 'restrictions aux restrictions.'"
Page 247
1 Est-ce que vous pourriez nous expliquer brièvement pourquoi vous avez
2 adopté pour votre travail ces prémisses, et pourquoi cela a été important
3 pour le point de vue de la sous-commission ?
4 R. C'était important, parce que même si tout à fait au début nous avons
5 commencé le rapport en - je ne m'en souviens plus, je crois que c'est en
6 1987 - entre-temps, s'est développée notamment la guerre du Golfe et le
7 Koweït. Vous savez qu'il y a eu toute une discussion sur les restrictions
8 que l'on pouvait apporter à l'exercice de leur profession par les
9 journalistes, donc leur promettait certes de ne pas considérer que ce droit
10 était tellement fondamental au sens où l'assemblée générale l'avait dit
11 qu'il ne supportait aucune restriction. Il fallait admettre que des
12 restrictions soient possibles. Mais comme toujours dans ce cas-là, c'est
13 jusqu'où les restrictions peuvent-elles aller. Autrement dit, la règle
14 c'est la liberté d'expression et vous avez des restrictions admissibles, et
15 la règle doit être interprétation extensive et les cas de restrictions
16 restrictives.
17 Q. Est-ce que cette position de principe correspond et est en harmonie
18 avec la sous-commission dont vous étiez membre, Monsieur Joinet ?
19 R. Oui, c'était en harmonie pour des raisons de juriste. Enfin, puisque
20 nous étions quand même essentiellement entre juristes. Mais l'harmonie est
21 prévenue aussi du fait, comme je l'ai indiqué - mais ça n'a peut-être pas
22 de rapport direct avec le cas ici - mais que nous étions originaires l'un
23 du groupe de l'est, et de l'autre, de l'ouest. C'est donc à une époque une
24 valeur symbolique fondamentale et un consensus se dégage sur l'exercice de
25 la liberté d'expression de manière consensuelle quel que soit le groupe
26 géographique en cause.
27 Q. J'aimerais vous demander maintenant de bien vouloir prendre la page 6
28 de la version anglaise, et pour la version française il s'agit de la page
Page 248
1 numéro 8. Monsieur Joinet, j'aimerais vous demander de bien vouloir étudier
2 le paragraphe 25 de votre rapport et du rapport de la sous-commission.
3 Vous voyez la lettre D, l'alinéa intitulé : "La question du - entre
4 guillemets - "contempt of court, outrage au Tribunal ?" Vous voyez cela ?
5 R. Tout à fait.
6 Q. Je vais vous donner lecture du premier passage. Voilà ce qui est écrit
7 :
8 "Un autre membre a suggéré que les rapporteurs approfondissent la question
9 du 'contempt of court,' en anglais dans le texte, en vue de réfléchir à une
10 interprétation restrictive de cette notion."
11 Donc je m'interromps ou j'interromps ma lecture, Monsieur Joinet, et
12 j'aimerais vous demander de nous expliquer pourquoi vous et vos collègues
13 de la sous-commission des Nations Unies avez estimé qu'une interprétation
14 restrictive de cette notion devrait être envisagée ?
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane ?
16 M. MacFARLANE : [interprétation] J'aimerais intervenir à propos de la
17 pertinence. Je le fais en dépit de tout le respect que j'ai à l'égard du
18 témoin pour qui j'ai le plus grand respect, un témoin qui a été au service
19 de la France et du monde.
20 Mais essentiellement en fait, et c'est cela qui m'a préoccupé dès le début,
21 c'est que nous nous penchons sur un rapport de 1991 qui aborde et se
22 concentre essentiellement sur la politique juridique sous-jacente aux
23 droits, à savoir ce que le droit devrait être. Je pense que c'est une
24 digression en quelque sorte, car il appartient en fait, il incombe à la
25 Chambre de déterminer quel est le droit. Ce que je veux dire de façon très
26 respectueuse c'est que nous ne pouvons pas avoir une discussion à propos de
27 considérations juridiques, ou nous ne pouvons pas nous permettre de nous
28 demander ce que le droit devrait être. Parce qu'en fait, il appartient
Page 249
1 finalement, en fin de compte, à la Chambre, de se tourner vers la Chambre
2 d'appel pour demander des conseils à propos de la forme et des modes ou des
3 modalités de la notion de la liberté d'expression.
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez une réaction, Maître
5 Mettraux ?
6 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président.
7 Car voilà le problème auquel nous nous trouvons confrontés. Comme l'a dit
8 M. MacFarlane, de façon d'ailleurs tout à fait quasiment ingénue lors de sa
9 déclaration liminaire, il aborde le droit et cette affaire de façon très,
10 très étroite et restrictive, ce qui d'ailleurs est une erreur.
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, non, non. Je vais vous
12 interrompre, car vous devez nous présenter votre objection. Vous ne devez
13 pas nous indiquer comment votre estimé confrère a présenté ces éléments à
14 charge.
15 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, j'y arrive.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
17 M. METTRAUX : [interprétation] Car il y a un certain nombre de faits qui
18 sont pertinents. Il y a un certain nombre de considérations qui sont
19 également pertinentes lorsque l'on se penche sur le problème de la
20 restriction de la liberté d'expression, qu'il s'agit du concept ou du
21 contexte, plutôt, de l'outrage à la justice ou non. Pour ce qui est du
22 droit, je pense qu'il faut dans un premier temps savoir si ces faits sont
23 pertinents à l'étude de la restriction de la liberté d'expression et nous
24 voulons faire appel à la compétence de ce témoin. Il y a ces rapports qu'il
25 a utilisés, qui sont utilisés par les Nations Unies et qui sont utilisés
26 par d'autres juridictions.
27 Pour vous donner un exemple à titre d'illustration, Monsieur le Président,
28 l'Accusation n'a absolument pas mentionné aucun des faits et des
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1 circonstances qui sont pertinentes par rapport à ce que nous appelons le
2 principe de proportionnalité. Alors manifestement, il appartient à la
3 Chambre d'en décider --
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais ce ne sont pas des faits en
5 l'espèce, Maître Mettraux, dans un premier temps. Deuxièmement, dans un
6 deuxième temps, je ne pense pas qu'il y a un litige, un contentieux entre
7 les parties à propos de la liberté d'expression.
8 M. METTRAUX : [interprétation] Bien, nous, nous pensons très franchement
9 que tel est le cas, Monsieur le Président. Car notre confrère a présenté
10 des suggestions pour indiquer, par exemple, que le fait d'enfreindre une
11 ordonnance du Tribunal représente une entrave au cours de la justice, et
12 que de ce fait cela suffit pour envisager une condamnation. Alors que nous,
13 nous souhaitons attirer l'attention de la Chambre sur le fait que tous ces
14 faits existent, mais il y a également un autre fait qui doit être établi,
15 et je ne sais pas si nous pouvons de ce fait en conclure qu'il y a eu
16 entrave au cours de la justice.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, de toute façon,
18 lorsque vous avez une affaire, il faut que vous présentiez des éléments de
19 preuve. Les éléments de preuve, il gravitent autour de l'actus reus, et
20 s'il y a un élément de droit qui peut être utilisé et appliqué à l'actus
21 reus, vous pouvez évoquer cet élément de droit, bien entendu, vous pouvez
22 citer cet élément de droit. Ici le témoin, ici, qui a beaucoup rédigé à
23 propos de la liberté d'expression a écrit quelque chose à ce sujet. Vous
24 pouvez, bien entendu, citer ce qu'il a rédigé, mais le convoquer, le faire
25 venir ici pour qu'il nous parle de la liberté d'expression et pour lui
26 demander ce qu'il en est en matière de guerre et en matière d'outrage au
27 Tribunal, je ne sais pas, Maître Mettraux, si c'est ainsi que vous pouvez
28 procéder.
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1 M. METTRAUX : [interprétation] En fait, nous, s'il n'y a pas d'explication
2 préalable par rapport au rapport, la Chambre ne pourra pas prendre en
3 considération tous les tenants et les aboutissants de la question. Ce que
4 nous avançons, c'est que ce témoin peut témoigner très clairement à propos
5 des faits sous-jacents qui aboutissent à ces conclusions.
6 Ceci étant dit, si vous souhaitez ne pas prendre en considération
7 cela, il vous appartient de le faire. Mais nous - et cela fait partie de la
8 présentation de nos éléments à décharge - nous pensons qu'il y a une
9 question de restriction de la liberté de parole, de la liberté d'opinion.
10 Nous n'allons pas d'ailleurs demander au témoin de tirer des conclusions
11 juridiques.
12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais vous pouvez lui poser des
13 questions de faits alors que vous lui posez des questions sur ce qu'il a
14 rédigé, dans son domaine juridique.
15 M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, ce que je pourrais faire, Monsieur
16 le Président, c'est que je lui demanderais tout simplement quels sont les
17 faits et les considérations qui l'ont fait aboutir à ces conclusions, si
18 vous le préférez.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux, parce que je ne
20 sais pas quand est-ce que nous allons terminer alors.
21 M. METTRAUX : [interprétation] Je peux vous assurer, Monsieur le Président,
22 que nous terminerons demain à l'heure prévue.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Bien.
24 M. METTRAUX : [interprétation]
25 Q. Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez réfléchir à nouveau à cette
26 première phrase dont je vous ai donné lecture. Est-ce que vous pouvez nous
27 indiquer quels sont les faits qui vous ont poussé ou incité, vous et vos
28 collègues, à tirer cette conclusion ?
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1 R. Bien évidemment, ce n'est pas dans le rapport auquel vous faites
2 allusion, puisque nous n'avons pas eu le temps finalement de traiter la
3 question dans le rapport lui-même, mais dans la phase préparatoire. Le
4 débat était le suivant : le "contempt of court" est une limitation à la
5 liberté d'expression admissible pour la sérénité de la justice pour
6 différentes raisons. Le débat était de savoir s'il pouvait y avoir une
7 différence d'appréciation au regard de la liberté d'expression selon que le
8 "contempt of court," les faits qui conduisaient aux poursuites pour
9 "contempt of court" étaient des faits qui s'étaient produits pendant le
10 déroulé [phon] de la procédure, ou bien si des faits révélés étaient
11 postérieurs au déroulement de la procédure, c'est-à-dire une fois que
12 l'action publique est éteinte. Il y avait une différence. Autant on admet
13 que pendant le procès, le "contempt of court" est parfaitement justifié,
14 mais une fois que l'action publique est terminée, est-ce qu'elle peut être
15 encore admise comme une restriction admissible ?
16 Notre point de vue était que non, puisqu'une fois que la justice a
17 été administrée, il n'y a plus d'atteinte à l'administration de la justice,
18 puisque l'affaire est close, par décès, que ce soit par restriction ou
19 toute autre raison qui met fin à l'action publique.
20 C'était une différence d'appréciation, mais nous n'avons pas eu le temps de
21 le soumettre dans un débat à la sous-commission, de telle sorte que ce
22 paragraphe est très bref. Mais voilà quelle était la raison du débat et de
23 la brièveté de ce paragraphe.
24 Q. Toujours au même paragraphe, vous dites :
25 "Compte tenu de sa portée en tant que mesure restrictive de la liberté, on
26 craint qu'elle ne devienne d'un usage trop courant devant les tribunaux."
27 Est-ce que vous pourriez expliquer quels sont les faits et les
28 considérations qui sous-tendent cette observation ou cette déclaration,
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1 plutôt, à l'époque ?
2 R. Brièvement, cette phrase est motivée par la raison
3 suivante : il y avait la crainte que le fait d'évoquer trop fréquemment ou
4 de plus en plus fréquemment le "contempt of court" puisse un jour être
5 opposé au rapporteurs spéciaux qui sont donc les membres de la sous-
6 commission chargés de faire des enquêtes, et qui nécessairement apportent
7 des critiques. Effectivement, j'ai moi-même été l'objet de critiques de
8 certains gouvernements qui regrettaient que "contempt of court" n'existe
9 pas à mon égard. Il était simplement rapporteur. Mais il est difficile
10 lorsque l'on fait une enquête, comme c'était le cas quand j'ai fait une
11 mission avec M. Madojleski [phon] de ne pas faire de critique sur le
12 comportement de telle ou telle autorité à un moment donné. C'était un peu
13 notre crainte qu'il y ait une sorte de culture du "contempt of court" qui
14 déborde les tribunaux.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pensez que nous
16 pourrons faire la pause maintenant ?
17 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'audience est levée.
19 --- L'audience est suspendue à 10 heures 18.
20 --- L'audience est reprise à 10 heures 48.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.
22 M. METTRAUX : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
23 Q. Monsieur Joinet, j'ai juste une seule question à vous poser à propos,
24 une seule dernière question à vous poser à propos de ce rapport, très
25 brièvement. Alors, en-dessous du paragraphe, vous avez le paragraphe D,
26 vous avez le paragraphe E, la protection des journalistes, toujours à la
27 même page. Est-ce que vous pourriez nous expliquer quels sont les faits et
28 circonstances qui sont à la base de ce passage, et pourquoi est-ce que vous
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1 avez estimé, avec les membres de votre sous-commission, que les
2 journalistes devaient faire l'objet d'un paragraphe ou d'un alinéa dans le
3 rapport ?
4 R. La raison en était la suivante qui était un peu le fruit de
5 l'expérience des fonctions de rapporteurs spéciaux, c'est-à-dire
6 d'enquêteurs. Sur le terrain, dans des situations de violations massives,
7 l'information n'est pas facile à trouver parce que, généralement, les
8 témoins sont les victimes ou bien les auteurs, mais on trouve rarement des
9 témoins un peu extérieurs. L'importance du journaliste, c'est que les
10 journalistes sont souvent informés ou au courant ou à la recherche d'un
11 certain nombre d'informations et il y a nécessairement une conjonction
12 entre les investigations qu'on peut faire ne tant qu'expert ou enquêteur,
13 les journalistes, d'où l'importance de ne pas restreindre au-delà de ce qui
14 est nécessaire, la liberté d'opinion et d'expression sous la forme de la
15 liberté de la presse.
16 Q. J'aimerais que nous abordions un autre aspect de votre travail. Ce
17 matin, lors de la première séance, vous avez mentionné le fait que vous
18 aviez travaillé avec la commission que l'on appelle la Commission
19 Mazowiecki. Est-ce que vous pourriez nous expliquer, en fait, ce que vous
20 avez fait avec cette commission ?
21 R. Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'étais président de la commission
22 qui enquêtait sur la détention arbitraire. Quand M. Mazowiecki a été
23 désigné comme rapporteur spécial sur l'ex-Yougoslavie, il a souhaité que je
24 l'assiste. La Commission des droits de l'homme a été d'accord et c'est donc
25 à ce titre que je suis venu, rapporteur adjoint dans le cadre de sa
26 mission. J'ai un autre collègue, M. Biji [phon], qui a de hautes fonctions
27 au Commissariat aux droits de l'homme, qui a également été pressenti et qui
28 est venu. Il était le rapporteur sur les exécutions sommaires, c'était la
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1 question des charniers.
2 Q. Monsieur Joinet, j'aimerais vous demander de bien vouloir prendre
3 l'intercalaire 65 de votre classeur.
4 M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, je devrais peut-être
5 attirer votre attention sur deux éléments.
6 J'aimerais dans un premier temps vous dire que le document n'est
7 disponible qu'en anglais. Nous avons essayé dans le système du prétoire
8 électronique de trouver les documents, il n'y a pas de document anglais.
9 Etant donné qu'il s'agit d'un document extrêmement volumineux et qu'il n'y
10 a que deux ou trois passages très courts qui m'intéressent, je me propose
11 de vous donner lecture ou de donner lecture du texte français à M. Joinet
12 pour que vous puissiez entendre l'interprétation. Nous n'allons pas
13 demander le versement au dossier de ce document.
14 Deuxièmement, nous aimerions attirer votre attention sur le fait que
15 nous n'avons pas pu trouver la date précise sur le document. Sur le
16 document, à proprement parler, mais à l'annexe 2 du document, il y a une
17 lettre qui, je pense, date du 16 janvier 1993. Vous verrez en fait que le
18 document suivant, en fait qui est un document de transmission de ce
19 document porte la date du 12 février 1993, ce qui fait que le document a
20 été préparé à un moment donné entre janvier et février 1993.
21 Q. Donc, Monsieur Joinet, je m'excuse. Est-ce que vous connaissez ce
22 document, et le cas échéant, est-ce que vous pourriez nous expliquer
23 brièvement ce dont il s'agit dans ce document ?
24 R. Oui. Je connais bien ce document qui a été rédigé par une commission
25 d'expert créée par le ministère français des Affaires étrangères, dont j'ai
26 fait partie en tant qu'expert des Nations Unies comme un expert "sachant,"
27 si je puis dire, qui était présidée par un très haut magistrat, un très
28 grand magistrat français qui avait présidé les affaires de crimes contre
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1 l'humanité. Bien. L'idée des autorités françaises c'était, comme d'autres
2 pays; nous étions en liaison avec l'Italie, entre autres, de contribuer à
3 la réflexion et faire des propositions au secrétaire général à l'intention
4 des autorités compétentes, en l'espèce, le Conseil de sécurité, puisque
5 l'idée était de créer pour la première fois dans l'histoire, si je mets à
6 part Nuremberg, de créer un tribunal international qui était en quelque
7 sorte pionnier, comme le vôtre. Là, on ne pouvait plus dire qu'il
8 s'agissait d'un tribunal de vainqueurs sur les vaincus, ce qui était un
9 débat pour le tribunal de Nuremberg. D'où l'importance de réussir cette
10 démarche pionnière et c'était une des contributions parmi d'autres pour que
11 ce tribunal se mette en place dans les meilleures conditions possibles de
12 faisabilité.
13 Q. Monsieur Joinet, je vais vous demander de ralentir votre rythme pour
14 les interprètes. Je vais peut-être vous poser une question de suivi pour ne
15 pas trop perdre de temps.
16 Est-il exact, Monsieur Joinet, que dans votre rapport, vous aviez
17 recommandé l'établissement de ce tribunal; est-ce exact ?
18 R. C'est exact.
19 Q. J'aimerais donc que vous preniez la page 25 de ce rapport que vous avez
20 préparé avec vos collègues et j'aimerais vous donner lecture d'un passage,
21 page 25. Il s'agit du premier paragraphe qui commence par les mots suivants
22 : "En deuxième lieu;" est-ce que vous pouvez voir ?
23 R. [aucune interprétation]
24 Q. Je vais en donner lecture pour les anglophones.
25 "Deuxièmement, ce n'est pas raisonnable d'admettre devant le Tribunal la
26 constitution de parties civiles qui entraînerait un flot de demandes que la
27 juridiction internationale ne serait pas en mesure de traiter utilement. Il
28 semble préférable de poser le principe selon lequel il appartiendra aux
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1 tribunaux nationaux, sur les demandes de réparations des victimes ou de
2 leurs ayant droits."
3 Est-ce que vous pourriez nous expliquer brièvement comment se fait-il que
4 cette suggestion ait été présentée et pourquoi est-ce qu'elle a été
5 présentée dans le rapport ?
6 R. C'est un des points qui a donné lieu aux discussions les plus
7 importantes entre nous; il y avait deux tendances : une première, je
8 l'appellerais celle des légalistes pragmatiques et l'autre, les légalistes
9 à principes. Les légalistes pragmatiques partaient de l'idée suivante : ce
10 Tribunal, comme je l'ai dit tout à l'heure, à une démarche pionnière; il
11 faut donc qu'il y ait le maximum de conditions pour qu'il réussisse. Il a
12 semblé donc à cette tendance qu'il serait prématuré, l'ennemi, le mieux
13 étant l'ennemi du bien, d'admettre dès cette première juridiction
14 internationale la constitution, parties civiles et [imperceptible],
15 critique des ONG, vous pouvez vous en douter.
16 En revanche, la deuxième tendance des légalistes de principes, si je puis
17 dire, estimait qu'un procès équitable supposait que la victime puisse être
18 partie au procès, grand débat, ce qui l'emportait, c'était finalement le
19 pragmatisme, toujours pour la même idée. Ce Tribunal, qui est un tribunal
20 ad hoc, ouvre la voie des pionniers. Il faut mettre toutes les conditions
21 de sa réussite, et là, si vous permettez l'expression, admettre la
22 constitution parties civiles serait trop charger la barque.
23 Je dois dire, je peux avouer que, dans un premier temps, j'étais pour les
24 légalistes, mais en phase finale, j'étais pour le pragmatisme, l'idée étant
25 que le temps permet de voir à l'expérience, si un jour la partie civile
26 peut être admise sous une forme ou une autre, et je crois d'ailleurs que
27 c'est la démarche que suit maintenant la Cour pénale internationale. Mais
28 ça aurait été prématuré de le faire.
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1 Q. Je vais revenir, dans un petit moment, à -- au sort, en fait, réservé à
2 ce rapport, mais avant de ce faire, Monsieur Joinet, est-ce que vous
3 pourriez me dire si ce modèle, pour l'appeler de la sorte, ce modèle, donc
4 qui est proposé dans votre rapport, signifiait, dans la pratique, que pour
5 permettre aux victimes d'obtenir une compensation ou une réparation plutôt
6 devant des tribunaux nationaux, il faudrait, en fait, qu'ils aient accès à
7 une information qui leur permettrait justement de demander cela; est-ce que
8 cela exact ?
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le seul problème que j'ai, c'est que
10 vous posez des questions très directrices au témoin.
11 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président. Je
12 vais essayer de reformuler la question.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, parce que vous lui avez déjà
14 soufflé la réponse, en fait.
15 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, je vous remercie, Monsieur le
16 Président.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.
18 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
19 Au fait, j'ai une autre préoccupation. Ce n'est -- enfin, un peu les
20 questions directrices, mais autre chose, car je dois dire que j'ai le plus
21 grand respect pour ce témoin éminent et nous parlons essentiellement d'un
22 rapport qui a été, en fait, à l'origine de la création de ce Tribunal. Je
23 vois très bien la ligne qui va être suivie par mon estimé confrère qui va
24 vouloir jeter une passerelle entre le rapport et le Tribunal. Mais je me
25 permets de poser une question. Si mon estimé confrère veut verser au
26 dossier ce rapport, il n'y a absolument aucune objection.
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, j'ai posé cette question à
28 votre estimé confrère au début -- dès le début, j'ai posé la question. Il a
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1 dit qu'il souhaitait poser des questions au témoin. Voilà.
2 M. METTRAUX : [interprétation] Mais, écoutez, je vais reformuler la
3 question, Monsieur Joinet.
4 Q. Mais j'aimerais savoir s'il y a eu des discussions ou si vous avez
5 envisagé, dans le contexte, de cette sous-commission la possibilité donnée
6 aux victimes d'obtenir devant les tribunaux nationaux une compensation et
7 une réparation ? Le cas échéant, quelles ont été ces considérations ?
8 R. La question est complexe, mais je vais essayer d'être bref.
9 Qu'est-ce que l'on met dans le concept réparation ? La réparation, elle est
10 certes matérielle, indemnisations, mais l'expérience montre que la vraie
11 réparation de la victime, c'est aussi de connaître la vérité et je
12 distingue bien la vérité, le droit à la vérité, le droit à la justice. Là
13 où c'était exemplaire, c'est tout le travail que je dois faire sur les
14 disparitions forcées. J'ai présidé le groupe qui a rédigé le projet de
15 convention -- l'avant-projet de convention. Une famille de disparus
16 aimerait savoir ce que les auteurs soient condamnés, mais avant tout, elle
17 veut connaître la vérité. Elle veut savoir où est le corps, comment c'est
18 arrivé, et par conséquent, il y a deux formes de réparations, la réparation
19 morale et la réparation matérielle. L'absence de réparations matérielles ne
20 fait qu'ajouter la pauvreté à la misère, si je puis dire, parce que
21 souvent, ce sont des personnes démunies.
22 Concrètement, la nécessité de donner réparation, à partir du moment où on
23 ne peut pas être constitué partie civile devant la juridiction, impliquait
24 que ce soit devant la juridiction nationale. Il reste le problème dans le
25 droit, un procès équitable, égalité des armes. Est-ce que la victime aura
26 autant de possibilités de prouver devant la juridiction nationale que si
27 elle avait été admise devant la juridiction internationale ? C'est un débat
28 juridique qui a des conséquences humaines très importantes. C'est des
Page 261
1 termes du débat, mais je ne suis pas là, je crois, pour faire ouvrir un
2 débat juridique sur cette question qui est posée par le fonctionnement
3 d'une juridiction internationale devant lesquelles il ne peut pas y avoir
4 de partie civile. Il y a un risque, pour bien résumer, que le procès
5 devienne inéquitable dans sa phase réparation devant la juridiction
6 nationale puisqu'on opposera la confidentialité des preuves.
7 Q. Alors, je vais enchaîner sur ce que vous venez de dire. Est-ce que la
8 restriction à la libre circulation d'informations qui dessert l'intérêt
9 public, à votre avis, entrave le droit et l'aptitude des victimes à obtenir
10 justement des réparations devant les tribunaux nationaux ?
11 R. Entrave, en termes de droit de la preuve, si la circulation ne se fait
12 pas et qu'elles n'ont pas accès aux preuves. Mais même sans aller jusque-
13 là, la réparation au sens matériel, c'est toujours le problème de la
14 réparation par l'établissement de la vérité. Si, par conséquent, vous avez
15 des limitations excessives, on ne pourra pas satisfaire cette
16 [imperceptible] de la vérité en tant que forme de réparation morale pour la
17 victime.
18 Ce point est d'autant plus important devant les juridictions
19 internationales que, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai constaté dans
20 des missions de l'IST [phon], qu'il y a de témoins que des victimes ou
21 presque. Les autres témoins sont les auteurs. Or, il se trouve que, pour
22 l'administration internationale de la justice, les témoins que l'on entend
23 sont très souvent - ça n'est pas mon cas, fortement heureusement - sont
24 très souvent des anciennes victimes. Donc il y a cette difficulté. La
25 victime, qui est convoquée devant un Tribunal international comme témoin et
26 qui ne se voit pas convoquer comme victime, ce qui créé effectivement une
27 difficulté, et par conséquent, le débat, ce qui a provoqué ce débat même au
28 sein de la Commission Mazowiecki.
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1 Q. Alors nous allons nous éloigner de ce rapport, Monsieur Joinet, mais
2 est-ce que vous pourriez nous indique toutefois à qui est-ce que ce rapport
3 a été envoyé - je pense au rapport donc de votre "Comité de Réflexion" ?
4 R. Il a été adressé au secrétaire général des Nations Unies, à toutes fins
5 utiles comme cela a été le cas pour d'autres pays qui apportaient les
6 contributions. C'est le secrétaire général qui avait sollicité des Etats
7 membres de contribuer à la mise en place de ce tribunal, par leurs
8 réflexions.
9 M. METTRAUX : [interprétation] Je dirais tout simplement qu'il s'agit de
10 l'intercalaire 69, mais je ne fais examiner ce document.
11 Q. Je souhaiterais, Monsieur Joinet, que vous vous référiez à
12 l'intercalaire 67 bis pour la version française du document et 67 pour la
13 version anglaise.
14 Est-ce que vous pourriez me dire, dans un premier temps, bon, vous pouvez
15 voir qu'il s'agit d'une résolution du Conseil de sécurité du 25 mai 1993,
16 la Résolution 827, pour être plus précis; est-ce que vous connaissez ce
17 document ?
18 R. Bien entendu.
19 Q. Alors j'aimerais vous demander de bien vouloir étudier le paragraphe 6
20 de ce document, qui se trouve à la deuxième page.
21 R. Oui.
22 Q. Je vais vous en donner lecture. Voilà ce qui est écrit :
23 "Le Conseil de sécurité décide également que le travail du Tribunal
24 international sera effectué sans préjudice aux droits des victimes qui
25 voudront, par les moyens appropriés, obtenir des compensations pour les
26 dégâts encourus à la suite de violations du droit international
27 humanitaire."
28 Vous le voyez ? Est-ce que vous pourriez me dire si cette conclusion, si je
Page 263
1 peux me permettre de parle de conclusion ou de constatation de la part du
2 Conseil de sécurité, est conforme à la proposition ou à la recommandation
3 que vous aviez présentée au nom d votre comité ?
4 R. Si je comprends bien la question, ma réponse serait de dire que cela
5 peut paraître ou ne peut pas paraître tout à fait conforme en ce sens que
6 nous avons préconisé que la constitution de -- civile ne soit pas possible,
7 mais ne soit pas possible devant la juridiction internationale; nous
8 n'avons pas dit qu'elle devait avoir lieu nulle part d'où le renvoi la
9 juridiction nationale. Je pense que si l'on veut appliquer à la lettre,
10 enfin de manière légale, si je puis dire, la rédaction de ce paragraphe 7,
11 il faut admettre une réparation. Tout l'enjeu, je connais bien les nuances
12 onusiennes dans le langage c'est la -- par des moyens appropriés. Alors on
13 peut très bien soutenir que le fait de renvoyer à la juridiction nationale
14 c'est un moyen qui est approprié par rapport à les difficultés qui seraient
15 inondées votre Tribunal de trop de demandes. On peut considérer que le
16 moyen approprié ce sert de constituer partie civile devant le Tribunal
17 international, mais de manière à adapter pour éviter cet inconvénient, ce
18 que fait d'ailleurs actuellement la CPI.
19 Mais on ne doit pas prendre cette évolution devant la Chambre de première
20 instance comme un critique de la position fragmatique [phon] qui est
21 arrêtée pour ce Tribunal, pionner, je répète le mot, parce que la CPI
22 plus profité de l'expérience de la vôtre, celle du Tribunal d'Arusha, pour
23 avoir peut-être un meilleur processus d'indemnisation avec des moyens plus
24 appropriés, parce que l'expérience a permis de progresser.
25 Q. je vous remercie, Monsieur Joinet. Je pense que vous avez répondu à
26 toutes les questions que je vous ai posées à propos de ce document, et
27 j'aimerais passer à autre chose.
28 Car j'aimerais vous poser quelques questions à propos de vos liens avec Mme
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1 Hartmann. Dans un premier temps, j'aimerais savoir si vous la connaissez,
2 personnellement, Mme Hartmann ?
3 R. Je ne sais pas comment la phrase est en anglais, en français je le
4 connais pas personnellement, mais professionnellement, puisque j'ai fait sa
5 connaissance sur le terrain, en ex-Yougoslavie, lorsque j'étais co-
6 rapporteur adjoint de M. Mazowiecki.
7 Q. Est-ce que vous vous souvenez dans quelles circonstances vous avez
8 rencontré Mme Hartmann en ex-Yougoslavie ?
9 R. Je l'ai rencontrée, ça rejoint un peu ce que j'ai dit tout à l'heure
10 sur le rôle de la presse, je l'ai rencontrée dans les mêmes conditions que
11 j'ai rencontré d'autres journalistes dans d'autres pays où j'avais d'autres
12 missions. Le paradoxe dans des enquêtes difficiles de cette situation dans
13 les contacts avec la presse, je ne parle pas des services de communication
14 de l'ONU, je parle de l'enquêteur vis-à-vis d'un journaliste, c'est
15 d'habitude les journalistes, ils essaient de savoir --
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, ralentissez. Monsieur,
17 ralentissez votre rythme pour les interprètes.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Veuillez m'excuser.
19 L'usage c'est que le journaliste essaie d'obtenir des informations de
20 l'enquêteur, et dans ces situations, c'est souvent l'enquêteur, et c'était
21 mon cas par rapport à cette dame, qui lui posait des questions, car quand
22 nous sommes arrivés avec M. Mazowiecki, [imperceptible] si vous me
23 permettez l'expression, yougoslave était énorme, les parcelles de terrain
24 qui étaient sous telle influence ou telles autres, il y avait les forces
25 paramilitaires, je me souviens quand j'ai enquêté sur M. Arkan, qui est
26 décidé, ou M. Seselj, il y avait un besoin de connaître, exactement enfin
27 avec le plus de précision possible quel était tout ce puzzle. Là, Mme
28 Hartmann, l'autre journaliste aussi, réputée pour avoir une bonne
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1 connaissance de la situation dans la région, c'est un peu de cette manière
2 qu'elle a contribué à nos investigations donc des conversations de cet
3 ordre.
4 Q. Brièvement, peut-être que saviez-vous de la réputation de Mme Hartmann,
5 que saviez-vous de sa réputation professionnelle en tant que journaliste,
6 ou de sa réputation en tant que personne ? Est-ce que vous pourriez nous le
7 dire brièvement ?
8 R. Il m'est difficile de répondre. C'était une relation professionnelle,
9 et pas personnelle, donc je ne la connais pas au-delà de cette approche
10 professionnelle. Simplement M. Mazowiecki m'avait demandé un peu de me
11 renseigner et elle était à l'époque, je crois, pas envoyée spéciale mais
12 correspondante dans l'un des plus grands journaux français, qui était le
13 journal "Le Monde." Donc on pouvait en déduire que si ce journal l'avait
14 envoyée, elle avait des capacités et une honnêteté professionnelle
15 probablement établies. En tout cas, c'était mon sentiment.
16 Q. Puisque nous avons mentionné le journal "Le Monde, j'aimerais vous
17 demander de prendre l'intercalaire 68 de votre classeur.
18 Où vous trouverez une traduction de ce document d'ailleurs à l'intercalaire
19 68 bis.
20 Monsieur Joinet, il s'agit d'un article du journal "Le Monde, qui est
21 intitulé : "Mauvais procès à La Haye." Vous l'avez trouvé ?
22 R. [hors micro]
23 Q. Vous voyez que c'est un article qui est paru dans l'édition du 28
24 décembre 2008; est-ce que vous connaissez ce document ?
25 R. [hors micro]
26 Q. Est-ce que vous en êtes un des auteurs, ou est-ce que vous êtes l'un
27 des co-auteurs ou des signataires de ce document ?
28 R. Je ne suis pas un co-auteur, mais je suis devenu signataire à la
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1 condition qu'on introduise une phrase, et je peux vous lire. C'est la
2 phrase :
3 "Nous estimons, au contraire, que la justice internationale, dont nous
4 avons toujours défendu la mission, se renforcera dans son combat contre
5 l'impunité en favorisant la plus large réflexion sur son rôle et son
6 fonctionnement. Il y va de sa crédibilité."
7 Cette phrase est de moi, et elle est inspirée par les dix années pendant
8 lesquelles j'ai travaillé sur ce rapport sur la lutte contre l'impunité que
9 m'avait demandé la commission et dans lequel, dans ce rapport, j'insiste
10 sur l'importance de juridiction internationale, et notamment le rôle
11 d'exemplarité par rapport aux auteurs de violations [imperceptible].
12 Q. Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez nous expliquer pourquoi vous
13 avez estimé qu'il fallait que vous signiez un article qui critiquait en
14 fait le procès intenté à Mme Hartmann ? Est-ce que vous pourriez nous
15 fournir une explication rapide à ce sujet ?
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.
17 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
18 Je pense que je dois être un peu plus précis ou préciser mon
19 observation précédente qui était assez générale. Je pense que mon estimé
20 confrère essaie de demander au témoin ou essaie de poser au témoin des
21 questions relatives à un article qui critique ce procès, et je dois dire
22 que je ne comprends absolument pas la pertinence de cette question. Donc je
23 soulève une objection à cette question qui vient d'être formée.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.
25 M. METTRAUX : [interprétation] Manifestement, l'article est tout à fait
26 pertinent, car c'est un article qui indique le point de vue de ce témoin
27 vis-à-vis du procès et il en va de sa crédibilité en tant que témoin,
28 d'ailleurs. Nous n'essayons pas d'établir si M. Joinet a tort ou a raison,
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1 mais nous essayons plutôt d'établir quelles ont été ses raisons à apporter
2 sa contribution à cet article. Nous pensons en fait que les observations
3 qui sont faites dans l'article sont importantes. Nous voulons savoir,
4 également, sur quelle base ces observations ont été faites.
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Objection retenue.
6 M. METTRAUX : [interprétation]
7 Q. Je vais aborder la teneur, et je ne vais pas vous demander pourquoi
8 vous l'avez signé, Monsieur Joinet, ce document. Mais j'aimerais quand même
9 vous demander de prendre en considération la première page.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pendant qu'il cherche la première page
11 --
12 M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse. Je vais chercher la traduction
13 anglaise.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais c'est la version anglaise que
15 j'ai. Vous voyez, il est indiqué : "Le Monde, mauvais procès à La Haye,
16 point de vue." Est-ce que c'est une traduction exacte du français ?
17 M. METTRAUX : [interprétation] Non, pas tout à fait. En fait, il faudrait
18 qu'il y ait "point de vue."
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais qui a fait la traduction ?
20 M. METTRAUX : [interprétation] C'est une traduction du CLSS. Mais je pense
21 que c'est une coquille, probablement. Il faudrait qu'il y ait "point de
22 vue" en anglais.
23 Q. Monsieur Joinet, j'aimerais attirer votre attention sur la deuxième
24 phrase du troisième paragraphe de cet article. Il s'agit de Mme Hartmann et
25 voilà ce qui est indiqué :
26 [en français] "-- qui décidèrent de restreindre l'accès aux archives de
27 Belgrade, y compris aux victimes."
28 [interprétation] Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cela est pertinent
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1 pour vous, pourquoi vous avez voulu attirer l'attention sur le fait qu'elle
2 avait décidé d'évoquer ce que les Juges avaient dit ou avaient motivé ?
3 Pourquoi est-ce que cela a une pertinence pour vous ?
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.
5 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
6 Même objection qu'auparavant. Cela n'a aucune pertinence par rapport
7 aux faits définis par l'ordonnance tenant lieu d'acte d'accusation, et je
8 ne vois pas très bien où tout cela va nous mener.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.
10 M. METTRAUX : [interprétation] Mon confrère ne cesse de soulever des
11 objections, mais je dirais qu'il s'agit de déclarations qui ont été
12 présentées par un magistrat honorable qui a adopté un point de vue par
13 rapport à cette affaire. Ce que nous allons présenter, Monsieur le
14 Président, entre autres, c'est le caractère raisonnable du point de vue
15 adopté par M. Joinet, point de vue qui, à l'époque d'ailleurs, a été
16 partagé par Mme Hartmann. Bien entendu que cela découle de notre mémoire,
17 et je pense que mon confrère intervient sans cesse et essaie de s'immiscer
18 dans ce que je veux dire.
19 Par exemple, la raison pour laquelle nous avons mentionné la résolution du
20 Conseil de sécurité, la Résolution numéro 827, et mon collègue m'a
21 interrompu avant que je ne puisse le mentionner, c'est parce que justement
22 il était mentionné par Mme Hartmann, dans son livre, dans les pages
23 contestées, et elle cite précisément les paragraphes qu'il faut lire pour
24 étayer son point de vue suivant lequel elle agissait en toute légalité.
25 Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire préalable au procès, nous
26 adoptons la position suivant laquelle cette interprétation n'est pas
27 exacte, et nous n'avons pas essayé de suggérer que l'ordonnance qui a été
28 octroyée était illicite. Ce que nous indiquons dans notre mémoire, c'est
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1 que le point de vue adopté par Mme Hartmann à l'époque était tout à fait
2 raisonnable. Ce n'est pas un point de vue qui n'était pas raisonnable.
3 Ce que nous souhaitons faire et demander à M. Joinet pour le moment, c'est
4 pourquoi les affirmations et déclarations que l'on retrouve également dans
5 le livre de Mme Hartmann peuvent être considérées par une personne
6 raisonnable comme des éléments raisonnables.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, oui, mon problème
8 c'est qu'il y a une objection qui a été soulevée par rapport à ce document.
9 Vous avez répondu à l'objection à propos de la Résolution 827, en disant
10 qu'il s'agit d'un document sur lequel vous basez vos arguments. C'est pour
11 cela que je ne comprends pas.
12 M. METTRAUX : [interprétation] Mais j'essaie de dire --
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Moi, ce que je ne comprends pas c'est
14 la pertinence de votre réponse par rapport à l'objection.
15 M. METTRAUX : [interprétation] Je vais prendre cette phrase, justement. Il
16 y a deux questions mentionnées dans ce paragraphe. Dans un premier temps,
17 est-ce que la motivation des magistrats est quelque chose qui pourrait
18 aboutir à une entrave à la liberté d'expression d'une personne avec
19 l'outrage au Tribunal en l'occurrence, et cela fait partie, en fait, de la
20 procédure outrage au Tribunal. Nous avons déterminé cela lors de
21 l'interrogatoire ou du contre-interrogatoire de la déposition de M.
22 Vincent, en fait.
23 Deuxièmement, et c'est la deuxième partie de la phrase, il ne faut
24 pas oublier les victimes, car c'est quelque chose qui est mentionné dans
25 les pages contestées justement, les pages contestées envisagées par M.
26 MacFarlane et par l'article en question.
27 Ce que nous essayons de faire c'est d'aborder quelque chose qui n'a
28 toujours pas été soulevé jusqu'à présent. Car le principe de la liberté
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1 d'expression qui est en jeu ne se limite pas seulement aux droits de notre
2 client à communiquer des informations. Mais ce que nous allons avancer à la
3 fin de la présentation des moyens à décharge c'est que la limite qui
4 émanera d'une condamnation pour outrage au Tribunal sera une infraction
5 très nette aux droits des victimes qui ont le droit de recevoir
6 l'information et qui ont le droit de discuter librement ces faits. Nous
7 allons reprendre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
8 l'homme que nous allons utiliser pour considérer les intérêts des victimes
9 qui ne doivent pas être frustrées par une condamnation --
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous présenterez ces arguments à la
11 fin de vos moyens à décharge.
12 M. METTRAUX : [interprétation] Je voulais juste être exhaustif.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous pouvez vous en tenir aux
14 faits. Si vous persistez à demander son point de vue, au témoin, vous le
15 transformez en témoin expert. Il peut confirmer ce qui est indiqué dans le
16 document, il peut dire qu'effectivement cela est indiqué dans le document,
17 et c'est tout. Lui demander son point de vue, lui demander son opinion, en
18 fait c'est le transformer en témoin expert.
19 M. METTRAUX : [interprétation] Ce n'est absolument pas ce que j'essaie de
20 faire, et je vais reformuler mes questions pour ne pas lui demander son
21 avis ou son opinion. J'essayais tout simplement d'établir la base de ce
22 document. Mais je vais passer à autre chose.
23 Q. Justement à propos de cette phrase, pour nous en tenir à des questions
24 ou des éléments factuels, est-ce que vous pourriez me dire quelles furent
25 les considérations qui vous ont poussé à inclure cette déclaration ou cette
26 phrase dans cet article ? Est-ce que vous pourriez nous le dire, Monsieur ?
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, mais quelle est la
28 pertinence de ses considérations ? Parce que vous voulez verser ce document
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1 au dossier comme pièce à conviction, c'est votre intention. Si telle est
2 votre intention, nous allons prendre en considération ce à quoi pensait le
3 témoin par rapport à ce document.
4 M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons
5 l'intention d'utiliser les déclarations de cet article pour vous indiquer
6 que le point de vue présenté par l'article est un point de vue raisonnable
7 et M. Joinet peut nous aider à comprendre cela. Il peut nous aider à le
8 comprendre de façon juridique. Mais pour ce faire, il faut que nous
9 demandions à M. Joinet quelles furent les considérations qui ont été
10 présentées pour l'article ici; sinon, tout ce que nous pourrons faire,
11 c'est indiquer quelles sont les observations qui ont été faites, ni plus ni
12 moins. A moins que la Chambre ne nous autorise à poser des questions au
13 témoin - et nous n'aurons pas la possibilité de le faire à la fin de la
14 présentation des moyens à décharge - mais ce que nous voulons en fait
15 déterminer, c'est le caractère raisonnable de ces déclarations.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous êtes en train de nous dire que le
17 caractère raisonnable de cette déclaration ne vous a pas été communiqué ?
18 M. METTRAUX : [interprétation] A moins que notre confrère accepte que tout
19 ce qui est écrit dans l'article est raisonnable et peut être considéré
20 comme un point de vue raisonnable par une personne raisonnable telle que
21 notre cliente, si M. MacFarlane est disposé à accepter cela, nous pouvons
22 passer à autre chose et oublier ce document.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais il ne nous appartient pas. Il
24 n'appartient pas aux Juges de demander à M. MacFarlane ce qu'il pense du
25 caractère raisonnable de ce document, mais il faut savoir si ce que vous
26 faites est raisonnable et pertinent en l'espèce.
27 M. METTRAUX : [interprétation] J'espère être raisonnable et je pense l'être
28 d'ailleurs également.
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1 Comme je vous l'ai indiqué il y a un petit moment, il n'y a pas
2 accord entre les parties à propos d'un grand nombre de faits. Ce que nous
3 avons l'intention de déterminer, Monsieur le Président, c'est qu'il y a
4 tous ces éléments de désaccord, mais il y a également un dénominateur
5 commun en l'espèce, notamment cette question et notamment d'autres
6 déclarations que l'on trouve dans cet article.
7 Ce que nous voulons faire, Monsieur le Président, c'est vous
8 convaincre que ce point de vue, qui était partagé à l'époque par Mme
9 Hartmann et qui fait partie du fond de notre affaire, pourrait être adopté
10 par la Chambre comme une base d'acquittement pour Mme Hartmann. A moins que
11 nous ne soyons autorisés à établir et déterminer le caractère raisonnable
12 de ce point de vue, nous ne pourrons pas le faire.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais vous poser une toute dernière
14 question. Après cela vous pourrez poser vos questions.
15 Est-ce que vous pensez que l'on reproche à Mme Hartmann un caractère non
16 raisonnable ?
17 M. METTRAUX : [interprétation] C'est ce que je pense, très franchement,
18 Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Si c'est votre point de vue.
20 Poursuivez.
21 M. METTRAUX : [interprétation] Merci.
22 Q. Monsieur Joinet, je vais revenir à cette phrase. Donc je vous redonne
23 lecture.
24 [en français] -- "qui décidèrent de restreindre l'accès aux archives
25 de Belgrade, y compris aux victimes."
26 [en anglais] Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez nous expliquer
27 la base de ces affirmations et observations qui se trouvent dans l'article
28 que vous avez co-signé ?
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1 R. Ce dont j'ai pu témoigner de la connaissance de l'affaire, c'est
2 qu'il n'était pas reproché à Mme Hartmann d'avoir révélé des faits, des
3 noms, des preuves. Le but, je suppose, de l'autorité serbe, c'était que
4 précisément reste confidentiel le contenu, si je puis dire. Ce qui est
5 écrit ici, c'est qu'elle n'a pas dévoilé de noms, et cetera, elle a
6 simplement discuté les motivations des magistrats, c'est-à-dire le
7 contenant et pas le contenu, si vous me permettez l'expression.
8 Bien évidemment, si les motivations elles-mêmes, l'argumentation
9 juridique doivent être confidentielles, c'est un risque grave pour le
10 contrôle de la légalité, pas d'apostrophe. Légalité. Il faut bien que l'on
11 sache quelle est la raison qui conduit à ça. Je ne sais pas dans le système
12 du Tribunal, mais par exemple, en France, si on déclare un huis clos pour
13 une audience, on doit motiver la raison pour laquelle le huis clos est fait
14 et on doit le faire publiquement.
15 Donc on peut critiquer l'argumentation juridique dès lors que ça ne touche
16 absolument pas les preuves que veut préserver dans la confidentialité
17 l'auteur des violations, en l'espèce la Serbie. C'est cela qu'on a voulu
18 dire. Alors la petite phrase, y compris aux victimes, est la conséquence de
19 ce que je viens de dire, parce que si on ne communique pas, ça inclut la
20 non-communication aux victimes, et c'est la discussion que j'ai eue tout à
21 l'heure, conséquence sur l'équité du procès si la victime n'a pas accès à
22 certains éléments de preuve, surtout dans le cas des violations graves, des
23 violations de masse, comme on dit.
24 Q. Peut-être qu'avant que je ne vous montre un autre document, Monsieur
25 Joinet, j'aimerais vous poser une question. Vous avez été magistrat en
26 France pendant 40 [comme interprété] ans, et lors de vos 25 ans de travail
27 auprès des Nations Unies, est-ce que vous avez jamais été informé d'une
28 affaire où une personne aurait été condamnée pour avoir communiqué le
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1 raisonnement d'une Chambre ? Est-ce que vous êtes informé d'un tel exemple
2 ?
3 R. Non, je n'ai pas connaissance de cas de ce type.
4 Q. J'aimerais vous demander de bien vouloir prendre l'intercalaire 68 ter
5 de votre classeur.
6 Je vous dirais qu'il s'agit du document numéro 9 sur la liste d'articles 65
7 ter.
8 Monsieur Joinet, nous allons brièvement voir les éléments généraux.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lorsque vous dites "numéro 9 de la liste
10 65 ter," qu'entendez-vous ? Quelle page ? De quoi s'agit-il ?
11 M. METTRAUX : [interprétation] Non, cela fait partie de votre classeur. Il
12 s'agit --
13 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
14 M. METTRAUX : [interprétation] Voilà, c'est cela, Monsieur le Président. Je
15 me contentais tout simplement de donner à la greffière d'audience la cote
16 65 ter.
17 Q. Vous avez trouvé ce document, Monsieur Joinet ? Il s'agit en fait d'une
18 information mise à jour TPIY pour le 20 mai 2008. Vous l'avez trouvée ?
19 R. [hors micro]
20 Q. Je vais vous donner lecture du passage, parce que nous n'avons pas la
21 traduction française, mais je vais vous dire ce dont il s'agit. Le titre du
22 document est comme suit : "Appel de la part d'un ancien Procureur pour une
23 réforme du Tribunal."
24 "Sir Geoffrey Nice dit lors d'un colloque de l'IWPR que le TPIY devrait
25 étudier à nouveau ses procédures relatives à la confidentialité."
26 Puis il y a une description de circonstances. Ensuite, voilà ce qui est
27 indiqué.
28 "Un ancien Procureur, dans le procès de feu le président serbe, Slobodan
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1 Milosevic, a remis en question la politique suivie par le Tribunal
2 international pou l'ex-Yougoslavie (TPIY) en matière d'utiliser des mesures
3 confidentielles pour des documents d'Etat, et ce, du fait de la sécurité
4 nationale."
5 Ensuite, il est indiqué :
6 "Nice a fait part de son expérience en tant que Procureur du TPIY lorsqu'il
7 a pu observer directement comment étaient traités les procès-verbaux des
8 réunions du Conseil de la Défense suprême. Dans ces documents, il est
9 indiqué que l'on pouvait trouver des détails qui auraient pu décrire de
10 façon plus précise la participation de la Serbie aux guerres yougoslaves."
11 Ensuite, il est indiqué :
12 "Les Juges du Tribunal ont octroyé à ces documents le statut
13 confidentiel pendant le procès Milosevic lors d'une audience privée."
14 Puis il est indiqué, deux paragraphes plus bas :
15 "Avec trois autres personnes invitées à participer au débat, Nice a
16 parlé du caractère confidentiel des documents du CDS."
17 J'aimerais vous poser une question à ce sujet, Monsieur Joinet, car
18 il y a en fait un paragraphe, le sixième paragraphe à partir du haut, qui
19 commence par les mots suivants : "Nice a également dit…" et je vais vous
20 en donner lecture :
21 "Nice a également dit que la décision d'octroyer aux documents du CDS
22 un statut confidentiel du fait de 'l'intérêt national vital' de la Serbie
23 n'est pas une raison qui est prise en considération par le Règlement du
24 Tribunal. Le Règlement stipule que la confidentialité ne peut être octroyée
25 qu'en cas de protection de la sécurité nationale."
26 Puis il y a une autre citation qui est attribuée à Sir Geoffrey Nice,
27 et voilà ce dont il s'agit :
28 "Je ne sais pas ce que signifient les 'intérêts nationaux vitaux,' parce
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1 que cela n'a certainement rien à voir avec les intérêts en matière de
2 sécurité nationale."
3 Alors, Monsieur, au terme de cet article, est-il exact de dire que Sir
4 Geoffrey --
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous êtes en train de
6 témoigner maintenant, Maître Mettraux ? Je pense que vous devez poser la
7 question au témoin : d'après lui, à quoi fait référence Sir Geoffrey ?
8 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président.
9 Q. A quoi fait référence Sir Geoffrey dans cet article ? De quoi parle-t-
10 il ?
11 R. Permettez juste une seconde, pour que j'intègre bien la version
12 anglaise de M. Nice. Je pense que cette discussion que pose l'auteur, ce M.
13 Nice, je crois, c'est une discussion sur une argumentation juridique. Il ne
14 parle pas, apparemment, ni des faits confidentiels. Il discute d'un
15 problème de qualifications. En d'autres termes, il y a deux thèses qui
16 s'affrontent dans sa tête. Ce qui justifie la confidentialité et le concept
17 d'intérêt vital de la nation ou il y a un autre concept qui est le concept
18 de protection de la sécurité nationale. Puis, si je comprends bien dans mon
19 mauvais anglais, pardonnez-moi, il se réfère aux règlements. Son propos
20 revient à dire que j'ai une difficulté, parce que je travaille sur
21 l'anglais, n'est-ce pas, que l'intérêt vital national n'est pas un argument
22 prévu dans le statut permettant de restreindre l'accès aux informations ?
23 Le seul concept juridique, c'est celui de protection de sécurité nationale.
24 L'enjeu de ce passage, si je comprends bien la question, et c'est pas pour
25 moi, en tout cas, de savoir si c'est la thèse de l'intérêt vital national
26 qui est fondée ou bien si c'est la thèse de la sécurité nationale, c'est
27 simplement de savoir si on peut discuter de cette argumentation sans porter
28 atteinte à la confidentialité du dossier. C'est comme cela que je le
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1 comprends. Effectivement, cette discussion ne porte absolument pas sur le
2 contenu, mais seulement sur le contenant. C'est une discussion classique de
3 juristes sur deux qualifications qui peuvent être retenues; moi, je retiens
4 celle-ci; vous, vous retenez celle-là. Peu importe ce qui est retenu ou pas
5 en l'espèce, ce qui importe c'est si on a le droit de discuter, si ça n'est
6 pas couvert par la confidentialité, ce que je pense. C'est substantiel au
7 contrôle de la légalité. Si on ne peut pas même évoquer l'argumentation
8 juridique de qualification sans aborder le fond, il faut bien, pour
9 contrôler la légalité, si le texte invoqué est prévu dans le code ou pas,
10 en l'espèce dans le statut ou non.
11 Seul est prévu dans le statut sécurité nationale, pas l'intérêt
12 vital, alors certains juristes pourront dire : oui, mais je soutiens
13 l'interprétation extensive, donc "l'intérêt vital" est contenu dans la
14 sécurité nationale. L'autre dira : non, puisque c'est une limitation, et
15 toute limitation doit être d'interprétation stricte, donc seule la
16 protection de la sécurité nationale peut être admise. C'est une discussion
17 purement d'argumentation juridique, je ne vois pas, évidemment, qu'elle
18 puisse être couverte par la confidentialité.
19 Ce qui importe aux autorités serbes, c'est pas la discussion de la
20 qualification, c'est que restent confidentiels des faits qui entraînaient
21 une violation massive dans une chaîne de décisions.
22 Q. Je vais prendre un petit peu de recul. Partons de l'hypothèse, comme il
23 le faut, que Sir Geoffrey Nice n'avait pas l'intention de commettre un
24 outrage à la cour, semblerait-il d'après cette article, que cette personne
25 extrêmement qualifiée, avocat auprès de la Reine et donc avait une
26 connaissance personnelle de l'affaire Milosevic; est-ce qu'il pouvait
27 débattre en public du raisonnement juridique du Tribunal et penser qu'il ne
28 s'exposait pas une accusation d'outrage à la cour ?
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.
2 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
3 J'hésite une fois à m'exprimer sur ce que dit mon éminent confrère.
4 M. METTRAUX : [aucune interprétation]
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître.
6 Q. Monsieur Joinet, je retire mon argument. J'aimerais que vous passiez à
7 l'intercalaire 62 dans la version anglaise et 62 bis dans la version
8 française.
9 Avez-vous le document devant vous, Monsieur Joinet ? Il s'agit d'une
10 transcription d'une audience publique de la Cour internationale de justice
11 datée 8 mai 2006. Est-ce que vous l'avez trouvée ?
12 R. Oui.
13 Q. [aucune interprétation]
14 R. Oui.
15 Q. [aucune interprétation]
16 R. [interprétation] Oui.
17 Q. Une question factuelle avant de passer aux autres paragraphes.
18 Est-il exact de dire, d'après cette transcription, que la Serbie semblerait
19 divulguer en audience publique devant la CIJ.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Souhaitez-vous changer de place avec
21 le témoin ?
22 M. METTRAUX : [interprétation] Non, pas à ce stade, Monsieur le Président.
23 Merci beaucoup.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Alors, pourquoi vous comportez-vous de
25 cette façon, de façon répétée ?
26 M. METTRAUX : [aucune interprétation]
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Posez des questions au témoin et
28 laissez-le répondre.
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1 M. METTRAUX : [interprétation]
2 Q. Monsieur Joinet, à la première, à la deuxième phrase -- pardon. A la
3 première phrase du paragraphe 58, pourriez-vous me dire à quoi se
4 rapportent ces déclarations du premier représentant de la Serbie ? Pouvez-
5 vous me dire ce sur quoi porte cette déclaration ?
6 R. J'avoue ne pas bien saisir la portée de cette phrase. Elle se réfère à
7 quel document ? Au document de la Cour internationale de justice, verbatim
8 de la Cour internationale de justice ?
9 Q. Alors, peut-être devrais-je vous ramener à la page précédente, si vous
10 voulez bien, Monsieur Joinet. A nouveau, au paragraphe 55 de ce document,
11 où vous verrez que les documents auxquels le représentant de la Serbie fait
12 référence, il s'agit du Conseil suprême de la Défense de la République
13 fédérale de Yougoslavie. Vous voyez cela au paragraphe 55 ?
14 R. Oui, oui.
15 Q. Donc si nous pouvions revenir au paragraphe 58 et la phrase que je
16 viens de vous lire il y a un instant. Pourriez-vous me dire comment vous
17 comprenez cette phrase, à votre avis, à quoi fait référence le représentant
18 serbe ?
19 R. Je crois comprendre que selon le représentant serbe, il y a un intérêt
20 de sécurité nationale qui devrait protéger ces informations et que, par
21 conséquent, on ne peut pas les discuter.
22 Q. Merci, Monsieur Joinet. Pourriez-vous passer au paragraphe 59, à savoir
23 la première phrase :
24 "Madame le Président, sauf tout le respect qu'ils portent à cette honorable
25 juridiction, des représentants de la Serbie-et-Monténégro ne sont pas
26 habilités à l'heure actuelle à débattre du contenu des sections caviardées
27 des documents du Conseil suprême de la Défense --" et ce, pour deux raisons
28 majeures; vous voyez cela ?
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1 R. Oui, c'est exact.
2 Q. Au risque de dire quelque chose d'évident, s'agissait-il du contenu ou
3 le raisonnement de la cour que le représentant de la Serbie ne se sentait
4 pas habilité à aborder ?
5 R. Là, il s'agit, bien évidemment, du contenu. A partir du moment où il y
6 a débat et que la confidentialité s'impose, elle s'impose à toutes les
7 parties en présence, donc y compris un Etat. C'est comme ça que je
8 l'interprète.
9 Q. Toujours au paragraphe 59, il y a un sous-paragraphe 2 où il est dit :
10 "A l'heure actuelle, les sections caviardées des documents du CSD font
11 l'objet de mesures de protection imposées par l'ordonnance du TPIY,
12 ordonnance à laquelle nous sommes tenus de nous conformer."
13 Vous le voyez, Monsieur Joinet ?
14 R. Oui, oui.
15 Q. Puis à la phrase suivante, les représentants de la Serbie-et-
16 Monténégro, comme tels qu'ils étaient à l'époque, fait référence à
17 l'article 77, paragraphe A-2, du Règlement de procédure et de preuve. Puis
18 vous verrez qu'il s'agit d'information liée aux procédures qui peuvent
19 mener à un outrage à la Cour.
20 Monsieur Joinet, pourriez-vous nous dire si d'après vous, dans ce passage,
21 quel était l'objet de l'article 77. Est-ce que c'était le raisonnement de
22 la Chambre ou est-ce que c'était les sections caviardées ?
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.
24 M. MacFARLANE : [interprétation] Ma préoccupation porte sur la même chose.
25 Mon éminent confrère demande au témoin de tenter de faire un commentaire
26 sur une autre personne, dans un autre cadre. Donc je ne vois pas très bien
27 quel est l'objectif.
28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Mettraux.
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1 M. METTRAUX : [interprétation] Bien. Nous verrons cela lorsque nous
2 présenterons nos arguments à la fin de notre plaidoirie.
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître Mettraux.
4 M. METTRAUX : [interprétation]
5 Q. Monsieur Joinet, pourriez-vous passer à l'intercalaire 68 à nouveau. 68
6 bis en français -- Pardon. 68 en français, 68 bis en anglais.
7 A nouveau, il s'agit de l'article que vous avez cosigné. Il y a un passage
8 à la première page de la version française et également à la première page
9 de la version anglaise. Donc troisième paragraphe, dernière phrase, et
10 j'aimerais vous la lire. L'article dit :
11 "Bien après avoir acquitté ses fonctions au Tribunal, faisait en réalité
12 l'objet de controverses publiques dès le 26 février 2007."
13 Monsieur Joinet, comme auparavant, quelle est la raison sous-jacente pour
14 le fait que vous -- qu'a motivé cette déclaration de votre part dans
15 l'article ?
16 R. C'est que c'était en l'état de nos informations, de souligner que la
17 confidentialité qui avait été redonnée était dans les faits, toute
18 relative, puisqu'un débat a été ouvert d'où résultait un certain nombre
19 d'informations qui avaient atténué le degré de confidentialité de ces
20 documents et que, par conséquent, il y avait l'amorce de fait, sinon de
21 droit, du niveau de confidentialité.
22 Q. Pourquoi pensiez-vous que c'était pertinent à cette affaire, l'affaire
23 que vous mentionnez dans l'article ?
24 R. Bien, je répondrai pour faire bref par un exemple que j'ai vécu dans
25 une affaire d'espionnage, par exemple, où la confidentialité est
26 fréquemment évoquée. En l'espèce, il s'agissait brièvement d'un
27 scientifique qui était accusé d'avoir fourni à l'époque à l'Union
28 soviétique, des données scientifiques. Nous avons, en France, supprimé la
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1 Cour sûreté de l'Etat, qui était une cour d'exception. L'affaire est
2 devenue devant une juridiction normale la cour d'assise, et il a pu être
3 prouvé que chacun des documents en réalité avait déjà fait l'objet d'une
4 publication dans la presse spécialisée, scientifique et généralement de
5 diffusion très restreinte d'ailleurs et que, par conséquent, ce qui était
6 couvert par le secret et la confidentialité devant la cour d'exception,
7 Cour sûreté de l'Etat, s'est avéré ne pas l'être, puisqu'on a prouvé qu'il
8 y avait eu publicité de ces informations. C'est un peu la même situation,
9 des informations dans le débat public apparaissent alors que la
10 confidentialité, juridiquement, est établie, mais de facto elle devient
11 relative.
12 Q. J'aimerais maintenant vous demander de passer à la page suivante de ce
13 document.
14 M. METTRAUX : [interprétation] A la page suivante, également, Monsieur le
15 Président, dans la version anglaise, le paragraphe qui démarre en anglais :
16 "As such…"
17 Q. Monsieur Joinet, pourriez-vous regarder dans la version française le
18 deuxième paragraphe, l'avant-dernière phrase. Je vais lire aux fins du
19 compte rendu :
20 "Elle n'a fait qu'exercer son droit de citoyenne et son devoir de
21 journaliste en examinant les tenants et aboutissants d'une cause publique.
22 "Elle a combattu cette prime à l'impunité qu'aurait constitué la
23 dissimulation de faits majeurs relatifs à un génocide."
24 Je vais tout d'abord me tourner sur une question soulignée dans cette
25 partie, la question de "cause publique."
26 Pourriez-vous nous expliquer, Monsieur Joinet, quelle était la pertinence,
27 quel était le fondement, pourquoi avez-vous mentionné cela dans l'article ?
28 R. Bien, le moins qu'on puisse dire, c'était que la crise que subissaient
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1 les peuples d'ex-Yougoslavie donnait lieu à des débats publics quotidiens.
2 Il y avait l'impact de M. Mazowiecki. Moi, j'ai fait deux missions, les
3 deux premières avec lui, mais je crois qu'il en a fait 17, et je me
4 souviens même que lorsque j'ai rédigé mon premier rapport pour M.
5 Mazowiecki, puisque je n'étais que son adjoint, je l'ai rédigé très vite,
6 tellement la situation que j'avais ressentie était atroce. Je le lui ai
7 envoyé, et contrairement aux règles applicables devant la commission, il
8 m'a demandé de le rendre public tout de suite pour alerter la communauté
9 internationale. Son rapport est sorti, à lui, bien par la suite. Donc c'est
10 un peu dans ce cadre que cette phrase doit être resituée. Il y a un débat
11 public, aussi bien citoyens que dans la classe politique et que, par
12 conséquent, ces éléments-là ne peuvent pas être cachés dans un état de
13 droit.
14 Q. Merci, Monsieur Joinet. J'aimerais maintenant que vous regardiez la
15 dernière phrase. Vous l'avez déjà dit aujourd'hui, mais j'aimerais que vous
16 vous tourniez à la dernière phrase de ce paragraphe où vous dites :
17 "Durant cette phase finale et cruciale de son mandat, s'il veut triompher
18 de ses détracteurs durant cette phase finale et cruciale de son mandat, le
19 TPIY doit pleinement s'approprier les principes de transparence, dans la
20 liberté de la presse constitue l'ultime garantie.
21 Pourriez-vous nous expliquer, Monsieur Joinet, quelles étaient les raisons
22 pour lesquelles vous pensez qu'il était important de dire cela dans
23 l'article ?
24 R. Deux raisons à cela : un constat et une opinion personnelle.
25 Un constat, lors de la création de ce tribunal pionnier, j'y tiens
26 beaucoup, il y a eu des contestations, non seulement des Etats qui
27 trouvaient, pour certains, qu'ils étaient allés trop loin, du côté de la
28 société civile, les ONG disant que cela n'est pas allé assez loin, et pour
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1 nous, en tout cas, pour moi, je l'ai dit tout à l'heure, il fallait
2 absolument que ce tribunal pionnier qui n'était pas des vainqueurs sur les
3 vaincus réussisse.
4 La crédibilité du fonctionnement de la justice, en général, est liée non en
5 totalité, mais en partie à la transparence. Vous connaissez tous mieux que
6 moi, puisque mon anglais est très faible, mais le fameux adage qui doit
7 toujours nous guider : "Justice must not only be done, but it must also
8 seek [sic] to be done." Donc c'était cela.
9 La crédibilité de cette juridiction pionnière reposait en partie sur sa
10 transparence; et bien évidemment, la transparence sans intervention de la
11 presse.
12 Ce n'est pas une audience publique qui assure par elle-même la
13 transparence; c'est le "minimum minimorum." Mais si la transparence qu'est
14 l'audience publique, principe fondamental du droit, n'est pas répercutée
15 par les médias, bien, à ce moment-là, c'est la crédibilité qui tombe ou qui
16 s'atténue. A partir du moment où cette transparence positive peut faire
17 apparaître qu'on cache des choses, la crédibilité est encore plus
18 compromise.
19 Donc on en revient toujours au même problème. Liberté d'expression et la
20 règle, elle est fondamentale en ce qui concerne la transparence pour la
21 justice. Des limitations sont possibles, mais à la condition que ces
22 limitations ne soient pas telles que l'objectif à atteindre et la
23 crédibilité sont trop compromis. C'est un peu le droit des traités, le
24 traité de Vienne. Vous avez le droit de faire des réserves, mais il ne faut
25 pas que ces réserves atteignent un degré tel qu'elles vident sa convention
26 de son contenu. Mais vous pouvez limiter la liberté d'expression dans le
27 fonctionnement de la justice, mais pas à un point tel qu'elle vide le
28 tribunal de sa vocation qui est de punir les auteurs de violation de crimes
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1 rares, selon le droit international.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je crois que le moment est venu pour
3 faire une pause.
4 M. METTRAUX : [aucune interprétation]
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] On se retrouve tout à l'heure.
6 --- L'audience est suspendue à 12 heures 02.
7 --- L'audience est reprise à 12 heures 30.
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.
9 M. METTRAUX : [interprétation] -- problème d'interprétation.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous entendons l'interprétation
11 française sur le canal anglais, mais les interprètes pensent que le
12 problème a été réglé.
13 M. METTRAUX : [interprétation] Certainement.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc est-ce que vous pourriez
15 recommencer, Maître Mettraux.
16 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je vous
17 remercie.
18 Q. Monsieur Joinet, juste avant la pause vous étiez en train de parler de
19 transparence, et je voudrais juste vous poser une question de traduction.
20 Vous avez utilisé à plusieurs reprises le terme "crédibilité.".
21 R. [aucune interprétation]
22 M. METTRAUX : [interprétation] Apparemment, le témoin n'entend pas
23 l'interprétation.
24 Q. Est-ce que vous m'entendez maintenant, Monsieur Joinet.
25 R. [aucune interprétation]
26 Q. Donc avant la pause, Monsieur Joinet, je disais que vous étiez en train
27 de parler de transparence, de la transparence de la justice, et vous avez
28 fait plusieurs déclarations à propos de -- et vous avez utilisé un terme,
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1 le terme "crédibilité" du Tribunal. Le terme "crédibilité" a été traduit
2 par le terme "reliability" en anglais. Alors, je ne voudrais surtout pas
3 chercher noise au CLSS, mais est-ce que vous pourriez nous dire ce que vous
4 entendez exactement par le terme de "crédibilité" ou de "reliability,"
5 puisque c'est ainsi que cela était traduit ?
6 R. Je ne vois pas bien la différence, mais je vais essayer d'expliquer.
7 La notion de crédibilité, ce passage est très lié, de mon point de vue, au
8 rôle important de l'exemplarité. Je vais résumer par un exemple, C'était
9 l'époque où j'étais au cabinet du premier ministre, la crise était à son
10 plein. C'était avant Srebrenica. A la fin, le colonel, commandant de
11 cabinet militaire - c'était une réunion de cabinet - on évoque la question
12 de la situation, la FORPRONU, et le chef de cabinet me donne la parole en
13 disant, en plaisantant : Qu'en pense le droit de l'homiste [phon] ? C'est
14 le surnom qu'on m'avait donné en raison de mes fonctions. Le colonel qui
15 commandait le cabinet militaire a répondu à cette boutade de manière très
16 sérieuse, en disant : écoutez, je sors d'une tournée dans le Caucase et les
17 Balkans, et je dois vous dire qu'un certain nombre de responsables
18 militaires commencent à prendre très au sérieux l'existence de ce Tribunal,
19 et que la crainte commence à s'installer d'avoir à rendre des comptes un
20 jour.
21 Il est clair que la justice internationale est nécessairement lente,
22 surtout si elle veut une bonne justice, mais tôt ou tard, il est rare que
23 des violations massives des droits de l'homme demeurent enfouies. Donc
24 cette crédibilité, à partir du moment où la transparence est insuffisante,
25 où on ne peut pas disposer de preuves pour établir la vérité à défaut de la
26 justice, qui vient dans un deuxième temps, la crédibilité est amenuisée et
27 l'exemplarité préventive, qui est aussi le rôle de la justice
28 internationale, ne peut pas accomplir suffisamment son rôle.
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1 C'était cela le sens du mot "crédibilité." J'ignore si cette nuance
2 fondamentale ressort du concept anglais.
3 Q. J'ai entendu quelque chose que vous avez dit, Monsieur Joinet, qui n'a
4 pas été consigné au compte rendu d'audience. Est-ce que vous avez dit quoi
5 que ce soit à propos de la fonction préventive de la justice internationale
6 il y a quelques secondes ? Si vous l'avez dit, est-ce que vous pourriez
7 répéter cette déclaration à propos de la fonction préventive ?
8 R. Oui, il en est de la justice internationale dans ce domaine, comme de
9 la justice en général, et je pense à la justice pénale. L'exemplarité de la
10 peine est, certes, pour punir, mais c'est aussi pour prévenir. Par
11 conséquent, plus s'accroissent les responsables de violations massives,
12 qu'un jour peut-être, il faudra rendre des comptes devant une justice
13 équitable, impartiale et indépendante, c'est-à-dire qui n'est pas une
14 justice de vainqueurs sur les vaincus, joue cet effet préventif. Je pense
15 que plus la justice internationale progresse, plus cet effet sera efficace.
16 C'est en tout cas le vœu que je forme.
17 L'importance, dans le cas particulier, je m'excuse de le répéter, mais le
18 grand espoir vient que le Tribunal pénal sur l'ex-Yougoslavie a un rôle de
19 pionnier.
20 M. METTRAUX : [interprétation] Je vous remercie.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous en avez pour combien de temps
22 encore, Maître Mettraux ?
23 M. METTRAUX : [interprétation] J'ai véritablement écourté mon
24 interrogatoire et j'espère pouvoir terminer en une demi-heure.
25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.
26 M. METTRAUX : [interprétation]
27 Q. Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez, je vous prie, prendre
28 l'intercalaire 72 de votre classeur.
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1 R. Oui.
2 Q. Nous n'avons pas de traduction française, donc il va falloir que je
3 vous donne lecture d'un certain nombre de passages de ce document.
4 Monsieur Joinet, il s'agit d'un article de presse de l'IWPR. Il s'agit en
5 fait du rapport qui porte la date du 17 mai 2005 et le titre de ce document
6 est : "Enquête spéciale : La justice à quel
7 prix ?
8 "Le fait d'autoriser Belgrade à conserver des éléments clés de preuves dans
9 l'affaire Milosevic pourrait avoir des répercussions très graves pour la
10 justice et la réconciliation."
11 J'aimerais vous demander de vous concentrer sur le premier paragraphe du
12 texte du document où il est indiqué ce qui suit :
13 "Le Tribunal de La Haye a autorisé Belgrade à présenter des documents
14 essentiels dans le procès de Slobodan Milosevic à condition qu'ils soient
15 conservés sous pli scellé, en infligeant un camouflé à ceux qui veulent que
16 justice soit faite."
17 Est-ce que vous l'avez vu cela ?
18 R. [hors micro]
19 Q. Puis deux paragraphes plus bas, voilà ce qui est écrit :
20 "Et le manque de transparence signifie que d'autres personnes, qui
21 souhaiteraient utiliser les archives de Belgrade comme moyens de preuve,
22 n'auront pas le droit d'y avoir accès.
23 Je vous prie de bien vouloir tourner la page, page 2, je vous prie,
24 deuxième paragraphe, voilà ce qui est écrit :
25 "Mais le prix qui a été payé a été très fort. Le gouvernement serbe a
26 obtenu que des documents essentiels qui auraient pu exposer la
27 participation de Milosevic dans la guerre en Bosnie doivent rester
28 confidentiels dans le cadre de la mesure appelée - entre guillemets -
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1 'mesures de protection'."
2 Je vous demanderais maintenant de prendre la page 3 du document. A la page
3 3, il y a un paragraphe où on vous donne le détail de ces documents :
4 "Les documents qui bénéficient maintenant d'un statut protégé au
5 Tribunal sont connus pour contenir des références à la participation du
6 régime pendant la guerre de Bosnie. Les documents les plus importants font
7 référence aux activités de l'organe politique et militaire supérieur de
8 l'Etat yougoslave de l'époque, à savoir le Conseil de la Défense suprême,
9 le Conseil de sécurité, entre 1992 et 1999."
10 Je vais vous demander de tourner à nouveau la page, car je voudrais
11 ensuite vous lire une déclaration et vous posez une question. Il y a une
12 déclaration attribuée à un journaliste et voilà ce qui est dit :
13 "Peut-être encore plus nuisible que l'impact de l'affaire de la CIJ à
14 long terme est le fait que le public des Balkans n'aura pas le droit de
15 voir ce document. Il est toujours considéré que les victimes comme les
16 citoyens des Etats devraient pouvoir se voir communiquer les faits et leur
17 empêcher cela n'est pas une façon d'encourager la réconciliation."
18 Je vais m'interrompre, Monsieur Joinet. J'aimerais savoir si cela
19 correspond aux conclusions qui ont été dégagées par la sous-commission
20 lorsqu'elle a présenté son rapport relatif aux questions d'impunité ?
21 Lorsque cela est conforme à ces conclusions de la sous-commission ?
22 R. Vous permettez que je regarde -- le temps que je lise le texte ?
23 Q. Oui, faites donc.
24 R. La question revient un peu en somme à dire que la réconciliation
25 pourrait être impossible avec la vérité, pour faire bref. C'est un peu le
26 sens du propos, me semble-t-il. J'aurai une réponse nuancée sur cette
27 question, ne serait-ce que d'expérience.
28 La justice internationale, comme les investigations des rapporteurs
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15 versions anglaise et française
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1 spéciaux, nécessite à un moment d'obtenir la coopération de la partie
2 concernée, l'Etat. Cela suppose des discussions. Je suppose qu'il y en a
3 eu. Cela peut aboutir à des mesures de confidentialité sous deux réserves
4 minimum, c'est que ce soit l'exception et non pas la règle. Bien évidemment
5 que ce soit le plus limité possible. C'est là où il y a une difficulté.
6 Il se trouve que lorsque j'exerçais les fonctions de directeur de la "Data
7 Inspection" en France, j'ai fait un stage aux Etats-Unis sur le" Free for
8 Information Act," où il y a des méthodes qui permettent de noircir des
9 passages d'archives lorsqu'on doit les communiquer -- expurger, je crois,
10 c'est le mot en français. Quand on dit que cette limitation doit être plus
11 restreinte possible, c'est moins le problème quantitatif que qualitatif.
12 Vous pouvez très bien noircir 30 passages, ça donnera l'impression que vous
13 avez vraiment limité la liberté d'expression énormément. Mais l'important,
14 c'est le ou les deux ou trois passages fondamentaux pour établir la
15 responsabilité d'un responsable d'Etat. Par conséquent, dans le choix des
16 passages à noircir, ce qui compte, c'est l'importance dans la preuve du
17 passage, l'importance, j'allais dire, qualitative.
18 J'ai eu le même problème lorsque j'étais désigné par le secrétaire général
19 en Haïti, puisqu'il y a eu un coup d'Etat du général Cedras. Les Américains
20 qui étaient en Haïti sont repartis avec le président d'Haïti, qui
21 s'appelait Aristide, et ont emmené les archives.
22 Une de mes tâches lorsque je suis revenu avec l'état de droit, lorsque la
23 dictature est tombée, nous nous sommes battus pour obtenir le rapatriement
24 des archives. Les archives sont finalement revenues, mais avec des passages
25 noircis par les autorités américaines. Donc j'ai pu constater que
26 l'importance du noircissage [phon] est moins le problème quantitatif que
27 qualitatif. Il suffit de cacher une ou deux preuves déterminantes et on
28 vous dira : Mais voyons, on a très peu censuré. Très peu. Oui, mais c'est
Page 294
1 l'essentiel.
2 Par conséquent, toute cette procédure admissible qui consiste à rendre
3 confidentiel un certain nombre de documents est admissible, mais c'est
4 toujours la question fondamentale dans tout système juridique : doit être
5 respecté le principe de proportionnalité entre le but à atteindre et le
6 moyen employé.
7 Quel est le but à atteindre, entre autres, d'une juridiction internationale
8 ? C'est évidemment d'établir la vérité, et pour établir la vérité, il faut
9 disposer de preuves. Tel est, pour l'essentiel, le sens de mon propos.
10 Q. Merci beaucoup. Pour reprendre cet exemple que vous venez de donner à
11 propos de Haïti, et vous connaissez peut-être d'autres situations
12 également, lorsque vous mentionnez le principe de proportionnalité qui a sa
13 pertinence, comme vous l'avez dit, est-ce que le droit des victimes avec le
14 régime dictatorial en Haïti, donc est-ce que le droit de ces victimes à
15 obtenir des informations est pertinent pour déterminer si les expurgations
16 qui ont été faites sont proportionnées en quelque sorte ?
17 R. Oui, mais il y a deux sortes de responsabilité à établir selon la forme
18 du contentieux : La responsabilité d'un Etat, ce n'est pas sur ce plan-là
19 que je réponds. La question porte sur le droit d'une victime à obtenir
20 réparation. Je mets de côté la réparation symbolique, qui est de connaître
21 la vérité à défaut d'avoir la justice, et la réparation matérielle, il n'y
22 a pas de réparation de préjudice sans preuve. L'intérêt pour agir, comme
23 disent les juristes, suppose que l'on puisse prouver que l'on est victime
24 et quel est l'auteur de votre dommage.
25 Plus les preuves sont couvertes, les preuves factuelles, qu'est-ce qui
26 s'est passé quel jour à quel endroit, qui était le responsable militaire,
27 qui était dans le commissariat de police dans lequel j'étais arrêté -
28 situation que j'ai connue en ex-Yougoslavie - si la victime ne peut pas
Page 295
1 rapporter cette preuve, le Juge sera fondé à lui dire qu'elle ne peut pas
2 obtenir réparation; d'où l'importance fondamentale de la dissémination de
3 la preuve, non seulement entre l'Etat, le Tribunal et le Procureur, mais
4 également la tierce partie qui est la victime.
5 Q. Justement je vais enchaîner sur ce que vous venez de dire, Monsieur
6 Joinet. Je vais vous demander de bien vouloir sauter trois pages -- donc à
7 la fin de cet article, trois pages à partir de la fin.
8 M. METTRAUX : [interprétation] En fait, il s'agit de l'avant-dernière page,
9 et cela commence par : "La recherche, l'accès partiel…"
10 Alors nous n'avons pas de traduction française. Je vais en donner lecture
11 lentement pour que vous puissiez suivre.
12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous n'avez pas le document?
13 M. METTRAUX : [interprétation] Oui. Le problème, c'est que l'exemplaire que
14 j'ai est beaucoup plus long à cause du format que j'ai utilisé, mais vous
15 avez le même format que M. Joinet. Il s'agit de l'avant-dernière page, au
16 premier paragraphe, le paragraphe qui commence par les mots suivants : "Un
17 tel accès partiel."
18 Q. Monsieur Joinet, donc je m'excuse car je vais vous donner lecture de la
19 version anglaise. Voilà comment cela commence.
20 R. [hors micro]
21 Q. Le paragraphe, Monsieur Joinet, commence par les mots suivants : "Un
22 tel accès partiel."
23 R. [hors micro]
24 Q. [aucune interprétation]
25 R. Ça commence en anglais par quels mots ? Je n'ai pas le français.
26 Q. "Un tel accès partiel."
27 R. Ok.
28 Q. Je vais vous donner lecture de ce paragraphe très, très lentement :
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1 "Un tel accès partiel à la vérité n'est pas quelque chose que le Tribunal
2 s'était proposé de faire au départ, et ce, de l'avis de nombreux experts de
3 la justice dans les Balkans. L'un des objectifs du Tribunal, objectifs qui
4 se scindaient en quatre volets, outre le fait qu'il fallait traduire en
5 justice des personnes soupçonnées de crimes de guerre, outre le fait qu'il
6 fallait que justice soit faite pour les victimes, qu'il fallait que cela
7 dissuade par rapport à d'autres crimes et de continuer à la restauration de
8 la paix en promouvant la réconciliation au sein de l'ex-Yougoslavie."
9 Puis il y a une citation qui est attribuée à un chercheur de "Human Rights
10 Watch." Voilà ce qu'il dit :
11 "En supposant que la conséquence des mesures de protection et effectivement
12 que les procès verbaux du CDS, ainsi que ces transcriptions, restent
13 dissimulés du peuple Balkan, cela ne sera pas un service rendu aux efforts
14 déployés pour établir la vérité historique à propos d'événements qui sont
15 profondément contestés."
16 Puis il y a une autre citation qui est attribuée à James Lyon, qui est le
17 directeur du ICG, donc du "International Crisis Group" en Serbie et qui dit
18 ce qui suit :
19 "Cet accord est mauvais, parce qu'en Serbie, le public continue à ne pas
20 comprendre les mensonges répandus par le régime de Milosevic à propos de la
21 guerre en Bosnie."
22 Puis cela se poursuit :
23 "Si nous devons avoir une véritable authentique réconciliation, alors le
24 public serbe doit être informé de ce qu'ont fait Milosevic et ses sbires."
25 Monsieur Joinet, est-ce que ces déclarations sont conformes à toute requête
26 ou demande présentée par des organisations qui oeuvrent dans le domaine des
27 droits de l'homme ou des groupes de victimes dans d'autres pays que vous
28 connaissez et où vous avez travaillé au nom des Nations Unies ?
Page 297
1 R. Je puis témoigner que ce type de position est fréquemment effectivement
2 la position qu'adoptent les organisations de la société civile, en
3 particulier les organes des nations non gouvernementales de droits de
4 l'homme.
5 Pour ma part, je suis d'accord, mais plus nuancé, entre le
6 pratiquement possible et l'idéalement souhaitable. Dans un premier temps,
7 en tout cas, on doit tenir compte du pratiquement possible.
8 Dans une situation de crise avec des violations de droits de l'homme
9 massives, on ne peut pas, en un délai réduit, rétablir l'état de droit,
10 mettre un terme à ces violations. Il faut du temps. C'est d'ailleurs le
11 rôle dans près d'une vingtaine de pays maintenant, qui ont joué les
12 commissions dites vérité et réconciliation dont la plus exemplaire était
13 celle de l'Afrique du Sud. Elle prépare les esprits des deux côtés, y
14 compris du côté de l'oppresseur qu'il faut habituer à voir la situation
15 évoluer pour parvenir à ce que, dans mon rapport, je n'appelle pas la
16 réconciliation, je distingue la conciliation de la réconciliation.
17 Le premier but à atteindre, que ce soit par la justice pour obtenir
18 les preuves, que ce soit par des en-têtes type rapporteurs spécial, "le
19 tout ou rien" est négatif. Il faut donc, dans un premier temps, obtenir une
20 conciliation. La réconciliation, elle vient très longtemps après.
21 Je veux dire par là, l'exemple le plus frappant sur lequel j'étais
22 associé, celui du Chili. Lorsque a été créée la commission du dialogue
23 phase de conciliation, il a fallu du temps. La justice a finalement réussi
24 à mettre autour d'une table des militaires qui connaissaient un certain
25 nombre d'exactions ou qui y avaient participé, les avocats, la société
26 civile et des représentants du gouvernement. C'est ainsi qu'on a découvert
27 des charniers, qu'on les a identifiés, qu'on a permis de satisfaire le
28 besoin de vérité, que s'est-il passé pour les victimes, décrire l'histoire
Page 298
1 de comment -- c'est le nom de la commission argentine, comment en est-on
2 arrivé là et plus jamais ça. C'est donc dans cet esprit que je pense que la
3 recherche de la vérité peut parvenir à une conciliation des parties en
4 présence pour que suive, le temps passant, la réconciliation.
5 Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question. Je comprends
6 bien, cette ONG a une position un peu radicale. C'est son rôle. Mais ce qui
7 est clair, c'est que l'établissement des faits est incontournable. Que ça
8 puisse se faire rapidement, c'est rarement le cas, mais que ça doit se
9 faire un jour, c'est indispensable, car c'est un peu ce mot facile, j'en
10 conviens : dis-moi ce qu'est ton passé, je te dirai ton futur.
11 C'est là où la justice internationale joue un rôle important. On
12 critique beaucoup sa lenteur. Toutes les formes de justice ont leur
13 lenteur, mais c'est aussi un facteur méconnu, qui est très important de mon
14 expérience, c'est que le temps qui passe peut être aussi un investissement
15 pour la recherche de la vraie vérité et, par conséquent, la réconciliation
16 et phase finale, le rétablissement de l'état de droit. Il y aurait un
17 paradoxe à soutenir, que révéler des atteintes à un état de droit
18 compromettrait le rétablissement de l'état de droit.
19 C'est un peu, d'une autre manière, le principe de proportionnalité.
20 C'est le facteur temps, donnons un peu de temps au temps. Les ONG sont
21 impatientes, c'est normal. La justice fait son travail lentement pour le
22 faire sûrement, mais c'est véritablement le sens, qu'à mon avis, j'aurais
23 donné si j'avais été cette ONG et peut-être une phrase plus nuancée que
24 celle qui figure dans le rapport. Mais le but c'est d'arriver à découvrir
25 la vérité, si possible, ensemble.
26 Q. Je vous suis extrêmement reconnaissant, Monsieur Joinet, et nous
27 arrivons quasiment au terme du temps qui nous a été imparti. Donc
28 j'aimerais vous présenter deux documents.
Page 299
1 Le premier se trouve à l'intercalaire 58 et vous trouverez -- non, je
2 m'excuse, le document français se trouve à l'intercalaire 59.
3 Très brièvement, Monsieur Joinet, premièrement, je vais vous demander si
4 vous connaissez ce document; et si tel est le cas, est-ce que vous pourriez
5 nous décrire très, très, très rapidement ce dont il s'agit ?
6 R. -- il y avait une interférence de l'anglais sur le français, sur ma
7 parole. Donc la sous-commission m'a désigné pour faire ce rapport. Il y a
8 eu un débat, mes collègues ont souhaité que je propose que la commission
9 crée un rapporteur spécial de plus qui réenquêtait [phon] sur la promotion
10 et la protection de la lutte contre l'impunité, son développement. Je n'ai
11 pas été d'accord, parce que la lutte contre l'impunité est transversale.
12 Elle concerne toutes les formes de violation. Donc il y aurait eu des
13 interférences avec le rapporteur sur la torture, sur les disparitions, sur
14 la détention arbitraire.
15 J'ai donc dit : il vaut mieux, pour une fois, jouer la carte de la
16 pédagogie. Donc j'ai proposé que nous proposions pour la commission des
17 "guidelines," principes directeurs, aussi bien l'intention des Etats pour
18 qu'ils ne restreignent pas trop l'accès aux preuves notamment, et aux ONG
19 aussi pour qu'elles comptent pragmatiquement des réalités. C'est donc sous
20 forme de principes directeurs, de "guide-lines" à l'intention de ses
21 destinataires que finalement a été proposée comme recommandation et qui a
22 été approuvé par la commission.
23 Q. J'aimerais vous demander de consulter l'un des principes qui se trouve
24 à la page 21 de la version anglaise. Il s'agit du principe numéro 15, et
25 vous le trouverez à la page 22 du document français. Le titre de ce
26 principe est comme suit : "Coopération des services d'archives avec les
27 tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquêtes." Le texte commence
28 comme suit :
Page 300
1 "Les tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquêtes, ainsi que les
2 enquêteurs travaillant sous leur responsabilité, doivent avoir librement
3 accès aux archives."
4 Puis vous avez la deuxième phrase qui est comme suit :
5 "Le secret défense [comme interprété] ne peut pas leur être opposé."
6 Je m'interromps. J'aimerais, en fait, savoir quelle était la raison
7 fondamentale qui vous a poussé à présenter cette proposition sous forme de
8 principe ?
9 R. Tout d'abord, ce paragraphe illustre ce débat sur où est la règle, où
10 est l'exception. La règle d'interprétation large, l'exception
11 d'interprétation stricte.
12 Les mots importants à la fin de ce paragraphe consistent à dire que,
13 certes, les limitations peuvent être apportées, mais à titre exceptionnel,
14 je souligne - et seulement sur certaines informations - les principes de
15 finalité, dans la mesure où ces informations, si on les révélerait,
16 pourraient compromettre le procès de rétablissement de l'Etat de droit.
17 Bien.
18 C'est une question difficile. J'ai participé à deux accords de paix, celui
19 sur le Guatemala et celui sur le Salvador. Il est sûr que la recherche des
20 preuves ne facilite pas, autour d'une table, pour arriver à un accord, la
21 solution. Mais la finalité, sur le long terme, c'est quand même bien le
22 rétablissement de l'Etat de droit. Il serait donc paradoxal de soutenir
23 qu'il faut limiter la preuve de violations graves et massives parce que
24 cela, en limitant l'existence de ces violations et leurs preuves, ça
25 permettrait de rétablir un Etat de droit. C'est le contraire. C'est un
26 problème de le faire dans le temps. Je répète ce que j'ai dit. C'est ça qui
27 est difficile à faire comprendre aux ONG.
28 Il ne faut pas tout de suite, évidemment, considérer que toute la page va
Page 301
1 être tournée. Comme je l'ai écrit dans mon rapport, avant de tourner la
2 page --
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ralentissez, Monsieur.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Comme je l'ai dit dans mon rapport, avant de
5 tourner la page, encore faut-il l'avoir lue, et l'avoir lue ensemble si
6 possible.
7 Par conséquent, des limitations, oui, à titre exceptionnel, oui, seulement
8 certaines, mais pas des violations massives. En les cachant, on ne peut pas
9 soutenir que cela va permettre de rétablir l'Etat de droit, ou l'inverse,
10 ce qui est écrit, si on ne les cache pas, si on ne cache pas qu'il y a eu
11 des violations, on va compromettre le retour à l'Etat de droit. C'est cela
12 que ça veut dire. On peut l'interpréter dans les deux sens. Là, il y a un
13 paradoxe.
14 Donc j'insiste beaucoup, parce que c'est lié au temps qu'intègre la justice
15 internationale. Ces évolutions demandent du temps, et la justice
16 internationale est probablement l'institution qui en tient le plus compte,
17 même si on peut parfois regretter ses lenteurs.
18 M. METTRAUX : [interprétation]
19 Q. Monsieur Joinet, je dois vous dire que nous en sommes arrivés au
20 dernier document à propos desquels je vais vous demander de faire des
21 observations. Il s'agit de l'intercalaire 57 de votre classeur.
22 M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, je vais être très
23 franc à propos de ce que je me propose de faire. Il s'agit d'un document --
24 ah, non, ce n'est pas le bon document.
25 [Le conseil de la Défense se concerte]
26 M. METTRAUX : [interprétation]
27 Q. Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez confirmer à quoi correspond
28 le document de votre intercalaire 57 ? Vous avez une lettre du 19 octobre
Page 302
1 2007. Est-ce que c'est cela qui correspond à l'intercalaire 57 ?
2 R. [aucune interprétation]
3 M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous avions indiqué
4 que nous souhaitions être très francs à propos de ce que nous allons faire.
5 Nous ne suggérons absolument pas que M. Joinet connaît se document, en a
6 été informé, l'a vu auparavant, et peut nous faire des observations à
7 propos du bien-fondé ou non de ce document. Toutefois, hier, nous avions
8 indiqué que nous nous trouvions dans une situation assez étrange puisque
9 nous n'avons pas convoqué de témoins qui auraient pu répondre à ces
10 questions ou nous n'avons pas posé des questions aux témoins à charge.
11 L'autre raison pour laquelle nous voulons poser des questions à M. Joinet à
12 propos de ce document vient du fait que ce document n'est pas disponible en
13 anglais.
14 Je comprends que le poids que vous souhaiterez accorder à la
15 déposition de M. Joinet sera peut-être d'une importance limitée au vu du
16 fait qu'il n'a pas été informé de ce document. Toutefois, nous demandons
17 quand même à la Chambre l'autorisation de poser quelques questions à M.
18 Joinet au sujet de ce document.
19 Comme je vous l'ai indiqué, il ne s'agit pas du premier choix retenu
20 par la Défense, mais je dois vous dire que nous n'avons pas le choix, en
21 quelque sorte, et c'est pour cela que nous vous demandons l'autorisation de
22 pouvoir procéder de la sorte, Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suppose qu'il s'agit de la lettre
24 que M. MacFarlane voulait verser au dossier hier ou ce matin; c'est cela ?
25 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, hier.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Elle est confidentielle, me semble-t-
27 il.
28 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, la lettre est confidentielle.
Page 303
1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc vous souhaitez passer à huis clos
2 partiel, Maître Mettraux ?
3 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, pour en parler.
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Est-ce que la Chambre peut
5 passer à huis clos partiel.
6 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos
7 partiel, Monsieur le Président.
8 [Audience à huis clos partiel]
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19 [Audience publique]
20 M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse d'ailleurs.
21 Je voulais juste revenir sur deux choses. Premièrement, il s'agit du
22 versement au dossier d'un certain nombre de documents que nous avons
23 présentés à M. Joinet. Je pense qu'il serait beaucoup plus raisonnable que
24 la Défense rencontre M. MacFarlane pendant la pause pour pouvoir décider le
25 sort qui sera réservé en matière de recevabilité de ces documents, et cela
26 sera un gain de temps pour tout le monde, y compris pour les Juges.
27 Puis deuxièmement, et je pense que cela peut également être fait par la
28 suite, vous vous souviendrez peut-être d'une décision de cette Chambre
Page 307
1 rendue le 19 mai 2009, et en note en bas de page, en note numéro 25, vous
2 aviez indiqué que la Défense pourrait poser un certain nombre de questions
3 au Procureur par le truchement de la Chambre, avec l'aval de la Chambre.
4 Nous avons quelques questions à poser au Procureur à propos de ce témoin.
5 Toutefois, et parce que nous n'avons plus beaucoup de temps à notre
6 disposition, nous nous proposons, si la Chambre n'y voit pas
7 d'inconvénient, de réserver ces questions pour demain. Ainsi l'Accusation
8 pourra procéder à son contre-interrogatoire, et nous pourrons poser ces
9 questions demain.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui. Est-ce que nous pouvons le faire
11 ? J'aimerais savoir si vous avez terminé votre interrogatoire principal,
12 ceci étant dit, Maître Mettraux.
13 M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, et je remercie M. Joinet.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien.
15 Monsieur MacFarlane.
16 M. MacFARLANE : [interprétation] Monsieur le Président, je vous remercie.
17 Contre-interrogatoire par M. MacFarlane :
18 Q. [interprétation] Monsieur Joinet, j'ai quelques questions à vous poser.
19 Certaines de ces questions sont très générales et d'autres seront plus
20 précises. Certaines vont porter sur certains documents que vous avez déjà
21 étudiés.
22 Lors de votre déposition, vous avez à plusieurs reprises fait référence au
23 droit à la liberté d'expression et à d'autres droits, et je souhaiterais
24 justement obtenir une précision auprès de vous et voir si vous êtes
25 d'accord avec ce que j'avance. En matière de droits, en règle générale,
26 tous les droits, quasiment tous les droits, ont des limitations.
27 R. Pas tous, mais enfin --
28 Q. Ils ont tous des limitations ?
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1 R. La plupart des droits ont des limitations admissibles. Mais il y a
2 certains droits indérogeables [sic]. C'est le rapport de la sous-commission
3 transmis à la commission sur les états d'exception qui établit un certain
4 nombre de droits indérogeables [sic] auxquels donc on ne peut pas apporter
5 de limitations. Par exemple, la prohibition de la torture.
6 Q. Faisons abstraction de la torture pour le moment. Je pense, par
7 exemple, aux droits des médias, à la liberté de la presse, la liberté
8 d'expression. Lorsque vous pensez à tous ces droits, est-ce que vous
9 convenez que tous ces droits ont des limitations ?
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux.
11 M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse d'intervenir si rapidement, mais
12 on nous a demandé de limiter nos questions à des éléments non juridiques et
13 non experts, et c'est exactement ce que l'Accusation essaie de faire. Donc
14 j'aimerais proposer la suggestion suivante : je pense que l'Accusation
15 devrait avoir les mêmes limites qui nous ont été imposées, car là, je pense
16 qu'il vous appartient d'en décider, Monsieur le Président.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, vous savez, à ce
18 sujet, vous avez abordé des questions qui dépassaient de loin ce qui avait
19 été limité. Je pense que cette question qui vient d'être posée est tout à
20 fait légitime, donc je vous autoriserai à la poser et je ne retiens pas
21 votre objection.
22 M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie.
23 Q. Alors, Monsieur Joinet, puisque nous parlons de limites aux droits,
24 pouvons-nous dire que, très souvent, il y a conflit entre les droits ?
25 R. Conflit entre les droits ? Vous voulez dire par là, est-ce que dans
26 certains cas, pour concilier deux droits qui peuvent être contradictoires,
27 on en limite un par rapport à l'autre ? Je n'ai pas bien saisi la question.
28 Q. Je vais peut-être la reformuler. Très souvent, il y a une situation,
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1 par exemple, où le défenseur a le droit d'avoir un procès équitable, la
2 victime peut avoir un autre droit, les médias peuvent avoir également un
3 autre droit, et parfois donc il y a conflit entre ces différents droits,
4 confrontation.
5 R. Il y a des situations où il peut y avoir, entre deux droits positifs,
6 l'un qui doit être choisi par rapport à l'autre, si c'est ça le sens de la
7 question. Concrètement, si je comprends bien, Maître, cela revient à dire
8 peut-il être admis qu'il y ait certaines restrictions dans un certain
9 nombre de droits fondamentaux, dans l'exercice d'un certain nombre de
10 droits fondamentaux ? La réponse est oui. Tout le problème --
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Les interprètes sont en train de
12 demander à ce que quelqu'un parle dans le micro. Je n'ai pas très bien
13 compris ce que l'interprète a dit, je dois dire.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Ces limitations sont admissibles dans tout
15 système juridique, donc des restrictions admissibles à l'exercice de
16 certains droits dans certaines circonstances, mais toujours sous la
17 supervision, si je puis dire, du principe de proportionnalité. Donc la
18 restriction est possible, mais il y a des restrictions à la restriction.
19 C'est, par exemple, consacré maintenant dans la convention sur les
20 Disparitions qui vient d'être adoptée il y a plus d'un an par l'assemblée
21 générale, je le connais bien puisque j'ai présidé le groupe qui a rédigé
22 l'avant-projet à la sous-commission des droits de l'homme, qui dit qu'un
23 Etat ne peut -- ne peut pas opposer, interdire la communication d'une
24 information. Il peut le faire - donc ça répond à votre constatation - sauf
25 s'il s'agit d'une disparition.
26 Donc il y a une restriction. L'Etat peut ne pas communiquer - mais il y a
27 une restriction à la restriction - sauf si la gravité est telle qu'il ne
28 peut pas refuser de communiquer.
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1 Cette évolution, qui est relativement récente dans le droit international,
2 a été consacrée il y a maintenant deux ans - mais là, je ne m'attendais pas
3 à votre question, je n'ai pas la référence - par un arrêt de la Cour
4 interaméricaine, précédée d'ailleurs d'une décision de la commission, qui
5 pose cette règle plus largement, qui dit qu'en cas de violation massive des
6 droits de l'homme, l'Etat ne peut pas opposer la confidentialité des
7 violations.
8 Je ne sais pas si j'ai satisfait à votre question, je me suis efforcé
9 de le faire. Excusez-moi.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.
11 M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse. Ce n'est pas une objection,
12 mais je pense qu'il s'agit de la dernière phrase de l'intervention de M.
13 Joinet. Je pense qu'il y a un problème d'interprétation. J'ai entendu le
14 mot "imposer," alors que cela a été traduit par "opposer." C'est ce que je
15 pense, Monsieur Joinet, mais peut-être que le Procureur posait des
16 questions à ce sujet au témoin. Je ne voudrais surtout pas témoigner à ce
17 sujet.
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.
19 M. MacFARLANE : [interprétation] Ecoutez, peut-être que je pourrais
20 justement lire la dernière phrase qui est affichée à l'écran et demander
21 ainsi au témoin s'il est d'accord. La dernière phrase telle que je la vois
22 est comme suit :
23 "Cela a été adopté par un décret du tribunal interaméricain après une
24 décision de la commission qui stipulait quant à des violations massives de
25 droits de l'homme, l'Etat ne peut pas opposer la confidentialité de la
26 violation."
27 Q. Est-ce que ce sont les propos que vous avez tenus, Monsieur, ou est-ce
28 qu'il y a quelque chose qui fait défaut dans la traduction ?
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1 R. La traduction, c'est bien "ne peut pas opposer", ne peut pas refuser de
2 donner les informations. La terminologie exacte, je n'ai pas le texte de
3 cette décision, je ne peux pas garantir à
4 1 000 % que ce sont des mots exacts. Mais c'est l'idée. C'est lorsque la
5 violation est d'une gravité telle que l'Etat ne peut pas refuser de
6 communiquer en évoquant la confidentialité. Ceci dit, ce n'est qu'une cour
7 régionale et vous êtes une Cour internationale.
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Joinet, vous avez fourni une
9 réponse très, très longue. Pour la Chambre, pour que tout soit très clair,
10 quelle est votre réponse en un mot ? Oui ou non à la question ? Est-ce que
11 vous acceptez qu'il y a conflit entre certains droits ? Est-ce que vous
12 acceptez cette proposition ou non ? Mais répondez juste par oui ou par non,
13 parce que je ne suis pas très sûr d'avoir saisi.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Le sens de la question. Moi, de mon
15 expérience, quand on me --
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La question est simple : Acceptez-vous
17 qu'il y ait conflit entre certains droits ? Je dirais, à titre
18 d'illustration, donc le droit à la liberté d'expression peut être en
19 conflit avec le droit à l'information. Alors, je ne sais pas si vous
20 voulez, par exemple, me relater quelque chose, et je dis que j'ai des
21 informations privées que vous n'avez pas, enfin, voilà.
22 Je n'ai pas entendu votre réponse.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Il peut exister des contradictions.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
25 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur.
26 Q. Ceci étant dit, donc il se peut qu'il y ait des contradictions, voire
27 des conflits. Convenez-vous que l'un des objectifs du droit est d'essayer
28 de trouver la méthode qui permettra de réconcilier ces principes qui
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1 peuvent être conflictuels, ces droits qui peuvent être conflictuels ?
2 R. C'est un concept qui m'échappe un peu. Le but, c'est de trouver la
3 vérité. Donc s'il y a deux droits en conflit, il faut opter pour celui qui
4 permettra d'approcher le mieux possible la vérité. Est-ce que c'est cela le
5 sens ? Je ne sais pas si ma réponse correspond à votre question. C'est
6 comme ça que je l'entends.
7 Q. Passons à un point distinct mais néanmoins lié.
8 Souvent, un tribunal a besoin d'émettre une ordonnance, qu'il s'agisse du
9 Tribunal international ou autre, concernant des moyens à charge qu'il a en
10 sa possession; est-ce exact ?
11 R. Oui, cela existe.
12 Q. Passons à l'étape suivante. Convenez-vous qu'il est impératif, tout au
13 moins dans un environnement démocratique, qu'un tribunal puisse mettre en
14 œuvre les ordonnances que le tribunal a émises ?
15 R. S'il a pris une décision, il doit l'appliquer, mais tout dépend du
16 motif, de la motivation de la décision. S'il n'y a pas de contestation sur
17 la légalité de la décision, la réponse est oui. Mais il peut très bien y
18 avoir débat sur la légalité de la décision qui a, par exemple, prononcé la
19 confidentialité.
20 Je suis peu familier du droit anglo-saxon, j'ai peur de ne pas
21 répondre très exactement à votre préoccupation.
22 Je m'efforce, mais est-ce que c'est bien de cela dont il s'agit. La
23 réponse est oui, il doit l'exécuter, mais ça ne peut pas empêcher qu'il
24 puisse y avoir débat en amont sur la légalité de cette décision qu'il a
25 prise et dont on parle de l'application.
26 Q. Partons de l'hypothèse pour un instant qu'une décision a été
27 prise par un tribunal, qu'il n'y a plus d'appel, que c'est la décision
28 finale, définitive, du tribunal. Convenez-vous qu'il est essentiel de
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1 s'assurer que le tribunal puisse effectivement mettre en application sa
2 décision ?
3 R. Bien, si j'ai bien compris la question, à partir du moment -- vous
4 faites allusion à l'hypothèse où l'affaire est terminée. Je m'excuse, je ne
5 comprends pas bien la question. L'affaire étant terminée, il n'y a plus de
6 problème d'administration de la justice, donc la question ne se pose plus.
7 J'ai peur d'avoir mal saisi.
8 Q. Dans une situation où un tribunal national ou international, lorsqu'il
9 y a une décision qui a été prise, qu'il n'y a plus d'appel, on ne plus
10 recourir aux appels, qu'il s'agisse d'une affaire qui est arrivée à son
11 terme ou non, n'est-il pas important de s'assurer que ce tribunal ait les
12 moyens de mettre en œuvre cette ordonnance ou cette décision en tout état
13 de cause ?
14 R. Oui. Il et normal qu'un tribunal, s'il en a les moyens - et par
15 principe, il devrait les avoir - mette en œuvre sa décision. Tout le
16 problème est de savoir, puisque je pense que vous raisonnez dans
17 l'hypothèse de la confidentialité, est-ce que la confidentialité doit
18 s'appliquer également à l'existence de la décision qui en a décidé ainsi et
19 qu'elle va mettre en œuvre. Je pense que la limitation par la
20 confidentialité ne concerne que le contenu de cette décision mais pas le
21 fait que la décision qui va décider de la confidentialité, elle ne peut pas
22 être confidentielle. Sinon, alors il y a plus aucune transparence de
23 justice.
24 C'est l'exemple que j'ai donné tout à l'heure. Dans mon pays, si vous
25 ordonnez un huis clos, c'est une forme de confidentialité. Vous êtes obligé
26 d'en décider dans une audience publique et de la motiver, ensuite tout
27 devient confidentiel. Mais pas la décision elle-même.
28 Par conséquent, lorsque le tribunal met en œuvre sa décision, tout reste
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1 confidentiel pour qui vient l'appliquer, sauf la décision qui a décidé de
2 la confidentialité; sinon, on est dans une justice secrète.
3 Q. Monsieur Joinet, je ne vous avais pas posé de questions sur la
4 confidentialité, des décisions sur la confidentialité. J'aimerais procéder
5 par étapes. Je vais vous demander de me donner votre avis sur un tribunal,
6 une cour devrait être à même de mettre en œuvre ses propres décisions, tout
7 simplement. Je vous posais une question très simple à ce stade.
8 R. La mettre en œuvre, oui. Tout dépend si la mise en oeuvre est
9 confidentielle ou pas, mais vous ne semblez pas aborder la question.
10 Q. Alors allons-y par étapes, une étape à la fois. J'aimerais vous dire
11 que l'incapacité d'un tribunal ou d'une cour de mettre en œuvre ses
12 décisions amoindrit le respect que l'on a pour ce tribunal et le rend moins
13 efficace. Je vous soumets cette hypothèse.
14 R. Je vous demande juste deux secondes de réflexion.
15 Q. D'accord.
16 R. Si vous vouliez bien répéter la question exactement.
17 Q. Ma question est la suivante : Je vous soumets que l'incapacité d'une
18 cour ou d'un tribunal de mettre en œuvre ses décisions amoindrit le respect
19 que l'on a pour ce tribunal ou cette cour et la rend moins efficace.
20 R. Oui, ça peut la rendre moins efficace. Tout dépend de la nature de la
21 décision. Est-ce qu'elle donne lieu à débat ou pas ? Je parle dans
22 l'opinion, puisque pour que la justice soit crue, ce n'est pas uniquement
23 le problème d'une salle d'audience. C'est le contexte général spécialement
24 dans les affaires de violation massive des droits de l'homme.
25 Q. Revenons à la question de décisions et si une ordonnance devrait être
26 mise en œuvre ou non et qui prend ces décisions, nous y reviendrons dans un
27 instant. Mais ma question suivante est la suivante : n'est-il pas exact de
28 dire que les moyens pour mettre en œuvre cette décision est en général
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1 défini par le tribunal ou la cour par son dispositif juridique ? Donc la
2 décision de mettre en œuvre les ordonnances ou les décisions est en fait du
3 ressort du tribunal ou de la cour ?
4 R. Elle est dans l'état de ma compréhension de notre débat, oui, ma
5 réponse est oui en ce qui concerne - toujours, j'y reviens - le contenu de
6 la décision. Maintenant on ne peut pas empêcher qu'une critique juridique
7 puisse se faire autour de la question en cause. J'ai cru comprendre, par
8 exemple que - je l'ai évoqué tout à l'heure - il y a un débat sur la
9 sécurité nationale ou intérêt vital de la nation. Qu'est-ce qui figure dans
10 le règlement. La décision est mise en œuvre, ce débat est un autre débat
11 mais publiquement il peut être débattu. Y a-t-il ou non dans le règlement
12 telle base juridique sur laquelle se base la décision ? On ne peut pas
13 empêcher la mise en œuvre du contenu de la décision mais on peut très bien
14 discuter et critiquer ces discussions de juristes bien connues dans de
15 nombreux domaines, cet aspect, par exemple, de la question. C'est ce qu'on
16 appelle le contrôle de la légalité, il doit toujours y avoir référence à un
17 texte. Il peut y avoir des divergences sur l'interprétation du texte, mais
18 ça reste uniquement le débat, une critique sur cet aspect de la légalité et
19 pas du tout sur le fond que l'on met en œuvre, les preuves, les documents,
20 et cetera.
21 Q. Si j'ai bien compris votre réponse - et corrigez-moi si je me trompe -
22 vous parlez à deux différents niveaux. Tout d'abord la légalité qui
23 contrôle la mise en œuvre des décisions, et d'autre part, le grand public
24 et sa capacité à critiquer ou à discuter des décisions prises par le
25 tribunal ?
26 R. Enfin, le grand public en tout cas, le débat de juristes qui naît
27 toujours dans une affaire de cette envergure. Ce n'est pas propre à cette
28 affaire. C'est effectivement très important de savoir si le concept - c'est
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1 uniquement pour illustrer mon raisonnement - si le concept de l'intérêt
2 vital de la nation est intégré dans ce concept de sécurité nationale, ou
3 autre thèse, que c'est nécessairement d'interprétation stricte et que, par
4 conséquent, l'intérêt vital n'est pas intégré dans la sécurité nationale.
5 Ça c'est un débat d'argumentation. Cela on ne peut pas le couvrir par
6 la confidentialité. Je cite l'exemple dans -- je pense dans votre règlement
7 ça doit être pareil. Si on ordonne un huis clos, on doit le faire en séance
8 publique et on doit le motiver. Pour le reste, on ne doit pas en parler.
9 Pour me résumer, on ne doit pas empêcher la mise en œuvre du fond,
10 mais on doit pouvoir discuter l'argumentation d'où découle la décision
11 qu'on va mettre en œuvre.
12 Q. Ainsi le processus de mise en œuvre, la capacité de la cour à mettre en
13 œuvre ses décisions, ne doit pas être "minores," ne doit pas être amoindri.
14 R. Oui, mais certains vont considérer qu'il y a un débat sur la
15 qualification, par exemple, sécurité nationale ou intérêt vital vont
16 soutenir que cela amoindrit la mise en œuvre. Je ne le considère pas.
17 Q. Passons à la question suivante qui est peut-être plus concrète dans ce
18 contexte, à savoir le principe de liberté d'expression. Vous nous avez
19 expliqué que vous avez passé votre carrière à œuvrer dans le domaine des
20 droits de l'homme et vous êtes probablement un des chefs de file, mondiaux
21 dans ce domaine. Vous avez passé donc un temps considérable à traiter des
22 questions de liberté d'expression. Ma question est la suivante : au départ,
23 vous avez dit que vous étiez d'accord sur le fait qu'il y avait des
24 limites, enfin, que les droits se heurtaient à certaines limites, et pour
25 revenir un instant sur la liberté d'expression, est-ce que vous êtes
26 d'accord sur le principe que la liberté d'expression connaît des limites au
27 sein du système judiciaire et que c'est un aspect, une composante
28 nécessaire de quasiment tout système pénal de par le
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1 monde ?
2 R. La réponse est oui, mais toujours par référence à la théorie selon
3 laquelle des limitations à certains droits - et alors spécialement vous
4 visez assez directement et je suis d'accord, l'administration de la
5 justice, par exemple. Oui, il y a des limitations admissibles, ça c'est
6 clair, mais c'est toujours le principe de proportionnalité. Elles sont
7 admissibles jusqu'au moment où elles finiraient par empêcher la justice de
8 parvenir à sa fin qui est la recherche de la vérité.
9 Je prends toujours cet exemple que j'ai cité tout à l'heure, les réserves
10 dans le traité de Vienne sont admissibles. Ça diminue l'efficacité des
11 traités mais elles ne sont pas admissibles si elles vident le traité de son
12 contenu. Bien, là, c'est pareil. Si la limitation est admise dans
13 l'administration de la justice, oui, mais pas quelle détourne à un point
14 tel quelle détourne la justice de sa finalité et l'établissement de la
15 vérité.
16 Q. Sur la question de la proportionnalité, vous avez évoqué ce principe --
17 M. LE JUGE GUNEY : D'après la convention de Vienne sur le droit de traités,
18 une réserve est admissible aussi longtemps qu'il est en compatibilité avec
19 l'objet et le but.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est ça. C'est la phrase exacte, oui.
21 M. LE JUGE GUNEY : Merci beaucoup.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Le but de la justice, étant la recherche de la
23 vérité -- pardon, est admissible aussi longtemps qu'il est en conformité
24 avec le but et l'objet du traité ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Donc tous les débats c'est : quel est le but
26 et l'objet de la justice ?
27 Je comprends beaucoup mieux maintenant le débat. Je m'excuse, je n'avais
28 pas bien saisi. Excusez-moi. Maître.
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1 M. MacFARLANE : [interprétation]
2 Q. J'aimerais maintenant faire référence au système pénal au sein d'un
3 tribunal, qu'il soit international ou national. Voilà le contexte dans
4 lequel je pose cette question, à savoir : la notion de liberté d'expression
5 est-elle limitée dans un tribunal pénal où il faut protéger certaines
6 informations, car elles pourraient exposer quelqu'un au danger, par
7 exemple, ou pourrait créer un risque pour une personne ?
8 R. Vous faites allusion à ce qu'on appelle en français, le témoignage sous
9 X, c'est-à-dire sans identifier le témoin. Seul le tribunal connaît le nom
10 du témoin, mais il n'apparaît pas publiquement. C'est bien cela le cas
11 concret que vous évoquez, un cas de limitation que vous évoquez ?
12 Q. Oui, cela pourrait être un exemple. Mais ma question était beaucoup
13 plus générale. Alors dans le contexte d'un système de justice pénale,
14 parfois le besoin est ressenti de protéger l'information pour des raisons
15 absolument impérieuses, même si cela va à l'encontre du droit à la liberté
16 d'expression.
17 R. Oui, il est clair que c'est même la règle dans la phase d'instruction.
18 Il faut bien distinguer, dans la terminologie française en tout cas, la
19 phase d'instruction de la phase du jugement. Dans la phase d'instruction,
20 c'est même la règle, le secret de l'instruction, c'est dans [inaudible] des
21 cas où la limitation est la règle et la dérogation, l'exception.
22 Vous pourrez avoir une violation du secret de l'instruction organisée par
23 le Procureur, qui va faire un communiqué, par exemple, pour essayer de
24 rétablir la vérité sur une information ou une rumeur. Donc la règle, c'est
25 le secret, mais une fois que vous arrivez dans la phase de jugement, c'est
26 l'inverse. C'est la publicité et la transparence qui est la règle et la
27 dérogation, la limitation admissible, l'exception. On l'a vécu tout à
28 l'heure quand, M. le Président, vous avez ordonné le huis clos pendant une
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1 dizaine de minutes.
2 M. MacFARLANE : [interprétation] Je suis conscient de l'heure qu'il est,
3 mais je dois dire que je pourrais peut-être terminer cette partie de mon
4 contre-interrogatoire en posant une toute dernière question, puis demain
5 j'aborderais un autre thème si je peux le faire ainsi, Monsieur le
6 Président.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, faites donc.
8 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci.
9 Q. Monsieur Joinet, à plusieurs reprises vous avez fait référence à la
10 proportionnalité. Vous avez dit que la proportionnalité était une
11 composante importante à la restriction aux droits. Voilà la question que
12 j'aimerais vous poser : Si l'on prend des décisions à propos de la
13 proportionnalité, si l'on veut évaluer le degré de proportionnalité qui est
14 nécessaire, est-ce que vous convenez qu'il appartient en fait au tribunal
15 de procéder à cette évaluation ?
16 R. Il appartient au tribunal de procéder à cette -- vous parlez d'un
17 tribunal national ou de la Cour ici ?
18 Q. L'une ou l'autre.
19 R. Dans le cas d'un tribunal national, la question à laquelle j'ai été
20 constamment confronté, puisque beaucoup de mes enquêtes ont débouché sur
21 des procès et la question s'est posée du principe de proportionnalité.
22 C'est donc le tribunal qui va en décider, mais sous réserve des procédures
23 d'appel, des recours. Les recours, ce sera la Cour d'appel nationale, ça
24 sera la Cour de cassation, la Cour suprême nationale, ensuite ce sera -- ou
25 la Cour européenne des droits de l'homme ou la Cour interaméricaine, ou
26 bien, dans un contentieux quasi juridictionnel, le comité des droits de
27 l'homme.
28 Quand on vérifie la jurisprudence de ces entités supérieures - je n'ai pas
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1 dit suprêmes, mais supérieures, aucune n'est suprême - on constate que les
2 juges qui étaient compétents pour apprécier la proportionnalité ont été
3 contredits par la juridiction du contrôle supérieur ou l'instance. Donc le
4 juge est compétent pour apprécier sa proportionnalité sous réserve des
5 contrôles, ce qui permet de forger une jurisprudence qui montre, et on
6 revient au raisonnement de tout à l'heure, à partir du moment où la
7 restriction n'est pas proportionnelle par rapport au but à atteindre, à ce
8 moment-là, elle n'est pas admissible, d'où l'expression dans tous les
9 traités, limitation admissible dans une société démocratique -- enfin il y
10 a toujours ce mot de l'admissibilité. L'admissibilité ça veut dire, à
11 condition que la proportion soit respectée. Ça vous le trouverez dans
12 toutes les Cours interaméricaines, Cours européennes, Comité des droits de
13 l'homme. Voilà.
14 M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie beaucoup, Monsieur
16 MacFarlane.
17 Monsieur Joinet, je voulais juste vous dire que votre déposition n'est pas
18 terminée, donc vous êtes encore témoin et tant que vous resterez témoin
19 ici, vous ne pouvez parler à personne de l'affaire.
20 Ceci étant dit, nous nous retrouverons demain à 9 heures. Nous nous
21 retrouverons dans ce même prétoire, le prétoire numéro I, à 9 heures demain
22 matin.
23 L'audience est levée.
24 [Le témoin quitte la barre]
25 --- L'audience est levée à 13 heures 52 et reprendra le mercredi 17
26 juin 2009, à 9 heures 00.
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