Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 6

  1   Le mardi 19 janvier 2010

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [L'appelant est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 34.

  6   Mme LE JUGE VAZ : [interprétation] Mesdames, Messieurs, bonjour.

  7   Madame le Greffier d'audience, veuillez, je vous prie, appeler

  8   l'affaire qui est inscrite au rôle pour la présente audience.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.

 10   Affaire IT-04-83-A, le Procureur contre Rasim Delic.

 11   Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Madame.

 12   J'aimerais savoir si M. Delic peut entendre et suivre le déroulement des

 13   procédures dans une langue qu'il comprend. Je vous remercie, Monsieur

 14   Delic.

 15   Je demande maintenant aux parties de bien vouloir s'identifier, en

 16   commençant par la Défense de M. Delic, s'il vous plaît.

 17   Mme VIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente. Bonjour à

 18   toutes les personnes présentes dans le prétoire. Vasvija Vidovic et John

 19   Jones pour la Défense du général Delic, avec Lejla Gluhic et Sabina Dzubur,

 20   nos commis à l'affaire.

 21   MME LE JUGE VAZ : Je me tourne à présent vers le banc du Procureur.

 22   M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. M.

 23   Kremer au nom de l'Accusation, avec l'aide de Todd Schneider, Elena Martin-

 24   Salgado, Kyle Wood, et notre commis ce matin, c'est Mme Lourdes Galicia.

 25   MME LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Monsieur Kremer.

 26   A titre préliminaire, je note qu'une Conférence de mise en état a été

 27   convoquée le 6 février 2009, conformément à l'article 65 bis du Règlement

 28   de procédure et de preuve. En accord avec les parties et considérant que M.

Page 7

  1   Delic était mis en liberté provisoire durant la période de la résolution de

  2   son appel, il a été décidé de ne pas convoquer les Conférences de mise en

  3   état ultérieures.

  4   La Chambre d'appel siège ce jour pour entendre les arguments des parties

  5   relatifs aux appels interjetés par M. Delic et par le bureau du Procureur

  6   contre le jugement de première instance. Avant de donner la parole aux

  7   parties, je vais brièvement résumer les motifs d'appel devant cette Chambre

  8   ainsi que la façon dont nous allons procéder lors de cette journée

  9   d'audience.

 10   Dans son jugement rendu le 15 septembre 2008, la Chambre de première

 11   instance I, composée des Juges Moloto, Président de Chambre, Harhoff et

 12   Lattanzi, a condamné à la majorité Rasim Delic à une peine unique de trois

 13   ans d'emprisonnement sur le chef d'accusation retenu contre lui, plus

 14   spécifiquement le chef 2 relatif au traitement cruel, comme violation des

 15   lois ou coutumes de la guerre aux termes des articles 3 et 7(3) du Statut

 16   en relation avec les événements survenus à Livade, dans le camp de Kamenica

 17   entre juillet et septembre 1995.

 18   Rasim Delic a interjeté appel contre le jugement de première instance,

 19   tandis que le Procureur a relevé appel de la peine prononcée contre M.

 20   Delic.

 21   Dans le cadre de son premier motif d'appel, Rasim Delic fait valoir que la

 22   Chambre de première instance a commis une erreur de droit ou de fait en

 23   concluant qu'il exerçait un contrôle effectif sur le Détachement El

 24   Moudjahid entre juillet et décembre 1995.

 25   Premièrement, il affirme que la Chambre de première instance a commis une

 26   erreur en concluant à l'existence d'indicateurs d'un contrôle effectif et a

 27   eu tort de ne pas tenir compte des éléments montrant l'absence d'un tel

 28   contrôle. Deuxièmement, M. Delic allègue que la Chambre de première

Page 8

  1   instance n'a pas tiré les déductions qui s'imposaient de ses conclusions et

  2   des éléments de preuve concernant la structure, le fonctionnement et le

  3   rôle de l'armée et de la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine,

  4   le poste de commandement installé à Kakanj et la chaîne de commandement

  5   dans l'ABiH. Troisièmement, M. Delic soutient que la Chambre de première

  6   instance a commis une erreur en concluant que la structure de l'ABiH

  7   s'était considérablement renforcée entre 1993 et 1995, ce qui lui a permis

  8   d'exercer un contrôle effectif sur le Détachement El Moudjahid.

  9   Quatrièmement, M. Delic avance que la Chambre de première instance a commis

 10   une erreur de droit concernant la charge de la preuve et le niveau de

 11   preuve requis. Cinquièmement, M. Delic fait valoir que la Chambre de

 12   première instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle lui a dénié le

 13   droit à un procès équitable en le déclarant coupable sur la base d'un lien

 14   de subordination entre lui et le Détachement El Moudjahid, lien dont il

 15   n'était pas question dans l'acte d'accusation.

 16   Au titre de son deuxième motif d'appel, Rasim Delic prétend que la Chambre

 17   de première instance a commis une erreur en concluant qu'il avait des

 18   raisons de savoir que des membres du Détachement El Moudjahid s'apprêtaient

 19   à infliger ou avaient infligé des traitements cruels à l'encontre des

 20   soldats de l'armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine qu'ils

 21   avaient mis en détention.

 22   Premièrement, M. Delic fait valoir qu'en raison de l'effet cumulé d'un

 23   certain nombre d'erreurs, la Chambre de première instance a commis une

 24   erreur de fait ayant entraîné un déni de justice.

 25   Deuxièmement, M. Delic avance que la Chambre de première instance a commis

 26   une erreur en constatant qu'il avait reçu des informations concernant les

 27   antécédents criminels des membres du Détachement El Moudjahid et que ces

 28   informations étaient telles qu'elles permettaient de dire que le bulletin

Page 9

  1   137 était suffisamment alarmant pour justifier qu'il intervienne sur le

  2   champ pour déterminer si les membres du Détachement El Moudjahid --

  3   Kamenica -- les membres du Détachement El Moudjahid s'apprêtaient à

  4   commettre des crimes à Livade et dans le camp de Kamenica en juillet et

  5   août 1995 ou l'avaient déjà fait.

  6   Troisièmement, M. Delic affirme que la Chambre de première instance a

  7   commis une erreur de droit en concluant qu'il avait des raisons de savoir

  8   que des crimes avaient été commis ou étaient sur le point de l'être,

  9   simplement parce qu'il avait à sa disposition des informations suffisamment

 10   alarmantes.

 11   Quatrièmement, M. Delic allègue que la Chambre de première instance a

 12   commis une double erreur de droit et de fait en estimant qu'en ne menant

 13   pas une enquête pour déterminer si les membres du Détachement El Moudjahid

 14   s'apprêtaient à commettre des crimes à Livade et dans le camp de Kamenica

 15   en juillet et août 1995 ou l'avez déjà fait, signifiait qu'il avait accepté

 16   le risque que des crimes soient commis ou aient été commis par les membres

 17   de ce détachement en juillet et août 1995.

 18   Cinquièmement, M. Delic soutient que la Chambre de première instance a

 19   commis une erreur de droit en concluant que le fait qu'il savait que le

 20   Détachement El Moudjahid avait commis des crimes moins graves que des

 21   traitements cruels constitutifs de violation des lois ou coutumes de la

 22   guerre suffisait pour l'avertir que ce détachement commettrait des crimes

 23   plus graves, à savoir des traitements cruels.

 24   Enfin, dans son troisième et dernier motif d'appel, Rasim Delic prétend que

 25   la Chambre de première instance a commis une erreur en concluant qu'il

 26   n'avait pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir et

 27   punir les traitements cruels infligés par des membres du Détachement El

 28   Moudjahid aux soldats de l'armée de la République serbe de Bosnie-

Page 10

  1   Herzégovine détenus à Livade et dans le camp de Kamenica en juillet et août

  2   1995.

  3   Premièrement, M. Delic fait valoir que la Chambre de première instance a

  4   commis une double erreur de droit et de fait en estimant qu'il avait la

  5   capacité matérielle de prévenir et punir les traitements cruels commis en

  6   juillet et août 1995.

  7   Deuxièmement, M. Delic allègue que la Chambre de première instance a

  8   commis une double erreur de droit et de fait en ne donnant aucune précision

  9   sur les mesures nécessaires et raisonnables qu'il aurait pu prendre dans

 10   les circonstances du moment et qui étaient en son pouvoir pour prévenir ou

 11   punir les crimes commis par le Détachement El Moudjahid.

 12   Troisièmement, M. Delic affirme que la Chambre de première instance a

 13   commis une erreur en concluant que ni lui ni aucun autre placé sous son

 14   autorité ou sous sa direction et son commandement n'avait pris les mesures

 15   nécessaires et raisonnables pour prévenir ou punir les traitements cruels

 16   infligés aux détenus à Livade et dans le camp de Kamenica en juillet et

 17   août 1995.

 18   Quatrièmement, M. Delic avance que la Chambre de première instance a commis

 19   une erreur en se fondant sur les informations contenues dans le bulletin

 20   137 pour établir sa responsabilité au manquement à l'obligation de prévenir

 21   ou punir les crimes.

 22   M. Delic demande donc à la Chambre d'appel d'annuler la déclaration de

 23   culpabilité prononcée contre lui et d'y substituer une déclaration de non-

 24   culpabilité.

 25   Le Procureur s'oppose aux arguments avancés par Rasim Delic. Plus

 26   spécifiquement, le Procureur soutient que la Chambre de première instance

 27   n'a pas commis d'erreur de fait ou de droit en concluant que M. Delic

 28   exerçait un contrôle effectif sur les membres du Détachement El Moudjahid,

Page 11

  1   qu'il avait des raisons de savoir que des membres de ce détachement

  2   s'apprêtaient à commettre des crimes ou qu'ils l'avaient fait et que Rasim

  3   Delic a manqué à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour

  4   empêcher ou punir les crimes.

  5   Comme mentionné plus haut, le Procureur fait appel de la peine de trois ans

  6   prononcée à l'encontre de Rasim Delic. Le Procureur fait valoir que la

  7   Chambre de première instance a correctement fait état du droit applicable à

  8   l'imposition des peines, mais qu'elle a commis une erreur de droit en

  9   prononçant une peine manifestement inadéquate.

 10   Premièrement, le Procureur allègue que la peine imposée par la Chambre de

 11   première instance ne reflète pas le caractère étonnamment brutal des crimes

 12   commis par les subordonnés de Rasim Delic.

 13   Deuxièmement, le Procureur avance que la Chambre de première instance n'a

 14   pas suffisamment pris en compte la gravité du manquement de Rasim Delic à

 15   ses devoirs en tant que commandant.

 16   Troisièmement, le Procureur affirme que la Chambre de première instance a

 17   commis une erreur en omettant de considérer la peine qui pourrait être

 18   encourue par les subordonnés de Rasim Delic.

 19   Quatrièmement enfin, le Procureur soutient que la Chambre de première

 20   instance va à l'encontre des deux finalités des peines imposées à raison

 21   des crimes internationaux, à savoir la dissuasion et la fonction de

 22   châtiment. Le Procureur demande à la Chambre de première instance -- à la

 23   Chambre d'appel de prononcer une peine plus adéquate, soit sept ans.

 24   Lors de cette audience, les conseils des parties peuvent décider de

 25   présenter leurs motifs et moyens d'appel dans l'ordre qu'ils jugeront le

 26   plus opportun. Je souhaiterais toutefois rappeler que les parties ont été

 27   invitées à développer trois points qui leur ont été communiqués par

 28   l'addendum à l'ordonnance portant calendrier en date du 15 décembre 2009,

Page 12

  1   point que je ne vais pas reprendre ici.

  2   Je vais à présent rappeler les critères applicables aux erreurs de fait et

  3   de droit alléguées en appel. Les appels formés contre les jugements ne

  4   donne pas lieu à un procès de novo. Les parties ne peuvent donc se

  5   contenter de réitérer les arguments déjà entendus en première instance. Il

  6   ressort de l'article 25 du Statut que le rôle de la Chambre d'appel se

  7   limite à corriger les erreurs de droit qui invalident une décision et les

  8   erreurs de fait qui ont entraîné un déni de justice. Par conséquent, la

  9   partie qui allègue une erreur sur un point de droit doit avancer des

 10   arguments à l'appui de sa thèse et expliquer en quoi l'erreur invalide la

 11   décision.

 12   En ce qui concerne les erreurs de fait, il est de jurisprudence constante

 13   que la Chambre d'appel n'infirme pas à la légère les conclusions de fait

 14   dégagées par une Chambre de première instance. La Chambre d'appel

 15   n'interviendra donc que lorsqu'il a été démontré qu'aucun juge de fait

 16   raisonnable n'aurait pu parvenir à la même conclusion ou lorsque celle-ci

 17   est totalement erronée.

 18   En outre, la Chambre d'appel peut d'emblée rejeter, sans avoir à les

 19   examiner sur le fond, les arguments présentés par une partie qui n'ont

 20   aucune chance d'aboutir à l'annulation ou à la réformation de la décision

 21   attaquée. Les parties appelantes ont de surcroît l'obligation de fournir

 22   les références précises des éléments qui viennent étayer leurs arguments en

 23   appel. Par ailleurs, on ne saurait s'attendre à ce que la Chambre d'appel

 24   examine en détail les conclusions des parties si elles sont obscures,

 25   contradictoires ou vagues ou si elles sont entachées d'autres vices de

 26   forme flagrante.

 27   Enfin, la Chambre d'appel dispose d'un pouvoir discrétionnaire inhérent

 28   pour déterminer quels sont les arguments qui méritent une réponse motivée

Page 13

  1   par écrit, et elle rejettera donc sans motivation détaillée les arguments

  2   qui sont manifestement mal fondés.

  3   Cette audience va procéder conformément à l'addendum à l'ordonnance portant

  4   calendrier en date du 15 décembre 2009. La Défense commencera à présenter

  5   ses arguments ce matin pendant une heure et 15 minutes. Après la pause de

  6   30 minutes, le Procureur pourra commencer à présenter ses arguments en

  7   réponse pendant 50 minutes. Suite à la réponse du Procureur, la Défense

  8   disposera de 20 minutes pour présenter ses arguments en réplique. Après la

  9   pause déjeuner d'une heure, le Procureur pourra présenter ses arguments

 10   pendant une heure. La Défense disposera de 50 minutes pour présenter ses

 11   arguments en réponse. Ensuite, le Procureur aura 20 minutes pour présenter

 12   ses arguments en réplique.

 13   Enfin, M. Delic sera invité à prendre la parole, s'il le souhaite, pour une

 14   courte déclaration n'excédant pas dix minutes.

 15   Il sera extrêmement utile à la Chambre d'appel que les parties présentent

 16   leurs arguments de façon claire, ordonnée et concise. Les Juges prendront,

 17   à tout moment, la liberté d'interrompre les parties pour leur demander des

 18   précisions ou poser des questions. Voici donc ce que j'avais à vous dire.

 19   S'il n'y a pas de questions relatives à la façon dont va se dérouler cette

 20   audience, j'aimerais maintenant inviter la Défense à présenter ses

 21   arguments en appel.

 22   M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup, Madame le Président. A titre

 23   préliminaire, nous avons préparé plusieurs lots de documents contenant des

 24   extraits de la jurisprudence dont je vais faire état dans le cadre de la

 25   réponse que je donnerai à la première des questions posées par la Chambre

 26   d'appel. Nous avons six exemplaires, il y a, bien sûr, un exemplaire pour

 27   chacun des Juges, pour l'Accusation, ainsi que pour le greffe.

 28   Je vois l'heure qu'il est, il est près de 10 heures. Je suppose que vous me

Page 14

  1   donnez jusqu'à 11 heures et quart. C'est un peu plus que ce qui est --

  2   Mme VIDOVIC : [aucune interprétation]

  3   M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup.

  4   Ce matin, je vais me pencher sur les trois questions que vous avez posées,

  5   mais permettez-moi de commencer en résumant notre premier moyen d'appel par

  6   quelques mots qui représenteront notre argument le plus important. Les

  7   conclusions qu'ont tirées les Juges Harhoff et Lattanzi sur la question du

  8   contrôle effectif ne découlent tout simplement pas des conclusions qu'eux-

  9   mêmes ont tirées. Quand on voit les conclusions tirées par la Chambre quant

 10   au contrôle effectif, la conclusion tirée par ces deux Juges manque de

 11   suite. C'est une erreur que ces Juges ont commise. Un juge raisonnable du

 12   fait ne tire pas de conclusions qui vont contredire les conclusions qu'eux-

 13   mêmes ont tirées, et c'est la raison pour laquelle l'opinion dissidente du

 14   Juge Moloto revêt une telle importance. En effet, les conclusions que lui

 15   tire découlent bien des conclusions tirées par la Chambre.

 16   Je remercie ma consoeur de m'avoir aidé sur le plan vestimentaire.

 17   En droit, la logique et le fait sont tout à fait dans le droit fil des

 18   conclusions tirées de M. le Juge Moloto, et son opinion dissidente montre

 19   que c'était la seule façon raisonnable de déduire ce qu'il en était des

 20   faits du dossier. C'est qu'il planait tout au moins un doute raisonnable

 21   quant au contrôle effectif qu'aurait exercé Delic sur le Détachement El

 22   Moudjahid. Par conséquent, il y a eu une erreur commise par la majorité des

 23   Juges, qui a entraîné un déni de justice.

 24   Et il est fort heureux que votre première question me permette d'illustrer

 25   ce point, et c'est pourquoi je me tourne maintenant vers la question des

 26   marques du contrôle effectif. Nous disons que la jurisprudence établit au

 27   minimum 12 prémisses essentielles. La première, c'est que pour avoir un

 28   contrôle effectif, il faut prouver non seulement qu'un accusé a donné des

Page 15

  1   ordres, mais que ces ordres, en fait, ils ont été appliqués par les auteurs

  2   des faits présumés, que ceux-ci y ont obéi. Et ceci est bien établi et

  3   s'exprime notamment dans l'arrêt Strugar, paragraphe 256, la question de

  4   savoir si les ordres donnés par un supérieur sont effectivement suivis des

  5   faits, ceci peut indiquer si un supérieur a un contrôle effectif sur ses

  6   subordonnés. La Chambre d'appel relève qu'en plus de la conclusion montrant

  7   que Strugar avait le pouvoir nécessaire pour donner des ordres, la Chambre

  8   de première instance a conclu également que les ordres qu'il avait donnés

  9   avaient effectivement été appliqués. Et dans le cadre de cette première

 10   prémisse, nous évoquons également l'arrêt Halilovic, paragraphe 207;

 11   l'arrêt Hadzihasanovic, paragraphe 199; ainsi que l'arrêt Dragomir

 12   Milosevic, en son paragraphe 280.

 13   Il s'en suit qu'une marque montrant qu'il n'y a pas contrôle effectif,

 14   c'est le mépris ou la non-exécution par des auteurs présumés d'ordres ou

 15   d'instructions délivrés par l'accusé. Ceci est fort bien illustré par

 16   l'arrêt Hadzihasanovic, paragraphes 225 à 227. La Chambre d'appel

 17   Hadzihasanovic s'est penchée sur le fait que le 3e Corps de l'ABiH n'avait

 18   pas obtenu la libération d'un de ses propres soldats qui avait été enlevé,

 19   placé en détention et avait subi des mauvais traitements aux mains du

 20   Détachement El Moudjahid, parce que ce monsieur avait consommé de l'alcool.

 21   Alors que le 3e Corps, son commandant plus exactement, avait ordonné qu'il

 22   soit libéré, le détachement n'a pas obéi, même lorsqu'on avait menacé

 23   d'attaquer le Détachement El Moudjahid. La Chambre d'appel le remarque au

 24   paragraphe 227, et je cite ce paragraphe :

 25   "Le détachement n'a jamais été requis par le 3e Corps de capturer des

 26   otages et n'a pas non plus été autorisé lorsqu'il l'a fait. Au contraire,

 27   son comportement était au mépris absolu des demandes du 3e Corps, qui

 28   demandait à ce qu'ils ne procèdent pas à ces enlèvements. Ceci ne

Page 16

  1   correspondait pas non plus alors que donné par Mehmed Alagic qui disait

  2   qu'il fallait relâcher ces hommes ou les relâcher lorsqu'on les menaçait

  3   d'utiliser la force contre eux."

  4   Par conséquent, la Chambre d'appel a conclu que :

  5   "Ces événements confirmaient qu'Hadzihasanovic n'avait pas le contrôle

  6   effectif du Détachement El Moudjahid et," je cite :

  7   "Démontrent qu'il y avait des domaines d'activité dans lesquels le

  8   détachement agissait indépendamment du 3e Corps." Paragraphe 226.

  9   Ces faits présentent une ressemblance étonnante avec les faits de l'espèce.

 10   Nous disons, en fait, que les éléments de ce présent dossier sont bien plus

 11   convaincants. Vous le verrez aux paragraphes 403 et 404 du jugement. La

 12   Chambre de première instance a estimé qu'en capturant et en plaçant en

 13   détention des soldats de la VRS qui avaient été maltraités en juillet et

 14   août 1995, les événements mêmes dont Delic a été jugé coupable, et je cite

 15   :

 16   "Le détachement n'a pas respecté les obligations énoncées par le commandant

 17   de la 35e Division en ce qui concerne le traitement à réserver à des

 18   ennemis capturés pendant les combats," et que le détachement avait agi, je

 19   cite : "au mépris des ordres donnés par l'ABiH."

 20   Pourtant, Mme le Juge Lattanzi n'a pas tiré les conclusions qui

 21   s'imposaient de tout ceci, conclusions qu'ont pourtant tirées les Juges de

 22   la Chambre d'appel Hadzihasanovic et le président de la Chambre de première

 23   instance, M. le Juge Moloto, paragraphe 27 de son opinion dissidente, à

 24   savoir que ces événements montraient, prouvaient que l'accusé n'exerçait

 25   pas de contrôle effectif sur le détachement. Il y a toute une kyrielle

 26   d'ordres auxquels n'a pas obéi le détachement. C'est présenté aux

 27   paragraphes 371 à 385 du jugement.

 28   Deuxième prémisse, les moyens de preuve montrant que les soi-disant

Page 17

  1   subordonnés se réservaient le droit de décider ou non de participer au

  2   combat, ceci est une marque de l'absence de contrôle effectif. Le jugement

  3   en première instance Hadzihasanovic le prouve. Paragraphe 795, la Chambre

  4   fait référence à des éléments montrant, je cite :

  5   "Que les Moudjahidines se réservaient le droit de décider s'ils voulaient

  6   ou non participer au combat."

  7   Dans la présente affaire également, les conclusions de la Chambre

  8   sont claires. Elles montrent que le détachement, je cite : "prenait ses

  9   propres décisions" quand il s'agissait de savoir s'il allait participer au

 10   combat ou pas, paragraphe 382, et que le détachement pouvait simplement

 11   "s'abstenir de participer ou refuser de participer à une opération de

 12   l'ABiH," si ce détachement estimait que les conditions n'étaient pas

 13   remplies. Ce qui veut dire que dans le fond le détachement faisait à sa

 14   guise, décidait de participer ou pas, peu importe ce qu'ordonnait l'ABiH.

 15   En fait, si on parle là de contrôle effectif, il faut bien reconnaître que

 16   ce n'est pas si effectif que cela.

 17   Troisième prémisse, comportement fantasque et cas ayant précédé

 18   d'indiscipline de la part des soi-disant subordonnés. Ceci est important

 19   pour voir s'il y a contrôle effectif. Nous constatons ceci notamment dans

 20   l'arrêt Strugar, paragraphe 257. La Chambre d'appel y déclare que, je cite

 21   :

 22   "Des preuves d'antécédents de cas d'indiscipline et de non-exécution

 23   d'ordres constitueraient des éléments présentant une pertinence certaine

 24   pour voir si Strugar exerçait un contrôle effectif sur ses subordonnés."

 25   De même, dans l'arrêt Oric, je cite :

 26   "La Chambre d'appel estime que s'il existait un lien de

 27   subordination, on ne saurait se demander si le comportement du subordonné

 28   était fantasque, inattendu. Cependant, si ce lien de subordination n'est

Page 18

  1   pas manifeste, il peut importer de tenir compte du comportement fantasque

  2   ou irrégulier du subordonné pour savoir si son supérieur avait la capacité

  3   matérielle d'empêcher et de punir, ce qui est nécessaire pour établir le

  4   contrôle effectif." Paragraphe 159.

  5   Alors, ici nous avons un élément tout à fait pertinent. En l'espèce, il est

  6   tout à fait douteux qu'il ait existé un lien de subordination entre Delic

  7   et le détachement. Au contraire, nous affirmons que les preuves sont

  8   nombreuses qui prouvent que les membres du détachement n'étaient pas des

  9   subordonnés de Delic.

 10   Vu les circonstances de l'affaire, il était particulièrement important de

 11   prendre en compte le comportement irrégulier, fantasque des membres du

 12   détachement pour déterminer si Delic exerçait un contrôle effectif. Or, la

 13   majorité des Juges ont carrément refusé de le faire, alors qu'il y avait

 14   pléthore d'éléments de preuve montrant le comportement dangereux et

 15   fantasque du détachement. Quand je dis dangereux, c'était dangereux pour

 16   les hommes de l'ABiH, car il était coutumier que les membres du détachement

 17   les menacent, ces hommes de l'ABiH, et leur imposent des mauvais

 18   traitements. Donc, vraiment, on a le choix. Par exemple, nous avons la

 19   pièce 774 E, qui nous montre un différend entre le Détachement El Moudjahid

 20   et une unité régulière de l'ABiH, je cite :

 21   "Cette fois-là," nous sommes alors en juillet 1995, date qui cadre tout à

 22   fait avec la période retenue dans l'acte d'accusation, "des membres du

 23   détachement disaient que l'objectif fondamental de leur lutte, c'était

 24   d'exterminer les Serbes et les Croates. Ils ajoutaient qu'ils attendaient

 25   de tous qu'ils restent sur la voie d'Allah, et tôt ou tard, les deux

 26   unités, le détachement et cette unité de l'ABiH en question, allaient

 27   forcément s'opposer à cause des différences qui les habitaient."

 28   On voit effectivement une dizaine de pièces : la pièce 125, 667, la pièce

Page 19

  1   670, la pièce 737, la pièce 760 aussi, la pièce 800, 801, la pièce 872, la

  2   pièce 892, la pièce 903, la pièce 934, la pièce 938, la pièce 1084, autant

  3   de pièces que je vous demande d'examiner pour avoir une idée véritable du

  4   comportement de ce détachement, de la dangerosité qu'ils représentaient

  5   pour les autres unités de l'ABiH, de leur aspect tout à fait sauvage, et

  6   pour voir à quel point ils n'étaient pas contrôlables. Nous avons des

  7   témoins à charge : Hasanagic, Imamovic, Sljuka et Sehic, qui vous le disent

  8   aussi en pages du compte rendu d'audience 3 102, 4 058, 4 370 et 5 086. Il

  9   ne fait aucun doute, ce détachement a toujours affiché un comportement

 10   fantasque et dangereux.

 11   Quatrième prémisse, il n'y a pas de contrôle effectif lorsque les auteurs

 12   de faits présumés ont le pouvoir indépendant de prendre des décisions et

 13   d'agir. Nous avons le jugement de première instance Oric, paragraphe 706.

 14   La Chambre a constaté que des groupes armés de la région "affichaient

 15   surtout leur loyauté à leurs commandants respectifs," et agissaient de

 16   façon indépendante. Il faut en déduire que ces hommes n'étaient pas sous le

 17   contrôle effectif d'Oric. Nous disons qu'a fortiori, ceci s'applique au

 18   détachement et au commandement de Delic, je cite :

 19   "Le détachement avait un 'conseil religieux,' la shura, qui était

 20   l'instance suprême en matière de prise de décision."

 21   Ce sont les termes mêmes qu'utilise la Chambre dans ses conclusions, plus

 22   exactement en paragraphe 189 du jugement. Autre citation : "La shura,

 23   c'était la dernière instance de pouvoir au sein du détachement en ce qui

 24   concerne toutes les questions importantes. L'émir était élu par la shura,

 25   devait lui rendre compte. Ses décisions pouvaient être modifiées ou

 26   annulées uniquement par cette instance."

 27   Ce sont là les termes mêmes qu'utilise la Chambre dans ce paragraphe 189.

 28   Le Détachement El Moudjahid n'avait de loyauté qu'envers l'émir et lui

Page 20

  1   seul.

  2   Ce que nous disons, le fait constaté par la Chambre, à savoir que

  3   l'instance suprême en matière de prise de décision, l'autorité suprême, ce

  4   n'était pas l'ABiH, mais un conseil religieux, la shura. Ceci est

  5   incompatible avec l'idée qu'il n'y aurait pas le moindre doute raisonnable

  6   quant à l'existence d'un contrôle effectif.

  7   Regardons ce qu'un autre témoin à charge, Ismet Alija, dit du détachement.

  8   Je le cite :

  9   "A ma connaissance et d'après les informations dont je dispose, le

 10   détachement n'était pas intégré dans le système de direction ni de

 11   commandement. C'était une unité fermée sur elle-même, indépendante.

 12   C'étaient des hommes qu'il était difficile de contacter et qui ne donnaient

 13   pas d'information sur leurs activités. Ils prenaient les décisions qui les

 14   concernaient eux-mêmes."

 15   Et puis, il explicite ce qu'est la shura :

 16   "Je pense que vous savez, Madame et Messieurs les Juges, comment ils

 17   prenaient leurs décisions. La 'shura,' c'est une espèce de conseil. Et si

 18   ces hommes décidaient de faire quelque chose, c'est ce qu'ils faisaient.

 19   S'ils décidaient de ne pas faire quelque chose, ils ne le faisaient pas. Et

 20   ils n'acceptaient les ordres de personne." Page du compte rendu 4 156.

 21   C'est ce que disait un témoin à charge. N'est-ce pas là quelque chose de

 22   frappant ?

 23   Ça a été vrai pour tous les témoins à charge. J'insiste là-dessus, parce

 24   que l'Accusation ne peut pas maintenant ignorer ou contredire ce que ses

 25   propres témoins ont dit, pas si elle ne déclare pas de ce témoin qu'il est

 26   devenu un témoin hostile.

 27   La cinquième prémisse, c'est que la chaîne de commandement, lorsqu'elle

 28   n'est pas assez bien développée ou qu'elle ne fonctionne pas bien, c'est

Page 21

  1   une marque contraire du contrôle effectif. C'est quelque chose de

  2   fondamental, de bien connu, qui s'exprime notamment au paragraphe 707 du

  3   jugement de première instance d'Oric.

  4   Sixième prémisse, c'est que la preuve que ces soi-disant subordonnés ne se

  5   considéraient pas comme étant sous le commandement de ce commandant et vice

  6   versa indique qu'il y a manque de contrôle effectif. Vous trouverez la

  7   doctrine concernant cette prémisse notamment dans le jugement de première

  8   instance Hadzihasanovic, paragraphe 795, lorsque la Chambre a dit ceci, et

  9   je cite :

 10   "Les commandants du 3e Corps ne croyaient pas avoir le pouvoir de donner

 11   des ordres aux Moudjahidines."

 12   Ici en espèce, et ce sont là de nouveau les conclusions que tire la Chambre

 13   elle-même, le détachement avait déclaré :

 14   "Nous sommes désormais une unité, nous avons notre propre corps, qui est

 15   formellement sous le contrôle de l'ABiH, mais l'ABiH ne peut pas nous

 16   donner l'ordre d'engagement dans des combats que nous ne voulons pas."

 17   Là, je reviendrai plus tard si j'ai le temps sur ce concept, le fait qu'on

 18   dise nous ne pouvons pas être obligés de faire quelque chose que nous ne

 19   voulons pas, ça ne cadre pas avec l'idée de l'exécution par le détachement

 20   d'ordres donnés. Simplement, ils en font à leur guise. C'est ce que conclu

 21   la Chambre au paragraphe 381, mais aussi au paragraphe 432 et au paragraphe

 22   453. Nous avons aussi les dires du témoin à charge Imamovic, compte rendu 4

 23   045; Sljuka, compte rendu 4 301 et 4 369; Hajderhodzic, compte rendu 3 784;

 24   Husic, compte rendu 4 446 [comme interprété]; et Awad, compte rendu 172, à

 25   l'audience de Sarajevo.

 26    A maintes reprises, nous avons eu la déposition d'anciens membres du

 27   détachement qui ont dit qu'ils ne se considéraient pas du tout comme

 28   faisant partie de l'ABiH, et des pièces le confirment. Pourtant, la

Page 22

  1   majorité a passé sous silence cet aspect, parce qu'ils auraient pu semer un

  2   doute raisonnable sur la notion de l'existence d'un contrôle effectif.

  3   Septième prémisse, elle concerne la transmission d'information, des

  4   éléments de preuve montrant que les auteurs présumés n'ont pas soumis de

  5   rapports à leur supposé supérieur ou bien qu'ils ont présenté des rapports

  6   à d'autres supérieurs hiérarchiques, ceci est une marque de l'absence de

  7   contrôle effectif. Nous rappelons le jugement de première instance

  8   Hadzihasanovic, paragraphe 795, qui renvoie à la pertinence du fait de

  9   savoir qu'il n'y avait pas, je cite, "de preuve indiquant que les

 10   Moudjahidines auraient envoyé des rapports de combat ou d'autres rapports

 11   d'ailleurs concernant les activités à ceux qui avaient la responsabilité

 12   des combats auxquels ces hommes avaient participés."

 13   La transmission des informations, c'est un élément-clé déterminant

 14   l'existence d'un contrôle effectif. Le Juge Moloto l'a fort bien dit dans

 15   son opinion décident, paragraphe 15, je le cite :

 16   "Le fait que le détachement n'a pas transmis d'information dans le cadre de

 17   rapports envoyés à son unité supérieure hiérarchique, associés au

 18   comportement fantasque des membres du détachement par rapport aux ordres

 19   donnés par l'ABiH, montre vraiment qu'on sape de façon grave le

 20   commandement et la direction qu'avait Delic. Une chaîne de commandement,

 21   elle doit suivre les différents échelons. Le fait de transmettre des

 22   informations le long de la voie hiérarchique et la capacité qu'a un

 23   commandant d'exercer son autorité par le biais d'ordres constituent les

 24   deux piliers de l'existence d'un système de direction et de contrôle. Et

 25   c'est seulement lorsqu'on a ces deux piliers qu'un commandant est en mesure

 26   de contrôler ses unités et de les obliger à obéir. Mais ceci n'existait pas

 27   par rapport au détachement."

 28   Pourtant, une fois de plus, ce qu'ont conclu la majorité des Juges est

Page 23

  1   contredit par leurs propres conclusions. La Chambre a conclu, en tout cas

  2   n'a pas contesté, le fait que "le détachement n'avait jamais donné de

  3   rapports écrits ou oraux à la 35e Division," qui était pourtant une unité à

  4   l'échelon directement supérieur de l'ABiH, paragraphe 424 --

  5   M. LE JUGE VAZ : M. le Juge Meron a une question.

  6   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Oui, au paragraphe 430, --

  7   M. JONES : [interprétation] Je n'ai pas entendu le paragraphe.

  8   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Paragraphe 430 du jugement.

  9   "Même si le détachement était officiellement subordonné à la 35e Division…

 10   elle a fait plusieurs rapports oraux au 3e Corps sur les problèmes qu'il y

 11   avait au niveau des activités de combat." Alors, comment est-ce que vous

 12   conciliez ceci avec l'argument que vous présentez.

 13   M. JONES : [interprétation] Oui.

 14   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Et le fait qu'il y a des preuves

 15   montrant qu'il y a eu transmission de rapports oraux à des supérieurs

 16   hiérarchiques, est-ce que ceci n'indique pas qu'il y a un certain degré de

 17   contrôle ?

 18   M. JONES : [interprétation] Ce qu'il en est par rapport au 3e Corps et à la

 19   35e Division, c'est un élément qui, en soi, révèle très clairement qu'il

 20   n'y a pas de contrôle effectif, d'après les éléments de preuve acceptés par

 21   la Chambre, le principe de l'unité de commandement. Lorsqu'on a une unité

 22   subordonnée qui transmet un rapport à son supérieur hiérarchique, c'était

 23   la 35e Division. Donc, déjà le fait que le détachement a tout à fait fait

 24   fi de ceci lorsqu'elle a décidé de contourner la 35e Division pour adresser

 25   ses rapports au 3e Corps, ceci révèle que peu leur importait qu'il existe

 26   un système de transmission.

 27   Pour ce qui est des rapports oraux, revoyons ce que disait le Juge Moloto,

 28   le fait de transmettre des informations oralement, déjà lorsqu'on demande

Page 24

  1   des rapports écrits, ça ne répond pas aux critères exigés, apposés dans

  2   l'ABiH. Mais s'il y a des transmissions de rapport oraux, ceci cadre fort

  3   bien avec le fait qu'il y a deux unités alliées qui combattent côte à côte

  4   pour éviter qu'il n'y ait pas tir sur certains éléments par des unités

  5   amies, amicales, c'est ce qu'on essaie d'éviter en général. La majorité des

  6   Juges a dit c'est parce qu'il y a une barrière linguistique. Nous en

  7   parlons dans notre mémoire en appel. Là non plus ce n'est pas une

  8   explication, parce que vous avez des gens qui parlaient le bosniaque au

  9   sein du détachement et qui auraient pu facilement transmettre des rapports

 10   s'il l'avait voulu. Mais la majorité des Juges a estimé qu'il n'était pas

 11   nécessaire de fournir cette explication, et ceci est révélateur en soi.

 12   Je ne sais pas si ceci répond à votre question, Monsieur le Juge.

 13   Prenons, par opposition, le fait que le détachement a bien envoyé des

 14   rapports détaillés, mais l'a fait à ses maîtres étrangers -- est-ce que la

 15   Chambre avait d'autres questions ?

 16   M. LE JUGE VAZ : Oui. Le Juge Liu voudrait vous poser une question.

 17   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je me demande si vous avez terminé de

 18   répondre. Sinon, vous pouvez continuer, puis je pourrai vous poser une

 19   autre question.

 20   M. JONES : [interprétation] J'avais terminé.

 21   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

 22   Je pense que dans la présentation que vous avez faite vous mentionnez le

 23   fait que la chaîne de commandement n'était pas assez développée et ne

 24   fonctionnait pas bien dans l'ABiH, et vous parlez aussi de l'arrêt

 25   Hadzihasanovic. Je comprends que la Chambre d'appel a annulé la conclusion

 26   tirée par la Chambre de première instance quant au contrôle effectif dans

 27   cette affaire Hadzihasanovic. Mais je me demande si vous avez noté la

 28   différence en matière de temps s'agissant de ces deux affaires, l'affaire

Page 25

 1  

 2  

 3  

 4  

 5  

 6  

 7  

 8  

 9  

10  

11   Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

12   versions anglaise et française

13  

14  

15  

16  

17  

18  

19  

20  

21  

22  

23  

24  

25  

26  

27  

28  

Page 26

  1   Hadzihasanovic d'un côté, et la présente affaire. Je pense que les crimes

  2   dont M. Hadzihasanovic a été reconnu coupable ont été commis entre janvier

  3   et septembre 1993, alors qu'ici en espèce, ce sont des faits censés être

  4   intervenus en juillet et en août 1995. La Chambre de première instance a

  5   été précise dans ses conclusions, elle a conclu que la direction et le

  6   commandement se sont renforcés considérablement entre 1993 et 1995. Par

  7   conséquent, les circonstances de la présente affaire présentent des

  8   différences substantielles par rapport aux faits de l'affaire

  9   Hadzihasanovic.

 10   Qu'avez-vous à dire s'agissant de la différence en matière de temps ?

 11   M. JONES : [interprétation] Merci.

 12   Je n'ai peut-être pas été clair, et je m'en excuse. Nous nous appuyons

 13   uniquement sur les points de droit pour l'arrêt Hadzihasanovic. C'est ça

 14   qui m'intéressait. Il serait trop simpliste de dire qu'on a un acquit dans

 15   Hadzihasanovic, on a le droit même à un acquittement. Manifestement, il y a

 16   une différence dans le temps de deux ans. Mais la conclusion tirée par la

 17   majorité des Juges au paragraphe 460 :

 18   "Elle a constaté que la structure d'organisation, la direction et le

 19   commandement de l'ABiH ont connu une amélioration considérable entre le

 20   moment où Delic est nommé commandant," en 1993 et l'année 1995.

 21   Ça, c'est la prémisse adoptée par la majorité des Juges dans

 22   l'affaire Hadzihasanovic. Mais regardez ce paragraphe, on ne fait aucune

 23   référence à un élément de preuve quel qu'il soit. C'est une simple

 24   affirmation qui est énoncée ici. Nous en parlons de façon détaillée dans

 25   notre mémoire en appel. Et ça ne repose sur rien. En fait, c'est contredit

 26   par les éléments du dossier. C'est très révélateur que la Chambre ne cite

 27   aucun élément de preuve. Or, ce sera opportun de citer un témoin qui dira,

 28   Les choses se sont vraiment améliorées en deux ans. Les éléments ne disent

Page 27

  1   rien. Ça ne repose sur rien. C'était la seule façon d'adopter cette

  2   conclusion-là par les Juges.

  3   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

  4   M. JONES : [interprétation] En matière de transmission d'information,

  5   l'autre composante, c'est que le détachement a bien envoyé - et c'est

  6   révélateur - des rapports détaillés écrits à ses maîtres étrangers. Et ici,

  7   vous le verrez, je fais référence à un rapport de combat très

  8   circonstanciel au paragraphe 444 du jugement. Ce serait intéressant de le

  9   voir parce que c'est révélateur. C'est un rapport tellement précis qu'on

 10   dit que l'unité d'assaut a commencé sa profession à 12 heures 02, et on

 11   donne des différences géographiques entre les différentes zones de combat.

 12   On n'a rien envoyé de la sorte aux supérieurs supposés de l'ABiH, mais ça a

 13   été envoyé à l'étranger, ce rapport.

 14   Pour ce qui est de la transmission orale, j'en ai parlé déjà. Mais il n'est

 15   pas surprenant que pour ce qui est de la communication orale entre le

 16   détachement et les unités de l'ABiH, elle ait eu lieu avant ou pendant le

 17   combat, c'est normal parce que sinon, ce serait suicidaire de lancer une

 18   opération sans en avertir les autres unités de la même armée. C'est ce

 19   qu'on fait entre alliés. Mais manifestement, ne serait-ce que pour sauver

 20   sa propre peau, on le fait, et c'est ce que font donc des alliés, comme je

 21   le disais : ils communiquent entre eux pour coordonner leurs activités de

 22   combat respectives.

 23   Les Français, les Britanniques l'ont fait pendant la bataille de la Marne

 24   pendant la Première Guerre mondiale. Les alliés le font aujourd'hui pour

 25   éviter de se tirer dessus. Ça tombe sous le sens. Et ceci met en exergue un

 26   point essentiel qui montre les carences et les failles du raisonnement de

 27   la majorité des Juges. Si le fait d'avoir transmission orale d'information

 28   montre uniquement qu'il y a coopération, la transmission orale ne prouve

Page 28

  1   pas l'existence d'un contrôle effectif. Effectivement, par rapport à

  2   chacune de ces marques, la Chambre d'appel devrait demander à l'Accusation

  3   ceci : quelles sont les conclusions tirées de la Chambre qui cadrent

  4   uniquement avec l'existence du contrôle effectif, rien qu'avec cela ? La

  5   réponse serait : rien. Ou si on pose la question différemment : y a-t-il

  6   une quelconque constatation de la Chambre qui ne concorde absolument pas

  7   avec la coordination, la coopération, l'assistance conjointe ou mutuelle,

  8   voire même tentative d'établir le contrôle qui montre effectivement qu'il

  9   n'y a pas de contrôle effectif ? Encore une fois, la réponse est

 10   inévitablement un non. Il n'y a rien. La majorité des Juges aurait dû dire

 11   : c'est quelque chose que nous mettons de côté, ces deux armées n'auraient

 12   pas pu coopérer ensemble parce que s'il y avait eu un contrôle effectif X,

 13   Y et Z, soit, mais vous ne trouverez pas cela dans le jugement.

 14   Et parce que ceci n'est jamais arrivé et que Delic doit être acquitté

 15   et que sa condamnation doit être rejetée.       

 16   Je passe maintenant à la huitième prémisse, lorsqu'il y a autorité et les

 17   auteurs sont des personnes autres que l'accusé, ceci indique qu'il y a

 18   absence de contrôle effectif. Nous, ici, faisons état des paragraphes 216

 19   et 217 de l'arrêt Hadzihasanovic et Kubura, d'où émergent deux points de

 20   principe. Tout d'abord, je cite :

 21   "Le contrôle effectif ne peut être établi par un processus

 22   d'élimination."

 23   Donc, nous n'avons pas eu à démontrer que quelqu'un d'autre exerçait un

 24   contrôle effectif sur le détachement devant les Juges de la Chambre pour

 25   conclure que Delic ne l'exerçait pas. Deuxièmement, si une autorité a été

 26   exercée sur les auteurs par des personnes autres que l'accusé, ceci est un

 27   élément pertinent qui est contraire à ces marques de contrôle effectif, ce

 28   qui est évident. Et un serviteur ne peut servir deux maîtres, c'est la

Page 29

  1   parabole de l'intendant injuste. Aucun serviteur ne peut servir deux

  2   maîtres, car soit il en déteste un, soit il aime l'autre. Il ne peut pas

  3   être fidèle à l'un et mépriser l'autre.

  4   Il y avait énormément d'éléments de preuve qui ont été présentés à la

  5   Chambre, et la Chambre a indiqué qu'il exerçait l'autorité sur le

  6   détachement parce qu'il y avait des associations multiples étrangères et

  7   qu'il y avait des religieux musulmans de haut rang.

  8   Cette neuvième prémisse est un indicateur-clé du contrôle effectif, à

  9   savoir si les auteurs ont reçu des armes et des munitions de l'accusé.

 10   Cette marque est clairement exprimée dans le rapport de la Commission

 11   internationale d'enquête sur le Darfour, le 25 janvier 2011 [comme

 12   interprété], aux paragraphes 111 à 113. La Chambre d'appel appréciera,

 13   puisque le président de la commission, Antonio Cassese - le premier

 14   président de ce tribunal et maintenant le président du tribunal spécial

 15   pour le Liban - nous estimons que même s'il ne s'agit pas d'une question de

 16   jurisprudence, il s'agit ici d'une source fort importante et convaincante.

 17   "Les liens clairs entre l'état soudanais et les milices, la Commission

 18   s'est reposée sur cette marque de contrôle effectif, sur le fait que les

 19   milices ont reçu des armes et des munitions de façon régulière de l'armée

 20   et d'autres organes étatiques."

 21   Dans ce cas, la Chambre a constaté que l'aide de l'ABiH au détachement en

 22   matière de munitions et d'armes était "sporadique et insuffisante." Au

 23   paragraphe 418. A l'inverse, il y avait énormément d'éléments de preuve qui

 24   indiquaient que le détachement obtenait des armes et des munitions de leurs

 25   propres sources. Le témoin à charge Awad, un ancien membre du détachement,

 26   a témoigné en disant, je

 27   cite : "Nous disposions de notre propre système logistique indépendant et

 28   nous étions plus forts que le corps en ce qui concerne cela." Page du

Page 30

  1   compte rendu d'audience 260, le 10.2.2008. La Chambre renvoie à ces

  2   éléments de preuve qui n'ont pas été contestés dans la note en bas de page

  3   1 079 du jugement, et il semblerait que la Chambre l'ait accepté.

  4   Ceci a également été explicité par le témoignage du témoin

  5   PW-9, et la pièce E 776 [comme interprété], à la page du compte rendu

  6   d'audience 5 682.

  7   La dixième prémisse peut être exprimée par ce dicton : qui paie les violons

  8   choisit la musique. Autrement, la personne qui contrôle les finances et les

  9   salaires versés aux indicateurs est une autre marque de contrôle effectif.

 10   Pour ce qui est de cette prémisse, nous nous reposons encore une fois sur

 11   le rapport de Darfour, au paragraphe 113, qui fait état du versement de

 12   salaires mensuels comme étant une marque de contrôle. Et le jugement en

 13   première instance Musema, au paragraphe 880, où la Chambre a constaté que

 14   Musema exerçait un contrôle effectif sur les employés de la manufacture de

 15   thé Gisovu, entre autres, parce qu'"il exerçait un contrôle juridique et

 16   financier sur ces employés, sur ces salariés."

 17   Dans ce cas, la Chambre a constaté que "le détachement a été financé par

 18   des voies séparées," à savoir qui étaient distinctes de l'ABiH, et que les

 19   salaires des membres du détachement "provenaient de fonds qui étaient ceux

 20   du détachement El Moudjahid" et ce, aux paragraphes 418 à 419 du jugement.

 21   Les éléments de preuve, pour ce qui est du financement de ce détachement,

 22   ne peuvent pas être contredits. Nous faisons état ici de la pièce E 780

 23   [comme interprété], le témoignage du témoin à charge PW-9, pages du compte

 24   rendu d'audience 8 633 et E 12 001 [comme interprété] indique que

 25   l'institut culturel islamique envoyait des paiements mensuellement au

 26   détachement. La Chambre a accepté cette pièce à la note en bas de page 1

 27   145.

 28   Alors, la question des salaires a été reprise par le Juge Moloto, au

Page 31

  1   paragraphe 18 de son opinion dissidente :

  2   "Les liens entre ce détachement et les autorités étrangères montrent un

  3   autre domaine dans lequel le détachement agissait de façon indépendante par

  4   rapport à l'ABiH. Effectivement, aucun des membres du détachement n'a été

  5   payé par l'ABiH." Ce qui est un élément très frappant. Et je cite :

  6   "De surcroît, le fait que ces contacts ont été mis en place par le

  7   détachement, avec pour objectif de promouvoir sa cause et d'attirer des

  8   fronts, permet d'en déduire que les autorités qui parrainaient le

  9   détachement ont peut-être exercé une influence significative sur lui."

 10   Hormis le fait que c'est un point important qu'a fait le Juge Moloto, les

 11   Juges en majorité ont constaté cela; ils ont simplement tiré des

 12   conclusions différentes à partir de cela. C'est une déduction tout à fait

 13   évidente, une question évidente qui a peut-être échappé aux Juges de la

 14   majorité. Celui qui tient les cordons de la bourse est certainement celui

 15   qui peut dicter ses termes, qui peut exercer le contrôle, précisément à la

 16   menace qu'il pose parce que c'est lui qui a le soutien financier. Si ses

 17   ordres ne sont pas suivis, ils ne seront pas payés.

 18   L'ABiH et Delic, essentiellement, ne se sont jamais trouvés dans la

 19   position où ils pouvaient exercer ces menaces, exercer le contrôle

 20   simplement parce qu'ils tenaient les cordons de la bourse. Ils ne pouvaient

 21   pas les menacer et arrêter de verser cet argent au détachement, parce que

 22   ce n'est pas simplement eux qui versaient cet argent -- pardonnez-moi.

 23   C'est aussi simple que cela.

 24   Effectivement, cela est assez logique que l'argent revient à

 25   contrôler, ou un contrôle éventuel, ceci est illustré dans la jurisprudence

 26   du Tribunal dans ses premiers jours dans l'arrêt Tadic du 15 juillet 1999,

 27   dans le contexte de savoir si la VRS était placée sous le contrôle de la

 28   RFY et de son gouvernement. Un des facteurs décisifs aux yeux de la Chambre

Page 32

  1   d'appel était ceci, "'le versement des salaires de façon permanente aux

  2   Serbes de Bosnie et aux officiers non-serbes par le gouvernement de la

  3   République fédérale de Yougoslavie,'" au paragraphe 150.

  4   La onzième prémisse consiste à dire que pour prouver le contrôle

  5   effectif, il faut montrer que l'accusé disposait de pouvoir tel qu'il était

  6   en mesure d'imposer des sanctions disciplinaires et d'ouvrir des enquêtes

  7   contre les auteurs, puisqu'il exerçait cette position et qu'il avait

  8   l'autorité, et que ses pouvoirs étaient des pouvoirs réels et effectifs par

  9   opposition à de simples pouvoirs formels ou qui ne permettaient pas de

 10   faire exécuter ces ordres. Pour finir, d'autres mesures dont il avait la

 11   capacité, le fait de punir des crimes sur la base de charges qui avaient

 12   été -- dont certaines personnes avaient été accusées, et non pas d'autres

 13   crimes. Par exemple, des crimes comme le vol. Il est allégué ici que

 14   l'accusé exerçait un contrôle effectif sur la base des crimes commis par

 15   les auteurs, le Détachement El Moudjahidine. A l'occasion, ces derniers

 16   étaient punis. Mais il y a deux questions distinctes qu'il nous faut poser

 17   : qui a lancé ces poursuites et est-ce que ces personnes ont été

 18   poursuivies pour crimes de guerre ou pour simples crimes ? La question a

 19   été envisagée, par exemple, dans l'arrêt Oric, au paragraphe 142, lorsque

 20   la Chambre a estimé qu'Oric disposait de ses capacités présumées de prendre

 21   des mesures disciplinaires contre les auteurs et n'a pas démontré qu'il ait

 22   agi dans ce sens et "'… qu'il s'est occupé de cette enquête'" menée par le

 23   chef de la police militaire, étant donné que la Chambre de première

 24   instance "n'a pas constaté qu'Oric a pris cette mesure ou qu'il était en

 25   mesure de le faire, en raison de l'autorité dont il disposait sur la police

 26   militaire."

 27   La Chambre de première instance [comme interprété] a, par conséquent,

 28   annulé la condamnation contre Oric en estimant que la Chambre de première

Page 33

  1   instance avait commis une erreur en constatant qu'Oric exerçait un contrôle

  2   effectif sur la police militaire.

  3   Lorsque nous retournons à notre affaire, il y a deux faits

  4   particulièrement marquants qui découlent des constatations de la Chambre.

  5   Tout d'abord, il n'y pas d'élément de preuve qui montre que Delic était

  6   capable de discipliner les membres du détachement du tout. Dans la partie

  7   du jugement qui traite de sa capacité à ouvrir des enquêtes ou à punir les

  8   membres du détachement, la Chambre n'a pu simplement, dans le cadre d'une

  9   procédure pénale, initier contre des membres étrangers du détachement, dire

 10   qu'il s'agissait "d'un comportement illicite, bien qu'il ne s'agissait de

 11   violation du droit international humanitaire." Au paragraphe 470 du

 12   jugement de première instance. C'est un fait très important dont les Juges

 13   de la Chambre n'ont pas perçu toute la signification.

 14   Deuxièmement, les poursuites pénales sur lesquelles se reposaient les

 15   Juges de la Chambre n'ont pas été initiées contre Delic, mais par les

 16   autorités civiles. De même, la majorité a commis exactement la même erreur

 17   que la Chambre de première instance dans l'affaire Hadzihasanovic. Dans

 18   l'affaire Hadzihasanovic, la Chambre de première instance se reposait sur

 19   des poursuites qui ont été menées dans le pays contre un membre du

 20   détachement pour montrer que l'autorité qu'exerçait Hadzihasanovic pour

 21   punir les membres du détachement existait. La Chambre d'appel a constaté

 22   qu'il s'agissait d'une erreur. Au paragraphe 219 de l'arrêt Hadzihasanovic,

 23   où il est déclaré :

 24   "Le témoin Siljak a témoigné que l'auteur allégué 'devait se

 25   présenter devant le tribunal de Travnik' sans spécifier de quel tribunal il

 26   s'agissait. Si cela était vrai que ledit individu s'était présenté au

 27   tribunal militaire du district de Travnik, rien ne semblait indiquer, dans

 28   le jugement en première instance, quel rôle Hadzihasanovic aurait joué à

Page 34

  1   propos de ces poursuites contre l'auteur. Et le témoin Siljak, dans son

  2   témoignage, a montré que l'auteur a été poursuivi après les mesures qui

  3   avaient été prises ou initiées par le 3e Corps. La Chambre d'appel insiste

  4   sur le fait que l'auteur a été identifié comme un Musulman de la région et

  5   que la police civile et le témoin lui-même ont peut-être déposé plainte

  6   contre lui."

  7   Exactement la même situation s'est présentée aux Juges de la Chambre

  8   lorsqu'elle a fait ses constatations dans cette affaire-ci. Les Juges à la

  9   majorité se sont reposés sur l'arrestation des membres  du détachement pour

 10   les meurtres d'un membre britannique d'une association, Paul Goodall,

 11   auquel il est fait référence au paragraphe 448 du jugement. Mais cette

 12   procédure a été ouverte par le ministère de l'Intérieur devant un tribunal

 13   civil, comme l'a accepté la Chambre elle-même. Il est fait état de cela

 14   dans la note en bas de page 1 158 du jugement. Le ministre de l'Intérieur,

 15   à savoir la police civile, a déposé plainte au pénal contre un procureur

 16   civil à Zenica, contre le Détachement El Moudjahidine. Ceci n'avait rien à

 17   voir avec les militaires du tout.

 18   De même, la pièce 880 sur laquelle se sont reposés les Juges à la

 19   majorité confère, note en bas de page 1 164, il y a eu des procédures

 20   pénales pour vol, un crime de droit commun, non seulement il ne s'agissait

 21   pas, à ce moment-là, d'un crime qui relève du droit humanitaire

 22   international. C'est ainsi que Hadzihasanovic, l'auteur, a été reconnu

 23   comme étant un homme de la région, par un homme de la région, un Musulman,

 24   Sefik Bijelo. Dans tout ceci, il n'y a aucun élément de preuve qui

 25   indiquait quel rôle jouait Delic ou qu'il aurait joué lorsqu'il s'agissait

 26   d'ouvrir ces poursuites contre l'auteur.

 27   Donc, nous disons que la Chambre d'appel, dans son raisonnement, a

 28   rejeté la constatation de la Chambre de première instance dans

Page 35

  1   Hadzihasanovic et que ceci devrait être appliqué ici également. Nous disons

  2   que les constatations de la Chambre, aux paragraphes 447 à 453 du jugement,

  3   étaient tout à fait incapables, en matière de droit, d'étayer la conclusion

  4   des Juges à la majorité au paragraphe 470 que Delic avait la capacité

  5   matérielle d'enquêter, de prévenir ou de punir des crimes commis par le

  6   détachement en juillet et septembre [comme interprété] 1995.

  7   Nous passons maintenant à la douzième et dernière prémisse qui porte

  8   sur le contrôle effectif qui est inexistant si le supérieur allégué a

  9   besoin de négocier ou a recours à une pression extérieure pour s'assurer

 10   qu'il y ait obéissance à ses décisions ou à ses ordres. Ici, nous nous

 11   reposons sur l'arrêt Hadzihasanovic au paragraphe 227, qu'il nous faut

 12   citer :

 13   "L'indépendance du Détachement El Moudjahidine du 3e Corps, par

 14   opposition à sa subordination, est de surcroît confirmée dans d'autres

 15   circonstances. Le 3e Corps devait être engagé dans des négociations pour la

 16   remise en liberté des otages avec quelques membres du détachement tout en

 17   exerçant des pressions sur eux, avec l'appui de certaines organisations

 18   internationales ainsi que certains religieux musulmans et des Musulmans de

 19   Bosnie naturalisés. Si les membres du Détachement El Moudjahidine avaient

 20   été subordonnés au 3e Corps, il n'y aurait pas eu de négociations et de

 21   pressions externes. Les ordres du 3e Corps au fin de relâcher les otages

 22   auraient été obéis. D'autres circonstances montrent que l'indépendance du

 23   Détachement El Moudjahidine par rapport au 3e Corps se trouve confirmée. La

 24   constatation de la Chambre de première instance indique que le seul moyen

 25   disponible au 3e Corps pour obtenir la libération de ces otages était

 26   d'utiliser la force contre le Détachement El Moudjahidine."

 27   Donc, il est logique que si l'on exerce le contrôle sur un détachement, si

 28   l'on fait intervenir un organe extérieur, que cela signifie que l'on

Page 36

  1   n'exerce pas le contrôle.

  2   Et ceci est encore plus clair lorsqu'on exerce le contrôle en

  3   attaquant les auteurs, cela signifie, bien évidemment, que l'on n'exerce

  4   pas le contrôle, sinon une armée défie l'ennemi au cours de la bataille

  5   serait censée à exercer le contrôle effectif sur l'ennemi. Ce qui est tout

  6   à fait absurde.

  7   Ce qui n'a rien à voir avec le fait de demander à Delic de faire la

  8   guerre contre le détachement tout en combattant les Serbes et les Croates.

  9   Le droit ne peut pas, de façon sérieuse, exiger de Delic qu'il ouvre la

 10   guerre sur trois fronts : la VRS, le HVO et le détachement.

 11   Néanmoins, les éléments de preuve montrent ce que c'est tout ce qu'il

 12   pouvait faire pour essayer de contrôler les combattants du détachement et

 13   de les contrôler.

 14   C'est de cette façon que la majorité a abordé cette question qui n'a

 15   pas du tout été étayée par les éléments de preuve et qui vont à l'encontre

 16   du sens commun, paragraphe 468, lorsqu'ils disent :

 17   "Plusieurs témoins ont dit dans leur témoignage que, d'après eux, rien ne

 18   pouvait être fait pour discipliner le détachement, étant donné que des

 19   mesures de coercition existaient qui auraient entraîné, à ce moment-là, un

 20   conflit violent avec le détachement en question." Mais cette position-là

 21   n'est absolument pas étayée par les faits présentés devant la Chambre de

 22   première instance.

 23   Et ensuite, comment peut-on s'attendre à ce que les faits soient

 24   cités sur une question aussi importante ? Il n'y a rien du tout. Il n'y a

 25   aucune note en bas de page qui indique cela, aucun fait n'est cité. Il

 26   s'agit simplement d'une affirmation.

 27   Ensuite, un passage critique sur les conclusions des Juges Lattanzi

 28   et Harhoff --

Page 37

  1   Mme LE JUGE VAZ : Excusez-moi, une minute. Il y a un problème avec

  2   les interprètes parce que nous n'avons plus l'interprétation en français.

  3   Vous pouvez poursuivre.

  4   M. JONES : [interprétation] Donc, un des passages les plus importants, les

  5   conclusions, et je cite :

  6   "Plutôt que de dire que rien ne pouvait être fait pour s'opposer à un

  7   comportement non discipliné des membres du détachement, les Juges à la

  8   majorité ont constaté que rien n'a été fait ou on n'a rien tenté de faire,

  9   en particulier en rapport avec les violations alléguées du droit

 10   international humanitaire pendant la détention de soldats ennemis et de

 11   civils par le détachement. A l'avis de la majorité, ce manquement à prendre

 12   des mesures pour assumer le contrôle sur les détenus constituait un

 13   manquement à l'obligation de prendre les mesures nécessaires et

 14   raisonnables pour empêcher et punir les crimes en question."

 15   Donc, il y a au moins trois éléments qui sont erronés par rapport à cette

 16   conclusion tout à fait essentielle. Tout d'abord, les conclusions doivent

 17   être fondées sur les éléments de preuve, et néanmoins les Juges à la

 18   majorité rejettent tout simplement un point de vue raisonnable, à savoir

 19   que rien ne pouvait être fait pour contrôler le détachement si ce n'est de

 20   les attaquer. C'est donc la position adoptée par la Chambre d'appel dans

 21   l'affaire Hadzihasanovic et c'est la position adoptée par le Juge Moloto

 22   dans cette affaire, et simplement écarter cela en indiquant que c'était

 23   leur position sur la question.

 24   Deuxièmement, le seul raisonnement fourni à l'appui de cela, la note en bas

 25   de page 1 200, qui semble critiquer les officiers de l'ABiH, parce qu'ils

 26   n'ont pas essayé ou n'ont pas essayé davantage lorsque le détachement ne

 27   leur a pas permis d'accéder aux détenus serbes, ceci n'a rien à voir avec

 28   le fait que Delic exerçait un contrôle effectif sur le détachement. En

Page 38

  1   fait, ceci est sans suite. Et je crois qu'il faut poser la question sur ce

  2   point, à savoir s'il avait essayé avec plus d'acharnement, ceci aurait été

  3   différent. Même si les officiers de l'ABiH avaient essayé davantage, il eut

  4   été impossible d'accéder aux détenus. Et donc, il n'y a pas de contrôle

  5   effectif. Les Juges à la majorité estiment que cette possibilité existe.

  6   De toute façon, les officiers ont, dans leurs rapports, signalé cette

  7   question en l'espace de quatre semaines et ont indiqué que les détenus

  8   n'étaient plus entre les mains du détachement.

  9   Donc, les Juges à la majorité établissent une confusion essentielle

 10   sur le troisième élément concernant leur responsabilité de commandement, à

 11   savoir le manquement à prendre des mesures raisonnables, et je cite :

 12   "A l'avis des Juges de la majorité, le manquement à prendre des

 13   mesures pour assumer les contrôles des détenus constitue un manquement à

 14   prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir et empêcher

 15   les crimes."

 16   Et donc, ceci n'a rien à voir avec le contrôle effectif, cette

 17   conclusion.

 18   Sauf votre respect, nous avançons que les conclusions des Juges Harhoff et

 19   Lattanzi sont essentiellement confuses, entachées d'erreurs et

 20   indéfendables.

 21   Pour finir, pour ce qui est de la première question, nous souhaitions

 22   attirer votre attention sur le fait que la Chambre d'appel estime que "la

 23   responsabilité pénale n'est pas quelque chose que l'on peut reprocher à un

 24   représentant officiel de l'armée simplement parce qu'il exerce un

 25   commandement généralisé." Arrêt Halilovic, paragraphe 214.

 26   Je passe maintenant à la deuxième question des Juges de la Chambre d'appel,

 27   à savoir si les Juges de la Chambre ont commis une erreur en estimant que -

 28   -

Page 39

  1   Mme LE JUGE VAZ : Oui, je voudrais juste vous rappeler qu'il vous reste

  2   environ dix minutes pour répondre aux questions.

  3   M. JONES : [interprétation] Je crois que j'ai une heure et 15 minutes. J'ai

  4   commencé à 10, donc je crois que je devrais pouvoir aller jusqu'à 11 heures

  5   15. Mais il se peut que je me trompe.

  6   La question est de savoir si les Juges de la Chambre ont commis une erreur

  7   en ne tenant pas compte d'une ou deux marques de contrôle effectif abordées

  8   par les Juges de première instance, à savoir si c'était incompatible avec

  9   le concept de contrôle effectif. D'après nous, la marque identifiée au

 10   paragraphe 368, VI --

 11   [La Chambre d'appel et le Juriste se concertent]

 12   M. JONES : [interprétation] Peut-être qu'il est important de faire une

 13   pause pour les bandes ou pour les interprètes. Je vais poursuivre jusqu'à

 14   ce que vous me demandiez de m'arrêter.

 15   La marque qui est identifiée au paragraphe 368, VI, et évoquée aux

 16   paragraphes 416 à 422 du jugement, l'assistance mutuelle entre l'ABiH et le

 17   Détachement El Moudjahid, est incompatible avec le concept de contrôle

 18   efficace. L'assistance, la coopération, voire même la coordination qui

 19   existait entre les forces armées alliées, n'est manifestement pas la même

 20   chose que la direction et le commandement, ce qui est en fait un fil rouge

 21   que l'on retrouve dans toute la jurisprudence du Tribunal. Par exemple,

 22   l'arrêt Hadzihasanovic au paragraphe 214, je cite :

 23   "Bien que les constatations des Juges de la Chambre indiquent que le 3e

 24   Corps coopéraient avec le Détachement El Moudjahid, ceci ne se suffit pas

 25   pour permettre d'établir l'existence d'un contrôle effectif."

 26   Effectivement, la Chambre, dans cette affaire, elle-même a clairement

 27   envisagé le fait que les forces peuvent se battre ensemble sans que l'une

 28   ou l'autre ne soit placée sous le contrôle de l'autre. Au paragraphe 345,

Page 40

  1   je cite :

  2   "Il n'est pas peu plausible que l'engagement au combat peut se dérouler sur

  3   la base de consultations et accord mutuel entre deux forces combattantes

  4   par opposition à des ordres qui sont donnés de l'un à l'autre."

  5   Au paragraphe 350 également, où on parle de la relation entre les

  6   Moudjahidines et l'ABiH, "il est défini de façon adéquate comme coopération

  7   entre ces groupes distincts et indépendants, entités militaires distinctes

  8   et indépendantes plutôt qu'une subordination des Moudjahidines à

  9   l'intérieur d'une seule et même structure militaire."

 10   Sur cette base-là, Delic a été déclaré non coupable par rapport aux crimes

 11   commis à Maline et Bikose en juin 1993. Les Juges à la majorité auraient dû

 12   appliquer ce même principe aux rapports entre l'ABiH et le détachement en

 13   1995, mais les Juges de la Chambre ne l'ont pas fait. Ces conclusions

 14   parlent de consensus, de consultations, de coopération, de demandes qui

 15   sont adressées par l'ABiH au détachement. Les questions portent sur

 16   l'autorisation de parler au commandant ou d'avoir accès au camp. On ne

 17   parle pas de commandement. Le commandant du 3e Corps, je cite, "ne fait que

 18   des recommandations au détachement," au paragraphe 395 du jugement, n'a pas

 19   donné d'ordres. L'officier chargé de la sécurité de la 35e Division

 20   recherchait l'approbation du détachement pour interviewer les soldats. On

 21   n'a pas besoin d'autorisation dans des cas comme celui-ci, au paragraphe

 22   408.

 23   Le marqueur sur les rapports entre le détachement et les autorités à

 24   l'extérieur de l'ABiH, tel que c'est interprété, est incompatible avec la

 25   notion de contrôle effectif. Les Juges à la majorité ont traité de ce

 26   problème de façon très superficielle. Au paragraphe 464, il est déclaré, je

 27   cite :

 28   "Il est vrai que le détachement communiquait avec les institutions

Page 41

  1   étrangères à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine; au vu des Juges de la

  2   majorité, l'objectif de ces communications était de promouvoir sa cause et

  3   d'attirer le soutien financier. Ainsi, ceci n'a pas une incidence sur la

  4   chaîne de commandement et le contrôle effectif exercé par Rasim Delic sur

  5   le détachement et de ses membres."

  6   "Ainsi," ce terme dans cette phrase est particulièrement mal placé. La

  7   conclusion ne peut pas découler de cette prémisse, et encore une fois,

  8   c'est sans suite. Le détachement communiquait avec des organes étrangers

  9   afin d'obtenir un financement. Il était financé par ces autorités, ergo,

 10   d'après les Juges à la majorité, et ceci n'avait aucune incidence sur le

 11   contrôle effectif de Delic. Donc, ceci n'a aucun sens. C'est un exemple

 12   classique de la façon dont les conclusions des Juges à la majorité ont peu

 13   ou rien à voir avec les constatations effectuées. 

 14   Enfin, abordant la troisième question posée par la Chambre d'appel, qui

 15   revient à demander si la Chambre de première instance s'est trompée

 16   lorsqu'elle a conclu à l'existence d'un contrôle effectif de Delic dans

 17   cette période de juillet à décembre 1995. Bien sûr que notre réponse sera

 18   négative. C'est l'essentiel, c'est la quintessence même de notre premier

 19   moyen d'appel. Inutile, dès lors, de répéter les arguments déjà présentés.

 20   Mais dans le peu de temps qu'il me reste, il serait peut-être utile de

 21   jeter les bases de certains problèmes au niveau des concepts développés par

 22   les conclusions de la majorité des Juges. Voyons d'abord le concept même de

 23   l'application d'ordres.

 24   Pour ce qui est du pouvoir de donner des ordres et veiller à ce qu'ils

 25   soient exécutés, à titre préliminaire, je vous rappelle les conclusions de

 26   la Chambre de première instance avec les références aux paragraphes. Le

 27   détachement et ses membres n'ont pas, de façon fiable, exécuté tous les

 28   ordres donnés par l'ABiH, paragraphe 371. Le détachement a refusé de rendre

Page 42

  1   un char capturé en août 1995, paragraphe 372. Le détachement a refusé

  2   d'obéir à un ordre de l'ABiH, qui était d'établir une liste de tous les

  3   membres pour savoir qui faisait partie de ce détachement; a refusé d'obéir

  4   à un ordre de l'ABiH en octobre 1995, qui était de déclarer qu'ils avaient

  5   rejoint les unités de façon volontaire. C'est important parce que sinon, il

  6   était impossible de rejoindre, en vertu du règlement de l'ABiH, cette

  7   armée, vous le verrez au paragraphe 113 du jugement. Ces hommes ont refusé

  8   d'exécuter le décret du ministère de l'ABiH, ministère de la Défense, qui

  9   était de s'inscrire auprès des secrétaires de défense municipale,

 10   paragraphe 373. Ils ont établi le camp de Kamenica où cela leur plaisait

 11   plutôt qu'à l'endroit indiqué par un ordre, et le commandant de la 35e

 12   Division ne pouvait même pas menacer le détachement, les forcer à répondre

 13   à des ordres. Lorsque ces hommes désobéissaient, il ne pouvait, lui, le

 14   commandant, qu'"inviter" ces gens à une réunion en disant : "Si Dieu le

 15   veut, tout ira bien."

 16   Au combat, le détachement lui-même disait, et la Chambre ne le

 17   conteste pas, "l'ABiH ne peut pas nous donner l'ordre d'actions de combat

 18   contre notre volonté." Paragraphe 381. De façon régulière, ordinaire, le

 19   détachement déclinait "d'obéir à des ordres de combat de l'ABiH."

 20   Paragraphe 838 [comme interprété]. Un ancien membre de l'EMD, témoin à

 21   charge, l'a dit. Il a dit que c'était bien résumer la situation que de dire

 22   que le commandant de l'ABiH "donnait des ordres, mais à l'inverse d'autres

 23   unités, vous, vous n'acceptiez pas ces ordres. Vous décidiez de vous-mêmes

 24   si vous alliez les exécuter ou pas." Paragraphe 384. Ça avait été accepté

 25   par le témoin. Même si le détachement acceptait de participer à des

 26   combats, une fois sur le terrain, les commandants du détachement "prenaient

 27   leurs propres décisions," paragraphe 382. Ceci étant, le commandant de la

 28   35e Division n'avait même pas d'influence sur le détachement, ne pouvait

Page 43

  1   pas influer, et encore moins, être à même d'exercer un contrôle effectif.

  2   L'instance suprême en matière de décision, ce n'était pas le commandant de

  3   l'ABiH, mais la shura, et d'ailleurs la désobéissance de ce détachement

  4   serait comique si elle n'était pas tragique. Par exemple, une excuse

  5   manifestement absurde de refuser à combattre c'est que parce que "les

  6   feuilles tombaient," ce qui semble être une blague, et parce qu'il faisait

  7   une pseudo attaque qui avait uniquement pour objectif de tromper l'ABiH. Et

  8   ceci n'est pas surprenant d'apprendre, à ce moment-là, qu'il existait "une

  9   grande méfiance à l'égard de ce détachement au sein de l'armée."

 10   Paragraphes 389 et 443. Ils ont souvent, les membres du détachement,

 11   abandonné la ligne de front sans raison.

 12   La méfiance de l'armée à l'égard de ce détachement était telle que l'armée

 13   ne pouvait même pas penser que l'unité n'allait pas " sacrifier ses propres

 14   soldats chrétiens," paragraphe 434. Parce qu'il était inquiet pour leur

 15   sécurité, celle des soldats croates et serbes de l'ABiH, le commandement du

 16   bataillon a décidé de ne pas envoyer de soldats non musulmans sur la ligne

 17   de front. Alors, imaginez-vous, grand Dieu, que ceci soit compatible avec

 18   l'idée d'un contrôle effectif de l'armée sur le détachement quand la seule

 19   façon d'empêcher que le détachement n'égorge ou ne sacrifie ses propres

 20   soldats, c'était en ne les envoyant pas sur la ligne de front. Pourtant, la

 21   majorité des Juges concluent que "la [imperceptible] bizarre, parce qu'on

 22   dit :

 23   "La démarche réticente de la part du détachement à l'égard de

 24   certains ordres donnés par leur supérieur ne sème pas un doute raisonnable

 25   quant à la capacité générale qu'ont ces commandants de l'ABiH de veiller à

 26   l'exécution des ordres qu'ils donnent."

 27   Je dis effectivement "réticent," c'est un mot bizarre, parce que ça

 28   ne dit pas grand-chose, alors qu'ici on parle du fait que le détachement a

Page 44

  1   bravé les ordres donnés, y a désobéi. Mais la couche qui soutient ce

  2   libellé est encore plus révélatrice, parce qu'il y a une erreur

  3   fondamentale au niveau du concept.

  4   Une chose est claire, les unités subordonnées qui se trouvent sous le

  5   contrôle effectif, elles n'ont pas tout simplement la décision de ne pas

  6   participer à des opérations de combat tout simplement, par exemple, parce

  7   que les feuilles sont en train de tomber. C'est tout à fait incompatible

  8   avec la réalité militaire. Un niveau du concept, un ordre, on y obéit ou on

  9   décide de ne pas y obéir parce qu'on n'en a pas envie, comme ça, par

 10   caprice. A ce moment-là, ce n'est plus du tout un ordre. Si l'Accusation

 11   dit qu'ils ont obéi à des ordres, mais non, ce n'est plus un ordre si on

 12   décide à sa guise d'y obéir ou pas. Un ordre et obéir à un ordre, c'est y

 13   obéir, qu'on aime ou pas, qu'on vous envoie à la mort ou pas. Lorsqu'on n'a

 14   pas le choix, il faut le faire même si on va mourir.

 15   Donc, ça, c'est le cas, le test fondamental, quintessenciel. Si on obéit à

 16   un ordre, on obéit à un ordre si on l'exécute, qu'on l'aime ou pas. Alors,

 17   est-ce qu'effectivement, le détachement "s'est conformé à des ordres,"

 18   c'est le libellé que retient la Chambre, on ne peut pas dire que ceci, ça

 19   veut dire qu'on obéit à des ordres. Après tout, quelquefois, il est

 20   l'objectif, ces hommes étaient là pour combattre en Bosnie. Donc, bien sûr

 21   qu'à un moment donné ils ont combattu.

 22   Donc, le cœur du problème, c'est que si ces hommes ne voulaient pas

 23   exécuter des ordres, ils ne le faisaient pas. C'est incontestable que ça a

 24   été leur modus operandi. Par conséquent, ils n'ont jamais obéi à des

 25   ordres, même si quelquefois, ils se sont trouvés au côté de l'ABiH pour des

 26   raisons tactiques.

 27   Je cite aussi : "La participation du détachement et l'engagement de celui-

 28   ci au conflit armé contre la VRS est au cœur même de la décision de savoir

Page 45

 1  

 2  

 3  

 4  

 5  

 6  

 7  

 8  

 9  

10  

11   Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

12   versions anglaise et française

13  

14  

15  

16  

17  

18  

19  

20   

21  

22  

23  

24  

25  

26  

27  

28  

Page 46

  1   si Rasim Delic exerçait un commandement et un contrôle effectif."

  2   Paragraphe 416. Alors, je vous le demande : pourquoi est-ce que la

  3   participation de ce détachement à cette question-là est au centre même de

  4   la décision ? Ce n'était pas le procès de crimes de guerre commis par ce

  5   détachement sur le champ de bataille. C'était un procès contre le

  6   traitement réservé à des détenus. Par conséquent, ce qui est au cœur même

  7   de cette décision à prendre en fin de procès, c'était de savoir s'il a pu

  8   voir ces prisonniers, ce qu'on en a fait. Alors, les Juges ont dit : On va

  9   retenir ce qui est le plus commode pour déterminer qu'il y a contrôle

 10   effectif, et c'est bien ce qu'ils ont fait.

 11   Pour ce qui est des prisonniers, c'est clair, il n'y a pas eu contrôle

 12   effectif. Pour ce qui est de la capture par le détachement de soldats de la

 13   VRS et du fait que ces soldats ont été détenus au camp Kamenica dans le

 14   cadre de l'opération Proljece II, la Chambre a conclu que "le détachement

 15   ne s'était pas conformé aux obligations déterminées par le commandant de la

 16   35e Division en ce qui concerne le traitement des prisonniers." En d'autres

 17   termes, le détachement a capturé des soldats qui font l'objet même de

 18   l'acte d'accusation en violation flagrante des ordres de l'ABiH. Pourtant,

 19   en septembre 1995, la Chambre conclut que le détachement a détenu ces

 20   soldats au "mépris," j'insiste là-dessus, de l'ordre de combat donné qui

 21   disait qu'il fallait remettre les prisonniers de guerre à la police

 22   militaire. La Chambre a conclu que la police militaire a dû "agir de façon

 23   consensuelle parce que les deux unités n'étaient pas en rapport

 24   hiérarchique entre elles," paragraphe 405.

 25   Le détachement a refusé l'accès au camp à des unités d'armée, surtout pour

 26   ce qui est d'interrogatoires de soldats capturés aux mains du détachement

 27   ou pour mener des enquêtes pénales, paragraphe 406. Le service de sécurité

 28   le dit lui-même : "Tous les hommes capturés sur le contrôle du détachement

Page 47

  1   qui n'autorise personne à les voir." C'est important, c'est capital, ils

  2   n'autorisaient personne à les voir. Dans les paragraphes 276 et 280 [comme

  3   interprété]. C'est précisément parce que l'ABiH ne pouvait pas voir ces

  4   détenus que ça allait même jusqu'au point qu'on empêchait à des officiers

  5   de sécurité d'aller les voir, qui disaient qu'"il n'y avait pas de

  6   détenus," paragraphe 410, ce qui montre que l'armée ne pouvait pas trouver

  7   et mener d'enquêtes sur des crimes commis par le détachement sur des

  8   détenus. C'est l'absence d'accès qui montre qu'il y a absence de contrôle

  9   effectif dans un domaine-clé. La Chambre, dans sa majorité, a commis une

 10   erreur grave en droit lorsqu'elle n'a pas tiré les conclusions qui

 11   s'imposaient de ce déni de justice.

 12   Je vous remercie. J'ai terminé, à moins que vous n'ayez des questions pour

 13   moi.

 14   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous vous remercions, Monsieur Jones. Pas

 15   de questions de la part des Juges pour le moment. Nous allons donc observer

 16   la pause de 30 minutes. Nous reprendrons, disons, à 11 heures 45.

 17   L'audience est suspendue. Merci.

 18   --- L'audience est suspendue à 11 heures 12.

 19   --- L'audience est reprise à 11 heures 48.

 20   Mme LE JUGE VAZ : L'audience est en reprise. Je me tourne vers mes

 21   collègues pour savoir s'il y a des questions à poser à M. Jones. Pas de

 22   questions. Très bien. Je vous remercie.

 23   Il y a une question du Juge Guney. Monsieur le Juge, vous avez la

 24   parole pour la question.

 25   M. LE JUGE GUNEY : Au cours de votre soumission ce matin, vous avez

 26   développé amplement sur la question-clé qui se pose dans cette affaire et

 27   qui est : est-ce que Rasim Delic exerçait-il un contrôle effectif sur l'EMD

 28   ? Cette question est intimement liée avec la question, notre question, qui

Page 48

  1   est l'information qui était mise en cause -- M. Delic était mis en cause

  2   sur la base de l'article 7(3) du Statut pour les crimes commis par l'EMD.

  3   Vous avez touché très peu cette deuxième question. Je voudrais savoir quel

  4   rôle a été joué, l'information de laquelle il était informé -- il était

  5   informé sur la base de l'article 7(3) pour les crimes commis par l'EMD,

  6   donc son pouvoir de la force élevée qu'il occupait dans la hiérarchie de

  7   l'ABiH, à laquelle l'EMD était subordonné. Donc, le lien, et surtout le

  8   rôle qu'il a joué sur l'autorité ou le contrôle effectif de M. Delic.

  9   Merci.

 10   M. JONES : [interprétation] Dans la mesure où la question concerne le

 11   contrôle effectif, je pense avoir couvert les principes les plus

 12   importants. Le fait que Delic ait occupé une position très élevée au sein

 13   de l'ABiH, et bien entendu, tout sauf un fondement permettant de dire qu'il

 14   exerçait un contrôle effectif, c'est pourquoi je me suis référé à l'arrêt

 15   en appel dans l'affaire Halilovic. Il serait un peu exagéré de dire qu'il

 16   était au sommet de la hiérarchie et que pour cette raison, il exerçait un

 17   contrôle effectif.

 18   Votre question, Monsieur le Juge, semble partir de l'hypothèse que le

 19   détachement était subordonné à l'ABiH, mais c'est un point que nous avons

 20   souhaité remettre en question du point de vue du contrôle effectif. Notre

 21   point de vue était justement que le détachement n'était pas sous le

 22   contrôle effectif de l'ABiH. Je ne suis pas tout à fait certain d'avoir

 23   répondu en totalité à votre question. Je pense que nous sommes entrés dans

 24   suffisamment de détails dans nos écritures et dans notre présentation

 25   jusqu'à présent concernant la question de l'autorité de jure et le contrôle

 26   de jure.

 27   L'INTERPRÈTE : Monsieur le Juge, vous êtes hors micro.

 28   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro] 

Page 49

  1   Mme LE JUGE VAZ : S'il vous plaît, si vous voulez bien utiliser le micro,

  2   Monsieur le Juge.

  3   M. LE JUGE GUNEY : Excusez-moi. Est-ce que M. Delic était informé s'il

  4   était mis en cause sur la base de l'article 7(3) du Statut pour les crimes

  5   commis par l'EMD, et quel rôle a été joué sur une telle information sur le

  6   poids de la place élevée qu'il occupait dans la hiérarchie de l'ABiH ?

  7   M. JONES : [interprétation] Il me semble qu'il y a une difficulté technique

  8   au compte rendu d'audience pour ce qui est de votre question, Monsieur le

  9   Juge.

 10   M. JONES : [interprétation] Alors, la première question, je crois, était

 11   celle portant sur la question donc de savoir si M. Delic avait été informé

 12   de sa mise en accusation au terme de l'article 7(3) du Statut. Je suppose

 13   que vous demandez s'il en avait été informé par nous, alors bien entendu

 14   qu'il était au courant d'avoir été mis en accusation au terme de l'article

 15   7(3).

 16   Quant à la question de savoir si M. Delic avait été informé de crimes

 17   allégués eu égard à la haute position qui avait été la sienne, je ne suis

 18   pas sûr que cela ait été abordé dans notre présentation ou ni même de la

 19   nature des constatations de la Chambre à ce sujet ni d'ailleurs des

 20   arguments de l'Accusation. Il est très difficile de répondre in extracto à

 21   une telle question. Cette dernière a trait également au troisième élément

 22   de la responsabilité de commandement, à savoir prendre les mesures

 23   nécessaires et raisonnables. Je pense m'être assez étendu sur ce sujet dans

 24   notre mémoire en appel et je voudrais simplement m'appuyer une nouvelle

 25   fois sur ces arguments et renvoyer la Chambre à ce mémoire. Il serait

 26   impossible maintenant pour moi de revenir en détail sur les mesures qui ont

 27   été prises par Delic, cela reviendrait à se repencher à nouveau sur le fond

 28   en espèce.

Page 50

  1   Excusez-moi si j'ai peut-être mal compris, notre position est qu'il n'y a

  2   eu aucune information de reçue concernant des crimes spécifiques pour ce

  3   qui est de M. Delic, et cela est également indiqué de façon claire dans

  4   notre mémoire d'appel.

  5   M. LE JUGE GUNEY : Merci, Monsieur Jones.

  6   Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Nous remercions M. Jones.

  7   A présent, je vais donner la parole à M. le Procureur pour ses arguments en

  8   réponse le texte est arrivé à la fin aux moyens d'appel avancés par M.

  9   Delic.

 10   Vous avez 50 minutes pour cela.

 11   M. SCHNEIDER : [interprétation] Merci, Madame et Messieurs les Juges.

 12   Bonjour à toutes les personnes présentes dans le prétoire. Je suis M. Todd

 13   Schneider pour l'Accusation. Je vais me pencher sur la question de savoir

 14   si M. Delic exerçait un contrôle effectif dans ma présentation

 15   d'aujourd'hui. Et je suis tout à fait disposé, évidemment, à répondre à

 16   toute question portant sur la question de savoir si M. Delic avait ou non

 17   des raisons d'être au courant du crime de traitement cruel et s'il a échoué

 18   ou non à prendre une mesure nécessaire et raisonnable relativement à ce

 19   crime.

 20   Mesdames et Messieurs les Juges, la Chambre de première instance a eu

 21   raison de constater que le général Delic exerçait un contrôle effectif sur

 22   le détachement en juillet, août 1995, lorsque des membres de cette dernière

 23   unité ont commis le crime de traitement cruel en passant en tabac et en

 24   terrorisant un groupe d'une douzaine de prisonniers serbes de Bosnie

 25   pendant un mois. Le contrôle effectif est un problème qui concerne la

 26   présentation des éléments de preuve. Dans ce cadre, la Défense doit pouvoir

 27   démontrer devant la Chambre que cette dernière -- qu'aucun juge du fait

 28   raisonnable n'aurait pu parvenir à cette conclusion. Or, cela n'était pas

Page 51

  1   le cas.

  2   Je voudrais simplement signaler que je vais revenir sur ce point

  3   ultérieurement.

  4   Alors, avant d'en revenir sur la chronologie, je voudrais commencer

  5   par répondre aux trois questions soulevées par les Juges de la Chambre. La

  6   première nous invitait à fournir des détails sur les indicateurs du

  7   contrôle effectif, par rapport à la jurisprudence du Tribunal, à savoir

  8   quels sont les facteurs pertinents dans la détermination du contrôle

  9   effectif exercé ou non pas le supérieur hiérarchique. Alors, la Chambre de

 10   première instance a identifié avec exactitude les marqueurs pertinents du

 11   contrôle effectif en l'espèce aux paragraphes 62, 367 et 369 [comme

 12   interprété] du jugement. Aujourd'hui, je vais me concentrer de façon plus

 13   détaillée sur la capacité matérielle du général Delic, telle qu'elle a été

 14   prouvée, capacité matérielle de prévenir et de punir les crimes commis par

 15   les membres du détachement, ce qui correspond à la définition même du

 16   contrôle effectif. Je vais maintenant me pencher sur un indicateur

 17   particulier, la capacité à émettre des ordres qui sont ensuite exécutés.

 18   Bien sûr, je serais tout à fait disposé à me pencher sur tout autre

 19   indicateur du contrôle effectif que vous souhaiteriez voir abordé.

 20   La seconde question était celle de savoir si les indicateurs ou les

 21   marqueurs du contrôle effectif, tels qu'ils apparaissent dans le jugement,

 22   sont ou non compatibles avec la notion même de contrôle effectif. La

 23   réponse est non. Aucun des marqueurs envisagés n'est incompatible avec

 24   cette notion pour deux raisons. Premièrement, c'est un examen au cas par

 25   cas se fondant sur l'ensemble des éléments de preuve qui permettent de

 26   déterminer les marqueurs en question. Cela ressort de l'arrêt en appel

 27   Strugar, paragraphe 254.

 28   Deuxièmement, même des cas individuels de non-conformité ne suffisent pas à

Page 52

  1   démontrer un contrôle insuffisant lorsque d'autres éléments de preuve

  2   montrent clairement que le commandant a la possibilité d'exercer un

  3   contrôle effectif lorsqu'il souhaite le faire. Donc, la norme applicable

  4   est celle du contrôle effectif, et non pas de l'obéissance absolue. Bien

  5   entendu, il y a encore une référence à l'arrêt en appel Strugar.

  6   Cette affaire a été citée à plusieurs reprises par la Défense,

  7   précédemment. Cependant, la Défense a omis de relever un aspect important

  8   de cet arrêt. Dans l'arrêt Strugar, la Chambre d'appel est parvenue à une

  9   constatation qui est la suivante. Le général Strugar exerçait un contrôle

 10   effectif sur ses troupes lorsque ces dernières ont procédé au pilonnage de

 11   la vieille ville de Dubrovnik en décembre 1991, bien que ces mêmes troupes

 12   n'aient pas exécuté les ordres précédents demandant de procéder à ce même

 13   type de pilonnage. L'arrêt en appel Strugar, dans ses paragraphes numéro

 14   257 et 305, confirme cela. Ces mêmes troupes ont commis différents crimes

 15   d'octobre à décembre 1991, et c'est le paragraphe 257 de l'arrêt en appel

 16   Strugar. La Chambre d'appel a relevé que le général Strugar avait choisi de

 17   ne pas réagir suite à ces actes de désobéissance.

 18   Citation : "Là où cela lui convenait, ses ordres étaient exécutés."

 19   Paragraphe 259 de l'arrêt Strugar en appel.

 20   La même chose s'applique dans le cas du général Delic. Il pouvait agir là

 21   dans les cas où cela lui convenait.

 22   Ce qui importe dans le cas Strugar, c'est que pour ce qui est du

 23   manque d'accès aux prisonniers, tel que la Défense l'allègue, cela ne

 24   dispense pas la Défense de démontrer qu'il y avait un manque de contrôle.

 25   Comme dans le cas de l'arrêt Strugar, où on a constaté des cas précédents

 26   de désobéissance, les unités n'avaient pas oublié l'ordre de procéder à un

 27   pilonnage de la vieille ville, et ensuite elles ont obéi, cela ne

 28   préjugeait pas d'une constatation éventuelle de contrôle effectif qui a

Page 53

  1   bien eu lieu, parce qu'en fait, le général Strugar a choisi de ne pas agir.

  2   Donc, lorsqu'on a affaire à des cas de désobéissance concernant des

  3   prisonniers en l'espèce, cela ne préjuge en rien d'une constatation future

  4   de l'exercice d'un contrôle effectif lorsqu'il existe d'autres éléments de

  5   preuve permettant à la Chambre de première instance de parvenir

  6   raisonnablement à la conclusion de l'existence d'un contrôle effectif par

  7   le général Strugar, lorsqu'à d'autres occasions des commandants bosniens

  8   avaient bien pris des mesures.

  9   La troisième question soulevée par la Chambre était celle de savoir si la

 10   Chambre de première instance avait commis une erreur lorsqu'elle a constaté

 11   que le général Delic avait exercé un contrôle effectif sur le détachement

 12   en juillet, août 1995. Cette constatation de la Chambre de première

 13   instance était raisonnable. Le général Delic exerçait bien un contrôle

 14   effectif, et je vais plus en détail sur ce sujet à présent.

 15   Je vais me concentrer sur les deux piliers qui ont fait l'objet de

 16   l'attention de la Chambre de première instance. Premièrement, le

 17   détachement était subordonné à son supérieur, le général Rasim Delic,

 18   pendant deux ans -- avait déjà été subordonné au général Delic pendant deux

 19   ans au moment où ces crimes se sont produits, le crime notamment de

 20   traitement cruel commis en juillet 1995. Deuxièmement, le général Delic

 21   avait la capacité de prévenir et de punir les crimes commis par des membres

 22   de cette unité compte tenu d'un nombre important de fois où d'autres

 23   commandants de l'armée bosniaque avaient pris de telles mesures. De plus,

 24   le détachement n'avait pas exécuté ses ordres, notamment ceux relatifs au

 25   combat. En dépit de certains cas de désobéissance, le général Delic

 26   exerçait malgré tout toujours un contrôle effectif.

 27   Alors, pour revenir au premier point, nous allons commencer avec le général

 28   Delic lui-même qui, comme vous savez, était le commandant de l'état-major

Page 54

  1   du commandement Suprême de l'armée bosniaque, et par là même, l'officier le

  2   plus haut gradé de cette dernière armée, ce que vous retrouverez aux

  3   paragraphes 99 à 101 du jugement. Lorsqu'il a pris son poste en juin 1993,

  4   il a établi son autorité de commandement et de contrôle sur toute l'armée.

  5   Comme la Chambre de première instance l'a constaté, le commandement et le

  6   contrôle, tels qu'ils s'exerçaient, se sont considérablement renforcés

  7   entre 1993 et 1995, paragraphe 460 du jugement en première instance. Alors,

  8   la Défense aujourd'hui a affirmé qu'il n'y avait aucun élément de preuve à

  9   l'appui de cette constatation. Dans notre mémoire en répondre, paragraphes

 10   98 à 109, nous avons avancé les nombreuses constatations et les éléments de

 11   preuve détaillés qui viennent à l'appui de cette constatation, à savoir

 12   l'amélioration du contrôle effectif du commandement et du contrôle exercé

 13   sur l'armée.

 14   A cet égard, je voudrais vous demander de vous reporter à la première

 15   chronologie que j'ai distribuée et qui est intitulée : "Le Détachement El

 16   Moudjahid dans sa subordination au général Delic." Cette chronologie est

 17   fondée sur les constatations figurant dans le jugement. Je vais passer en

 18   revue les différents événements listés dans cette chronologie. Pour une

 19   meilleure référence, j'ai procédé à des divisions telles qu'elles sont donc

 20   présentées.

 21   Alors, cette chronologie nous montre que le détachement a été

 22   subordonné au général Delic pendant une période de plus de deux ans à

 23   partir du début, à partir de la création de cette unité. Nous voyons que le

 24   13 août 1993, le général Delic a autorisé la constitution de cette unité et

 25   sa subordination au 3e Corps. Avant cela, il avait reçu des requêtes au

 26   sein de l'armée bosnienne, requête lui demandant de permettre l'intégration

 27   et l'arrivée de volontaires étrangers, leur intégration au sein des

 28   effectifs au sein des forces armées se trouvant en Bosnie centrale. Les

Page 55

  1   combattants étrangers eux-mêmes avaient fait une requête demandant leur

  2   intégration aux forces armées. Le quartier général a proposé au général

  3   Delic que cela soit bien le cas, ce à quoi il a donné son accord. Il a

  4   autorisé des négociations qui ont conduit à la constitution de cette unité.

  5   Tout cela est abordé dans les paragraphes 172 à 176 du jugement. Ce qui est

  6   important ici, c'est le fait que les commandants de l'armée bosnienne

  7   souhaitaient l'intégration de ces combattants étrangers au sein de l'armée.

  8   Ils souhaitaient pouvoir exercer un commandement sur eux afin d'empêcher

  9   des comportements illégaux afin que les combattants eux-mêmes souhaitent

 10   pouvoir intégrer les forces armées afin de s'assurer de la légalité de

 11   leurs actions, paragraphes 172 à 174.

 12   Une fois que cette unité a été constituée, elle a été resubordonnée à

 13   plusieurs reprises au cours des deux années suivantes. Il était exact que

 14   le détachement n'a pas obéi à tous ces ordres de resubordination, cela

 15   correspond au paragraphe 363 du jugement. Cependant, nous avons relevé dans

 16   cette chronologie les nombreuses occasions auxquelles ces resubordinations

 17   ont bien eu lieu; en septembre 1993, autonome 1994, et ensuite la

 18   répétition également au cours de l'année 1995, en mars, en juin et en

 19   septembre. En tête de toutes ces nombreuses subordinations, nous voyons

 20   l'armée de Bosnie transférer des soldats d'une partie de l'armée à

 21   destination du Détachement El Moudjahid. Nous voyons pour ce qui est du

 22   mois d'octobre 1994 et en août 1995. Nous relevons également dans notre

 23   mémoire en réponse, paragraphe 70, le transfert d'environ 86 soldats à

 24   destination du détachement, un nombre assez important. Il y a aussi une

 25   resubordination dans le cadre du 5e Bataillon de manœuvre, resubordination

 26   au profit du détachement, le 11 septembre 1995. Comme la Chambre de

 27   première instance l'a relevé, ce transfert d'effectifs à destination de

 28   l'unité, cette resubordination de certaines unités au bénéfice du

Page 56

  1   détachement, montre que cette unité figurait bien dans la hiérarchie de

  2   l'armée de Bosnie. Les commandants n'auraient pas renoncé au contrôle

  3   qu'ils exerçaient sur un nombre aussi important de soldats pour les envoyer

  4   rejoindre une entité séparée, paragraphe 467.

  5   Nous voyons également des rapports relatifs au démantèlement d'unité à la

  6   fin de la chronologie. Le 12 décembre 1995, le général Delic ordonne le

  7   démantèlement de l'unité. Quelques jours plus tard, le 3e Corps émet un

  8   ordre sur le même sujet. L'unité est démantelée au 1er janvier 1996, et nous

  9   voyons que l'armée bosnienne organise une cérémonie d'adieu à l'intention

 10   de cette unité à laquelle le général Delic est présent en personne.

 11   Alors, en dehors de ces nombreux événements faisant partie de cette

 12   chronologie, nous avons également toutes les constatations figurant au

 13   jugement montrant que les commandants de l'armée de Bosnie ont émis des

 14   dizaines d'ordres à l'attention de cette unité. Nombreux de ces ordres

 15   figurent en note de bas de page 1 183 du jugement. Ces ordres sont relatifs

 16   au combat, au redéploiement, à l'envoi de rapports et à d'autres sujets.

 17   Alors, nous ne sommes pas en train de suggérer que le détachement s'est

 18   conformé à tous ces ordres; plutôt nous souhaitons nous placer dans le

 19   contexte de la subordination de cette unité. Nous souhaitons souligner

 20   qu'il y avait un très grand nombre d'ordres émis à l'attention de cette

 21   unité et que ce simple fait, le très grand nombre d'ordres émis pendant

 22   cette période de plus de deux ans, montre que le détachement était bien à

 23   l'intérieur de la hiérarchie de l'armée de Bosnie. Il aurait été illogique

 24   pour les commandants de cette dernière d'émettre autant d'ordres à

 25   l'attention d'une unité qui n'aurait pas fait partie de leur propre

 26   structure.

 27   Comme nous l'avons déjà avancé, la première Chambre de première instance a

 28   constaté, de façon tout à fait raisonnable et juste, que le détachement

Page 57

  1   était subordonné au général Delic pendant deux ans, et notamment en juillet

  2   1995.

  3   Mme LE JUGE VAZ : [aucune interprétation]

  4   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Vous conviendrez avec moi que la

  5   question de traitement des prisonniers est essentielle au niveau de cet

  6   appel. Je vous remercie beaucoup si vous pouviez, en présentant vos

  7   arguments, expliquer aux Juges de la Chambre comment le manque des

  8   opérations du détachements eu égard au traitement des prisonniers est

  9   quelque chose qui ait une incidence sur les condamnations qui ont été

 10   prononcées. Je vous remercie.

 11   M. SCHNEIDER : [interprétation] Bien entendu, Madame et Messieurs les

 12   Juges. Je vais commencer en disant que tous les éléments de preuve

 13   disponibles montrent le caractère juste et raisonnable des constatations de

 14   la Chambre de première instance concernant le contrôle effectif et les

 15   domaines dans lesquels s'exerce le contrôle.

 16   Pour ce qui est de la question des prisonniers, il est exact que le

 17   détachement a refusé l'accès aux prisonniers à certaines occasions pour ce

 18   qui est des prisonniers qu'il détenait dans son camp. Mais simultanément,

 19   il faut aussi noter que certains des prisonniers ont été transférés

 20   immédiatement, paragraphe 403 du jugement. Le détachement a également remis

 21   d'autres prisonniers en fin de compte, bien qu'il ne l'ait pas fait à

 22   temps, y compris les prisonniers de juillet 1995, paragraphe 283.

 23   De plus, les membres du détachement ont bien permis un accès à leurs

 24   prisonniers soumis aux crimes de traitement cruel en juillet. Cela s'est

 25   produit presque aussitôt que ces hommes ont été capturés et s'est traduit

 26   par des entretiens de renseignement auxquels il a été procédé avec ces

 27   prisonniers. Leur renseignement était l'objectif même de cette demande

 28   d'accès aux prisonniers. Cela figure aux paragraphes 274, 275, 282 et 549.

Page 58

  1   De plus, la Défense a affirmé aujourd'hui qu'il avait été impossible

  2   d'avoir accès à certains prisonniers, en page 32, cela n'est pas exact si

  3   l'on se remémore les constatations du jugement. En dehors de la question

  4   spécifique des prisonniers, je voudrais également avancer que des soldats

  5   de l'armée de Bosnie et des commandants ont pu entrer à d'autres occasions

  6   au camp, paragraphes 411 et 431. De plus, il y avait de nombreuses réunions

  7   entre des membres du détachement et leurs supérieurs au sein de l'armée de

  8   Bosnie. Nombre de ces réunions sont relevées dans les paragraphes 427 et

  9   433 du jugement. Cela montre que le détachement était bien disponible et

 10   accessible pour ce qui est de la question des prisonniers et ils ne se sont

 11   dissimulés en aucune manière à cet égard. Il était tout à fait possible et

 12   aisé d'entrer en contact avec les prisonniers alors que les demandes qui

 13   ont été formulées ne concernaient que des entretiens aux fins de collecter

 14   des informations de renseignement militaire.

 15   La Chambre de première instance a constaté qu'il y avait eu des

 16   contacts répétés et des communications à plusieurs reprises entre le

 17   détachement et ses supérieurs, ce qui ne remet évidemment en aucun cas en

 18   cause le caractère raisonnable des constatations de cette dernière.

 19   Alors, pour revenir à la question de la subordination en général, non

 20   seulement il était raisonnable pour la Chambre de première instance de

 21   constater cette subordination, mais la Défense n'a pas réussi à montrer que

 22   la Chambre de première instance n'est pas convenue à une constatation, une

 23   conclusion raisonnable en rejetant la théorie de la coopération et du

 24   contrôle externe avancée par la Défense.

 25   Pour ce qui est de la coopération, il ne s'agit pas ici simplement de

 26   coopération ou d'exercer une influence. Comme la Chambre de première

 27   instance l'a relevé, la Défense s'y est également référée, la notion de

 28   coopération suppose des entités distinctes, indépendantes plutôt qu'une

Page 59

  1   structure militaire unique. La coopération suppose un accord mutuel plutôt

  2   que l'exécution d'ordre. Cela figure aux paragraphes 345, 349, 350 du

  3   jugement. La Défense a aujourd'hui soulevé la question de savoir s'il

  4   existait la moindre constatation dans le jugement qui serait incohérente

  5   avec la notion de coopération. Bien entendu qu'il y en a. Lorsque vous

  6   coopérez avec quelqu'un, vous ne procédez à une -- si vous êtes dans un

  7   processus de coordination, vous ne pouvez pas constituer une unité, vous ne

  8   pouvez pas la démanteler, vous ne pouvez pas émettre des dizaines d'ordres

  9   à l'attention de cette unité, vous ne pouvez pas transférer des soldats à

 10   destination de cette unité ni les cantonner dans un quartier général, vous

 11   ne pouvez pas promouvoir des membres de cette unité ni leur accorder des

 12   distinctions, vous ne pouvez pas émettre des passeports à leur attention ni

 13   leur accorder des autorisations de voyage à l'étranger, comme le général

 14   Delic l'a fait personnellement. Paragraphe 422 du jugement. Vous ne pouvez

 15   pas non plus vous livrer de façon répétée à des enquêtes portant sur cette

 16   unité, et j'y reviendrai. Voilà pour ce qui est de la subordination.

 17   Pour ce qui est de la théorie du contrôle avancée par la Défense,

 18   bien entendu que le détachement a reçu une aide financière et logistique de

 19   la part des autorités qui étaient locales, paragraphe 441. Ils ont reçu un

 20   soutien financier et ont communiqué avec des institutions étrangères

 21   privées, paragraphe 442. Cependant, ces actions de soutien ne sont pas des

 22   éléments de preuve à l'appui d'un éventuel contrôle par ces facteurs

 23   étrangers ni des éléments à l'appui d'une éventuelle ingérence ou dans le

 24   contrôle exercé par l'armée de Bosnie sur cette unité, sur le détachement

 25   qui lui était subordonné. La façon dont la Défense se concentre sur la

 26   théorie d'un contrôle exercé par d'autres par des facteurs étrangers fait

 27   tout simplement abstraction du contrôle exercé par le général Delic et les

 28   commandants de l'armée de Bosnie.

Page 60

  1   A cette étape, je voudrais me pencher sur la question de la subordination

  2   au général Delic par rapport à sa capacité matérielle de prévenir et de

  3   punir les crimes, et je voudrais me référer à la seconde chronologie que

  4   j'ai distribuée. Elle est basée sur les constations du jugement. Je

  5   voudrais donc que vous puissiez vous y reporter. Cette chronologie est

  6   pertinente pour ce qui est des événements qui ont trait à la prévention et

  7   à la punition des actes concernés.

  8   Avant de rentrer dans le détail de ce tableau, je voudrais corriger une

  9   affirmation qui a été avancée par la Défense concernant la question de la

 10   capacité de prévenir ou de punir les crimes de guerre. Il n'y a pas de

 11   limitation dans la jurisprudence pour ce qui est de cette capacité de

 12   prévenir ou de punir les crimes commis par les subordonnés. Nous allons en

 13   voir des exemples.

 14   Tout d'abord, pour ce qui concerne la prévention, nous voyons qu'au mois de

 15   décembre 1993, le général Delic lui-même ordonne qu'il soit mis un "terme"

 16   aux agissements de cette unité du Détachement El Moudjahidin et d'une autre

 17   unité. Au printemps 1995, nous voyons le général Delic, une fois encore,

 18   participer personnellement à une autorisation qui est donnée pour lancer

 19   l'opération Vranduk, destinée à mettre un terme aux activités illégales des

 20   membres de l'unité. A peu près à la même l'époque, le 12 avril 1995, le

 21   général Delic prend connaissance d'un rapport faisant état de, je cite,

 22   "activités inacceptables qui sont le fait de membres du e Moudjahidine," et

 23   il émet alors un rapport destiné à l'administration de la sécurité, "une

 24   proposition afin de trouver une solution à cela."

 25   Avançons maintenant au mois de juillet 1995, nous voyons qu'il y a une

 26   enquête par l'administration de la sécurité militaire, enquête portant sur

 27   les menaces proférées par des membres de l'unité, menaces proférées contre

 28   un propriétaire de magasin, et l'administration de la sécurité annonce

Page 61

  1   qu'elle prendra des mesures afin d'empêcher de tels incidents. Pour finir,

  2   en décembre 1995, un membre du Détachement El Moudjahid est admis au sein

  3   des forces armées -- il y a un membre du Détachement El Moudjahid qui

  4   reconnaît que :

  5   "L'armée les a empêchés ce jour de procéder à une attaque contre

  6   Zepce, attaque motivée par le désir de revanche."

  7   A peu près à la même époque, simultanément, nous voyons que pendant ces

  8   deux années, il y a eu des mesures de prises visant à punir, pendant toute

  9   l'année 1995, et cela est encore une fois crucial. Nous voyons qu'il y a eu

 10   des enquêtes qui ont été le fait des organes de la sécurité militaire,

 11   enquêtes portant sur des membres du détachement à de nombreuses reprises :

 12   en janvier pour enlèvement et mauvais traitement; le 23 mars pour torture;

 13   le 26 mai pour profanation de cimetière, de sépultures; en juillet pour

 14   menaces proférées contre un soldat de l'armée de Bosnie. La Défense a

 15   avancé que ces menaces avaient été proférées à de nombreuses occasions --

 16   ce matin, c'est ce que la Défense a avancé, et elle a affirmé que cela

 17   avait résulté en des enquêtes dans cette instance particulière. Pour finir,

 18   en octobre 1995, nous voyons qu'il y a eu une procédure au pénal lancée

 19   contre un membre du Détachement El Moudjahid, et cette fois-ci pour vol.

 20   Tous ces exemples montrent la capacité matérielle du général Delic à

 21   prévenir et à punir les crimes commis par des membres du détachement. La

 22   Défense a tort de suggérer que lorsqu'il s'agit de se pencher sur la

 23   question de savoir si la Chambre de première instance a conclu

 24   raisonnablement à sa capacité de prévenir et de punir les crimes, il

 25   faudrait se concentrer uniquement sur ce que le général Delic a fait et

 26   faire la distinction avec les actes entrepris par ses subordonnés.

 27   Un incident qui ne figure pas dans cette chronologie et qui a été mis en

 28   avant par la Défense ce matin concerne la 35e Division et la demande qui

Page 62

  1   émanait d'elle, une demande d'aide adressée aux autorités locales

  2   concernant des comportements de membres de cette unité. Paragraphe 441 du

  3   jugement. Alors, l'importance de cette requête est qu'encore une fois, les

  4   commandants de l'armée de Bosnie et le général Delic, au besoin, par

  5   l'intermédiaire de leurs subordonnés, auraient pu agir soit de façon

  6   individuelle, soit à plusieurs occasions, comme on le voit dans cette

  7   chronologie, des actions entreprises par la sécurité militaire, afin de

  8   venir en aide -- avec ou sans l'aide des autorités civiles, paragraphe 441,

  9   et également pour ce qui est de l'arrestation des meurtriers présumés de

 10   Paul Goodall. C'est là une des nombreuses options qui étaient disponibles

 11   pour prévenir et punir les crimes commis par cette unité.

 12   Mme LE JUGE VAZ : C'était pour vous demander de ralentir un petit peu,

 13   parce qu'au niveau de l'interprétation, c'est assez difficile. Merci.

 14   M. SCHNEIDER : [interprétation] Pardonnez-moi.

 15   Tous les événements qui ont été décrits dans cette chronologie, les

 16   enquêtes, les arrestations, les poursuites pénales, montrent que la Défense

 17   n'a pas eu raison lorsqu'elle a affirmé ce matin que l'emploi de la force

 18   était la seule option. Il y a d'autres mesures qui étaient à la disposition

 19   du général Delic, surtout en juillet 1995, ceci permet de démontrer qu'il

 20   avait la capacité à empêcher et punir ces crimes. Ces nombreux exemples

 21   montrent que les constatations de la Chambre étaient raisonnables, à savoir

 22   que M. Delic pouvait prévenir ou empêcher les crimes.

 23   Ceci montre, de surcroît, que la Défense s'est trompée lorsqu'elle a

 24   affirmé qu'il était impossible pour le général Delic d'agir. Nous savons

 25   qu'il avait le choix de ne pas agir plutôt qu'une impossibilité qui se

 26   présente à lui, compte tenu du nombre de fois mis en exergue dans cette

 27   chronologie que le général Delic et d'autres commandants de l'ABiH avaient

 28   pris des mesures pour prévenir ou punir les crimes commis du Détachement El

Page 63

  1   Moudjahid. Ceci montre que tout ceci n'est pas vrai, que le Détachement El

  2   Moudjahid avait une tendance à la violence, et il confronte le Détachement

  3   El Moudjahid qui commençait une guerre sur le troisième front. Ceci est

  4   mentionné dans l'opinion dissidente de M. le Juge Moloto, aux paragraphes 8

  5   et 9; la question mentionnée par la Défense au niveau des constations des

  6   Juges de la Chambre, au paragraphe 468, que ces allégations de violence

  7   n'étaient pas crédibles. Le fait que la Chambre de première instance

  8   rejette ces allégations du troisième front et de violence est tout à fait

  9   raisonnable compte tenu des constatations présentées devant la Chambre et

 10   compte tenu du nombre de fois où ceci a été mis en exergue dans la

 11   chronologie où le général Delic et les autres commandants de l'armée de

 12   Bosnie avaient pris des mesures pour empêcher ou punir les crimes sans

 13   qu'il y ait de violence ni de troisième front.

 14   La question qui se pose, c'est : si l'armée de Bosnie pouvait prendre des

 15   mesures de façon générale, pourquoi cette armée n'a-t-elle pas réagi en

 16   juillet et en août 1995 à propos des crimes précis de traitement cruel ? La

 17   réponse est celle de l'opportunisme militaire. Ils ont estimé que c'était

 18   une priorité que le Détachement El Moudjahid se conforme aux ordres de

 19   combat et que c'était plus important que cette conduite irrégulière dans

 20   d'autres endroits. Tout d'abord, à cet égard, nous avons la pièce 583, au

 21   30 août, un rapport de la sécurité militaire. Le jugement cite, à la note

 22   en bas de page 1 159. Ceci a été cité à maintes reprises dans notre mémoire

 23   en réponse, au paragraphe 39. Dans ce contexte, nous parlons, en fait, de

 24   conduite irrégulière répétée de la part des membres du Détachement El

 25   Moudjahid dans les rapports de la sécurité militaire :

 26   "Aucune mesure énergique n'a été prise de sorte que les rapports entre

 27   cette unité et ces derniers  ne sont pas diminués en raison des opérations

 28   de combat qui doivent être menées avec succès dans le meilleur des cas."

Page 64

  1   Le moment est clé dans ce cas. Il est exact de dire qu'après le crime

  2   de traitement cruel, que les crimes de traitement cruel n'aient cessé en

  3   août 1995, et juste avant que l'armée de Bosnie ne lance l'opération Farz

  4   et Uragan, en septembre 1995, au cours duquel le Détachement Moudjahid a

  5   joué un rôle-clé, leur a permis d'assurer le succès de ces objectifs

  6   militaires très importants pour l'armée de Bosnie.

  7   Il est vrai que la pièce 538 [comme interprété] contient également une

  8   allégation assez générale sur le Détachement El Moudjahid, à savoir "qu'il

  9   agissait de façon indépendante et ne respectait pas le système de direction

 10   et de commandement". La Défense a cité ceci dans son mémoire en réponse au

 11   paragraphe 19. Nous avons déjà relevé les mêmes termes utilisés dans la

 12   note en bas de page 114 de notre mémoire en réponse. Ce qui est très

 13   important, c'est que la Chambre de première instance a estimé que cette

 14   allégation générale devait être perçue avec un certain scepticisme et n'a

 15   pas, de façon raisonnable, avancée tous les éléments précis portant sur le

 16   contrôle et sa capacité à empêcher et punir les crimes déjà débattu. Le

 17   fait que, dans ce même rapport sur la même page, la sécurité militaire dit

 18   à propos du Détachement El Moudjahid "qu'ils avaient terminé et rempli

 19   toutes les missions militaires qui leur avait été confiées". Nous ne les

 20   contrôlons pas, mais ils font tout ce que nous leur demandons de faire.

 21   Ceci n'a aucun sens.

 22   A cet égard également, la pièce 938, une pièce que la Défense a évoquée

 23   dans ses arguments aujourd'hui. Le 5 juillet 1995, rapport de la sécurité

 24   militaire porte sur l'enquête dont les menaces proférées par le Détachement

 25   El Moudjahid contre un soldat de l'armée de Bosnie qui a été débattu

 26   longtemps par la Défense, et je remarque que ceci figure également dans

 27   notre chronologie. La pièce qui porte le numéro 1162 du jugement. Le

 28   rapport montre que la sécurité militaire a rencontré les soldats qui

Page 65

 1  

 2  

 3  

 4  

 5  

 6  

 7  

 8  

 9  

10  

11   Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

12   versions anglaise et française

13  

14  

15  

16  

17  

18  

19  

20  

21  

22  

23  

24  

25  

26  

27  

28  

Page 66

  1   faisaient l'objet de menace, "les a consolés en leur disant qu'ils

  2   pouvaient tout faire et que l'unité ci-dessus mentionnée," le détachement,

  3   "ferait tout ce qu'on leur demanderait de faire afin d'exécuter les

  4   missions qui avaient été prévues, occuper Paljenik et Vozuca."

  5   Donc, c'était un objectif militaire-clé, comme nous l'avons indiqué plus

  6   tôt, Vozuca, pour l'armée de Bosnie, au paragraphe 86 du jugement.

  7   Effectivement, la ville a été prise avec succès en septembre 1995, et c'est

  8   Paljenik qui est citée dans le rapport comme étant "la porte d'entrée dans

  9   la poche de Vozuca." Paragraphe 398.

 10   Rien dans ces pièces n'indique qu'il était impossible de réprimer le

 11   Détachement El Moudjahid. Plutôt, le rapport ou la sécurité militaire

 12   indique : Laissons-les pour l'instant parce que nous en avons besoin au

 13   niveau de nos opérations de combat.

 14   Comment le commandant de l'armée de Bosnie savait qu'ils

 15   obtiendraient ce succès militaire avec le détachement ? Tout simplement

 16   parce qu'ils savaient que le Détachement El Moudjahid suivait les ordres et

 17   les obéissait, en particulier des ordres qui portaient sur des combats.

 18   Comme les Juges de la Chambre l'ont constaté, l'armée de Bosnie contrôlait

 19   la participation et l'engagement du Détachement El Moudjahid dans les

 20   combats, paragraphe 461. Ce qui est encore plus important, le Détachement

 21   El Moudjahid ne combattait jamais sans autorisation de ses supérieurs de

 22   l'armée de Bosnie, paragraphes 386 et 465.

 23   Surtout au niveau des opérations de combat autour du mois de juillet 1995

 24   et les allégations de traitement cruel, le détachement suivait de façon

 25   répétée les ordres, obéissait aux ordres. En mai 1995, l'opération

 26   Proljece, où ils étaient le fer de lance dans l'attaque pour laquelle ils

 27   avaient donné un ordre. En juillet 1995, l'opération Proljece II, où ils

 28   étaient les premiers à attaquer et ils ont obéis aux ordres portant sur

Page 67

  1   l'attaque. Ils ont obéi à différents ordres lorsqu'il s'agissait

  2   d'attaquer. Tout ceci est cité dans le jugement de première instance aux

  3   paragraphes 394 à 402.

  4   Il est vrai, comme l'indique le jugement, comme cela a été indiqué par la

  5   Défense, qu'il y avait une non-conformité ou non-exécution d'ordres de

  6   combat, nous devons comprendre comment ceci est arrivé. Tout d'abord, le

  7   Détachement El Moudjahid mettait en cause des ordres de leurs supérieurs

  8   hiérarchiques, cela faisait partie d'un processus généralisé dans l'armée

  9   de Bosnie lorsqu'on planifiait des opérations, aux paragraphes 377 à 379.

 10   Plus précisément, les Juges de la Chambre ont constaté que ce rapport

 11   dialectique s'appliquait au détachement El Moudjahid et ses supérieurs

 12   hiérarchiques dans l'armée de Bosnie, paragraphe 465.Il y a eu quelques

 13   moments où le Détachement El Moudjahid a refusé de participer dans des

 14   attaques au moment où on leur avait donné l'ordre de le faire. Ceci, il ne

 15   s'agissait pas de dire : Nous n'allons pas combattre et nous allons

 16   simplement rester assis. Non. Le fait de ne pas mener les combats à ce

 17   moment-là était une décision motivée parce que le détachement partageait ce

 18   point de vue avec les supérieurs hiérarchiques. C'était soit l'unité, soit

 19   les conditions sur le champ de bataille qui n'étaient pas prêtes au moment

 20   de [imperceptible], aux paragraphes 388 à 390 du jugement. Comme l'ont

 21   constaté les Juges de la Chambre, les supérieurs hiérarchiques de l'armée

 22   de Bosnie s'étaient mis d'accord avec le détachement et leur estimation des

 23   faits parce que ces attaques devaient être menées plus tard, et la

 24   troisième attaque a été abandonnée. Paragraphes 388 à 390 du jugement.

 25   Ce qui était encore plus important, aucune mesure ou sanction n'a été

 26   proférée contre les membres du Détachement El Moudjahid pour n'avoir pas

 27   exécuté cet ordre, paragraphe 462 du jugement. Simplement pour répondre à

 28   un point qui a été soulevé par la Défense un peu plus tôt, lorsque le

Page 68

  1   détachement a dit que les conditions sur le champ de bataille n'étaient pas

  2   bonnes simplement parce que les feuilles étaient tombées n'était pas une

  3   "plaisanterie," c'était plutôt parce qu'il s'agissait d'une considération

  4   importante. Autrement dit, il n'y avait pas de feuilles pour cacher les

  5   attaquants, et donc les combattants ennemis auraient pu aisément les

  6   apercevoir, pages du compte rendu d'audience 66 à 67 du Témoin Awad, qui

  7   venait de la région.

  8   Mais ce qui est important à propos de ces retards au niveau de ces

  9   attaques, ceci s'est terminé à la fin du mois de mars 1995. Le Détachement

 10   El Moudjahid s'est conformé aux ordres pendant la période allant du mois de

 11   mai au mois de septembre 1995, au moment où les traitements cruels ont été

 12   commis en juillet 1995. De surcroît, cette même exécution des ordres est

 13   très différente du fait d'empêcher ou de punir les crimes. En réalité, bon

 14   nombre des exemples cités par la Défense ont allégué qu'il y avait une non-

 15   exécution des ordres. Ceci ne montre pas qu'il y avait une quelconque

 16   interférence de la capacité des supérieurs à prévenir ou empêcher les

 17   crimes. Effectivement, ils ont établi un camp à 13 kilomètres de Zavidovici

 18   plutôt que 12. Oui, ils ont refusé de se conformer à bon nombre des

 19   demandes qui leur avaient été envoyées par le biais de documents qui ont

 20   été cités ce matin au paragraphe 373 du jugement. En fait, ceux-ci ne

 21   contredisent pas les exemples de prévention ou de punition qui ont déjà été

 22   abordés.

 23   Même la question de la transmission des rapports, les Juges de la Chambre

 24   ont constaté de façon raisonnable que le détachement et tous les rapports

 25   compensaient en partie leur manquement à soumettre des rapports par écrit,

 26   au paragraphe 463 du jugement. Peut-être si nous voulons aborder une

 27   question que je veux soulever et qui a été évoquée un plus tôt par M. le

 28   Juge Meron, lorsqu'il s'agissait de tenir compte du fait que la 35e

Page 69

  1   Division était subordonnée au détachement El Moudjahid et qu'il y avait un

  2   système de transmission de rapports directement et qu'il y avait ce système

  3   de transmission entre la 35e Division et le 3e Corps, ceci concorde avec ce

  4   qui se passait à l'époque, parce que le détachement était placé sous la 35e

  5   Division, et le 3e Corps donne des ordres directement au Détachement El

  6   Moujahid. Et ceci se trouve au paragraphe 431 du jugement. Donc, il ne

  7   serait pas surprenant de constater que le détachement rendait compte

  8   directement, en septembre 1995, au commandant qui leur donnait en même

  9   temps les ordres. Très honnêtement, ce qui est important sur la question de

 10   la transmission des rapports, c'est à quel niveau, pour finir, le général

 11   Delic se trouvait aussi dans la 35e Division et le 3e Corps, et qui rendait

 12   compte ou transmettait des rapports sous lui. Ceci n'avait pas d'incidence

 13   sur l'envoi d'information aux personnes qui se trouvaient au-dessus de lui

 14   ni à la transmission des informations aux personnes qui se trouvaient en

 15   dessous de lui.

 16   M. LE JUGE VAZ : Oui.

 17   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Madame la Présidente.

 18   [interprétation] A supposer qu'il y avait une exécution générale des

 19   ordres de combat, est-ce que ceci ne pourrait pas être expliqué par le fait

 20   qu'il y avait une coopération sur le plan tactique plutôt que sur la base

 21   d'une structure de commandement ? Et je souhaite que vous soyez précis,

 22   s'il vous plaît, pour ce qui est de la question de l'exécution des ordres

 23   qui n'ont pas trait aux ordres de combat, mais qui ont trait au traitement

 24   de personnes, en particulier les prisonniers de guerre. Je vous remercie.

 25   M. SCHNEIDER : [interprétation] Oui, pour ce qui est des faits dans cette

 26   affaire, l'exécution des ordres émis est présentée comme exemples de

 27   subordination du Détachement El Moudjahid aux supérieurs hiérarchiques

 28   plutôt que d'exemples de coopération. Comme je l'ai dit un peu plus tôt,

Page 70

  1   différentes mesures qui ont été prises par cette unité lorsqu'il s'agissait

  2   de l'établir, de la démanteler, de leur donner des ordres, d'en promouvoir

  3   les membres, de leur donner des distinctions, et cetera, si vous allez

  4   coopérer avec une unité, vous ne faites pas cela, vous ne vous en donnez

  5   pas la peine.

  6   Pour ce qui est de l'exécution des ordres concernant le traitement

  7   des prisonniers de guerre, tout d'abord -- encore une fois, j'ai évoqué le

  8   fait qu'il y avait un accès direct à ces prisonniers de guerre, et ce,

  9   rapidement, mais s'il n'y avait pas eu de violations sur le traitement des

 10   prisonniers, il n'y aurait pas de procès aujourd'hui. Hormis cela, nous

 11   constatons que le Détachement El Moudjahid traite d'autres prisonniers

 12   correctement, comme ils sont censés le faire conformément aux lois de la

 13   guerre, et les remettent immédiatement, au paragraphe 403 du jugement.

 14   Si je peux revenir brièvement sur la question des rapports. Toute

 15   question sur les problèmes au niveau des transmissions des rapports n'a

 16   rien à voir avec l'incapacité ou l'impossibilité à prévenir ou à punir les

 17   crimes. Nous avons bon nombre d'autres exemples de ceci dans d'autres cas.

 18   Il ne s'agit pas de s'ingérer dans la connaissance ou non d'autres crimes

 19   dont ont connaissance les membres du Détachement El Moudjahid. En

 20   particulier, pour ce qui est des prisonniers au mois de juillet qui

 21   faisaient l'objet de traitements cruels, d'autres membres de l'armée de

 22   Bosnie étaient informés de la situation malgré le fait qu'il y ait des

 23   "problèmes de transmission" à ce moment-là, paragraphes 274 à 282.

 24   Ce que la Défense tente de faire, c'est d'utiliser une loupe pour

 25   mettre en exergue un élément et ne se concentrer que sur cet élément. La

 26   Chambre de première instance a, comme il se doit, analysé l'ensemble de la

 27   situation et toutes les circonstances, tous les événements qui se sont

 28   déroulés entre 1993 et 1995 plutôt que de se concentrer simplement sur des

Page 71

  1   incidents isolés, paragraphe 370.

  2   La Défense a fait état, plusieurs fois aujourd'hui, a mentionné

  3   l'arrêt Hadzihasanovic. Mais, Madame et Messieurs les Juges, le Détachement

  4   El Moudjahid, dans l'affaire Hadzihasanovic en octobre 1993, représentait

  5   une unité très différente de ce qu'était le Détachement El Moudjahid en

  6   juillet 1995 en l'espèce. Et cela, bien entendu, concerne la question du

  7   Juge Liu posée précédemment. Cette période-clé de deux ans et la différence

  8   qui en résulte se traduisent dans de nombreux exemples de subordination et

  9   de contrôle qui ont déjà été abordés aujourd'hui. En l'espèce, il y a eu

 10   une constatation d'un manque de contrôle en 1993 concernant une unité qui

 11   avait précédé le détachement. A cet égard, je voudrais également appeler

 12   l'attention des Juges à une note citée par la Défense, note du paragraphe

 13   381 du jugement faisant état d'un rapport émanant de l'unité et concernant

 14   la question de savoir s'ils faisaient ou non partie de l'ABiH. Cela

 15   correspond encore une fois à novembre 1993, donc presque deux ans avant la

 16   commission du crime de traitement cruel en 1995, en juillet.

 17   Il y a éventuellement d'autres différences importantes entre le

 18   Détachement El Moudjahid de l'affaire Hadzihasanovic et celui de l'espèce.

 19   Tout d'abord, il y avait pratiquement aucun ordre émis à l'attention de

 20   l'unité dans l'affaire Hadzihasanovic. Trois seulement d'entre eux sont

 21   discutés dans les paragraphes 199 et 200 du jugement, alors qu'ici, des

 22   dizaines d'ordres ont été émis à l'attention du détachement. Et dans

 23   Hadzihasanovic, on a relevé que la communication et le contact qui

 24   existaient avec le détachement étaient difficiles et qu'il n'avait

 25   pratiquement aucune enquête portant sur les membres de ce dernier,

 26   paragraphes 211, 218 et 219. Alors qu'ici, les communications étaient

 27   faciles, il y avait eu de nombreuses réunions entre le détachement et ses

 28   supérieurs, un accès avait été permis au camp de prisonniers à certaines

Page 72

  1   occasions. De plus, il y a eu de nombreuses enquêtes, des procédures au

  2   pénal ont été diligentées et des mesures ont été prises suite à certains

  3   comportements et infractions commises par des membres de l'unité, tel que

  4   cela est décrit en l'espèce.

  5   Et pour finir, les commandants de l'ABiH ont émis, de façon répétée, des

  6   ordres, ont proféré des menaces dans l'affaire Hadzihasanovic pour essayer

  7   de libérer les prisonniers qui étaient détenus. Alors qu'ici en l'espèce,

  8   les seules mesures prises consistaient à procéder à des entretiens visant à

  9   collecter des informations de renseignement, des entretiens de ces

 10   prisonniers.

 11   Pour résumer, Madame et Messieurs les Juges, le détachement était

 12   subordonné à son supérieur, le général Delic, pendant deux ans déjà en

 13   juillet 1995. De plus, le général Delic avait la capacité matérielle de

 14   prévenir et de punir les crimes commis par les membres de cette unité étant

 15   donné le nombre de fois où de telles mesures avaient déjà été prises.

 16   Par conséquent, il était tout à fait raisonnable, du point de vue de

 17   la Chambre de première instance, de constater que le général Delic exerçait

 18   bien un contrôle effectif. La Défense n'a pas réussi à démontrer le

 19   contraire. Au lieu de cela, elle s'est concentrée sur des affirmations de

 20   nature très générale plutôt que sur les spécificités des constatations et

 21   des éléments de preuve. C'est pourquoi nous demandons, avec tout le respect

 22   dû, qu'il ne soit pas fait droit aux demandes de la Défense concernant le

 23   contrôle effectif, que le moyen d'appel un soit rejeté, et cela conclurait

 24   mon intervention sur ce point. Je vous remercie. A moins qu'il n'y ait des

 25   questions sur ce point ou sur les deux moyens d'appel, je voudrais vous

 26   demander de rejeter également ces autres moyens en appel.

 27   Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Schneider.

 28   Pas de questions de la part des -- Oui, M. le Juge Liu voudrait vous

Page 73

  1   poser une question.

  2   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup de nous avoir donné

  3   ces chronologies assorties de vos commentaires sur les différences existant

  4   entre ces deux procès, le procès Hadzihasanovic et la présente affaire.

  5   Quelle est votre position, vu la réponse de la Défense, à la question que

  6   j'ai posée ce matin ? Si je ne m'abuse, Me Jones dit que la Chambre de

  7   première instance a eu tort de ne pas étayer de façon essentielle la

  8   question de savoir si la direction et le commandement s'étaient

  9   considérablement améliorés en 1995 par rapport à 1993.

 10   M. SCHNEIDER : [interprétation] Me donneriez-vous le temps de consulter mes

 11   collègues.

 12   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 13   M. SCHNEIDER : [interprétation] Merci d'avoir fait preuve de patience. Aux

 14   paragraphes 98 à 109 de notre mémoire, nous parlons des conclusions

 15   montrant l'amélioration intervenue dans l'ABiH. Je mettrais surtout en

 16   exergue qu'au paragraphe 200 -- 460, il est dit que le fonctionnement

 17   général en matière de planification et de préparation des ordres s'est

 18   amélioré, notamment grâce aux efforts faits par le général Delic. Dans ce

 19   même paragraphe, on parle des difficultés en matière de loyauté lorsqu'on a

 20   parlé de la prise de fonctions du général Delic.

 21   Aux paragraphes 136 et 137, le général Delic a autorisé plusieurs

 22   opérations précises, je cite, "pour enlever les obstacles s'opposant au bon

 23   fonctionnement du système de direction et de commandement de l'ABiH."

 24   Autant de mesures et d'autres éléments de preuve qui montrent que la

 25   conclusion de la Chambre fût raisonnable, à savoir que de façon générale,

 26   la direction s'était améliorée dans l'armée.

 27   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vous dites donc que la Chambre ne s'est

 28   pas trompée, car on trouve ici et là plusieurs raisons justifiant cette

Page 74

  1   conclusion, et que pris ensemble, ces différents points résument bien le

  2   côté raisonnable de la décision ?

  3   M. SCHNEIDER : [interprétation] Vous l'avez dit mieux que moi, Monsieur le

  4   Juge.

  5   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

  6   Mme LE JUGE VAZ : Merci.

  7   Nous donnons la parole à M. le Juge Meron, qui voudrait vous poser une

  8   question.

  9   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur Schneider, si je vous ai bien

 10   compris, il y a quelques instants, vous disiez qu'à l'inverse

 11   d'Hadzihasanovic, Delic et d'autres ici n'ont rien fait pour vraiment

 12   s'occuper de la question des prisonniers. Ce paragraphe 403 du jugement, il

 13   y est dit qu'il y avait un ordre permanent du commandant de la 35e Division

 14   à propos du traitement réservé aux prisonniers et qu'en fonction de cet

 15   ordre, les prisonniers devaient être emmenés à l'unité de sécurité la plus

 16   proche, puis déférés à la 35e Division.

 17   Donc, des ordres avaient été donnés pour amener les prisonniers à un

 18   lieu central où ils seraient mieux protégés, supposément. Si j'ai bien

 19   compris, cet ordre n'a pas été appliqué. Quelle conclusion devons-nous en

 20   tirer ?

 21   M. SCHNEIDER : [interprétation] J'essayerais de répondre de deux

 22   façons. Tout d'abord, cet ordre a été appliqué dans une certaine mesure,

 23   comme c'est dit dans ce paragraphe. Parfois, les prisonniers étaient remis

 24   aussitôt. De plus, ces ordres d'application générale ne suffisent pas, dans

 25   le concept des mesures raisonnables, ne suffisent pas à prouver que ces

 26   ordres suffisent face aux informations alarmantes transmises dans toute

 27   l'ABiH jusqu'à l'échelon du général Delic.

 28   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci. Je suppose que la Défense me

Page 75

  1   dira plus tard s'il y a eu un ordre plus spécifique.

  2   Mme LE JUGE VAZ : M. le Juge Pocar voudrait vous poser une question.

  3   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] J'essaie de bien saisir la

  4   situation telle qu'elle s'est présentée dans les faits. En effet, bon

  5   nombre de vos arguments portaient sur le lien de subordination de jure. Là,

  6   la collaboration est sans doute aisée. Mais ce qui compte, c'est la

  7   situation dans les faits. Y avait-il de facto subordination, ce qui

  8   équivaudrait à un contrôle effectif, ce qu'il faut, bien entendu, prouver

  9   au-delà de tout doute raisonnable. On ne peut pas simplement s'appuyer sur

 10   une situation de subordination de jure. Bien sûr, c'est là une marque

 11   éventuellement d'un contrôle effectif. C'est l'un des indicateurs, mais ça

 12   ne peut pas être le seul ou le plus important. Je pense au fond à la

 13   réponse que vous avez donnée à la question du Juge Liu, on a l'impression

 14   que Delic a essayé d'exercer un contrôle effectif qui n'existait pas au

 15   départ, ce que prouvait le dossier Hadzihasanovic. Il n'y avait pas de

 16   véritable contrôle de l'ABiH sur ce Détachement El Moudjahid, mais on a

 17   fait des efforts pour rendre ce contrôle effectif. Où en sommes-nous

 18   exactement ? Les efforts déployés ont-ils assuré un contrôle parfaitement

 19   effectif, est-ce bien ce que vous dites, ce qui voudrait dire que la seule

 20   conclusion raisonnable que peut tirer une Chambre de première instance

 21   était qu'effectivement les efforts ont été couronnés de succès; ou est-ce

 22   qu'il plane encore un certain doute ? Parce qu'on a peut-être transmis

 23   certains prisonniers, mais pas tous. Alors, est-ce que c'était un contrôle

 24   absolument efficace et effectif, d'après vous ? Car il nous faut évacuer le

 25   moindre doute possible.

 26   M. SCHNEIDER : [interprétation] Permettez-moi de consulter mes collègues.

 27   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 28   M. SCHNEIDER : [interprétation] La conclusion attestant d'un contrôle

Page 76

  1   effectif, c'est une constatation, et donc le critère d'examen, c'est de

  2   savoir si la Chambre a eu raison de tirer cette conclusion. Et en fait,

  3   cette conclusion prouve le côté raisonnable. Parlons de la subordination de

  4   jure. C'était un indicateur, à première vue, d'un contrôle effectif. Ce fut

  5   le cas ici, comme le dit d'ailleurs la jurisprudence du Tribunal. De plus,

  6   à la suite de la constitution de l'armée, de sa resubordination, les

  7   différentes mesures prises, le fait qu'il y avait un ordre de dissolution,

  8   ceci porte non seulement sur la resubordination au sens étroit, mais sur un

  9   contrôle effectif qu'on a sur toute l'unité et sur des ordres qui sont

 10   respectés.

 11   Revenons au dossier Hadzihasanovic. Les conclusions portaient sur une

 12   période de deux ans ici chez nous, alors que ce n'était pas le cas pour

 13   Hadzihasanovic. En 1994 et en 1995, on voit qu'on applique effectivement

 14   beaucoup d'ordres au combat, il y a plusieurs demandes que des poursuites

 15   pénales soient engagées, des enquêtes sur les membres. Par conséquent, il y

 16   a amélioration très nette du contrôle dans toute l'armée. A cela, j'ajoute

 17   le fait qu'en juillet 1995, ce Delic contrôlait de façon effective le

 18   détachement, et suscite une conclusion raisonnable à tirer vu ce que dit le

 19   jugement.

 20   Permettez-moi d'ajouter ceci. Ce n'est pas un respect parfait; c'est un

 21   contrôle effectif. Et l'arrêt Strugar dit que même s'il y a des cas isolés

 22   de non-respect, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas un contrôle effectif.

 23   Il faut voir l'ensemble du dossier pour conclure. Il y a des cas où le

 24   commandant décide de ne pas agir, comme ce fut le cas dans Strugar, et

 25   c'est vrai ici aussi.

 26   Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Schneider.

 27   A présent, la Défense a la parole pour sa réplique. Pour ce faire,

 28   vous avez 20 minutes.

Page 77

  1   M. JONES : [interprétation] Je vous remercie.

  2   S'agissant du calendrier, j'allais vous proposer ceci. Si on ne

  3   poursuit pas après la pause déjeuner, on pourrait faire une petite pause de

  4   cinq minutes pour tout un chacun. Sinon, je peux poursuivre.

  5   [La Chambre d'appel se concerte]

  6   M. JONES : [interprétation] Si ça vous pose problème, je peux continuer.

  7   Mme LE JUGE VAZ : Très bien, nous allons continuer. Merci. Vous avez la

  8   parole.

  9   M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup.

 10   Permettez-moi de réagir tout d'abord à la question de M. le Juge

 11   Meron. Il parlait du paragraphe 403 dans sa question au Procureur. Et celui

 12   qui a dit qu'à ce propos il y avait respect partiel, parce que certains

 13   détenus avaient été relâchés. Mais c'étaient des Musulmans qui avaient été

 14   capturés. Ce n'étaient même pas des prisonniers de guerre, pas du tout.

 15   Donc là, il n'y a aucun respect parce que l'ordre portait sur des

 16   prisonniers, et pas sur des civils musulmans de Bosnie qui s'étaient

 17   trouvés là en travers de leur route.

 18   Vous avez demandé aussi s'il y avait d'autres ordres. Le paragraphe

 19   404 évoque un autre ordre qui n'a pas été respecté par le détachement, donc

 20   c'est aussi un élément pertinent que celui-ci.

 21   Qu'a dit l'Accusation ? Elle l'a dit à plusieurs reprises, elle a dit

 22   que la Chambre avait conclu un contrôle effectif. Mais c'est faux. Ce n'est

 23   pas la Chambre. Ce sont deux Juges seulement de la Chambre, puisqu'il y a

 24   eu l'opinion dissidente du Juge Moloto, et les Juges le savaient. Ils l'ont

 25   dit clairement. Il n'est pas inutile de se dire que deux contre un, si vous

 26   aviez un jury, vous auriez huit pour, quatre contre. Ce ne serait pas

 27   acceptable en "common law." Mais enfin, c'est ce que le Statut permet,

 28   qu'il en soit ainsi. Mais lorsque vous avez une voie qui s'oppose, ça veut

Page 78

  1   dire que la vie d'un homme ne tient qu'à un fil.

  2   L'Accusation a souvent parlé de ce qui est raisonnable, s'agissant

  3   des conclusions de la Chambre. Mais qu'est-ce qui est raisonnable ? Il faut

  4   voir ce que la Chambre dit, alors qu'ici nous avons un dossier de preuves

  5   indirectes. Paragraphe 28, la Chambre se rappelle elle-même ceci, je cite :

  6   "Il ne suffit pas que la culpabilité soit une conclusion raisonnable.

  7   Ça doit être la seule conclusion raisonnable au vu des éléments du dossier.

  8   S'il existait une autre conclusion raisonnable, on peut déduire, et si ceci

  9   cadre bien avec l'innocence de l'accusé, celui-ci doit être acquitté."

 10   Ce que je veux dire, c'est qu'on dit : la majorité a émis un avis

 11   raisonnable. Il faut que ce soit aussi la seule conclusion raisonnable pour

 12   ces juges, ce qui pour nous, bien entendu, ne fut pas le cas.

 13   Je vais faire de mon mieux pour répondre dans l'ordre des arguments

 14   présentés, mais vous savez qu'en réplique, on ne peut pas toujours être

 15   parfaitement cartésien. Prenons d'abord la question des ordres de

 16   resubordination. Ces ordres montrent l'inverse même de ce que nous avançait

 17   l'Accusation. Ces ordres de l'Accusation dit que c'étaient des ordres qui

 18   avaient été couronnés de succès. C'est l'avis de l'Accusation. Tout ce que

 19   nous avons, c'est qu'il y a eu beaucoup d'ordres de resubordonner. Pourquoi

 20   est-ce qu'il y en a eu autant ? C'est parce qu'ils n'ont pas porté leurs

 21   fruits. On n'a pas réussi à resubordonner l'unité. C'est pour ça qu'il y en

 22   a eu autant. Paragraphe 25 de notre mémoire d'appel. On voit qu'en l'espace

 23   de six jours, le détachement a reçu trois ordres de subordination et de

 24   resubordination et qu'aucun de ces ordres n'est appliqué. C'est ce que

 25   disait le Témoin PW-9. Donc, on n'a pas simplement donné beaucoup d'ordres

 26   parce qu'ils marchaient tellement biens chacun d'entre eux. C'est le

 27   contraire, il fallait les renouveler parce que ceux-ci ne donnaient aucun

 28   résultat.

Page 79

  1   Parlons ici de la notion de l'amélioration ou du renforcement. Je

  2   pense qu'il faudrait peut-être passer à huis clos, car nous avons une pièce

  3   sous pli scellé que je voudrais faire afficher. Je pense que le prétoire

  4   électronique peut afficher la pièce, notamment la pièce 661.

  5   Mme LE JUGE VAZ : Passez donc à une séance à huis clos.

  6   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

  7   [Audience à huis clos partiel]

  8  (expurgé)

  9  (expurgé)

 10  (expurgé)

 11  (expurgé)

 12  (expurgé)

 13  (expurgé)

 14  (expurgé)

 15  (expurgé)

 16  (expurgé)

 17  (expurgé)

 18  (expurgé)

 19  (expurgé)

 20  (expurgé)

 21  (expurgé)

 22  (expurgé)

 23   [Audience publique]

 24   M. JONES : [interprétation] Prenons la première chronologie présentée par

 25   l'Accusation. Delic autorise la constitution, la création du détachement.

 26   Je ne vais pas demander que soient affichées ces pièces, il y a la pièce

 27   373 [comme interprété], proposition de l'ABiH. Donc, ce n'est pas Delic qui

 28   décide fort de sa seule autorité de la créer, cette unité. Et la

Page 80

  1   jurisprudence montre le fait qu'on soit un véhicule par lequel un ordre est

  2   donné par des supérieurs ne veut pas dire que vous avez un contrôle

  3   effectif. En fin de pièce, on trouve une liste des choses à faire pour que

  4   soit constitué ce détachement. Il doit donner une liste de ses membres, il

  5   doit faire rapport, et cetera. Rien de tout cela n'a été fait. D'emblée,

  6   les choses n'ont pas marché. Les éléments le prouvent, et si nous en avons

  7   le temps, je vous donnerai les références. Mais je pense que celles-ci se

  8   trouvent dans notre mémoire d'appel.

  9   L'Accusation dit qu'il y a eu recomplètement de l'unité par Delic, mais le

 10   jugement le montre, quand quelqu'un rejoignait les rangs du Détachement, on

 11   considérait que c'était un déserteur. Paragraphe 174.

 12   Pour ce qui est de tous les ordres donnés, l'Accusation a lourdement

 13   insisté sur la note de bas de page 1 183, qui est sans doute essentielle

 14   pour la majorité des Juges. C'est là la liste de tous les ordres donnés,

 15   ordres de combat donnés au détachement. Vous le verrez, c'est très

 16   important. Dans ce paragraphe, il n'y a aucune référence à un compte rendu

 17   d'audience, à une page du compte rendu, à un seul témoin, ce qui veut dire

 18   que rien ne prouve que ces ordres aient été suivis des faits. Ce sont

 19   simplement des pièces qui mentionnent le nom quelque part du détachement.

 20   Donc, il n'y a pas, et c'est important, une seule référence à une

 21   déposition, une audition de témoin dans le compte rendu d'audience.

 22   Alors, quand on parle de la coopération avec les aspects tactiques

 23   des ordres, et là c'est vrai, on en parle au 461, nous disons que, de toute

 24   façon, ça cadre bien avec la notion de coopération.

 25   S'agissant de la dissolution, on dit que le fait de créer, de la

 26   dissoudre, cette unité, c'est important. Mais prenons le paragraphe 198 du

 27   jugement. Nous parlons de ce point dans notre mémoire en appel. Que voit-on

 28   :

Page 81

  1   "Selon les dires d'un ancien membre du détachement, celui-ci aurait

  2   continué de combattre même sans le consentement de la shura."

  3   Donc ici, nous sommes dans le contexte des accords de paix de Dayton,

  4   qui disaient que tous les étrangers devaient quitter le territoire. Ce

  5   n'est pas parce que Delic a donné cet ordre, c'est plutôt dans ce contexte

  6   là qu'il faut voir les choses.

  7   L'Accusation a énuméré des faits qui, dit-il, sont incompatibles avec

  8   cette idée de la coopération, ordre de promotion par l'ABiH de membres du

  9   détachement. On voit au paragraphe du jugement 191, qu'il n'y avait pas de

 10   grade, ce qui veut dire que des promotions, ça ne veut pas dire grand-

 11   chose, d'autant que les chefs n'étaient pas nommés par l'ABiH. C'est le

 12   paragraphe 187 du jugement qui le dit.

 13   Pour ce qui est de distinctions données, l'Accusation dit, Ça ne se

 14   fait jamais pour des armées alliées. Ce n'est pas vrai du tout. Au

 15   contraire, mon grand-père, colonel américain, a reçu la médaille du mérite

 16   OBE en Grande-Bretagne pour ses services alors qu'il n'était pas sous le

 17   contrôle effectif du Royaume-Uni. James Stuart, l'acteur, a reçu la Croix

 18   de guerre de la France. Personne ne dira jamais qu'il était sous le

 19   contrôle effectif des Français. Ça se fait dans des armées. Donc là, je

 20   pense que le moindre qu'on puisse dire ce n'est vraiment pas une marque

 21   d'un contrôle effectif.

 22   Deuxième chronologie, on revient à M. Goodall. Voyons ce que la Chambre a

 23   dit elle-même au paragraphe 488 et dans la pièce 887, qui dit bien ce que

 24   nous trouvons important. Mais le jugement est très clair là-dessus, des

 25   poursuites ont été engagées au civil, mais n'ont jamais été menées à leur

 26   terme. Alors, qu'est-ce qu'on peut tirer comme conclusion à cela, pas

 27   grand-chose, à notre avis, et puis il y a eu des évasions de ces personnes

 28   qui avaient été poursuivies.

Page 82

  1   L'Accusation dit qu'on ne saurait dire que l'emploi de la force n'est

  2   pas sa seule option, et puis la thèse de l'Accusation, qui n'est pas

  3   nécessairement épousée par la majorité des Juges, c'est que c'était une

  4   question de commodité militaire que l'armée a décidé de conclure un pacte

  5   avec le diable plutôt que de s'y opposer de façon frontale. Alors, nous

  6   l'avons vu, ils avaient peur du détachement et ne pouvaient même pas

  7   envoyer de catholiques ni d'orthodoxes au front. Mais voyons la note de bas

  8   de page 1 159, utilisée par l'Accusation. Mais ce n'est pas Delic qui parle

  9   ici, qui dit qu'il ne faut pas prendre de mesures trop énergiques pour ne

 10   pas envenimer les relations. Ici, c'est la 35e Division qui parle, c'est

 11   important. On ne peut pas reprocher à Delic l'idée qu'exprime quelqu'un

 12   d'autre. Lui, il était plutôt favorable à l'idée d'une confrontation, même

 13   d'une confrontation brutale, avec le détachement. Nous le disons au

 14   paragraphe 383 de notre mémoire d'appel. Il y avait même un clivage au sein

 15   de l'ABiH pour savoir que faire de ce détachement. Delic voulait une action

 16   musclée - c'est le témoin Karavelic qui le dit - tout ce que Delic a fait

 17   pour essayer de désarmer ce détachement aurait entraîné des pertes civiles.

 18   "Il n'avait pas le droit de le faire sans l'approbation préalable du

 19   commandement Suprême."

 20   C'est important, parce que s'il en avait eu le pouvoir, il aurait

 21   pris des mesures. On ne saurait donc lui reprocher de ne pas avoir vraiment

 22   puni le détachement tout simplement parce que c'était commode.

 23   Paragraphe 583, l'Accusation dit que le détachement avait terminé

 24   tout ce qu'il avait à faire, toute sa besogne. On n'a pas le temps de le

 25   faire, mais si vous regardez cette pièce, vous verrez qu'il faut lire ce

 26   libellé dans le contexte du document. Quand on dit que "toutes les tâches

 27   militaires avaient été réalisées."

 28   Alors, cette question de la dualité dans la démarche du dialogue et

Page 83

  1   de dire que c'était un dialogue normal dans le cadre d'un commandement,

  2   c'est mal comprendre ce que Paul Cornish, expert qui a utilisé cette

  3   expression, mal comprendre ce qu'il voulait dire. Paragraphe 379 du

  4   jugement, que dit-il : Oui, il y a un échange d'idées, de points de vue,

  5   mais est-ce un contrôle effectif ou pas, parce qu'en fait quand le

  6   commandant dit : Merci de votre avis, mais voilà ce que nous allons faire.

  7   Et ça c'est vraiment une distinction capitale. Y a-t-il eu un échange, le

  8   détachement disant : Non, on ne veut pas combattre pour ceci ou pour cela.

  9   Et ils n'auraient pas accepté qu'un commandant dise : Tans pis, vous allez

 10   quand même le faire. Donc là, c'était très clair, et la majorité des Juges

 11   n'a pas bien compris.

 12   L'Accusation semble s'appuyer lourdement sur l'arrêt Strugar.

 13   Manifestement, ce n'est pas la même affaire, parce que Strugar commandait

 14   une armée régulière, donc la donne est tout à fait différente. Ce n'est pas

 15   une unité où il y a des combattants étrangers, aux visions extrémistes, se

 16   comportant de façon bizarre, inattendue, il y a la shura, il y a des

 17   adeptes venant de l'étranger. Donc, la donne n'est pas du tout la même que

 18   dans Strugar.

 19   Deux points encore. Delic était-il informé des mesures prises contre le

 20   détachement, c'est mentionné dans la chronologie. On a, bien sûr, essayé

 21   d'obtenir des renseignements pour essayer de voir précisément ce qui se

 22   passait au niveau du détachement, mais ce n'est pas là dire que c'est un

 23   contrôle effectif. C'est normal, c'est humain, on essaie de savoir ce qui

 24   se passe dans une unité. Mais ce qui est capital, c'est que l'ABiH ne

 25   pouvait pas avoir de liaison avec le détachement pour que de bonnes

 26   enquêtes soient menées, parce que le détachement avait ses propres

 27   supérieurs et n'avait pas d'officer du renseignement ni d'officier de la

 28   sécurité. Or, ce sont ces deux entités qui s'occupent de la situation quand

Page 84

  1   il y a un crime, quand il y a une enquête à mener. C'est dit au paragraphe

  2   425 du jugement. L'adjoint à la sécurité, un témoin, dit :

  3   "Chaque bataillon avait son organe de la sécurité, chaque brigade,

  4   chaque division, à l'exception du détachement El Moudjahid avec lequel nous

  5   n'avons jamais eu de contact au niveau des organes de sécurité."

  6   C'est pour ça que rien ne pouvait se passer. Awad le dit au

  7   paragraphe 192. Il dit, au fait, il avait le titre d'officier de la

  8   sécurité, mais dans le fond ce n'était qu'un interprète. Sans organes de la

  9   sécurité, il était impossible de mener d'enquêtes. Et comme on n'avait pas

 10   une liste recensant l'identité de chacun des membres, on ne savait même pas

 11   qui était dans ce détachement, comment on diligentait une enquête

 12   éventuellement commis par un membre du détachement si on ne sait même pas

 13   qui le compose ?

 14   Le détachement - et vous le verrez dans le dossier - a fourni une

 15   liste munie uniquement de noms des nationalités : le Koweït, le Pakistan,

 16   l'Iran, mais on ne donnait pas de noms. Ils n'avaient même pas de pièces

 17   d'identités, paragraphe 191. Comment voulez-vous qu'une enquête correcte

 18   soit menée pour ce qui est de la sécurité et du renseignement. Pour ce qui

 19   set des prisonniers, l'Accusation dit : C'est vrai, l'armée a finalement pu

 20   les voir. Mais ce n'est sûrement pas vrai des prisonniers de septembre qui

 21   ont été tués par le détachement.

 22   En fait, l'armée a dû quitter le camp du détachement parce qu'elle

 23   sentait qu'elle était en danger. Vous le voyez au paragraphe 275, l'adjoint

 24   des chefs de la 35e Division est allé voir les détenus de la VRS :

 25   Lorsque Imamovic a posé une question aux détenus sur les conditions

 26   de détentions ou de leur capture, alors un Moudjahidine a fait éruption et

 27   à commencer à jurer dans sa langue. Ayant pris peur, les deux soldats de

 28   l'armée sont partis."

Page 85

 1  

 2  

 3  

 4  

 5  

 6  

 7  

 8  

 9  

10  

11   Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

12   versions anglaise et française

13  

14  

15  

16  

17  

18  

19  

20  

21  

22  

23  

24  

25  

26  

27  

28  

Page 86

  1   Donc là, ce n'est pas de menues difficultés. Ces gens prennent la

  2   fuite, ils ont peur d'être blessés, d'être en danger aux mains du

  3   détachement. Est-ce là vraiment un contrôle effectif ?

  4   L'Accusation donne des exemples isolés où on a pu avoir accès au camp, oui,

  5   mais c'était pour quoi. C'est important, c'était à des fins de propagande

  6   religieuse. Vous le voyez au paragraphe 411, on laissait entrer d'autres

  7   personnes dans le camp pour faire une prière commune. Et sans doute à des

  8   fins de recrutement pour trouver de nouveaux membres. Donc, il faut voir le

  9   contexte.

 10   Nous disons effectivement que l'accès aux détenus est essentiel dans

 11   une affaire comme celle-ci, parce que sinon, on peut imaginer, et ce serait

 12   tout à fait absurde. Imaginons non pas les faits dans cette affaire, que le

 13   détachement se soit complètement conformé aux ordres, et qu'à l'inverse,

 14   ils se battraient jusqu'au dernier homme avant de permettre à d'aucuns

 15   d'accéder au camp. Est-ce qu'il n'est pas le cas dans cette affaire-ci ?

 16   Alors, si on s'en sert comme fondement pour dire que l'accusé aurait dû

 17   faire quelque chose à propos des prisonniers, qu'est-ce que le combat a à

 18   voir avec le contrôle effectif par rapport à ces crimes-ci ? C'est encore

 19   un cas de non sequitur.

 20   Encore une fois, Hadzihasanovic n'est pas différent simplement parce

 21   qu'il a donné trois ordres, beaucoup d'ordres ou pas. Je crois que ceci est

 22   une façon très simpliste d'établir le distinguo entre cette affaire-là et

 23   celle-ci qui nous concerne. Je crois que je vous ai présenté tous mes

 24   arguments. Je ne sais pas si je peux vous être d'une quelconque utilité par

 25   ailleurs.

 26   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions, Monsieur Jones. A présent, nous

 27   allons observer une pause d'une heure, si bien que nous reprendrons à 14

 28   heures 20, et nous entendrons l'appel du Procureur. Très bien, nous

Page 87

  1   reprendrons à 14 heures 30. On prendra dix minutes de plus.

  2   L'audience est suspendue.

  3   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 13 heures 20.

  4   --- L'audience est reprise à 14 heures 31.

  5   Mme LE JUGE VAZ : Bon après-midi. L'audience est reprise. A présent, nous

  6   allons donner la parole à M. le Procureur pour la présentation de son

  7   appel. Vous avez une heure. Merci.

  8   M. WOOD : [interprétation] Je vous remercie, Madame le Président.

  9   Pendant 35 jours dans le courant de l'été 1995, les subordonnés de Rasim

 10   Delic, les membres du Détachement El Moudjahid, ont humilié et terrorisé 11

 11   prisonniers de guerre. Le général Delic, comme vous l'avez entendu

 12   précédemment aujourd'hui, a créé le Détachement El Moudjahid à partir d'un

 13   groupe d'étrangers à caractère violent. Non seulement il a créé cette

 14   unité, il a toléré leur comportement criminel pendant deux ans, avant que

 15   les prisonniers de guerre qui sont l'objet de nos débats d'aujourd'hui ne

 16   sont tombés dans leurs mains. Lorsque la guerre a pris fin, le général

 17   Delic a dissout l'unité, a remercié et a fait les éloges de ses membres.

 18   La peine de trois ans d'un général Delic n'illustre ni la gravité des

 19   crimes "extraordinairement brutaux" ni la gravité à son manquement de

 20   prévenir et de punir les crimes du Détachement El Moudjahid. La peine n'a

 21   aucune valeur dissuasive et ne peut pas dissuader les commandants à

 22   l'avenir de choisir, comme l'a fait le général Delic dans ce cas,

 23   l'opportunisme militaire sur le devoir de faire appliquer le droit

 24   international humanitaire. En tant que telle, cette peine attire la

 25   condamnation de la communauté internationale. La Chambre d'appel devrait

 26   revoir cette peine manifestement inappropriée et imposer une peine plus

 27   adéquate de sept ans d'emprisonnement.

 28   La voie menant aux abus et à la terrorisation [phon] de ces 11 prisonniers

Page 88

  1   de guerre en juillet 1995 a commencé en Bosnie centrale en 1993. Le 13 juin

  2   1993, un des subordonnés du général Delic, un commandant, lui a dit, et je

  3   cite :

  4   "Dans la zone générale de Zenica, de cette municipalité, depuis le

  5   début de la guerre, il y a eu des volontaires de pays étrangers qui n'ont

  6   pas intégré l'ABiH." Et je cite :

  7   "En combattant jusqu'à ce jour, ils ont agi en dehors du contexte

  8   habituel et méthodes licites de combat, ce qui est au détriment de l'Etat

  9   de la Bosnie-Herzégovine, et en particulier à l'ABiH." Dans le jugement en

 10   première instance, paragraphe 172.

 11   Comme solution à ce problème, les subordonnés du général Delic ont proposé

 12   à ce que ces étrangers soient renvoyés chez eux ou qu'ils soient intégrés à

 13   une unité de l'ABiH, paragraphe 173 du jugement en première instance. Le

 14   général Delic a agi rapidement face à cette demande. Le 13 août, il a signé

 15   un ordre, et je cite, "autorisant la formation d'un détachement nommé El

 16   Moudjahidine," composé de "volontaires étrangers actuellement sur le

 17   territoire de la zone de responsabilité du 3e Corps." Paragraphe 177 du

 18   jugement en première instance. Il s'agit là du Détachement El Moudjahidine.

 19   Après la création de cette unité, le général Delic, et je cite, "a été

 20   informé par l'intermédiaire de différents bulletins envoyés par

 21   l'administration chargée de la sécurité sur différents cas d'infractions

 22   commises par des membres du détachement qui correspondaient à des délits

 23   pénaux." Paragraphe 501 du Tribunal de première instance. Il s'agit ici du

 24   paragraphe 501, qui énumère le nombre de cas où le général Delic, à Mostar,

 25   a fait l'objet de critiques ou de poursuites concernant le comportement

 26   criminel du Détachement El Moudjahid. Dans ces derniers rapports, qui sont

 27   cités par la Chambre de première instance et qui datent du 19 juillet 1995,

 28   deux jours avant que les membres du détachement ne capturent les

Page 89

  1   prisonniers de guerre, qui font l'objet des débats dans cette affaire.

  2   Lorsque nous voyons un jugement trois jours plus tard, le 22 juillet, un

  3   autre bulletin qui ordonne précisément à Rasim Delic de fournir des

  4   éléments d'information sur les prisonniers qui étaient détenus par le

  5   Détachement El Moudjahid, parce que "jusqu'à présent, nous n'avons pas pu

  6   accéder." Le général Delic n'a pas apporté de suivi à cet élément

  7   d'information, d'après le jugement en première instance, paragraphe 553, et

  8   l'abus des prisonniers de guerre s'est poursuivi jusqu'au 24 août.

  9   Pourquoi le général Delic admettrait-il ce détachement à l'intérieur

 10   de l'ABiH s'il connaissait les antécédents de ce détachement et de leur

 11   comportement criminel ? Parce que précisément, ce détachement était

 12   efficace au combat. C'était une unité d'assaut spécialisée qui était le fer

 13   de lance dans les attaques qui étaient menées et qui pouvait opérer les

 14   percées le long des lignes ennemies, qui était l'une des activités les plus

 15   dangereuses sur le terrain. Ceci a été décrit comme étant "les principaux

 16   dirigeants" -- ou ceux qui ont mené l'opération du mois de juillet, qui ont

 17   eu pour résultat la capture de 12 prisonniers de guerre.

 18   Cette tolérance du comportement criminel du détachement est illustrée

 19   dans le rapport de la sécurité militaire du 5 juillet 1995, auquel a fait

 20   référence M. Schneider un peu plus tôt. Je vais l'évoquer un peu plus dans

 21   le détail. Vous vous souviendrez que ce rapport concernait des menaces de

 22   "massacres" à l'encontre des Croates et des Chetniks qui faisaient partie

 23   du 1er Bataillon de l'ABiH, la 328e Brigade, et c'est ce qu'indiquait ce

 24   rapport :

 25   "L'organe chargé de la sécurité du 1er Bataillon de la 328e Brigade de

 26   Montagne a tenu des entretiens séparés et, avec les hauts commandants et

 27   les membres qui n'étaient pas de Musulmans, a essayé de les consoler en

 28   leur disant qu'ils étaient disposés à faire tout ce qu'on leur demandait et

Page 90

  1   tout ce que leur demandait l'unité susmentionnée, afin d'exécuter ou de

  2   remplir les missions qui avaient été prévues, à savoir occuper Paljenik et

  3   Vozuca." La pièce 938 dans le jugement au paragraphe 434.

  4   Ce que ceci montre, Madame, Messieurs les Juges, c'est que l'opportunisme

  5   militaire l'a emporté, l'opportunisme militaire dans le sens de capture de

  6   Paljenik et Vozuca sur la responsabilité qu'il avait de faire appliquer le

  7   droit international humanitaire. En septembre, le Détachement El Moudjahid

  8   n'a jamais été puni pour les crimes qu'ils avaient commis contre les

  9   prisonniers de guerre en juillet et août, et ont capturé la colline appelée

 10   Paljenik, paragraphe 398 du jugement en première instance.

 11   La Chambre de première instance a constaté que l'apparente impunité avec

 12   laquelle ont agi des membres du détachement de la mi-juillet 1995, juste

 13   avant la capture des prisonniers, et je cite, "était censée avoir un effet

 14   encourageant sur les auteurs et le détachement au sens large," au

 15   paragraphe 512 du jugement.

 16   Le manquement de Delic à punir les auteurs des crimes, du moins commis

 17   pendant le mois de juillet, a clairement donné le signal aux membres du

 18   détachement qu'ils pouvaient commettre des crimes encore plus graves que

 19   ceux qui ont été décrits par la Chambre au paragraphe 501. C'est dans ce

 20   paragraphe que l'on énumère la liste des bulletins qui informaient Delic

 21   des crimes commis par les membres du détachement. Les meurtres commis

 22   contre au moins 53 prisonniers serbes dans le camp de Kamenica par des

 23   membres du détachement en septembre, ne font qu'illustrer la gravité du

 24   manquement de Rasim Delic à punir les crimes commis par les soldats du

 25   détachement en juillet et août.  

 26   Comme l'a expliqué l'Accusation dans son mémoire, le général Delic a manqué

 27   à contrôler le détachement avant le 21 juillet 1995, et ceci était

 28   extrêmement grave, compte tenu des pouvoirs extraordinaires dont il

Page 91

  1   disposait, parce que c'était le commandement le plus haut gradé au sein de

  2   l'ABiH d'une part, et, d'autre part, parce que c'était un membre de la

  3   présidence de l'ABiH qui était, comme l'ont indiqué les Juges de la

  4   Chambre, "le commandement Suprême des forces armées." Paragraphe 94 du

  5   jugement. C'était le commandant militaire le plus haut gradé dans l'ABiH,

  6   dispose d'un pouvoir extraordinaire, et de ce pouvoir découlait une très

  7   grande responsabilité. Delic avait le devoir de s'assurer que l'on respecte

  8   le droit international humanitaire. Ce principe sous-tend l'idée même de la

  9   responsabilité de commandement, Madame, Messieurs les Juges. Comme le

 10   commentaire de la Croix-Rouge internationale l'indique dans l'article 96 du

 11   protocole additionnel numéro I, je cite :

 12   "Tout dépend des commandants," qui, je cite, "plus que tout autre peut

 13   empêcher les violations en créant un état d'esprit approprié, en s'assurant

 14   que les moyens de combat soient utilisés de façon rationnelle et en

 15   maintenant la discipline."

 16   Comme le dit les commentaires, le manquement du commandement --comme le dit

 17   le commentaire, l'obligation du commandant qui consiste à faire appliquer

 18   le droit international humanitaire constitue une des violations

 19   essentielles qui englobe toutes les autres.

 20   La convention de Genève représente les intérêts de la communauté

 21   internationale, intérêts qui sont fondamentaux puisqu'il s'agit de garantir

 22   la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, et ceci reste un outil

 23   effectif qui permet de faire appliquer le droit international humanitaire.

 24   La peine de Delic de trois ans ne protège pas cet intérêt-là. Le manquement

 25   de Delic à prévenir et à punir les crimes commis par le Détachement El

 26   Moudjahid n'a pas été puni comme il se doit.

 27   La peine de trois ans ne répond pas non plus à l'objectif du TPIY, à savoir

 28   d'exercer un effet de dissuasion. Ceci confère au paragraphe 559 du

Page 92

  1   jugement en première instance. Non seulement Delic n'a pas empêché ou puni

  2   les membres du détachement pour les actes criminels qu'ils ont commis, il

  3   les a personnellement remerciés pour les services rendus et leur a même

  4   donné la distinction la plus importante donnée aux soldats qui ont

  5   combattu, à savoir le Lys doré. Pièce 828, paragraphe 198 du jugement en

  6   première instance. Cette peine inappropriée a effectivement sanctionné la

  7   décision du général Delic. Il a donc fait fi de ses obligations et n'a pas

  8   fait appliquer le droit international humanitaire et a continué à se servir

  9   du détachement lors des combats. Cette peine de trois ans ne pourra pas

 10   dissuader des commandants militaires à l'avenir à faire le même choix, et

 11   cette peine de trois diminue d'autant le pouvoir et la responsabilité de

 12   commandement comme instrument permettant de faire appliquer le droit

 13   international humanitaire et la protection des personnes, comme ces 11

 14   prisonniers de guerre qui ont été maltraités dans le camp de Kamenica en

 15   1995.

 16   Ceci porte sur la gravité de son manquement, la gravité du manquement du

 17   général Delic. Cette peine de trois ans ne permet pas non plus d'illustrer

 18   comme il se doit la gravité des crimes commis par le Détachement El

 19   Moudjahid contre les prisonniers, la deuxième partie de mon analyse.

 20   Comme je l'ai indiqué, pendant 35 jours le Détachement El Moudjahid a

 21   abusé, humilié et terrorisé 11 de ces prisonniers. Le 12e, Gojko Vujicic, a

 22   été tué et décapité le lendemain du jour de l'arrivée des prisonniers dans

 23   ce camp de Kamenica. Les survivants ont décrit un climat d'abus mental et

 24   physique permanent qui a commencé dans le village de Livade le 21 juillet

 25   et qui s'est poursuivi dans le camp de Kamenica jusqu'au 24 août.

 26   Un des survivants, un médecin, le Dr Branko Sikanic, a décrit la façon dont

 27   les hommes avaient été liés et que leurs mains et leurs pieds avaient été

 28   attachés à un bâton, les obligeant à se reposer sur leurs genoux. Je cite :

Page 93

  1   "J'ai eu beaucoup de problèmes avec ce bâton et la position terrible dans

  2   laquelle j'étais attaché." Il s'agit de la pièce 927 qui est citée dans la

  3   note en bas de page 660 du jugement en première instance.

  4   A Livade, deux des prisonniers ont dû regarder les têtes qui venaient

  5   d'être décapitées de deux soldats serbes, identifiés par la suite comme

  6   étant Predrag Knezevic et Momir Mitrovic, qui ont été tués par des membres

  7   du détachement, c'était un acte de terrorisation. Les conditions ne se sont

  8   pas améliorées pour les prisonniers lorsqu'ils ont été transférés au camp

  9   de Kamenica du détachement. Le Dr Sikanic décrit la façon dont on les a

 10   limités dans leurs mouvements.

 11   "On nous a demandé de nous déplacer sur le ventre, nos mains étaient

 12   attachées dans le dos et également nos jambes étaient attachées. Il y avait

 13   une douleur terrible quelque part au niveau des jambes, mais je ne suis pas

 14   capable de dire ce qui était à l'origine de cette douleur. J'avais

 15   l'impression que quelqu'un me tranchait tout doucement les pieds avec un

 16   objet en mouvement." Encore une fois, ceci est une citation de sa

 17   déclaration qui est citée par les Juges de la Chambre aux paragraphes 257

 18   et 258 du jugement.

 19   Comme je l'ai indiqué, Gojko Vujicic a été tué et décapité le premier

 20   jour au camp. Ceci a eu un effet sur les autres personnes qui ont survécu.

 21   Un des prisonniers de guerre, Trivicevic, a décrit ce qu'il a vu, et je

 22   cite :

 23   "Et un des Moudjahidines qui se trouvait dans la tente pour la prière est

 24   sorti de la tente, a pris un fusil automatique qui se trouvait à côté de

 25   l'entrée, il l'a armé en chemin. Et ensuite, en marchant, il s'est arrêté

 26   près de la tête de Gojko, et Gojko pouvait le voir et il a simplement

 27   tourné la tête dans la direction vers la gauche. Et en ensuite, en

 28   avançant, il était debout près de la tête de Gojko et a tout simplement

Page 94

  1   tiré sur la tempe droite de Gojko. Il est ensuite rentré à nouveau dans la

  2   tente. J'ai simplement regardé Gojko et je voyais son petit doigt qui

  3   bougeait encore comme s'il était en vie. Le Moudjahidine s'est rendu dans

  4   la tente, ensuite il a pris une épée, il est revenu vers Gojko, et avec

  5   plusieurs coups il a tout simplement décapité la tête de Gojko. Il a essayé

  6   de placer cette tête sur la poitrine, mais étant donné que le corps était

  7   renversé en arrière, la tête ne pouvait pas rester à cet endroit-là. Il a

  8   essayé de faire cela à plusieurs reprises, et lorsque cela ne marchait pas,

  9   il a placé la tête sur le ventre et ensuite la tête est partie. Il l'a

 10   replacée sur le ventre et ensuite la tête est restée à cet endroit-là." Il

 11   s'agit du compte rendu d'audience 3639 à 3640, également cité par les Juges

 12   de la Chambre dans son jugement au paragraphe 260.

 13   Et ensuite au paragraphe suivant, le jugement rappelle que ces hommes

 14   ont dû embrasser la tête qui avait été décapitée.

 15   Pendant leur séjour, les hommes ont fait l'objet de passages à tabac

 16   réguliers, de chocs électriques, et non pas reçu suffisamment d'eau

 17   lorsqu'ils étaient emprisonnés dans le camp de Kamenica, paragraphe 273 du

 18   jugement. Ceci a eu un effet durable sur les victimes. Comme l'a expliqué

 19   le Dr Sikanic :

 20   "Le manque criant d'eau a provoqué la déshydratation et une perte de poids,

 21   13 à 15 kilos. J'ai perdu tellement de poids que mon rein droit s'est

 22   déplacé et ne s'est pas trouvé dans une position normale. Il arrive que

 23   j'aie encore une douleur assez aiguë dans mon rein droit. Ceci est dû au

 24   stress et au manque de nourriture. J'ai également développé un ulcère dans

 25   l'intestin grêle," aux paragraphes 268 et 271.

 26   La peine de trois ans de Delic ne permet pas d'illustrer la gravité des

 27   séries de crime, non pas un seul crime mais une série de crimes qui ont été

 28   infligés sur ces 11 hommes pendant une période de 35 jours. Comme la

Page 95

  1   Chambre d'appel a estimé, la responsabilité du supérieur hiérarchique n'est

  2   pas moins grave de façon inhérente que la responsabilité qui incombe à

  3   l'auteur du crime. Arrêt Celebici, paragraphe 735.

  4   Et comme l'a déclaré le Juge Shahabudeen dans l'arrêt Oric, je cite :

  5   "La punition du crime pour le commandant qui omet de contrôler ses

  6   subordonnés doit être comparée à la sanction imposée à ses subordonnées

  7   pour les crimes qui ont réellement été commis par eux." Déclaration

  8   Shahabudeen, paragraphe 222 [comme interprété].

  9   Donc, Delic a été condamné à une peine de trois ans. Je vais vous donner un

 10   exemple : une condamnation pour un seul exemple de traitement cruel,

 11   conformément aux articles du code de procédure pénale de la RSFY, aurait

 12   représenté "une sentence minimale de cinq ans d'emprisonnement," et la

 13   peine la plus grave dans ce cas aurait été la peine de mort.

 14   Compte tenu du nombre de victimes dans cette affaire, et Gojko Vujicic a

 15   été maltraité pendant le temps où il était en vie, ainsi que les abus

 16   imposés en permanence sur ces hommes, la peine appropriée pour Delic en

 17   tant qu'auteur et avec ses subordonnés serait au-delà de cinq ans. Et la

 18   peine de Delic de trois ans est manifestement inadéquate.

 19   En conclusion, cette peine de trois ans omet de tenir compte du rôle

 20   critique qu'a joué Rasim Delic lorsqu'il a créé le Détachement El Moudjahid

 21   et lorsqu'il a toléré le comportement criminel de ses membres avant le mois

 22   de juillet 1995. Il les a récompensés plutôt que de les punir. Il les a

 23   déployés alors qu'il aurait dû les retenir.

 24   La peine de trois ans de la Chambre a été quelque chose qui n'a pas été

 25   pris au bon endroit. Ceci ne permet pas d'avoir une quelconque valeur de

 26   châtiment pour ces crimes. Ceci n'a aucune valeur dissuasive, ne permet pas

 27   de dissuader des commandants à l'avenir de choisir, comme l'a fait Delic,

 28   l'opportunisme militaire au lieu de répondre de ces obligations et de faire

Page 96

  1   appliquer le droit international humanitaire. La Chambre d'appel devrait

  2   revoir cette peine et apposer une peine d'emprisonnement de sept ans.

  3   A moins qu'il y ait des questions, j'en ai terminé avec mes observations.

  4   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions. Les Juges n'ont pas de questions.

  5   A présent, nous allons donner la parole à la Défense. C'est Mme

  6   Vidovic qui va prendre la parole. Vous avez 50 minutes pour votre --

  7   Mme VIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente. Merci.

  8   Bonjour encore à toutes les personnes.

  9   Madame et Messieurs les Juges, les arguments du Procureur présentés

 10   aujourd'hui, ceux apparaissant dans ces mémoires n'ont aucun fondement dans

 11   la jurisprudence du Tribunal, et ils sont complètement battus en brèche par

 12   une analyse détaillée et argumentée telle qu'elle apparaît dans les

 13   conclusions de la Chambre. L'appel du Procureur représente une requête

 14   infondée pour obtenir une peine plus lourde.

 15   Comme le Procureur l'a confirmé dans son appel, la majorité a fait

 16   état, de façon correcte, de tous les facteurs pertinents qui doivent être

 17   pris en compte dans la détermination de la peine. Tout d'abord,

 18   conformément à la jurisprudence du Tribunal, deux objectifs principaux

 19   président à la détermination des peines dans des affaires de crimes de

 20   guerre. Madame et Messieurs les Juges, ces deux objectifs ont, tous les

 21   deux, été reflétés dans la peine prononcée. Il s'agit de la punition de

 22   l'auteur du crime et de la dissuasion, à savoir dissuader la commission de

 23   crimes futurs.

 24   Le principe de la rétribution impose qu'une peine appropriée soit

 25   imposée, peine proportionnelle à la gravité des actes de l'accusé. Quant à

 26   la dissuasion, comme le dit la Chambre de première instance, elle revêt

 27   deux formes : une forme individuelle et une forme générale. Cependant,

 28   comme la majorité ont fait état de façon tout à fait correcte au paragraphe

Page 97

  1   559 du jugement, le principe de la dissuasion ne doit pas se voir accorder

  2   une importance excessive dans l'ensemble du processus de détermination de

  3   la peine pour des personnes mises en accusation par le Tribunal

  4   international. Cette position ou une position similaire a également été

  5   prise par les Chambres d'appel dans les affaires Kordic et Cerkez,

  6   paragraphe 1 078; dans l'affaire Celebici, paragraphe 801; dans Tadic,

  7   paragraphe 48; et dans Aleksovski, paragraphe 185. La majorité a donné une

  8   estimation correcte des facteurs devant être examinés et pris en compte

  9   lors de la détermination de la peine, conformément à l'article 24 du Statut

 10   et à l'article 101 du Règlement de preuve et de procédure. Par conséquent,

 11   l'appel du Procureur est totalement infondé et devrait être rejeté par la

 12   Chambre d'appel.

 13   La majorité a fait état, de façon juste, du fait que c'est la gravité

 14   de l'acte commis qui représente le facteur le plus important dans la

 15   détermination de la peine. Cette dernière doit refléter la gravité de

 16   l'ensemble du comportement de l'accusé tout en tenant compte des

 17   circonstances spécifiques de l'espèce tout comme des modalités et du degré

 18   de participation de l'accusé aux crimes, paragraphe 561 du jugement. Ceci

 19   est tout à fait conforme au premier objectif, qui est celui d'accomplir la

 20   fonction de la punition, le principe de la rétribution.

 21   Comme dans toutes les affaires au pénal, le facteur décisif dans des

 22   affaires relatives à la responsabilité du commandant est constitué par les

 23   agissements mêmes de l'accusé et les circonstances dans lesquelles les

 24   actes de ce dernier ont été commis. Si les crimes des subordonnés doivent

 25   évidemment être pris en compte, la Chambre ne doit pas perdre de vue le

 26   fait que l'accusé ne peut être puni que pour ses propres manquements, et

 27   non pas pour les agissements de ses subordonnés. C'est ce dont il est fait

 28   état au paragraphe 162 du jugement, et c'est du fait de la majorité des

Page 98

  1   Juges. Comme la Chambre d'appel l'a constaté dans l'affaire Krnojelac,

  2   paragraphe 171, je cite :

  3   "Il est particulièrement important de souligner, en matière de

  4   responsabilité du supérieur hiérarchique, que l'accusé n'est pas mis en

  5   accusation pour des crimes commis par ses subordonnés, mais parce qu'il n'a

  6   pas rempli son obligation de surveiller ses subordonnés en sa qualité de

  7   supérieur."

  8   Le Procureur néglige de tenir compte de la nature même de la

  9   responsabilité de commandement, de l'importance et de la portée des actes

 10   de l'accusé lorsqu'il affirme que les constatations de la majorité

 11   relatives à la nature des crimes commis par les subordonnés de Delic

 12   traduisent un écart entre la gravité, d'une part, des crimes commis, et

 13   d'autre part, la peine de trois ans, paragraphe 9 du mémoire en appel.

 14   Le Procureur décrit, de façon très détaillée, le caractère

 15   "incroyablement brutal" des crimes commis par les subordonnés de Delic,

 16   mais il ne donne aucune explication de la façon dont la gravité de chaque

 17   situation particulière devrait être prise en compte et devrait contribuer à

 18   la sévérité de la peine compte tenu, bien évidemment, du fait qu'il a été

 19   établi que Delic n'avait pas une connaissance effective de ces crimes. A

 20   aucun endroit dans la jurisprudence du Tribunal, en matière de

 21   responsabilité de commandement, il est défini, cette dernière, comme une

 22   responsabilité objective. Par conséquent, lorsque l'on examine la

 23   responsabilité de l'accusé et lorsqu'on essaye de déterminer la peine, le

 24   comportement des subordonnés ne doit pas se voir accordé un poids excessif.

 25   J'en appelle ici de nouveau au paragraphe 239 de l'arrêt d'appel dans

 26   Celebici, où il est dit explicitement que la responsabilité de commandement

 27   n'est pas une responsabilité objective; le jugement dans Halilovic,

 28   paragraphes 42 à 54, confirmé par le jugement; dans Hadzihasanovic,

Page 99

  1   paragraphes 66 à 75. Lorsque la majorité a adopté le jugement en l'espèce,

  2   elle était parfaitement au fait de tous les détails des crimes commis et

  3   leur a attribué le poids qu'il convenait dans la détermination de la peine.

  4   Cela est visible au paragraphe 564 du jugement.

  5   Contrairement aux allégations du Procureur, la sévérité d'une peine

  6   éventuellement prononcée contre ses subordonnés ne doit pas avoir

  7   d'influence dans la détermination de la peine imposée à Delic, car ce

  8   dernier n'est pas condamné pour avoir directement participé aux crimes en

  9   question, mais pour manquement à prévenir et à punir les crimes de ses

 10   subordonnés. Le Procureur -- ai-je raison de dire que la responsabilité du

 11   commandement n'est pas moins importante que la responsabilité des auteurs,

 12   mais il n'en ressort pas automatiquement que la peine imposée au supérieur

 13   hiérarchique doit être égale ou supérieure à celle éventuellement imposée à

 14   ses subordonnés. Il convient de tenir compte de la nature du manquement qui

 15   est celui du supérieur hiérarchique et du fait que la peine qui lui est

 16   imposée doit être différente. C'est ainsi qu'on a disposé la Chambre dans

 17   Halilovic, paragraphes 42 à 52; et cette position a été réaffirmée dans

 18   l'affaire Hadzihasanovic, arrêt en appel, paragraphe 39.

 19   Le Procureur a fait référence au code pénal de la RSFY, mais en fait,

 20   il fait référence de façon tout à fait erronée à la jurisprudence d'un

 21   certain nombre de systèmes juridiques nationaux en matière de déterminer

 22   selon la peine. En effet, ces systèmes juridiques ont une conception

 23   complètement différente de la responsabilité du commandement par rapport à

 24   celle qui prévaut dans ce Tribunal. Dans chacun des systèmes juridiques

 25   auxquels le Procureur se réfère, la sévérité de la peine encourue par les

 26   subordonnés représente un facteur important pour la détermination de la

 27   peine du supérieur hiérarchique, et ce dernier est considéré comme un

 28   complice dans le crime.

Page 100

  1   Compte tenu du fait que les Chambres d'appel de ce Tribunal ont

  2   expressément pris la position suivante, à savoir que la responsabilité du

  3   commandement représente une infraction à part entière et que ceux qui sont

  4   mis en accusation au terme de ce mode de responsabilité ne doivent pas être

  5   considérés comme des complices, ainsi que le fait que la peine qui est

  6   prévue pour eux ne doit pas nécessairement être égale à celle de leurs

  7   subordonnés. Je me réfère ici au jugement Halilovic, paragraphes 42 à 54;

  8   confirmée dans l'affaire Hadzihasanovic, en première instance, paragraphes

  9   66 à 75; ainsi que dans l'arrêt en appel Celebici, paragraphe 239.

 10   Donc, compte tenu de cela, il importe de signaler que la

 11   jurisprudence des tribunaux de l'ex-Yougoslavie, en l'espèce, est d'une

 12   pertinence particulièrement limitée.

 13   Delic a été condamné pour manquement à prévenir et à punir les crimes

 14   de ses subordonnés, et non pas pour une participation directe à ces crimes.

 15   Le Procureur est dans l'erreur lorsqu'il prend en compte la jurisprudence

 16   d'autres tribunaux, tout en perdant de vue ce qui est affirmé au paragraphe

 17   558 du jugement. La majorité a conclu -- la majorité a souligné que la

 18   pratique des tribunaux était l'un des facteurs qu'il convenait de garder à

 19   l'esprit dans la détermination de la peine. Cependant, dans une analyse

 20   ultérieure, elle a conclu que le code pénal de la RSFY ne prévoyait pas une

 21   forme de responsabilité correspondant à l'article 7(3) du Statut du

 22   Tribunal, si bien que c'était la jurisprudence du Tribunal qui était

 23   pertinente dans l'espèce, paragraphe 593 du jugement.

 24   Mais même dans le cas où le Tribunal aurait à prendre en compte le code

 25   pénal de la RSFY, comme l'a dit le Procureur, la peine minimum prévue pour

 26   les auteurs de crime est de cinq ans, pour les auteurs directs du crime.

 27   C'est le paragraphe 593 du jugement. Cependant, la peine que la majorité a

 28   imposée à Rasim Delic est tout à fait appropriée, parce que ce dernier est

Page 101

  1   condamné sur la base de sa responsabilité de supérieur hiérarchique et que,

  2   je le répète une nouvelle fois, il n'avait pas une connaissance effective

  3   des crimes commis. Donc, les crimes eux-mêmes et la peine éventuellement

  4   encourue par ses auteurs ne représentent pas le facteur le plus important

  5   dans la détermination de la peine. Au contraire, c'est le comportement de

  6   l'accusé lui-même qui est un point déterminant. Puisque la doctrine de la

  7   responsabilité du supérieur hiérarchique, en théorie, pourrait être

  8   appliquée dans un cadre beaucoup plus large lorsqu'il s'agit de manquement

  9   à ses responsabilités, la peine pourrait varier considérablement d'un cas

 10   de manquement à la responsabilité à l'autre.

 11   En tout état de cause, trois facteurs essentiels sont applicables

 12   pour la détermination de la mesure dans laquelle un supérieur hiérarchique

 13   peut être considéré comme responsable de crimes commis par ses subordonnés,

 14   tout comme pour la détermination d'une peine appropriée dans de telles

 15   circonstances. Ces facteurs sont, premièrement, la gravité de son propre

 16   manquement aux obligations qui sont les siennes; deuxièmement, la gravité

 17   des conséquences de ce manquement; et troisièmement, la mesure dans

 18   laquelle il est possible d'affirmer que son inaction a contribué à la

 19   commission des crimes, le fait de ne pas prévenir ces crimes donc, ou la

 20   mesure dans laquelle ses subordonnés n'ont pas été punis pour les crimes

 21   qu'ils ont commis.

 22   La gravité du manquement à ces obligations doit être mesurée en

 23   procédant à une comparaison des mesures que l'accusé avait l'obligation

 24   d'entreprendre d'un point de vue juridique et qu'il avait la capacité

 25   matérielle de prendre d'un côté, et d'autre part, le comportement qui a

 26   réellement été le sien dans les circonstances en question. Il est important

 27   de souligner que le supérieur, s'il avait certaines responsabilités et

 28   certaines compétences, n'avait pas nécessairement une responsabilité

Page 102

  1   globale.

  2   Il faut également garder à l'esprit que conformément au droit

  3   international, on n'exige pas d'un officier haut placé qu'il prenne en

  4   charge personnellement la mise en œuvre ou l'exécution de mesures visant à

  5   prévenir ou à empêcher des crimes commis dans les échelons inférieurs de la

  6   hiérarchie. Alors, je vous prie d'avoir à l'esprit qu'il s'agit ici du

  7   commandant de l'état-major principal de l'ABiH qui a en dessous de lui, au

  8   sein de l'hiérarchie, les commandements des corps d'armée, les commandants

  9   des divisions, les commandants des brigades et leurs propres commandants,

 10   les commandants des bataillons et leurs propres commandants, ainsi que ce

 11   détachement qui nous intéresse en particulier et qui se trouve à l'un de

 12   ces niveaux inférieurs. Ce détachement n'est que l'une des milliers

 13   d'unités qui existent au sein de cette chaîne de commandement.

 14   Alors, la question de savoir quelle mesure le supérieur hiérarchique a le

 15   devoir d'entreprendre dans un contexte donné est directement déterminée par

 16   les possibilités matérielles qui sont les siennes et par les circonstances

 17   prévalant à l'époque. C'est ce qu'a conclu en tout cas la Chambre

 18   compétente dans l'affaire Strugar, paragraphe 378. Par conséquent, le

 19   Tribunal doit opérer une vérification très précise de la situation dans

 20   laquelle se trouvait le commandant ainsi que des moyens qui étaient à sa

 21   disposition pendant la période pertinente de l'acte d'accusation, en tenant

 22   en compte toutes les circonstances et des faits pertinents en l'espèce.

 23   Madame et Messieurs les Juges, cela est tout à fait conforme au droit

 24   international et à ses dispositions stipulant explicitement que la gravité

 25   du manquement du supérieur hiérarchique, en tant qu'un seulement des

 26   facteurs principaux dans la détermination de la peine, ne peut être établie

 27   et déterminée sans prendre en considération toutes les circonstances dans

 28   lesquelles le manquement s'est produit. C'est ce qui a été mis en avant par

Page 103

  1   la Chambre au paragraphe 558 du jugement, et c'est ce qui a également été

  2   affirmé en page 5 001 dans l'affaire Toyoda.

  3   Pour ce qui est un manquement de Delic, le Procureur affirme que cette

  4   peine de trois ans remet en question l'efficacité même du concept de

  5   responsabilité du supérieur hiérarchique en tant qu'instrument de

  6   l'application du droit international humanitaire, en ayant à l'esprit les

  7   circonstances de l'espèce. Cependant, le Procureur ne cite aucune de ces

  8   circonstances qui permettraient de justifier l'imposition d'une peine plus

  9   sévère en tant que moyen de sauvegarder les instruments d'application du

 10   droit international humanitaire à l'égard de la responsabilité du

 11   commandement. Au contraire, il existe toute une série de circonstances qui

 12   sont celles dans lesquelles Delic agit et qui justifient la position de la

 13   Chambre de première instance.

 14   Alors, à partir des constatations factuelles, il est tout à fait

 15   visible que dans les circonstances qui sont celles dans lesquelles est

 16   intervenu Delic à partir de son arrivée au poste de commandement de l'état-

 17   major principal de l'ABiH jusqu'aux accords de Dayton, qui limitent très

 18   sérieusement sa capacité d'entreprendre quelque mesure que ce soit contre

 19   le détachement. Par ailleurs, les éléments de preuve montrent très

 20   clairement que Delic a entrepris toutes les mesures qui étaient disponibles

 21   dans les circonstances en question.

 22   D'autre part, les circonstances prévalant au sein de l'ABiH

 23   limitaient sérieusement les possibilités dont disposait Delic au sein de

 24   cette dernière. La possibilité de prendre des mesures contre le Détachement

 25   El Moudjahidine était même encore plus réduite compte tenu du rejet qui

 26   était celui de cette unité pour ce qui était d'accepter le commandement

 27   exercé par l'ABiH. Et cela est particulièrement visible à la lumière du

 28   fait suivant. Les membres du Détachement El Moudjahidine n'ont pas autorisé

Page 104

  1   les membres de l'ABiH à accéder à leurs propres camps, comme vous avez pu

  2   l'entendre et comme cela figure aux paragraphes 407 et 410 du jugement;

  3   l'ABiH elle-même disposait de données très limitées quant à l'identité des

  4   membres individuels de ce détachement, comme cela figure au paragraphe 373

  5   du jugement et comme mon confrère l'a expliqué; et cette unité a

  6   systématiquement refusé d'accepter le système de subordination au sein de

  7   l'ABiH, c'est ce que nous dit le compte rendu en page 4 045 avec un premier

  8   témoin; puis le témoin Sljuka, en page 4 301; et puis le 8 octobre -- Edin

  9   Husic, le 23 octobre 2007, pages 4 446 à 4 447; Témoin Awad, le 9 février

 10   2008, page du compte rendu 172 et 173; Témoin Ismet Alija, le 16 octobre

 11   2007, page 4 156 du compte rendu d'audience. Madame et Messieurs les Juges,

 12   tous ces témoins étaient des témoins de l'Accusation. Alors, toutes les

 13   circonstances dont je viens de faire état sont particulièrement pertinentes

 14   pour la détermination de la responsabilité individuelle de l'accusé et dans

 15   la détermination de la sévérité de sa peine.

 16   Le fait que Rasim Delic, en dépit des problèmes et des difficultés

 17   précitées, ait pris des mesures, bien que ces mesures se soient souvent

 18   avérées inefficaces, tout comme le fait qu'il ait pris des mesures pour

 19   mettre en place un système de direction et de commandement en général et

 20   des mesures visant à placer sous contrôle le détachement, sont

 21   particulièrement significatives.

 22   Dès le mois de juin 1993, Delic a ordonné au 3e Corps d'armée de désarmer,

 23   de démanteler et de chasser les Moudjahidines. Nous disposons à cet effet

 24   de la pièce à conviction E 163, également de la pièce E 661 et de la pièce

 25   E 963. Au mois d'octobre 1993, Delic a lancé l'action Trebevic 1 contre

 26   deux unités de l'ABiH qui étaient hors de contrôle, ce que l'on trouve au

 27   paragraphe 136 du jugement. Suite à cela, il a lancé encore un certain

 28   nombre d'actions, telles que Trebevic 2, 3 et 4, afin d'écarter les

Page 105

 1  

 2  

 3  

 4  

 5  

 6  

 7  

 8  

 9  

10  

11   Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

12   versions anglaise et française

13  

14  

15  

16  

17  

18  

19  

20  

21  

22  

23  

24  

25  

26  

27  

28  

Page 106

  1   obstacles s'opposant au bon fonctionnement du système de direction et de

  2   commandement au sein de l'ABiH, comme cela figure au paragraphe 137 du

  3   jugement. Ensuite, le 9 décembre 1993, Rasim Delic a ordonné qu'il soit mis

  4   un terme aux agissements illégaux des unités guérilla Moudjahidines et El

  5   Moudjahidine, comme cela figure au paragraphe 449 du jugement. Et enfin,

  6   l'action opérationnelle Vranduk dont vous avez connaissance et qui vous

  7   avait été présentée en tant que dernière pièce dans l'ordre par mon

  8   confrère, avait pour objectif une enquête menée concernant les activités du

  9   détachement et représentait encore une tentative de la part de l'ABiH

 10   visant à placer ce détachement sous contrôle.

 11   Toutes ces actions nous montrent que Delic était un commandant

 12   responsable qui s'est efforcé de mettre en œuvre un système de direction et

 13   de commandement au sein de l'ABiH et de résoudre les problèmes causés par

 14   les Moudjahidines, mais également un commandant qui, en raison de la

 15   présence d'un certain nombre de facteurs dont nous avons déjà parlé, aux

 16   paragraphes 250 à 258, de la seconde branche de notre deuxième moyen

 17   d'appel, un commandant qui n'a pas réussi à mettre en place ces conditions.

 18   La décision de la majorité est tout à fait justifiée compte tenu du

 19   contexte dans lequel Delic intervenait. De nombreuses difficultés

 20   auxquelles il était confronté quotidiennement ont influencé sans le moindre

 21   doute ses capacités matérielles à prévenir et à punir. C'est pourquoi

 22   l'affirmation du Procureur selon laquelle la sévérité de la peine n'est pas

 23   appropriée est très loin de la réalité. La majorité fait état, dans

 24   plusieurs passages du jugement, de sa conclusion selon laquelle Delic a

 25   manqué à son devoir de prévenir et de punir les crimes commis par ses

 26   subordonnés, paragraphe 564; d'où il est possible de conclure que la

 27   majorité a bien tenu compte de ce double manquement au moment où elle a

 28   déterminé la peine.

Page 107

  1   Par conséquent, l'affirmation du Procureur selon laquelle la majorité

  2   a commis une erreur en ne déterminant pas une peine plus sévère est tout à

  3   fait infondée.

  4   Le Procureur a totalement omis de tenir compte des circonstances dans

  5   lesquelles Delic intervenait lorsqu'il a écrit, je cite, que : "Delic a

  6   privilégié l'efficacité militaire au détriment des obligations qui étaient

  7   les siennes en application du droit international humanitaire". Tout à fait

  8   précisément, le Procureur dit dans son mémoire en appel que Delic je cite :

  9   "…a fermé les yeux devant les violations du droit international humanitaire

 10   commises par le détachement et qu'il a continué d'y avoir recours dans ses

 11   opérations parce que cela lui convenait dans l'accomplissement de ses

 12   objectifs militaires." Il s'agit d'une affirmation contraire aux

 13   constatations de la majorité. Premièrement, la majorité a conclu que Delic

 14   n'avait jamais eu une connaissance effective de quelque crime que ce soit,

 15   mais qu'il n'avait que des raisons de savoir que les membres du détachement

 16   s'apprêtaient à commettre le crime de traitement cruel dans les camps de

 17   Livade et Kamenica en juillet et août 1995, comme cela est cité au

 18   paragraphe 542 du jugement. Par conséquent, pour quelqu'un qui n'avait pas

 19   une connaissance effective des violations du droit international

 20   humanitaire, il est impossible de dire qu'il aurait fermé les yeux face à

 21   ces mêmes violations.

 22   Madame et Messieurs les Juges, vous avez eu l'occasion d'entendre des

 23   descriptions tout à fait effroyables. Cependant, aucune de ces descriptions

 24   ni informations n'est jamais parvenue jusqu'au général Delic. Et la

 25   majorité des Juges de la Chambre de première instance n'est pas parvenue à

 26   une telle conclusion.

 27   Deuxièmement, l'argument du Procureur est également contraire aux

 28   constatations de la majorité, à savoir que Delic travaillait à la

Page 108

  1   résolution des problèmes causés par le détachement ainsi que la

  2   constatation qui affirmait également que Delic participait à des actions de

  3   formation de ses subordonnées, formation aux principes du droit

  4   international humanitaire. Paragraphe 544 du jugement. La majorité a conclu

  5   que Delic a entrepris des mesures visant à familiariser au droit

  6   international humanitaire au sein de l'ABiH, visant à leur application et

  7   qu'il a donné des instructions aux commandants de corps de l'ABiH afin que

  8   les ennemis prisonniers soient traités conformément aux dispositions de la

  9   convention de Genève et afin que les membres de la Croix-Rouge

 10   internationale puissent accéder aux locaux de détention, paragraphe 544.

 11   Sur la base des constatations de la majorité, il est tout à fait clair que

 12   l'affirmation du Procureur selon laquelle Delic aurait privilégié

 13   l'efficacité militaire est tout à fait infondée. Par là même, l'affirmation

 14   du Procureur selon laquelle cette peine de trois ans revient à approuver la

 15   décision qui aurait été celle de Delic de négliger ses obligations lui

 16   incombant en application du droit international humanitaire et sa décision

 17   de continuer de recourir au Détachement El Moudjahid dans les opérations de

 18   combat, ainsi que cela revient à réduire la valeur dissuasive de la peine,

 19   est également infondée.

 20   Le Procureur affirme que cette peine ne dissuade en rien des

 21   commandants à l'avenir de recourir à des individus avec des unités

 22   violentes dans leurs opérations militaires. Le Procureur, à vrai dire, fait

 23   également erreur lorsqu'il cite la décision, entre guillemets, de Delic de

 24   ne pas contrôler le détachement.

 25   Le Procureur affirme que Delic a remercié cette unité et qu'il l'a

 26   récompensée, mais cela représente une déformation des faits et une

 27   déformation des constatations de la Chambre de première instance. Dans les

 28   paragraphes du jugement que le Procureur cite à l'appui de son affirmation,

Page 109

  1   paragraphes 198 et 455, la Chambre de première instance a constaté que les

  2   distinctions accordées au Détachement El Moudjahid l'avaient été en tant

  3   qu'incitation pour ces étrangers à quitter la Bosnie-Herzégovine, donc non

  4   pas en tant que récompense, mais en tant qu'incitation à partir. Il a

  5   également été constaté que les promotions accordées aux membres du

  6   détachement étaient la conséquence d'une décision de la présidence de la

  7   République de Bosnie-Herzégovine et non pas une décision de Rasim Delic.

  8   Le Procureur omet entièrement de tenir compte, comme cela d'ailleurs

  9   est indiqué au paragraphe 455 du jugement, omet donc totalement de tenir

 10   compte de ce contexte particulier lorsqu'il affirme que Delic a remercié

 11   cette unité pour l'aide apportée au cours de la guerre et qu'il convenait

 12   d'interpréter ce fait comme le signe d'une négligence de sa part concernant

 13   l'application du droit international humanitaire. Les éléments de preuve et

 14   les constatations de la Chambre de première instance, paragraphe 456 du

 15   jugement, indiquent sans le moindre doute que cette déclaration de Delic

 16   était en accord avec la décision de la présidence et qu'elle a été donnée

 17   sous la pression de la communauté internationale qui, après la signature

 18   des accords de Dayton, a exigé le départ de Bosnie-Herzégovine de tous les

 19   étrangers. C'est dans ce sens qu'a déposé le témoin Loncaric le 10 avril

 20   2008, le témoin Halim Husic le 12 mars 2008; ainsi que le témoin de

 21   l'Accusation Awad. Dans une telle situation, des représentants des

 22   structures politiques et militaires étaient contraints de choisir une ligne

 23   de conduite particulièrement délicate, déterminée du point de vue

 24   diplomatique, à l'égard des étrangers afin de s'assurer de leur départ.

 25   Le Procureur affirme que Delic mérite une peine plus sévère en raison

 26   de son manquement au devoir qui lui incombait au titre de l'application du

 27   droit international humanitaire, notamment compte tenu du fait qu'il était

 28   le commandant le plus haut placé de l'ABiH. Cette affirmation est fondée

Page 110

  1   sur une interprétation erronée de la jurisprudence liée à la responsabilité

  2   de commandant, parce que le rang ou une position élevée au sein de la

  3   hiérarchie ne peut être simultanément une base pour un prononcé de

  4   culpabilité en application de la doctrine de la responsabilité du supérieur

  5   et en même temps une circonstance aggravante dans la détermination de la

  6   peine. Une telle façon de procéder nous amènerait dans une situation où sa

  7   position serait retenue deux fois comme étant pertinente. Une telle

  8   position a été prise dans le jugement dans l'affaire Hadzihasanovic et

  9   Kubura, page 614, note de bas de page 4877; dans l'arrêt Celebici,

 10   paragraphe 745, note de bas de page 1261.

 11   Le fait que l'accusé se soit trouver à un poste de haute responsabilité et

 12   qu'il ait eu certaines compétences ne peut aggraver le comportement qui a

 13   été le sien que dans le cas où l'accusé a abusé de son autorité ou s'il y a

 14   recouru dans l'intention de se livrer à des activités criminelles ou de

 15   permettre celles d'autrui, et cela, en plus, uniquement dans le cas où

 16   l'accusé n'a pas été condamné sur la base de sa responsabilité de supérieur

 17   hiérarchique. C'est ce que l'on trouve au paragraphe 709 du jugement

 18   Krstic; dans l'arrêt Celebici, paragraphe 737; dans l'arrêt Aleksovski,

 19   paragraphe 183; dans le prononcé de la peine dans l'affaire Sikirica,

 20   paragraphe 172; dans le jugement dans l'affaire Babic, paragraphes 54 à 62;

 21   et dans le jugement et prononcé de la peine Simic, paragraphe 67.

 22   Madame et Messieurs les Juges, le Procureur n'a en rien démontré que Rasim

 23   Delic aurait, de quelque façon que ce soit, abusé de son autorité.

 24   A l'appui de cet argument selon lequel la majorité aurait dû imposer

 25   à Delic une peine plus sévère en raison de sa haute position d'officier, le

 26   Procureur invoque l'arrêt en appel dans l'affaire Strugar. Cependant, il

 27   existe une différence fondamentale entre ces deux affaires. A la différence

 28   de Delic, Strugar a été condamné également en application de l'article 7(1)

Page 111

  1   et non seulement dans l'application de l'article 7(3) du Statut. La Chambre

  2   d'appel dans l'affaire Celebici a établi une distinction claire entre ces

  3   deux formes de responsabilité du point de vue de la détermination de la

  4   peine. Il a été conclu, je cite : "La preuve d'une participation active du

  5   supérieur hiérarchique dans les crimes commis par ses subordonnés aggrave

  6   la nature de son manquement à prévenir ou à punir les mêmes actes et peut

  7   être considérée comme circonstance aggravante dans la détermination de la

  8   peine." Arrêt Celebici, paragraphe 736; arrêt Aleksovski, paragraphe 183.

  9   Par conséquent, toute comparaison entre ces deux affaires, du point de vue

 10   de la détermination de la peine, est tout à fait inappropriée.

 11   Delic n'a été condamné que par la majorité de la Chambre de première

 12   instance. Il n'a été condamné que sur la base du crime de traitement cruel,

 13   et uniquement sur la base de la connaissance présumée qu'il avait des

 14   crimes. Ce dernier fait a une importance toute particulière dans la

 15   détermination de la peine. La majorité elle-même a dit, je cite, que : "Les

 16   facteurs pertinents dans la détermination de la peine, pour ce qui est des

 17   comportements du supérieur, contraignent également la question de savoir si

 18   le supérieur hiérarchique avait une connaissance effective ou uniquement

 19   une connaissance présumée des crimes de ces subordonnés, et la question de

 20   savoir dans quelle mesure la commission de ces crimes étaient prévisible."

 21   Paragraphe 563 du jugement se référant au jugement Oric, paragraphe 728.

 22   La majorité a également souligné qu'il importait de souligner qu'il

 23   avait été établi que Rasim Delic n'avait qu'une connaissance présumée et

 24   non pas une connaissance effective des crimes en question. Paragraphe 564

 25   du jugement.

 26   Alors, je vais m'appuyer sur ce que le Procureur a dit aujourd'hui,

 27   Madame et Messieurs les Juges. Le Procureur a affirmé que Rasim Delic avait

 28   connaissance d'activités criminelles précédentes et d'actes criminels qui

Page 112

  1   avait été précédemment commis par des membres du Détachement El Moudjahid.

  2   Mais, Madame, Messieurs les Juges, cela est inexact. Même lorsqu'il est

  3   question des plaintes déposées au pénal contre les meurtriers présumés de

  4   M. Goodall, ce qui ressort de cela c'est qu'il s'agit de plusieurs

  5   personnes dont seulement certaines sont des membres du Détachement El

  6   Moudjahid, ou seraient des membres. Les autres informations disponibles ne

  7   concernaient absolument pas des infractions au pénal, mais des infractions

  8   mineures concernant la façon de se comporter à l'égard de civils, en raison

  9   des différences de traditions qui pouvaient exister entre des soldats

 10   arabes et la perception qui était celle du peuple bosniaque. Par

 11   conséquent, il n'y a aucune preuve de sa connaissance de comportement

 12   criminel précédent.

 13   La nature de la connaissance du supérieur est également importante

 14   pour ce qui est de la détermination de la mesure dans laquelle il est

 15   possible de punir le supérieur hiérarchique pour les crimes commis par ses

 16   subordonnés. Je parle du deuxième et du troisième facteurs pertinents. Il

 17   s'agit des cas dans lesquels le supérieur hiérarchique a manqué à son

 18   obligation de prévenir ou de punir les crimes commis par ses subordonnés.

 19   Oui, merci de me prévenir. Je m'excuse pour la vitesse à laquelle

 20   j'énonce ma présentation.

 21   Dans son appel, le Procureur dit, je cite : "Compte tenu de son rôle

 22   et de sa haute position au sein du commandement de l'ABiH, le manquement de

 23   Delic à prévenir et à punir les crimes de ses subordonnés est

 24   particulièrement grave parce qu'il créait un climat d'impunité au sein de

 25   la chaîne de commandement dans son ensemble. Delic était le supérieur

 26   hiérarchique de chacun des soldats se trouvant au sein de la structure

 27   militaire de l'ABiH. Plus que quiconque d'autre, il avait la responsabilité

 28   de mettre en œuvre la fonction de commandement au sein de l'ABiH." Mémoire

Page 113

  1   en appel de l'Accusation, paragraphe 33.

  2   En énonçant cette affirmation, le Procureur omet de tenir compte aussi bien

  3   de la jurisprudence applicable que des faits en l'espèce.

  4   Premièrement, le Procureur a omis de tenir compte de l'arrêt en appel

  5   dans Strugar et Hadzihasanovic. En effet, il y est affirmé qu'un manquement

  6   du commandement à prévenir et à punir ne peut avoir comme conséquence un

  7   risque accru en termes de commission de crime que dans les cas où le

  8   supérieur hiérarchique en question avait une connaissance effective des

  9   crimes commis. Arrêt en appel Hadzihasanovic, paragraphe 30; jugement

 10   Strugar, paragraphe 301. Compte tenu du fait que Delic n'avait qu'une

 11   connaissance présumée et non effective, et ce, d'un incident isolé, il est

 12   impossible d'affirmer que son manquement ait abouti à créer un climat

 13   d'impunité, et notamment lorsque l'on tient compte du fait qu'il

 14   encourageait de façon active la formation des membres de l'ABiH aux

 15   dispositions du droit international humanitaire.

 16   Deuxièmement, la conclusion de la Chambre d'appel dans l'affaire Celebici,

 17   à laquelle le Procureur se réfère dans son appel, à savoir qu'un manquement

 18   persistant du commandant à prévenir ou à punir les crimes de ses

 19   subordonnés peut encourager des subordonnés à commettre des crimes,

 20   paragraphe 739, n'est pas applicable en l'espèce, Madame et Messieurs les

 21   Juges. En effet, à la différence des accusés dans l'affaire Celebici, la

 22   majorité n'a pas conclu que Delic aurait manqué de façon systématique à ses

 23   obligations. Au contraire, il a été condamné sur la base de la conclusion

 24   suivante : il a été mis au courant d'un incident isolé, dont il est fait

 25   état au paragraphe 551 du jugement.

 26   La Chambre elle-même, dans l'affaire Celebici, fait état de la chose

 27   suivante, un manquement systématique du commandant à prévenir et à punir,

 28   ceci doit être considéré comme beaucoup plus grave que des cas isolés

Page 114

  1   montrant de tels manquements. Arrêt en appel Celebici, paragraphe 739.

  2   Le Procureur affirme que Delic était le supérieur, le commandant de chaque

  3   soldat au sein de la structure militaire de l'ABiH, et que, plus que

  4   quiconque, il avait la responsabilité de mettre en œuvre les fonctions du

  5   commandement au sein de l'ABiH. Mais cette affirmation est contraire aux

  6   constatations et aux conclusions de la Chambre de première instance. A

  7   partir des éléments de preuve, il est tout à fait clair que la structure de

  8   l'ABiH est fondée sur le principe de l'unicité du commandant. Par

  9   conséquent, Delic était bien le commandant de l'état-major de l'ABiH, mais

 10   il n'était pas le commandant de chacun des soldats au sein de l'ABiH. La

 11   pièce E 419 montre clairement quelles étaient les personnes dont Delic

 12   était le supérieur direct, y compris les commandants de corps d'armée, que

 13   c'étaient eux qui étaient les commandants des unités inférieures, y compris

 14   les divisions et les autres unités qui en dépendaient.

 15   Pour finir, le Procureur omet de tenir compte des circonstances atténuantes

 16   prises en compte par la majorité. Premièrement, Delic s'est livré de son

 17   plein gré, comme ça figure au paragraphe 573 du jugement, dès que l'acte

 18   d'accusation a été dressé. Deuxièmement, il y a de nombreuses dépositions

 19   faisant état de ses qualités. Il n'a jamais été condamné précédemment. Il a

 20   toujours encouragé l'application du droit international humanitaire au sein

 21   de l'ABiH, et il a eu un rôle-clé "dans le lancement de l'opération

 22   Trebevic I et dans d'autres actions subséquentes qui avaient pour but de

 23   neutraliser les unités insoumises de l'ABiH." Il a également participé aux

 24   négociations de paix, paragraphes 582 à 584 du jugement. Pour finir, la

 25   majorité a également tenu compte des circonstances qui prévalaient en

 26   Bosnie-Herzégovine et des difficultés auxquelles était confronté Delic, en

 27   raison des résistances d'un certain nombre de personnes dans son entourage

 28   et des résistances également de certains groupes politiques, paragraphes

Page 115

  1   588 et 589 du jugement.

  2   En demandant une nouvelle peine de sept ans d'emprisonnement, le Procureur,

  3   manifestement, ne tient pas compte de ces circonstances atténuantes, ce qui

  4   montre très clairement que sa demande est inappropriée.

  5   Madame et Messieurs les Juges, sur la base de ce que je viens de présenter,

  6   il apparaît que la majorité a pris en compte tous les facteurs importants

  7   pour la détermination d'une peine appropriée imposée à Rasim Delic. La

  8   peine de trois ans traduit la gravité du manquement de Delic conformément

  9   aux constatations de la majorité, toutes les circonstances dans lesquelles

 10   ce manquement s'est produit, tout comme les circonstances atténuantes

 11   constatées. Le Procureur n'a fait état d'aucune raison valable permettant

 12   de justifier que la peine imposée ait été inappropriée. Non seulement ses

 13   arguments sont contraires aux éléments de preuve et aux constatations de la

 14   majorité, mais ils sont également fondés sur une interprétation erronée de

 15   la jurisprudence applicable. C'est pourquoi l'appel de l'Accusation devrait

 16   être rejeté comme infondé.

 17   Mme LE JUGE VAZ : Oui. M. le Juge Pocar voudrait vous poser une question,

 18   Madame.

 19   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] C'est simplement une question qui

 20   cherche à mieux éclairer votre position. En effet, je n'ai peut-être pas

 21   saisi. Etait-ce à cause de l'interprétation, je ne sais pas. Mais est-il

 22   exact de dire que l'argument que vous faites valoir c'est que la

 23   responsabilité du supérieur hiérarchique constitue une infraction

 24   différente, et qui consiste en ce manquement à l'obligation de prévenir et

 25   de punir, est quelque chose qui serait distinct du crime commis par le

 26   subordonné; est-ce exact ?

 27   Mme VIDOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge.

 28   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] S'il en est ainsi, faites-vous valoir

Page 116

  1   que la responsabilité du supérieur hiérarchique, ce n'est pas une

  2   responsabilité pour les crimes commis par le subordonné, mais que c'est

  3   plutôt un autre type de responsabilité qui n'est pas forcément lié aux

  4   crimes commis ? Parce que si je vous ai bien compris, vous avez dit que ça

  5   dépend de la gravité de l'omission par rapport au devoir qui est imposé au

  6   commandant à la lumière des mesures qu'il aurait dû prendre. Est-ce que je

  7   vous ai bien compris ? Vous dites qu'il s'agit d'une infraction tout à fait

  8   différente qui n'a rien à voir ou qui a peu de choses en commun avec les

  9   crimes commis par le subordonné ? Et pour le dire autrement, ce n'est pas

 10   une modalité de la responsabilité pour les crimes commis par le subordonné,

 11   mais c'est une infraction radicalement différente. Est-ce bien ce que vous

 12   défendez comme thèse ?

 13   Mme VIDOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge, Madame et

 14   Messieurs les Juges. Notre position, et celle de la majorité des Juges de

 15   la Chambre de première instance du TPIY, est de dire qu'il s'agit ici d'une

 16   infraction distincte, séparée. Autrement dit, un commandant a la

 17   responsabilité de son propre manquement à l'obligation de prévenir et

 18   d'empêcher, mais il ne saurait être tenu responsable des crimes commis par

 19   ses subordonnés en tant que tels.

 20   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Dans ce cas, est-il exact de dire qu'à

 21   votre avis, la gravité du manquement à l'obligation de prévenir et de punir

 22   n'est pas en fonction de la gravité des crimes commis par le subordonné, et

 23   que si vous voulez, le critère doit être différent ? Il faut mesurer cette

 24   gravité différemment ?

 25   [Le conseil de la Défense se concerte]

 26   Mme VIDOVIC : [interprétation] Au fond, oui, effectivement, Monsieur

 27   le Juge.

 28   Mme LE JUGE VAZ : Oui, le Juge Meron voudrait poser une question.

Page 117

  1   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Permettez-moi d'enchaîner sur cette

  2   question parfaitement aigue et pointue, si j'ose dire, du Juge Pocar. Vous

  3   venez de lui répondre, et vous dites qu'il n'y a pas de lien entre la

  4   gravité qu'il faut imputer à un commandant, par exemple ici M. Delic, et le

  5   comportement de ceux qui sont supposés être ses subordonnés, sans ici

  6   aborder la question du commandement effectif. Dites-vous, Maître, que si M.

  7   Delic avait eu connaissance des crimes commis et avait connaissance de la

  8   gravité de ceux-ci, ou  est-ce que vous avez répondu comme vous l'avez fait

  9   au Juge Pocar, partant du fait qu'il ne savait pas ce qui se passait dans

 10   la base des Moudjahidines ?

 11   Mme VIDOVIC : [interprétation] Pas tout à fait. Le général Delic, s'il est

 12   condamné, doit être condamné sur la base de sa propre crédibilité --

 13   excusez-moi, je n'ai peut-être pas trouvé les mots qu'il fallait.

 14   Le général Delic, il devrait être jugé s'il a lui-même commis une

 15   erreur, et en fonction de la gravité d'une telle erreur, ou de ce

 16   manquement à l'obligation qu'il a de prévenir et de punir. Bien sûr, il

 17   faut tenir compte de la gravité des crimes commis, mais il ne faut pas

 18   accorder une importance exagérée à ceux-ci, car sinon on peut toujours se

 19   dire que tout commandant devrait être condamné à la réclusion à perpétuité

 20   si un de ses subordonnés a commis un crime grave. Il faut donc voir quel

 21   serait son commandement et quelle serait la nature de sa responsabilité à

 22   lui.

 23   Permettez-moi, Madame et Messieurs les Juges, de répondre à la deuxième

 24   partie de votre question. Bien entendu, il est très important dans cette

 25   situation de savoir s'il a été déclaré coupable en raison de l'existence

 26   d'une connaissance effective ou d'une reconnaissance imputée. Parce que

 27   s'il n'avait aucune connaissance réelle des faits en cause, nous avons une

 28   donne différente de celle où il aurait eu une connaissance effective. Parce

Page 118

  1   que s'il avait une connaissance réelle, à ce moment-là son manquement

  2   aurait été plus grave.

  3   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

  4   Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Pas d'autres questions. A présent, Monsieur le

  5   Procureur, vous avez 20 minutes pour la réplique.

  6   M. WOOD : [interprétation] Merci, Madame la Présidente.

  7   Ce qu'il faudra redire comme point essentiel de nos arguments et en réponse

  8   à ceux de la Défense présentés aujourd'hui, c'est ceci, la Chambre de

  9   première instance n'a pas pleinement rendu compte dans la peine qu'elle a

 10   prononcée de la gravité des crimes et aussi de la gravité du manquement de

 11   Rasim Delic. Quand vous voyez l'ensemble du dossier, il s'applique à Rasim

 12   Delic, et ici nous avons une peine qui est manifestement inappropriée quand

 13   on le condamne à trois ans d'emprisonnement.

 14   On a parlé beaucoup de la question de la connaissance attribuée et de

 15   la connaissance effective. Ça se retrouve en filigrane de tous les

 16   arguments de la Défense. Mais si Delic n'avait pas connaissance effective

 17   de ces crimes, c'est parce qu'il n'a pas cherché à s'enquérir, alors qu'il

 18   avait reçu des informations alarmantes, des prisonniers étaient détenus par

 19   cette unité, sur 1 000 unités, nous a dit la Défense, alors qu'il a reçu

 20   des informations qui parlaient de la propension de cette unité à la

 21   violence dans son comportement. C'est du moins ce que nous dit la Défense,

 22   qu'il devrait avoir une peine plus légère parce qu'il n'avait pas de

 23   connaissance effective, mais que c'était une connaissance qu'on lui

 24   imputait.

 25   Rien dans la jurisprudence du Tribunal nous dit qu'il faudrait être

 26   plus indulgents s'agissant d'une connaissance qui est attribuée plutôt que

 27   d'être effective, et je ne pense pas que la Chambre d'appel aujourd'hui

 28   doit agir différemment.

Page 119

  1   La Défense dit qu'il ne faut pas attacher trop d'importance à la

  2   dissuasion. Or, ceci se trouve dans la jurisprudence, et nous sommes

  3   d'accord avec cette idée. Mais ceci n'a aucune incidence sur l'argument

  4   présenté par la Défense. La rétribution -- la dissuasion ne doit pas se

  5   voir attacher une importance excessive, mais c'est important quand même.

  6   Parce que nous estimons que trois ans d'emprisonnement, vu les crimes

  7   mentionnés dans cette affaire et vu la connaissance qu'il avait du

  8   comportement criminel du détachement, montrent qu'on n'a pas du tout

  9   accordé d'importance au facteur de dissuasion, ce qui a été une erreur de

 10   la Chambre.

 11   En réponse à certaines questions posées par les Juges, on s'est demandé si

 12   les comportements condamnables de l'accusé ou des auteurs présumés devaient

 13   être transférés au supérieur hiérarchique, en vertu de l'article 7(3). La

 14   question porte encore à polémique, le 7(3) est un crime pour avoir manqué à

 15   l'obligation de prévenir ou de punir, et le commandant est-il ainsi

 16   condamné des crimes en tant que tel ? Mais ici, en l'occurrence, je ne

 17   pense pas qu'il faille approfondir davantage le débat juridique, car même

 18   au vu des faits et du droit applicable tels qu'ils ont été décrits par la

 19   Chambre et repris ici, le manquement de Delic, au vu de ces faits-ci et du

 20   droit applicable, montre que cette peine ne suffit pas, cette peine de

 21   trois ans. Même si vous êtes d'accord pour dire que les crimes commis par

 22   des subordonnés n'ont pas à être imputés au commandement, il doit quand

 23   même y avoir une corrélation entre les crimes qu'il est probable de voir

 24   commis par le subordonné et le crime tel qu'il va être perçu par le

 25   commandant.

 26   J'ai parlé de façon détaillée de la gravité des crimes en tant que telle.

 27   Il faut s'en souvenir, nous ne parlons pas ici de traitement cruel de bas

 28   étage. Nous parlons ici du traitement cruel infligé d'abord à 12, puis 11

Page 120

  1   prisonniers de guerre au quotidien pendant 35 jours, de façon systématique.

  2   N'oublions pas que les auteurs de ces méfaits, quels que soient les

  3   critères qu'on puisse appliquer, se seraient vus infliger une peine

  4   supérieure à trois ans. La peine à infliger à Delic est-elle celle qu'on

  5   aurait dû infliger ou qu'on infligerait à des subordonnés ? Ce n'est pas ce

  6   que nous disons. Nous disons simplement qu'il doit avoir un certain lien.

  7   Vu la gravité de ces crimes, étant donné aussi qu'il était informé du fait

  8   que le détachement avait en détention des prisonniers qui étaient

  9   vulnérables, vu la propension qu'avait ce détachement à la violence,

 10   manifestement c'est là une peine bien trop légère.

 11   La Défense nous disait que l'Accusation n'avait pas tenu compte des

 12   circonstances difficiles dans lesquelles opérait Delic. Nous disons que

 13   c'est une peine manifestement trop légère - et nous l'avons dit dans notre

 14   mémoire en réplique - même en tenant compte des circonstances atténuantes

 15   prises en compte par la Chambre de première instance, la peine reste trop

 16   légère.

 17   Autre grand thème récurrent, c'était de dire qu'il a privilégié la

 18   commodité militaire au respect du droit international humanitaire. Page 100

 19   du compte rendu d'aujourd'hui. Mais si vous examinez l'ensemble du dossier,

 20   vous allez voir que Delic savait, et étant donné qu'il avait été averti,

 21   comme on le voit au paragraphe 501 du jugement, et je vous invite, bien

 22   sûr, à regarder de plus près ce paragraphe 501, car il vous montre

 23   exactement l'avertissement, l'information qu'il avait reçue. La Chambre a

 24   conclu que cette information, cet avertissement montrait, comme le disait

 25   le paragraphe 501, qu'en 1994 et été 1993, il savait que le détachement

 26   avait une propension à des comportements violents et à des comportements

 27   criminels et qu'en dépit de tout cela, il n'a rien fait. Ceci montre qu'il

 28   a effectivement laissé primer la commodité militaire sur son obligation de

Page 121

  1   faire respecter le droit international humanitaire, et tout ceci a trouvé

  2   son apogée dans le rapport qu'il a reçu ou qui lui était adressé le 21

  3   juillet, qui montrait qu'il y avait des prisonniers de guerre qui étaient

  4   détenus par le détachement, qu'on ne permettait pas de les voir, qu'il

  5   avait pourtant l'obligation de faire quelque chose à ce moment-là. Or, il

  6   n'a rien fait, et ceci a provoqué le traitement cruel pendant 35 jours

  7   infligé à ces hommes jusqu'au 24 août.

  8   La Défense vous a dit que ces distinctions données au détachement, c'était

  9   simplement pour les encourager à partir. Cela déformait les conclusions de

 10   la Chambre. Prenez le paragraphe 455, il montre qu'il y a plusieurs membres

 11   du détachement qui ont été promus par voie de décision de la présidence, ce

 12   dont faisait partie Delic, et ceci même en juin 1995, et à plusieurs dates

 13   précédant la cérémonie d'adieu à laquelle Delic était présent et à laquelle

 14   il a remercié le détachement pour sa prestation. Il y a des hommes qui ont

 15   bénéficié de promotions pendant qu'ils servaient en tant qu'unité de combat

 16   dans l'armée. Alors, dire que c'était simplement pour les pousser à partir,

 17   c'est déformer la situation.

 18   Peut-être la Défense veut-elle donner à penser que nous voulons faire

 19   un double décompte de son poste de commandement. Non, on ne peut pas

 20   prendre ceci comme étant un élément constitutif et aussi une circonstance

 21   aggravante. Nous sommes d'accord sur l'idée, mais ce n'est pas ce que nous

 22   disons. Nous ne voulons pas dire que son poste de haut gradé devrait être

 23   compté contre lui deux fois, mais il faut en tenir compte pour voir quelle

 24   est la gravité de son manquement, de sa violation du droit. Mieux que

 25   quiconque, il était bien placé pour intervenir lorsqu'il a appris en 1995,

 26   en juillet 1995, que ces personnes étaient placées en détention et qu'il

 27   n'était pas possible de les voir, qu'on interdisait l'accès à ces

 28   prisonniers.

Page 122

  1   Un dernier point. Quant à cette culture d'impunité, ceci tombe dans

  2   le droit fil de ce que vous a dit la Défense, à savoir qu'une connaissance

  3   qui est imputée ne doit pas être considérée comme étant une connaissance

  4   effective. Prenez le paragraphe 512, la Chambre a dit que le fait de ne pas

  5   punir a encouragé les hommes à récidiver et a encouragé cette culture

  6   d'impunité. Ceci se trouve au paragraphe 512 du jugement.

  7   Je ne sais pas si vous avez d'autres questions. Donnez-moi un instant, s'il

  8   vous plaît, pour consulter mes collègues.

  9   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 10   Mme LE JUGE VAZ : Vous en avez terminé, Monsieur le Procureur ? Nous

 11   n'avons pas de questions.

 12   M. WOOD : [interprétation] Je vous remercie. Oui, Madame la Présidente.

 13   Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Monsieur Wood.

 14   Etant donné qu'il n'y a pas d'autres questions, nous allons à présent

 15   demander à M. Delic s'il veut s'adresser à la Chambre d'appel. Si oui, vous

 16   avez la parole. Pas plus de dix minutes, s'il vous plaît.

 17   L'APPELANT : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, cela suffira

 18   amplement.

 19   J'ai avant toute chose l'obligation de vous remercier de m'avoir donné la

 20   parole brièvement. Je ne souhaite pas entrer dans les détails des éléments

 21   de preuve juridiques et de la situation du point de vue juridique, parce

 22   qu'il incombe à l'Accusation de prouver ces allégations; à la Défense de

 23   prouver la vérité qui est la nôtre; et c'est votre devoir d'en juger. J'ai

 24   toute confiance en la Chambre à cet égard.

 25   J'ai l'obligation de dire que j'avais accordé ma confiance à ce Tribunal au

 26   moment où j'étais encore commandant au sein de nos forces armées en raison

 27   de la situation même dans notre pays. Parce que j'estimais qu'il était

 28   nécessaire d'apporter une solution à tous les points-clés dans l'intérêt de

Page 123

  1   la pacification, de la normalisation et du progrès, c'est pourquoi j'ai

  2   soutenu les travaux de ce Tribunal jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'en

  3   1995 et au-delà, en tant que l'un des commandants de l'armée conjointe de

  4   la fédération. Donc, c'est sur la base du droit et d'arguments juridiques

  5   que ce Tribunal continue à prendre ses décisions. Indépendamment de la

  6   peine qui sera ou non prononcée, je n'ai aucun doute à cet égard. Je

  7   voudrais donc exprimer mes remerciements pour l'équité des procès qui se

  8   sont déroulés dans cette enceinte.

  9   Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Delic.

 10   Je tiens à présent à remercier les juristes, les représentants du greffe

 11   qui ont prêté leur coopération pour la tenue de cette audience, les

 12   rédacteurs des comptes rendu d'audience pour leur aide précieuse et les

 13   interprètes qui ont permis le bon déroulement des débats. L'affaire est à

 14   présent mise en délibéré. La date du jugement sera communiquée en temps

 15   voulu. Merci à tous.

 16   L'audience est levée.

 17   --- L'audience d'appel est levée à 16 heures 01.

 18  

 19  

 20  

 21  

 22  

 23  

 24  

 25  

 26  

 27  

 28