Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 17 juin 2009

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes

  7   présentes dans le prétoire et à l'extérieur du prétoire.

  8   Madame la Greffière d'audience, veuillez appeler l'affaire, je vous prie.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Il

 10   s'agit de l'affaire IT-02-54-R77.5-T dans la procédure ouverte contre

 11   Florence Hartmann.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 13   Je voudrais que les parties se présentent, en commençant par l'Accusation.

 14   M. MacFARLANE : [interprétation] Bruce MacFarlane, je suis le Procureur

 15   amicus curiae du Canada. J'ai avec moi et pour toute la déposition et les

 16   audiences Mme Lori Ann Wanlin du Canada.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 18   Je souhaiterais que la Défense se présente.

 19   M. KHAN : [interprétation] Je suis Me Karim Khan, accompagné de Me

 20   Mettraux. Nous représentons les intérêts de Mme Florence Hartmann,

 21   accompagnés de notre assistance juridique.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Avant que nous ne commencions à

 23   entendre à nouveau le témoin, je souhaiterais signaler le fait que mon

 24   ordinateur ne semble pas branché. Puis-je obtenir de l'aide ?

 25   Bonjour, Monsieur Joinet.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci beaucoup.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'aimerais juste vous rappeler que

 28   vous êtes toujours tenu de respecter la déclaration solennelle que vous

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  1   avez prononcée au début de votre déposition en vertu de laquelle vous aviez

  2   indiqué que vous alliez dire la vérité, toute la vérité, et rien que la

  3   vérité. Je vous remercie.

  4   LE TÉMOIN : LOUIS JOINET [Reprise]

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.

  6   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  7   Contre-interrogatoire par M. MacFarlane : [Suite]

  8   Q.  [interprétation] Bonjour à vous, Monsieur Joinet.

  9   Hier, vous aviez indiqué quelle était votre expérience lors de la

 10   préparation de plusieurs rapports, et il est manifeste que vous avez joué

 11   un rôle important pour ce qui est des préparatifs de ces rapports pour ce

 12   qui est de l'évolution de l'analyse d'un certain nombre de questions que

 13   l'on retrouve dans ces rapports; et parmi ces rapports, nombreux ont été

 14   présentés par les Nations Unies. En fait, d'après ce que je comprends,

 15   c'est que ces rapports ont abouti à un résultat concret globalement ou

 16   partiellement. Mais je dirais que ces rapports ont emporté une contribution

 17   à la pensée de l'époque dans ce domaine. Mais nous pouvons dire qu'en règle

 18   générale, ces rapports ont été parfois adoptés, mais parfois ils n'ont pas

 19   été adoptés.

 20   R.  En ce qui concerne mes propres rapports, ils ont toujours fait l'objet

 21   d'une adoption. Comme je l'ai indiqué hier, la phase décisionnelle c'est

 22   les recommandations : soit elles sont rejetées, soit elles sont adoptées.

 23   Recommandations de prendre telle initiative, nommer un rapporteur spécial,

 24   créer telle structure, ou un tribunal; c'était le cas pour le rapport

 25   [inaudible.] Si cette recommandation est adoptée, comme je l'ai dit,

 26   l'accessoire sur le principal, par conséquent, comme la recommandation et

 27   la conséquence du rapport, le rapport se trouve adopté, disons,

 28   implicitement, mais il y a toujours un processus de décider d'adoption ou

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  1   pas les recommandations; et c'est lié.

  2   Q.  Merci. Certains de vos rapports, notamment le rapport précurseur à ce

  3   Tribunal, qui a été préparé pendant les années 1990, comme d'autres de vos

  4   rapports, j'aimerais savoir si vous avez suivi l'évolution au sein de ce

  5   Tribunal depuis sa création au début des années 1990.

  6   Est-ce que vous connaissez, par exemple, l'article 77 du Règlement de

  7   procédure qui porte sur l'outrage au Tribunal ?

  8   R.  Je ne le connaissais pas, mais j'en ai pris connaissance la dernière

  9   fois que j'avais été convoqué comme témoin par votre Cour et que l'agenda

 10   n'a permis de m'entendre. Le Service des Témoins m'avait procuré le

 11   Règlement du Tribunal que j'ai lu. Donc je me souviens de cet article qui

 12   réglemente le "contempt of court." Oui, la réponse est donc oui à votre

 13   question, Maître. Maintenant, je pourrais ajouter que le "contempt of

 14   Court," je connais moins bien. N'étant pas de formation de droit anglo-

 15   saxon, je n'ai pas de "common-law," je le connais moins par rapport à la

 16   même infraction en France qu'on appelle "l'outrage à magistrat." Je me suis

 17   aperçu à cette occasion qu'il y avait une assez grande différence entre les

 18   deux.

 19   Q.  Merci. A la suite de la mise au point de l'article 77, une certaine

 20   orientation a été déterminée pour ce qui est de l'outrage --

 21   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux.

 23   M. METTRAUX : [interprétation] Objection pour ce qui est des questions qui

 24   ont été posées. Peut-être que M. MacFarlane pourrait nous dire quelle est

 25   la base qu'il utilise, puisque nous n'avons pas parlé de l'article 77.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Objection non retenue. Car vous avez

 27   posé au témoin des questions à propos des différentes législations qui

 28   régissent ce secteur, et M. MacFarlane fait exactement la même chose.

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  1   M. MacFARLANE : [interprétation]

  2   Q.  Monsieur Joinet, le Tribunal a donc établi une certaine orientation

  3   pragmatique pour ce qui est de l'outrage. Est-ce que vous connaissez ce

  4   document ? Est-ce que vous avez vu ce document qui vous donne les principes

  5   directeurs, donc en matière d'outrage ?

  6   R.  Je n'ai pas ce document sur table. J'ai lu, si mes souvenirs sont

  7   exacts, un extrait qui indique les qualifications qui ont été retenues pour

  8   qualifier les faits d'outrage, mais je n'ai pas le document lui-même.

  9   Q.  Merci.

 10   R.  Je ne me souviens pas l'avoir vu dans les classeurs.

 11   Q.  Il y a un certain nombre de décisions rendues soit par la Chambre de

 12   première instance, soit par la Chambre d'appel, à propos d'outrage, la

 13   notion d'outrage de ces différents éléments, de ce qui doit être établi de

 14   ces modalités. J'aimerais savoir si vous avez vu certaines de ces

 15   décisions. Je pourrais en mentionner quelques-unes pour voir si cela vous

 16   serait utile.

 17   Il y a une décision appelée la décision Tadic, T-a-d-i-c; la décision

 18   Aleksovski, la décision Brdjanin, la décision Jovic. Avez-vous lu certaines

 19   de ces décisions, en avez-vous pris connaissance ? Il s'agit d'observations

 20   des Chambres à propos de la nature du délit considéré comme outrage au

 21   Tribunal, et ici à ce Tribunal ?

 22   R.  Je sais, j'ai 75 ans, ma mémoire n'est pas la vôtre, mais je vais

 23   essayer de me souvenir.

 24   Je crois avoir reconnu cette décision dans l'affaire Tadic, parce qu'il se

 25   trouve que quand je présidais la Commission sur la détention

 26   administrative, le général Tadic nous a saisis, en invoquant que cette

 27   Cour, et c'est le Règlement de procédure qu'il attaquait, aboutissait à sa

 28   détention arbitraire. Nous avons donc été amenés pendant six mois à

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  1   travailler la question, que le groupe est comme un Tribunal, c'est cinq

  2   personnes; il y a un rapporteur, on délibère; je me suis donc intéressé à

  3   ce cas. C'est là que j'ai commencé à découvrir la procédure de votre Cour,

  4   mais le "contempt of Court," auquel vous faites allusion est postérieur à

  5   cette période. J'en ai eu connaissance parce que j'ai continué à

  6   m'intéresser à ce cas et encore plus à cette Cour. Mais je n'ai pas le

  7   détail du contenu de cette décision, de cette poursuite de "contempt of

  8   Court."

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Lorsque vous dites : "Le général Tadic

 10   a renvoyé l'affaire auprès de nous," qui entendez-vous par "nous" ?

 11   LE TÉMOIN : C'était le groupe créé par la Commission des droits de l'homme,

 12   un groupe de travail sur la détention arbitraire que je présidais, dans

 13   lequel il y avait M. Laytikama [phon], qui ensuite est parti au Tribunal

 14   d'Arusha. Nous étions cinq membres élus par la Commission des droits de

 15   l'homme, et vu cette saisine, nous avons rejeté évidemment la demande après

 16   une longue étude, mais c'était peut-être aussi une tentative de diversion

 17   de la part de l'intéressé.

 18   M. MacFARLANE : [interprétation]

 19   Q.  Monsieur Joinet, l'une des décisions capitales dans ce domaine est une

 20   décision concernant Jovic, qui s'épelle J-o-v-i-c, il s'agit d'une décision

 21   de la Chambre d'appel. Est-ce que vous vous souvenez en avoir pris

 22   connaissance, décision en 2007 ?

 23   R.  Oui, mais je ne me souviens plus du détail. C'est un nom qui me dit

 24   quelque chose de bien avant, du temps de quand j'avais fait mes enquêtes de

 25   terrain.

 26   Q.  Merci. Pour ce qui est de l'évolution depuis les années 1990, et cela

 27   sera mon propos, je me demande si une décision de la Cour suprême du Canada

 28   a été portée à votre connaissance. Il s'agit d'observations faites à propos

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  1   de l'importance de ce Tribunal et ce à un niveau international. Alors

  2   j'aimerais vous donner lecture d'un extrait de cette décision de la Cour

  3   suprême du Canada, décision de l'année 2005, vous me direz si vous avez des

  4   observations à faire à ce sujet, si vous en avez été informé.

  5   Voilà ce que stipule la décision suprême, il s'agit d'une décision unanime

  6   prise par huit personnes, huit sur huit donc :

  7   "Depuis 1994, un ensemble important de jurisprudence internationale a émané

  8   du Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie et du Tribunal

  9   international pour le Rwanda. Ces tribunaux ont produit un ensemble de

 10   jurisprudence qui permet d'examiner les sources, l'évolution et

 11   l'application du droit international coutumier. Par les décisions du TPIY

 12   et du TPIR, bien que ces décisions plutôt ne soient pas contraignantes, la

 13   compétence de ces tribunaux pour ce qui est du droit international

 14   coutumier suggère que leurs constatations et leurs conclusions ne doivent

 15   pas être minimisées ou considérées de façon légère par les tribunaux

 16   canadiens qui mettent en vigueur les dispositions législatives nationales.

 17   M. METTRAUX : [interprétation] Avant que le témoin ne réponde à cette

 18   question et afin d'aider le conseil d'ailleurs, est-ce que M. MacFarlane

 19   aurait l'amabilité de fournir la référence de l'affaire, la question qui a

 20   été étudiée, notamment pour ce qui est des définitions de crimes et de

 21   délits qui correspondent à la principale juridiction de ce tribunal ou

 22   compétence du tribunal. Nous en serions extrêmement reconnaissant.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez citer cela ?

 24   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui, tout à fait. Il s'agit de l'affaire

 25   Mugesera, M-u-g-e-s-e-r-a contre le Canada, je pense qu'il s'agit d'une

 26   citation neutre, c'est à cela que je faisais référence, il s'agit d'une

 27   décision très longue. Je vous ai donné lecture du paragraphe 26, cela a été

 28   émis en 2005 par la Cour suprême du Canada. La référence papier est la

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  1   suivante, rapport de la Cour suprême du Canada de l'année 2005, page 100.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quelle était la question en question ?

  3   M. MacFARLANE : [interprétation] Il s'agissait de crimes de guerre. Il

  4   s'agissait d'étudier les éléments du délit qui devaient être établis et

  5   déterminés conformément à la législation nationale. Il s'agissait d'une

  6   affaire appelée Finta, F-i-n-t-a, et le tribunal a dû reconsidérer la

  7   décision Finta. La cour en question a pris en considération les décisions

  8   de ce tribunal et a conclu fondamentalement que leur décision préalable

  9   était erronée au vu des décisions et de l'orientation de ce Tribunal et du

 10   Tribunal du Rwanda. Il faut savoir que vous pourrez trouver les

 11   informations à propos de cette affaire sur internet. Il semblerait que nous

 12   pourrions envoyer un courriel à ce sujet au conseil très rapidement, mais

 13   je vous dirais que vous pouvez utiliser ce lien, décisions de la cour, qui

 14   englobe tous les pays.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

 16   M. MacFARLANE : [interprétation] J'aimerais alors soulever une objection

 17   par rapport à la pertinence. Car il se trouve que je connais une de ces

 18   affaires, Monsieur le Président, et je parle véritablement au pied levé

 19   parce que nous n'avons pas reçu d'exemplaire de ce document, mais je crois

 20   comprendre que le passage qui a été lu par M. MacFarlane est la citation

 21   qui a été faite par M. MacFarlane relève de la définition de crime contre

 22   l'humanité. Je crois comprendre que dans ce contexte, la Cour suprême du

 23   Canada a effectivement fait une référence aux définitions et aux évolutions

 24   qui se sont produites, mais je pense, et mon confrère pourra me corriger si

 25   je m'abuse, qu'il n'y a pas de référence à la notion d'outrage dans ce

 26   contexte.

 27   M. MacFARLANE : [interprétation] J'aimerais juste indiquer la base à partir

 28   de laquelle je pose la question. Je vous accorde le fait qu'il ne s'agit

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  1   pas d'une affaire d'outrage, mais tout simplement il y a eu un certain

  2   nombre de développements, d'évolutions importantes depuis le début des

  3   années 1990 qui ont leur importance et qu'il faut absolument comprendre

  4   puisqu'il a été fait référence à de nombreux rapports hier, mais la

  5   situation a évolué depuis et je pense qu'il faut que cela soit pris en

  6   considération.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Nous ne retenons pas

  8   votre objection.

  9   M. MacFARLANE : [interprétation]

 10   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que vous connaissez cette décision de la Cour

 11   suprême du Canada en d'autres termes, la Cour suprême du Canada a en

 12   quelque sorte avalisé le travail effectué par ce Tribunal-ci.

 13   R.  Non, je ne la connais pas, en tout cas, tant qu'elle ne m'est pas

 14   produite.

 15   Q.  Monsieur Joinet, une fois de plus, lorsque nous pensons à l'évolution -

 16   -

 17   [Le conseil de l'Accusation se concerte]  

 18   M. MacFARLANE : [interprétation]

 19   Q.  Je disais donc qu'à propos d'évolution, que je souhaiterais attirer

 20   votre attention sur les orientations en matière de pratique. Il s'agit

 21   d'une orientation émise par ce Tribunal le 4 février 2008. Des exemplaires

 22   de cette orientation sont en train d'être distribués aux parties et à la

 23   Chambre. Je pense qu'il s'agit de principes directeurs particulièrement

 24   bien connus par la Chambre. Une version française est en train d'être

 25   distribuée au témoin. Il s'agit d'une orientation en matière de procédure

 26   relative à la variation des mesures de protection conformément à l'article

 27   75(H) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international qui

 28   vise l'accès aux documents confidentiels du Tribunal.

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  1   Monsieur Joinet, je vais vous accorder quelques minutes pour que vous

  2   puissiez parcourir ce document et j'aurai ensuite des questions d'ordre

  3   général à vous poser. Je ne vais pas vous poser de questions précises à

  4   propos de passages bien précis, mais j'ai quelques questions d'ordre

  5   général à vous poser à propos de ce document.

  6   LE TÉMOIN : Puis-je savoir, Monsieur le Président, quel est le passage

  7   important que je dois lire, ou la totalité du document ?

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, disposez-vous

  9   d'une copie, d'un exemplaire pour les interprètes. Les interprètes qui vous

 10   demande un exemplaire de ce document.

 11   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui, oui.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, moi je peux tout à fait

 13   remettre ma copie et je partagerai avec mes confrères.

 14   M. MacFARLANE : [interprétation]

 15   Q.  Monsieur Joinet, je réponds à votre question. Vous pouvez tout à fait

 16   prendre connaissance de l'intégralité du document qui a une page et demie,

 17   mais je pense que la disposition la plus importante est probablement la

 18   première disposition qui correspond au titre : "Présentation des requêtes".

 19   Donc je vous en prie, vous pouvez lire tout le document, et de toute façon,

 20   mes questions ne vont pas porter sur une disposition précise, mais seront

 21   de nature plus générale.

 22   R.  Si vous me permettez, je ne vois pas de titre : "Présentation des

 23   requêtes".

 24   Q.  Ça se trouve en haut de la page 3 dans la version anglaise en tout cas.

 25   R.  J'ai ce paragraphe. Je m'excuse de prendre du temps avec vous.

 26   Oui, c'est le dernier alinéa surtout qui est important, je pense, dans

 27   votre esprit ?

 28   Q.  Bien, nous allons procéder par étape. Le premier paragraphe, donc le

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  1   paragraphe numéro 1 est comme suit en anglais :

  2   "Une demande présentée conformément à l'article 75(H) du Règlement par un

  3   juge d'une autre juridiction ou par des parties d'une autre juridiction

  4   autorisés ou avalisés par une autorité judiciaire pour annuler, modifier ou

  5   augmenter les mesures de protection qui ont été ordonnées en l'espèce

  6   devant le tribunal sera prise en considération par le président de ce

  7   tribunal…" et cetera, et cetera.

  8   Donc je remarque notamment que cela envisage une demande présentée

  9   par une autre juridiction ou par des parties autorisées par une autorité

 10   judiciaire appropriée. Voilà ce que j'aimerais que vous envisagiez : dans

 11   un premier temps, j'aimerais savoir si vous connaissiez ce document ?

 12   R.  J'en prends connaissance à l'instant et dans des conditions un

 13   peu précaires.

 14   Q.  Merci. Voilà quelle est ma question : hier, vous avez parlé des

 15   victimes, je sais que vous avez rédigé de nombreux articles à ce sujet, que

 16   vous avez votre point de vue, que vous avez exprimé votre point de vue à

 17   propos du droit des victimes, à savoir à propos de l'aptitude ou la

 18   possibilité donnée aux victimes par le biais des mesures de protection.

 19   Est-ce que ce genre de mécanisme répondrait à certaines de vos

 20   préoccupations et les minimiseraient en quelque sorte ?

 21   R.  La question est juridiquement très pointue. Si je comprends bien la

 22   question, ça revient à dire de manière plus accessible à mon esprit que,

 23   est-ce qu'une juridiction autre que la présente cour peut être saisie

 24   d'aspect d'un cas, ou en sens inverse, une juridiction autre que la cour

 25   peut-elle s'adresser à votre cour, et quelles en seraient les conséquences

 26   ? C'est cela, autrement dit, est-ce qu'une victime peut être envoyée devant

 27   une juridiction nationale et porter l'affaire de la réparation devant une

 28   juridiction nationale ?

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  1   Je prends connaissance à l'instant d'un document un peu complexe, donc

  2   juridiquement je ne sais pas, très précisément la question si vous pouviez

  3   me la répéter très précisément ? A supposer que je puisse répondre par

  4   "oui" ou "non", si vous voulez bien la re-formaliser ?

  5   Q.  Merci, Monsieur Joinet. Alors au vu du libellé du premier paragraphe où

  6   il est indiqué qu'une demande peut être présentée par une partie dans une

  7   autre juridiction, j'aimerais vous poser la question suivante : si par

  8   exemple une victime est en mesure de présenter une demander, une victime

  9   dans une autre juridiction j'entends, si elle est à même de présenter une

 10   demande pour modifier des mesures de protection qui ont été imposées

 11   préalablement par le tribunal, est-ce que cela répondrait à certaines de

 12   vos préoccupations eu égard à la possibilité donnée à la victime de savoir

 13   ce qui s'est passé, et nous savons à quel point il est important que les

 14   victimes sachent ce qui s'est passé ?

 15   R.  Je crois mieux comprendre. Simplement quand vous demandez une demande

 16   vers une autre juridiction, vous voulez dire une autre juridiction

 17   internationale, comme la CIJ, ou comme la Cour pénale internationale, ou

 18   bien vous voulez dire une autre juridiction, c'est-à-dire canadienne ou

 19   française ou une juridiction nationale ? C'est cela qui n'est pas clair au

 20   début de la phrase dans mon esprit.

 21   Q.  La question que je vous pose et à laquelle je souhaiterais que vous

 22   réfléchissiez est la suivante : une victime qui fait l'objet d'une

 23   procédure ou qui s'inscrit dans une procédure dans une autre juridiction et

 24   qui demande des documents à ce Tribunal, et qui présente une demande

 25   potentiellement, donc est-ce que ce type de mécanisme justement, est-ce que

 26   c'est le genre de mécanisme qui pourrait soulager certaines de vos

 27   préoccupations eu égard aux droits des victimes à savoir ce qui s'est passé

 28   ?

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  1   R.  Je vais répondre.

  2   Pour donner satisfaction, nous raisonnons au niveau des principes, n'est-ce

  3   pas, donner satisfaction a deux aspects que nous avons évoqués, la victime

  4   a d'abord et prioritairement droit à la vérité, savoir qu'est-ce qui s'est

  5   passé, retrouver un corps, et cetera. Puis ensuite ou en même temps si

  6   possible, le droit à réparation. Ce sont deux choses que j'ai bien

  7   distinguées. Si la demande consiste, de cette autre juridiction consiste à

  8   demander un assouplissement ou la levée de mesures, par exemple, de

  9   confidentialité pour obtenir des informations pour satisfaire ce droit à la

 10   vérité, si possible la réparation, si cette rédaction, paragraphe 1, le

 11   permet, ça donnerait satisfaction à cette mission qui est d'obtenir

 12   réparation d'abord par la vérité et si possible également réparation

 13   matérielle.

 14   Ce qui est d'ailleurs la question que j'ai évoquée hier qui se pose je

 15   pense dans la pratique qui a évolué dans la CPI puisque la constitution de

 16   partie civile, donc les droits de la victime ne peuvent pas être satisfaits

 17   devant votre Cour sur le plan de la réparation matérielle, elle peut l'être

 18   dans la mesure où votre Cour peut établir la vérité.

 19   C'est donc une réparation morale qui n'est pas la réparation

 20   matérielle. C'est pourquoi risque de se poser si devant une juridiction

 21   autre, nationale par exemple, la victime peut faire valoir ses droits,

 22   étant donné la confidentialité imposée aux documents qui sont des

 23   documents-clés, notamment sur la question du génocide, il y aura

 24   effectivement un problème, puisque la victime devant la juridiction

 25   nationale a droit à ce que sa cause soit entendue. C'est le fameux principe

 26   de la juridiction indépendante et impartiale, entendue équitablement, et

 27   qu'elle n'aura pas accès à ces preuves pour faire valoir ses droits devant

 28   cette autre juridiction d'où sa démarche sans doute de demander la levée de

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  1   cette confidentialité sur les pièces qui lui permettent d'obtenir

  2   réparation.

  3   En l'état de la rédaction du texte que vous me présentez, je ne pense

  4   -- il y a peut-être une ébauche de solution à cette question. Mais il ne

  5   semble pas qu'il y ait la solution. Mais peut-être n'ai-je pas encore bien

  6   compris la question.

  7   Q.  Je vous remercie. Je vous remercie de votre réponse. Je pense que le

  8   moment est peut-être venu pour que j'aborde un autre thème, un autre thème

  9   qui va porter sur le droit de la victime à savoir et l'importance que cela

 10   a.

 11   J'aimerais maintenant attirer votre attention sur un document qui, me

 12   semble-t-il, vous a été présenté par mon estimé confrère; il fait partie de

 13   son classeur. Il s'agit d'un rapport du Conseil économique et social des

 14   Nations Unies, en date du 2 octobre 1997, et il figure sur la liste révisée

 15   65 ter. Il s'agit de l'intercalaire 95, volume 3 ou 4.

 16   M. METTRAUX : [interprétation] Je pense qu'il s'agit peut-être soit des

 17   intercalaires 58 et 59 du classeur de la Défense.

 18   M. MacFARLANE : [interprétation] Il se peut que je demande l'assistance de

 19   mon estimé confrère pour établir le lien entre les différents documents,

 20   car je sais pertinemment qu'il y a différents classeurs, différentes

 21   listes.

 22   Q.  Avez-vous le document, Monsieur Joinet ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Merci. J'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 18 de ce

 25   document, paragraphe qui se trouve précédé de l'intitulé : "Le droit de

 26   savoir."

 27   R.  Il n'y a pas : "Droit de savoir," c'est : "Droit à la justice."

 28   Q.  La version anglaise que j'ai, le paragraphe 18, et juste avant le

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  1   paragraphe vous avez le paragraphe 17 précédé de ce titre : "Le droit de

  2   savoir."

  3   M. METTRAUX : [interprétation] Il s'agit de la page 5 dans la version

  4   française.

  5   M. MacFARLANE : [interprétation]

  6   Q.  J'aimerais vous demander de bien vouloir considérer le paragraphe 18

  7   dont je vais vous donner lecture, ensuite nous aurons une discussion à ce

  8   sujet. Je cite :

  9   "Deux séries de mesures sont proposées à cet effet," donc il s'agit à cet

 10   effet visant "Le droit de savoir" :

 11   "La première concerne la mise en place en principe à bref délai de

 12   commissions non judiciaires d'enquête, car sauf à rendre une justice

 13   sommaire - et ce fut trop souvent le cas dans l'histoire - les tribunaux ne

 14   peuvent sanctionner rapidement les bourreaux et leurs commanditaires. La

 15   deuxième série de mesures vise à préserver les archives liées aux

 16   violations des droits de l'homme."

 17   Vous vous souvenez de cette déclaration ? Il s'agit d'un rapport que vous

 18   avez préparé.

 19   R.  Tout à fait.

 20   Q.  J'aimerais vous demander de penser à ce paragraphe par rapport à l'une

 21   des observations que vous avez faite hier lorsque vous avez indiqué que la

 22   justice internationale était lente. J'aimerais vous demander si vous avez

 23   changé de point de vue depuis l'année 1997, et ce, au vu de deux évolutions

 24   sur lesquelles j'aimerais attirer votre attention et j'aimerais à ce sujet

 25   obtenir vos observations. Premièrement, il s'agit de ce que l'on a appelé

 26   l'enquête portant sur le dimanche sanglant au Royaume-Uni. Il s'agit en

 27   fait d'une enquête qui a été diligentée en 1998 avec une commission

 28   d'enquête qui a été établie en 1998, 12 ans après son travail n'est

Page 336

  1   toujours pas achevé. Donc nous avons cette commission d'enquête au Royaume-

  2   Uni, cela fait 12 ans qu'elle travaille et nous n'avons toujours pas obtenu

  3   de rapport. Est-ce que vous êtes informé de cette enquête au Royaume-Uni ?

  4   R.  Absolument pas. Je n'ai pas été saisi de situation concernant le

  5   Royaume-Uni.

  6   Q.  Peut-être que je pourrais être un peu plus précis. Nombreuses seraient

  7   les personnes qui indiqueraient qu'en matière de commission d'enquête, les

  8   deux pays qui donnent le ton sont le Royaume-Uni et le Canada. Est-ce que

  9   vous connaissez --

 10   M. KHAN : [interprétation] Ecoutez, je m'excuse. Mais il se trouve que je

 11   suis assez informé de l'enquête portant sur ce dimanche sanglant.

 12   J'indiquerai en fait, enfin, je voudrais vraiment savoir quel est le

 13   fondement sur lequel se base mon confrère.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.

 15   M. MacFARLANE : [interprétation] En fait, le site Web de l'enquête qui

 16   indiquait que le rapport devait être rendu ou devrait être rendu au début

 17   de l'année 2010. Je ne sais pas s'il y a un rapport intérimaire, mais vous

 18   avez sur le site Web certains documents, et ce site suggère que le rapport

 19   définitif n'a toujours pas été présenté.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 21   M. MacFARLANE : [interprétation]

 22   Q.  Est-ce que vous connaissez, Monsieur Joinet, ou est-ce que vous avez

 23   entendu parler de cette enquête relative à la compagnie Air India au

 24   Canada, enquête qui a commencé il y a un certain nombre d'années ?

 25   R.  Vu les milliers d'enquêtes, je ne peux pas vous répondre sur une

 26   enquête canadienne sur un accident d'avion. Je l'ai peut-être lue dans la

 27   presse, mais là, la question m'échappe.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Joinet, on ne vous pose pas

Page 337

  1   de questions à propos de milliers d'enquêtes. Les questions portent sur des

  2   enquêtes bien précises. Donc limitez-vous à l'enquête à propos de laquelle

  3   on vous a posé une question.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Si c'est oui ou non, la réponse est non.

  5   M. MacFARLANE : [interprétation]

  6   Q.  Monsieur Joinet, si je devais suggérer à votre intention que ces deux

  7   enquêtes ont duré pendant des années et des années sans pour autant que

  8   cela ait abouti à un rapport. J'aimerais savoir si cela changerait votre

  9   point de vue à propos de la viabilité des commissions d'enquête; et

 10   j'aimerais dans un deuxième temps savoir si cela changerait votre point de

 11   vue à propos de la viabilité potentielle de tribunaux tels que le nôtre qui

 12   devrait régler des questions de façon beaucoup plus rapide que des

 13   commissions

 14   d'enquête ?

 15   R.  Non, je ne pense pas que ça fait évoluer mon point de vue. Tout le

 16   débat que nous avons eu sur les commissions d'enquête qui sont parties des

 17   toutes premières initiatives en ce temps, partaient du principe, qui est

 18   développé d'ailleurs dans le rapport, que la justice ne peut pas être

 19   rapide parce qu'elle parvient, elle aboutit à des risques d'erreurs, de

 20   passion. Je l'ai vécu dans ma jeunesse. Je suis né 1934, je me souviens

 21   qu'à la libération de la France, la justice dite populaire a été quelque

 22   chose d'atroce. Il y a eu des gens de jugés en trois jours, des gens

 23   fusillés, c'est quelque chose qui m'avait beaucoup marqué.

 24   C'est pourquoi cette question de : Comment enquêter à chaud ? Il y a un

 25   besoin d'investigation, ce que nous avons fait avec M. Mazowiecki. Il est

 26   clair que l'enquête avec M. Mazowiecki n'était pas fiable judiciairement,

 27   si je puis dire. Il a fallu après qu'une Commission Bassuni [phon] qu'il a

 28   mise en forme pour être utilisée par les tribunaux, et cetera.

Page 338

  1   Mais donc, il faut faire quelque chose, une démarche, on dirait en

  2   système juridique, quasi juridictionnelle, mais pas du tout la justice,

  3   d'où l'idée des commissions vérité et réconciliation, avec des variantes

  4   très importantes. Dans certaines, on ne révèle pas les noms. C'était le cas

  5   pour l'Argentine. Dans d'autres, on les révèle, et c'était le cas pour

  6   l'Afrique du Sud, avec des procédures différentes l'une de l'autre, mais

  7   l'idée, c'est cela. On n'attend pas que la justice soit en mesure de passer

  8   parce qu'il faut du temps; donc c'était l'utilité de ces commissions, qui

  9   se sont d'ailleurs beaucoup développées.

 10   Je pourrais m'étendre longuement, mais elles jouent aussi un rôle de

 11   préparation des esprits, car ce qui est très important dans cette question

 12   c'est quand on recherche tous la réconciliation. Le but ultime, c'est la

 13   réconciliation. Mais je pense qu'avant la réconciliation, qui est presque

 14   d'ordre moral, il y a, ce que j'appelle, la conciliation. Il faut arriver à

 15   ce que les gens, à un moment, se mettent autour d'une table - c'est une

 16   image - mais que l'on puisse progresser dans la recherche de la vérité en

 17   commun sous une certaine manière. C'est dans ce sens-là que ces commissions

 18   vérité et réconciliation travaillent nécessairement beaucoup plus vite que

 19   les tribunaux.

 20   Je répète, je ne suis pas du tout favorable à la lenteur de la

 21   justice internationale, mais mon expérience de magistrat de cour suprême

 22   montre que la véritable recherche de la vérité dans le cadre du travail du

 23   juge et du tribunal demande du temps. Voilà donc cette complémentarité que

 24   j'ai vécue sur l'ex-Yougoslavie, enquête de terrain avec M. Mazowiecki,

 25   ensuite il y a eu la mise en forme juridictionnelle judiciaire par la

 26   Commission Bassuni, ensuite les institutions, comme la vôtre, s'en sont

 27   emparées.

 28   Donc c'est un processus, la justice internationale. Il n'y a pas un

Page 339

  1   moment où on va pouvoir vite rendre la justice.

  2   Q.  J'aimerais vous poser une toute dernière question à ce sujet, Monsieur

  3   Joinet. J'accepte ce qu'avançait mon estimé confrère à propos du fait que

  4   le rapport est présenté ou non. Mais il faut savoir que cette enquête

  5   portant le dimanche sanglant existe au Royaume-Uni depuis un certain nombre

  6   d'années, pour ne pas parler d'une décennie. A votre avis, est-ce que vous

  7   considérez que la vitesse de cette justice, en quelque sorte, est

  8   acceptable pour les victimes ?

  9   R.  Je ne pense pas que quelque victime que ce soit puisse se satisfaire

 10   d'une grande lenteur, même d'une simple lenteur. Ça n'est pas satisfaisant.

 11   Maintenant, entre l'idéalement souhaitable et le pratiquement possible, la

 12   justice internationale essaie d'aller dans le sens du pratiquement

 13   possible.

 14   Q.  Merci. J'aimerais maintenant aborder un autre sujet, Monsieur Joinet,

 15   et j'aimerais que nous nous repenchions sur certains des éléments de preuve

 16   que vous avez apportés hier.

 17   Vous avez, par exemple, parlé de mesures de protection, d'ordonnances

 18   confidentielles. Vous avez parlé, par exemple, de situation où

 19   l'information que l'on essaye de protéger appartient déjà au domaine

 20   public, et je pense que vous avez prononcé les mots de "domaine public."

 21   Est-ce que vous vous souvenez de cette partie de votre déposition ?

 22   R.  Oui. J'avais même cité un cas que j'ai connu dans une affaire

 23   d'espionnage, si c'est à ça que vous faites allusion, où le rechercheur qui

 24   était suspecté d'avoir remis à un agent soviétique des informations

 25   secrètes, mais je l'ai déjà dit hier. Je peux le répéter, mais je ne

 26   voudrais pas prendre sur le temps de la Cour. Ils se sont aperçus après que

 27   tout avait déjà été publié dans des revues scientifiques, donc c'était du

 28   domaine dit public. C'était l'exemple que j'ai cité.

Page 340

  1   Q.  Merci. Justement à ce sujet, je souhaiterais vous poser quelques

  2   questions relatives au concept du domaine public. A partir de quel moment

  3   quelque chose fait partie du domaine public, de telle façon que d'aucuns

  4   pourraient avancer que la confidentialité n'est plus de mise ou a disparu.

  5   En fait, j'aimerais vous présenter toute une série de scénarios et je vous

  6   demanderais de faire des observations à ce sujet pour voir si l'on peut

  7   justifier cette conclusion suivant laquelle quelque chose appartient au

  8   domaine public.

  9   Alors voilà le scénario auquel je pense : supposons pendant un moment

 10   qu'un tribunal pénal international a rendu une ordonnance, une ordonnance

 11   confidentielle, une ordonnance relative à des mesures de protection, et

 12   supposons qu'un journal en Indes relate ou écrive un article à propos de la

 13   teneur de l'ordonnance et que certains faits soient tout à fait exacts

 14   alors que d'autres soient erronés. A votre avis, est-ce que cela fait

 15   partie du domaine public, à telle enseigne, que la confidentialité

 16   justement a disparu ?

 17   R.  Dans la terminologie française exacte, on ne dirait pas qu'ils

 18   appartiennent au domaine public, mais qu'ils sont rendus publics par une

 19   personne peut-être qui est en Indes, je ne sais pas. La nuance domaine

 20   public c'est lorsqu'une autorité rend public quelque chose dans un

 21   communiqué de presse d'un ministère tandis que là, c'est en réalité une

 22   fuite, donc à ce moment-là c'est rendu public. C'est la nuance que j'ai

 23   dans ma langue, mais le résultat est le même.

 24   Q.  A votre avis, le fait que le journal ait consigné de façon exacte

 25   certains faits alors que d'autres sont erronés, est-ce que cela a une

 26   pertinence ?

 27   R.  Quel est le mot anglais de "pertinence" ? Est-ce "pertinent" ? Je ne

 28   comprends pas le mot "pertinence."

Page 341

  1   Q.  "Relevance."

  2   R.  Est-ce que cela est "relevant" ? S'il y a des choses vraies et des

  3   choses fausses, l'auteur de l'article n'est pas un bon professionnel. Que

  4   puis-je vous répondre ? C'est son problème.

  5   Q.  Oui, mais est-ce que cela a une incidence sur la conclusion, à savoir

  6   les mesures de protection de l'ordonnance ont été touchées par cela ? En

  7   d'autres termes, le fait que le journaliste a consigné de façon exacte

  8   certains faits et d'autres faits de façon erronée, est-ce que cela a une

  9   pertinence pour la confidentialité de l'information ?

 10   R.  A partir du moment où le journaliste a rendu public une information,

 11   qu'elle soit fausse ou qu'elle soit vraie, la confidentialité n'existe

 12   plus, si c'est le sens de votre question, enfin, tel que je l'entends.

 13   Q.  Donc pour bien préciser, à votre avis, si un journal, un seul journal,

 14   quel qu'il soit, dans un pays absolument éloigné, à l'autre bout de la

 15   planète, fait état des mesures de protection avec des faits exacts et

 16   d'autres qui ne le sont pas, à votre avis donc, la confidentialité a

 17   disparu ?

 18   R.  Au prima facie, je répondrais oui. Comment une chose qui est publique

 19   peut-elle être confidentielle ?

 20   Q.  Mais est-ce que cela aura des incidences pour l'ordonnance à proprement

 21   parler, à savoir le fait que cela ait été relaté ou ait fait l'objet d'un

 22   article en Indes, à tort ou à raison d'ailleurs, le fait que l'ordonnance a

 23   été délivrée de façon confidentielle, est-ce que cette ordonnance continue

 24   à être absolument en vigueur et est-ce que l'information doit continuer à

 25   être protégée ?

 26   R.  Dans ma culture juridique, je distingue bien ce que j'ai appelé hier le

 27   contenant et le contenu, et l'ordonnance, elle-même, ne peut pas relever du

 28   confidentiel. Une ordonnance, qui va redonner la confidentialité, ne peut

Page 342

  1   pas être confidentiel; sinon, ça devient une justice secrète. Ce qui doit

  2   rester confidentiel, ce sont les documents auxquels l'ordonnance décide

  3   d'appliquer la confidentialité. C'est l'exemple que j'ai donné. En France,

  4   quand on prononce le huis clos à l'audience, on doit le faire publier en

  5   audience publique et en donner les motifs. Bien, c'est pareil. Une

  6   ordonnance qui redonne la confidentialité à certains documents, elle-même

  7   est nécessairement publique et motivée.

  8   Par contre, une fois que cette ordonnance est rendue publiquement, ce sont

  9   les faits, les preuves en l'espèce, les documents serbes qui sont couverts

 10   par la confidentialité, mais pas l'ordonnance elle-même. Enfin. Dans ma

 11   culture juridique.

 12   Q.  Dans une situation où un journaliste aurait décidé d'écrire un article

 13   concernant une ordonnance de confidentialité et, par exemple, rédige un

 14   article, un article dans un journal ou un article ou un livre, même, qui va

 15   décider si cet acte à proprement parler a eu des conséquences sur

 16   l'ordonnance et sur la nature confidentielle de l'ordonnance et sur les

 17   mesures de protection qui avaient été décrétées par cette ordonnance ? Qui

 18   décide de cela ?

 19   R.  Dans mon système juridique, dans une telle situation, le procureur

 20   prend ou ne prend pas l'initiative d'intenter des poursuites. C'est pas le

 21   tribunal, il peut pas être à la fois tribunal et procureur. C'est pas le

 22   tribunal qui peut décider qu'il y aura des poursuites. C'est pas du

 23   Tribunal qu'est rendue l'ordonnance. Donc dans mon système, pour répondre à

 24   votre question, le procureur estime qu'il y a eu violation et c'est à ce

 25   moment-là qu'il va saisir la juridiction compétente pour ce que vous

 26   appelez le contempt of court qui n'existe pas chez moi. Ce serait plutôt

 27   violation du secret d'instruction ou quelque chose comme cela, mais la

 28   démarche est la même. Donc pour répondre à votre question : qui va prendre

Page 343

  1   l'initiative, c'est le parquet. Ça peut pas être le tribunal qui serait

  2   juge et partie. Alors ensuite, le tribunal donne suite aux poursuites ou

  3   non.

  4   C'est bien ce genre de question que vous me posiez ? La réponse est

  5   pertinente par rapport à votre question puisque vous m'avez demandé qui va

  6   faire la poursuite ?

  7   Q.  Nous pourrions peut-être regarder cela sous un angle différent. Est-ce

  8   que le journaliste peut unilatéralement prendre une décision et considérer

  9   qu'une ordonnance n'est plus confidentielle ou est-ce que c'est une

 10   décision qui incombe à la cour ?

 11   R.  Le journaliste, son métier, généralement, est de sortir de

 12   l'information. Donc, surtout avec le journalisme d'investigation qui se

 13   développe. Donc le journaliste fait son métier. Ensuite, pour savoir si

 14   cette information était couverte ou non par la confidentialité, c'est le

 15   rôle du procureur de voir s'il y a eu une infraction de commise ou pas.

 16   S'il estime qu'il y a une infraction commise, il va saisir - enfin, dans

 17   mon pays - le tribunal pour des poursuites contre le journaliste.

 18   Q.  Donc, en fait, la décision définitive incombe au judiciaire.

 19   R.  Incombe dans mon système, en tout cas, judiciaire, tribunal de première

 20   instance, cour d'appel, cour de cassation qui est la chambre dans laquelle

 21   je siégeais, Cour européenne des droits de l'homme, le cas échéant.

 22   Q.  Donc en d'autres termes, comme cela incombe au judiciaire, on ne peut

 23   pas se trouver dans une situation où un journaliste dirait, Bien, je prends

 24   la décision que ceci n'est plus confidentiel. Donc ça n'incombe pas au

 25   journaliste, ça incombe au judiciaire ?

 26   R.  Non, le journaliste ne prend pas de décision. Le journaliste, il

 27   recueille de l'information. Puis, bon, généralement, c'est extrêmement

 28   fréquent que des journalistes sortent des informations qui sont couvertes

Page 344

  1   par le secret défense. On a un journal, en France, qui s'appelle : "Le

  2   canard enchaîne," dont c'est le métier. Alors, il y a des poursuites de

  3   temps en temps, d'autres pas. Mais ce n'est pas le journaliste qui va

  4   décider. Il fait un acte professionnel, il en prend le risque mais c'est à

  5   la juridiction saisie. Si le parquet estime qu'il y a lieu à poursuivre de

  6   le faire. Mais c'est ni au journaliste, ni au tribunal. Si le tribunal

  7   n'est pas saisi par le parquet, il peut pas s'autosaisir. Il serait juge et

  8   partie.

  9   Q.  Donc en d'autres termes, si j'ai bien compris ce que vous venez de

 10   dire, si un journaliste décide de prendre le risque, pour utiliser vos

 11   termes, donc de prendre le risque, cela pourrait être référé au bureau du

 12   procureur et ensuite, aux décisions judiciaires pour décision; est-ce exact

 13   ?

 14   R.  Il va le livrer au bureau du procureur. C'est au procureur à prendre

 15   l'initiative proprio motu. C'est ce qu'on appelle le principe de

 16   l'opportunité des poursuites qui est de la compétence du procureur.

 17   Q.  Merci. Je pense que je vais maintenant passer au point suivant et

 18   j'aimerais vous demander un certain nombre de rapports sur lesquels votre

 19   attention a été attirée hier.

 20   M. MacFARLANE : [interprétation] Le premier étant -- il s'agit du point 79

 21   dans le classeur de la Défense. Il s'agit d'une déclaration conjointe.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Par un "point," vous voulez dire

 23   "onglet ?"

 24   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui, je m'excuse. L'onglet.

 25   M. METTRAUX : [interprétation] Nous n'avons pas d'objection à ce document.

 26   Nous voulons simplement dire que ce document n'avait pas été utilisé ni

 27   montré à M. Joinet dans le cadre de l'interrogatoire principal.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que c'est dans le dossier que

Page 345

  1   vous avez fourni ?

  2   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait. Il s'agit donc de l'onglet

  3   79.

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

  5   M. MacFARLANE : [interprétation] Peut-être pourrais-je vous expliquer un

  6   petit peu le fondement pendant que vous cherchez ce document et ce, à

  7   l'intention du témoin.

  8   Il s'agit d'un document qui fait partie des documents de la Défense et qui

  9   s'intitule : "Mécanismes internationaux pour la promotion de la liberté

 10   d'expression." C'est une déclaration conjointe du rapporteur spécial des

 11   Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression. Le représentant de

 12   l'OSCE pour la liberté de la presse et le rapporteur spécial de l'OEA sur

 13   la liberté d'expression. Donc les Nations Unies ont participé à travers

 14   leur rapporteur spécial sur la liberté d'expression.

 15   LE TÉMOIN : Vous ne l'avez pas en français ?

 16   M. MacFARLANE : [interprétation]

 17   Q.  Je ne pense pas qu'il y ait d'exemplaire en français.

 18   LE TÉMOIN : Je dois tout lire ou --

 19   M. MacFARLANE : [interprétation]

 20   Q.  Je pense que je vais vous donner lecture de la partie concernée pour

 21   vous aider. 

 22   Il s'agit donc d'une déclaration conjointe, comme je l'ai dit, qui concerne

 23   le rapporteur spécial des Nations Unies et deux autres rapporteurs qui se

 24   sont rencontrés à Londres en décembre 2002, sous les auspices ou dans le

 25   cadre de l'article 19 : "Campagne internationale pour la liberté

 26   d'expression." J'aimerais vous demander de vous reporter au bas de la page

 27   1, sous l'intitulé : "Liberté d'expression et administration de la

 28   justice," "Freedom of expression and the administration of Justice" dans la

Page 346

  1   version anglaise. On y retrouve une série de points dans ce paragraphe

  2   intitulé : "Liberté d'expression et administration de la justice" et je

  3   vais vous lire le premier qui vous sera traduit :

  4   "Les restrictions particulières concernant les commentaires sur les

  5   tribunaux et les juges ne peuvent être justifiées. Le judiciaire joue un

  6   rôle essentiel et en tant que tel, doit faire l'objet d'un examen public

  7   ouvert."

  8   Il s'agit là donc des déclarations générales. Le point suivant que

  9   l'on trouve en haut de la page 2 est celui sur lequel je vais vous poser

 10   des questions -- en fait, sur les deux suivants d'ailleurs. Celui qui se

 11   trouve en haut de la page 2 se lit comme suit :

 12   "Aucune restriction sur les rapports concernant les procédures

 13   juridiques ne peuvent être justifiées sauf à ce qui est un risque important

 14   de préjudice quant à l'équité de ces procédures et une menace, et que le

 15   droit à un procès équitable ou à la présomption d'innocence soit menacé et

 16   ceci l'emporte sur la liberté d'expression."

 17   Q.  Donc en s'arrêtant quelques instants sur ce paragraphe, il est dit que

 18   : "Il n'y a pas de restrictions sur les rapports sur les procédures

 19   juridiques en cours à moins que…" - et l'on vous donne une série

 20   d'exceptions - "c'est-à-dire que ceux-là puissent aller à l'encontre de

 21   l'équité du procès," "la présomption d'innocence," et cetera. Est-ce que

 22   vous êtes d'accord pour dire que, si l'accent dans ce document dans la

 23   déclaration conjointe est mis sur le fait qu'il ne devrait pas y avoir de

 24   restrictions sur les rapports qui pourraient être faits sur les procédures

 25   juridiques, il y a néanmoins des exceptions. Même dans le cadre de la

 26   déclaration conjointe, il est reconnu qu'il y a des exceptions à cela ?

 27   R.  Oui. C'est formulé d'une manière de formuler différente, ce que je

 28   crois avoir évoqué hier. Le premier paragraphe c'est qu'en matière de

Page 347

  1   liberté d'opinion et d'expression, c'est la liberté qui est la règle. Des

  2   restrictions sont admissibles, c'est l'exception, toute exception est

  3   nécessairement d'interprétation stricte, et les motifs qui sont apparemment

  4   donnés ce serait dans l'hypothèse où il y aurait violation du droit à un

  5   procès équitable, ou bien atteinte à la présomption d'innocence. Alors

  6   c'est toute la difficulté.

  7   Est-ce qu'une restriction, qui aura pour objet d'interdire l'accès à des

  8   preuves, est-ce qu'on considérait que cette restriction va violer le droit

  9   à un procès équitable ? Oui, je le pense. S'il y a des pièces qui ne

 10   peuvent pas être connues, comment le procès sera-t-il équitable ?

 11   Puisqu'une partie aura les pièces, un pays en cause, par exemple, puis pas

 12   la victime.

 13   Ou bien porter atteinte à la présomption d'innocence, j'ai le souvenir que

 14   quand j'ai témoigné dans le procès de l'Accusation -- l'Accusation du

 15   procès des généraux argentins, évidemment il y avait ce problème de ne pas

 16   donner certaines informations qui devaient rester confidentielles, mais il

 17   me semble qu'à ce moment-là en donnant ces informations il n'y avait aucun

 18   risque de violer la présomption d'innocence; sinon, comment voulez-vous que

 19   la justice fonctionne ?

 20   C'est donc très important de souligner que mes collègues - en tout cas, mon

 21   collègue, M. Ligabo - ont finalement transcrit la règle c'est la liberté,

 22   la restriction c'est l'exception, et les interprétations strictes. Car ce

 23   n'est justifiable que dans deux cas : atteinte au procès équitable et la

 24   présomption d'innocence.

 25   Q.  Merci. J'aimerais maintenant passer au point suivant, le point qui se

 26   trouve immédiatement en dessous et qui concerne les sanctions qui

 27   pourraient être appliquées du fait des procès juridiques :

 28   "Toutes sanctions concernant des rapports sur des procédures juridiques

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  1   devraient être appliquées uniquement après audience équitable et publique

  2   par un tribunal compétent, indépendant et impartial; la pratique d'une

  3   justice sommaire étant appliquée dans des affaires impliquant des critiques

  4   des procédures judiciaires est inacceptable."

  5   Je voudrais vous demander de lire cela, d'y réfléchir, et ma question est

  6   la suivante : est-ce que, même dans une déclaration conjointe portant sur

  7   la liberté d'opinion et d'expression, n'est-il pas clair que même dans un

  8   cadre comme celui-ci, une sanction est envisagée lorsque l'on fait rapport

  9   sur les procédures juridiques dans certaines circonstances ?

 10   R.  Vous voulez dire que --

 11   La sanction dont parle ce paragraphe, ça serait la sanction qu'on

 12   chargerait contre un journaliste qui aurait rendu public quelque chose;

 13   c'est cela ?

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il n'est pas nécessaire que ce soit un

 15   journaliste. Cela concerne n'importe qui pourrait faire état des

 16   procédures.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Bien entendu.

 18   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] -- qu'il fasse d'un procès, ça me paraît le

 20   rappel de ce que nous avons dit tout à l'heure, toute la difficulté - et

 21   c'est le débat d'hier - c'est de savoir s'il y a une proportionnalité

 22   suffisante entre la poursuite et les faits qui sont reprochés. C'est

 23   toujours le même principe du droit international. Une dérogation est

 24   admissible, mais à condition qu'elle soit proportionnelle par rapport au

 25   but à atteindre c'est tout l'enjeu, et c'est le rôle du juge d'apprécier

 26   cette proportionnalité.

 27   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci.

 28   Q.  J'aimerais passer à ce que je pense être le document suivant, à

Page 350

  1   l'onglet 80 dans le classeur de la Défense, qui s'intitule : "Le conseil de

  2   l'Europe, comité des ministres," déclaration. Il s'agit de l'onglet 80, 81

  3   en français. Je ne pense pas que nous ayons une version française -- ah si,

  4   si, nous en avons une.

  5   Monsieur Joinet, je souhaiterais attirer votre attention sur la page 2,

  6   l'intitulé qui, en anglais, s'appelle : "Calls on Member States," et en

  7   français : "Appelle les Etats membres." Il y a toute une série -- il y a

  8   d'abord le préambule dans la déclaration et des attendus, et ensuite les

  9   Etats membres sont appelés à faire un certain nombre de choses.

 10   J'aimerais attirer votre attention sur le tout premier point concernant

 11   l'appel lancé aux Etats membres par les ministres. Est-ce que vous pourriez

 12   lire ce premier point, s'il vous plaît ?

 13   R.  "Appelle," c'est là le paragraphe 1 : "Appelle les Etats membres à

 14   encourager les reportages sur cela."

 15   Je vous demande une seconde de lecture.

 16   Q.  Oui, pas de problème. Merci.

 17   R.  Oui, j'ai terminé la lecture.

 18   Q.  Merci. Le paragraphe stipule que les ministres appellent les Etats

 19   membres à encourager les reportages responsables sur les procédures pénales

 20   dans les médias en favorisant la formation des journalistes dans le domaine

 21   du droit et de la procédure judiciaire en coopération avec les médias et

 22   leurs organisations professionnelles, et cetera. Ce que j'aimerais que vous

 23   regardiez ce sont les premiers termes : "A encourager les reportages

 24   responsables sur les procédures pénales dans les médias," et la question

 25   que je vous pose est la suivante : est-il responsable de la part de

 26   quelqu'un réalisant un reportage, dans le contexte dont nous parlons,

 27   d'écrire et de divulguer des informations confidentielles ?

 28   R.  Tel que je le lis dans la version française, ce paragraphe concerne une

Page 351

  1   question que je connais bien, par ailleurs. Ce que l'on demande aux Etats,

  2   c'est d'encourager une bonne formation des journalistes. Pourquoi ? Parce

  3   qu'on constate dans beaucoup de pays, y compris dans le mien, que le grand

  4   public a de la peine à comprendre comment fonctionne la justice, comprendre

  5   les procédures judiciaires. C'est ce qui est écrit dans le texte.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Joinet, nous n'avons pas

  7   beaucoup de temps. Donc la question ne porte pas sur l'éducation et sur la

  8   formation mais est-ce qu'il s'agit de quelque chose de responsable. C'est

  9   sur l'aspect responsable que porte la question. Est-ce que vous pourriez

 10   vous en tenir à la question, et répondre à la question aussi directement

 11   que possible et succinctement que possible ?

 12   LE TÉMOIN : [hors micro] -- le texte qu'on m'a demandé de lire, la réponse

 13   c'est, oui, il faut être responsable quand on écrit sur la justice pour

 14   aider le public qui comprend mal à comprendre et les intérêts des parties

 15   soient mieux saisis. C'est la réponse qui résulte nécessairement de la

 16   lecture du texte.

 17   M. MacFARLANE : [interprétation]

 18   Q.  Peut-être pourrais-je reformuler ma question pour qu'elle soit plus

 19   précise ?

 20   Les ministres ont appelé les Etats membres à encourager les reportages

 21   responsables sur les procédures pénales. Ma question est la suivante : est-

 22   il responsable de la part d'un ou d'une journaliste d'écrire dans les

 23   médias ou de relater dans les médias des informations confidentielles ?

 24   R.  Ça peut être aussi bien un journaliste qu'une journaliste d'ailleurs,

 25   mais le rôle du journaliste est décrire et ensuite, c'est au procureur de

 26   dire et de faire des poursuites s'il estime que la loi a été violée. Je

 27   reviens toujours au même problème, mais cet alinéa --

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Joinet. Monsieur Joinet,

Page 352

  1   nous avons déjà parlé de l'Accusation et du fait qu'elle entreprendrait des

  2   procédures. La question est de savoir, et c'est une question bien

  3   spécifique, est-il responsable de la part d'un journaliste de relater des

  4   éléments confidentiels dans les procédures juridiques ? C'est une question

  5   très simple et il n'est pas nécessaire d'en dire plus. La réponse c'est:

  6   oui, c'est responsable; non, ce n'est pas responsable. Ou bien : je ne sais

  7   pas.

  8   LE TÉMOIN : Pour répondre d'une manière binaire à la question complexe, je

  9   pense que, oui, c'est le rôle d'un journaliste de trouver de l'information.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais ce n'est pas la question. La

 11   question est la suivante : est-il responsable de relater des éléments

 12   confidentiels ? La question n'est pas de savoir quel est le rôle du

 13   journaliste.

 14   LE TÉMOIN : Lui ne doit pas s'estimer responsable. C'est à la juridiction

 15   de décider s'il est responsable ou non. Si le journaliste s'estime

 16   totalement lié par tout ce qui est confidentiel, il y aurait une limitation

 17   au rôle de la presse tel qu'énormément d'événements mondiaux ne pourraient

 18   plus apparaître.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Tout à fait. Mais depuis hier, vous

 20   témoignez en nous disant que vous avez beaucoup écrit sur ce domaine et

 21   tout ce que vous savez sur ce domaine. La question qui vous est posée, en

 22   oubliant le côté judicaire, c'est -- est-ce que vous considérez qu'il est

 23   responsable d'agir ainsi, étant donné toutes vos connaissances et vos

 24   dépositions depuis ces deux derniers jours ?

 25   LE TÉMOIN : Si j'étais journaliste, je dis, oui, ce serait responsable,

 26   quand on --

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Non pas si vous étiez journaliste.

 28   Mais vous, là où vous êtes, à votre place, considérez-vous que c'est

Page 353

  1   responsable ou que cela n'est pas responsable d'agir ainsi ?

  2   LE TÉMOIN : C'est-à-dire il faut que je réponde comme si je n'étais pas

  3   dans la situation. Moi, j'aurais tendance à dire que c'est responsable. Ça

  4   dépend si c'est comme journaliste, comme magistrat, comme avocat. Il n'y a

  5   pas de réponse binaire possible.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Mais supposons que vous êtes

  7   Louis Joinet, est-ce que Louis Joinet serait considéré comme responsable ou

  8   non responsable ?

  9   LE TÉMOIN : Responsable, comme étant de l'obligation de le faire, je crois

 10   que je le ferais, à partir du moment où je suis dans une situation où la

 11   gravité des faits est telle qu'il appartient de mon devoir de les révéler.

 12   Puis si on estime que j'ai outrepassé, à ce moment-là, le parquet va me

 13   poursuivre. Mais sinon, ça serait encourager à l'autocensure. C'est donc un

 14   problème de fond très important.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pensez-vous que le moment est venu de

 16   faire une pause ?

 17   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc nous faisons une pause et nous

 19   reviendrons à moins le quart.

 20   --- L'audience est suspendue à 10 heures 20.

 21   --- L'audience est reprise à 10 heures 47.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.

 23   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 24   Q.  Monsieur Joinet, il ne me restait pas beaucoup de questions, quelques-

 25   unes simplement. Le premier domaine dans lequel je vais vous poser des

 26   questions concerne un document qui vous a été présenté par mon éminent

 27   confrère, hier. Cela figure dans le classeur qui a été utilisé hier,

 28   Monsieur Joinet, et il s'agit de l'onglet 54.

Page 354

  1   M. METTRAUX : [interprétation] La version française se trouve à l'onglet

  2   55, Monsieur le Président.

  3   M. MacFARLANE : [interprétation] Version française, onglet 55.

  4   Q.  Pour vous resituer un petit peu le contexte, il s'agit du Conseil

  5   économique et social et c'est un rapport qui vous a été présenté par mon

  6   éminent confrère; il est en date de 1991 et le titre est le suivant :

  7   "Examen des faits nouveaux intervenus dans les domaines dont la sous-

  8   commission s'est déjà occupée, notamment le droit à la liberté d'opinion et

  9   d'expression." Je voudrais attirer votre attention sur le paragraphe -- en

 10   fait, sur deux paragraphes qui sont les paragraphes 25 et 26 qui portent

 11   sur la question du "contempt of court, outrage à la cour."

 12   Est-ce que vous avez le paragraphe 25 sous les yeux, Monsieur Joinet ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Vous souvenez-vous que mon éminent confrère vous avait lu une partie de

 15   ce paragraphe. En anglais, le paragraphe commence par :

 16   "Un autre membre a suggéré que le rapporteur approfondisse sa question du

 17   'contempt of court,' en vue de réfléchir à une interprétation restrictive

 18   de cette notion. Compte tenu de sa portée en tant que mesures restrictives

 19   à la liberté, on craint qu'elle ne devienne d'un usage trop courant devant

 20   les tribunaux."

 21   Mon éminent confrère vous a donc lu cette partie du paragraphe. Mais

 22   la phrase suivante est également importante et j'aimerais avoir votre avis,

 23   la phrase suivante se lit :

 24   "La encore, le temps n'a pas permis d'approfondir cette question."

 25   Pouvez-vous nous dire un peu ce que signifie cette phrase ?

 26   R.  Cette phrase, et j'ai relativement bonne mémoire parce qu'il y a eu

 27   d'importants débats, nous avions consulté des collègues de la sous-

 28   commission avant même de rédiger le rapport que tel que présenté. Cela a

Page 355

  1   mis beaucoup de temps au départ et c'était pour essayer de cerner ce dont

  2   les deux systèmes juridiques, le "common law" ou droit civil, quelles

  3   étaient les différences et quelles étaient les concordances entre, comme je

  4   l'ai dit, le "contempt of court," et l'outrage à magistrat, qui est l'autre

  5   concept, parce qu'il nous paraissait difficile d'avancer sur cette question

  6   sans avoir une connaissance suffisamment approfondie de ces deux cultures

  7   juridiques qui tendent au même but mais qui ont des approches différentes.

  8   Le "contempt of court" est plus large, si mes souvenirs sont exacts de

  9   cette analyse, que le concept d'outrage. Bien. Oui, la question qui s'est

 10   posée, le deuxième débat, mais je l'ai déjà indiqué hier, était de savoir

 11   si les conséquences juridiques étaient les mêmes selon que les faits

 12   reprochés pour le "contempt of court" étaient des faits qui se produisaient

 13   alors que l'affaire était en cours, c'est-à-dire tant qu'il n'y a pas eu de

 14   décision de jugement définitif, un décès ou une prescription, et cetera.

 15   Est-ce qu'on estimait que si les faits dans cette période où la justice n'a

 16   pas fini d'être administrée, il y a une différence si les faits qui

 17   pouvaient constituer un "contempt of court" survenaient alors que l'affaire

 18   était terminée par un jugement définitif, par décès ou par prescription.

 19   Car les deux facteurs communs ou du système, c'est que le "contempt

 20   of court" existe pour éviter d'entraver le fonctionnement de la justice. En

 21  France, c'est déjà plus ad hominem, c'est presque le magistrat qui est visé.

 22   Le "contempt of court," c'est la juridiction, son fonctionnement, donc

 23   l'administration de la justice.

 24   Le débat que nous avions était que si les faits se produisent avant

 25   que l'affaire soit close, l'administration de la justice est en cause, mais

 26   une fois que l'affaire est terminée, l'administration de la justice par

 27   prescription, par condamnation ou hélas par décès, a rempli sa mission. Par

 28   conséquent, le "contempt of court" n'a pas la même rigueur une fois que

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  1   l'affaire est close que si c'est pendant que la justice s'administre.

  2   Tout cela a demandé beaucoup de temps. Nous devions en débattre en

  3   séance plénière, et en séance plénière, on n'a pas eu le temps, et donc on

  4   a décidé d'en rester là. Il avait été envisagé de nommer un rapporteur ad

  5   hoc pour approfondir cette question pour la suite, mais tel n'a pas été le

  6   cas parce qu'il y a eu des renouvellements dans la composition de la sous-

  7   commission.

  8   C'est tout.

  9   Q.  Merci. Donc lorsqu'à la fin de ce paragraphe il est dit là encore, le

 10   temps n'a pas permis d'approfondir ces questions, c'est simplement le fait

 11   que les idées exprimées ici sont des points de vue préliminaires et qu'il

 12   n'y a pas eu de temps pour une discussion complète.

 13   R.  Oui, c'est exact.

 14   Q.  Oui, merci. Concernant maintenant le paragraphe 26, point similaire,

 15   hier on a parlé d'une partie de ce paragraphe et le paragraphe se lit comme

 16   suit :

 17   "Il a été souhaité que l'on s'intéresse plus spécifiquement à la protection

 18   des journalistes (qu'ils soient ou non en mission), y compris par la

 19   nomination d'un rapporteur spécial."

 20   Mais la partie qui n'a pas été abordée hier et je vous demanderais de

 21   commenter ce point est la phrase suivante.

 22   "Il serait prématuré de se prononcer sur ce point dans le présent rapport…"

 23   C'est la même chose, à savoir qu'il était trop tôt pour avoir une

 24   discussion complète et pour arriver à une conclusion claire ?

 25   R.  Oui, c'est ce que cela veut dire. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas

 26   eu d'initiative de prise par la suite.

 27   Q.  Merci. Monsieur Joinet, hier lors de votre déposition, vous avez fait

 28   un commentaire à un moment donné, vous avez fait une observation concernant

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  1   les objectifs du processus d'inculpation et vous avez dit que ce processus

  2   pouvait être efficace de deux façons. Tout d'abord, concernant les

  3   punitions et deuxièmement, la prévention. Est-ce que vous vous souvenez de

  4   cela ?

  5   R.  [hors micro] -- international, j'ai parlé du rôle non seulement de

  6   sanction, mais de prévention des juridictions internationales, c'est ce

  7   dont je me souviens.

  8   Q.  Mais le point auquel je voulais arriver, c'est que pour ce qui est du

  9   processus de sanction, vous y voyez deux dimensions, l'une étant donc la

 10   sanction et l'autre, la prévention pour l'avenir.

 11   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, si M. MacFarlane

 12   souhaite avancer cela comme étant une proposition du témoin, il serait bon

 13   qu'il indique la page du compte rendu d'audience à laquelle vous faites

 14   référence, parce que nous n'avons aucun souvenir de M. Joinet ayant parlé

 15   de cette question. Cette question est celle dont il vient de parler il y a

 16   un instant.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, je ne suis pas

 18   sûr de ce qui a été dit il y a un instant par M. Mettraux -- et, Monsieur

 19   Mettraux, le témoin lui-même a dit :

 20   "Lorsque je parlais du rôle de la juridiction internationale, j'ai parlé de

 21   la sanction et du rôle de la prévention dans ce cadre international…" donc

 22   le témoin se souvient.

 23   M. METTRAUX : [interprétation] La question qui a été soulevée et la réponse

 24   qui a été donnée en rapport avec cela, tel que nous le comprenons,

 25   concernait le rôle du tribunal, et il a dit qu'il pouvait y voir deux

 26   rôles.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais le témoin se souvient. Il peut

 28   clairement --

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  1   Monsieur Mettraux.

  2   M. METTRAUX : [interprétation] Si vous le souhaitez, Monsieur le Président.

  3   M. MacFARLANE : [interprétation]

  4   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que l'on peut dire que ce processus de sanction

  5   comporte deux éléments; donc d'un côté la sanction, de l'autre côté la

  6   prévention ?

  7   R.  La réponse est oui. La prévention sera d'autant plus efficace que la

  8   sanction est assurée, quand il y a évidemment culpabilité. Je me souviens

  9   très bien en avoir parlé puisque j'ai donné même un exemple qui s'était

 10   produit à la réunion de cabinet du premier ministre à laquelle j'ai

 11   assisté, où le chef du cabinet militaire qui rentrait d'une tournée dans

 12   Kokaz et les Balkans a dit, mais c'est que les chefs militaires commencent

 13   à prendre cela au sérieux et ils commencent à comprendre qu'ils courent des

 14   risques. Donc j'ai bien évoqué la question, je peux vous le confirmer, et

 15   je m'en souviens très bien.

 16   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci. Pour le compte rendu d'audience

 17   pour ce qui est des références, nous venons de faire une recherche sur le

 18   prétoire électronique, c'est très pratique, il s'agit du bas de la page 287

 19   et du haut de la page 288, ce sont là les points auxquels nous faisons

 20   référence.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur MacFarlane.

 22   M. MacFARLANE : [interprétation]

 23   Q.  Bien. Les deux objectifs dont vous avez parlé, Monsieur Joinet, je

 24   considère que cela s'applique à toutes les formes de conduite pénale

 25   alléguée, y compris l'outrage à la cour.

 26   R.  Sur la prévention ? Oui. Dès lors que c'est proportionné, oui.

 27   Q.  Peut-on dire en tout équité que dans un cadre d'outrage à la cour, la

 28   prévention est importante car cela permet d'envoyer des signaux à

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  1   d'éventuels auteurs à l'avenir ?

  2   R.  Vous voulez bien répéter en français ?

  3   Q.  Peut-on dire que dans le cadre d'un outrage à la cour, la prévention

  4   est importante car cela permet d'envoyer des signaux à des auteurs qui

  5   envisageraient d'écrire sur ce point à l'avenir ?

  6   R.  Oui ça peut s'appliquer, toute la question d'y a-t-il atteinte ou non à

  7   la crédibilité de la cour.

  8   Q.  Non, ma question ne porte pas sur la crédibilité du tribunal, mais

  9   plutôt au processus de condamnation. J'aimerais que vous puissiez commenter

 10   cela, si dans le cadre d'une condamnation dans une affaire en particulier,

 11   étant donné l'aspect préventif, est-ce que la condamnation peut être un

 12   signal important pour des personnes qui à l'avenir envisageraient de

 13   prendre ce risque.

 14   R.  Ça joue dans les deux sens. Ça peut être un signal important pour

 15   d'autres personnes qui voudraient agir, mais ça peut être aussi un signal

 16   désastreux sur la crédibilité de la juridiction. Chaque hypothèse est

 17   différente.

 18   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci.

 19   Monsieur le Président, si vous me permettez quelques secondes pour

 20   vérifier mes notes, je pense que j'en ai fini, mais je voudrais vérifier

 21   mes notes…

 22   Merci, Monsieur le Président, j'en ai terminé avec l'interrogatoire du

 23   témoin.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur MacFarlane.

 25   Avez-vous des questions supplémentaires, Monsieur Mettraux ?

 26   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 27   Nouvel interrogatoire par M. Mettraux : 

 28   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Joinet. J'aurais quelques questions

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  1   à vous poser dans le cadre des questions supplémentaires. Comme nous sommes

  2   quelque peu pressés par le temps, je vous demanderais de répondre de façon

  3   aussi succincte que possible, et si vous vous en sentez capable, de

  4   répondre simplement par "oui" ou par "non".

  5   Vous souvenez-vous hier qu'aux pages 91 et 94 à 95, le Procureur vous a

  6   posé des questions sur les conflits de droit. Est-ce que vous vous souvenez

  7   de cette question qu'il vous a posée ?

  8   Monsieur Joinet, ne vous intéressez pas au compte rendu d'audience.

  9   Intéressez-vous à ma question. Est-ce que vous vous souvenez de questions

 10   portant sur le conflit des droits qui vous auraient été posées par le

 11   Procureur ?

 12   R.  Oui, je crois que c'est au début de son intervention. C'était une

 13   question que j'avais mal saisie d'ailleurs.

 14   Q.  Vous souvenez-vous également qu'une question vous a été posée portant

 15   sur l'importance pour un tribunal de mettre en vigueur une ordonnance ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Vous souvenez-vous, et il s'agissait de la page 95, Monsieur le

 18   Président, du compte rendu d'audience.

 19   Vous souvenez-vous qu'une question vous ait été posée concernant les

 20   limitations recevables au principe de liberté d'expression ? Vous souvenez-

 21   vous de ces questions ?

 22   R.  Oui. Le terme exact étant "admissible" et non pas "recevable". Il y a

 23   une nuance en français en tout cas.

 24   Q.  Est-ce que vous vous souvenez des questions qui vous ont été posées

 25   concernant le principe de proportionnalité, et ceci s'applique à la liberté

 26   d'expression. Vous souvenez-vous de ces questions ?

 27   R.  Tout à fait. Question centrale.

 28   Q.  Vous souvenez-vous qu'aujourd'hui, il vous ait été demandé de commenter

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  1   les diverses décisions de diverses juridictions ? Vous en souvenez-vous ?

  2   Le Canada, la Grande-Bretagne, et cetera, vous souvenez-vous de cela ?

  3   R.  La question a été posée et je n'ai pas pu répondre.

  4   Q.  Vous souvenez-vous également qu'une question vous ait été posée portant

  5   sur les informations du domaine public et la signification de ce fait ?

  6   Vous souvenez-vous de cette question qui vous a été posée ce matin ?

  7   R.  Aucun doute, oui.

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, avec l'aide de

  9   l'huissier, il y a des documents que nous aimerions distribuer à la Cour,

 10   au Procureur et à M. Joinet.

 11   Q.  Monsieur Joinet, pour vous aider à vous familiariser avec les

 12   documents, il y a quatre décisions que j'ai données en français et en

 13   anglais. Vous pouvez voir que les 2 et 4 sont les versions en français. Je

 14   vous demanderais d'abord de regarder l'onglet 2 de ce document.

 15   Il s'agit de l'onglet 1, Monsieur le Président, en anglais.

 16   Pour le procès-verbal d'audience, Monsieur Joinet, il s'agit d'une

 17   affaire devant la cour européenne des droits de l'homme. Il s'agit de

 18   l'affaire de M. Weber contre la Suisse, c'est un jugement du 22 mai 1990.

 19   Comme cela est indiqué, il vient de l'ECHR.

 20   Avec l'aide de l'huissier, pourriez-vous passer au paragraphe 7 de

 21   cette décision ?

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Est-ce que l'huissier pourrait donner

 23   des copies de ces documents aux interprètes, s'il vous plaît, et je

 24   m'excuse auprès des interprètes.

 25   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que vous avez le paragraphe 7 de cette

 26   décision sous les yeux ?

 27   R.  Je crois que c'est cela.

 28   Q.  Si vous regardez le paragraphe 7, vous verrez que M. Weber est un

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  1   journaliste suisse qui vient du canton de Vaud, de mon pays; est-ce que

  2   vous voyez cela ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Est-ce que je pourrais vous demander maintenant de vous reporter au

  5   paragraphe 13 de cette même décision. Là, je vous demanderais de regarder

  6   plus particulièrement la date qui figure dans ce paragraphe. Il est dit que

  7   le 2 mars 1982, M. Weber a participé à une conférence de presse où un

  8   certain nombre de faits concernant une enquête ont été divulgués; est-ce

  9   que vous voyez cela ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Si vous passez au paragraphe suivant dans ce même document, il s'agit

 12   du paragraphe 14, il y est dit que le lendemain, le 3 mars 1982, un journal

 13   suisse, la gazette de Lausanne, a rapporté les déclarations du requérant;

 14   voyez-vous cela ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Si vous descendez maintenant au paragraphe 15 du même document, vous

 17   pouvez lire que suite à cette divulgation d'une information judiciaire

 18   confidentielle, il y a eu une enquête sur ce qui avait été dit exactement

 19   pour violation du secret de l'enquête; est-ce que vous voyez cela ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Le paragraphe suivant de cet arrêt, et je vous demanderais de bien

 22   vouloir me croire et s'il y a litige sur ce point, M. MacFarlane pourra

 23   soulever ce point. Le paragraphe suivant parle du fait que M. Weber a été

 24   poursuivi en justice en Suisse et condamné.

 25   Est-ce que je peux vous demander maintenant de passer au paragraphe 49 de

 26   ce document. Je vais peut-être vous donner quelques secondes, Monsieur

 27   Joinet, pour lire ce paragraphe. Mais est-ce que je peux vous dire et vous

 28   pouvez me dire par la suite si vous êtes d'accord ou pas, que l'argument

Page 364

  1   soulevé par M. Weber devant la cour européenne des droits de l'homme dans

  2   cette affaire particulière a été de dire que l'information qu'il avait

  3   divulguée était du domaine public et que la condamnation en Suisse allait à

  4   l'encontre de sa liberté d'expression conformément à l'article 10 de la

  5   convention européenne. Est-ce que vous pouvez me dire si cela va dans le

  6   sens de ce que M. Weber indique ici ?

  7   R.  En particulier l'article 10, que je connais bien.

  8   Q.  Si maintenant vous passez au paragraphe suivant, ce sont là les

  9   requêtes du gouvernement suisse. Là, je vais vous donner lecture de ce que

 10   le gouvernement suisse a dit en réponse à ce qu'avançait M. Weber. Ils ont

 11   dit ce qui suit :

 12   "Argument ne convint pas la cour en raison de la nature formelle du secret

 13   visé aux articles 184 et 185 du code. D'après la jurisprudence et la

 14   doctrine suisse en la matière, le simple fait de communiquer l'un des

 15   éléments d'information d'une instruction judiciaire suffirait pour semer

 16   l'infraction; qu'il s'agisse de faits connus auparavant ou de leur

 17   notoriété antérieure le rapportant sur leur caractère plus ou moins secret

 18   n'entreraient en ligne de compte que pour la fixation du montant de

 19   l'amende."

 20   Est-ce que vous voyez cela concernant le gouvernement suisse ?

 21   R.  Paragraphe 50, c'est bien ça.

 22   Q.  Je vous demanderais maintenant de passer au paragraphe suivant, qui est

 23   le paragraphe 51 de ce document. Il s'agit là donc des conclusions de la

 24   cour européenne des droits de l'homme dans cette affaire qui stipule, en

 25   parlant de la requête du gouvernement suisse :

 26   "La cour considère que cet argument ne convint pas la cour. Aux fins de la

 27   convention, l'intérêt de garder secret les faits susmentionnés n'existaient

 28   plus le 2 mars 1982."

Page 365

  1   Vous vous souviendrez que cette date, Monsieur Joinet, est la date à

  2   laquelle s'est déroulée la conférence de presse. Le paragraphe continue en

  3   disant :

  4   "A cette date, la sanction infligée au requérant n'apparaissait donc plus

  5   nécessaire pour atteindre le but légitime poursuivi."

  6   Si maintenant vous voulez bien regarder le paragraphe 52 qui sont les

  7   conclusions définitives de la cour concernant l'article 10, il se lit :

  8   "Eu égard aux circonstances particulières de la cause, la cour conclut que

  9   par sa condamnation à une amende, M. Weber a subi dans l'exercice de son

 10   droit à la liberté d'expression une ingérence qui n'était pas, et je cite,

 11   'nécessaire dans une société démocratique' à la réalisation du but légitime

 12   poursuivi."

 13   Monsieur Joinet, pouvez-vous me dire s'il s'agit là d'un exemple ou de

 14   l'illustration du rôle de la cour appliquant le principe de

 15   proportionnalité dans le contexte de la liberté d'expression et de

 16   violation du secret judiciaire; est-ce que c'est là un exemple de cela ?

 17   R.  Je dirais que c'était un exemple clinique, puisque cela revenait à dire

 18   qu'avant le 2 mars le principe de proportionnalité était pertinent, mais

 19   qu'à partir du 2 mars, les faits étant rendus publics, il n'y avait plus à

 20   se poser la question de la proportionnalité. C'est d'ailleurs la raison

 21   pour laquelle le paragraphe 52 dit que ce n'est plus nécessaire dans une

 22   société démocratique. Avant, ça l'était; après cette date, non. C'est une

 23   illustration comme j'ai dit, clinique du rôle fondamental du principe de

 24   proportionnalité ou particulier dans le domaine des restrictions concernant

 25   le champ des droits de l'homme.

 26   Q.  Vous souvenez-vous que le Procureur vous a posé des questions vous

 27   demandant si vous étiez au courant de modifications dans le droit

 28   international qui se seraient produites, comme l'a dit le Procureur, depuis

Page 366

  1   1991 et au moment où vous avez publié votre rapport sur la liberté

  2   d'expression ? Vous souvenez-vous de ces questions posées par mon confrère

  3   ?

  4    R.  Je n'en avais pas toujours bien saisi le contexte, mais je me souviens

  5   qu'elles ont été posées.

  6   Q.  Je voudrais maintenant vous montrer une décision récente sur ce point

  7   en date du 12 novembre 2007, et que vous trouverez dans la liasse de

  8   documents que vous avez sous les yeux, à l'onglet 4 pour la version

  9   française et 3 pour l'anglais. Là encore, Monsieur Joinet, il s'agit d'un

 10   arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme et il s'agit donc d'une

 11   affaire Dupuis et autres contre la France en date du 7 juin 2007; est-ce

 12   que vous voyez cela ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Peut-être que pour rappeler le contexte - et je ne pense pas que cela

 15   soit remis en question - c'est une affaire qui concerne deux journalistes,

 16   M. Dupuis et M. Pontaut, qui ont publié un livre intitulé "Les oreilles du

 17   président." Connaissez-vous ce livre, Monsieur Joinet ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Peut-on dire que ce livre est un livre qui a été rédigé par deux

 20   journalistes français qui ont mené une enquête sur un programme civil

 21   orchestré par le président français de l'époque, M. Mitterrand, et ce dont

 22   ils ont parlé dans leur livre c'est plus ou moins le contexte de cette

 23   affaire ? Peut-être, pour avancer rapidement, si vous connaissez ce livre,

 24   est-il exact de dire que, dans cette affaire -- ou si vous le savez, est-ce

 25   que vous savez que ces deux journalistes ont été inculpés par les autorités

 26   pour avoir révélé le contenu de documents qui font partie d'une enquête

 27   judiciaire confidentielle ? Etes-vous au courant de cela ?

 28   R.  Oui.

Page 367

  1   Q.  Etes-vous également au courant du fait qu'une fois inculpés, ils ont

  2   été condamnés par les tribunaux français ? Est-ce que vous savez cela, et

  3   que leur argumentation, basée sur la liberté d'expression, a été rejetée ?

  4   Est-ce que vous êtes au courant de

  5   cela ?

  6   R.  Oui, j'en ai le souvenir.

  7   Q.  Pourrais-je vous demander maintenant de passer au paragraphe 36 de

  8   l'arrêt que vous avez sous les yeux ? Paragraphe 36.

  9   La cour dit ce qui suit :

 10   "D'une manière générale, la nécessité 'd'une quelconque restriction à

 11   l'exercice de la liberté d'expression doit se trouver établie de manière

 12   convaincante'."

 13   Le paragraphe continue en disant :

 14   "Qu'il revient en premier lieu aux autorités nationales d'évaluer s'il

 15   existe 'un besoin social impérieux susceptible de justifier ces

 16   restrictions,' exercice pour lequel elle bénéficie d'une certaine marge

 17   d'appréciation."

 18   Est-ce que vous voyez cela ?

 19   R.  Une seconde, s'il vous plaît. Besoin social impérieux, c'est ce qui est

 20   écrit, c'est certain.

 21   Q.  Il s'agit du paragraphe 36, Monsieur Joinet.

 22   Ensuite, la cour continue, en disant :

 23   "Dans le contexte actuel de la presse, le pouvoir d'appréciation national

 24   se heurte à l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir

 25   la liberté de la presse.

 26   "De même, il convient d'accorder un grand poids --"

 27   R.  [aucune interprétation]

 28   Q.  Il s'agit du paragraphe 36, Monsieur Joinet. Page 11, paragraphe 36.

Page 368

  1   La cour poursuit, en disant :

  2   "De même, il convient d'accorder un grand point à cet intérêt lorsqu'il

  3   s'agit de déterminer, comme l'exige le paragraphe 2 de l'article 10, si la

  4   restriction était proportionnée au but légitime poursuivi."

  5   Je voudrais m'arrêter là une seconde, Monsieur Joinet.

  6   Est-ce que cette définition ou cette description est conforme à votre

  7   compréhension du principe de proportionnalité auquel vous avez fait

  8   référence suite aux questions du Procureur ?

  9   R.  Tout à fait, d'autant plus que j'étais témoin dans ce procès en France.

 10   Q.  Merci pour cette information, Monsieur Joinet. Je n'étais pas au

 11   courant de cela.

 12   Puis-je maintenant vous demander de passer au paragraphe 39 de ce même

 13   document. Vous verrez qu'il s'agit de la section qui s'intitule :

 14   "Applications au cas d'espèce."

 15   Dans la première phrase du paragraphe 39, la cour dit ce qui suit :

 16   "La cour observe d'emblée que le thème de l'ouvrage concernait un débat qui

 17   était d'un intérêt public considérable."

 18   Est-ce que vous voyez cela ?

 19   R.  Oui. 

 20   Q.  Puis vient un deuxième élément sur ce point au paragraphe 40 et la cour

 21   applique cela aux considérations sur les faits et la cour dit ce qui suit :

 22   "La cour rappelle que l'article 10, paragraphe 2 de la convention ne laisse

 23   guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le

 24   domaine du discours politique ou des questions d'intérêt général."

 25   Est-ce que vous voyez cela ?

 26   R.  Très bien.

 27   Q.  Si vous considérez un autre élément au paragraphe 41, la première

 28   phrase, la cour dit ce qui suit :

Page 369

  1   "La fonction de la presse consiste à diffuser des informations et des

  2   idées sur des questions d'intérêt public; s'ajoute le droit pour le public

  3   d'en recevoir."

  4   Est-ce que vous pouvez voir cela ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Dans le même paragraphe, la cour poursuit en disant ce qu'on appelle le

  7   degré d'émotion ou une émotion et un écho particulièrement significatif.

  8   Au paragraphe 42, ce sont les mêmes éléments qui ont été pris en compte par

  9   la cour pour procéder à l'application au cas d'espèce. Est-ce que vous

 10   voyez que la cour parle de l'importance des médias dans le domaine de la

 11   justice pénale qui est très reconnue ? Est-ce que vous voyez ceci dans le

 12   paragraphe 42 ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Au dernier paragraphe, la cour réitère le même point, à savoir que :

 15   "Le public doit être en mesure de recevoir les informations sur le

 16   système de justice pénal par le truchement des médias, et que les

 17   journalistes, par conséquent, doivent être en mesure d'avoir le droit de

 18   pouvoir librement rendre compte du fonctionnement de justice pénal."

 19   C'est en haut de la page 14. Est-ce que vous voyez cela ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  La cinquième considération que la cour a prise en compte dans le

 22   contexte de son arrêt est au paragraphe 43 où la cour stipule que :

 23   "Ceux qui exercent une liberté d'expression, y compris les journalistes,

 24   assument des 'devoirs et responsabilités' dont l'étendue dépend de leur

 25   situation et du procédé technique utilisé."

 26   Est-ce que vous voyez cela ?

 27   R.  Je ne vois pas quelle -- c'est le 43 ? C'est au début ou à la fin du 43

 28   ?

Page 370

  1   Q.  Veuillez m'excuser. Il s'agit du paragraphe 43, c'est la première

  2   phrase qui commence par "Certes, quiconque," et cetera.

  3   Pouvez-vous voir cela ?

  4   R.  [hors micro]

  5   Q.  Je vais vous donner quelques secondes pour lire le paragraphe 44. Est-

  6   ce qu'il serait juste de dire qu'une autre considération que la cour a

  7   prise, en compte pour appliquer le principe de proportionnalité et la

  8   nécessité de limitation des droits, est en fait la grande couverture

  9   médiatique qui existait à l'époque concernant cette affaire, et le fait

 10   également que la cour stipule que : "Cette affaire était déjà de notoriété

 11   publique, que G.M. était mis en examen dans cette affaire" ?

 12   Donc, je vais vous donner quelques secondes pour lire cet [imperceptible]

 13   du paragraphe 44.

 14   R.  [hors micro]

 15   Q.  Est-ce exact de dire, Monsieur Joinet, qu'une des considérations de la

 16   Cour européenne des droits de l'homme, dans ce contexte, était en fait la

 17   très large médiatisation de l'affaire en question; est-ce exact ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Est-ce que je peux vous demander de regarder la dernière phrase de ce

 20   paragraphe, Monsieur Joinet ? Il est mentionné :

 21   "Dès lors, la protection des informations en tant qu'elles étaient

 22   confidentielles ne constituait pas un impératif

 23   prépondérant."

 24   Vous voyez cela ?

 25   R.  Oui, on aurait même pu dire qu'il "ne constituait plus un intérêt." Je

 26   ne sais pas en anglais quelle est la traduction.

 27   Q.  Vous voyez un autre attendu de la cour dans l'application à ce principe

 28   dans ce contexte. C'est le paragraphe 45, Monsieur Joinet :

Page 371

  1   "A cet égard, il faut relever que si la condamnation des requérants pour

  2   recel reposait sur la reproduction et l'utilisation dans leur ouvrage des

  3   documents contenus au dossier d'instruction, et dès lors considérés comme

  4   communiqués en violation du secret de l'instruction professionnelle, elle

  5   touchait inévitablement la révélation d'informations."

  6   La cour poursuit en disant :

  7   "On peut toutefois se demander s'il subsistait encore l'intérêt de garder

  8   secrètes des informations dont le contenu avait déjà au moins en partie été

  9   rendu public."

 10   Est-ce que vous voyez ceci ? Ils citent certaines affaires liées à cela.

 11   R.  [hors micro]

 12   Q.  Ensuite la cour stipule :

 13   "Qu'il était susceptible d'être connu par un grand nombre de

 14   personnes, eu égard à la couverture médiatique de l'affaire, tant en raison

 15   des faits que de la personnalité de nombreuses victimes desdites écoutes."

 16   R.  [hors micro]

 17   Q.  Ensuite on passe au paragraphe 46, à savoir :

 18   "La cour estime au demeurant qu'il convient d'apprécier avec la plus grande

 19   prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour recel

 20   de violation de secret de l'instruction ou de secret professionnel des

 21   journalistes qui participent à un débat public d'une telle importance

 22   exerçant ainsi leur mission de 'chiens de garde' de la démocratie."

 23   Est-ce que vous voyez cela ?

 24   R.  Je ne vois pas. C'est le paragraphe 47 ?

 25   Q.  C'est le paragraphe 46.

 26   R.  Quarante-six, excusez-moi.

 27   Q.  Non, je m'excuse. Il s'agit du paragraphe 46, première phrase.

 28   R.  Oui, tout à fait.

Page 372

  1   Q.  Si vous prenez le paragraphe 48, la cour considère ce qu'elle appelle

  2   une amende qui est considérée comme relativement modérée, et elle considère

  3   également l'effet saisissant que cela pourrait avoir sur la liberté

  4   d'expression. Au paragraphe 49, la cour conclut :

  5   "En conclusion, la cour estime que la condamnation des requérants s'analyse

  6   en une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression

  7   des intéressés, et qu'elle n'était donc pas nécessaire dans une société

  8   démocratique."

  9   Est-ce que vous voyez cela ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Je vais peut-être vous reposer la même question. Mais pensez-vous,

 12   qu'entre autres, il s'agit d'un exemple de ce que vous comprenez comme le

 13   principe de proportionnalité utilisé et en vigueur dans les tribunaux et

 14   cours d'Europe ainsi qu'au Conseil de

 15   l'Europe ?

 16   R.  Oui, c'est un cas clinique, comme je l'ai dit tout à l'heure, en

 17   particulier le paragraphe 48 qui montre qu'on risque d'engendrer

 18   l'autocensure s'il y a trop de limitations disproportionnées. L'autocensure

 19   des journalistes, enfin.

 20   Q.  Merci. J'aimerais maintenant que nous examinions un autre document qui

 21   vous a été montré rapidement il y a quelque temps de cela par l'amicus

 22   curiae. Il se trouve à l'intercalaire 79 du classeur de la Défense. Je vais

 23   vous expliquer ce dont il s'agit. Il s'agit d'une déclaration conjointe du

 24   rapporteur spécial des Nations Unies, il s'agit d'une déclaration relative

 25   à la liberté d'opinion et d'expression, il s'agit du représentant de

 26   l'OSCE, il s'agit également de la liberté des médias. M. MacFarlane a eu

 27   l'amabilité de vous lire deux principes de ce document. Il vous a posé des

 28   questions à propos d'exceptions éventuelles. Vous avez dit d'ailleurs que

Page 373

  1   ces deux exceptions étaient l'équité du procès pour l'accusée ainsi que la

  2   présomption d'innocence. Est-ce que vous vous souvenez avoir dit cela ?

  3   R.  [hors micro] -- un document sous les yeux, mais je crois me souvenir

  4   que c'était bien cela. Mais je ne connaissais pas la nature de ce document.

  5   Simplement une déclaration à la presse ou devant une instance habilitée, je

  6   ne sais pas. Je vous remercie.

  7   Q.  Puis-je vous demander de bien vouloir regarder le premier alinéa qui se

  8   trouve tout en haut de la page.

  9   R.  Oui. [en anglais] "No restrictions."

 10   [interprétation] Ça commence par les mots "aucune

 11   restriction" ?

 12   Q.  Oui. Est-ce que vous vous souvenez avoir indiqué à mon confrère que

 13   pour ce qui est de ce principe, il y a deux types de restrictions qui sont

 14   reconnus à la liberté d'expression dans ce contexte, vous avez donc

 15   l'équité du procès pour l'accusé ainsi que la présomption d'innocence de

 16   l'accusé ? Vous vous souvenez avoir dit cela ?

 17   R.  [en français] Oui. J'ai même précisé que tant que l'action publique

 18   n'était pas éteinte, c'était la règle.

 19   Q.  Est-ce que vous vous souvenez avoir ajouté également que l'une des

 20   situations où l'on envisage la fin de la procédure c'est lorsqu'il y a

 21   décès de l'accusé ?

 22   R.  Il y a en trois causes; condamnation de [imperceptible] définitive, la

 23   prescription ou le décès.

 24   Q.  Est-ce que vous savez qu'à l'époque où Mme Hartmann a publié son livre,

 25   ainsi que l'article qui est en jeu ici en l'espèce, les décisions -- ou

 26   plutôt, l'accusé à propos desquels les décisions avaient été rendues était

 27   décédé ? Est-ce que vous saviez cela ?

 28   R.  Je ne comprends -- que M. Milosevic était décédé ? Oui, c'était de

Page 374

  1   notoriété publique dans les minutes qui ont suivi sa mort.

  2   Q.  Est-ce que vous savez qu'en vertu d'une ordonnance du 14 mars 2006, le

  3   Tribunal, par le biais de cette ordonnance, a ordonné la fin de la

  4   procédure intentée contre Milosevic ? Est-ce que vous le saviez cela ?

  5   R.  [hors micro] -- une conséquence nécessaire de sa mort.

  6   Q.  J'aimerais maintenant vous demander de faire une observation

  7   rapidement. Il y a un document qui vous a été montré.

  8   Il s'agit de l'intercalaire 80 du classeur. C'est un document qui vous a

  9   été montré par l'Accusation. En fait, il s'agit des recommandations du

 10   Conseil de l'Europe du 10 juillet 2003.

 11   Donc je ne pense pas qu'il soit -- mais je remercie M. l'Huissier qui vous

 12   amène le document.

 13   J'aimerais tout simplement vous demander, Monsieur Joinet, de bien vouloir

 14   vous concentrer sur la première page de ce document, et je souhaiterais que

 15   vous examiniez le quatrième paragraphe de ce document, me semble-t-il, et

 16   je vais vous en donner lecture. Voilà ce qui est écrit, je cite :

 17   "Rappelant également le droit des médias à informer le public, étant donné

 18   que le public a le droit de recevoir l'information, notamment lorsqu'il

 19   s'agit d'informations relatives" --

 20   R.  [hors micro]

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, Maître Mettraux, moi non plus

 22   je ne trouve pas le paragraphe.

 23   M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, Monsieur le Président, cela doit se

 24   trouver à l'intercalaire 79 --

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] L'intercalaire 79, le quatrième

 26   paragraphe commence par les mots "condamnant," et cetera.

 27   M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, je m'excuse, non, non. Je pense

 28   qu'il s'agit de l'intercalaire 80, me semble-t-il. En fait, j'ai un

Page 375

  1   document différent et étant donné que vous n'avez pas le document, je vais

  2   vous donner lecture de cela.

  3   Q.  Monsieur Joinet, aux fins du compte rendu d'audience, il s'agit d'une

  4   recommandation du conseil de l'Europe de l'année 2003. Il s'agit du comité

  5   des ministres des Etats membres et il s'agit du 10 juillet 2003,

  6   déclaration sur la diffusion de l'information par les médias en relation

  7   avec les procédures pénales. Il s'agit du comité des ministres du conseil

  8   de l'Europe. Faites abstraction du texte pour le moment, Monsieur Joinet.

  9   Je vais vous donner lecture de deux extraits et je vous demanderai votre

 10   point de vue après.

 11   La première déclaration est comme suit :

 12   "Rappelant également que les médias ont le droit d'informer le public étant

 13   donné que le public a le droit de recevoir des informations, notamment des

 14   informations --"

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, le Juge Guney

 16   souhaiterait intervenir.

 17   M. LE JUGE GUNEY : [aucune interprétation]

 18   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge, la référence est une

 19   recommandation, Rec, (2003) 13, 1-3, du comité des ministres destiné aux

 20   Etats membres. Il s'agit d'une recommandation relative à la diffusion

 21   d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous pourriez nous dire à quel

 23   intercalaire se trouve ce document ?

 24   M. METTRAUX : [interprétation]  Monsieur le Président, nous pensons que

 25   c'est un document erroné qui a été placé dans le classeur. Donc c'est nous

 26   qui avons fait la faute. Je vais vous donner lecture de la déclaration et

 27   il s'agit de la recommandation qui est relative à cette déclaration.

 28   Q.  Monsieur Joinet, dans ce document, le conseil de l'Europe, par son

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  1   comité des ministres, stipule ce qui suit :

  2   "Rappelant que les médias ont le droit d'informer le public, étant donné

  3   que le public a le droit de recevoir des informations, notamment des

  4   informations portant sur des questions d'intérêt public conformément à

  5   l'article 10 de la convention, et que les médias ont un devoir

  6   professionnel de se comporter de la sorte."

  7   Alors, j'aimerais vous poser cette question. Il s'agit d'une déclaration de

  8   principe émise par le comité des ministres du conseil de l'Europe. Est-ce

  9   que cette déclaration est conforme au point de vue adopté par la sous-

 10   commission au moment où vous avez travaillé pour cet organe ?

 11   R.  Oui, le droit de recevoir étant toujours corrélatif à l'obligation de

 12   donner des informations.

 13   Q.  Puis il y a un deuxième et dernier passage dont j'aimerais vous donner

 14   lecture. Deux paragraphes plus bas, voilà ce qui est écrit :

 15   "Insistant sur l'importance du fait que les médias présentent des rapports

 16   et informent le public à propos de procédures pénales, ce qui représente

 17   une fonction de dissuasion visible tout en assurant le contrôle public du

 18   fonctionnement du système judiciaire pénal."

 19   Monsieur Joinet, j'aimerais vous poser la même question. Est-ce qu'il

 20   s'agit d'un point de vue exprimé par le comité des ministres du conseil de

 21   l'Europe qui était conforme au point de vue adopté par la sous-commission

 22   des Nations Unies à l'époque où vous travailliez pour cet organe ?

 23   R.  Oui.

 24   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai terminé pour

 25   ce qui est des questions supplémentaires. Il nous reste encore deux

 26   éléments et je me propose -- d'ailleurs, nous avons eu un accord avec M.

 27   MacFarlane pour ce qui est des documents, des documents qui ont été

 28   présentés à ce témoin. M. MacFarlane n'a aucune objection à ce que ces

Page 378

  1   documents soient versés directement, et je pense que nous allons donc

  2   adopter exactement la même chose que ce que nous avons fait avec le témoin

  3   précédent.

  4   Je vous remercie, Monsieur Joinet.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie beaucoup d'être venu

  6   témoigner, Monsieur Joinet. Vous êtes arrivé maintenant au terme de votre

  7   déposition. Vous pouvez maintenant disposer et je vous souhaite un bon

  8   retour chez vous.

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 11   [Le témoin se retire]

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux.

 13   M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   Nous allons appeler notre témoin suivant, Mme Natasa Kandic.

 15   Nous aimerions indiquer à la Chambre, tel que nous en avons informé le

 16   Greffier, la Section des Victimes et des Témoins, ainsi que nos collègues

 17   de l'Accusation, que nous n'allons pas convoquer le troisième témoin qui

 18   devait être notre dernier témoin et qui figurait sur notre liste de

 19   témoins, Monsieur le Président.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je ne sais pas. Est-ce que l'huissier

 21   va faire entrer le témoin, ou est-ce qu'il est en train de s'occuper du

 22   témoin qui vient de partir du prétoire ? Où se trouve le témoin qui doit

 23   comparaître maintenant ?

 24   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour, Madame.

 26   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

 27   M. METTRAUX : [interprétation] Vous pouvez vous exprimer en B/C/S.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne parle pas français. Je parlerai -- dois-

Page 379

  1   je parler anglais ?

  2   M. METTRAUX : [interprétation] Non, non, en B/C/S.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour, Madame.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous demande de prononcer la

  6   déclaration solennelle.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  8   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  9   LE TÉMOIN : NATASA KANDIC [Assermenté]

 10   [Le témoin répond par l'interprète]

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez prendre place, je vous en

 12   prie.

 13   Maître Mettraux.

 14   M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Interrogatoire principal par M. Mettraux : 

 16   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame Kandic. Je m'appelle Guenal Mettraux

 17   et je représente Mme Florence Hartmann.

 18   Avant que nous ne commencions, j'aimerais juste m'assurer que vous entendez

 19   bien l'interprétation en serbe.

 20   R.  Oui, oui.

 21   Q.  Est-ce que vous pourriez, je vous prie, décliner votre identité ainsi

 22   que votre date de naissance.

 23   R.  Je m'appelle Natasa Kandic. Je suis née le 16 décembre 1946.

 24   Q.  Est-ce que vous pourriez nous dire quelle est votre profession actuelle

 25   ?

 26   R.  Je travaille dans le domaine des droits de l'homme. Je m'occupe de

 27   plusieurs projets qui se consacrent à la mise au point d'une justice de

 28   transition dans les Etats de l'ex-Yougoslavie.

Page 380

  1   Q.  A ce titre, est-ce que vous dirigez un organe ou un centre ?

  2   R.  Oui. Oui, oui. Je suis la fondatrice ainsi que la directrice du centre

  3   de Droits humanitaires qui est une organisation où nous avons des documents

  4   relatifs aux crimes de guerre et qui est une organisation également qui

  5   s'occupe de justice transitionnelle.

  6   Q.  Brièvement, parce que nous avons beaucoup de questions à vous poser,

  7   mais en tant que fondatrice et directrice de ce centre - et je pense

  8   également à vos diverses activités dans le domaine des droits de l'homme -

  9   j'aimerais savoir si vous avez reçu des prix, par exemple ?

 10   R.  Oui. J'ai reçu plusieurs récompenses, la dernière d'ailleurs m'ayant

 11   été décernée il y a deux jours. Il s'agissait d'une récompense qui m'a été

 12   décernée par une organisation locale au Kosovo.

 13   Q.  Je ne vais pas entrer dans les détails de tout cela, mais j'aimerais

 14   savoir si la revue "Time" vous a nommé comme l'une des héroïnes pour

 15   l'année 2003, ainsi que l'une des personnes épousant la cause des droits de

 16   l'homme en 2007 ? Est-ce que cela a été dit ?

 17   R.  Oui.

 18   M. METTRAUX : [interprétation] Tout simplement pour le compte rendu

 19   d'audience, le CV ou, en tout cas, une partie du CV se trouve à

 20   l'intercalaire 82 du classeur. Je pense que nous n'allons plus entrer dans

 21   ces détails du curriculum vitae mais nous allons demander son versement au

 22   dossier.

 23   Q.  Madame Kandic, est-ce que votre centre, ce centre de Droits

 24   humanitaires, est-ce que ce centre a des liens avec ce Tribunal, son

 25   mandat, ses organes ?

 26   R.  Oui, oui, tout à fait. En fait, j'ai été la première personne, la

 27   première militante des droits de l'homme des Etats de l'ex-Yougoslavie à

 28   être invitée par le bureau du Procureur en août 1994, afin que je les aide

Page 381

  1   à compiler et collecter des renseignements et informations pertinents,

  2   étant donné qu'ils ne faisaient que commencer leur travail dans le cadre de

  3   la première enquête à l'époque. Juste après cela, quelques mois plus tard,

  4   nous au centre pour les Droits humanitaires avons collecté, préparé, et

  5   traduit en anglais plusieurs documents extrêmement précieux qui étaient

  6   relatifs à des violations importantes des droits de l'homme en Bosnie-

  7   Herzégovine. Puis par la suite, à plusieurs reprises d'ailleurs, nous avons

  8   présenté au bureau du Procureur nos propres documents, nous avons partagé

  9   avec eux le résultat ou les résultats de nos contacts avec les témoins.

 10   Nous les avons aidé à trouver des témoins, et nous avons d'ailleurs

 11   toujours maintenu une coopération très, très étroite à propos de ce domaine

 12   d'activités, à savoir les documents relatifs aux crimes de guerre.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, permettez-moi.

 14   J'aimerais tout simplement savoir : Madame, quand est-ce que le

 15   centre en question a été fondé ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] En novembre 1992.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Maître Mettraux.

 18   M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je disais en novembre 1992.

 20   M. METTRAUX : [interprétation]

 21   Q.  Oui, je vous remercie, Madame Kandic. Est-ce que vous pourriez nous

 22   dire si votre organisation, ce centre pour les Droits humanitaires, a pris

 23   des mesures pour que soit mieux connu dans la région le travail de ce

 24   Tribunal, donc à savoir dans les Etats qui auparavant formaient l'ex-

 25   Yougoslavie ?

 26   R.  Oui, oui, tout à fait. Nous l'avons fait. Nous avons organisé quatre

 27   conférences importantes au cours desquelles nous avons présenté les

 28   jugements du Tribunal de La Haye essentiellement et précisément parce que

Page 382

  1   nous pensions qu'il était absolument essentiel de promouvoir la vérité

  2   judiciaire telle que déterminée par ces jugements officiels. Nous avons

  3   également organisé des colloques ou des réunions auxquels venaient toujours

  4   plus de 150 participants, pour ce qui était des jugements dans l'affaire

  5   Brcko, dans l'affaire Foca, dans l'affaire Srebrenica, dans l'affaire

  6   Celebici. Il faut savoir que ce sont les seules conférences organisées en

  7   Serbie où il a été question de façon détaillée des éléments de preuve qui

  8   sous-tendaient les jugements. D'ailleurs, nous avons également invité les

  9   témoins à partager leurs points de vue pour que la vérité judiciaire puisse

 10   enfin être rendue.

 11   Q.  Est-ce que vous pourriez expliquer peut-être brièvement pourquoi il est

 12   important que votre centre participe aux efforts faits pour mieux faire

 13   connaître le travail du Tribunal ?

 14   R.  Parce que le centre pour les Droits humanitaires, ainsi que d'autres

 15   organisations qui œuvrent dans le domaine des droits de l'homme, ont

 16   véritablement et se sont ralliés en fait, et ce, de façon véhémente au

 17   travail accompli par ce Tribunal, parce qu'il s'agissait de la première

 18   institution internationale mise sur pied afin de mettre un terme à la

 19   violence et aux crimes de guerre en commençant donc ces procès pour les

 20   crimes de guerre, ce qui fait que plus personne ne pouvait compter sur

 21   l'impunité. Nous pensons que notre coopération avec le TPIY, notamment avec

 22   le bureau du Procureur était importante précisément parce qu'il s'agit

 23   d'opposer une résistance à la culture de l'impunité qui avait véritablement

 24   dominé pendant des années tous ces Etats de l'ex-Yougoslavie.

 25   Q.  Alors, nous allons revenir sur cette question dans un petit moment,

 26   mais j'aimerais maintenant aborder la question de vos liens avec Mme

 27   Hartmann, l'accusée en l'espèce.

 28   Est-ce que vous pouvez vous souvenir, de façon approximative peut-

Page 383

  1   être, quand vous avez rencontré pour la première fois Mme Hartmann, et le

  2   cas échéant, dans quelles circonstances ?

  3   R.  Pendant les années 1990, Florence Hartmann était une journaliste

  4   particulièrement bien connue dans les Etats de l'ex-Yougoslavie, notamment

  5   après le début des conflits armés. Elle était reconnue comme une

  6   journaliste qui se trouvait dans tous les endroits où les droits de l'homme

  7   étaient violés. Elle était connue comme quelqu'un qui présentait ses

  8   reportages de façon véridique et de façon objective pendant toutes ces

  9   années.

 10   Notamment pendant les années 1991 et 1992, nous ne commencions qu'à

 11   traiter les droits de l'homme. Nous avons appris beaucoup en matière de

 12   violations de droits de l'homme et nous l'avons appris la première fois

 13   très souvent grâce aux reportages de Florence Hartmann. Je me souviens très

 14   bien de l'époque où elle a été expulsée de Serbie. Elle a dû quitter ce

 15   pays à une époque où les organisations de droits de l'homme, et moi-même,

 16   personnellement, nous avons réagi de façon violente contre cette situation.

 17   Mais c'était une époque où les voix des militants des droits de l'homme

 18   n'avaient aucune importance, et Florence Hartmann ainsi que d'autres

 19   journalistes importants et très compétents ont dû quitter la Serbie.

 20   Q.  Juste pour enchaîner à la suite de ce que vous venez de dire, parce que

 21   vous venez de nous dire que Mme Hartmann a été expulsée de Serbie, est-ce

 22   que vous savez qui a expulsé Florence Hartmann de Serbie, et pour quelle

 23   raison ?

 24   R.  Elle a dû quitter la Serbie à la suite d'une décision prise par les

 25   autorités, et à l'époque, les autorités correspondaient à tout un système

 26   qui était dirigé par Slobodan Milosevic, mais je pense que cette décision

 27   précise fut prise par le ministère de l'Intérieur. Elle a dû quitter le

 28   pays du fait des reportages qui étaient censés être partiaux et ce qui

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  1   était allégué en fait engendré un climat d'intimidation pour de nombreuses

  2   personnes en Serbie. En d'autres termes, elle se contentait tout simplement

  3   de faire son travail de façon professionnelle.

  4   Q.  Est-ce que vous savez quelles sont les véritables raisons pour

  5   lesquelles Mme Hartmann a été expulsée du pays par M. Milosevic ?

  6   R.  Je ne m'en souviens pas précisément, mais j'ai eu une impression -

  7   impression d'ailleurs qui était partagée par de nombreuses personnes - j'ai

  8   eu l'impression, disais-je, que le problème était que Mme Hartmann s'était

  9   rendue de Belgrade à Vukovar, et grâce à ses articles, nous avions reçu

 10   certaines informations à propos de la situation qui prévalait en Croatie, à

 11   Vukovar, en Bosnie-Herzégovine, et ce, à la fin de l'année 1991 et au début

 12   de l'année 1992, ainsi que dans d'autres endroits, il faut savoir qu'à

 13   cette époque, des crimes de guerre très graves ont été commis. C'est, en

 14   tout cas, ce que pensaient les organisations de droits de l'homme, et c'est

 15   la raison essentielle, la raison essentielle étant d'interrompre le flux

 16   d'information.

 17   Q.  Après la fin de la guerre en ex-Yougoslavie, est-ce que vous avez

 18   continué à voir Mme Hartmann ? Est-ce que vous avez continué avoir des

 19   contacts avec elle ?

 20   R.  J'ai toujours suivi son travail, je dois dire qu'elle se rendait

 21   fréquemment en Bosnie-Herzégovine. En fait, Mme Hartmann était un type de

 22   journaliste qui elle était elle plutôt très attachée à la région de l'ex-

 23   Yougoslavie qu'elle connaît très, très bien d'ailleurs, et par la suite

 24   elle est devenu porte-parole du bureau du Procureur. Pour moi ainsi que

 25   pour d'autres militants des droits de l'homme, cela avait son importance

 26   parce que nous pensions qu'il était extrêmement judicieux qu'une personne

 27   telle quelle, une personne qui avait tant de connaissance, une personne,

 28   qui s'était rendue dans un nombre infini d'endroits et qui avait une

Page 385

  1   connaissance en matière de crimes de guerre, soit nommée à cette fonction.

  2   Il s'agissait d'une personne à qui ne l'on devait rien apprendre sur ce qui

  3   s'était passé car elle avait une expérience directe du terrain, de ce qui

  4   s'était passé sur le terrain.

  5   Q.  Est-ce que Mme Hartmann avait des contacts avec le centre que vous

  6   dirigez ?

  7   R.  Oui. L'année dernière, en 2008, nous avons élu un nouveau conseil de

  8   direction, et étant donné qu'elle ne travaillait plus pour le TPIY, il m'a

  9   semblé que c'était l'occasion si l'en fut de prendre contact avec elle et

 10   de l'inviter à devenir membre du conseil de direction de notre centre pour

 11   le droit humanitaire, parce qu'il aurait été ou cela aurait été à

 12   l'encontre de notre Règlement de l'inviter de devenir membre du conseil de

 13   direction alors qu'elle était encore porte-parole du TPIY. Mais puisqu'elle

 14   est maintenant freelance, je l'ai invitée à le faire. Depuis le début de

 15   l'année 2008, elle est membre de notre conseil de direction.

 16   Q.  Est-ce que sa réputation - bon, qu'il s'agisse de sa réputation

 17   professionnelle ou en tant que personne, si tant est que vous puissiez nous

 18   parler de ces deux réputations - est-ce que sa réputation a été importante

 19   pour que vous preniez la décision de l'inviter à devenir membre du conseil

 20   de direction ?

 21   R.  Oui, tout à fait, parce que je connais Florence Hartmann depuis les

 22   années 90. Elle est journaliste, elle était correspondante, j'ai appris

 23   beaucoup d'elle.

 24   Lorsque j'ai commencé à travailler dans le domaine des crimes de guerre en

 25   1991, pour moi, il était absolument essentiel de savoir quels étaient les

 26   journalistes qui étaient objectifs, de savoir quels étaient les

 27   journalistes qui s'étaient rendus dans la région et qui avaient été témoins

 28   oculaires de crimes de guerre, et donc il m'était important de connaître

Page 386

  1   les journalistes dont je pouvais utiliser les informations comme point de

  2   départ de nos enquêtes.

  3   Au cours de toutes ces années, jamais Florence Hartmann n'a rédigé quelque

  4   chose qui s'est avéré inexact ou que l'on aurait pu remettre en question,

  5   par exemple, du point de vue professionnel.

  6   Q.  Lorsque vous avez entendu parler de cette inculpation devant le

  7   Tribunal de Mme Hartmann pour un délit d'outrage à la Cour, est-ce que vous

  8   avez envisagé de l'expulser du conseil ? Est-ce que vous avez envisagé de

  9   le faire - et je parle du conseil du centre ?

 10   R.  Bien, la situation était bizarre. Je n'ai pas entendu parler de cette

 11   inculpation de la bouche de Mme Hartmann, et cela ne m'a pas beaucoup

 12   étonné, puisque cela fait des années que je la connais, et elle n'est pas

 13   ce type de personne. Elle n'est pas le type de personne qui parlerait de

 14   ses propres problèmes ou qui dirait que les choses sont dures ou difficiles

 15   pour elle. J'ai lu cela dans les journaux.

 16   Sa première réaction, lorsqu'elle m'a par la suite appelée, a été de

 17   demander si cela ne posait pas problème qu'elle continue à être membre du

 18   conseil exécutif du centre de Droit humanitaire. J'ai été surprise par la

 19   question et quelque peu même offensée. Je me suis demandée si elle pensait

 20   peut-être que le plus important pour moi, lorsque j'avais décidé de

 21   l'inviter à devenir membre du conseil, était le fait qu'elle travaillait

 22   comme porte-parole du bureau du Procureur, mais cela, en fait, découlait

 23   plutôt de son côté humain et de son côté professionnel. Elle était prête à

 24   aller aussi loin que possible pour éviter de mettre qui que ce soit dans

 25   l'embarras.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Mettraux, est-ce le bon

 27   moment ?

 28   M. METTRAUX : [interprétation] Certainement, Monsieur le Président.

Page 387

  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous allons donc faire une pause et

  2   revenir à la demie, à midi et demi.

  3   --- L'audience est reprise à 12 heures 03.

  4   --- L'audience est suspendue à 12 heures 34.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Mettraux.

  6   M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Président. Est-ce que l'huissier

  7   pourrait aider le témoin en lui remettant le classeur qui se trouve là,

  8   s'il vous plaît. Merci. Il s'agit du classeur numéro 3.

  9   Q.  Madame Kandic, pourrais-je vous demander, s'il vous plaît, de passer à

 10   l'onglet 83 de ce dossier.

 11   M. MacFARLANE : [interprétation] Onglet 53 ?

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Non, 83.

 13   Q.  Est-ce que, Madame Kandic, vous avez sous les yeux communiqué de presse

 14   du Centre de droit humanitaire en date du 3 novembre 2008 ? Est-ce que vous

 15   l'avez sous les yeux ?

 16   R.  Oui, tout à fait, je le vois.

 17   Q.  Est-ce que vous avez participé à la préparation de ce document ? Si tel

 18   est le cas, de quelle partie du document s'agit-il ?

 19   R.  Oui, j'ai participé à la rédaction de ce document, avec d'autres

 20   organisations et d'autres signataires qui figurent sur ce document.

 21   Q.  Je voudrais peut-être vous lire très rapidement le premier paragraphe

 22   de ce document. Il est dit :

 23   "Concernant le procès de la journaliste Florence Hartmann devant le

 24   Tribunal de La Haye pour la publication des décisions confidentielles de la

 25   Chambre d'appel dans l'affaire Slobodan Milosevic, des organisations des

 26   droits de l'homme des Etats successeurs de l'ancienne Yougoslavie

 27   voudraient attirer l'attention sur le fait que le contenu de ces décisions

 28   avait fait l'objet de nombreux rapports dans la presse et de débats publics

Page 388

  1   après que la Cour internationale de Justice ait rendu son jugement en

  2   février 2007 dans le cas de la BiH contre la Serbie dans le cadre de

  3   l'accusation de génocide, et l'on ne comprend pas pourquoi Mme Hartmann a

  4   été montrée du doigt par les Juges à La Haye."

  5   Vous avez indiqué dans ce paragraphe qu'il y a eu beaucoup de rapports de

  6   presse et de débats publics. Pouvez-vous nous expliquer, en termes

  7   généraux, sur quoi cela portait ?

  8   R.  Oui, c'est exact. Nous tous, moi-même comme d'autres militants des

  9   droits de l'homme, nous avons été étonnés de cet acte d'accusation, parce

 10   que nous avons discuté du contenu de cette décision controversée pendant

 11   des années et de façon très intense pendant la création de la Cour

 12   internationale de Justice, car il était de notoriété publique que ces

 13   comptes rendus d'audience et ces procès-verbaux du Conseil suprême de la

 14   Défense existent et que certains des paragraphes du compte rendu d'audience

 15   avaient été expurgés. C'était quelque chose dont on parlait constamment,

 16   sur quoi portaient ces comptes rendus d'audience, ce qui était caché dans

 17   ces comptes rendus, et il n'y avait pas d'opposition de la part des

 18   autorités à ce que nous, organisations des droits de l'homme, disions, à

 19   savoir que ces comptes rendus contiennent des parties des débats et des

 20   délibérations au sein du Conseil de la Défense suprême qui concernent

 21   Srebrenica, en premier, et également la participation de la police et des

 22   forces armées de la Serbie dans ces événements. J'en ai parlé ouvertement,

 23   et personne n'a jamais dit que cela n'était pas la vérité. Ce n'est pas ce

 24   que contiennent ces parties expurgées des comptes rendus. Personne n'a

 25   jamais remis cela en question dans notre pays, n'a jamais remis en question

 26   le fait que le gouvernement de Serbie ait demandé au Tribunal à La Haye

 27   cette décision pour protéger les parties expurgées du compte rendu. Ce qui

 28   était concerné c'était le contenu de ces comptes rendus d'audience. Il nous

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  1   semblait parfaitement illogique qu'une seule personne soit montrée du doigt

  2   pour en parler.

  3   Je me souviens du livre de Florence Hartmann qui a été cité dans des

  4   rapports de presse après nombreux de discussions dans les médias. Nous ne

  5   pouvions pas comprendre pourquoi est-ce que Florence Hartmann était montrée

  6   du doigt, parce que nous parlions de ces choses-là de façon tout à fait

  7   ouverte dans la presse. Il y avait même eu un séminaire d'experts dans

  8   notre région qui avait été organisé après la décision de la Cour

  9   internationale de Justice en juin et juillet 2007. Nous ne comprenions pas

 10   pourquoi cette personne, entre autres, avait été choisie et montrée du

 11   doigt, alors que nous avions tous autorisation de débattre du contenu de

 12   ces décisions.

 13   C'est ce qui nous a emmenés, nous militants des droits de l'homme, à

 14   nous trouver dans une situation curieuse. Nous parlions de la transparence

 15   de la procédure dans les affaires, dans l'affaire Milosevic et dans

 16   d'autres affaires, pourquoi une telle décision de caviarder ces parties

 17   était prise en premier lieu, et pourquoi est-ce que ce critère de sécurité

 18   nationale était appliqué de cette façon. Nous avons discuté de l'intérêt de

 19   la sécurité nationale non seulement en Serbie, mais dans l'ensemble de la

 20   région. Nous en avons discuté à maintes reprises, et nous nous retrouvions

 21   toujours face au même dilemme, à savoir si l'acceptation de ce critère

 22   contribuait réellement à établir les faits concernant ces événements; et

 23   est-ce que cela était réellement en conformité avec l'obligation de la Cour

 24   de prendre en compte tous les faits pertinents qui pouvaient nous permettre

 25   de voir ce qui s'était réellement produit, et pourquoi est-ce que toutes

 26   ces choses ne pouvaient être publiques ? Nous pensions qu'il fallait

 27   entourer cela d'aussi peu de secret que possible, tout particulièrement

 28   lorsqu'il s'agissait de crimes de guerre.

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  1   Le TPIY était, pour la première fois, dans une situation qui lui

  2   permettait d'essayer de découvrir la vérité sur ce qui s'était passé et

  3   pourquoi cela s'était passé. Nous nous attendions tous que cette Cour

  4   l'indique en public et nous aide, nous dans la région, à prendre

  5   connaissance de ces faits et à commencer à réfléchir à ce qui s'était passé

  6   autrefois, et que grâce à cela, nous pourrions résister et nous attaquer à

  7   cette culture de l'impunité, et utiliser ces faits pour établir les

  8   responsabilités personnelles et également les responsabilités des autorités

  9   et de l'Etat.

 10   Il nous semble que c'était là un critère qui n'était pas approprié

 11   dans le contexte de procès pour crimes de guerre et également dans le cadre

 12   de procès visant à établir la responsabilité des Etats. Il nous semblait

 13   qu'il était totalement inapproprié du point de vue des droits de l'homme,

 14   et que ceci n'allait pas dans le sens de ce que nous envisagions et la

 15   façon dont les tribunaux devaient agir pour établir la responsabilité

 16   personnelle et la responsabilité d'Etat. Nous pensons que ce critère, cette

 17   norme, devaient être largement débattus et que les juristes des

 18   organisations et les organisations des droits de l'homme devraient être

 19   autorisées à en discuter ouvertement, notamment savoir si ce critère permet

 20   d'établir des faits et de les présenter en public - et je ne sais pas

 21   comment le dire - mais pour créer un climat différent dans les Etats

 22   impliqués dans ce conflit.

 23   Nous, au sein d'organisations des droits de l'homme, pensions que les

 24   cours, qu'il s'agisse de cours pénales et d'affaires pénales ou de la Cour

 25   internationale de Justice, nous devrions rester très prudents en prenant

 26   des décisions et être conscients que ces décisions doivent permettre un

 27   équilibre entre la sécurité nationale et la nécessité de rendre justice,

 28   qu'il y a également le facteur des victimes et leurs attentes. Les victimes

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  1   s'attendent à ce que les tribunaux prennent des décisions qui vont dans le

  2   sens de la justice, et en prenant des décisions différentes, ces tribunaux

  3   aident les Etats qui se préparent à commettre les crimes les plus terribles

  4   dans leurs propres intérêts. Et --

  5   Q.  Madame Kandic, nous reviendrons à cela dans un instant. Si vous pouviez

  6   juste vous recentrer sur la question. Vous avez parlé de beaucoup de

  7   choses, mais je vous demanderais d'essayer de répondre à la question aussi

  8   précisément que possible dans la mesure où nous avons peu de temps.

  9   Pouvez-vous indiquer à la Chambre si les informations que vous avez dit que

 10   vous, organisation humanitaire et d'autres organisations, possédiez,

 11   concernant les expurgations qui avaient été ordonnées concernant les

 12   procès-verbaux du Conseil suprême de la Défense, est-ce que vous avez reçu

 13   ces informations avant la publication du livre de Mme Hartmann ou après ?

 14   R.  Oui, oui. J'étais tout à fait au courant moi-même et il en va de même

 15   pour d'autres militants des droits de l'homme. C'était quelque chose qui

 16   avait été publié dans les médias et qui avait fait l'objet de longues

 17   discussions. Des représentants de l'Etat de Serbie, même ceux qui faisaient

 18   partie de l'équipe de la Défense, disaient que l'Etat devait être protégé,

 19   que la sécurité nationale de l'Etat est ce qu'il y a de plus important, et

 20   en public ils avaient parlé de l'importance de cacher certaines

 21   informations.

 22   Par ailleurs, nous pensions que l'établissement et la divulgation des faits

 23   étaient extrêmement importants pour établir et rendre la justice dans les

 24   Etats de l'ancienne Yougoslavie. Nous pensions que cela était quelque chose

 25   d'important, et c'est quelque chose, c'était un sujet dont on parlait en

 26   public et dont on avait parlé dans diverses réunions. Ce n'est pas quelque

 27   chose que nous avons découvert au moment de la publication du livre. Le

 28   livre n'a rien dit de nouveau et ce n'était pas quelque chose dont nous

Page 393

  1   avions commencé à parler lorsque le livre a été publié.

  2   Q.  Je voudrais d'abord vous montrer quelques exemples, ce qui nous

  3   permettra peut-être d'aller un petit peu plus vite, peut-être.

  4   Je vous demanderais de prendre l'onglet 84 bis dans votre dossier. Dans cet

  5   onglet de classeur, vous trouverez un article du "New York Times" en date

  6   du 9 avril 2007, qui a été rédigé par Marlise Simons, et qui s'intitule :

  7   "La Cour contre le génocide après une décision pour la Serbie sans avoir vu

  8   l'ensemble des archives de guerre." Est-ce que vous voyez ce document ?

  9   Est-ce que vous avez ce document sous les yeux ?

 10   R.  Oui, oui, je le vois.

 11   Q.  Pouvez-vous me dire si vous avez fait l'objet d'un entretien concernant

 12   cet article ?

 13   R.  Oui, j'ai parlé au journaliste du "New York Times," et comme vous

 14   pouvez le voir, il s'agissait du mois d'avril 2007, ce qui a été bien avant

 15   la publication du livre de Mme Hartmann, et cela concernait le procès-

 16   verbal et le compte rendu d'audience du Conseil suprême de la Défense. J'en

 17   ai dit beaucoup plus à cette occasion que ce qui apparaît dans le texte.

 18   J'ai dit au journaliste dans quelle mesure --

 19   Q.  Madame Kandic, un instant, s'il vous plait. Je viendrai sur cette

 20   partie qui concerne votre entretien plus tard. Prenons maintenant cet

 21   article étape par étape.

 22   Si vous regardez les deux premiers paragraphes, il est dit qu'au

 23   printemps 2003, pendant le procès de M. Milosevic, des centaines de

 24   documents sont arrivés au Tribunal. Ensuite, au paragraphe suivant, il est

 25   fait référence à des caches pour certains documents. Dans le troisième

 26   paragraphe, il est dit que la Serbie, héritière de la Yougoslavie, a obtenu

 27   la permission du Tribunal pour que certaines parties des archives ne soient

 28   pas du domaine public.

Page 394

  1   "En citant la sécurité nationale, ses juristes ont caviardé un grand

  2   nombre de pages sensibles, et ceux qui les ont vues parlent de pages

  3   incriminantes …"

  4    Le paragraphe suivant fait référence aux juristes et ceux qui

  5   étaient impliqués dans cette demande de secret de la Serbie. Est-ce que

  6   vous voyez cela ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  A la page suivante de cet article du "New York Times," je vous

  9   demanderais de vous pencher sur un paragraphe vers la fin de la page qui

 10   commence par : "However." "Néanmoins, les juristes qui ont vu les

 11   documents…" C'est trois paragraphes avant la fin.

 12   R.  Oui, je le vois, le paragraphe.

 13   Q.  La journaliste du "New York Times" stipule que :

 14   "Les juristes qui ont vu ces archives et d'autres dossiers personnels

 15   disent qu'ils parlent de contrôle et de la direction de la Serbie plus

 16   directement encore, révélant comment est-ce que Belgrade a financé et

 17   soutenu la guerre en Bosnie, et comment l'armée serbe de Bosnie, bien que

 18   séparée officiellement après 1992, est restée dans la réalité une extension

 19   de l'armée yougoslave. Ils ont dit que les archives étaient, en fait, des

 20   rapports verbatim et des résumés des réunions que les forces serbes, y

 21   compris la police secrète, avaient joué un rôle dans la prise de Srebrenica

 22   et la préparation du massacre sur place."

 23   D'après ce que je vous ai lu, vous semble-t-il que cette journaliste du

 24   "New York Times" d'avril 2007 discute de ce qu'elle croit être le contenu

 25   du procès-verbal du Conseil suprême de la Défense ? Est-ce que c'est ce qui

 26   figure dans ce passage ici ?

 27   R.  Ce passage, oui, effectivement, il fait référence au contenu de ces

 28   procès-verbaux. Je me souviens, en parlant à cette journaliste, bien que

Page 395

  1   cela ne soit pas mentionné ici, j'ai indiqué que dans le cas des Skorpions,

  2   il s'agit d'une affaire qui est jugée devant un tribunal national pour des

  3   crimes de guerre à Belgrade, qu'en tant que représentant des victimes,

  4   j'avais pu avoir accès à beaucoup de documents qui confirment ce que la

  5   journaliste dit dans ce paragraphe.

  6   Il y avait des documents signés par le ministère de la Police des

  7   Serbes de Bosnie ou, plutôt, de la Republika Srpska, qui indiquent qu'en

  8   juillet 1995, pendant l'opération Srebrenica, non seulement des membres de

  9   Skorpions ont participé, mais également d'autres membres des forces de

 10   police serbes, de sorte qu'en ce qui me concerne, cette histoire, à savoir

 11   si les forces régulières serbes, c'est-à-dire de la République serbe,

 12   avaient participé à l'opération dite Srebrenica, et cela n'avait, dans mon

 13   esprit, créé aucun dilemme.

 14   Q.  Un instant, Madame Kandic. Je voudrais vous poser des questions et je

 15   vous demanderais de vous concentrer sur ces questions.

 16   Ces discussions, ce dont je viens de vous parler qui figure dans l'article

 17   du "New York Times," s'agissait-il là également de questions qui avaient

 18   été discutées en public, de façon générale, et/ou dans les organisations

 19   humanitaires dans les Balkans et ailleurs ?

 20   R.  Oui, tout à fait. Dans les médias, lors de réunions d'organisations des

 21   droits de l'homme, ce sont des sujets qui ont fait l'objet de discussions

 22   tout à fait ouvertes. Par ailleurs, il y avait des organisations des droits

 23   de l'homme qui considéraient que le gouvernement serbe doit prendre une

 24   décision pour divulguer le procès-verbal du Conseil suprême de la Défense

 25   et que cacher des informations et des faits est quelque chose à quoi il

 26   fallait mettre un terme. Il était de notoriété publique que les forces

 27   régulières de Serbie avaient participé à Srebrenica, et par ailleurs --

 28   Q.  Un instant, s'il vous plaît, une chose à la fois. La prochaine

Page 396

  1   question, Madame Kandic, est la suivante : ces discussions publiques, est-

  2   ce qu'elles ont eu lieu avant la publication du livre de Mme Hartmann,

  3   après la publication du livre de Mme Hartmann, ou avant ou après la

  4   publication de cet ouvrage ? Vous en souvenez-vous ?

  5   R.  Ces discussions ont commencé bien avant la publication de ce livre.

  6   Elles ont commencé, me semble-t-il, les discussions sur ce point se sont

  7   multipliées dans le cadre d'une enquête de l'Institut de Londres sur la

  8   guerre, c'est l'organisme "Institute for War Reporting", c'est devenu à ce

  9   moment-là une question extrêmement importante pour la communauté des

 10   organisations des droits de l'homme. Nous avons fait tout notre possible

 11   pour prouver que dans notre esprit, il n'y avait aucun doute quant au

 12   contenu de ces documents et que nous demandions à ce qu'ils soient

 13   divulgués. Donc c'était longtemps avant la publication du livre. Cela a

 14   commencé en 2005 et s'est poursuivi jusqu'à maintenant.

 15   Q.  Je voudrais maintenant vous montrer un autre document. Vous avez fait

 16   référence à cet Institut à Londres, le "London Institute for War

 17   Reporting", que l'on connaît également sous l'acronyme IWPR, et vous

 18   trouverez cela à l'onglet 84 ter de votre document.

 19   Il y a là un article de l'IWPR en date du 17 mai 2005, intitulé :

 20    "Enquête spéciale : La justice à quel prix. Permettre à Belgrade de

 21   garder des éléments de preuve importants et de ne pas les divulguer en

 22   public dans l'affaire Milosevic pourrait avoir une incidence très sérieuse

 23   pour la justice et la réconciliation."

 24   Est-ce que vous pouvez nous dire simplement : est-ce que c'est

 25   l'article auquel vous faites référence ?

 26   R.  Oui, c'est bien l'article auquel j'ai fait référence.

 27   Q.  Si je pouvais maintenant attirer votre attention sur le premier

 28   paragraphe de cet article qui stipule que :

Page 397

  1   "Le Tribunal de La Haye a autorisé Belgrade a présenté des documents

  2   importants dans le procès à long terme de Slobodan Milosevic, à la

  3   condition qu'ils soient gardés secrets, infligeant ainsi un soufflet à ceux

  4   qui souhaitaient que justice soit faite."

  5   Voyez-vous cela ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Je voudrais maintenant vous demander de passer à la troisième page de

  8   ce document. Si vous regardez le quatrième paragraphe, me semble-t-il, à

  9   cette page qui commence par : "Les documents qui…" et je vais le lire pour

 10   le compte rendu d'audience. J'en donne lecture :

 11   "Les documents qui maintenant ont un statut protégé au Tribunal sont

 12   connus pour contenir des références à la participation du régime dans la

 13   guerre en Bosnie. Les documents les plus importants relatent les activités

 14   de l'Etat yougoslave d'alors, des instances militaires et politiques

 15   suprêmes, du Conseil suprême de la Défense, le SDC, de 1992 à 1999."

 16   Si vous pouviez maintenant passer à la page suivante, vous verrez à

 17   peu près au milieu de la page qu'il y a un sous-titre : "Exercice de

 18   limitation des dégâts de Belgrade". Le premier paragraphe fait référence à

 19   l'article 54 bis du Règlement de preuve et de procédure de ce Tribunal. Cet

 20   article indique que :

 21   "C'est sur la base de cet article que le gouvernement de Belgrade a

 22   demandé la protection de l'ensemble des archives du SDC et que cela a été

 23   fait dans le cadre d'un certain nombre de sessions devant les Juges du

 24   Tribunal de La Haye en stipulant de Serbie-et-Monténégro."

 25   Est-ce que vous avez en votre possession, et par vous j'entends non

 26   pas votre centre mais également la communauté des droits de l'homme et la

 27   communauté des victimes en Serbie et ailleurs dans les Balkans ? Est-ce que

 28   vous aviez connaissance de cette information à l'époque et est-ce que vous

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  1   en discutiez en public ?

  2   R.  Oui. Cette enquête et ce texte remontent à mai 2005, autant que

  3   je m'en souvienne. J'ai également parlé à cet enquêteur de l'institut,

  4   l'IWPR, et c'est un sujet qui a fait l'objet de discussions au sein de la

  5   communauté des droits de l'homme, et c'est à ce moment-là que nous avons

  6   pris entièrement conscience de ce qui se passait et de ce que la Serbie

  7   avait obtenu suite à la décision de la Chambre d'appel, dans une situation

  8   où il est extrêmement difficile de déterminer la vérité, de déterminer qui

  9   a participé, qui a été responsable des événements de Srebrenica de juillet

 10   1995.

 11   Q.  Dans l'article, vous verrez, il est mentionné que des mesures de

 12   protection ont été demandées afin de protéger la Serbie au vu de la

 13   poursuite contre la CIJ, et en bas de la page, il est mentionné :

 14   "Pour répondre à la question de l'IWPR pour savoir si l'affaire auprès de

 15   la CIJ avait été la raison principale pour laquelle le gouvernement avait

 16   insisté pour conserver ces documents comme étant considérés comme

 17   confidentiels, la personne qui était responsable des négociations avec le

 18   Tribunal, l'ancien ministre des affaires étrangères de Serbie-et-

 19   Monténégro, Goran Svilanovic a répondu, 'c'est tout à fait exact.'"

 20   Je vais vous poser la question suivante. Au vu de vos contacts avec les

 21   responsables du gouvernement serbe, qu'il s'agisse de M. Svilanovic ou

 22   quelqu'un d'autre, est-ce que vous pensez que ces mesures de protection

 23   avaient été dissimulées du public lorsqu'ils étaient en discussion avec le

 24   Tribunal ?

 25   R.  Non, cela n'avait pas été du tout dissimulé. Cela avait même d'ailleurs

 26   fait l'objet de félicitations. Tout le monde en Serbie -- ou plutôt, les

 27   représentants des autorités s'étaient félicités de la stratégie des

 28   nouvelles autorités. Il y avait eu des critiques de la part des centres des

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  1   droits de l'homme ou des activistes dans ce domaine sur la manière dont

  2   l'Etat était protégé,  un Etat criminel dirigé par un M. Milosevic. La

  3   réponse officielle était qu'il n'était pas protégé, même l'Etat à l'époque

  4   de Milosevic.

  5   Mais je répète, ceci n'a pas été dissimulé. Ceci était connu et c'était la

  6   principale raison pour laquelle les poursuites à venir auprès de la Cour

  7   internationale de Justice, et le besoin de la Serbie d'être protégée,

  8   avaient été présentés à la cour. Ceci aurait montré que les événements de

  9   Srebrenica avaient été orchestrés avec une participation directe de

 10   formations régulières de la Serbie.

 11   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, peut-être pour gagner

 12   un peu de temps, je voudrais attirer votre attention sur la page 7 de cet

 13   article, avec votre aide.

 14   Q.  Madame Kandic, je vais vous poser une question concernant la dernière

 15   page de ce document. Il y a une déclaration qui vous est attribuée. Je vais

 16   commencer par citer ces propos :

 17   "Natasa Kandic, directeur du centre de Droit humanitaire à Belgrade, relie

 18   à ce type de démenti ce refus du gouvernement à ce qui s'est passé dans les

 19   années précédentes."

 20   Puis il y a une autre citation qui vous est attribuée et qui commence par

 21   ceci :

 22   "Dans cette affaire le gouvernement pensait que les intérêts

 23   nationaux visaient à empêcher la Bosnie d'utiliser ces documents dans son

 24   affaire contre la CIJ en dissimulant par ce biais la vérité."

 25   Est-ce que vous êtes d'accord avec cette déclaration et la phrase suivante

 26   qui s'ensuit ?

 27   R.  Je pense que tout est très clair. Je pense que lorsque le gouvernement

 28   de la Serbie avait fait des demandes pour certains documents ou certaines

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  1   parties de documents, s'ils avaient fait l'objet de protection, ceci était

  2   contraire à tout processus par lequel passe une société après des guerres,

  3   à savoir de faire toute la lumière sur la vérité. Ceci devait être fait

  4   pour s'assurer que les mêmes exactions ne se reproduisent pas.

  5   Q.  Vous avez mentionné un moment que la Serbie ou à l'époque la Serbie-et-

  6   Monténégro avait essayé de dissimuler les faits, à savoir qu'ils essayaient

  7   d'obtenir des mesures de protection auprès du tribunal concernant les

  8   archives du SDC. Est-ce qu'ils ont essayé également de dissimuler les faits

  9   concernant le fait que ces décisions portaient sur des éléments

 10   confidentiels ?

 11   R.  Mais ce n'était pas un problème. Personne des autorités serbes n'avait

 12   mentionné que ces décisions étaient confidentielles. C'est seulement après

 13   les discussions que nous avons organisées en juin 2007, donc après le

 14   prononcé du jugement, c'est-à-dire le 29 juin 2007, c'est seulement à ce

 15   moment-là, étant donné que le groupe d'experts était composé de

 16   représentants d'une équipe serbe, comme par exemple le professeur Rade

 17   Stojanovic et le professeur Sasa Obradovic, et c'est seulement à ce moment-

 18   là que cet avocat Sasa Obradovic a mentionné que ces décisions étaient

 19   frappées de confidentialité. C'est le responsable de l'équipe de la

 20   Défense, le professeur Stojanovic, qui a dit qu'il souhaitait que le

 21   contenu de ces comptes rendus soit diffusé ou communiqué, et il l'a dit à

 22   plusieurs reprises. Par conséquent, il n'a jamais été principalement

 23   question de savoir si les décisions de la cour étaient confidentielles

 24   puisque les discussions portaient sur le contenu.

 25   Q.  Qu'entendez-vous par "contenu" au singulier ou au pluriel ?

 26   R.  Quand je dis les contenus, je veux dire que tout le monde était au

 27   courant de cela, tout le monde savait qu'il y avait des preuves de la

 28   participation de la police et de l'armée de la République de Serbie dans le

Page 401

  1   génocide de Srebrenica. Bien sûr, lors de cette réunion de ce groupe

  2   d'experts qui s'est tenue en juin 2007, le responsable de l'équipe de la

  3   Défense de la Serbie a déclaré qu'ils avaient fait tout ce qui était en

  4   leur pouvoir y compris l'obtention de mesures de protection pour certains

  5   documents afin de défendre la Serbie contre les accusations que le pays

  6   aurait participé au génocide. Il était donc clair que ces documents ou

  7   plutôt les demandes et l'obtention des mesures de protection avaient permis

  8   à l'équipe de la Serbie de se défendre contre les chefs d'accusation à

  9   l'encontre de la Serbie. C'est la principale raison pour laquelle ils

 10   avaient demandé des mesures de protection.

 11   Q.  Pour gagner du temps, Madame Kandic, est-ce que vous pouvez confirmer

 12   que lors de cette conférence que vous avez mentionné avoir organisée, le

 13   compte rendu de cette conférence ou les actes de cette conférence sont dans

 14   l'onglet 85 bis. Madame Kandic, est-ce que vous pourriez me dire si lors de

 15   cette conférence, les représentants, vous avez mentionné M. Sasa Obradovic

 16   et le professeur Stojanovic qui est un ancien ambassadeur de Serbie-et-

 17   Monténégro, est-ce que vous pouvez confirmer qu'ils ont discuté ouvertement

 18   durant cette conférence l'existence de ces ordonnances confidentielles qui

 19   avaient été octroyées pour les comptes rendus du SDC et le fait que ceci

 20   avait été octroyé par le tribunal ? Est-ce que vous pouvez confirmer ou pas

 21   ?

 22   R.  Oui, tout à fait, ils ont été tout à fait francs et ouverts en la

 23   matière puisque c'est un thème qui a été abordé par le menu et ils ne

 24   pouvaient pas dire qu'ils n'étaient pas au courant de cela. Donc ça a été

 25   discuté de manière publique.

 26   Q.  De façon à gagner du temps, les Juges et le Procureur ont un document,

 27   nous avons les actes de cette conférence, et tout le monde a un exemplaire

 28   dans ce prétoire, est-ce que vous pouvez confirmer qu'il s'agit d'un compte

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  1   rendu verbatim des discussions qui se sont tenues lors de cette conférence

  2   ?

  3   R.  Oui. Il y a même un livre. Il s'agit des actes complets de la

  4   conférence, donc de la totalité des discussions.

  5   Q.  Est-ce que ce document est du domaine public ?

  6   R.  Tout à fait. Ce livre a été publié et tous les participants et les

  7   membres du groupe d'experts ont un exemplaire comme beaucoup d'autres

  8   personnes également.

  9   Q.  Est-ce que vous avez reçu des plaintes laissant penser que le contenu

 10   de ce document ne reflétait pas de manière fidèle les propos et les dires

 11   des participants durant cette conférence ?

 12   R.  Non, jamais.

 13   M. METTRAUX : [interprétation] Nous ferons référence à l'onglet 85 bis et

 14   nous le verserons au dossier un peu plus tard.

 15   Q.  Madame Kandic, est-ce que vous pourriez passer maintenant à l'onglet 86

 16   de votre jeu de documents. Madame Kandic, comme vous le voyez, il s'agit

 17   d'un extrait d'une audience publique devant la Cour internationale de

 18   Justice qui porte la date de 8 mai 2006, et le passage que vous avez

 19   commence à la page 27 et c'est une réponse à une question posée par un des

 20   juges de la CIJ, le Juge Simma, et la personne qui parle est le

 21   représentant de la Serbie-et-Monténégro dans l'affaire contre la Bosnie-

 22   Herzégovine.

 23   Dans le paragraphe 55, le représentant de la Serbie dit ce qui suit :

 24   "Madame la Présidente, je voudrais maintenant passer à un autre point - la

 25   question posée par le Juge Simma concernant les sections qui ont été

 26   marquées en noir ou occultées, qui ont été donc caviardées dans les

 27   documents du Conseil suprême de la Défense de la République fédérale de

 28   Yougoslavie.

Page 403

  1   Est-ce que vous voyez cela ?

  2   R.  Oui.

  3   Q.  Si l'on continue, vous voyez que dans le paragraphe 56 il y a une

  4   référence à une lettre d'un agent de la Serbie-et-Monténégro qui porte la

  5   date du 16 janvier, et dans la dernière phrase de ce paragraphe vous verrez

  6   que le représentant de la Serbie fait référence, et je cite :

  7   "…les contenus de la partie expurgée du compte rendu et les notes

  8   sténographiques du commandement Suprême de notre Etat."

  9   Est-ce que vous voyez ceci dans le document qui est devant vous ?

 10   R.  De quel paragraphe parlez-vous ?

 11   Q.  Il s'agit du paragraphe 56, la dernière phrase de ce paragraphe. Est-ce

 12   que vous voyez cela ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Nous reviendrons à cette page, mais je vous demande de passer à la page

 15   suivante, le paragraphe 59. Dans la première phrase, vous voyez :

 16   "Madame la Présidente, avec tout le respect que je dois à cette honorable

 17   cour de justice, les représentants de la Serbie-et-Monténégro ne sont pas

 18   habilités à aborder les contenus des sections expurgées des documents du

 19   Conseil suprême de Défense à ce moment précis…"

 20   Je voudrais donc vous poser une question : selon vous, vous l'avez peut-

 21   être déjà dit précédemment, mais selon vous que cherchait à faire les

 22   représentants de la Serbie-et-Monténégro pour conserver le caractère

 23   confidentiel ? Est-ce que c'était le contenu des comptes rendus du SDC ou

 24   est-ce que c'était l'existence des décisions portant sur ces documents, ou

 25   est-ce que c'était pour un autre motif ? 

 26   R.  Je l'ai déjà dit. Ils protégeaient le contenu. Ils ne voulaient pas que

 27   les faits ou les données soient présentées. Nous, au niveau des

 28   organisations de droit de l'homme, nous avons exprimé des doutes

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  1   publiquement quant au contenu de ces documents. Ceci était lié à

  2   l'implication ou à la participation de la police serbe et de l'armée serbe

  3   à la commission du génocide à Srebrenica.

  4   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous ferons

  5   simplement référence au compte rendu à un stade ultérieur.

  6   Nous pouvons passer à huis clos partiel, s'il vous plaît.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Passons à huis clos partiel.

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Peut-être qu'avec l'aide de l'huissier, nous

  9   pouvons mettre un document sur le rétroprojecteur -- le document ne devra

 10   pas être placé sur le rétroprojecteur.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 12   [Audience à huis clos partiel]

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 16   [Audience publique]

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 18   M. METTRAUX : [interprétation]

 19   Q.  Donc je disais, compte rendu du 20 avril 2006. Vous voyez qu'il s'agit

 20   d'un compte rendu, compte rendu d'une audience à la CIJ, audience dans

 21   l'affaire Bosnie et Serbie. Si vous tournez la page - vous verrez qu'il

 22   s'agit de la page 40 d'ailleurs - le représentant de la Bosnie-Herzégovine

 23   s'adresse à la cour, il parle justement du CDS, du Conseil de Défense

 24   suprême et des rapports du CDS. Si vous tournez encore la page, vous

 25   trouverez à la page 41, et vous avez ensuite la page 42, le paragraphe 43,

 26   et voilà ce que dit le représentant de la  Bosnie :

 27   "Seulement récemment, alors que nous étions en pleine procédure devant

 28   cette Cour, elle, et elle fait référence à la Serbie et au Monténégro, elle

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  1   a essayé de faire en sorte que le TPIY ne rendrait pas public sa décision

  2   confidentielle ordonnant à la Serbie et au Monténégro de produire certains

  3   documents, notamment le dossier personnel de Ratko Mladic."

  4   Alors, j'aimerais maintenant que nous nous concentrions exclusivement sur

  5   le dossier personnel de M. Mladic. Le fait qu'il y avait une certaine

  6   résistance de la part du gouvernement serbe à présenter, à produire le

  7   dossier personnel de M. Mladic qui était -- alors, est-ce que ce dossier

  8   faisait partie ou était, ou faisait partie du domaine public en avril 2006,

  9   à cette date-là ?

 10   R.  En Serbie, le public savait pertinemment que le Tribunal de La Haye

 11   avait demandé et demandé en permanence la production du dossier personnel

 12   de Ratko Mladic. Mais dans les médias, vous pouviez lire ou entendre ce que

 13   disaient les représentants des autorités serbes, qui disaient que ce

 14   dossier n'existait pas ou qu'il ne pouvait pas être trouvé, que personne ne

 15   savait où il se trouvait. Le public a compris très clairement que la Serbie

 16   ne souhaitait pas remettre ce dossier, car ce dossier contenait des

 17   informations que la Serbie ne voulait absolument pas communiquer.

 18   M. METTRAUX : [interprétation] Alors, pour aller un peu plus vite en

 19   besogne, nous allons faire deux choses. Dans un premier temps, nous allons

 20   nous référer à une décision dans l'affaire Milosevic, il s'agit d'une

 21   décision qui porte la date du 16 juin 2005. C'est une décision qui est

 22   intitulé : "Décision relative à la requête présentée par le Procureur aux

 23   fins de verser au dossier le certificat personnel de Ratko Mladic dans

 24   l'armée Yougoslave (CJ)." Vous verrez t qu'il y a eu un débat tout à fait

 25   public et tout à fait à bâtons rompus à ce sujet.

 26   Madame Kandic, est-ce que vous pourriez, je vous prie, reprendre

 27   l'intercalaire 84 pour une petite seconde.

 28   Est-ce que M. l'Huissier pourrait aider Mme Kandic ? Il s'agit de

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  1   l'intercalaire 84 ter, en fait, et il s'agit de la page 14 du document.

  2   Malheureusement, la version dont vous disposé n'a pas été numéroté. Donc je

  3   vous demande de prendre cinq pages avant la fin. Il s'agit d'un alinéa

  4   intitulé, "Mémoire sélective."

  5   M. LE JUGE GUNEY : [aucune interprétation]

  6   M. METTRAUX : [interprétation]

  7   Q.  Vous l'avez trouvé, Madame Kandic ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Voilà ce qui est dit. Alors vous voyez que : c'est l'IWPR, c'est un

 10   article de l'IWPR, article publié le 7 mai 2005. Voilà ce qui est dit :

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il n'y a pas de pagination.

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Non, je comprends tout à fait, mais j'étais

 13   en train de dire qu'il fallait compter cinq pages à partir ou avant la fin,

 14   et vous verrez que, sur cette page, il y a, quasiment au milieu de la page,

 15   un titre suivi d'un point d'interrogation, ce titre étant : "Mémoire

 16   sélective" ?

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, cela se trouve où

 18   exactement ?

 19   M. METTRAUX : [interprétation] Cinq pages avant la fin.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais quel intercalaire.

 21   M. METTRAUX : [interprétation] 84 ter.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 23   M. METTRAUX : [interprétation]

 24   Q.  Je vais vous donner lecture de tout cela pour que tout aille un peu

 25   plus vite. Alors il y a des indications suivant lesquelles certains

 26   documents pertinents n'ont pas été rendus disponibles et suivant lesquels

 27   certains ont disparu. Sur un de ces documents, il semblerait que tout comme

 28   son officier de l'armée, le général Mladic lui-même a perçu une solde alors

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  1   qu'il était membre régulier de l'armée yougoslave. Le président du conseil

  2   juridique du ministère des Affaires étrangères de la Serbie et du

  3   Monténégro, le Pr Radoslav Stojanovic, a révélé à l'IWPR au mois d'août

  4   2004 qu'il existait un ordre de l'armée yougoslave, un ordre secret qui

  5   datait de l'année 1993, ordre qui a concédé une promotion à Mladic. Il est

  6   signé par le président yougoslave de l'époque, à savoir Zoran Lilic en sa

  7   capacité de président du CDS."

  8   Si vous tournez la page, vous voyez que le texte se poursuit comme

  9   suit :

 10   "Bien que l'ordre relatif à la promotion ait été filtré aux médias à

 11   Sarajevo en novembre 2004, il ne semble pas qu'il ait été envoyé au

 12   Tribunal du fait de la transaction en matière de mesures de protection.

 13   "L'IWPR a obtenu un exemplaire du dossier personnel de Mladic qui

 14   inclut des renseignements sur sa retraite et sur les dates de ses

 15   promotions et sur les dates des ordres de promotion. Les documents montrent

 16   que Mladic a reçu sa dernière promotion le 16 juin 1994, qu'il a été promu

 17   au rang de général de brigade. Son dossier personnel indique -- ou l'on

 18   retrouve cette idée dans la déclaration du Pr Stojanovic, déclaration selon

 19   laquelle Mladic est resté officier de l'armée yougoslave bien après que

 20   Belgrade ait indiqué qu'il n'était plus sous son commandement."

 21   J'aurais une question très brève à vous poser à ce sujet, Madame Kandic.

 22   Est-ce que ces faits, qui sont indiqués dans l'article du mois de mai 2005,

 23   étaient de notoriété publique - et je pense aux organisations de victimes

 24   et aux organisations des droits de l'homme en Serbie et ailleurs dans la

 25   région des Balkans ?

 26   R.  Nous savions tous pertinemment qu'il y avait un 30e Centre du

 27   Personnel, comme il était appelé, et que c'est par ce centre qu'étaient

 28   organisées les soldes de tous les officiers de l'armée de Yougoslavie qui,

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  1   par la suite, a été rebaptisée armée de la Serbie-et-Monténégro, et que

  2   cela était valable pour toutes les personnes qui ont été affectées en

  3   Bosnie après le 19 mai 1992.

  4   Q.  Une petite seconde. De toute façon, nous devons aller encore plus vite

  5   en besogne que précédemment, parce que nous n'avons vraiment plus beaucoup

  6   de temps à notre disposition. Est-ce que vous pouvez me dire si

  7   l'information dont je viens donner lecture, information qui émane de cet

  8   article, a été mise à la disposition du public et notamment des

  9   organisations et protection des droits de l'homme et des organisations de

 10   victimes en Serbie avant la publication de l'ouvrage de Mme Hartmann. Est-

 11   ce que vous pourriez le confirmer par l'affirmative ou la négative ?

 12   R.  Oui, cela était connu, nous le savions. Nous étions, bien entendu,

 13   informés de ce rapport de l'IWPR, et les organisations qui oeuvraient pour

 14   les droits de l'homme le savaient également. Pour le public c'était tout à

 15   fait normal. De toute façon, tout le monde savait  pertinemment que Ratko

 16   Mladic était officier de l'armée yougoslave et que l'armée de la Republika

 17   Srpska faisait partie de l'armée de la Serbie et du Monténégro, à savoir de

 18   la République fédérale de Yougoslavie. Il n'y avait absolument aucun

 19   dilemme à ce sujet. Tout le monde savait pertinemment qu'il n'y aurait pas

 20   eu d'armée de Republika Srpska sans armée de la Yougoslavie.

 21   M. METTRAUX : [interprétation]  J'ai posé toutes mes questions et j'ai

 22   essayé d'être aussi rapide que faire se peut.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Maître Mettraux.

 24   Vous avez des questions dans le cadre d'un contre-interrogatoire, Monsieur

 25   MacFarlane ?

 26   Contre-interrogatoire par M. MacFarlane : 

 27   Q.  [interprétation] J'aimerais, Madame, attirer votre attention sur la

 28   conférence qui a eu lieu à Belgrade, le 29 juin 2007 dont le texte se

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  1   trouve à l'intercalaire 85 bis du classeur de la Défense. Vous y avez déjà

  2   fait référence. Vous avez fait référence à plusieurs observations qui ont

  3   été faites et notamment, à une observation portant sur la confidentialité

  4   de certains documents. En d'autres termes, est-ce que certains documents

  5   auraient dû rester confidentiels ou est-ce qu'ils auraient dû être

  6   communiqués. Lorsque je vois le texte de cette conférence, j'ai

  7   l'impression qu'il s'agissait plutôt d'un débat. C'est plutôt la teneur de

  8   cette conférence, le débat. J'aimerais attirer votre attention sur un

  9   élément et plus particulièrement sur un extrait qui, apparemment, ne fait

 10   pas partie des pages qui ont été incluses par la Défense, bien que je pense

 11   que cela figure dans votre ouvrage du compte rendu de la conférence. Aux

 12   pages 93 et 94, il y a une déclaration que nous devons à Sasa Obradovic,

 13   Obradovic s'épelant O-b-r-a-d-o-v-i-c. Voilà ce qu'a dit cette personne :

 14   "Vous ne nous avez pas dit comment vous avez obtenu ce document. Je ne vais

 15   absolument pas aborder cette question ici, mais c'est aussi simple que

 16   cela. Si vous avez un document qui a été protégé du public par le Tribunal

 17   de La Haye, alors, vous commettez un délit de manque de respect au

 18   Tribunal. Certains journalistes de la Croatie ont répondu --

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je m'excuse, mais avant que vous ne

 20   commenciez votre réponse, Madame, je dirais à M. MacFarlane qu'il a fait

 21   référence à un livre. Mais de quel livre s'agit-il ? Je n'en suis pas très

 22   sûr.

 23   M. MacFARLANE : [interprétation] La Défense a déposé une partie du compte

 24   rendu de ce colloque qui ne fait pas partie des documents de la Défense.

 25   M. METTRAUX : [interprétation] Si cela peut vous permettre d'aller plus

 26   vite, nous n'avons absolument aucune objection à ce que l'intégralité de ce

 27   compte rendu de la conférence soit versée au dossier.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui. Si M. MacFarlane doit faire des

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  1   références à une partie du document qui a déjà été versé au dossier, il va

  2   sans dire que le reste doit également être versé au dossier.

  3   M. MacFARLANE : [interprétation]

  4   Q.  Est-ce que vous connaissez cet extrait de Sasa Obradovic ?

  5   R.  Oui, oui, tout à fait.

  6   Q.  Donc, il semblerait que cette personne a indiqué de façon très très

  7   claire que tout document protégé doit rester protégé et que vous commettez

  8   un délit --

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

 10   M. METTRAUX : [interprétation] C'est une façon particulièrement inique de

 11   poser la question. Si M. MacFarlane veut aborder cette question, je pense

 12   qu'il doit faire référence à la discussion précédente, à savoir le contenu

 13   du document expurgé.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je pense que vous pouvez le faire dans

 15   le cadre de votre contre-interrogatoire. Vous êtes en train de nous donner

 16   lecture du procès-verbal, du compte rendu de cette conférence.

 17   Donc, poursuivez.

 18   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie.

 19   Q.  Mais n'est-il pas exact que Sasa Obradovic est détaché ou travaille

 20   pour l'ambassade de la Serbie aux Pays-Bas et d'ailleurs, c'est ce qui est

 21   indiqué. Il est indiqué comme faisant partie de l'ambassade de la Serbie.

 22   R.  Oui, c'est vrai. C'est un fonctionnaire. C'est le seul moment, pendant

 23   toute la conférence, où l'un des fonctionnaires de la République de Serbie

 24   mentionne la décision relative à la confidentialité.

 25   Je dirais pour les Juges que vous avez dit : "Oui, mais vous avez

 26   seulement omis de dire." C'est ce que vous avez cité, ce qui pourrait

 27   donner l'impression aux Juges que Sasa Obradovic s'adressait à moi, alors

 28   qu'il faut savoir qu'il s'adressait à un journaliste.

Page 416

  1   Q.  Oui, mais je vois qu'il y a eu plusieurs points de vue différents qui

  2   ont été présentés lors de ce colloque et que, justement, des perspectives

  3   différentes ont été mises en avant, n'est-ce pas ?

  4   R.  Oui, oui. C'est ce qui s'est passé. Alors, il y a eu d'un côté des

  5   représentants de l'équipe de la défense de Serbie qui avaient un point de

  6   vue. Il y avait par ailleurs des représentants d'organisations de promotion

  7   des droits de l'homme qui ont réitéré leur point de vue, à savoir que tous

  8   les documents protégés devraient être rendus publics. Puis il y avait

  9   également des représentants de victimes de Bosnie-Herzégovine ou d'autres

 10   représentants qui étaient de victimes de Bosnie-Herzégovine. Leur point de

 11   vue était que l'Etat de Serbie était contraint et devait, dans l'intérêt du

 12   passé et dans l'intérêt surtout des victimes, de communiquer les documents

 13   en question. Bien entendu, il y avait des représentants de l'équipe de la

 14   défense de Bosnie-Herzégovine qui pensaient que de cette façon, la Serbie

 15   empêchait la population serbe de savoir comment le génocide à Srebrenica a

 16   été commis.

 17   Q.  Moi ce que j'avance, c'est que lors de ce colloque, il y a eu toute une

 18   série de points de vue qui ont été exprimés par des personnes individuelles

 19   et que l'intention n'était pas de présenter le point de vue officiel du

 20   gouvernement de la Serbie mais plutôt de présenter les points de vue de

 21   personnes.

 22   R.  Oui, mais je vous en prie, les représentants de l'équipe juridique de

 23   la Serbie ne pouvaient pas déclarer leurs points de vue personnels. Ce sont

 24   des fonctionnaires qui, de ce fait, représentent l'Etat dans le cadre d'une

 25   équipe juridique et ils ont toujours, toujours fait valoir leurs points de

 26   vue qui étaient tout à fait conformes à la stratégie juridique adoptée par

 27   la défense. La seule exception pendant ce colloque, et pendant toutes les

 28   années jusqu'à l'heure actuelle, a été le professeur Stojanovic qui, lui, a

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  1   indiqué qu'il préconisait la communication de tous les documents protégés.

  2   Mais personne de son équipe d'ailleurs ne s'est rallié à ce qu'il a dit.

  3   D'ailleurs, il n'a plus jamais redit quelque chose de la sorte.

  4   M. MacFARLANE : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais aborder

  5   deux autres domaines. Je sais pertinemment quelle heure il est en ce

  6   moment, mais il s'agit de deux domaines très importants et je vais

  7   m'efforcer d'être aussi rapide que possible.

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, Monsieur MacFarlane, si vous

  9   n'avez pas terminé, il faudra que vous repreniez le fil de votre contre-

 10   interrogatoire, sans oublier qu'il se peut que les Juges aient également

 11   des questions à poser.

 12   M. MacFARLANE : [interprétation] Alors, pour aborder ces deux questions que

 13   j'ai l'intention de terminer aujourd'hui, nous devons passer à huis clos

 14   partiel.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Je souhaiterais que la Chambre

 16   passe à huis clos partiel.

 17   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 18   [Audience à huis clos partiel]

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 13  Page 418 expurgée. Audience à huis clos partiel.

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 15   [Audience publique]

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation]  Madame Kandic, malheureusement, nous

 17   n'avons pas pu terminer votre déposition aujourd'hui. Malheureusement, vous

 18   allez devoir revenir pour terminer votre déposition. Je voudrais simplement

 19   vous rappeler que pendant que vous ne serez pas devant ce Tribunal, vous

 20   n'êtes pas supposée discuter de cette affaire avec qui que ce soit tant que

 21   vous n'avez pas fini de déposer. D'accord ? Est-ce que c'est clair ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 24   Malheureusement, il est très difficile de prévoir une date dans un

 25   avenir tout proche. Donc il va falloir que nous levions l'audience jusqu'au

 26   1er juillet 2009. Je pense que les parties seront informées de la date et

 27   de l'heure. Merci. Ce sera donc le 1er juillet.

 28   --- L'audience est levée à 13 heures 49 et reprendra le mercredi 1er

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  1   juillet 2009.

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