UN COLLÈGE DE LA CHAMBRE D’APPEL
Composé comme suit:
M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge
Mohamed Bennouna
M. le Juge Fausto Pocar
Assisté de:
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision du:
25 octobre 2000
LE PROCUREUR
C/
DUSKO TADIC
DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE D’AUTORISATION D’INTERJETER APPEL
Le Bureau du Procureur :
M. Upawansa Yapa
Le Conseil de la Défense :
M. Vladimir Domazet pour Milan Vujin
La Partie interessée :
M. Anthony Abell
LE COLLÈGE de la Chambre d’appel (ci-après « le Collège »), du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumés responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après « le Tribunal »),
VU l’ « Arrêt relatif aux allégations d’outrages formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin » prononcé le 31 janvier 2000 (ci-après « l’Arrêt »),
VU la « Demande d’autorisation d’interjeter appel contre l’arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin IT-94-1-A-R77 », déposée par Milan Vujin (ci-après « l’Appelant ») et enregistrée en version anglaise le 7 février 2000 (ci-après « la Demande d’autorisation d’interjeter appel »),
VU la « Réponse de la partie intéressée (ci-après « la Partie intéressée »), Dusko Tadic, à la demande d’autorisation d’interjeter appel » enregistrée en version anglaise le 17 février 2000,
VU la « Réplique du défendeur à la réponse de la partie intéressée, Dusko Tadic, à la demande d’autorisation d’interjeter appel » enregistrée en version anglaise le 22 février 2000,
VU l’ordonnance du Président portant nomination de juges à un collège de la Chambre d’appel datée du 8 mars 2000,
VU l’article 25 du Statut du Tribunal et les articles 77 et 107 du Règlement de procédure et de preuve (ci-après « le Règlement »),
ATTENDU que la Demande d’autorisation d’interjeter appel a été déposée le 7 février 2000, conformément au délai prescrit par l’article 77 J) du Règlement,
ATTENDU que l’article 77 J) du Règlement dispose que «[t]oute décision rendue par une Chambre de première instance en vertu du présent article est susceptible d’appel si trois juges de la Chambre d’appel l’autorisent au vu de motifs valables […] » (non souligné dans l’original),
ATTENDU que les juges de la Chambre d’appel ont reconnu l’Appelant coupable d’outrage au Tribunal en application de l’article 77 du Règlement et lui ont, en conséquence, enjoint de payer une amende de 15 000 florins et ont invité le Greffier du Tribunal à envisager de le rayer de la liste des Conseils commis d’office tenue en application de l’article 45 du Règlement,
ATTENDU que l’Appelant souhaite faire appel de l’Arrêt parce qu’il considère tout d’abord que les juges n’ont pas justement apprécié les faits de la cause ni n’ont correctement évalué les éléments factuels présentés à l’audience, ceci ayant entraîné un déni de justice,
ATTENDU que l’Appelant soutient également que la sanction qui consiste à le rayer de la liste des Conseils commis d’office n’est pas envisagée par les textes de l’article 77 du Règlement,
ATTENDU que l’Appelant considère enfin que les dispositions de l’article 77 J) du Règlement sont contraires aux « principes de droit pénal mondialement reconnus » en ce qu’elles ne l’autorisent pas à former un recours direct devant la Chambre d’appel sans autorisation préalable,
ATTENDU que l’Appelant estime avoir ainsi invoqué des motifs justifiant qu’il soit fait droit à sa Demande d’autorisation d’interjeter appel,
ATTENDU que la Partie intéressée conteste ce droit d’appel au motif que la condamnation pour outrage rendue par la Chambre d’appel n’est plus susceptible de recours dès lors qu’elle a été rendue par la plus haute instance du Tribunal, que la gravité de l’outrage justifie la radiation demandée, et plus généralement que l’arrêt de la Chambre d’appel est suffisamment justifié en fait et motivé en droit,
ATTENDU que le Collège note d’abord que l’Arrêt a été rendu par les juges de la Chambre d’appel statuant en premier ressort,
ATTENDU que l’article 107 du Règlement dispose que « [l]es dispositions du Règlement en matière de procédure et de preuve devant les Chambres de première instance s’appliquent, mutatis mutandis, à la procédure devant la Chambre d’appel »,
ATTENDU que le Collège souligne par ailleurs que les dispositions de l’article 77 J) du Règlement ne suppriment pas tout droit d’appel mais exigent seulement que « trois juges de la Chambre d’appel autorisent [l’appel] au vu de motifs valables » (non souligné dans l’original),
ATTENDU que les dispositions de l’article 72 B) ii) du Règlement prévoient la possibilité d’un appel interlocutoire dans le cas également « […] où trois juges de la Chambre d’appel accordent l’autorisation d’interjeter appel, après que la partie requérante a présenté des motifs convaincants » (non souligné dans l’original),
ATTENDU que le Collège considère que la notion de motifs convaincants visée à l’article 72 du Règlement est similaire à celle de motifs valables figurant à l’article 77 du Règlement dans la mesure où ces deux textes poursuivent les mêmes objectifs - à savoir faire en sorte que les appels manifestement infondés ne soient pas examinés par la Chambre d’appel réunie au grand complet,
ATTENDU que le Collège rappelle que selon la jurisprudence du Tribunal, pour être autorisée à faire appel sur la base de l’article 72 du Règlement, la partie requérante doit démontrer l’existence notamment d’ « élément[s] laissant supposer que la Chambre de première instance ait tranché à tort »,
ATTENDU que le Collège en conclut que la notion de « motifs valables » visée à l’article 77 du Règlement doit être interprétée à la lumière de cette jurisprudence du Tribunal,
ATTENDU que le Collège considère en outre, au vu des arguments présentés par l’Appelant visant des erreurs de droit et de fait, que celui-ci a suffisamment démontré l’existence de motifs valables au sens de l’article 77 J) du Règlement,
ATTENDU que le Collège en conclut que les arguments invoqués à l’appui de la Demande d’autorisation d’interjeter appel justifient un examen plus approfondi par la Chambre d’appel,
PAR CES MOTIFS,
FAIT DROIT à la Demande d’autorisation d’interjeter appel ;
RAPPELLE que le dépôt des écritures en appel est régi par les dispositions prévues dans la « Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal international (IT/155) » datée du 1er octobre 1999.
Fait en français et en anglais, la version en français faisant foi.
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Claude Jorda
Président du Collège de la
Chambre d’appel
Fait le 25 octobre 2000,
La Haye (Pays-Bas).
[Sceau du Tribunal]