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1 Le vendredi 14 janvier 2000
2 [Arguments oraux]
3 [Audience publique]
4 [Les accusés entrent dans la Cour]
5 --- L’audience débute à 10 h 38
6 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je vais
7 demander au greffier de donner le numéro de l’affaire.
8 LE GREFFIER : IT-94-A et IT-94-A bis, Le
9 Procureur contre Dusko Tadic.
10 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Monsieur
11 Tadic, êtes-vous en mesure de m’entendre et de me
12 comprendre ? Bien !
13 Je vais demander maintenant aux parties de se
14 présenter. Me Clegg.
15 Me CLEGG (interprétation) : Un petit problème
16 technique. Je suis ici avec Me Livingston et nous
17 défendons l’appelant, Monsieur Dusko Tadic.
18 Me YAPA (interprétation) : Je représente ici le
19 bureau du Procureur avec Monsieur Michael Keegan.
20 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : La Chambre
21 d’appel est ici pour statuer sur l’appel de Monsieur Tadic,
22 l’appel d’un jugement qui a été prononcé par la Chambre le
23 15 juillet 1999. Dans ce jugement, la Chambre d’appel a
24 reconnu l’appelant coupable de certains chefs d’accusation
25 dont il avait précédemment été acquitté et la Chambre, avec
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1 l’approbation des deux parties, a déclaré que le prononcé
2 de la condamnation pour ces nouveaux chefs d’accusation
3 ferait l’objet d’une procédure ultérieure.
4 Après un certain nombre de mesures qui ont été
5 prises avec le consentement des deux parties, la Chambre
6 d’appel a renvoyé la question de la condamnation à une
7 Chambre de première instance. Cette Chambre de première
8 instance a prononcé son jugement pour la condamnation le 11
9 novembre.
10 Monsieur Tadic interjette maintenant appel de la
11 condamnation qui a été prononcée contre lui. Me Clegg le
12 représente. Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est
13 donnée pour indiquer quels sont les principaux motifs
14 d’appel sur lesquels Me Clegg doit s’exprimer.
15 Le premier motif d’appel a trait au fait que la
16 Chambre de première instance a accordé un poids trop
17 important au facteur de dissuasion; deuxième facteur : Le
18 besoin qui est allégué, besoin de mettre en place une
19 grille de peines; troisième motif d’appel : La question de
20 savoir si Monsieur Tadic avait coopéré de façon
21 significative avec l’Accusation; et quatrième motif
22 d’appel : Il s’agit de la question de savoir si un crime
23 contre l’humanité était au vu de la loi plus grave qu’un
24 crime de guerre; et le cinquième motif d’appel a trait aux
25 peines qui étaient prononcées dans l’ex-Yougoslavie, à la
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1 façon dont ces peines étaient prononcées.
2 Me Clegg, est-ce que j’ai ainsi correctement
3 résumé les principaux motifs d’appel ?
4 Me CLEGG (interprétation) : Tout à fait.
5 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Peut-être
6 serait-ce une bonne idée de s’en tenir à ces motifs d’appel
7 tels que je viens de les énumérer.
8 Me CLEGG (interprétation) : Tout à fait. Mais
9 je souhaiterais, si vous le permettez, les traiter dans un
10 autre ordre.
11 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Mais tout à
12 fait. Ce qu’il convient de faire maintenant c’est de dire
13 quelques mots au sujet de la procédure aujourd’hui. Si
14 j’ai bien compris, il y a eu des échanges entre les parties
15 et en conséquence, l’appelant, c’est-à-dire vous, Me Clegg,
16 doit parler maintenant 45 minutes. C’est ce qui a été
17 convenu, n’est-ce pas ?
18 Me CLEGG (interprétation) : Pas plus longtemps,
19 en tout cas.
20 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : De combien de
21 temps aurez-vous besoin ?
22 Me CLEGG (interprétation) : Si je dis 45
23 minutes, à ce moment-là, on ne pourra que me féliciter
24 d’avoir pris moins longtemps que 45 minutes.
25 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Eh bien, nous
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1 souhaitons justement que vous fassiez exactement cela.
2 De combien de temps aura besoin l’Accusation ?
3 Me KEEGAN (interprétation) : Moins d’une demi-
4 heure, en tous les cas.
5 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Fort bien !
6 Me Clegg souhaitera répondre ensuite à
7 l’Accusation ?
8 Me CLEGG (interprétation) : Oui, mais je ne
9 pense pas que cela prendra plus de dix minutes.
10 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Bien ! Ceci
11 est très bien puisque moi-même, j’avais prévu que vous
12 répondriez pendant 15 minutes.
13 Donc, Me Clegg, souhaitez-vous maintenant prendre
14 la parole ?
15 Me CLEGG (interprétation) : Oui. Je suis devant
16 un Tribunal où on ne critique jamais la brièveté des
17 interventions. La première chose sur laquelle je
18 souhaiterais insister c’est qu’il s’agit ici d’un appel
19 double, combiné. Nous nous appuyons sur les arguments
20 oraux qui ont été faits en ce qui concerne la situation
21 personnelle de l’appelant. La question était de savoir
22 s’il fallait prendre en compte la période d’emprisonnement
23 de l’appelant en Allemagne et, d’autre part, il y a un
24 certain nombre de facteurs d’atténuation de la peine qui
25 ont déjà été présentés devant cette Chambre. Je n’ai pas
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1 l’intention de les répéter.
2 Je voudrais tout d’abord parler de la nécessité de
3 mettre en place une grille de peines dans le Tribunal Pénal
4 International de La Haye et je regrette, d’ailleurs,
5 d’avoir utilisé le terme de « grille de peines » lorsque
6 j’ai évoqué cette question pour la première fois il y a
7 plusieurs mois.
8 Il aurait été mieux de parler d’une gamme de
9 peines, d’un éventail de peines parce que quand on parle de
10 grille de peines, cela donne une idée assez restrictive de
11 la pratique et cela, en fait, n’était jamais ce que je
12 voulais dire à la Chambre d’appel, le type de grille de
13 peines que l’on retrouve dans les tribunaux fédéraux des
14 États-Unis d’Amérique. Ce n’était jamais mon intention.
15 Moi, ce que je voulais proposer c’était la mise en
16 place d’un éventail de peines telles qu’elles ont été
17 rendues par les différentes Chambres de première instance
18 du Tribunal Pénal International, ceci afin d’avoir une
19 certaine cohérence entre les différentes affaires.
20 J’estime que la cohérence des peines prononcées va
21 dans le sens de la justice et que le contraire fait
22 ressentir aux accusés un sentiment d’injustice et je pense
23 qu’il est tout à fait approprié qu’aujourd’hui même, un
24 jugement était prononcé avec deux des Juges de la Chambre
25 d’appel dans l’affaire Kupreskic.
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1 J’avance personnellement que la Chambre de
2 première instance dans cette affaire, en particulier, a
3 montré tout à fait clairement à quel point il était
4 nécessaire que l’on applique un éventail de peines qui
5 reflètent le niveau de culpabilité de chacun de ces accusés
6 qui ont tous été accusés de ce qui est décrit dans le
7 jugement comme, je cite : « l’une des illustrations les
8 plus atroces de l’inhumanité de l’homme contre l’homme » –
9 fin de citation – une description qui malheureusement, peut
10 s’appliquer à de nombreux exemples de conduites criminelles
11 dans l’ex-Yougoslavie pendant le conflit.
12 Mais en dépit de la gravité des crimes commis dans
13 cette affaire, si l’on examine ce jugement, même si je n’ai
14 pas eu beaucoup de temps pour l’étudier – je n’en dispose
15 que depuis 9 h 30 ce matin – on peut constater que le rôle
16 des personnes qui ont été condamnées par la Chambre de
17 première instance dans cette affaire, on voit que leurs
18 rôles respectifs se reflètent dans les condamnations
19 prononcées par la Chambre.
20 Nous avançons que si l’on comparait le rôle, le
21 niveau hiérarchique et les crimes pour lesquels Dusko Tadic
22 a été condamné d’une part avec les crimes dans cette
23 affaire que je viens d’évoquer, on verrait à ce moment-là
24 qu’il y a une grande discordance entre les deux affaires et
25 cette discordance apparaît de façon très évidente lorsque
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1 l’on prend en compte la position qui était celle de Tadic.
2 Il ne vient à l’idée de personne d’avancer que
3 Dusko Tadic n’a jamais eu aucune position d’influence ou de
4 pouvoir. Ce n’est pas cela que nous souhaitons dire…
5 (l’interprète se reprend). Il ne viendrait à l’idée de
6 personne de suggérer que Dusko Tadic a eu une position de
7 pouvoir ou d’influence. Il ne commandait en aucune façon.
8 Il n’a donné aucun ordre à quiconque. Il était dans la
9 même position que des centaines, que des milliers d’autres
10 hommes dans cette région de l’Europe qui ont été pris dans
11 ce conflit et influencés par des mesures de propagande, ce
12 qui l’a entraîné dans les actes criminels pour lesquels il
13 a été condamné. S’il n’y avait pas eu cette influence, eh
14 bien, ces crimes n’auraient jamais été commis.
15 L’une des ironies des condamnations dans un
16 Tribunal chargé d’examiner les crimes de guerre c’est
17 qu’inévitablement, on condamne des gens qui, s’ils
18 n’avaient pas été pris dans le conflit en question,
19 auraient mené leur vie, auraient vécu sans commettre aucun
20 crime, et ça, c’est également un facteur à prendre en
21 compte lorsque l’on examine, lorsque l’on prend en compte
22 le rôle de la dissuasion et la valeur de la dissuasion.
23 Donc, ce que nous avançons tout d’abord c’est que
24 la position de Tadic, son rôle, ses responsabilités, sa
25 position dans la hiérarchie ne justifient en aucune manière
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1 une peine, la peine qui a été prononcée contre lui et la
2 longueur de cette peine. Si on compare sa peine aux peines
3 qui ont été prononcées aujourd’hui, on constate une
4 discordance très grave entre les deux affaires et pour
5 qu’il y ait un sentiment de justice qui prévale, il faut
6 que le Tribunal soit équitable dans le prononcé des
7 sentences et non seulement en ce qui concerne les
8 différentes personnes impliquées dans différentes affaires
9 mais il faut également prendre en compte le contexte, le
10 conflit.
11 C’est de cette façon qu’il importe d’examiner ce
12 qui a été fait à Nuremberg après la Deuxième Guerre
13 mondiale. C’est le seul critère auquel peut se référer la
14 Chambre d’appel dans le cadre du prononcé des
15 condamnations. Ce qui apparaît quand on examine les peines
16 prononcées à Nuremberg c’est que les personnes qui avaient
17 du pouvoir, les personnes qui étaient influentes, c’est
18 elles qui ont été condamnées aux peines les plus lourdes
19 alors que si on examine les personnes qui se trouvaient aux
20 échelons les plus bas de la hiérarchie, eh bien, elles ont
21 eu des peines beaucoup moins importantes.
22 Je ne vais pas ici passer en revue l’ensemble des
23 affaires qui sont évoquées dans notre mémoire écrit parce
24 que je sais que Madame et Messieurs les Juges ont eu
25 l’occasion d’examiner le document que nous avons présenté
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1 mais je dirais que si, à Nuremberg… à Nuremberg, il
2 s’agissait de crimes contre l’humanité avec participation à
3 l’holocauste, qui est sans doute et peut-être un des crimes
4 les plus horribles qu’ait jamais commis une nation contre
5 une autre race. Si l’on examine, donc, les peines qui ont
6 été prononcées au Tribunal de Nuremberg, on constate que
7 les peines de 25 ans étaient prononcées contre des
8 personnes qui avaient des positions extrêmement élevées au
9 sein de l’armée ou au sein du gouvernement.
10 À Nuremberg, on n’a jugé personne qui ait eu un
11 niveau de pouvoir ou de hiérarchie équivalent à celui de
12 Dusko Tadic. Nous avançons donc qu’il a eu « l’honneur »
13 d’être la première personne poursuivie par une Chambre de
14 première instance ici à La Haye et, de ce fait, la Chambre
15 de première instance ne disposait pas de la possibilité
16 qu’a la Chambre d’appel, qui est celle d’examiner les
17 autres affaires, par exemple, le jugement qui vient d’être
18 prononcé dans l’affaire Kupreskic, et ceci afin d’évaluer
19 le niveau de culpabilité de Dusko Tadic, qui a été la
20 première personne condamnée devant ce Tribunal.
21 Donc, nous avançons que la peine qui a été
22 prononcée contre lui est beaucoup trop élevée. Cette
23 première peine prononcée par le Tribunal est beaucoup trop
24 élevée. Si on réfléchit quelques instants et si on
25 prononce une peine de 25 ans contre des soldats, des
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1 personnes sans aucun pouvoir, si on garde cela à l’esprit,
2 à ce moment-là, je vais poser la question suivante :
3 Quelle peine va-t-on donc prononcer pour quelqu’un qui a un
4 niveau de commandement moyen, supérieur, un niveau de
5 commandement national, voire même stratégique dans le
6 conflit ?
7 Si on s’attache à cette question, eh bien, nous,
8 nous estimons que notre argument est valable, à savoir que
9 l’on n’a pas prononcé une peine véritablement… on n’a pas
10 réfléchi à l’éventail des peines qui doivent être
11 prononcées par ce Tribunal.
12 Avec tout le respect que nous devons à la Chambre
13 d’appel, nous leur demandons d’examiner ce qui s’est passé
14 dans l’affaire Kupreskic, en particulier, les Juges qui
15 n’ont pas siégé dans cette affaire, et de voir, à ce
16 moment-là, quelle peine on aurait pu prononcer contre
17 quelqu’un du niveau hiérarchique de Dusko Tadic.
18 Je voudrais vous rappeler que dans l’affaire
19 Kupreskic, on a comparé les crimes qui ont été commis dans
20 cette affaire au pire de ce qui s’est passé dans les camps
21 de concentration nazis, à Dachau et dans d’autres camps.
22 On les a comparés aux événements tragiques de Soweto et
23 d’autres lieux. Donc, nous avançons qu’on n’a pas appliqué
24 une peine appropriée dans cette affaire du fait que Dusko
25 Tadic a été la première personne à avoir été condamnée par
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1 ce Tribunal.
2 Peut-être qu’il est possible de présenter les
3 choses en une seule phrase. Nous affirmons qu’il faut
4 établir une responsabilité parallèle et comparable,
5 comparée et comparable en ce qui concerne les différentes
6 affaires dont les différentes Chambres de première instance
7 traitent.
8 Parlons maintenant d’un autre sujet. En ce qui
9 concerne la dissuasion, est-ce qu’il s’agit là d’une partie
10 légitime de l’approche adoptée par cette Chambre en ce qui
11 concerne le prononcé de la sentence dans une affaire comme
12 celle-ci ?
13 Nous souhaitons attirer l’attention des Juges sur
14 le fait que s’agissant des personnes qui se trouvent à un
15 tel niveau hiérarchique, il n’est pas possible de
16 considérer raisonnablement que la dissuasion constitue un
17 instrument efficace. Il est possible que les personnes qui
18 se trouvaient aux postes de commandement peuvent être
19 dissuadées en pensant qu’à la fin, elles vont être
20 traduites en justice. Mais moi, je pose la question
21 rhétorique suivante : Est-ce qu’il serait raisonnable de
22 prévoir que de simples soldats seront dissuadés par quoi
23 que ce soit qui s’est produit ici devant ce Tribunal ?
24 La raison pour laquelle… c’est-à-dire j’affirme
25 ceci avec tout le respect que je dois aux Juges et à ce
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1 Tribunal mais je me pose la question à moi-même : Est-ce
2 que qui que ce soit croit réellement que toute une série
3 des procès qui se sont produits suite à la Deuxième Guerre
4 mondiale a servi pour que… c’est-à-dire si après la
5 Première Guerre mondiale, il y a eu toute une série de
6 procès, si les gardes de Dachau et les officiers SS
7 auraient été dissuadés de faire ce qu’ils ont fait pendant
8 la Deuxième Guerre mondiale ou bien est-ce que nous pouvons
9 sérieusement considérer que les massacres au Rwanda ne se
10 seraient pas produits si un autre Tribunal avait fonctionné
11 de manière plus rapide et s’il avait pu traduire en justice
12 les responsables des crimes de guerre commis en ex-
13 Yougoslavie plus tôt ? C’est pour cela que je dis que la
14 dissuasion a un rôle tout à fait limité dans le cadre du
15 prononcé de la sentence nationale.
16 Si l’on examine des études comparatives qui ont
17 été effectuées, il n’est pas possible d’étayer la thèse que
18 la dissuasion a une valeur extrêmement importante dans la
19 juridiction nationale. Si l’on examine le cas des systèmes
20 juridiques européens, nous pouvons voir que les pays qui
21 ont le taux de criminalité le plus élevé sont également les
22 pays où les sentences sont les plus sévères. Il y a
23 d’autres études concernant la peine de mort mais rien ne
24 montre que la peine de mort influence une baisse de
25 criminalité, une baisse de meurtres. Donc, historiquement
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1 parlant, nous n’avons aucun élément indiquant que la
2 dissuasion soit efficace sur un plan local.
3 Sur le plan international, ceci n’est pas le cas
4 non plus. Avant que la dissuasion ne puisse devenir
5 efficace, il est nécessaire de s’assurer que les personnes
6 qui seront de simples soldats dans un conflit potentiel
7 futur soient au courant des décisions de ce Tribunal.
8 Mais comment est-ce qu’il est possible de faire
9 cela en pratique ? Il n’est pas possible que la dissuasion
10 soit efficace sans qu’une connaissance concernant ces
11 procédures soit répandue mais il est possible de voir qu’en
12 ce qui concerne les crimes provoqués par des raisons
13 raciales ou nationalistes, il faut savoir qu’en ce qui
14 concerne ce genre de crimes, la dissuasion sur le plan
15 international a encore moins d’effet que la dissuasion sur
16 le plan national.
17 Il faut savoir qu’en ce qui concerne cette région,
18 lorsque nous parlons de la dissuasion, nous sommes face à
19 un simple conflit d’opinions. Je souhaite attirer votre
20 attention sur l’opinion exprimée par le Juge Robinson et
21 aussi l’opinion exprimée par le Juge Li.
22 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Clegg, est-
23 ce que vous traitez toujours de la question de la
24 dissuasion ou bien est-ce que vous passez, en ce moment, à
25 votre deuxième thèse concernant la comparaison entre les
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1 crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ?
2 Me CLEGG (interprétation) : En effet, en ce
3 moment, je vais commencer à parler de cet autre sujet et je
4 vous remercie de votre aide.
5 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Est-ce que je
6 peux vous poser une question ? Est-ce que je vous ai bien
7 compris si je dis que votre thèse est non pas que la
8 dissuasion ne constitue pas un facteur acceptable mais que,
9 selon vous, la Chambre a donné une importance trop grande à
10 cet élément ?
11 Me CLEGG (interprétation) : Oui. Puis-je
12 poursuivre maintenant et aborder mon deuxième sujet ? Je
13 l’ai déjà annoncé. Donc, je souhaite traiter de la
14 différence, s’il y a une différence, entre les crimes de
15 guerre et les crimes contre l’humanité. J’ai déjà annoncé
16 mon intention de parler de ce sujet et des opinions des
17 Juges à ce sujet.
18 D’après nous, si l’on analyse la politique de
19 prononcé de la sentence, il n’est pas possible d’établir
20 une grande différence entre la culpabilité sur laquelle le
21 Procureur insiste si nous nous penchons sur les
22 juridictions nationales. Je sais que la sentence ne sera
23 pas pareille en fonction de l’état d’âme dans lequel la
24 personne, l’auteur du crime se trouvait au moment des
25 faits. Donc, je pense que presque dans tous les systèmes
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1 juridiques, une personne qui tue après avoir eu l’intention
2 de tuer se verra imposer une sentence plus lourde que celui
3 qui a agi sur le coup du moment.
4 Ici, la distinction que l’on cherche à établir
5 dans le cadre du prononcé de la sentence au sujet, tout
6 d’abord, d’une même infraction, quelle que soit la
7 description de cette infraction et d’une situation où
8 l’état d’âme de l’auteur du crime était identique, donc, la
9 seule distinction est celle que l’on trouve dans la
10 description fournie par les juristes. D’après nous, il
11 s’agit là d’une distinction fausse visant à influencer la
12 procédure de prononcé de la sentence.
13 Penchons-nous maintenant pendant un moment aux
14 propos exprimés par le Président de la Chambre, qui a dit
15 que la peine doit être appropriée à l’auteur du crime. Il
16 s’agit là d’une expression typique pour le système
17 juridique anglais et cette expression porte sur le fait
18 qu’il faut essayer d’établir la différence, c’est-à-dire il
19 faut essayer de prendre en compte la situation spécifique
20 de la personne qui a commis un crime.
21 Nous considérons que la distinction que l’on
22 essaie d’établir entre les crimes de guerre et les crimes
23 contre l’humanité est un débat faux. Nous nous posons la
24 question de savoir comment est-il possible d’établir une
25 telle distinction. Quels sont les critères selon lesquels
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1 on établit de quels crimes il s’agit et lequel des deux
2 crimes est plus grave et entraîne une sentence plus lourde
3 ?
4 D’après nous, il n’y a pas de critère clair et
5 logique nous permettant d’établir avec certitude la
6 différence entre ces deux crimes. Bien sûr, les Juges de
7 ce Tribunal savent que le nouveau Tribunal International
8 Pénal ne fera pas de distinction entre ces deux catégories
9 de crimes. De toute façon, en ce moment, une telle
10 proposition est en train d’être prise en considération,
11 c’est-à-dire la proposition de ne pas faire de distinction
12 entre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
13 La seule chose qui a pu nous aider avant
14 l’établissement de ce Tribunal International concerne le
15 Tribunal de Nuremberg qui a été établi suite à la Deuxième
16 Guerre mondiale. Comme nous l’avons déjà dit dans notre
17 mémoire, il n’est pas possible… si nous nous penchons sur
18 les procédures qui se sont déroulées devant le Tribunal de
19 Nuremberg, nous pouvons conclure qu’aucune distinction n’a
20 été faite dans ce contexte-là.
21 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Clegg, je
22 suppose que votre collègue de l’Accusation affirmerait que
23 le chef 2 de l’acte d’accusation semble concerner la même
24 infraction mais que le Procureur fait sa demande afin de
25 protéger les intérêts de la société. Est-ce que vous êtes
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1 d’accord avec une telle distinction peut-être ?
2 Me CLEGG (interprétation) : Notre réponse est
3 négative. Le prononcé de la sentence visant à protéger une
4 société peut procéder uniquement par le biais de la
5 dissuasion. Ceci est clair puisque le prononcé de la peine
6 survient après les faits. Donc, l’idée de base est que la
7 dissuasion peut être utile afin d’établir la distinction
8 entre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
9 Donc, il faudrait que nous nous mettions dans une
10 situation potentielle future d’un criminel de guerre
11 potentiel futur qui se dirait : « Si je fais ceci, ça ira
12 parce que ce sera un crime de guerre et je vais faire ceci
13 plutôt que cela parce que cet autre délit serait considéré
14 comme un crime contre l’humanité et entraînerait donc une
15 peine plus lourde pour moi. »
16 Or, ceci est absurde et ceci reflète la manière
17 dont l’idée de protéger les intérêts de la société – et
18 c’est une idée noble que tout le monde peut soutenir – ne
19 peut pas être efficace en pratique automatiquement par le
20 biais de l’imposition du prononcé d’une peine plus lourde.
21 Cette distinction qui a été introduite par les juristes, il
22 faut tenir compte de la manière dont de simples personnes
23 pourraient la comprendre. Ceci serait donc ma réponse à
24 votre question.
25 Je souhaite maintenant me pencher très brièvement
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1 sur les deux derniers sujets qui nous restent. Je pense
2 que Me Livingston et moi-même, en ce qui concerne
3 l’importance de notre coopération avec le Bureau du
4 Procureur, je pense que nous avons déjà parlé longuement
5 devant la Chambre de première instance de ce sujet et je
6 pense que nous avons communiqué tous les documents
7 pertinents. Un instant, s’il vous plaît.
8 Permettez-moi de me corriger. Vous savez, nous
9 avons assisté à un nombre si grand de débats devant des
10 Chambres différentes dans cette affaire. Donc, en ce qui
11 concerne la coopération sérieuse et importante, c’est un
12 sujet dont nous avons traité devant la Chambre de première
13 instance. Nous nous basons sur notre mémoire que nous
14 avons déjà communiqué et nous n’avons plus rien à ajouter.
15 Deuxièmement, en ce qui concerne la possibilité de
16 comparer les peines valables dans la pratique judiciaire de
17 l’ex-Yougoslavie, nous avons traité de cela devant la
18 Chambre d’appel également vers la fin de la procédure
19 d’appel qui a été entamée suite au prononcé de la sentence.
20 Encore une fois, nous ne souhaitons pas entrer
21 dans tous les détails déjà exprimés dans notre mémoire mais
22 nous souhaitons ajouter simplement que dans le droit
23 yougoslave, il n’y a pas de distinction entre les crimes de
24 guerre et les crimes contre l’humanité. C’est ce que je
25 souhaitais ajouter par rapport à ce qui a été déjà dit dans
Page 19
1 notre mémoire.
2 Me Livingston me rappelle très à propos qu’en ce
3 qui concerne la question des intérêts de la société,
4 question évoquée par le Président de la Chambre d’appel à
5 la page 9 de l’opinion dissidente du Juge Robinson, les
6 choses sont présentées de façon beaucoup plus claire que je
7 n’aurais pu le faire moi-même et je me permets de vous
8 référer à ce document dans le cadre de la réponse à votre
9 question.
10 À moins que vous n’ayez d’autres questions, j’en
11 ai fini avec mes arguments.
12 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Merci
13 beaucoup, Me Clegg.
14 Je vais maintenant demander à l’Accusation,
15 Monsieur Keegan.
16 Me KEEGAN (interprétation) : Merci, Monsieur le
17 Président, Madame et Monsieur les Juges. Je garde à
18 l’esprit ce que vous avez dit au sujet des audiences qui
19 ont déjà eu lieu et des documents qui ont été déposés. Je
20 vais essayer de me limiter aujourd’hui aux questions qui
21 ont été évoquées par le conseil de la Défense.
22 Je vais commencer tout d’abord par la mise en
23 place d’une fourchette ou d’un éventail de peines, terme
24 qui a été employé par mon éminent confrère. Nous en
25 restons aux arguments avancés dans notre déposition au
Page 20
1 sujet de l’impossibilité de le faire. Bien entendu, sur le
2 plan académique, il est intéressant de se poser la question
3 de la faisabilité de cette idée mais justement, la question
4 est de savoir si cela est faisable, s’il est possible pour
5 un Tribunal ou n’importe quel Tribunal.
6 Est-il possible, premièrement, d’affirmer quelles
7 seront les différentes peines envisageables avant même
8 d’avoir examiné les crimes ? Nous estimons que ce Tribunal
9 est actuellement en train de faire ce que le conseil lui
10 demande de faire et il le fait de façon tout à fait
11 appropriée, au cas par cas. Mais cela prendra du temps et
12 il n’est pas possible d’utiliser des systèmes qui ont déjà
13 été mis sur pied dans des juridictions, des systèmes
14 juridiques nationaux qui reposent sur des centaines
15 d’années d’expérience afin de déterminer l’éventail
16 approprié des peines à appliquer ici. L’éventail des
17 peines à appliquer, on les retrouve dans le Statut, si on
18 veut, et ça va de l’acquittement à l’emprisonnement à vie
19 et entre ces deux extrêmes, les peines sont déterminées au
20 cas par cas.
21 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Monsieur
22 Keegan, Me Clegg a expliqué que nous avions ici affaire à
23 la première condamnation prononcée par ce Tribunal et qu’au
24 moment où cette peine a été prononcée, il n’existait pas
25 d’éventail de peines.
Page 21
1 Mais est-ce que vous admettez que votre éminent
2 collègue puisse affirmer qu’aujourd’hui, dans ses arguments
3 à l’appui de la Défense de son client… êtes-vous d’accord
4 avec lui lorsqu’il affirme qu’il existe maintenant des
5 peines auxquelles on peut comparer celle qu’a reçue son
6 client ?
7 Me KEEGAN (interprétation) : Oui, s’il l’avait
8 fait. Mais en fait, ce n’est pas ce qu’il a fait. Son
9 motif d’appel est le suivant : C’est que la Chambre
10 d’appel doit promulguer un éventail de peines sur la base,
11 apparemment, d’un certain nombre de critères objectifs.
12 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je ne vais pas
13 ici, bien entendu, être en mesure de répéter verbatim ce
14 qu’il a dit mais est-ce que finalement, il n’a pas modifié
15 la teneur de cet argument d’une certaine façon ?
16 Me KEEGAN (interprétation) : Oui, en effet.
17 Nous estimons qu’il l’a fait après avoir examiné notre
18 réponse à son mémoire et du fait également de questions
19 posées par Madame et Messieurs les Juges lors d’audiences
20 précédentes. Mais la question reste de savoir si
21 l’appelant a apporté les preuves nécessaires et c’est
22 d’ailleurs le point central de nos arguments. Il faut
23 examiner quel était le motif d’appel original, initial.
24 Le motif d’appel initial n’était pas que nous
25 souhaitions nous objecter à cette peine par rapport aux
Page 22
1 autres affaires qui ont été traitées par ce Tribunal ou par
2 le Tribunal du Rwanda. Le motif d’appel c’était que cette
3 peine était injuste parce qu’il n’existait pas de grille de
4 peines pré-existantes – maintenant, on parle d’éventail de
5 peines – auxquelles les Juges auraient pu se référer et qui
6 auraient été appliquées si l’accusé avait été condamné à ce
7 moment-là. Voilà l’essence même de cet argument.
8 S’il fallait aujourd’hui suivre cet argument, on
9 ne pourrait l’accepter parce qu’ils n’ont pas apporté les
10 preuves nécessaires et il n’y a pas véritablement eu de
11 comparaison entre les faits, les circonstances de cette
12 affaire et l’affaire, par exemple, de Kupreskic ou Jelisic
13 qui, lui, a été condamné à 40 ans de prison pour une série
14 de meurtres.
15 On n’a fait aucune comparaison avec d’autres
16 affaires, mise à part une vague référence à une peine qui a
17 été prononcée dans une autre affaire. D’ailleurs, si on
18 examine cette affaire, on peut constater que dans cette
19 affaire, l’accusé Drago Josipovic, qui maintenant a été
20 condamné, a été condamné pour un chef d’accusation de
21 meurtre. Il a été condamné à 15 ans de prison aux termes
22 de l’Article 5 du Statut. Donc, cette peine va tout à fait
23 dans le sens et est tout à fait cohérente avec la peine qui
24 a été prononcée dans l’affaire qui nous intéresse. Nous
25 notons également que la peine pour un chef d’accusation de
Page 23
1 persécution s’est élevée à 25 ans dans cette même affaire
2 et ça va tout à fait dans le sens de la peine qui a été
3 prononcée dans l’affaire qui est la nôtre, et je parle ici
4 de l’accusé Vladimir Santic.
5 D’autre part, dans cette argumentation, l’appelant
6 argue du fait qu’il n’avait pas une position d’influence
7 lors des événements qui se sont déroulés à Prijedor. Or,
8 ce n’est pas le cas. Si l’on examine les faits tels qu’ils
9 ont été établis par la Chambre de première instance et si
10 on reprend les mots mêmes de l’accusé dans son rapport, le
11 rapport sur son travail qui fait partie du dossier d’appel,
12 un rapport où il affirme lui-même qu’il était une personne
13 d’importance et un participant volontaire à la création
14 d’une grande Serbie, le fait est qu’il avait la possibilité
15 d’entrer dans ces camps et de commettre des meurtres et
16 qu’il avait une influence sur les militaires qui s’y
17 trouvaient. La Chambre de première instance a estimé que
18 pour ce qui est des meurtres des Askici, l’accusé
19 contrôlait un groupe de soldats. Donc, on ne peut pas dire
20 qu’il n’avait pas une position de puissance.
21 Donc, le problème n’est pas quels sont ces
22 critères mais sur quelle base on estime que quelqu’un a une
23 position de pouvoir ou non. Est-ce qu’il suffit de faire
24 référence au grade ? Nous estimons qu’il est impossible du
25 fait de ce type de crimes et du fait de la nature du
Page 24
1 conflit.
2 L’appelant affirme, quant à lui, qu’il n’est qu’un
3 des milliers de personnes qui se sont trouvées prises,
4 impliquées contre leur gré dans le conflit qui a eu lieu
5 dans l’ex-Yougoslavie mais nous estimons que c’est tout à
6 fait faux. Il n’y a pas eu des centaines, des milliers de
7 personnes qui se sont rendues responsables de crimes
8 intentionnels, de crimes contre l’humanité et de crimes de
9 guerre tels que ceux qu’a commis l’accusé.
10 Nous estimons que c’est un argument fallacieux.
11 Il n’y a pas eu des centaines et des milliers de personnes
12 qui ont bénéficié, qui ont profité de la situation, comme
13 l’a fait l’accusé, pour commettre des crimes, des crimes
14 pour son propre bénéfice ou pour d’autres motifs plus vils
15 qui ont été les siens.
16 L’appelant, également, évoque la comparaison à
17 faire entre sa peine et les peines prononcées à Nuremberg.
18 Nous estimons que cela n’est pas une comparaison qui puisse
19 véritablement se faire, qui soit valable. Les procès de
20 Nuremberg, ceux auxquels fait référence l’accusé, ce sont
21 des procès très particuliers et qui ont eu lieu dans des
22 circonstances extrêmement particulières. Il s’agissait
23 d’un Tribunal qui a été mis en place par les forces alliées
24 après la Deuxième Guerre mondiale pour juger les crimes
25 commis par les puissances de l’axe et la question de la
Page 25
1 façon dont ces peines ont été prononcées, eh bien, il faut
2 l’examiner sous l’angle suivant. Les peines ont été
3 prononcées du fait des circonstances qui étaient celles de
4 l’époque après une guerre mondiale qui avait duré pendant
5 de très nombreuses années.
6 L’accusé, bien entendu, l’appelant plutôt, ne fait
7 pas référence à d’autres procès qui ont eu lieu après la
8 Deuxième Guerre mondiale dans d’autres tribunaux et où des
9 responsables de crimes de guerre ont reçu, dans certains
10 cas, pour des crimes similaires, des peines beaucoup plus
11 élevées que celle à laquelle a été condamné l’appelant.
12 La dernière question qui a été évoquée était celle
13 de savoir si l’on avait pris en compte suffisamment un
14 éventail de peines. Nous affirmons que l’appelant n’a
15 fourni aucun fait crédible. Il n’y a aucune indication
16 dans le jugement rendu par la Chambre de première instance
17 comme quoi celle-ci n’aurait pas pris en compte l’éventail
18 de peines possibles. Donc, nous estimons que ce motif
19 d’appel doit être rejeté.
20 En ce qui concerne la question de la dissuasion en
21 général, l’appelant se contredit puisqu’au début de son
22 argumentation, il affirme que la dissuasion peut être
23 envisagée pour les personnes qui ont une position
24 d’autorité mais se demande si cela est utile pour les
25 simples soldats. Mais il faut savoir que si dans l’avenir,
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1 effectivement, la dissuasion fonctionne pour les personnes
2 d’autorité, à ce moment-là, il n’y aura pas de soldats, de
3 simples soldats pour exécuter les ordres de ces personnes
4 qui ont une position très élevée dans la hiérarchie et si
5 on devait suivre la logique de l’argumentation de
6 l’appelant, à ce moment-là, il n’y aurait aucune raison
7 pour que ce Tribunal existe puisque, d’après lui, la
8 dissuasion n’a aucun effet et, à ce moment-là, donc, si la
9 dissuasion n’existe pas, pourquoi sommes-nous ici ? Parce
10 que la dissuasion c’est bien un des fondements de ce
11 Tribunal. Ce Tribunal a été constitué non seulement pour
12 punir ceux qui ont commis des crimes mais également…
13 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Monsieur
14 Keegan, Me Clegg nous a précisé que, pour lui, la
15 dissuasion n’était pas un facteur inadmissible, n’était pas
16 un facteur inexistant. Donc, je vous demande d’en prendre
17 compte dans le cadre de vos argumentations. Vous dites que
18 la dissuasion, d’après lui, ne doit pas être prise en
19 compte. Ce n’est pas ce qu’il nous a dit.
20 Me KEEGAN (interprétation) : Oui, effectivement,
21 si c’est effectivement sa position, mais je dois dire que
22 ce n’est pas ce qui apparaît dans la première partie de son
23 argumentation. Mais en effet, lorsqu’il a répondu à vos
24 observations, il a dit cela. Donc, si l’appelant affirme
25 cela, s’il affirme que la dissuasion est quelque chose
Page 27
1 d’importance, nous estimons que l’appelant n’a montré en
2 aucune façon que la Chambre de première instance avait
3 accordé un poids indu au facteur de dissuasion.
4 Comme nous l’avons affirmé dans notre mémoire
5 initial, ils n’ont pas repris le jugement portant
6 condamnation qui indiquait qu’en fait, la dissuasion
7 n’était qu’un des facteurs qui étaient pris en compte.
8 S’il y a un facteur essentiel qui a été pris en compte,
9 c’était plutôt les circonstances individuelles dans
10 lesquelles l’appelant a commis les crimes qui lui sont
11 reprochés.
12 Maintenant, en ce qui concerne la comparaison
13 entre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre,
14 quant à savoir s’il convient d’appliquer une distinction
15 dans les peines prononcées, eh bien, ce ne sont pas les
16 juristes qui déterminent la gravité des crimes mais c’est
17 la société qui, elle, sur la base des intérêts qu’elle
18 souhaite protéger, fait la distinction entre les crimes.
19 Me Clegg affirme qu’en fait, les différences dans
20 le cadre des peines prononcées ne sont pas basées sur les
21 crimes eux-mêmes mais sur la façon… sur les crimes dans la
22 manière dont ils sont perçus par la société mais sur l’état
23 mental de l’auteur de ces crimes. Mais en fait, ce n’est
24 pas le cas. Dans beaucoup de systèmes juridiques
25 nationaux, on voit la chose suivante. Les homicides
Page 28
1 intentionnels sont passibles de peines différentes du fait,
2 par exemple, de la victime.
3 Dans beaucoup de systèmes juridiques, le meurtre
4 d’un représentant de l’État, le meurtre d’un policier est
5 considéré comme un crime plus grave que l’homicide
6 intentionnel, l’assassinat d’un citoyen ordinaire. Donc,
7 on prend en compte la position de la victime.
8 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Donc, dans ces
9 cas-là, la loi invite à faire une différence entre les
10 crimes. Est-ce que c’est le cas ici ?
11 Me KEEGAN (interprétation) : Dans beaucoup de
12 systèmes juridiques, la loi stipule précisément que la
13 situation de la victime est un facteur aggravant. Cela ne
14 signifie pas toujours que cela requiert une peine plus
15 lourde mais c’est la question qui est la nôtre.
16 La question ici, nous affirmons, nous avançons que
17 l’insistance portée par la partie adverse sur la peine
18 prononcée est incomplète en l’espèce. Nous estimons qu’à
19 toutes fins utiles, il s’agit d’un crime plus grave. C’est
20 la position qui a été suivie sur la décision sur Demovic
21 (ph.). Toutes choses étant égales, un crime contre
22 l’humanité est plus grave qu’un crime de guerre ordinaire.
23 Nous estimons qu’il s’agit là de l’expression de
24 la conviction de la communauté internationale, à ce stade.
25 La question de savoir comment les crimes contre l’humanité
Page 29
1 ont été considérés à Nuremberg, nous estimons que c’est le
2 résultat d’une analyse incomplète puisque cela revient à
3 ignorer tout ce qui s’est passé depuis 45 ans ou 50 ans et
4 peut-être que les crimes contre l’humanité c’est en quelque
5 sorte quelque chose qui a été inventé après la Seconde
6 Guerre mondiale.
7 Si on analyse le conflit qui nous intéresse en
8 prenant compte ces tribunaux, les actes qui ont été jugés
9 permettaient une interprétation différente du terme
10 d’humanité. Cela se référait à la nature des actes, qui
11 était une violation d’un comportement humain, et ce n’était
12 pas une référence au crime lui-même, à savoir un crime
13 contre l’intérêt de la société.
14 Nous estimons que ceci a évolué maintenant et
15 qu’aujourd’hui, la communauté internationale estime que les
16 crimes contre l’humanité foulent au pied l’ensemble de la
17 société et pas une personne en particulier, une population
18 civile donnée. Pourquoi ? Parce que ces crimes ont une
19 influence sur nous tous et la participation de la
20 communauté internationale en Yougoslavie, au Rwanda, et
21 cætera, en est l’illustration flagrante.
22 Donc, avec tout le respect qui est dû au Juge
23 Robinson, nous estimons que sa citation de l’analyse du Dr
24 Ruel (ph.) en 1946 n’est peut-être pas l’analyse qu’il
25 convient d’adopter aujourd’hui puisque la façon dont la
Page 30
1 communauté internationale envisage les crimes contre
2 l’humanité a évolué depuis et, de ce fait, il est justifié
3 de dire que, toutes choses étant égales, un crime contre
4 l’humanité est plus grave qu’un crime de guerre ordinaire.
5 Ceci étant dit, rien dans sa déclaration, rien de
6 ce principe ne justifie une punition différente au vu de la
7 loi. Ce que l’on voit ici c’est qu’il est possible pour un
8 Tribunal de dire que, dans une affaire particulière, si une
9 personne a été condamnée pour deux crimes de ce type, il
10 est possible qu’à ce moment-là, une peine plus importante
11 soit imposée pour les crimes contre l’humanité plutôt que
12 les crimes de guerre.
13 Cela ne signifie pas que ce soit une situation qui
14 s’applique dans tous les cas et ça ne fait pas l’objet
15 d’une obligation aux termes de la loi. Je crois que l’un
16 des exemples utilisés par le Juge Robinson c’est de savoir
17 si un meurtre est autant un crime de guerre qu’un crime
18 contre l’humanité et quelle peine il faut adopter.
19 Eh bien, nous, nous estimons qu’un crime de guerre
20 dans un cas précis peut être plus grave qu’un crime contre
21 l’humanité. Un crime de guerre, par exemple, peut être
22 constitué par le meurtre de personnes protégées, de soldats
23 prisonniers et peut être, dans certains cas, plus grave
24 qu’un crime contre l’humanité puisqu’à ce moment-là… dans
25 les circonstances qui prévalaient à ce moment-là.
Page 31
1 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Est-ce qu’il
2 serait utile de faire ce genre de comparaison ? Est-ce que
3 nous ne devrions pas nous focaliser sur le fait qu’il
4 s’agit là d’un même acte criminel qui a été commis ? Comme
5 l’a dit Me Clegg, si vous prenez en considération deux
6 chefs d’accusation différents, il s’agit de deux
7 caractérisations différentes et d’un même délit.
8 Me KEEGAN (interprétation) : Oui, Monsieur le
9 Président. Mais tout d’abord, il faut se poser la question
10 de savoir s’il convient d’établir une telle distinction et,
11 si oui, il faut simplement décider quelle est la peine
12 appropriée.
13 Ceci nous pousse à nous poser une autre question,
14 notamment celle de savoir si cette Chambre est compétente
15 pour se prononcer sur certains crimes qui ont été commis et
16 qui représentent à la fois les violations de l’Article 5 et
17 de l’Article 2 ou de l’Article 3 du Statut du Tribunal.
18 Donc, la Chambre essaie d’établir une telle
19 différence et essaie de considérer que le crime contre
20 l’humanité constitue un crime plus grave. Nous considérons
21 que, compte tenu de tous ces principes, ce Tribunal est
22 compétent pour se prononcer à ce sujet et que le Procureur…
23 (l’interprète se corrige) la Défense n’a pas fourni
24 suffisamment d’éléments pour que l’on doive conclure qu’il
25 est impossible d’établir une telle distinction.
Page 32
1 Je ne sais pas si vous souhaitez que j’ajoute quoi
2 que ce soit. Sinon, j’ai terminé avec mon argument.
3 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Attendez un
4 moment. Si j’ai bien compris, vous avez dit que, quelle
5 que soit la position qui prévalait en 1945, le droit
6 international a évolué depuis et donc, aujourd’hui, le
7 crime contre l’humanité est considéré comme un crime contre
8 les intérêts sociaux. Donc, ici, il s’agit de quelque
9 chose qui est différent des intérêts sociaux qui sont
10 menacés par les crimes de guerre. C’est pour cela que vous
11 considérez qu’il s’agit là d’un crime qui entraîne une
12 peine plus lourde ?
13 Me KEEGAN (interprétation) : Je souhaite
14 simplement dire qu’il y a une distinction dans le prononcé
15 de la sentence et que ce sont les Juges de ce Tribunal qui
16 disposent du droit discrétionnel de décider à ce sujet.
17 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Clegg,
18 veuillez fournir votre réponse à cela. Nous pouvons dire
19 que vous disposez de 15 minutes mais si vous pouvez être
20 plus bref encore, ce sera encore mieux.
21 Me CLEGG (interprétation) : Oui, je vais essayer
22 de respecter ma parole. Mais je souhaite attirer
23 l’attention des Juges que nous n’avons jamais demandé une
24 grille des peines conforme à la grille qui a été établie
25 par la Cour, le Tribunal fédéral des États-Unis. Tout
Page 33
1 simplement, nous avons attiré votre attention sur le besoin
2 d’établir une gamme des peines. Nous n’avons jamais parlé
3 du besoin de promulguer officiellement une liste des peines
4 qui doivent s’appliquer automatiquement sur toutes les
5 personnes accusées devant ce Tribunal. Nous n’avons pas
6 parlé d’une grille rigide, rigoureuse parce que ceci
7 pourrait aboutir à des injustices.
8 Non, au contraire, nous considérons qu’il serait
9 nécessaire d’établir un parallèle entre les peines
10 différentes prononcées dans des affaires différentes et
11 c’est pour cela que nous considérons qu’aujourd’hui, la
12 Chambre d’appel dispose d’un avantage que la Chambre de
13 première instance n’avait pas parce que ce parallèle ne
14 pouvait pas être établi, étant donné qu’il n’y a pas eu
15 d’autres peines, à ce moment-là, en 1995.
16 Donc, vous êtes dans une situation où vous
17 disposez d’un certain avantage vis-à-vis de la Chambre de
18 première instance. J’ai donné l’exemple d’une autre
19 affaire aujourd’hui. Nous pouvons nous pencher sur cette
20 peine et nous poser la question de savoir si la sentence
21 prononcée dans l’affaire présente n’a pas été trop lourde.
22 Nous pensons qu’il s’agit là d’une procédure
23 appropriée qui rassurera l’accusé qui ne considérera pas,
24 dans ce cas-là, que ses intérêts et que ses droits ont été
25 lésés. Nous ne considérons pas qu’il s’agirait là d’un
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1 processus qui se trouverait à être absurde.
2 Je ne vois pas sur quoi le Procureur se base en
3 disant qu’en ex-Yougoslavie, il n’y a pas des centaines de
4 milliers de personnes qui auraient commis des crimes de
5 guerre. J’appelle le Procureur à se pencher sur le
6 contexte historique de ce qui s’est produit dans la région.
7 Si nous nous penchons sur le nombre de camps
8 d’emprisonnement, sur le nombre de personnes qui ont été
9 détenues et forcées à travailler, si nous nous penchons sur
10 le fait que des crimes de génocide ont été commis, il est
11 certains que des centaines de personnes ont certainement
12 été impliquées d’une manière ou d’une autre dans ces
13 crimes.
14 Il n’est peut-être pas possible, en ce moment, de
15 proposer des chiffres mais si nous reparlons de la Deuxième
16 Guerre mondiale, il faut savoir que des dizaines de
17 milliers de simples citoyens ont participé à la mise en
18 œuvre de la politique nazi qui s’appelait « La Solution
19 Finale » et qui désignait, qui signifiait que, conformément
20 aux idées de Hitler, tous les Juifs d’Europe devaient être
21 tués. Malheureusement, à des moments historiques pareils,
22 des citoyens ordinaires se trouvent face à des
23 circonstances exceptionnelles et impliqués dans des
24 activités dans lesquelles ils n’auraient pas participé dans
25 une vie normale.
Page 35
1 Donc, nous nous basons sur l’expérience de la
2 Deuxième Guerre mondiale. Le Procureur dit que le droit
3 international a évolué depuis. Mais maintenant, je
4 souhaite parler encore une fois de la distinction entre les
5 crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Mais
6 même si l’on ne se base pas sur une quelconque décision ou
7 livre publié entre 1945 et le moment de la guerre en ex-
8 Yougoslavie, il est nécessaire de se baser sur ce genre de
9 documents pour prouver une telle évolution du droit
10 international.
11 Mais il n’y a rien qui puisse nous pousser à
12 conclure que les intérêts sociaux en 1945 étaient moins
13 importants, les intérêts sociaux des Juifs en Europe en
14 1945 par rapport aux intérêts sociaux des musulmans en ex-
15 Yougoslavie dans les années 1990. Nous ne pensons pas que
16 les intérêts sociaux des Juifs vers la fin de la Deuxième
17 Guerre mondiale ont été mis à mal à cause du fait qu’une
18 telle distinction n’existait pas.
19 C’est tout ce que je souhaitais dire concernant
20 les procès de Nuremberg et ce qui s’est produit au cours de
21 ces procédures. Si vous souhaitez que j’ajoute quelque
22 chose, que j’apporte quelques clarifications, je suis
23 disposé à le faire. Sinon, je termine mon intervention.
24 [La Chambre discute]
25 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Nous vous
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1 remercions, à la fois le Procureur et le conseil de la
2 Défense. Nous avons entendu des interventions relativement
3 brèves et, conformément à cela, nous allons essayer
4 d’arriver à une décision relativement rapidement.
5 Nous pensons que nous pourrons vous informer de
6 notre décision relativement rapidement mais il ne m’est pas
7 possible de vous proposer les dates en ce moment. Il sera
8 nécessaire que nous nous consultions et vous serez informés
9 le moment voulu.
10 Pour le moment, les membres de la Chambre d’appel
11 se retirent afin de délibérer, à moins que l’une ou l’autre
12 des parties souhaite soulever une autre question. Sinon,
13 l’audience est levée.
14 --- L’audience est levée à 11 h 55 sine die
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