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1 Le vendredi 3 juillet 2009
2 [Audience publique]
3 [L'accusée est introduite dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes.
6 Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire inscrite au rôle.
7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Affaire
8 IT-02-54-R77.5-T, dans l'affaire contre Florence Hartmann.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
10 Les parties peuvent-elles se présenter, à commencer par l'Accusation.
11 M. MacFARLANE : [interprétation] Bonjour.
12 Je suis Bruce MacFarlane. Je représente le bureau du Procureur. Et pendant
13 toute la durée de la procédure j'ai eu à mes côtés Mme Lori Ann Wanlin.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
15 Et pour la Défense ce sera.
16 M. KHAN : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.
17 Je représente Mme Florence Hartmann, avec Me Guenal Mettraux, Mme Samrina
18 Mohamed, notre assistante à ma droite, et je m'appelle Karim Khan.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître Khan.
20 Je voudrais tout d'abord aborder une ou deux questions administratives. Les
21 parties ont soulevé plusieurs questions lors de la dernière audience, il
22 nous faut maintenant revenir sur deux de ces questions avant d'entendre vos
23 conclusions.
24 La première question concerne la liste des questions fournie à la Chambre à
25 la fin de l'audience du 1er juillet 2009 par la Défense. La Chambre a
26 examiné ces questions et elle a compris qu'elles étaient d'un nombre et
27 d'une portée bien supérieure à ce qu'avait demandé la Défense dans sa
28 requête du 15 juin 2009. La réponse aux arguments de l'amicus curiae,
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1 requête déposée --
2 L'INTERPRÈTE : [hors micro]
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suis désolé.
4 Dans sa requête, la Défense a demandé, je disais, que dans cette requête,
5 la Défense avait demandé à la Chambre de ne poser que trois questions au
6 Procureur s'agissant du travail qu'il avait effectué en sa qualité
7 d'enquêteur. La Chambre aimerait aussi renvoyer la Défense à la décision
8 confidentielle de la Chambre du 17 juin 2009, et plus précisément au bas de
9 la page 2, au haut de la page 3, là où la Chambre règle la question
10 concernant l'enquête menée par l'Amicus Curiae. Par conséquent, la Chambre
11 estime que la question a été abordée et réglée. La Chambre manifeste et
12 exprime son insatisfaction et son mécontentement par rapport à la façon
13 dont la Défense a essayé une fois de plus de soumettre sa requête à la
14 Chambre. La Chambre n'autorisera plus que d'autres conclusions lui soient
15 présentées sur ce point, elle estime la question réglée.
16 Deuxième élément, il s'agit de l'admission d'une décision confidentielle de
17 la Chambre d'appel que l'Accusation a demandé à verser après avoir présenté
18 ces éléments lors de l'audience du 1er juillet, et d'ailleurs aussi après
19 que la Défense eut présenté ses arguments et terminé la présentation de ses
20 moyens. La Chambre relève que l'Accusation a eu parfaitement l'occasion de
21 demander le versement de ce document pendant qu'elle contre-interrogeait le
22 témoin. Or, elle ne l'a pas fait. La Chambre relève aussi que les
23 paragraphes mentionnés comme étant pertinents aux arguments de
24 l'Accusation, étaient déjà saisis dans le compte rendu puisqu'ils avaient
25 été lus à l'audience, ils font donc partie du dossier. Si l'Accusation
26 avait voulu utiliser d'autres paragraphes, elle aurait dû en avertir la
27 Défense. Pour les raisons ci-dessus mentionnées, la Chambre décide de ne
28 pas admettre ces éléments ou cet élément, ce document au dossier.
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1 Nous allons maintenant entendre les réquisitions et plaidoiries. Nous
2 entendrons d'abord les conclusions de l'Accusation qui a dit avoir besoin
3 pour ce faire de 30 minutes. Puis nous entendrons aussitôt la Défense qui
4 aura 60 minutes, temps qui lui avait été accordé par la Chambre. Nous
5 allons veiller à ce que soient respectées à la lettre ces dispositions de
6 la Chambre. Ce qui veut dire que n'allons pas terminer après midi.
7 Vous pouvez commencer, Monsieur MacFarlane.
8 M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie, Messieurs les Juges.
9 Les mesures ou les faits reprochés à Mme Florence Hartmann sont assez
10 directes. L'ordonnance donnant lieu d'acte d'accusation définit les faits,
11 sur quoi porte cette affaire. Elle porte sur quatre points essentiels :
12 d'abord, est-ce qu'on démontre par les moyens présentés l'élément matériel,
13 à savoir le livre "Paix et Châtiment," et ce qui est dit dans certaines de
14 ces pages.
15 Deuxièmement, est-ce que les éléments prouvent l'élément moral,
16 s'agissant de chef.
17 Et troisièmement et s'agissant de l'article en question dans
18 l'ordonnance tenant lieu de l'acte d'accusation, les deux mêmes points.
19 Est-ce qu'il y a un élément matériel eu égard à l'accusation d'outrage ?
20 Deuxièmement, y a-t-il une intention coupable, donc un élément moral qui
21 aurait été prouvé. Voilà les quatre points posés ici.
22 Pendant toute la durée de la procédure, on a essayé dans les
23 coulisses de discréditer ces points. Le tout maintenant c'est de se
24 prononcer sur le fond de l'affaire. Vous aurez à savoir et à déterminer si
25 les éléments apportés apportent la preuve au-delà de tout doute
26 raisonnable.
27 Dans leur totalité les éléments montrent que la publication du livre
28 et de l'article, ce n'est là rien d'accidentel. Ça n'a pas été fait par
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1 inadvertance. Ce sont des écrits faits intentionnellement et en toute
2 connaissance de cause. Et ce qui compte en plus c'est que tout ce qui a été
3 écrit c'est l'expression de ce que voulait dire l'accusée. A mon avis,
4 lorsque vous allez examiner la totalité des éléments de preuve, vous verrez
5 que ces déclarations de l'accusée c'était une façon de défier l'opinion
6 publique.
7 Je vais revenir rapidement sur les éléments de droit, ce après, parce
8 que la Chambre connaît bien le droit applicable en matière d'outrage.
9 Je devrais le dire et je le répèterai d'ailleurs pendant mes
10 réquisitions, nous avons en pièce jointe des arguments déposés hier soir
11 dans les annexes A et B, c'est une analyse ligne par ligne des publications
12 concernées en litige, des liens qu'il y a entre ces publications et
13 l'ordonnance tenant lieu d'acte d'accusation. Vous avez là une analyse
14 détaillée, ligne par ligne autant du livre que de l'article.
15 Pour ce qui est du droit, deux chefs sont retenus, deux chefs
16 d'outrage en application d'article 77 du Règlement, mais aussi en vertu des
17 pouvoirs intrinsèques revenant à la Chambre. Le libellé de cet article
18 montre que lorsqu'il y a violation d'une ordonnance en tant que telle,
19 c'est déjà une façon d'entraver l'administration de la justice, du
20 Tribunal. La jurisprudence de ce Tribunal établit aussi qu'il suffit de
21 démontrer qu'il y a les éléments constitutifs de l'élément matériel et de
22 l'élément moral pour que la preuve soit faite. Il y a surtout le procès
23 Jovic, décision en appel de 2006, j'y reviendrai et j'estime que c'est
24 vraiment un élément phare, une affaire type qui va vous guider.
25 Pour ce qui est de l'élément matériel, de l'infraction reprochée à
26 Mme Hartmann. La jurisprudence essaie de voir ce qu'il en est de la
27 communication d'élément du dossier pour établir si la communication s'est
28 faite en violation d'une ordonnance de la Chambre. A mon avis, dans les
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1 deux cas, aussi bien pour le livre que pour l'article, les chefs les
2 concernant, il est clair qu'il y a une communication physique
3 d'informations qui sont pertinentes à des affaires du Tribunal et que ceci
4 a été fait en violation d'une ordonnance de la Chambre.
5 S'agissant de l'élément moral, de l'infraction reprochée, si l'on
6 prend la jurisprudence, elle montre clairement qu'il y a au moins deux
7 modalités de l'élément moral qui suffisent dans des cas d'outrage. Il y a
8 la connaissance effective, à savoir qu'on savait que la publication violait
9 une ordonnance et le fait de ne pas en tenir compte à dessein. Il y a deux
10 versions qui sont jumelles, si vous voulez, de l'élément moral. Et les
11 éléments présentés, à mon avis, permettent de prouver l'une ou l'autre
12 modalité, à savoir la connaissance effective ou l'ignorance délibérée.
13 Passons aux quatre points-clés qui soutiennent ceci. J vais m'y
14 attacher à un certain moment, parce que je pense que ce seront ces éléments
15 qui vont déterminer votre décision.
16 Nous avons d'abord l'élément matériel à propos du livre. Mme Hartmann
17 est la seule auteure du livre publié en 2007 par Flammarion. La Défense l'a
18 reconnu officiellement, c'est bien elle qui a écrit ce livre. Dans les
19 auditions, elle l'a reconnu aussi lorsqu'elle était considérée comme
20 suspecte, elle était le seul à écrire ce livre.
21 Aux pages 120 à 122, elle fait expressément référence à l'existence de deux
22 décisions confidentielles, à leur teneur aussi et à l'effet supposé
23 qu'auraient eu ces décisions confidentielles. A la page 122, l'accusée fait
24 expressément référence au fait que ces deux décisions étaient de nature
25 confidentielle. Pour ce qui est de l'élément matériel du chef concernant le
26 livre, il n'y a, à mon avis, aucun doute, ceci a été établi au-delà de tout
27 doute raisonnable.
28 Deuxième élément essentiel, c'est l'élément matériel portant sur l'article
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1 qui a été écrit quatre mois après la publication du livre. Le titre en est
2 "Dissimulation d'éléments vitaux concernant le génocide." L'accusée a
3 rédigé elle-même cet article qui a été publié en ligne par l'institut
4 bosniaque en janvier 2008. Au cours de cet entretien, l'accusée reconnaît
5 qu'elle a écrit un article, qu'il est exact et qu'il avait pour intention
6 d'être un résumé en anglais de parties importantes et pertinentes de son
7 livre.
8 Je passe maintenant au troisième élément essentiel, la mens rea, l'élément
9 moral. A mon avis, les éléments de preuve prouvent qu'il y avait
10 connaissance effective s'agissant du livre. Page 122 de ce livre, l'accusée
11 écrit que les Juges avaient rendu chacune de ces décisions en disant
12 qu'elles étaient "confidentielles." Lors de l'entretien, en tant que
13 suspect, elle a reconnu qu'il n'y avait pas eu de communiqué de presse
14 portant sur l'une des décisions, et là je la cite "parce que c'était une
15 décision," dit-elle, "confidentielle."
16 On peut déduire deux choses de ce qu'elle dit : d'abord, c'est que la
17 communication ne s'est pas faite accidentellement, mais qu'elle a été faite
18 délibérément; et deuxième déduction, c'est qu'elle avait connaissance de
19 l'existence d'une ordonnance qui était confidentielle.
20 Il faut voir aussi les éléments de contexte pour établir s'il y a une
21 intention délictueuse, une mens rea, pour ce qui est du livre. Pendant plus
22 de 20 ans, elle a été journaliste et elle l'a dit : Il faut vérifier les
23 sources qu'on obtient. C'est important, a-t-elle dit, si l'on veut
24 conserver sa réputation de journaliste et la crédibilité. Lors de son
25 entretien de suspect, elle a dit que des journalistes l'avaient aidée à
26 rassembler les éléments dont elle avait besoin et qu'on lui avait dit que
27 c'étaient des éléments confidentiels. C'est vrai, elle a accepté qu'elle
28 l'avait dit dans son livre.
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1 De plus, et ce qui est important, l'accusée a travaillé pendant six ans
2 dans ce Tribunal, dans un environnement qui était manifestement un
3 environnement de confidentialité. Quand on occupe un poste important ici,
4 inévitablement, on sait que la confidentialité c'est quelque chose
5 d'important et c'était bien l'environnement dans lequel elle a travaillé.
6 Elle a dit - et ça a été concédé - elle connaissait l'existence de
7 l'article 77 du Règlement. Et pendant l'entretien, elle a dit qu'elle
8 savait qu'il y avait eu des enquêtes menées contre d'autres journalistes
9 qui étaient soupçonnés d'avoir violé tel ou tel élément du Règlement. Tout
10 ceci montre qu'il faut vraiment être délibérément aveugle à tout cela ou
11 être tout à fait négligeant pour ne pas se douter qu'il y avait existence
12 d'un ordre.
13 Par conséquent, l'élément moral ici montre qu'il y a, en premier
14 lieu, connaissance effective, puisqu'elle a écrit ce livre. Et maintenant
15 je reviens au troisième élément essentiel.
16 Le quatrième élément essentiel, c'est l'élément moral s'agissant de
17 l'article. S'agissant du chef concernant l'article, les éléments montrent
18 qu'il y a connaissance effective de l'accusée.
19 Elle avait publié le livre quatre mois auparavant. Elle dit que la décision
20 est confidentielle. Mais elle ne le rappelle pas dans l'article. Pour elle,
21 ce qu'elle dit dans le livre, ça revient à reconnaître quelque chose
22 publiquement et c'est sur cela qu'elle se base et cette base est recevable
23 pour les deux chefs, pour le livre et l'article.
24 Je rappelle, une fois de plus, qu'elle était employée de ce Tribunal. Il
25 faut en tenir compte pour ce qui est du quatrième élément qui concerne
26 l'article. Mais il y a un autre point qui découle uniquement de l'élément
27 concernant l'article et de son élément moral. Entre le moment de la
28 publication du livre en effet et la publication de l'article, l'accusée a
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1 reçu une lettre du greffier du Tribunal. C'est une lettre qui la mettait en
2 garde, on l'avertissait qu'il y avait des éléments confidentiels dans ce
3 livre. Qu'est-ce qui s'est passé, elle a reçu une lettre et pourtant elle a
4 décidé de continuer. Qu'est-ce qu'elle a fait au fond, elle a éliminé une
5 référence au fait que les décisions étaient confidentielles. Mais ceci mis
6 à part, elle dit la même chose dans le livre. Donc c'est en âme et
7 conscience qu'elle a décidé de continuer la publication en dépit du fait
8 qu'elle avait été mise en garde par le greffier. A partir du moment où elle
9 reçoit cette lettre au mois d'octobre, elle était avertie du fait que cette
10 question pouvait constituer un litige et elle n'en n'a pas tenu compte.
11 Il y a deux facettes que j'aimerais mettre en exergue pour ce qui est de la
12 valeur probante, parce qu'à ce stade c'est important le poids qu'on va
13 donner à ce qu'elle dit. Il y a cet entretien qu'elle a donné en tant que
14 suspect et il y a cette lettre du greffier. J'en ai déjà parlé, je serai
15 donc bref sur ces deux points. Mais vous le savez, Messieurs les Juges,
16 lorsqu'on a un entretien de suspect qui n'a pas encore été mis en
17 accusation, c'est un entretien utile pour comprendre l'état d'esprit d'une
18 personne qui va peut-être devenir accusée par la suite.
19 L'accusée, pendant cet entretien, a dit qu'elle était consciente de la
20 nécessité de bien respecter ces informations confidentielles pendant
21 qu'elle était employée du Tribunal. Elle n'a pas eu connaissance directe du
22 contenu de ces déclarations. Mais pendant qu'elle était porte-parole - ça,
23 c'est important - pendant qu'elle était porte-parole, elle a veillé à ce
24 que des informations confidentielles soient bien protégées. Mais elle a dit
25 ceci :
26 "Mes réponses sont faites en consultation avec le bureau du Procureur, donc
27 on savait en général le genre de questions qu'on allait recevoir et on
28 était prêt à y répondre. Je connaissais exactement le cadre de ma réponse
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1 sans prendre le risque de violer quelque décision que ce soit. Vous le
2 verrez vous-même, ces problèmes ne se sont jamais posés pendant que j'ai
3 été porte-parole."
4 Elle avait connaissance de la nécessité de faire attention à ce qu'on
5 disait, elle le faisait et elle s'en enorgueillissait du fait que pendant
6 six ans elle a veillé à ce qu'il n'y ait aucun problème pour ce qui est de
7 la divulgation d'informations confidentielles. Alors qu'est-ce qui s'est
8 passé ? Est-ce que tout d'un coup, cette connaissance qu'elle a accumulée a
9 disparu quand elle est redevenue journaliste ? Elle connaissait les règles
10 du jeu. Elle les a appliquées pendant six ans.
11 Et M. Ruxton le relève dans cette déclaration acceptée par les deux
12 parties, il confirme que Mme Hartmann savait parfaitement qu'il fallait
13 faire attention à ce qu'on disait :
14 "C'était une partie intrinsèque de l'activité d'un porte-parole. Il
15 n'est pas censé donner aux médias des choses qui ne sont pas supposées être
16 rendues publiques."
17 Dans cet entretien, elle parle aussi de l'écriture de son livre.
18 Après avoir quitté le Tribunal, elle commence à écrire ce livre en janvier
19 2007, livre qui va être publié en septembre 2007. Elle confirme qu'elle l'a
20 fait seule et qu'elle reconstitue les événements partant de sa propre
21 expérience et partant des informations fournies par plusieurs sources
22 qu'elle ne nomme pas, mais c'est une reconstitution. Et s'agissant des
23 points en litige ici, elle a déclaré qu'elle connaissait le caractère
24 confidentiel de ces informations, mais qu'elle a décidé d'en parler dans
25 son livre et de le dire expressément.
26 Lorsqu'on lui a montré les décisions confidentielles concernant, elle
27 a répondu ceci : Apparemment, j'avais de bonnes sources. Lorsqu'on lui
28 demande s'il y a eu des communiqués de presse qui ont été publiés pour les
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1 médias à l'époque, lorsqu'elle était porte-parole, elle a dit, je la cite :
2 Non je ne pense pas, parce que c'était une décision confidentielle.
3 Pour ce qui est de tout cet entretien vu dans son ensemble, tous les
4 garde-fous étaient mis en place. L'accusée a eu l'occasion de présenter sa
5 version des faits et j'estime que pour tous les éléments essentiels,
6 l'entretien en tant que tel établit les éléments constitutifs de
7 l'infraction, l'élément moral, notamment pour les deux chefs, livres et
8 articles.
9 S'agissant de la lettre du greffier, permettez-moi quelques brefs
10 commentaires. Je l'ai déjà dit, c'était un peu en sandwich entre les deux
11 publications. La Chambre a le droit de conclure qu'elle avait la
12 connaissance requise le 19 octobre, elle savait qu'il y avait une question
13 qui se posait à la suite de la publication de son livre en matière de
14 confidentialité. Elle l'a dit elle-même : L'article ne fait que refléter
15 ce qui est dit dans le livre, à une exception près, à savoir qu'elle n'a
16 pas fait mention du caractère confidentiel, peut-être à cause de la lettre
17 d'avertissement qu'elle avait reçue du greffier, peut-être pensait-elle que
18 c'était suffisant.
19 Longues ont été les discussions et nombreux ont été les éléments présentés
20 sur la dérogation pour savoir dans quelle mesure les documents et les
21 informations étaient devenues du domaine public. Je ne vais pas demander
22 qu'on passe à huis clos partiel, je vais donc rester général dans mes
23 commentaires. Vous verrez le détail de tout ceci dans mes conclusions
24 écrites. Mais en fin de compte, mes arguments se résument de la façon
25 suivante : Manifestement il est douteux qu'une demande d'obtenir des
26 mesures de protection - et là en l'occurrence c'est un Etat qui le demande
27 - il est douteux que quelqu'un ou un Etat qui va demander ce genre de
28 mesures va abandonner une telle demande unilatéralement. Ce qui est un fait
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1 en l'espèce, c'est que les éléments ne montrent pas qu'il y aurait eu de la
2 part de l'Etat une renonciation implicite ou explicite --
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous interromps.
4 Est-ce qu'on reproche à Mme Hartmann d'avoir révélé ce que la partie
5 demanderesse demandait à protéger dans sa demande de mesures de protection
6 ou est-ce qu'on l'accuse d'avoir révélé la substance de la décision
7 confidentielle de la Chambre d'appel ?
8 M. MacFARLANE : [interprétation] Je pense que dans l'ordonnance tenant lieu
9 d'acte d'accusation, on se concentre sur le contenu.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et pas sur les documents qui sont à
11 l'origine de cette décision, de sa teneur ?
12 M. MacFARLANE : [interprétation] Exact.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pensez-vous qu'il soit utile d'aller
14 dans ce sens de parler de la dérogation ? La partie demanderesse, est-ce
15 qu'elle demanderait à déroger à ce qui apparemment est censé être protégé ?
16 On n'accuse pas l'accusée de cela.
17 M. MacFARLANE : [interprétation] En fin de mes commentaires, je voudrais
18 vous soumettre l'idée que toute cette question de la dérogation, en fait,
19 nous déraille un peu et que ce n'est important.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous voulez vous-même dérailler ?
21 M. MacFARLANE : [interprétation] Non, simplement je ressentais le besoin
22 peut-être d'évoquer ce point.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si vous voulez faire une digression,
24 partir sur une voie de garage, pour ainsi dire, vous pouvez le faire.
25 M. MacFARLANE : [interprétation] Ce n'est pas nécessaire, me semble-t-il.
26 Je vais peut-être m'en tenir à mon élément principal, mais on a consacré un
27 temps assez considérable à la question de la dérogation et au fait que les
28 informations étaient supposées être du domaine public.
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1 C'est un point de droit et, à mon avis, un accusé ne peut pas en utiliser;
2 et ceci, deuxièmement, ne découle pas des faits de la cause; troisième
3 élément, en tout état de cause, les documents prouvent qu'il n'y a pas eu
4 de dérogation de la part de la partie demanderesse. Mais je m'en tiens là.
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
6 M. MacFARLANE : [interprétation] Je ressens le besoin d'apporter un
7 commentaire sur plusieurs affaires, car je pense que ces affaires
8 présentaient des faits assez semblables à ceux dont vous êtes saisi. Il y a
9 d'abord l'affaire Marijacic et Jovic, et là la Chambre d'appel a dit
10 simplement qu'une ordonnance de la Cour reste en vigueur jusqu'à décision
11 contraire d'une Chambre. Je pense que c'est un élément qui est déterminant
12 en l'espèce.
13 Deuxième affaire que j'aimerais citer à l'appui de mes arguments, c'est en
14 partie en raison du fait qu'on a dit que c'étaient des éléments du domaine
15 public. Ç'a été un élément examiné en longueur. L'arrêt de Jovic est
16 déterminant, à mon avis, et je pense qu'il règle la question en l'espèce.
17 Et c'est la seule citation que je vous présenterai ce matin, car je la
18 trouve très importante :
19 "La Chambre de première instance le reconnaît clairement, l'élément
20 matériel en matière d'outrage en vertu de l'article 77 --"
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, apparemment l'interprète,
22 ayant oublié de brancher son micro, il n'y a pas eu de traduction.
23 Maintenant apparemment, c'est réglé. L'interprète s'excuse.
24 Vous pouvez poursuivre.
25 M. MacFARLANE : [interprétation] Merci.
26 "S'il y a violation d'une ordonnance, une violation en tant que telle,
27 entrave l'administration de la justice aux fins d'une condamnation pour
28 outrage. Il ne faut pas d'autres preuves de préjudice à l'administration
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1 par le TPIY, ce n'est pas nécessaire."
2 Déclaration suivante, et ça pour moi, c'est très important :
3 "De plus, une ordonnance reste en vigueur jusqu'à décision contraire d'une
4 Chambre. Le fait que certaines parties d'une déclaration écrite d'un témoin
5 ou d'éléments donnés à huis clos ont peut-être été communiqués à une autre
6 partie ne signifie pas que cette information n'est plus protégée, qu'on a
7 de facto levé la confidentialité d'une ordonnance ou qu'il y aurait pas eu
8 entrave à l'administration de la justice par ce Tribunal."
9 Pour ces motifs, la seule conclusion qui s'impose, c'est que les deux
10 décisions en litige dans l'ordonnance tenant lieu d'acte d'accusation
11 restent en vigueur et ce n'est pas parce qu'on en a parlé quelque part
12 publiquement que c'est modifié.
13 Je voudrais maintenant aborder très rapidement la déposition de Mme Kandic.
14 J'en parle de façon beaucoup plus détaillée dans mon document écrit. Mais
15 il me suffira de dire aujourd'hui, au vu du temps qui m'a été imparti, que
16 la Chambre devra véritablement examiner de façon très méticuleuse sa
17 déposition et le poids qu'il faudra lui accorder. J'ai justement souligné
18 le nombre de fois où le témoin n'a pas répondu aux questions et s'est
19 lancée dans des discours afin de promouvoir sa cause. Donc je pense qu'il
20 faudra véritablement envisager le poids à accorder à cette déposition.
21 Pour ce qui est du concept de la liberté d'expression, qui est un sujet
22 brûlant d'actualité en l'espèce, je pense qu'il ne faut pas oublier
23 l'affaire Marijacic et Jovic. Dans Jovic, il faut savoir que la Chambre de
24 première instance a présenté une conclusion qui me semble extrêmement
25 utile. Voilà ce qu'elle a dit :
26 "Il est absolument incontestable que des instruments juridiques pertinents
27 au travail de ce Tribunal protègent la liberté d'expression. Tous les
28 instruments relatifs à la liberté de la presse ont été nuancés pour ce qui
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1 est des poursuites devant le Tribunal. Le Tribunal note, qui plus est,
2 qu'après avoir choisi de ne pas tenir compte d'ordonnance valide, un accusé
3 ne peut pas ensuite invoquer le principe de la liberté d'expression pour
4 excuser son comportement."
5 Voilà, nous en venons à l'essentiel. Si vous choisissez de faire fi
6 d'une ordonnance tout à fait valable, vous ne pouvez pas ensuite invoquer
7 le principal de liberté d'expression pour excuser votre propre
8 comportement.
9 Il y a également une décision dans l'affaire Dupuis de la Cour européenne
10 des droits de l'homme. Je ne vais pas en parler maintenant, puisque cela a
11 été expliqué lors de la présentation de mes arguments.
12 Donc il a des limites à tous les droits, et notamment il faut absolument -
13 et ce qui est critique - assurer que le cours de la justice n'est pas
14 entravé par l'application très générale du droit à la liberté d'expression.
15 J'aimerais de façon très concise maintenant en venir à mon dernier argument
16 et j'aimerais vous dire que l'Accusation accepte que les motivations de
17 l'accusée, en présentant ces deux publications n'étaient pas
18 répréhensibles, mais j'ai déjà présenté cette proposition suivant
19 lesquelles des propos consistaient à défier le public.
20 M. Vincent, lors de sa déposition, a exposé, il a su très bien exposer les
21 dangers associés à la publication d'informations considérées comme secret
22 défense. Tout simplement, le danger peut être que les informations et les
23 sources peuvent cesser d'exister. L'Etat fournissant ces sources peut
24 décider, il lui appartient tout à fait d'en décider, de dire, je ne vais
25 plus fournir d'autres informations au Tribunal pour ne pas autoriser -- pas
26 si cela permet toutes sortes de fuites.
27 Et j'aimerais parler du cadre législatif des considérations dont il faudra
28 tenir compte pour le prononcé du jugement. La Chambre les connaît
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1 parfaitement bien. Il s'agit d'établir un équilibre entre les circonstances
2 aggravantes et les circonstances atténuantes. Et j'aimerais évaluer les
3 deux revers de la médaille, parce que comme d'habitude, il faut pouvoir les
4 prendre en considération toutes les deux.
5 Pour ce qui est des circonstances aggravantes, il s'agit de deux
6 publications séparées et distinctes, séparées par un intervalle de quatre
7 mois. Il faut savoir que pendant cet intervalle il y a eu une mise en garde
8 du greffier. La première publication, le livre était, en fait, une
9 entreprise commerciale en quelque sorte, le but étant d'obtenir des à-
10 valoir ainsi que des droits d'auteur. L'accusée avait été une employée du
11 Tribunal qui connaissait parfaitement l'importance du concept de la
12 confidentialité. Finalement il faut savoir que l'envergure de ces
13 publications est assez importante. Le premier livre a été publié par une
14 très grande maison d'édition en France. Le deuxième a été placé sous la
15 toile de l'internet pour que le monde puisse le parcourir.
16 Pour ce qui est des circonstances atténuantes - et je suis sûr que mon
17 estimé confrère aura beaucoup de chose à dire à ce sujet, mais je voudrais
18 faire preuve d'équité et vous expliquer qu'elle est ma façon de concevoir
19 les circonstances atténuantes - je voudrais indiquer à la Chambre que
20 l'accusée a coopéré pendant toute l'enquête et a été interrogée à deux
21 reprises dans le bureau du conseil. Deuxièmement, il faut savoir que la
22 distribution de son premier livre a été beaucoup plus limitée que ce
23 qu'elle avait escompté peut-être. Le livre n'a pas été un grand succès de
24 presse. Comme je l'ai indiqué, ses motivations n'étaient pas
25 répréhensibles.
26 L'accusée est la mère de deux enfants. Et bien entendu, cela ne fait pas
27 partie de l'affaire et nous n'en n'avons même pas d'ailleurs parlé avec le
28 conseil. Mais l'Accusation, en fait, souhaiterait indiquer à la Chambre
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1 qu'en ce qui concerne l'Accusation, l'accusée n'a pas été inculpée ou
2 condamnée préalablement. Je pense que je vais m'en tenir là.
3 Finalement, pour ce qui est des circonstances atténuantes --
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez utilisé votre temps de
5 parole qui était d'une demi-heure.
6 M. MacFARLANE : [interprétation] Mais je peux le faire en 15 secondes.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien.
8 M. MacFARLANE : [interprétation] Ce que j'indique c'est qu'une condamnation
9 d'emprisonnement n'est absolument pas justifiée, ce n'est pas ce que nous
10 réclamons. Il s'agit, en fait, d'une sanction monétaire que nous demandons.
11 Et ce qui est important c'est la somme en question. Et ce que j'indique
12 c'est qu'une somme qui serait entre 7 000 et 15 000 euros serait tout à
13 fait appropriée et conforme aux décisions précédentes prises par la
14 Chambre.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.
16 Maître Khan.
17 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il
18 me semble que lorsque cette affaire a commencé il y a un certain temps de
19 cela, j'avais présenté des déclarations liminaires à votre intention et
20 j'avais mentionné que l'un des aspects particuliers et caractéristiques de
21 cette affaire était, à mon avis, l'érosion constante des affirmations
22 exposées par le Procureur. Et à cet égard, Messieurs les Juges, j'aimerais
23 vous demander de bien vouloir consulter le rapport qui a été présenté par
24 l'enquêteur amicus curiae présenté à la Chambre de première instance qui
25 avait été spécialement désigné. Car cela nous plantait le décor, nous
26 fournissait le contexte, le contexte permettant de comprendre comment cette
27 affaire a démarré et évolué.
28 Ce qui me frappe, Messieurs les Juges, c'est le nombre d'allégations
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1 qui sont véritablement très générales, allégations qui sont proférées et
2 qui n'ont jamais été corroborées par des preuves. Dans certaines
3 circonstances, il est tout à fait normal que lors de certaines audiences,
4 des personnes dont les noms figurent sur un acte d'accusation doivent être
5 présentées. Donc il s'agit d'audiences lors d'une première mise en
6 accusation. En fait, je ne vais pas entrer dans le rapport confidentiel de
7 façon détaillée, mais j'aimerais dire qu'il faut voir quelle est l'abîme
8 entre ce qui a été allégué par rapport à la politique suivie par
9 l'Accusation, qui était une tentative pour attirer l'attention et les
10 critiques d'ailleurs sur les Juges, et ce qui a été présenté véritablement
11 lors du procès.
12 Je parlais d'érosion, et je dirais que cette érosion nous la voyons déjà
13 dans le mémoire préalable au procès. Vous saurez que dans le mémoire de mon
14 estimé confrère du 8 janvier 2009, il y a eu un certain nombre
15 d'allégations qui ont été présentées, et je dirais qu'il n'y a pas eu la
16 moindre once d'éléments de preuve qui a été présentée par le Procureur
17 amicus curiae. Il a déclaré, par exemple, que ma cliente était un chef de
18 cabinet, était le chef de cabinet, le chef d'état-major, la personne qui
19 aidait Carla Del Ponte ou qui était la conseillère principale de Carla Del
20 Ponte. Et je dirais que nous n'avons pas entendu une phrase ou un mot à ce
21 sujet pour corroborer et étayer cette affirmation préremptoire [phon]. Il
22 faut savoir qu'un mémoire préalable au procès n'est pas un document
23 superflu. Il s'agit, en fait, du document qui est au cœur du Procureur, au
24 cœur de la présentation des moyens à charge plutôt. Et je dirais que le
25 Procureur n'a pas su, n'a même pas essayé d'ailleurs de présenter des
26 éléments de preuve pour étayer ces allégations qui sont complètement non
27 fondées. Et cela est la preuve, s'il en fut, de la tentative désespérée et
28 déployée par mon estimé confrère pour essayer d'obtenir une condamnation en
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1 l'espèce sans pour autant prendre en considération la réalité des faits,
2 sans pour autant prendre en considération le comportement de ma cliente. En
3 un mot commençant et pour être très direct et très franc, cela a tout l'air
4 d'un acte désespéré.
5 Je dirais également que j'aimerais aborder un autre aspect qui me laisse
6 tout à fait perplexe. Il s'agit du choix plutôt farfelu des témoins qui
7 vous ont été présentés par mon estimé confrère. Car les témoins qui ont été
8 présentés nous ont permis de souligner une des faiblesses sous-jacentes des
9 moyens à charge. Son tout premier témoin a été M. Kermarrec, et M.
10 Kermarrec a répondu à l'une des observations présentées par M. le Juge
11 Guney. M. Kermarrec de la maison d'édition Flammarion a tout à fait admis
12 qu'il n'avait pas signé le contrat conclu avec Florence Hartmann, il n'a
13 pas fait partie de l'équipe qui a négocié avec Florence Hartmann.
14 D'ailleurs il a même précisé que Giles Haeri était la personne qui l'avait
15 fait, alors que ce monsieur n'a pas été convoqué pour expliquer ce qui
16 avait été fait, pour expliquer la teneur des négociations et le résultat.
17 Mais M. Kermarrec, et M. Robin Vincent, était le deuxième témoin.
18 Bien entendu, nous n'avions pas de déclaration, mais il était censé nous
19 présenter un point de vue assez général relatif au besoin de façon
20 abstraite, bien sûr, au besoin de confidentialité. Puis il a d'ailleurs
21 étoffé cette affirmation lorsqu'il a présenté ces éléments de preuve.
22 Mais quels sont les chefs d'inculpation ? Il y a quelque chose qui me
23 paraît absolument essentiel et que vous ne pouvez absolument pas perdre de
24 vue, car l'Accusation, qui est responsable de son enquête, qui a dû
25 présenter ses éléments à charge, n'a pas véritablement su ou n'a pas fait
26 comparaître de représentant ou de personne représentant l'Etat requérant, à
27 savoir la Serbie, au nom duquel la confidentialité des décisions était
28 préconisée. Ils n'ont même pas essayé de les convoquer en tant que témoins.
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1 Ils n'ont même pas obtenu de déclarations de leur part. Il n'y a pas eu
2 d'éléments de preuve quels qu'ils soient, qu'il s'agisse de bruit qui
3 court, de rumeurs, d'articles de presse, de coupures de presse indiquant
4 que l'Etat requérant, à savoir la Serbie, avait été, ne serait-ce que
5 perturbée par l'ouvrage rédigé ou embarrassée par l'ouvrage rédigé par ma
6 cliente. Il n'y a absolument aucun élément de preuve permettant d'étayer le
7 fait que la Serbie avait considéré le livre ainsi que l'article rédigé par
8 Mme Hartmann comme quelque chose qui battrait en brèche la décision pour
9 laquelle ils avaient demandé la confidentialité. Mais cela a son
10 importance, et ce, pour un certain nombre de raisons. Et je vais aborder un
11 de ces paramètres. Car ce qui est absolument pertinent -- et cela est
12 pertinent plutôt, parce que ce qui a été communiqué, ce sont les paramètres
13 de ce qui était considéré comme confidentiel.
14 La Serbie - et cela d'ailleurs a été indiqué par Natasa Kandic - a fait
15 l'objet d'un procès au sein de la Cour Internationale de Justice, tout cela
16 a été abordé de façon assez longue lors de ma déclaration liminaire et lors
17 d'ailleurs des dépositions des différents témoins. Mais la Serbie à
18 proprement parler a fait allusion au fait qu'il y avait des décisions qui
19 avaient été prises, que le TPIY avait été saisi d'une affaire, saisi, en
20 fait, d'une demande qui portait sur des décisions confidentielles, qu'il
21 s'agissait des documents du CDS, et il y avait certains extraits qui
22 avaient été expurgés. Mais il faut savoir que ce n'est pas si inhabituel
23 dans le livre qui a été rédigé par ma cliente, et je ne sais pas si cela
24 mérite sanction, ainsi que les faits particulièrement terrorisant --
25 terrifiant plutôt, d'une condamnation pour une femme d'une moralité
26 exceptionnelle. Je ne pense pas qu'il y a aucune raison.
27 Une fois de plus, il y a quelque chose que je ne comprends pas dans le
28 point de vue exprimé par mon estimé confrère, puisqu'il a dit lors de sa
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1 déclaration liminaire que la tutrice ne faisait pas l'objet de litige.
2 Alors que j'indique que c'est justement cela qui fait l'objet de litige,
3 c'est justement l'un des éléments centraux en fait.
4 Et il a été dit, cela a été un peu dit comme un a parte, que cette
5 affaire ne portait pas sur le droit des journalistes. Et lors de la
6 déclaration liminaire, il n'aura pas à échapper à l'attention des Juges que
7 mon estimé confrère a passé beaucoup de temps à indiquer ce qui n'était pas
8 au cœur de cette affaire par opposition à ce qui a été au cœur de cette
9 affaire.
10 Mais pour parler de l'actus reus, je dirais que l'enquêteur amicus
11 curiae a dit qu'il y avait quatre éléments centraux au centre de cette
12 affaire, et il a parlé de l'actus reus et du mens rea. Il y a également un
13 troisième, un quatrième critère - peut-être que je me trompe - mais il me
14 semble qu'il s'est contenté de réitérer les deux premiers éléments, à
15 savoir la définition de l'actus reus et du mens rea. Mais la façon dont il
16 a présenté ses éléments, sont tels - et je dirais que jusqu'à l'heure
17 actuelle, il n'y a pas eu de contradiction par rapport à ce qui a été dit
18 et compris par la Défense - mais ce qui est traité comme confidentiel par
19 le Tribunal est l'existence et la date des deux décisions contestées, à
20 savoir la nature confidentielle de ces deux décisions et l'identité de la
21 partie requérante et les requérants, il faut savoir, et, quatrièmement, le
22 sujet. En d'autres termes, les mesures de protection qui avaient été
23 octroyées ont été octroyées par rapport aux procès-verbaux du CDS. Et nous
24 l'avons indiqué lors de notre requête au vu de reconsidération du 9 janvier
25 2009, cela a été répété le 14 janvier 2009, nous l'avons également indiqué
26 dans notre mémoire préalable au procès et je l'ai ensuite indiqué lors de
27 ma déclaration liminaire, et je dirais qu'il n'y a pas eu de la part du
28 Procureur amicus curiae de désaccord.
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1 Et ce qu'a dit mon estimé confrère, bien entendu, c'est qu'il a fait
2 une analyse comparative, ligne par ligne de ces deux pages, et il s'agit,
3 je vous le rappelle, des pages 122 et 123 du livre de Florence Hartmann. Il
4 a, en fait, établi les liens entre ces pages et les allégations qu'il doit
5 encore prouver. Au moment où je vous parle, Messieurs les Juges, je vous
6 dirais que je n'ai pas eu l'avantage de lire ce mémoire de clôture, mais je
7 vais faire abstraction de cela --
8 M. LE JUGE GUNEY : Je suis branché sur la cabine française. Je dois dire
9 que l'interprète a souffert beaucoup à vous suivre. Vous avez une vitesse
10 extraordinaire. Veuillez ralentir pour permettre aux interprètes qu'ils
11 fassent une traduction ordonnée ainsi que pour permettre à nous de faire
12 l'association des idées.
13 Merci beaucoup.
14 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Juge, je vous remercie et je vais
15 essayer d'aller encore plus lentement. Je m'efforçais de suivre le rythme
16 du sténotypiste, et je m'excuse. Je présente mes excuses à nos collègues
17 qui s'efforcent de traduire ce que j'avance en français, ils sont en train
18 de travailler comme Sisyphe.
19 Alors Monsieur le Juge, Monsieur le Président, pour comprendre les
20 paramètres de cette affaire, je dirais que les points de vue de l'Etat
21 requérant ne sont pas un thème secondaire. Cela n'a rien à voir avec cette
22 voie de garage dont parlait mon estimé confrère pour les décrire.
23 La Chambre d'appel a indiqué de façon très, très claire, que ce qui faisait
24 l'objet des mesures de protection dans cette affaire était justement les
25 procès-verbaux du CDS ainsi que les notes sténographiques. Cela est
26 expliqué par le menu dans la décision Milosevic du 11 septembre 2007. La
27 Chambre d'appel a également expliqué que le statut confidentiel octroyé à
28 une décision, et je cite, "eu égard à des informations confidentielles
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1 prises en considération pour lesquelles des mesures de protection ont été
2 octroyées conformément aux Règlements."
3 Messieurs les Juges, lorsque vous prenez en considération le point de vue
4 de la Serbie, lorsque d'aucuns se penchent sur ce qu'ils ont dit à propos
5 des décisions et de leur propre requête devant la Chambre d'appel de ce
6 Tribunal, il est absolument essentiel de ne pas oublier que leur
7 préoccupation essentielle était, à mon avis, - et je pense d'ailleurs qu'il
8 s'agissait de leur seule préoccupation - était, disais-je, d'empêcher que
9 les documents sous-adjacents qui auraient pu nuire à leur affaire ou placée
10 devant la Cour Internationale de Justice tombe dans le domaine public.
11 C'est la raison pour laquelle, à la fois la Cour Internationale de Justice
12 et la table ronde auxquelles a fait référence Natasa Kandic, ont attiré
13 l'attention sur cette distinction fondamentale entre les documents sous-
14 jacents à prendre en considération et le fait de cette demande ou encore la
15 confidentialité de la décision.
16 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne vais pas entrer dans le
17 détail de cette question, parce que je sais que cela a été abordé de façon
18 assez détaillée dans notre mémoire préalable au procès, mais il y a un
19 élément qui est absolument essentiel. Lorsque vous prenez en considération
20 l'actus reus et lorsque vous souhaiterez statuer à ce sujet, vous ne
21 pourrez pas ignorer la pratique retenue par différentes Chambres de ce
22 Tribunal, car nous avons indiqué lors de notre mémoire préalable au procès,
23 ainsi que dans notre déclaration liminaire, que par actus contrarius, les
24 Juges de ce Tribunal peuvent modifier les décisions de plusieurs façons.
25 Cette affirmation n'a pas été contredite par mon confrère de l'Accusation.
26 D'ailleurs, son propre témoin à charge, Robin Vincent, a accepté cette
27 réalité lors du contre-interrogatoire, car il a indiqué de façon très
28 claire que la nature même d'une décision peut être modifiée de plusieurs
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1 façons. Et je vous demanderais de bien vouloir vous pencher sur le compte
2 rendu d'audience, car à trois reprises lors du contre-interrogatoire, des
3 documents lui ont été présentés, il a accepté le fait que ces documents
4 pourraient être rendus confidentiels en l'absence d'une décision écrite de
5 la Chambre de première instance ou de la Chambre d'appel. Et nous avons
6 cité dans notre déclaration liminaire la propre pratique du Président de
7 cette Chambre, M. le Juge Moloto, qui a indiqué comment le statut de
8 confidentialité pouvait évoluer et comment des Juges, lors d'une audience
9 publique, avaient pris en considération une décision. Et nous avons fourni
10 des détails à ce sujet. Donc j'espère que j'ai été clair à ce sujet.
11 J'aimerais avoir un petit moment, je vous prie.
12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, je vous l'accorde.
13 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, le compte rendu
14 d'audience à cet égard est suffisamment évocateur. Je peux entrer davantage
15 dans le détail, si cela s'avère nécessaire.
16 L'Accusation n'a absolument pas tenu compte de l'aspect moral dans cette
17 affaire. L'Accusation souhaite voir adopter ce que je peux qualifier
18 d'intégrisme juridique. Lorsqu'une décision est intitulée "Confidentielle,"
19 toute référence à cette dernière peut donner lieu à une responsabilité
20 pénale au titre d'outrage. L'affaire Jovic, que mon confrère a citée lors
21 de sa déclaration liminaire, portait l'élément matériel de l'affaire et non
22 pas sur l'élément moral. Lorsqu'on se met à la place de l'accusée,
23 Messieurs les Juges, vous en jugerez par vous-même en temps voulu, vous
24 constaterez que tout ce qu'elle a écrit était du domaine public.
25 Bien, il a été admis que le simple fait que quelque chose fait partie du
26 domaine public signifie que l'on ne peut pas en disposer. Cela ne signifie
27 pas que parce qu'un fait est dans le domaine public, que tout un chacun est
28 en droit de s'en servir à l'envi. Cela ne signifie pas pour autant qu'une
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1 décision qui est du domaine public n'est pas pertinente. Je crois que si on
2 fait cela, il s'agit d'un saut quantique qui n'est pas justifié ni aux
3 termes du droit ni aux termes de la logique.
4 En contradiction avec les autres affaires, voire même toutes les affaires
5 dont vous avez été saisis, Messieurs les Juges, et les autres Chambres de
6 ce Tribunal, cette affaire n'a pas porté sur la communication du nom d'un
7 témoin, ce qui, évidemment, serait un sujet de préoccupation très important
8 pour les Juges de la Chambre, car ceci pourrait compromettre la vie de
9 quelqu'un. Cet ouvrage qui fait l'objet de cette procédure et l'article qui
10 a suivi, ces éléments-là faisaient partie du domaine public depuis des
11 années déjà.
12 Messieurs les Juges, Me Mettraux vous a présenté le rapport international
13 de la guerre et de la paix -- rapport spécial en 2005, et tous les faits
14 qui ont été rendus publics à cet égard. Et tout était déjà du domaine
15 public. C'était avant une décision, le fait que ces questions faisaient
16 partie déjà du domaine public, ceci est quelque chose dont il faut tenir
17 compte. Il s'agissait de comprendre quel est l'intérêt de la Chambre
18 d'appel et qu'est-ce que l'on tente de protéger ici.
19 Six mois avant la publication du livre, un autre rapport a également été
20 présenté par l'Institut international de guerre et de la paix. Ceci a été
21 suivi par l'article du "New York Times" et du "International Herald
22 Tribune." Il s'agit évidemment de journaux qui ont une réputation mondiale.
23 Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, malheureusement je ne peux
24 pas m'exprimer mieux que cela, il n'y a pas eu le moindre murmure des
25 couloirs du greffe à ce moment-là. Il n'y a pas eu de présentation
26 d'arguments au titre de l'article 33, aucune déclaration publique. Ces
27 questions ont été évoquées à Belgrade, ces questions ont été évoquées à New
28 York par l'institut chargé des rapports de la guerre et de la paix. Comment
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1 tout individu raisonnable peut-il lire cela et considérer qu'évoquer les
2 mêmes questions donnerait lieu à une responsabilité pénale ?
3 Nous avons abordé le détail concernant d'autres personnes, qui ont été des
4 salariés de ce Tribunal, qui ont dit des choses semblables. Aucune de ces
5 personnes n'a été poursuivie. Ceci est tout à fait pertinent en matière de
6 l'élément moral.
7 Mon confrère tente d'aborder ceci en contournant cette question, s'il n'y a
8 pas d'esprit coupable eu égard à mon client. Comme l'a clairement indiqué
9 Natasa Kandic, avant d'être une salariée du Tribunal, c'était quelqu'un qui
10 était engagé, qui avait des connaissances importantes et un expert en ex-
11 Yougoslavie. Effectivement, Mme Hartmann était la personne qui a pour
12 beaucoup inspiré Natasa Kandic pour qu'elle commence à travailler et à
13 lancer les travaux qu'elle a engagés.
14 Mon confrère a essayé de qualifier sa déposition en indiquant qu'il
15 s'agissait de quelqu'un qui faisait des discours. C'est aux Juges d'en
16 décider. Mais c'est une femme qui a une très grande réputation, non
17 seulement parce que le magazine "Times," en 2002, l'a déclarée personne de
18 l'année ou qu'en 2007, on a indiqué qu'il s'agissait d'un des héros des 60
19 dernières années en raison des travaux qu'elle a effectués en raison de ce
20 qu'elle sait, à savoir la situation sur le terrain en ex-Yougoslavie. Comme
21 elle l'a dit elle-même de façon très éloquente, elle ne pouvait pas
22 comprendre comment Florence Hartmann pouvait être assise à l'endroit où
23 elle est assise, parce qu'elle avait écrit non pas quelque chose de tout à
24 fait extraordinaire, simplement parce qu'elle a écrit un livre qui a été
25 publié à 3 000 exemplaires et dans lequel elle a évoqué dans le détail
26 quelque chose qui a été évoqué à Belgrade et dans les journaux
27 internationaux.
28 Lorsqu'il s'agira de décider si oui ou non un délit pénal a été commis, il
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1 faut comparer ceci avec des actions menées par les autorités, que ce soit
2 l'Accusation ou le greffe, et le rôle de surveillance par rapport aux
3 questions de confidentialité, le rôle de politiques générales, le fait
4 qu'il contrôle la procédure dans d'autres affaires comme Haxhiu. Dans les
5 autres affaires, il n'y a pas de fossé à proprement parler entre les
6 allégations qui ont été présentées et qui remontent à la surface et une
7 action engagée par le Tribunal. Nous avons, pour l'année 2005, des faits
8 qui sont dans le domaine public et ces questions sont évoquées pendant six
9 mois dans les journaux. Il s'agit ici d'éléments pertinents, Messieurs les
10 Juges, et ce sont des choses qu'il faudra examiner dans le plus grand
11 détail.
12 L'autre facteur qui n'est pas abordé par l'Accusation, c'est que tous les
13 cas d'outrage ont un lien avec les affaires en cours. Cette affaire, au
14 moment où l'outrage aurait été allégué, n'avait plus lieu d'être. Ceci n'a
15 pas été abordé du tout. J'ai remarqué en regardant le compte rendu
16 d'audience, qu'il n'a pas tenu compte de l'élément moral, à savoir
17 l'intention de Mme Hartmann d'intervenir au niveau de l'administration de
18 la justice. Elle dit que ses mobiles ne sont pas répréhensibles, mais en
19 même temps, le Procureur tente de dire que l'esprit est coupable.
20 Alors qu'il n'y a aucune intention d'entraver l'administration de la
21 justice. La procédure était terminée. Il n'y avait pas une telle intention
22 et une intention de la sorte doit être prouvée que ce soit une intention en
23 toute connaissance de cause et de façon délibérée d'entraver
24 l'administration de la justice.
25 Que s'est-il passé dans l'affaire Beqaj ? Ici nous avons le dispositif,
26 mais rien n'est dit à propos d'affaires qui contestent les éléments qui
27 sont cités :
28 "Dans l'affaire Beqaj, il doit y avoir une intention très précise
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1 d'intervenir ou d'entraver l'administration de la justice. L'élément moral
2 repose donc sur la connaissance et l'acte délibéré d'entrave à
3 l'administration de la justice."
4 Dans Maglov, et je cite :
5 "L'Accusation doit établir que l'accusée disposait de l'intention
6 précise d'entraver l'administration de la justice du tribunal."
7 Dans l'affaire portant sur l'Afrique du Sud, dans l'affaire contre van
8 Nieckert, je crois, Monsieur le Président, je crois que c'est une affaire
9 phare en Afrique du Sud. La cour a établi que :
10 "Avant qu'une condamnation pour outrage ne puisse être rendue, l'acte dont
11 on se plaint doit être non seulement calculé et délibéré, mais avoir pour
12 but d'aboutir à un outrage et doit avoir l'intention de jeter le doute sur
13 l'administration de la justice ou de faire en sorte que les juges fassent
14 l'objet d'un outrage."
15 C'est la raison pour laquelle, si vous appliquez de façon mécanique le
16 droit, comme j'ai évoqué l'intégrisme juridique, je dois indiquer que toute
17 violation de cette nature équivaut automatiquement à une entrave --
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous considérez qu'il y a
19 eu violation ?
20 M. KHAN : [interprétation] Non, pas du tout. Ce que j'ai dit dès le départ,
21 c'est qu'il n'y a pas d'élément moral. C'est le premier argument que j'ai
22 présenté et j'ai parlé de l'actus contrarius et de la dérogation de l'Etat.
23 Pour ce qui est des arguments présentés par l'amicus, c'est une position
24 très rigide, à savoir qu'une décision est intitulée confidentielle. Et si
25 les éléments sont révélés et si, à ce moment-là, nous évoquons l'actus reus
26 mais il y a entrave au niveau de l'administration de la justice, ça c'est
27 quelque chose qui ne peut pas être considéré.
28 Nous avons examiné des différentes décisions et les arguments que
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1 j'ai présentés à Robert Vincent. Nous avons porté nos arguments sur les
2 deux décisions contestées. Tout ceci porte là-dessus qui fait l'objet de
3 cette affaire d'outrage contre Mme Hartmann. Compte tenu de la
4 jurisprudence de ce Tribunal dans une ou deux affaires, les Juges de la
5 Chambre parviendraient à la décision invariablement, car au vu de cet
6 exemple répété, on parle de décisions confidentielles auxquelles il est
7 fait référence au audience publique; non seulement le nom, mais la
8 jurisprudence elle-même sont évoqués. C'est quelque chose que nous avons
9 démontré, même eu égard aux deux décisions qui font l'objet de cette
10 procédure-ci. Lorsque j'ai posé des questions à Robert Vincent et lorsque
11 nous avons lu quelque chose extrait de décisions publiques, la
12 jurisprudence précisément, qui a été lue en audience publique, émanant des
13 décisions qui ont été prises et à propos des propos qui seraient ceux de
14 Mme Hartmann, comme il est allégué, il s'agit d'une infraction pénale aux
15 dispositions d'outrage.
16 L'Amicus Curiae s'est concentré seulement sur le fait que le titre de ces
17 décisions était "confidentiel," et par conséquent, parvient à la conclusion
18 que si ceci a été déposé confidentiellement, il a du y avoir une violation.
19 Monsieur le Président, il y a un autre élément qui n'a pas été abordé,
20 c'est la question d'une erreur de droit ou de fait. Mon confrère a évoqué
21 cette lettre d'avertissement qui a été envoyée par le greffe et je ne peux
22 pas ne pas évoquer cette question-là sans exprimer mon inquiétude, qui est
23 énorme, eu égard au comportement de mon confrère à cet égard. C'est une
24 question qui nous déçoit énormément parce qu'aucune raison valable n'a été
25 avancée. L'Accusation, qui accuse le comportement de Mme Hartmann dans
26 cette affaire, a le devoir, aux termes de l'article 15 et des directives
27 pratiques, de ne pas poursuivre de manière contradictoire, mais de
28 poursuivre de façon impartiale et qu'il renonce à faire ceci par écrit et
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1 l'envoyer à l'avocat. Monsieur le Président, vous avez bien sûr rendu une
2 décision, mais il faut que ceci soit abordé. Il faut qu'équité soit faite
3 par rapport à la Défense -- et mon confrère a dit : Mme Hartmann ne peut
4 pas échapper. Tels sont les propos qu'il a utilisés. Aucun individu ne peut
5 échapper à cela. Ceci n'est pas le rôle du Procureur que d'éviter cela. Le
6 rôle du Procureur, c'est de présenter les faits devant une Chambre. Ensuite
7 la Chambre doit décider si des éléments matériels et moraux peuvent être
8 établis. Lorsque nous avons demandé quels liens il y avait par rapport à la
9 chaîne de conservation des documents sur lesquels il se repose maintenant,
10 il a répondu en disant : Non, je ne veux pas me reposer là-dessus lors de
11 l'interrogatoire principal. Si je me repose sur ce document, ce sera
12 pendant le contre-interrogatoire, donc votre demande pour ce qui est de la
13 chaîne de conservation des documents n'est plus pertinente. Lorsque je me
14 suis levé de façon ingénue sans garder quelque chose sous le coude, je
15 disais que je n'avais pas l'intention d'appeler Florence Hartmann. Juste
16 avant la présentation de ces moyens, il a changé d'avis, et ceci fait
17 l'objet de préoccupation pour nous. Des explications n'ont pas été
18 fournies. Ceci n'aurait pas dû être fait de cette manière-là. Ce n'est pas
19 ainsi qu'on lance des poursuites.
20 Monsieur le Président, mon confrère à de multiples reprises a parlé de
21 prendre la tangente, sauf votre respect, pour utiliser une autre métaphore,
22 il n'a pas été lent du tout et vous a emmené dans différents arcanes et
23 chemins détournés pour condamner Mme Hartmann.
24 Ceci n'est pas votre rôle, Messieurs les Juges, vous n'avez pas besoin de
25 conseils de ma part à cet égard - loin de moi cette idée - mais il ne faut
26 pas que l'Accusation s'y prenne de cette façon-là, empêcher quelqu'un de
27 fuir. Le principe du dubio pro reo s'applique ici. Nous avons eu des
28 inquiétudes à propos des motivations dans cette affaire. C'est une question
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1 de contexte, nous avons essayé d'avoir une audience consacrée à un abus de
2 procédure. Nous avons essayé de poser des questions à la personne qui était
3 enquêteur à l'époque. Tout ceci nous a été refusé. Les Juges, vous n'avez
4 pas pu comprendre ce qu'il y avait en dessous de tout ceci et de comprendre
5 les motivations qu'il y avait derrière. Des affaires semblables doivent
6 être abordées de manière semblable. Il ne s'agit pas de quelque chose de
7 tout à fait nouveau. Les éléments présentés par mon confrère ne sont pas
8 semblables. Lorsqu'il s'agit de révéler le nom d'un témoin, ceci contraste
9 avec l'idée de discuter dans un contexte démocratique international la
10 jurisprudence et le raisonnement des Juges de la Chambre. L'affaire citée
11 par mon confrère porte sur des cas où la partie demanderesse, la partie
12 protégée, le témoin, n'a jamais demandé à communiquer son nom. Dans ce cas,
13 la partie demanderesse dit tout à fait ouvertement qu'une telle demande a
14 été faite puisqu'il y a eu des conférences au niveau des différentes
15 conférences et à la Cour Internationale de Justice. Ceci a été abordé et
16 discuté à la radio de Belgrade et dans les reportages de la télévision. Il
17 s'agit d'une affaire complètement différente et fondamentalement
18 différente, pour les mêmes affaires, les mêmes effets. Il y a des cas qui
19 ont été -- pas de réaction de la part du "New York Times", du
20 "International Herald Tribune," Messieurs les Juges, vous devriez vous
21 poser la question de savoir pourquoi Mme Hartmann a été prise pour cible.
22 L'Amicus Curiae a dit dans sa déclaration liminaire qu'il ne s'agit pas de
23 savoir si oui ou non Florence Hartmann mérite un traitement spécial comme
24 étant une ex-salariée de ce Tribunal. L'inverse est également vrai,
25 Messieurs les Juges. Mme Hartmann ne mérite pas d'être prise pour cible
26 particulièrement, simplement parce qu'elle a servi ce Tribunal pendant six
27 ans. C'est quelqu'un que l'on ne doit pas prendre pour cible de cette
28 manière alors que toutes ces autres entités, que ce soient des maisons
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1 d'édition, des journaux et autres avocats, ont fait précisément cela sans
2 que ceci ne provoque de réaction. Ceci est tout à fait pertinent, non
3 seulement parce qu'aux mêmes affaires, les mêmes décisions, mais parce
4 qu'il n'y a pas eu commission comme c'est indiqué au niveau de l'élément
5 moral. Toute personne raisonnable devrait voir quelle est la situation.
6 Est-ce que toute personne raisonnable considérerait que le livre et
7 l'article rédigés par Florence Hartmann constituaient un objet d'outrage ?
8 A mon sens, aucune personne raisonnable ne pourrait parvenir à une telle
9 conclusion.
10 Messieurs les Juges, mon confrère tente de se soustraire, ou en tout cas,
11 de faire passer sous silence la pléthore de textes de loi dans le cadre du
12 droit humanitaire. Même qu'il cite certains éléments qui vont contre ces
13 arguments. Mon confrère pourrait fustiger Natasa Kandic comme étant
14 quelqu'un qui fait des déclarations et qui a une autre idée derrière la
15 tête, malgré le fait que cette femme qui a reçu un certain nombre de prix,
16 qui est une personne de bonne moralité, a témoigné sous serment. Messieurs
17 les Juges, en tout cas, mon confrère n'a pas tenté de fustiger ou de faire
18 voir sous un autre angle la déposition de M. Joinet, qui est un des experts
19 mondiaux et quelqu'un qui connaît très bien les facteurs et différentes
20 questions liées à la liberté d'expression, un homme qui a eu l'honneur de
21 servir dans le gouvernement de six premiers ministres. Qu'a dit cet homme
22 lorsqu'on l'a interrogé le 16 juin ? Il a dit qu'il n'avait jamais eu
23 connaissance d'une affaire d'outrage qui se concentrait sur le raisonnement
24 d'une chambre de première instance ou d'une chambre d'appel, que ceci soit
25 communiqué.
26 Donc mon confrère vous demande de vous détourner de la jurisprudence
27 importante de Strasbourg afin de vous emmener dans un ballet qui vous
28 écarterait de tout ceci pour que vous puissiez rendre votre décision.
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1 Personne et aucun tribunal a jamais déclaré coupable quelqu'un pour ce
2 genre d'outrage, et la raison en est, Messieurs les Juges, que de tels
3 tribunaux n'ont pas jugé quelqu'un de coupable dans des conditions
4 semblables, c'est qu'on n'a pas pu définir le délit. C'est parce que les
5 autres tribunaux -- ce n'est pas l'erreur de Strasbourg ni des tribunaux
6 nationaux en Europe. La faute en revient à la façon dont le droit a été
7 rédigé sur les questions d'outrage et sa mauvaise compréhension et la façon
8 dont l'Amicus Curiae a voulu mener son interrogatoire.
9 Messieurs les Juges, je vais parler maintenant de trois décisions, celle de
10 M. Dupuis sur laquelle s'est reposé mon frère. Le "Sunday Times", le
11 journal, la Chambre a clairement indiqué que la liberté d'expression joue
12 un rôle essentiel dans la société alors que, bien sûr, il s'agit d'un droit
13 nuancé, il ne s'agit pas d'un droit absolu. Dans toutes les études qui ont
14 été faites au niveau des Nations Unies et à Strasbourg auxquelles a fait
15 référence M. Joinet, toute restriction imposée à la liberté d'expression
16 doit être interprétée dans son exception restreinte. Ça c'est le point de
17 départ. La présomption est en faveur de la liberté d'expression. La
18 présomption est contre la restriction.
19 Dans l'affaire du "Sunday Times," ceci portait sur la thalidomide et les
20 effets désastreux de ces médicaments sur les enfants. Strasbourg a dit au
21 paragraphe 61 :
22 "Dans l'affaire qui nous intéresse, les familles de nombreuses victimes de
23 la tragédie qui n'avaient pas connaissance des difficultés juridiques
24 avaient un intérêt vital à connaître tout les faits sous-jacents et à
25 comprendre quelles étaient les solutions qui pouvaient être proposées. Ces
26 personnes pouvaient être privées de cette information qui leur était
27 essentielle s'il était apparu que sa dissémination aurait fait peser une
28 menace sur l'autorité judiciaire."
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1 Messieurs les Juges, vous constaterez d'après notre plaidoirie, qu'il y a
2 énormément de jurisprudence qui indique qu'aux termes de la jurisprudence
3 et de l'état de droit, il y a suffisamment de textes qui indiquent que ceci
4 sait se fier à lui-même. La loi sur l'outrage n'est pas là pour renforcer
5 la dignité des Juges, n'est pas là pour éviter à toute institution
6 judiciaire de rougir. Ceci est là pour protéger une bonne administration de
7 la justice. Et même s'il est exact de dire que l'administration de la
8 justice ne fait pas l'objet d'une entrave, il faut néanmoins établir qu'il
9 y a eu une intention d'entrave. C'est cette intention d'entrave de
10 l'administration de la justice qui n'a pas été prouvée par l'amicus
11 Procureur.
12 Monsieur le Président, vous constaterez d'après notre mémoire et des
13 sources qu'il y a des extraits de différentes affaires qui ont été mis en
14 exergue. Je vous demande, lorsque vous verrez ceci, d'y porter une
15 attention particulière. Ceci vous prendra un petit peu de temps, j'espère
16 que ceci vous paraîtra instructif.
17 Monsieur le Président, en évaluant la question à savoir si oui ou non les
18 restrictions imposées à la liberté d'expression sont requises, l'Accusation
19 doit établir que le droit tel qu'il semble vouloir l'appliquer remplit un
20 besoin social essentiel, que ceci est proportionnel et que cette question
21 de proportionnalité est essentielle.
22 Monsieur le Président, dans la même affaire - et je vais lire - à
23 Strasbourg, la cour d'appel des droits de l'homme a estimé que :
24 "Il y ait une reconnaissance générale --"
25 Je vais reprendre.
26 "Comme la cour l'a indiqué lorsqu'elle a rendu son jugement dans
27 Handyside, la liberté d'expression constitue un des fondements essentiels
28 d'une société démocratique."
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1 Et le texte se poursuit en disant :
2 "Ceci s'applique non seulement aux informations et aux idées qui sont
3 perçues favorablement ou qui sont inoffensives ou qui donnent lieu à une
4 indifférence, mais également aux idées qui choquent, qui offensent ou
5 gênent l'Etat ou tout secteur de la population. Ces principes sont
6 particulièrement importants eu égard à la presse."
7 Je m'arrête là. Les remarques liminaires de mon confrère semblent
8 minimiser toutes considérations à cet égard, lorsqu'on parle de la liberté
9 des journalistes. Il évoque un critère différent. Ceci a été évoqué par la
10 Cour européenne des droits de l'homme. Il y a une marge de respect accordée
11 aux journalistes dans les sociétés démocratiques plurielles qui sont
12 conformes aux principes de la cour européenne des droits de l'homme. Parce
13 que même si on est perçu comme étant un petit peu eurocentrique, Messieurs
14 les Juges, ces principes ont néanmoins été élaborés dans les conventions
15 internationales auxquelles a fait référence le Pr Joinet dans sa
16 déposition.
17 La cour poursuit en disant :
18 "Ces principes sont également applicables dans le domaine de
19 l'administration de la justice qui sert la communauté dans son ensemble et
20 exige une certaine coopération, cette coopération a dit que ceci n'opère
21 pas dans le vide et tout en constituant en forum qui permet de trancher les
22 questions et de statuer, cela ne signifie pas pour autant que l'il ne
23 puisse pas y avoir d'évocation préalable de ces questions-là ailleurs, à
24 savoir des journalistes spécialisés au niveau de la presse dans son
25 ensemble et de l'opinion publique dans son ensemble.
26 "De plus, si les médias ne doivent pas dépasser les bornes que la
27 justice impose à juste titre, il y a un devoir en chef de la presse," c'est
28 ce que dit la CEDH à Strasbourg, "il est du devoir de la presse d'informer,
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1 de donner des idées dont va peut-être être saisi un tribunal, tout comme on
2 le ferait pour un autre sujet d'intérêt public."
3 Les médias ont le devoir de fournir cette information; et l'opinion
4 publique à son tour a le droit de recevoir ces informations. Et on dit
5 qu'il faut faire une interprétation stricto sensu de cette connaissance.
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je pense que nous ne pouvons pas
7 continuer, car les bandes peuvent enregistrer pendant une heure et demie et
8 vous avez encore neuf minutes. Mais je pense qu'il faut faire une pause
9 maintenant.
10 M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie.
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Une pause de 30 minutes, nous
12 reprendrons à 11 heures.
13 --- L'audience est suspendue à 10 heures 32.
14 --- L'audience est reprise à 11 heures 00.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître Khan.
16 M. KHAN : [interprétation] Messieurs les Juges, merci beaucoup.
17 Je n'ai plus de temps à ma disposition et je vais m'attacher à l'examen de
18 seulement trois points et je vous demanderais ensuite de tenir compte des
19 arguments présentés dans notre mémoire en clôture. Premier point, c'est
20 pour apporter peut-être une précision.
21 Soyons clairs, nous ne contestons aucunement, de quelque façon que ce soit,
22 la justesse ni le fondement juridique des deux décisions rendues par la
23 Chambre d'appel, décisions qui ont entraîné les poursuites en l'espèce.
24 Lorsqu'on est un Juge unique, la tâche n'est jamais aisée. Le plus souvent,
25 lorsque vous avez une partie à un procès, quelle qu'elle soit, forcément
26 elle sera frustrée des jugements rendus par un tel juge.
27 Vous aurez à vous prononcer. Vous n'aurez pas du tout à juger de la
28 légalité de la justesse de ces deux décisions d'appel. Ce qu'on vous
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1 demande de faire, c'est de savoir si les éléments constitutifs dans
2 l'outrage ont été prouvés. Pour ce faire, vous devez vous demander,
3 Messieurs les Juges, si l'avocat représentant l'Accusation s'est acquitté
4 du fardeau lourd, certes, qui consiste à apporter la preuve au-delà de tout
5 doute raisonnable.
6 Pour établir les éléments constitutifs de l'infraction d'outrage, j'espère
7 que nous aurons été clairs, lorsque nous avons dit que l'Accusation doit
8 prouver que le comportement de Mme Hartmann a effectivement entraîné un
9 risque réel, un risque qui serait que l'administration de la justice aurait
10 été entravée. En l'absence d'un tel risque, à notre avis, le Tribunal n'a
11 pas à exercer sa compétence. Pourquoi n'a-t-il pas de compétence ? Parce
12 que la compétence en matière d'outrage pour ce Tribunal n'est pas quelque
13 chose d'isolé, ça fait partie des pouvoirs intrinsèques et implicites qui
14 consistent à permettre au Tribunal de bien exercer ses fonctions.
15 Je vous rappelle l'affaire Margetic et la décision de première instance,
16 paragraphe 15, ainsi que la décision Marijacic, paragraphe 50, en première
17 instance.
18 Là, on établit les normes permettant d'établir s'il y a un "risque réel."
19 Or, l'Accusation n'en a même pas parlé ni les Juges de ce Tribunal n'ont
20 abordé cette norme. Quelles en sont les origines; on y trouve ces origines
21 dans des systèmes qui sont chargés depuis des décennies de s'occuper des
22 dispositions qui doivent régir l'outrage. Le risque réel, Messieurs les
23 Juges, qui serait que la justice se verrait entraver, et là je cite :
24 "Depuis la naissance de la CEDH, ce risque réel a toujours été utilisé dans
25 le cadre de procédures particulières et pas en ce qui concerne de façon
26 générale l'administration de la justice."
27 C'est ce que dit Fenwick et Phillipson, qui était le texte qui fait foi
28 dans une instance dans un système, celui du système judiciaire d'Angleterre
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1 et du Pays de Galles. Et M. Joinet s'en faisait d'écho lorsqu'il disait
2 ceci, une fois un procès terminé, il n'y a plus de problème pour ce qui est
3 de l'administration de la justice. Donc quand on parle de méfait, en quoi
4 consisterait ce méfait qui est censé faire l'objet de cet article du
5 Règlement ? Ce que nous faisons valoir, Messieurs les Juges, c'est que le
6 droit romano-germanique, comme la "common law" s'entendent pour dire qu'il
7 faut prouver l'existence d'un risque réel.
8 Nous citons de nombreuses affaires dans notre mémoire en clôture, mais pour
9 éclairer le sujet, pour en donner un exemple, je vous rappelle la
10 conclusion de Lord Bridge à la Chambre des Lords dans un cas qui est entré
11 dans les anales de l'histoire, l'affaire Lonrho, je le cite, ceci se trouve
12 à la page 209 du jugement :
13 "Quant à savoir si l'administration de la justice dans telle ou telle
14 affaire sera entravée ou se verra subir un préjudice parce que quelque
15 chose a été publié, ceci est fonction en premier lieu de la question de
16 savoir si cette publication va influer ou exercer une influence susceptible
17 de ne pas permettre à la justice de s'exercer comme elle l'aurait fait
18 normalement sans cette publication. Cette influence peut avoir un effet sur
19 le comportement des témoins, des parties, ou de la chambre du tribunal."
20 Mais ce risque n'a pas été prouvé du tout ici en l'espèce.
21 Je vous ai déjà parlé du fait que l'Accusation n'avait cité aucun témoin,
22 n'avait présenté aucun élément de preuve alors qu'elle a l'obligation
23 d'apporter la preuve, elle n'a pas cité de représentant de l'Etat
24 requérant, mais en début de semaine, vous avez entendu le Procureur dire
25 que l'Etat requérant, la Serbie, a amélioré sa coopération depuis la
26 publication du livre. Il n'y a donc aucun risque quel qu'il soit qu'aurait
27 prouvé le Procureur amicus curiae.
28 Je reviens à l'affaire Dupuis, je dirais qu'il est surprenant que
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1 l'Accusation l'invoque et vous demande de l'utiliser, d'en tenir compte.
2 Parce qu'en fait, ceci annule les arguments qu'est censé présenter le
3 Procureur dont il espère vous convaincre. Prenons le paragraphe 46 de
4 l'affaire Dupuis, nous le mentionnons à la page 18 de notre recueil de
5 sources. La CEDH a conclu ceci, je cite :
6 "La cour estime aussi qu'il est nécessaire de faire preuve de la plus
7 grande prudence lorsqu'on voit s'il est nécessaire dans une société
8 démocratique de punir des journalistes qui utilisent des informations
9 obtenues, parce qu'aurait été violé le secret d'une enquête ou du rapport
10 privilégié entre client et avocat lorsque ces déclarations, ces
11 informations contribuent à un débat public d'une importance capitale. Et
12 donc les journalistes jouent ainsi leur rôle qui est d'être la sonnette
13 d'alarme de toute société démocratique. L'article 10 protège le droit des
14 journalistes qui est de divulguer des informations pour autant que ce
15 journaliste agisse de bonne foi et s'appuie sur des faits précis, fournisse
16 des informations fiables et précises conformément à l'idéologie de la
17 profession de journaliste."
18 Je n'ai plus que quatre minutes.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez terminé.
20 M. KHAN : [interprétation] Si vous me donnez quatre minutes, j'en
21 terminerai, Monsieur le Président. Merci d'avance.
22 L'Accusation dit qu'elle ne souhaite pas que Mme Hartmann soit incarcérée,
23 mais à ce moment-là, la CEDH dit ceci que s'il n'y a pas d'ordonnance
24 visant à la destruction ou à la saisie du livre publié, même si une peine
25 d'emprisonnement n'a pas été ordonnée, l'amende imposée a un effet et c'est
26 donc empiéter de façon disproportionnée sur la liberté d'expression.
27 Autre fait important, autre affaire. J'en lirai un paragraphe qui réfute la
28 théorie de l'intégrisme judiciaire que l'Accusation essaie de vous imposer.
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1 La cour de Strasbourg rejette l'avis du gouvernement helvétique, je la cite
2 :
3 "De l'avis du gouvernement, cette conclusion n'était pas décisive en raison
4 de la nature officielle ou formelle de la confidentialité. D'après les
5 sources helvétiques, le seul fait qu'on a communiqué un élément
6 d'information dans le cadre d'une enquête judiciaire suffisait à ce que
7 ceci soit constitutif d'infraction, même si c'était d'ailleurs avant de
8 notoriété publique, c'est important, ou quel que soit le degré de
9 confidentialité, ceci constituait infraction."
10 Or ici nous avons la position identique entre le gouvernement helvétique et
11 ce que dit l'Accusation ici. Or la cour de Strasbourg l'a rejetée
12 carrément. La CEDH a dit que :
13 "C'est un argument qui n'est pas convaincant. Aux fins de la convention,
14 l'intérêt qu'il y a à maintenir la confidentialité des faits susmentionnés
15 n'a plus lieu d'être, elle n'existe plus en mars 1982. Par conséquent, la
16 peine imposée à la partie requérante n'était plus nécessaire si on voulait
17 que soient respectées les demandes légitimes."
18 Par conséquent, la conclusion était, s'agissant des circonstances, que
19 l'amende n'était pas nécessaire dans une société démocratique.
20 Messieurs les Juges, cette procédure a duré longtemps, elle a entraîné la
21 récusation d'un collège de juges. Il y a eu dépôt de nombreux mémoires et
22 de nombreuses conclusions. On dira qu'on vous a amené sur une voie de
23 garage. C'est à vous de juger. Mais permettez-moi de vous demander ceci, si
24 vous adoptez un avis particulier simplement parce que quelqu'un a cité dans
25 un livre une décision confidentielle, que ceci va nécessairement entraîner
26 condamnation.
27 Revenons à M. Vincent. Mme Christiane Amanpour a fait référence à un
28 incident, elle n'a pas dit qu'il était confidentiel. Mais assurément ceci
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1 ne peut pas être la cause d'une condamnation, même qu'on dise dans une
2 livre qu'il y a une décision confidentielle, ça ne peut pas suffire.
3 Pour les raisons que nous avons essayé de vous présenter, l'élément
4 matériel et l'élément moral de ces deux chefs n'ont pas été prouvés. Si
5 vous avez estimé que nos arguments étaient solides, Me Mettraux et moi-
6 même, nous avons fait l'impossible pour vous convaincre, Messieurs les
7 Juges, qu'il y avait matière à réflexion et qu'il ne fallait pas décider
8 d'une conviction que M. MacFarlane estime inévitable et certaine. Bien sûr,
9 si nous avons mal travaillé, ce n'est pas Mme Hartmann qui doit en subir
10 les conséquences. Et nous savons, bien entendu, que ce ne sera pas le cas,
11 vous n'allez pas la rendre responsable de cela.
12 Une dernière chose, s'agissant de la lettre de l'article 77 --
13 M. LE JUGE MOLOTO : [hors micro]
14 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, ce sera mon dernier
15 point.
16 En ce qui concerne la lettre du greffe, je dirais simplement que cette
17 lettre ne faisait pas référence à l'article 77, elle ne parlait pas des
18 décisions entreprises ni de l'outrage. M. MacFarlane l'a reconnu lui-même,
19 Mme Hartmann n'a pas vu ces décisions avant que M. MacFarlane ne
20 l'interroge. Et je pense que la façon dont elle a réagi à ce moment-là dans
21 cet entretien n'avait rien à voir avec les deux décisions qui sont à
22 l'origine de la présente procédure.
23 Mme Hartmann doit être acquittée. N'écoutez pas l'Accusation qui essaie de
24 vous convaincre de prendre une décision qui aura un effet délétère sur la
25 liberté d'expression, sur tous ceux qui essaient de respecter et de faire
26 valoir les principes qu'on trouve dans la Résolution du 827 des Nations
27 Unies, l'instrument même qui a donné naissance à ce Tribunal.
28 Je vous remercie, Messieurs les Juges.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
2 Je pense que nous pouvons lever l'audience, et vous entendrez plus tard, la
3 décision rendue par la présente Chambre.
4 --- L'audience est levée à 11 heures 16.
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