Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 18 juin 2009

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.

  5   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

  8   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous prie de lire la déclaration

  9   solennelle qui vient de vous être remise.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 11   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 12   LE TÉMOIN : BATON HAXHIU [Assermenté]

 13   [Le témoin répond par l'interprète]

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir.

 15   M. Neuner a un certain nombre de questions pour vous.

 16   Monsieur Neuner, vous avez la parole.

 17   M. NEUNER : [interprétation] Bonjour.

 18   Interrogatoire principal par M. Neuner : 

 19   Q.  [interprétation] Monsieur, vous vous appelez Baton Haxhiu ?

 20   R.  Oui, je m'appelle Baton Haxhiu.

 21   Q.  Et vous êtes né le 24 février 1966 à Pristina ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Et de profession vous êtes journaliste; n'est-ce pas ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Monsieur Haxhiu, est-il exact que vous avez fait une déclaration en

 26   août 2001 auprès des enquêteurs du Tribunal ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Et lorsque vous êtes venu ici pour déposer dans l'affaire Milosevic en

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  1   août 2002, vous avez apporté un certain nombre de corrections à votre

  2   déclaration, n'est-ce pas ?

  3   R.  Oui. Il y avait quelques erreurs pas très importantes.

  4   Q.  Et après avoir apporté des corrections, vous avez confirmé devant le

  5   greffier que les deux déclarations étaient véridiques et correspondaient au

  6   mieux à vos connaissances, n'est-ce pas ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Et avant de venir déposer aujourd'hui, au début de la semaine, le

  9   bureau du Procureur vous a communiqué votre déclaration et le compte rendu

 10   d'audience de votre déposition avant que vous ne veniez ici à La Haye,

 11   n'est-ce pas ?

 12   R.  Oui, c'est exact.

 13   Q.  Ainsi vous avez eu l'occasion de lire tous ces documents et donc de

 14   venir déposer ici, n'est-ce pas ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Le 23 mai 2002, vous avez déposé dans l'affaire Milosevic, n'est-ce pas

 17   ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Et la deuxième fois, vous avez déposé le 8 novembre 2006, et cette

 20   fois-ci dans l'affaire Milutinovic, n'est-ce pas ?

 21   R.  Oui, c'est exact.

 22   Q.  Et ce que vous avez déclaré dans ces deux affaires ainsi que votre

 23   déclaration corrigée, est-ce que tout cela reflète ce que vous diriez

 24   aujourd'hui si l'on vous posait les mêmes questions ?

 25   R.  Oui, je répondrais de la même manière.

 26   M. NEUNER : [interprétation] Monsieur le Président, je me réfère aux

 27   déclarations qui font partie d'un jeu de documents déposé en vertu de

 28   l'article 92 bis, c'est la référence 65 ter 2478. Et je me réfère également

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  1   à la déposition dans l'affaire Milosevic, c'est la référence 02479. Et à la

  2   déposition dans l'affaire Milutinovic, 05053. Je demande le versement au

  3   dossier de ces trois documents.

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce sera versé au dossier. Nous allons

  5   les verser au dossier en tant que pièces distinctes.

  6   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera les pièces P992, P993 et P994.

  7   M. NEUNER : [interprétation] J'aimerais apporter une précision conformément

  8   à la décision de la Chambre en date du 10 février de cette année.

  9   L'Accusation a expurgé certaines parties de la déclaration et de la

 10   déposition de M. Haxhiu.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

 12   M. NEUNER : [interprétation] Et ces parties font référence à une réunion

 13   dont je vais interroger tout à l'heure M. Haxhiu.

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] D'accord.

 15   M. NEUNER : [interprétation]

 16   Q.  Monsieur Haxhiu, je vais maintenant donner lecture d'un résumé de ce

 17   que vous avez déclaré dans votre déclaration et dans le cadre de votre

 18   déposition.

 19   M. Haxhiu est un journaliste et il est l'un des fondateurs du journal Koha

 20   Ditore. Sa déposition porte sur la montée en puissance du conflit au Kosovo

 21   en 1998 et 1999. Il dit que le conflit au Kosovo était étroitement lié à la

 22   question de l'usage de la langue albanaise à l'université.

 23   En 1991, le gouvernement serbe a imposé un cursus scolaire plus axé sur la

 24   langue serbe au Kosovo et un système parallèle d'école albanaise a été mis

 25   en place. L'Etat serbe n'a pas reconnu ces diplômes. Suite à quoi il a eu

 26   des démonstrations estudiantines non violentes.

 27   Baton Haxhiu a été présent et a servi d'interprète lors des rencontres

 28   entre l'ambassadeur Petritsch, Jan Kickert et Albert Rohan avec les membres

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  1   de l'UCK en été 1998.

  2   Le 2 octobre 1998, la police a fait intrusion dans les bureaux de Koha

  3   Ditore et a battu le témoin et plusieurs de ses collègues. Le témoin a été

  4   arrêté et interrogé par la police.

  5   Le 5 ou le 6 décembre 1998, Stanisic a déclaré lors d'une réunion que

  6   Sreten Lukic avait convaincu Milosevic de mettre un terme à ces

  7   manifestations en utilisant la force. Stanisic a déclaré qu'il ne pouvait

  8   rien décider de son propre chef et que la proposition de créer la

  9   République du Kosovo n'allait pas être acceptée.

 10   Cette proposition n'était pas acceptable pour les nationalistes qui

 11   évoluaient autour de Milosevic. Et Stanisic a déclaré qu'il allait

 12   rencontrer Milosevic le lendemain.

 13   Baton Haxhiu était à Pristina au mois de mars 1999. Lorsqu'il est parti, il

 14   a vu des hommes en uniformes verts qui portaient des masques. Le père du

 15   témoin a été battu dans les rues de Pristina. M. Baton Haxhiu a vu

 16   plusieurs milliers de personnes à Pristina qui ont été contraintes de

 17   partir le jour où il est parti lui-même.

 18   Il a traversé les montagnes pour rejoindre la frontière macédonienne. Et

 19   là-bas, il a vu qu'il y avait un convoi de réfugiés de plus de 15

 20   kilomètres de long qui essayait de passer la frontière pour aller en

 21   Macédoine. Baton Haxhiu est arrivé à Tetovo le 7 avril 1999.

 22   La déposition du témoin est pertinente pour les paragraphe 26, 72(g), 77,

 23   80 jusqu'à 102 de l'acte d'accusation et les chefs 1, 2, et 5 de

 24   l'accusation.

 25   Ainsi se termine le résumé.

 26   Je vais vous poser plusieurs questions maintenant, Monsieur Haxhiu,

 27   s'agissant de deux sujets. Tout d'abord, ma première question porte sur une

 28   réunion qui s'est tenue dans l'appartement de M. Bakalli. Quand est-ce que

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  1   cette réunion a eu lieu ?

  2   R.  Cette réunion a eu lieu le 13 ou le 14 novembre. Je l'ai noté quelque

  3   part dans un cahier, mais je n'ai pas la référence maintenant ici. Mais je

  4   pense que c'était soit le 13 soit le 14, 1997.

  5   Q.  Merci. Et qui était à l'initiative de cette réunion ?

  6   R.  Lorsque j'ai été arrêté le 2 octobre, j'ai été interrogé pendant deux

  7   heures et demie. Et étant donné que régnait une ambiance de conflit et de

  8   guerre, j'ai dit que la meilleure chose à faire était de mettre un terme au

  9   conflit et que les Albanais et les Serbes se rencontrent afin de voir une

 10   solution à ce conflit, à cette crise.

 11   Et je leur ai dit que nous avions l'exemple de la Bosnie et de la Croatie

 12   et que justement il ne fallait pas avoir cette attitude non compromise

 13   s'agissant de la situation au Kosova.

 14   Et ensuite M. Stijovic m'a appelé au téléphone; je pense que cela

 15   s'est passé le 13 novembre 1997. Et ainsi la réunion a eu lieu dans le

 16   bureau de M. Bakalli.

 17   Q.  Merci. Tout d'abord, vous avez dit que vous avez été arrêté le 2

 18   octobre. C'était en quelle année ?

 19   R.  1997.

 20   Q.  Et ensuite, vous avez mentionné M. Stijovic. Pourriez-vous dire aux

 21   Juges qui était M. Stijovic ? Quelle était sa fonction au mois de novembre

 22   1997, lorsqu'il vous a appelé ?

 23   R.  Pour autant que je m'en souvienne, Stijovic était à la tête de la Ligue

 24   socialiste de la jeunesse de Prishtina, et il était en bons termes avec les

 25   Albanais. C'était un Serbe, un citoyen serbe, mais je ne savais pas que

 26   Zoran Stijovic était un fonctionnaire haut placé de l'Etat serbe avant de

 27   recevoir son coup de fil.

 28   Q.  Pourriez-vous nous dire, que vouliez-vous dire lorsque vous dites qu'il

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  1   était un officier haut placé de l'Etat serbe ?

  2   R.  Lors de la réunion que nous avons eue au bureau de M. Bakalli, je

  3   me suis rendu compte qu'il était un haut placé au sein des Services

  4   secrets. Il était accompagné de deux personnes venant de ce service, M.

  5   Hadjic et M. Gajic. Je savais que M. Gajic travaillait au sein de ce

  6   service, mais je ne savais pas que c'était son nom véridique.

  7   Q.  Procédons par étape. Vous dites que vous ne saviez pas que M. Gajic

  8   travaillait là-bas. Où travaillait M. Gajic au mois de novembre 1997 ?

  9   R.  M. Gajic était chargé des questions de sécurité, et comme on dit

 10   couramment, il était le chef des Services secrets au Kosova. Il était au

 11   Kosova depuis longtemps.

 12   Q.  D'accord. Et ensuite, vous avez mentionné un autre monsieur autre que

 13   M. Gajic. Pourriez-vous nous dire comment s'appelait cette autre personne ?

 14   R.  Je ne sais plus comment il s'appelait, mais il se présentait en tant

 15   que M. Hadjic, et en tant qu'assistant de M. Jovica Stanisic. Lors de cette

 16   réunion, il a dit qu'il allait bientôt remplacer M. Gajic et qu'il allait

 17   venir à Prishtina. C'est ce qu'il a dit lors de cette réunion.

 18   Q.  Quelle était votre conclusion, pour quel service travaillait M. Hadjic

 19   ?

 20   R.  Etant donné qu'il était probablement la personne-clé des Services

 21   secrets serbes, ou plutôt yougoslaves, donc c'était le deuxième plus haut

 22   placé après Stanisic.

 23   Q.  Et comment s'appelle M. Stanisic ?

 24   R.  Jovica Stanisic.

 25   Q.  Au mois de novembre 1997, quelle était la fonction de M. Stanisic ?

 26   R.  Il était à la tête des Services secrets yougoslaves. Je pense qu'ils

 27   venaient de changer le nom de cet organe à l'époque, et je ne me souviens

 28   pas exactement de son appellation.

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  1   Q.  Est-ce que vous savez quel était le ministre dont relevait M. Jovica

  2   Stanisic ?

  3   R.  Je l'ignore, mais en tant que journaliste, j'ai compris qu'il était

  4   directement lié avec Milosevic. Il n'a pas mentionné un ministre à qui il

  5   devait rendre compte. De toute façon, c'était l'impression que j'ai eue

  6   après cette réunion en 1997, et c'était la seule rencontre que nous ayons

  7   eue.

  8   Q.  S'agissant de ces trois hommes qui sont venus dans l'appartement de M.

  9   Bakalli, est-ce qu'ils ont dit qui était la personne ou l'organe qui les

 10   représentait lors de cette réunion ?

 11   R.  Ils sont venus au nom de leur chef et ils ont dit que même M. Milosevic

 12   était informé de cette réunion.

 13   Q.  Et qui était leur chef ?

 14   R.  J'imagine que leur supérieur était M. Jovica Stanisic.

 15   Q.  Quelle était la position albanaise présentée lors de cette rencontre

 16   qui a eu lieu à l'appartement de M. Bakalli ? Si vous deviez le dire en une

 17   seule phrase, quelle était la position albanaise ?

 18   R.  Nous savions que l'Etat serbe était un Etat fort qui disposait d'une

 19   armée forte et que politiquement parlant il était impossible d'y faire

 20   face. Et étant donné que la Yougoslavie était en train d'éclater, nous

 21   avons proposé que le Kosova devienne une république indépendante au sein de

 22   la confédération yougoslave.

 23   Q.  Donc vous vouliez que le Kosovo devienne une république indépendante au

 24   sein de la République fédérale de Yougoslavie, n'est-ce pas ?

 25   R.  C'était une confédération. Je ne dirais peut-être pas que ce soit une

 26   confédération yougoslave. Nous avons proposé que le nom de l'Etat soit

 27   changé et que ce soit une confédération composée du Monténégro, de la

 28   Serbie et du Kosova, parce que la Serbie et le Monténégro étaient ce qui

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  1   restait de l'ex-Yougoslavie.

  2   Q.  Pourriez-vous expliquer aux Juges quelle était la position de M.

  3   Bakalli lorsque cette réunion a été organisée au mois de novembre 1997, et

  4   cette proposition a été faite ?

  5   R.  Le mouvement des Albanais du Kosova n'avait pas de positions, et M.

  6   Bakalli était l'une des personnes-clés de l'ex-Yougoslavie. Il était engagé

  7   politiquement depuis un certain temps et il connaissait mieux que quiconque

  8   la mentalité serbe. Il connaissait mieux que quiconque quelle était la

  9   toile de fond sur la scène politique en Serbie. Il était l'une des

 10   personnes les plus importantes au Kosova.

 11   Q.  Est-ce qu'il avait une fonction au mois de novembre 1997 ?

 12   R.  Comme je l'ai déjà dit, il n'occupait aucune position, n'avait aucune

 13   fonction au Kosova, parce que les gens étaient démis de leurs fonctions,

 14   licenciés.

 15   Q.  Donc vous avez dit que c'était la proposition albanaise, et quelle a

 16   été la réaction serbe lorsqu'ils ont appris cette proposition ?

 17   R.  Ils étaient furieux. Ils ont refusé net cette proposition. Ils ont dit

 18   que cette proposition allait avoir pour conséquence la guerre.

 19   Q.  Qui est-ce qui l'a dit ?

 20   R.  Les deux, Gajic et Hadjic. C'était d'abord Hadjic qui l'a dit et Gajic

 21   l'a confirmé en opinant.

 22   Q.  Qu'est-ce qu'ils ont dit d'autre au sujet de cette proposition ?

 23   R.  Cette rencontre a duré pendant trois heures, et je dirais que la chose

 24   la plus importante qui s'est passée lors de cette réunion était que nos

 25   interlocuteurs nous ont menacés, nous ont fait du chantage. Ils nous ont

 26   dit, Est-ce que vous savez qu'il y a 443 villages ethniquement purs au

 27   Kosova ? Nous avons dit que oui. Ils ont dit que la population de ces

 28   villages pouvait être forcée de partir en 24 heures compte tenu de la force

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  1   dont disposait la Serbie. Nous avons dit, Oui, nous le savons, et nous

  2   avons dit qu'une guerre permanente allait avoir lieu. Ils nous ont dit,

  3   Avez-vous entendu parler du projet de la terre brûlée ?

  4   Q.  Je vous arrête un instant. Avant de passer au concept de la terre

  5   brûlée, s'agissant de ces 443 villages qui étaient ethniquement purs au

  6   Kosovo, à quoi pensaient ces hommes, est-ce qu'il s'agissait des villages

  7   albanais ou serbes ou où habitait une autre nationalité ? Comment l'avez-

  8   vous compris ?

  9   R.  Pour vous dire la vérité, c'était la première fois que j'apprenais

 10   qu'il y avait 443 villages au Kosova où habitaient exclusivement des

 11   Albanais. Ils ne m'ont pas dit qu'il s'agissait de villages, ils ont dit

 12   qu'il s'agissait de localités. Donc j'ai compris qu'ils connaissaient très

 13   bien le Kosova, comment fonctionnaient les choses au Kosova, et combien

 14   d'Albanais y habitaient.

 15   Q.  Donc ils ont mentionné ces villages albanais au Kosovo et ensuite vous

 16   avez mentionné la terre brûlée. Pourriez-vous nous dire à quoi se

 17   référaient ces hommes lorsqu'ils ont parlé de la terre brûlée lors de cette

 18   rencontre ?

 19   R.  Comme je l'ai déjà dit, ils ont parlé des localités. Ils savaient très

 20   bien ce qu'ils voulaient dire en employant ce terme. C'était la première

 21   fois que j'ai entendu parler de ce terme de terre brûlée. J'étais jeune à

 22   l'époque et je ne connaissais pas de conflits qui pouvaient avoir une telle

 23   dimension de génocide. Je trouvais très choquant qu'ils emploient ce terme

 24   de terre brûlée. Mais Bakalli connaissait déjà ce concept.

 25   Ce concept de terre brûlée était un projet militaire et policier qui était

 26   mis en place et qui pouvait être activé à n'importe quel moment, et cela

 27   représentait une grande menace à mon avis. C'était effrayant.

 28   Q.  Est-ce que vous vous souvenez qui était la personne qui employait ce

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  1   terme de terre brûlée ?

  2   R.  Hadjic, mais les autres semblaient connaître ce concept également. Nous

  3   avons parlé pendant plusieurs minutes de ce concept de terre brûlée. Les

  4   deux autres n'ont pas réagi, ils connaissaient fort bien ce que cela

  5   voulait dire.

  6   Q.  Vous dites qu'ils étaient tout à fait conscients de ce concept, mais

  7   est-ce qu'ils se sont opposés à un moment donné à ce concept de terre

  8   brûlée ? Quelles ont été vos impressions à ce moment-là ?

  9   R.  Non, pas du tout. Ils en parlaient comme si c'était quelque chose de

 10   tout à fait normal, une possibilité du point de vue militaire qui pouvait

 11   être mise en œuvre au cas où les Albanais ne se soumettraient pas aux

 12   instructions de la Serbie. Ils étaient très clairs.

 13   Q.  Quelle a été la réaction du côté des Albanais lorsque ce concept de

 14   terre brûlée a été mentionné ?

 15   R.  Il n'y avait vraiment rien à dire mis à part que ce n'étaient pas les

 16   seuls à vivre sur cette terre, et que la communauté internationale

 17   réagirait, car nous étions à l'aube du XXIe siècle et que l'on ne pouvait

 18   pas concevoir ce type de concept. Même si vous étiez les seuls à vivre sur

 19   cette terre, la mise en œuvre d'un projet de ce type serait très difficile

 20   et à plus forte raison lorsque vous êtes dans un monde assujetti au droit

 21   international où il y a également beaucoup de médias qui veilleraient au

 22   grain. Ils ont répondu, Nous verrons.

 23   Q.  Est-ce que cette réponse a mené à une réaction plus modérée du côté

 24   serbe ?

 25   R.  Non. Immédiatement après ces propos, ils ont dit, C'est notre mandat,

 26   nous ne pouvons pas rentrer plus dans les détails. Nous allons retourner à

 27   Belgrade et nous présenterons aux responsables de Belgrade nos impressions.

 28   Ils ont dit qu'il serait possible de rencontrer Milosevic, mais nous avons

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  1   refusé. Ils nous ont dit qu'il serait possible d'organiser une autre

  2   réunion entre nous et eux et c'est ainsi que la réunion s'est terminée ce

  3   soir-là.

  4   Q.  Suite à cette réunion dans l'appartement de M. Bakalli, est-ce qu'une

  5   réunion de suivi s'est tenue à un moment donné ?

  6   R.  Avec les mêmes personnes, vous voulez dire ?

  7   Q.  Avec ces mêmes personnes ou tout autre représentant serbe, est-ce que

  8   des personnes de ce genre ont souhaité à nouveau vous parler ou parler à M.

  9   Bakalli ?

 10    R.  La réunion suivante s'est tenue en décembre. Je ne me souviens pas

 11   exactement de la date. C'est une réunion qui s'est tenue avec M. Jovica

 12   Stanisic.

 13   Q.  Vous dites que la réunion s'est tenue en décembre, en décembre de

 14   quelle année, s'il vous plaît ?

 15   R.  1997.

 16   Q.  Lors de cette réunion avec M. Stanisic, est-ce que le concept de terre

 17   brûlée a été mentionné ?

 18   R.  Non. M. Stanisic est arrivé avec une position politique. Il nous a

 19   présenté des offres surprenantes, surprenantes car nous savions que nous ne

 20   serions pas en mesure de les accepter. Il avait un mandat beaucoup plus

 21   fort que celui détenu par les membres du groupe précédent.

 22   Q.  Est-ce que vous pouvez élaborer sur ces offres surprenantes ?

 23   R.  Il a proposé à M. Bakalli le poste de vice-président de la Yougoslavie.

 24   A ma connaissance, la Yougoslavie ne fonctionnait pas à ce moment-là, donc

 25   ce poste ne rimait à rien. Mais M. Bakalli a répondu en disant qu'il avait

 26   terminé son mandat en Ex-Yougoslavie et ses efforts visant à trouver une

 27   solution au problème du Kosova et la manière dont il avait présenté les

 28   propositions à la personne de la partie serbe.

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  1   Q.  En ce qui concerne les menaces de violence, parce qu'on pourrait

  2   interpréter la mention de terre brûlée comme cela lors de la présente

  3   réunion, lors de la réunion de suivi, est-ce que les menaces de violence

  4   ont été également mentionnées ?

  5   R.  M. Stanisic a utilisé une autre formulation, il s'agissait de menaces

  6   plus sophistiquées. Ce n'était pas un langage brutal similaire à ce que les

  7   autres avaient utilisé. Il a déclaré qu'il y avait beaucoup de

  8   nationalistes et de radicaux autour de Milosevic qui n'accepteraient jamais

  9   notre proposition. Il a dit, Mes amis, il a utilisé ce terme, nous allons

 10   vers une guerre.

 11   J'avais l'impression que cette personne avait acquis l'expérience suite à

 12   la guerre en Bosnie et en Croatie et voulait gagner cette bataille. Mais il

 13   semblait que son mandat était également restreint. Il nous a proposé de

 14   rencontrer Milosevic, mais nous avons refusé. Et il nous a dit qu'il allait

 15   rencontrer M. Milosevic le lendemain matin pour lui présenter nos

 16   propositions. Mais il nous a dit qu'il était convaincu que M. Milosevic

 17   n'accepterait pas nos propositions. A ma connaissance, après cette réunion

 18   et après plusieurs mois, M. Stanisic a été démis des fonctions qu'il

 19   occupait.

 20   Je ne sais pas quelle a été la durée entre cette réunion et le moment

 21   où il a été démis de ses fonctions, peut-être un mois ou environ un mois.

 22   Il a démissionné publiquement et je vais paraphraser ce qu'il a dit :

 23   Toutes mes responsabilités sont consacrées à mon supérieur hiérarchique

 24   direct, à savoir le président M. Milosevic. Je n'ai rien fait, à ma

 25   connaissance, qui n'ait été ordonné par lui.

 26   Ce dont je me souviens c'est la déclaration qui a été faite. Bien sûr, cela

 27   s'est passé il y a longtemps, et ce sont des propos approximatifs que je

 28   vous relate ici.

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  1   Q.  Merci. Je voudrais avoir une réponse brève à la question suivante. Au

  2   niveau serbe, est-ce que vous avez jamais entendu les propos de terre

  3   brûlée mentionnés dans les mois ou les semaines qui se sont suivis ?

  4   R.  Officiellement ou publiquement, jamais. Mais lors de réunions avec des

  5   collègues journaliste, ils étaient, bien sûr, tout à fait au courant. Le

  6   concept de terre brûlée est devenu public un peu plus tard à la fin 1998 ou

  7   début 1999; je ne me souviens plus exactement de la date.

  8   Q.  Ai-je raison de dire que selon vous, aucun représentant officiel du

  9   régime serbe n'a mentionné le concept de terre brûlée après cette première

 10   réunion, à cette première réunion donc qui s'est tenue dans l'appartement

 11   de M. Bakalli ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Merci.

 14   M. NEUNER : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je

 15   voudrais passer à un deuxième sujet. Je voudrais passer à Pristina et aux

 16   événements de mars et du début avril 1999.

 17   Q.  Monsieur Bakalli -- Pardon, Monsieur Haxhiu, vous avez vécu à Pristina

 18   toute votre vie, n'est-ce pas ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Et au début du mois de mars 1999, où habitiez-vous ?

 21   R.  J'étais dans le quartier de Kodra e Diellit.

 22   M. NEUNER : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait présenter la pièce de

 23   la liste 65 ter -- en fait, j'ai une copie papier. Est-ce que vous pourriez

 24   nous présenter ceci sur le rétroprojecteur, merci.

 25   Tout d'abord, j'aimerais savoir si nous avons l'image qui apparaît à

 26   l'écran. Je pense qu'il est préférable d'utiliser l'image du

 27   rétroprojecteur, parce que je voudrais ensuite vous présenter un autre

 28   document sur le prétoire électronique. Est-ce qu'on pourrait agrandir ou du

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  1   moins avoir un champ beaucoup plus important sur cette carte. Est-ce que

  2   vous pouvez faire tourner cette carte de 90 degrés et avoir un champ plus

  3   important couvert par le rétroprojecteur.

  4   Q.  Tout d'abord, je vous demande de consulter la carte qui est sur le

  5   rétroprojecteur, Monsieur le Témoin. Est-ce que vous pourriez nous montrer

  6   où se trouvait l'appartement de M. Bakalli, appartement où s'est tenue la

  7   réunion de novembre 1997 ?

  8   R.  C'est dans ces environs.

  9   Q.  Est-ce que vous pouvez dessiner un cercle et apposer le chiffre 1. Je

 10   n'arrive pas à le lire; est-ce que vous pouvez inscrire le numéro 1 en

 11   dessous du cercle.

 12   R.  [Le témoin s'exécute]

 13   Q.  Et j'aimerais savoir où vous habitiez en mars 1999 ? Vous avez

 14   mentionné le quartier de Kodra e Diellit ?

 15   R.  Cette partie de la ville est le quartier de Kodra e Diellit. Et moi,

 16   j'habitais dans ces environs là.

 17   Q.  Est-ce que vous pouvez apposer le numéro 2 à côté du cercle que vous

 18   venez de dessiner. Merci.

 19   Est-ce que vous pouvez nous parler de la situation de sécurité en mars 1999

 20   ? Comment les choses ont évolué à ce moment-là à Pristina ?

 21   R.  A compter d'octobre 1998 et jusqu'au 23 mars 1999, la situation était

 22   tendue avec une forte présence des forces de police, des forces d'Arkan et

 23   des forces paramilitaires en uniformes. Ils étaient présents sur tout le

 24   territoire du Kosova, mais notamment à Prishtina. Là, je parle de l'époque

 25   où M. Holbrooke et M. Milosevic tentaient de trouver un accord pour mettre

 26   fin à la crise au Kosova. Je parle de la période d'octobre.

 27   Q.  Merci. Est-ce que l'on peut se recentrer sur Pristina, je vous pose des

 28   questions uniquement sur la ville de Pristina. Est-ce que vous pouvez nous

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  1   dire, une fois que les frappes aériennes de l'OTAN avaient commencé le 24

  2   mars 1999, j'aimerais savoir comment la situation de sécurité a évolué à

  3   Pristina ?

  4   R.  Lorsque les pourparlers de Rambouillet ont été mis en échec le 21, nous

  5   avons eu la première victime. Arianit Kelmendi a été tué et une autre

  6   personne a été blessée. Les forces de l'ordre ont commencé à ouvrir le feu

  7   contre des bâtiments. Il ne s'agissait pas en fait de forces de police, il

  8   s'agissait de personnes qui avaient été armées entre-temps et qui

  9   évoluaient librement à bord de véhicules ou à pied dans la ville.

 10   Q.  Je vais vous arrêter une seconde, parce que je voudrais préciser

 11   quelques éléments de votre déposition. Vous avez dit le 21, Kelmendi a été

 12   tué. De quel mois et de quelle année s'agit-il ?

 13   R.  Il s'agit du mois de mars 1999. La vie à Prishtina à l'époque

 14   s'arrêtait à 17 heures. Les gens évitaient de se trouver dans les rues

 15   après 17 heures. Tout le monde restait chez soi, à l'exception des Serbes,

 16   bien sûr.

 17   En ce qui me concerne, étant donné que je travaillais au sein d'un journal,

 18   je devais terminer toutes mes activités plus tôt, c'est-à-dire en fin

 19   d'après-midi plutôt que de le faire comme d'habitude dans la soirée. Ceux

 20   qui travaillaient dans l'imprimerie devaient y rester toute la nuit parce

 21   qu'ils avaient peur de sortir dans la pénombre car c'était synonyme de

 22   tuerie et de peur.

 23   Q.  Je voudrais vous poser une question concernant M. Kelmendi. Vous dites

 24   qu'il a été tué le 21 mars 1999. Quel rôle, si rôle il avait, a joué M.

 25   Kelmendi à l'époque ?

 26   R.  Il s'agit d'Arianit Kelmendi qui a été tué le 21 mars. C'était un

 27   garçon de café, un civil donc, qui a été tué devant le café dans lequel il

 28   travaillait. Ceci s'est produit le 21, c'est-à-dire trois jours avant les

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  1   premières frappes.

  2   Q.  Avez-vous des connaissances concernant les auteurs de ce crime ?

  3   R.  La possibilité ou le pouvoir de faire régner la peur et d'organiser ces

  4   actions venait des Serbes --

  5   Q.  D'accord. --

  6   R.  -- de l'Etat serbe.

  7   Q.  Mais en fait, vous ne savez pas qui est l'auteur de ce crime ?

  8   R.  Non.

  9   Q.  Très bien. Après le 24 mars 1999, vous avez mentionné ici sur cette

 10   carte que vous habitiez à l'endroit qui a un cercle avec le chiffre 2 sur

 11   la carte. Après le début des frappes aériennes, est-ce que vous avez

 12   continué à habiter dans cette maison ?

 13   R.  Non. Un ami à moi, un diplomate britannique, m'a suggéré de ne pas

 14   passer la nuit dans ma propre maison. Durant la première nuit des

 15   bombardements, j'ai dormi dans une maison au centre-ville. On nous a dit

 16   que le centre-ville serait toujours plus sûr pendant les bombardements car

 17   il était difficile de le bombarder. On nous a donc conseillé d'éviter les

 18   faubourgs de la ville, car ce serait plus dangereux pour nous.

 19   Q.  Donc vous êtes resté dans le centre-ville. Est-ce que vous y êtes resté

 20   jusqu'à votre départ de Pristina ?

 21   R.  Non. Je dois avouer que je ne m'attendais pas que ce soit aussi

 22   terrifiant dès la première nuit des bombardements. Par la fenêtre, on

 23   voyait des choses terribles. J'ai passé donc la nuit là-bas et le lendemain

 24   matin à 9 heures, j'avais organisé une réunion avec un journaliste de Koha

 25   Ditore. Mais lorsque je suis arrivé là-bas, le garde de Koha Ditore avait

 26   été tué, tous les ordinateurs avaient été volés, tout avait été vidé, et

 27   j'ai vu des policiers en uniformes.

 28   Je leur ai demandé qui avait été tué ici. Ils ont répondu, Des forces non

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  1   identifiées ont tué la personne qui assurait la garde devant cette

  2   entreprise. La même nuit, l'imprimerie de notre journal a également été

  3   incendiée.

  4   Q.  Est-ce que je peux vous poser --

  5   R.  Je voulais simplement dire que nous pensions que le bombardement aurait

  6   amené à des négociations pacifiques très rapidement après le début des

  7   frappes. Nous ne pensions pas que ceci se produirait.

  8   Q.  Je voudrais revenir à ce qui s'est passé au sein de votre journal et à

  9   ce qui est advenu de votre personnel. Pourriez-vous nous donner le nom du

 10   garde qui a été tué ?

 11   R.  Non, je ne peux pas.

 12   Q.  Pas de problème.

 13   R.  Il avait un surnom, oncle quelque chose, mais je ne me souviens pas de

 14   son nom exact.

 15   Q.  Connaissez-vous son appartenance ethnique ?

 16   R.  Il était Albanais, il avait 57 ou 58 ans. Il travaillait en tant que

 17   garde de Koha Ditore depuis la création du journal.

 18   Q.  Vous avez mentionné, je vous cite :

 19   "J'ai demandé qui avait été tué ici ? Ils ont répondu, Des forces non

 20   identifiées ont tué une personne qui gardait l'entreprise."

 21   Est-ce que vous pouvez nous dire qui vous a répondu cela ?

 22   R.  Il s'agissait d'agents de police qui étaient devant l'entrée. Il

 23   sentait le rakija, l'alcool, et je pense qu'ils avaient épuisé tout

 24   l'alcool qui était dans nos bureaux pour des occasions spéciales. Je

 25   pouvais voir les traces de sang et j'ai pu voir qu'ils avaient traîné le

 26   corps du garde et j'ai pu voir ces traces de sang.

 27   Q.  Très bien. Tout d'abord, est-ce que vous pourriez sur la carte faire un

 28   cercle représentant le bâtiment où se trouvait Koha Ditore et où cette

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  1   personne a été tuée ?

  2   M. NEUNER : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait avoir un marqueur de

  3   meilleure qualité pour le témoin ?

  4   R.  [Le témoin s'exécute]

  5   Q.  Est-ce que vous pouvez apposer le chiffre 3 à côté de cela. Merci. Est-

  6   ce que vous pourriez nous dire également quand ce crime s'est produit ainsi

  7   que la destruction et le pillage des locaux de Koha Ditore ?

  8   R.  C'est entre le 24 et le 25 mars, après minuit.

  9   Q.  Très bien. Ensuite, vous avez mentionné que vous avez bougé au sein de

 10   la ville. Tout d'abord, vous étiez dans une maison dans le centre-ville.

 11   Ensuite, vous êtes déménagé à nouveau. Est-ce que vous pourriez apposer un

 12   cercle avec le chiffre 4 pour représenter la maison dans laquelle vous avez

 13   habité dans le centre-ville ?

 14   R.  C'est ce grand bâtiment. Je vais apposer le chiffre 4.

 15   Q.  Et quand avez-vous quitté ce bâtiment pour aller habiter ailleurs à

 16   Pristina ?

 17   R.  Le 27. J'ai dormi deux jours là-bas et je suis revenu à Kodra e Diellit

 18   le 27, mais je n'en suis pas vraiment sûr. Je suis revenu à Kodra e Diellit

 19   dans ces environs, à environ 250 mètres de ma résidence. J'ai habité avec

 20   un ami écrivain.

 21   Q.  Vous avez donc apposé le chiffre 5.

 22   Quand avez-vous finalement quitté cet endroit pour quitter la ville,

 23   si j'ai bien compris dans votre témoignage ?

 24   R.  Je pense que c'est entre le 29 -- en fait, je n'ai pas quitté la

 25   ville. Nous étions dans un appartement et la nuit nous allions au sous-sol

 26   car la pénombre représentait un danger.

 27   Le 29, pour la première fois, j'ai vu des forces armées qui étaient

 28   masquées avec des uniformes verts. C'est la première fois que j'ai vu des

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  1   forces armées qui avaient des salopettes vertes. Ils étaient en compagnie

  2   d'agents de police locaux qui connaissaient bien les environs et qui

  3   avaient donc une très bonne représentation de la ville. Ces forces étaient

  4   en compagnie de groupes plus restreints d'agents de police locaux. Ceux-là

  5   n'étaient pas masqués.

  6   Q.  Est-ce que vous pouvez décrire les uniformes portés par ces

  7   agents de police ?

  8   R.  C'était une espèce d'uniforme qui ne comportait pas de boutons,

  9   mais où il y avait une fermeture éclair, et ça allait du haut en bas. Ils

 10   portaient des cagoules vertes, ce qui fait qu'on ne pouvait voir que leurs

 11   yeux. Ils se déplaçaient en lignes ou en colonnes par deux. A la fin de

 12   chacune des colonnes, il y avait un policier en uniforme. Ils se trouvaient

 13   à une dizaine de mètres derrière les personnes qu'ils étaient en train

 14   d'expulser.

 15   Q.  Bien. Mais ces salopettes étaient-elles portées par des policiers

 16   ou par ces paramilitaires ? C'est là que les choses sont restées quelque

 17   peu dans le flou et je voudrais tirer cela au clair.

 18   R.  Non. Les policiers portaient les uniformes de police, mais eux

 19   n'étaient pas nombreux. Les autres effectifs, eux, portaient un autre type

 20   d'arme automatique. Ils étaient plus costauds. Ils n'avaient pas du tout

 21   l'aspect de policiers ordinaires. Ils avaient du ventre, enfin, ce n'est

 22   pas la figure de policier ordinaire.

 23   Q.  Et eux portaient des salopettes vertes, ou des choses de ce type ?

 24   R.  Oui, oui, c'était une forme de vert foncé.

 25   Q.  Et je vous ai demandé comment était vêtu le policier qui se trouvait

 26   quelques mètres derrière. Qu'est-ce qui vous a permis de comprendre que ces

 27   personnes-là étaient des policiers ?

 28   R.  Ces gens-là portaient des uniformes bleus et des chemises bleues, et

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  1   cette espèce de jacket aussi qui était l'uniforme habituel qu'on pouvait

  2   voir porté par les patrouilles de la police en ville. Eux, ils se

  3   trouvaient en compagnie des autres forces que j'ai indiqué voir porter des

  4   uniformes verts, mais ils ne donnaient aucun espèce d'ordre.

  5   Q.  Quand on parle de vêtements, est-ce que nous sommes en train de parler

  6   d'uniformes de police ordinaires ou d'uniformes de police de camouflage ?

  7   Pouvez-vous nous dire de quelle couleur sommes-nous en train de parler ?

  8   R.  Nous sommes en train de parler d'uniformes de police habituels qui sont

  9   de couleur unie, il n'y a pas d'élément bariolé. Ils n'étaient que très peu

 10   nombreux, peut-être cinq en tout.

 11   Q.  Et cet uniforme qu'ils portaient, il était de quelle couleur ?

 12   R.  Bleu foncé.

 13   Q.  Bien. Je voudrais vous montrer un document et on en finira avec. Qu'on

 14   nous laisse la carte sur l'écran, parce que nous allons en avoir besoin

 15   tantôt.

 16   M. NEUNER : [interprétation] J'aimerais qu'on montre maintenant au témoin

 17   la pièce 407 en application du 65 ter. A cet effet, j'aimerais qu'on nous

 18   montre sur nos écrans la page 2.

 19   Q.  A titre informatif, je précise qu'il s'agit d'extraits qui ont été

 20   tirés de ce que l'on a appelé le livre bleu de cette Mission de

 21   vérification au Kosovo et de l'OSCE, et le tout se rapporte à Pristina.

 22   M. NEUNER : [interprétation] Il se peut que j'aie fourni une mauvaise cote

 23   en application de ce 65 ter. Il s'agit du 0407.01.

 24   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Monsieur Djordjevic.

 25   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Je vais m'opposer à ce que soient évoqués

 26   ces éléments de preuve parce que nous n'avons pas du tout la source des

 27   informations qui sont consignées dans ce livre bleu. Il y a des codes, C08,

 28   C25, et cetera. Je crois bien que le témoin ne saurait rien nous dire au

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  1   sujet de la forme de ce document, de ce livre; en l'occurrence, nous nous

  2   opposerions à l'utilisation de ce document en ce moment-ci de la procédure,

  3   éventuellement, au cas où l'Accusation pourrait nous fournir des éléments

  4   de preuve pour ce qui est des sources d'information, à ce moment-là peut-

  5   être aurions-nous une attitude tout à fait autre. Merci.

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

  7   Monsieur Neuner.

  8   M. NEUNER : [interprétation] Oui, je suis conscient de cet élément et tout

  9   ce que je peux dire c'est que le témoin qui viendra témoigner la semaine

 10   prochaine, son nom m'échappe actuellement, il me semble qu'il s'appelle

 11   Drewienkiewicz.

 12   M. DJORDJEVIC : [interprétation] DZ.

 13   M. NEUNER : [interprétation] C'est une personne qui est tout à fait à même

 14   de nous expliquer de quelle façon ces informations-là ont été recueillies.

 15   Tout ce que je demande à faire à présent c'est de montrer au témoin

 16   certaines de ces informations étant donné que le témoin s'était trouvé à

 17   Pristina à l'époque, qu'il se déplaçait en ville, et qu'il pourrait tout à

 18   fait être à même de confirmer ou d'infirmer ces informations, voire nous

 19   apporter des commentaires de nature générale à cet effet.

 20   Je n'ai pas du tout l'intention de demander à ce témoin de nous dire quoi

 21   que ce soit pour ce qui est du contexte dans lequel ce document aurait été

 22   rédigé. Ce serait la tâche du général Drewienkiewicz.

 23   [La Chambre de première instance se concerte]

 24   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djordjevic.

 25   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Je

 26   serai bref. J'estime que mon confrère M. Neuner pourrait poser ses

 27   questions quant aux informations qu'il souhaite obtenir de la part du

 28   témoin et qui, de façon évidente dans ses déclarations et lors de ses

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  1   témoignages devant ce Tribunal, n'ont pas été évoquées. Si on se procurait

  2   cette information de la part du témoin, il n'aura pas besoin de faire ce

  3   qu'il est en train de faire. Mais je vous ai dit en tout état de cause

  4   quelles étaient les raisons pour lesquelles j'estime qu'elles tiennent

  5   debout pour ce qui est de la présentation de ce type d'éléments de preuve

  6   où il n'y a pas de source.

  7   Nous ne sommes pas du tout sûrs pour ce qui est du général Drewienkiewicz,

  8   qui semble être l'un des témoins à venir, qu'il sera à même de nous

  9   confirmer quoi que ce soit au sujet des informations que mon éminent

 10   confrère a l'intention de présenter à ce témoin.

 11   Merci.

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Neuner, ce que vous êtes en

 13   train de proposer, à nos yeux, ne semble pas être tout à fait clair, mais

 14   semble par contre poser des problèmes. C'est une chose que de demander au

 15   témoin de nous parler de ce qu'il a vu lui-même et éventuellement lui

 16   demander de confirmer si c'est bien ce qui est énoncé dans ce livre. Mais

 17   c'est une autre chose que de lui montrer le livre et de lui demander si ça

 18   s'est bel et bien produit ou pas, parce que de façon évidente, cela incite

 19   le témoin à porter un certain type de réponse plutôt que d'évoquer ses

 20   propres souvenirs.

 21   M. NEUNER : [interprétation] D'accord.

 22   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Donc le livre ne pourra pas être versé

 23   au dossier jusqu'à ce qu'on ne vienne à être à même de nous parler de la

 24   façon dont ce livre a été compilé et de nous parler de sa fiabilité. Or,

 25   j'imagine que vous avez envisagé un type de témoin de ce genre pour la

 26   semaine prochaine.

 27   M. NEUNER : [interprétation] Oui, c'est le cas.

 28   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais nous ne comprenons pas pourquoi

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  1   vous voulez utiliser ce livre en ce moment-ci.

  2   M. NEUNER : [interprétation] Je voudrais utiliser ce livre parce que ce

  3   témoin était personnellement présent à Pristina, il s'est déplacé dans la

  4   ville à l'époque juste après le début de la guerre et il a pu observer

  5   certains événements. Il a déjà indiqué aux Juges de la Chambre qu'il avait,

  6   par exemple, vu les bureaux de son journal pillés. Dans ce livre bleu, l'on

  7   évoque des éléments relatifs au pillage de locaux d'affaires appartenant à

  8   cette population albanaise. Je voulais donc montrer cela au témoin pour

  9   demander s'il pouvait confirmer ce type d'informations ou les rejeter.

 10   Alors je vais d'abord lui donner l'occasion de nous dire lui-même ce qu'il

 11   a vu, et une fois que l'on aura posé ces fondements-là, je voudrais voir

 12   s'il pourrait nous parler de ces entrées dans le livre.

 13   Dans certaines de ces entrées, il est question de l'expulsion de la

 14   population, or le témoin nous a indiqué justement qu'il était présent à ces

 15   endroits-là aux moments pertinents avant que d'avoir quitté Pristina pour

 16   aller à Tetovo, donc il y a des extraits de ce livre qui se rapportent à ce

 17   que le témoin a expérimenté en personne.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Neuner, je pense que vous

 19   êtes en train d'omettre de comprendre un élément. Pourquoi ne pas demander

 20   tout simplement au témoin de nous décrire ce qu'il a vu de ses yeux ?

 21   M. NEUNER : [interprétation] Messieurs les Juges, je suis tout à fait

 22   disposé à ne pas montrer les extraits dudit livre au témoin.

 23   Alternativement, je pourrais lui montrer certains de ces extraits pour

 24   avoir des commentaires de sa part au compte rendu, et ensuite nous

 25   pourrions demander le versement de ce livre la semaine prochaine et lui

 26   accorder une cote à des fins d'identification pour le moment. La deuxième

 27   des choses que je pourrais proposer c'est de lui poser des questions au

 28   sujet de ce qu'il a expérimenté, vécu.

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  1   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, je crois que ce serait préférable

  2   d'entendre de la bouche du témoin ce qu'il a pu voir, ce qu'il a entendu et

  3   compris, plutôt que de commenter ce que quelqu'un a vu et consigné dans un

  4   livre.

  5   M. NEUNER : [interprétation] Je m'en remets aux Juges et je vais me

  6   conformer à vos suggestions. Merci.

  7   Q.  Monsieur Haxhiu, je voulais vous poser des questions au sujet de ce qui

  8   suit, lorsque vous avez dû partir après le 24 mars 1999, l'avez-vous fait

  9   de jour ou de nuit ?

 10   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] On devrait enlever ceci de l'écran.

 11   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Oui, c'était l'objection que je voulais

 12   faire.

 13   M. NEUNER : [interprétation]

 14   Q.  Maintenant est-ce que vous pouvez répondre, Monsieur, à ma question ? -

 15   -

 16   R.  A 9 heures 30, après avoir appris qu'il y a eu meurtre de ce gardien

 17   dans la rédaction de notre journal Koha Ditore, j'ai compris que la

 18   situation était des plus risquée et la situation allait être différente

 19   avec cette guerre de tout ce qu'on avait connu jusque là. Donc j'ai quitté

 20   le centre comme on me l'a dit de faire et on a continué à se déplacer d'un

 21   appartement vers l'autre dans le voisinage. Le 24, on est resté dans le

 22   quartier appelé Dardanija. Le 26, je suis retourné vers l'appartement d'un

 23   de mes amis dans une autre partie de la ville par rapport à celle où se

 24   trouvait mon domicile.

 25   Q.  Quelle était la raison pour laquelle vous avez commencé à vous

 26   comporter de la sorte plutôt que de rester à un endroit; vous avez

 27   constamment bougé d'un endroit à l'autre ?

 28   R.  Entre le 24 et le 25, on a tué la nuit mon avocat. Il s'appelait Bajram

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  1   Kelmendi et il a été tué avec ses fils. L'un des fils était un adulte déjà

  2   et l'autre avait moins de 18 ans. Cet avocat Bajram Kelmendi était mon

  3   avocat au sujet d'un procès diligenté au sujet d'un article de presse

  4   publié dans notre journal le 21. Et une fois que celui-ci a été abattu, un

  5   des diplomates étrangers qui était un ami nous a conseillé de ne pas rester

  6   au même endroit, mais de bouger, de nous déplacer d'un endroit à l'autre.

  7   Q.  Fort bien. Essayons de tirer quelque chose au clair. Vous indiquez que

  8   le 21, il y a eu un procès. De quel mois et année parlez-vous ?

  9   R.  C'était trois jours avant le bombardement. C'était un procès plutôt

 10   extraordinaire qui s'était tenu un dimanche, et j'ai été condamné à payer

 11   une amande de 300 000 dinars, ce qui était un montant plutôt considérable.

 12   Je ne sais plus à quoi cela correspondrait aujourd'hui.

 13   Q.  Et quel était le chef d'accusation ou le crime qu'on vous avait

 14   reproché ?

 15   R.  J'avais publié un article dans le journal, une espèce plutôt de

 16   communiqué. Ces communiqués-là, on les publiait de façon régulière, c'était

 17   des communiqués qu'on recevait de l'UCK. Il s'agissait d'un communiqué

 18   officiel qui était également publié dans les médias serbes. Je ne pense pas

 19   que cela ait été la vraie raison, on l'avait fait depuis des mois. C'était

 20   juste un prétexte pour nous contrer, pour organiser un procès.

 21   Et ça s'est tenu à 4 heures de l'après-midi un dimanche. Il était très

 22   difficile de trouver un interprète, de trouver un juge serbe, un juge

 23   d'instruction -- toujours est-il qu'ils ont organisé ce procès qui s'est

 24   tenu à 4 heures de l'après-midi un dimanche. Et nous avons dû passer la

 25   journée entière dans le bâtiment du tribunal en compagnie de ce Bajram

 26   Kelmendi et du directeur, Luan Dubroshi.

 27   Q.  Et c'est M. Bajram Kelmendi qui était votre conseil de la Défense ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Et pouvez-vous nous indiquer de quel tribunal il s'agissait ?

  2   R.  C'était le tribunal municipal de Prishtina.

  3   Q.  Vous nous dites que trois jours après ce procès, il a été abattu.

  4   Alors, à se pencher sur cette carte qui se trouve à vos côtés, pourriez-

  5   vous nous indiquer l'endroit où cet homme a été tué ?

  6   R.  Je sais à partir d'où on l'avait emmené, mais je ne sais pas exactement

  7   à quel endroit on l'a tué.

  8   Q.  Alors pouvez-vous nous placer un cercle à l'endroit à partir duquel on

  9   l'avait amené; et là, j'aimerais que vous apposiez un numéro 6.

 10   R.  [Le témoin s'exécute]

 11   Q.  Merci. Avez-vous appris quelque chose au sujet des auteurs de ce délit

 12   au pénal ?

 13   R.  Au bout de bon nombre d'années, de nos jours à présent, on sait qui en

 14   ont été les auteurs. C'était la police et les gens de la police des

 15   Services secrets qui l'ont emmené et qui l'ont abattu en plein milieu de la

 16   rue. A cet endroit-là à présent, il y a une station d'essence. Et ces gens-

 17   là, on leur a élevé un monument à la sortie de la ville de Prishtina.

 18   Q.  Mais pourquoi dites-vous que c'est un fait notoirement connu, à savoir

 19   que c'était l'œuvre de la police et des gens des Services secrets ?

 20   R.  Parce que cela est une chose qui a été confirmée par le Conseil chargé

 21   des droits de l'homme et de la liberté. Cette organisation est dirigée par

 22   Natasha Kandic de Belgrade. L'épouse de cet homme a également diligenté une

 23   espèce d'investigation pour ce qui est des auteurs de ce crime.

 24   Q.  Y a-t-il eu à quelque moment que ce soit, une confirmation officielle ?

 25   R.  Bien sûr qu'il n'y aura jamais confirmation officielle, mais l'enquête

 26   a révélé qui étaient les auteurs pour ce qui est de M. Agani et pour ce qui

 27   est aussi de M. Kelmendi.

 28   M. Agani a également rédigé un dossier au sujet du génocide qu'il

Page 6240

  1   reprochait à M. Milosevic et à l'Etat serbe; cela a été communiqué aussi au

  2   Tribunal ici à La Haye.

  3   Q.  Pouvez-vous nous indiquer quand est-ce que M. Agani a été tué ?

  4   R.  M. Agani a été tué en mai ou plutôt fin avril début mai 1999. On l'a

  5   fait descendre d'un train qui partait pour la Macédoine. On l'a fait

  6   descendre, on l'a amené dans un poste de police et on l'a abattu de deux

  7   balles.

  8   Q.  Vous n'avez pas vu cela, vous en avez juste entendu parler, n'est-ce

  9   pas ?

 10   R.  Non. Moi à l'époque, je me trouvais déjà en Macédoine, j'étais parti à

 11   peu près un mois avant que lui ne soit abattu.

 12   Q.  Bien.

 13   R.  Mais c'est un fait notoirement connu. Et pour ce qui est d'Agani, on a

 14   confirmé qu'il avait été tué par des gens qui n'appartenaient à aucune

 15   espèce d'institution.

 16   Q.  Vous dites que c'est une chose connue et confirmée. Qui est-ce qui a

 17   confirmé cela ?

 18   R.  Cela a été confirmé d'une certaine façon à l'intention de sa famille,

 19   et je pense qu'il y aura bientôt un procès quant à ce meurtre. En ce

 20   moment-ci, il n'y aucune déclaration officielle portant sur le meurtre. On

 21   sait qui est le meurtrier, mais ça n'a pas été encore rendu public.

 22   Q.  Mais est-ce qu'il y a eu un acte d'accusation de dressé ?

 23   R.  Il y aura une procédure d'entamée, car au bout de tant d'années, on

 24   sait maintenant qui a été le meurtrier.

 25   Q.  Mais vous savez s'il y a un acte d'accusation ou pas ?

 26   R.  Non, il n'y a pas encore d'acte d'accusation de dressé.

 27   Q.  Je voudrais vous demander maintenant quelles sont les raisons pour

 28   lesquelles vous avez fini par quitter Pristina fin mars 1999. Pourriez-vous

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  1   me dire quelle était la raison principale pour vous de quitter l'endroit,

  2   on pourrait dire, où vous vous cachiez vers la fin de ce mois de mars ? Et

  3   comme vous nous l'avez déjà indiqué, pourquoi êtes-vous parti de Pristina

  4   en voiture ?

  5   R.  Dans ce quartier de Kodra e Diellit, il y a à peu près 120 000

  6   habitants et dans le quartier, il y a trois parties. Du moins, il en allait

  7   ainsi à l'époque. Maintenant, c'est plus grand encore. Au bout de ce

  8   quartier, il y a eu un début de déportation, dans des bâtiments qui avaient

  9   été badigeonnés en blanc. Les gens qui arrivaient d'ailleurs venaient dans

 10   la partie centrale de Kodra e Diellit, où il y avait une espèce de grand

 11   parking ou terrain de stationnement; et les gens allaient à pied. Derrière

 12   eux, il y avait des hommes en uniforme, puis aussi ceux que j'ai déjà

 13   évoqués et qui portaient des uniformes verts.

 14   Une fois arrivés à nos bâtiments, à nos immeubles, ils ont reçu l'ordre de

 15   faire en sorte, dans un délai de cinq minutes, de quitter les appartements.

 16   Tous les habitants devaient quitter leurs appartements. Donc on est

 17   descendu et on a rejoint ce grand groupe de gens. Ils ont dit au policier

 18   et aux gens en uniforme qu'il fallait inspecter les immeubles pour voir si

 19   tous les habitants étaient bien sortis.

 20   Puis, ils ont donné l'ordre à ceux qui avaient des automobiles d'aller vers

 21   la Macédoine, et ceux qui n'avaient pas d'automobiles devaient aller vers

 22   la gare. Donc on avait l'autorisation de nous déplacer dans deux

 23   directions, vers Fushe Kosova, à savoir vers l'Albanie, ou vers la

 24   direction de la gare.

 25   Il y avait des policiers qui nous interdisaient d'aller dans des

 26   directions autres, si ce n'est celle vers laquelle on nous dirigeait. Le

 27   tout allait donc vers la route principale en direction vers Macédoine. Et

 28   sur cette route principale, il y avait un poste de police de contrôle qui

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  1   vérifiait nos identités et qui nous dirigeait vers la frontière de la

  2   Macédoine qu'ils contrôlaient.

  3   Q.  Quelques questions encore avant la pause. Auriez-vous des personnes que

  4   vous auriez vues avant de quitter Pristina ? Auriez-vous donc vu les

  5   personnes qui ont donné des ordres aux gens de quitter leurs appartements ?

  6   R.  Les policiers ne disaient rien, eux. Ils ne nous ont qu'escortés, en

  7   termes simples. Il y avait là-bas un homme ventripotent qui portait une

  8   espèce de masque et qui, à une voix très haute, donnait des ordres à

  9   l'attention des gens pour qu'ils sortent de leurs maisons. C'est quelqu'un

 10   que j'ai vu de mes yeux et je l'ai entendu de mes oreilles. Mais il n'avait

 11   pas l'accent des Serbes du Kosova, lui.

 12   Q.  Alors d'après ce que vous venez de nous dire au sujet de cet homme qui

 13   donnait des ordres, faisait-il partie du groupe de policiers ou du groupe

 14   portant des uniformes verts avec des masques ?

 15   R.  Il était du groupe des uniformes verts.

 16   Q.  Et vous avez dit qu'on avait rassemblé des gens sur un terrain de

 17   stationnement, un parking. Est-ce que vous pourriez nous indiquer sur cette

 18   carte où se trouve ce parking ?

 19   R.  Non. Nous, ils ne nous ont pas donné l'ordre de nous rassembler sur ce

 20   parking. Les gens se sont rassemblés là-bas tout simplement parce que

 21   c'était un terrain dégagé et qu'on pouvait rejoindre en voiture, voire à

 22   pied. C'est ici que se trouve ce secteur, cet endroit dégagé que j'ai

 23   évoqué.

 24   Q.  Merci. J'aimerais que vous placiez numéro 7 avec un cercle plus grand à

 25   côté. Combien de gens avez-vous vus sur cette aire de stationnement où vous

 26   venez d'apposer un numéro, un chiffre 7 ?

 27   R.  Ils étaient nombreux. Il y en avait beaucoup. Peut-être 20 000. Je ne

 28   peux pas vous donner de chiffre exact. Mais pendant que nous étions campés

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  1   sur cette aire de stationnement, on a pu voir des gens déambuler dans la

  2   rue plus haut. Ils étaient en train de quitter la ville. On leur a donné

  3   l'ordre de s'en aller. Ça, on l'a vu. Ils étaient un peu plus en haut que

  4   nous, et on a pu voir un convoi d'automobiles qui faisait des kilomètres de

  5   long, plusieurs kilomètres de long.

  6   Q.  Est-ce que ces gens qui se trouvaient sur l'aire de stationnement ont

  7   reçu l'ordre de bouger de là ? Et qui a donné cet ordre ?

  8   R.  La même personne. Il a dit tout simplement, Allez-vous-en. C'est tout

  9   ce qu'il a dit.

 10   Q.  Et le long de la route à Pristina, selon vous, qui est-ce qui

 11   contrôlait la circulation ce jour, fin mars 1999, lorsque vous étiez en

 12   train de quitter Pristina ?

 13   R.  A l'intérieur de la ville, il y avait des véhicules blindés appartenant

 14   à la police. Ils se trouvaient à l'extérieur de la ville. C'était des

 15   véhicules blindés appartenant à l'armée et il y en avait d'autres encore.

 16   Q.  Mais en quittant Pristina ce jour-là, êtes-vous tombé sur les postes de

 17   contrôle de la police ?

 18   R.  La plupart des voitures ont été arrêtées par les policiers qui se

 19   trouvaient partout le long de la route, sur chacun des points de contrôle.

 20   Partout, il y a avait une présence de policiers et de soldats. Par exemple,

 21   ils disaient aux conducteurs : "Vous ne pouvez que conduire à une vitesse

 22   de 20 ou 30 kilomètres l'heure." Ensuite, ils arrêtaient les voitures,

 23   demandaient aux gens de leur donner de l'argent. En ce qui me concerne, je

 24   leur ai donné environ 200 deutsche marks. Nous étions cinq dans notre

 25   voiture. Il y avait une autre famille qui était avec moi. Nous avons donné

 26   cet argent.

 27   M. NEUNER : [interprétation] Je vois l'heure qu'il est. Je demande le

 28   versement au dossier de cette carte telle qu'elle a été annotée. Donc c'est

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  1   le numéro 13 de la liste 65 ter. Et l'Accusation n'a plus de questions pour

  2   ce témoin.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le document sera admis.

  4   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce P995.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons maintenant faire la

  6   première pause, et nous reprendrons nos travaux à 11 heures 05. L'assistant

  7   de la Cour sera à votre service pendant la pause.

  8   [Le témoin quitte la barre]

  9   --- L'audience est suspendue à 10 heures 34.

 10   --- L'audience est reprise à 11 heures 07.

 11   [Le témoin vient à la barre]

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Me Djordjevic va vous interroger

 13   maintenant.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.

 15   Contre-interrogatoire par M. Djordjevic : 

 16   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Haxhiu.

 17   R.  Bonjour.

 18   Q.  Je m'appelle Dragoljub Djordjevic. Je défends les intérêts de l'accusé

 19   en l'espèce. J'ai plusieurs questions pour vous, comme vous l'a déjà dit M.

 20   le Président, afin de tirer au clair certaines choses qui sont importantes

 21   et qui ont trait à ce dont vous avez parlé et qui ont trait à d'autres

 22   affaires connexes. J'essayerai d'en terminer avec mon interrogatoire

 23   aujourd'hui pour que vous n'ayez pas à rester ici encore demain.

 24   Dites-moi, quelle est votre formation formelle ?

 25   R.  Je suis diplômé de la faculté de droit.

 26   Q.  Dans votre déclaration de 2001, vous avez dit que vous êtes diplômé de

 27   la faculté de droit et que vous avez étudié à l'université d'Etat jusqu'en

 28   1991; mais que votre diplôme a été délivré par une université parallèle en

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  1   1992; ai-je raison de le dire ?

  2   R.  Oui.

  3   Q.  Etant donné que nous parlons une langue différente, je dois observer

  4   une pause.

  5   R.  Souhaitez-vous que je parle serbe également ?

  6   Q.  Non, non, ce n'est pas la peine. Simplement je voulais vous expliquer

  7   pourquoi je ne vous posais pas la question tout de suite. Dans cette même

  8   déclaration au paragraphe 7, c'est à la page 2 et 3 de votre déclaration,

  9   vous dites que les premiers diplômes de cette université parallèle ont

 10   commencé à être délivrés aux étudiants en 1996 et 1997, c'est-à-dire que

 11   les premiers étudiants à recevoir ces diplômes les ont reçus en 1996 et

 12   1997. Vous avez dit avoir reçu votre diplôme en droit en 1992 à

 13   l'université parallèle. Pourriez-vous m'expliquer, s'il vous plaît ?

 14   R.  Quand j'ai commencé à étudier -- ou plutôt, j'ai commencé mes études à

 15   l'université publique, l'université d'Etat. En 1989, j'en ai terminé avec

 16   les cours. Il me restait encore quelques examens à passer au cours de la

 17   quatrième année. Après cela, le processus soi-disant de l'éclatement du

 18   système éducatif du Kosova a été entamé et nous avons mis sur pied un

 19   système universitaire parallèle.

 20   Donc il me restait encore quelques examens à passer que j'ai passés à

 21   l'université privée parallèle. Les premiers diplômes ont été délivrés en

 22   1992. La première génération d'étudiants qui ont suivi le cours dans le

 23   cadre du système parallèle a commencé à suivre des cours en 1992. A

 24   l'époque cela s'appelait le système d'éducation parallèle au Kosova. Voilà.

 25   Q.  Vous conviendrez alors que l'université parallèle où vous avez reçu

 26   votre diplôme a reconnu tous les examens que vous aviez passés à

 27   l'université d'Etat et vous n'avez eu qu'à passer les examens qui vous

 28   restaient encore, à savoir les examens de la quatrième année ?

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  1   R.  C'est exact, oui. Parce que tous les professeurs et tous les membres du

  2   personnel qui étaient d'origine albanaise ont commencé à travailler au sein

  3   de cette université parallèle.

  4   Q.  Monsieur Haxhiu, encore une question. Lorsque vous étiez étudiant à

  5   l'université d'Etat, est-ce que vous pouviez suivre des cours en albanais

  6   et passer des examens en albanais également ?

  7   R.  Oui, bien sûr. J'ai suivi des cours de manière régulière et j'ai passé

  8   mes examens en albanais.

  9   Q.  Merci. Dans toutes les déclarations que vous avez faites, que ce soit

 10   celles que vous avez faites au Tribunal ou bien auprès des enquêteurs, j'ai

 11   cru comprendre que vous parliez très bien l'anglais. Donc je vais vous

 12   demander où avez-vous appris si bien l'anglais ?

 13   R.  A l'école on nous a appris l'anglais, mais nous avions également des

 14   livres et des cassettes vidéo que j'ai partiellement achetés à Belgrade et

 15   partiellement à Zagreb. C'était une méthode d'apprentissage d'anglais. Il

 16   n'y avait pas de manuels en albanais à cette fin. Il y avait différentes

 17   manières d'apprendre l'anglais, mais principalement nous achetions nos

 18   livres soit à Belgrade soit à Zagreb.

 19   Q.  D'après ce que j'ai pu lire dans vos déclarations, j'ai conclu que

 20   vous, en tant que journaliste et en tant qu'activiste, vous vous êtes battu

 21   pour les droits de la population albanaise au Kosovo, vous étiez

 22   fréquemment en contact avec les diplomates. Mais ces contacts avaient pour

 23   objectif la mise en contact avec les membres de l'UCK. Dites-moi, est-ce

 24   que vous aviez un surnom dans le cadre de ces contacts ?

 25   R.  Je ne sais pas de quoi vous parlez.

 26   Q.  Je pense au surnom.

 27   R.  Non.

 28   Q.  Ma question suivante va vous permettre de comprendre pourquoi je vous

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  1   l'ai demandé. Dans le cadre des contacts qu'un journaliste a eus avec les

  2   représentants des médias à l'étranger, ce journaliste est mentionné en tant

  3   que Lum Haxhiu ou Liu Haxhiu. Et je me suis demandé si peut-être cette

  4   personne était vous ?

  5   R.  Non, non. Lum Haxhiu était un combattant de l'UCK, il n'est pas

  6   apparenté à ma famille. Il a vécu et il vit encore à Ferizaj. Il n'a jamais

  7   travaillé en tant que journaliste. Il est venu de Suisse et il est devenu

  8   combattant de l'UCK à un moment donné. Son nom m'échappe pour l'instant.

  9   Mais si je ne m'abuse, il est membre du Parlement au Kosova.

 10   Q.  Etant donné que ce n'est pas vous, le reste n'est pas important.

 11   Encore une question d'ordre général : avez-vous personnellement participé

 12   avec M. Haradinaj à la création du mouvement des Albanais en Macédoine ?

 13   R.  Non, je n'ai jamais participé à la création d'aucune organisation. La

 14   seule profession que j'exerce est la profession de journaliste et n'ai

 15   jamais été membre d'un parti politique ou d'une organisation et je n'ai

 16   jamais participé à la formation et à la création d'une organisation quelle

 17   qu'elle soit.

 18   Q.  C'est très bien, nous avons tiré cela au clair. Donc je n'aurai plus de

 19   question à ce sujet même si j'en avais prévu d'autres.

 20   Monsieur Haxhiu, vous êtes journaliste, mais vous êtes également juriste

 21   confrère. Je ne vais pas vous demander au sujet du droit étant donné que

 22   vos activités professionnelles ont été orientées vers un autre domaine,

 23   mais je voulais vous demander quelque chose au sujet de la déclaration

 24   faite en 2001. Est-ce que vous vous souvenez que vous avez faites cette

 25   déclaration auprès de Fred Abrahams et Jonathan Sutch, ils se sont

 26   présentés à vous en tant qu'enquêteurs du Tribunal. Donc je parle de votre

 27   déclaration de 2001.

 28   R.  Oui, j'ai fait cette déclaration chez moi et pour une seule raison,

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  1   parce que je faisais confiance à Fred Abrahams que je connais depuis

  2   longtemps.

  3   Q.  Donc il était là en tant qu'enquêteur, et étant donné que vous le

  4   connaissiez d'avant, pourriez-vous nous expliquer quel était le contexte de

  5   votre relation, de votre connaissance avec M. Abrahams ?

  6   R.  C'était M. Sutch qui s'était présenté en tant qu'enquêteur. S'agissant

  7   de Fred Abrahams, je le connaissais depuis plusieurs années, il était

  8   représentant de "Human Rights Watch" depuis 1994 et 1995. J'ai fait sa

  9   connaissance à l'époque lorsqu'il s'était rendu à Prishtina, et chaque fois

 10   qu'il venait à Prishtina, il était l'invité de l'entreprise Koha.

 11   Q.  Vous voulez dire que vous avez fait cette déclaration chez vous à la

 12   maison en 2001, n'est-ce pas ?

 13   R.  Oui. Nous avons pris contact dans mon bureau et ensuite j'ai fait cette

 14   déclaration chez moi où nous étions plus tranquilles.

 15   Q.  Et pour autant que je le sache, cet entretien a été d'abord enregistré

 16   sur une bande, et deuxièmement il a été fait en anglais, n'est-ce pas ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Et ensuite, plusieurs jours plus tard, on vous a apporté cette

 19   déclaration sur papier et on vous a demandé de la signer. Qui est-ce qui

 20   vous a apporté cette déclaration ?

 21   R.  La déclaration a été enregistrée, ensuite elle a été consignée sur

 22   papier, donc j'ai lu la transcription de la déclaration et j'ai confirmé

 23   effectivement qu'il s'agissait de ma déclaration.

 24   Q.  Merci. Nous devons maintenant revenir à l'année 1991 étant donné que

 25   vous avez parlé de cette année à plusieurs reprises. Vous avez dit que les

 26   autorités serbes à ce moment-là ont arrêté l'enseignement en albanais.

 27   C'est plus ou moins une affirmation que vous avez répétée à plusieurs

 28   reprises dans plusieurs de vos déclarations.

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  1   En 1990, la nouvelle constitution serbe a été votée et cette

  2   constitution mentionne l'utilisation des langues de minorités. Et cette

  3   année et puis au courant des années précédentes, une loi a été votée au

  4   sujet de l'utilisation officielle de la langue, et il y avait également

  5   plusieurs lois portant sur l'enseignement primaire et secondaire et dans le

  6   cadre de l'enseignement supérieur, et entre autres on fait référence aux

  7   droits des minorités qui habitaient sur le territoire de la République

  8   fédérale de Yougoslavie et de la Serbie, ainsi que sur le territoire de la

  9   province autonome du Kosova-Metohija, comme cette province s'appelait à

 10   l'époque.

 11   S'agissant de cette constitution de 1990, conviendrez-vous que

 12   l'utilisation des langues de minorités était permise dans l'enseignement,

 13   pourriez-vous répondre à cette question ?

 14   J'ai encore une autre question pour vous portant sur les cursus,

 15   programmes suivis à l'école.

 16   Est-ce qu'en fait c'étaient les programmes qui ont fait l'objet de

 17   contentieux entre les Serbes et les Albanais, à votre avis ? C'est ça ma

 18   question.

 19   R.  Pour répondre simplement, le problème a commencé avec les changements

 20   constitutionnels en 1989. Le problème majeur s'agissant du Kosova a eu lieu

 21   le 23 mars 1989, au moment où la constitution a été modifiée.

 22   Pour revenir à votre question, ce que vous êtes en train de dire et ce qui

 23   était la réalité au Kosova ne sont pas la même chose. Il existe une

 24   divergence entre les deux. L'albanais était devenu une deuxième ou

 25   troisième langue utilisée en province, donc c'était une langue qui n'était

 26   pas importante.

 27   En 1991, on a partagé les écoles entre les écoles pour Serbes et les écoles

 28   pour Albanais; ainsi la division était créée, une division qui était

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  1   pénible et brutale parce qu'il n'y avait plus de communication entre les

  2   élèves au sein d'une seule et même école. Ce qui se passait dans la vie et

  3   ce qui était prescrit dans le document étaient deux choses différentes.

  4   Vous étiez à l'époque à Belgrade, vous n'étiez pas au Kosova, donc vous ne

  5   savez pas quelle était la réalité des choses sur le terrain.

  6   C'est pourquoi nous n'allons pas parler des documents, parce que ce qui

  7   s'est passé sur le terrain était tout à fait différent par rapport à ce qui

  8   avait été sanctionné par la constitution. Il ne s'agissait pas d'un

  9   problème sémantique, mais il s'agissait d'une intervention brutale dans la

 10   vie des Kosovars.

 11   Les Kosovars, après ces changements, avaient une impression que la police

 12   et l'armée agissaient de manière brutale, et la population avait cette

 13   impression également ayant à l'esprit comment l'armée et la police

 14   s'étaient comportées en Croatie et en Bosnie. Alors qu'il n'y avait pas

 15   besoin d'être aussi brutal, et cette division était étrange et inacceptable

 16   pour un Etat qui voulait évoluer en tant qu'un seul et même Etat.

 17   L'Etat serbe avait une attitude arrogante. Cette attitude se manifestait

 18   par rapport aux enfants, par rapport aux écoles et aux institutions. Tout

 19   ce qu'on peut dire, en fait, c'est qu'il y avait une grande divergence

 20   entre ce qui se passait sur le terrain et ce qui était sanctionné dans les

 21   documents. Si quelqu'un et si quelque chose explique pourquoi le Kosova est

 22   devenu indépendant, ce n'est pas parce que -- on ne peut pas jeter le blâme

 23   aux Albanais. C'est l'arrogance et la brutalité des Serbes qui sont à

 24   l'origine de l'indépendance. L'indépendance a vu le jour à cause de

 25   l'attitude dure et brutale du régime serbe. C'était le produit d'un Etat

 26   qui ne considérait pas les Albanais en tant que ses propres citoyens.

 27   La personne qui est assise derrière vous, Monsieur Djordjevic, connaît très

 28   bien la situation parce que le Kosova est devenu indépendant partiellement

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  1   à cause de son comportement, parce que les autorités serbes ne

  2   considéraient pas les Albanais en tant que ses propres citoyens.

  3   Q.  Je vais peut-être vous surprendre en vous disant que je suis en grande

  4   partie d'accord avec ce que vous venez de dire. La seule chose que je

  5   retiendrais contre vous c'est de mentionner mon client, parce qu'en tant

  6   qu'avocat, vous connaissez le principe d'innocence. Par conséquent, M.

  7   Djordjevic est présent ici pour jeter toute la lumière, à savoir s'il est

  8   coupable ou pas. Par conséquent, je ne vais pas m'étendre sur ce sujet.

  9   R.  Je ne connais pas M. Djordjevic et je n'ai jamais entendu parler de lui

 10   avant cela, mais simplement parce qu'il faisait partie de la structure

 11   étatique, c'est tout.

 12   Q.  Il y aura des questions concernant ce sujet également, mais pour

 13   l'instant je voudrais que l'on revienne au point que vous avez soulevé, et

 14   là je partage votre opinion, à savoir les changements constitutionnels de

 15   1989. Dans l'esprit de la plupart des intellectuels au Kosovo, c'est ce qui

 16   a changé la situation sur le terrain. La situation a changé de facto et de

 17   jure. On fait souvent référence à la constitution de 1974 et au certain

 18   degré d'autonomie qui avait été conféré au Kosovo.

 19   On pourrait dire que la population albanaise n'était pas satisfaite de

 20   cette constitution, mais que dans cette constitution, elle bénéficiait de

 21   droits plus importants que ceux qui lui avaient été conférés par cette

 22   constitution de 1989, lorsqu'elle a été mise en œuvre, et qui a provoqué

 23   cette réaction. Donc, de cette manière je serais d'accord avec vous.

 24   Ma question suivante porte sur les programmes scolaires, les cursus

 25   scolaires, ce qui est quelque chose que vous n'avez pas mentionné. Je ne me

 26   souviens plus s'il s'agissait de 1991 ou de 1992. Il y a eu des discussions

 27   concernant les livres qui avaient été achetés par les Albanais à proprement

 28   parler, c'est-à-dire dans les écoles bilingues. Les autorités serbes

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  1   n'avaient rien à voir avec la manière dont les sciences naturelles ou les

  2   mathématiques étaient enseignées par le biais de ces manuels scolaires. Il

  3   s'agit de sciences objectives telles que la physique ou la biologie. Mais

  4   pour ce qui est de l'histoire ou de la géographie, il y avait des cartes

  5   qui pourraient peut-être mentionner la Grande-Albanie. Est-ce que vous vous

  6   souvenez de cela ? Est-ce que vous vous souvenez des manuels scolaires et

  7   des discussions qui s'en sont suivies et qui indiquaient l'existence de ces

  8   cartes qui étaient déjà présentées dans les médias électroniques ?

  9   R.  Il est difficile de gérer les différentes langues, alors on va

 10   accélérer les choses. Tout d'abord, vous connaissez la déclaration des

 11   partis albanais en 1990 et le principe de la République du Kosova dans le

 12   cadre d'une fédération ou d'une confédération. Pour ce qui est des manuels

 13   scolaires, il y a peut-être eu certains incidents qui sont survenus. Mais

 14   cela aurait été une folie que de prendre des manuels scolaires hors de

 15   l'Albanie. Ce n'était pas nécessaire.

 16   Dans les années 90, nous avions du personnel, nous avions des personnes qui

 17   étaient en mesure de constituer ces manuels scolaires. Par conséquent, une

 18   externalisation n'était pas nécessaire. Le problème n'était pas au niveau

 19   du cursus ou des programmes scolaires, mais le problème était dans la

 20   population, à savoir ce que la République de Serbie et ce que Milosevic

 21   essayaient de faire. Le fait est qu'ils ne considéraient pas les Albanais

 22   comme des citoyens. C'était au cœur du problème. Les programmes scolaires

 23   ou les programmes en général n'étaient pas le centre du problème. Le

 24   problème était que l'Etat avait aboli certaines libertés et ceci s'est

 25   produit en 1989 et en 1990 par le truchement de taxes.

 26   Comme un dirigeant l'a dit, on ne sait jamais où l'on va, parce qu'une fois

 27   que vous lancez un processus, le processus continue à se dérouler. C'était

 28   le principal problème aux yeux des citoyens du Kosova.

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  1   Vous avez dit que certaines personnes le voulaient plus. Bien sûr il y

  2   avait en Serbie des personnes de ce genre. En Croatie également. Il y a

  3   toujours des personnes qui veulent plus. Mais il y avait également une

  4   plateforme ou des orientations des partis politiques qui existaient en

  5   1990, et sa structure était contre la confédération. L'Etat a détruit le

  6   concept d'un Etat civique. Et c'était au cœur du problème de ce système

  7   politique.

  8   Je suis convaincu que ce groupe est à l'origine de ce qui s'est suivi et

  9   qui a abouti à l'indépendance du Kosova. C'était vraiment au centre du

 10   problème. Ce n'est pas lié à la politique d'enseignement ou aux programmes

 11   scolaires, il s'agissait de droits ici qui étaient en question.

 12   Q.  Je suis disposé à accepter cela. Mais je pense que ce qui est important

 13   de mentionner à ce stade, c'est que les programmes politiques albanais, et

 14   pour utiliser vos propres mots, vous avez dit que certaines personnes

 15   avaient des doléances et certaines en avaient qui étaient encore plus

 16   importantes, à savoir certaines personnes souhaitaient une République du

 17   Kosovo ou un Kosovo indépendant, ces doléances existaient depuis les années

 18   80 ?

 19   R.  Et alors ?

 20   Q.  Alors rien. Je dis simplement que ces questions étaient présentes

 21   depuis les années 80.

 22   R.  Est-ce que l'on doit mener une guerre pour cela ?

 23   Q.  Mais vous serez d'accord avec moi que ces doléances existaient depuis

 24   les années 80. Ma question est la suivante : est-ce que des représentants

 25   ou est-ce que la population albanaise en général - durant les

 26   manifestations des années 80, ou disons, de 1997, durant les manifestations

 27   des étudiants, les manifestations de la population civile en général, toute

 28   manifestation qui a pu se tenir concernant le Kosovo - est-ce qu'ils

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  1   avaient des doléances en deçà de ce critère qui avait été fixé ? Et que

  2   vous avez mentionné cet après-midi auprès des représentants des services de

  3   sécurité, à savoir une république de Kosovo ou un Kosovo indépendant.

  4   R.  Croyez-moi, en 1989 et 1990, aucun des partis albanais - et ce que je

  5   veux dire, ceux qui connaissaient les pouvoirs de la République de Serbie

  6   ou de l'armée de la République de Yougoslavie - n'avait pas des doléances

  7   maximales. Il était clair qu'il y aurait des conséquences à avoir un Kosova

  8   indépendant. Le Kosova indépendant signifiait que le Kosova serait divisé

  9   en deux et que l'on perdrait ce que l'on avait créé précédemment. Par

 10   conséquent, on savait quelles étaient les doléances maximales que l'on

 11   pouvait attendre. Cependant, il y avait des personnes à Belgrade qui

 12   pensaient différemment et c'est ce qui s'est passé.

 13   Q.  Ma question suivante porte sur votre déclaration de 2001, lorsque M.

 14   Fred Abrahams et M. Jonathan Sutch sont venus vous rendre visite, M.

 15   Abrahams étant une personne que vous connaissiez déjà au préalable. Lors de

 16   ces entretiens, est-ce que vous avez exprimé des doutes quant à la

 17   politique menée par le parti du DSK dirigé ou à l'intention des points de

 18   vue serbes ? Vous avez dit que les objectifs politiques de cette personne

 19   étaient d'avoir des moyens tout à fait pacifiques, à l'instar d'un Gandhi.

 20   Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, mais j'aimerais savoir ce

 21   que vous voulez dire.

 22   R.  Après la Serbie constituée par les accords de Dayton, il y avait un

 23   degré d'arrogance vis-à-vis du Kosova, vis-à-vis les Albanais du Kosova.

 24   Rugova était un peu totalement dépourvu de pouvoir à l'issue des

 25   pourparlers de Dayton.

 26   En Serbie, ils ne se disposaient pas à avoir un processus pacifique pour

 27   arriver à une situation pacifique. Ils pensaient qu'ils contrôleraient

 28   totalement les Albanais, qu'ils contrôleraient également les activités

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  1   génératrices de revenu. Ce qu'il fallait c'était des emplois.

  2   En 1997, lorsque la première génération d'étudiants a obtenu ses diplômes

  3   dans notre système, la Serbie a refusé de reconnaître les diplômes, donc

  4   qu'est-ce qu'ils pouvaient faire ? Il y avait deux possibilités : partir à

  5   l'étranger ou se lancer dans la guerre. Ils étaient trop dynamiques pour

  6   rester et écouter quelqu'un de Belgrade.

  7   La police, les services serbes au Kosova, étaient totalement corrompus.

  8   Ceux qui étaient virtuellement présents régnaient sur le Kosova, mais la

  9   réalité sur le terrain était vraiment brutale. C'est la raison pour

 10   laquelle le président Ibrahim Rugova a dit que les accords de Dayton

 11   étaient en fait totalement morts d'un point de vue politique.

 12   On s'attendait à ce que la Serbie, après la Croatie et après la

 13   Bosnie, arriverait à ses sens et qu'une issue pacifique serait trouvée.

 14   Milosevic était la personne, avec sa femme et une autre personne dont je ne

 15   me souviens pas le nom. C'est la raison pour laquelle en 1997 on savait

 16   très bien quelle était la ligne de démarcation. Il n'y avait aucun moyen de

 17   pouvoir contrôler artificiellement les effets de la situation au Kosova.

 18   En 1996, il y a eu les efforts de médiation. Ils voulaient signer un

 19   accord pour que tout le monde puisse retourner dans les établissements

 20   scolaires. Mais en fait, ça ne s'est pas passé. Il y a eu un institut qui a

 21   été ouvert, mais les autres bâtiments sont restés fermés.

 22   Ce que vous avez dit, c'est que ce n'est pas sur le papier et qu'en fait la

 23   brutalité réelle sur le terrain était une autre paire de manches. Et c'est

 24   la raison pour laquelle la guerre est survenue, c'est ce qui s'est passé

 25   après 1997.

 26   Q.  Pour ce qui est des personnes qui avaient un rôle à jouer, vous avez

 27   mentionné Rugova et vous avez mentionné Milosevic. Je voudrais mentionner

 28   un des riches Albanais, probablement le plus riche Albanais, M. Bakalli.

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  1   Est-ce que vous ne pensez pas que d'après M. Bakalli -- est-ce que vous

  2   pourriez expliquer comment ceci s'est passé ?

  3   R.  Il est venu via Milosevic pour faire une offre, mais il a offert

  4   quelque chose qui n'était pas en fait pratique. Il a offert ce que la

  5   Serbie avait aboli en 1999. Ce n'était pas quelque chose de réaliste. Mais

  6   il a rencontré Milosevic en février 1998 dans sa propre habitation à

  7   Belgrade.

  8   Q.  Je voudrais revenir à Bakalli; parce qu'il voulait revenir à un niveau

  9   d'autonomie tel qu'il existait avant 1998 ou 1999, n'est-ce pas ?

 10   R.  Non. En ce qui concerne le projet politique, il s'agissait de détails.

 11   Mais il offrait quelque chose qui était inacceptable. En 1998, c'était trop

 12   tard. Il y avait des personnes de l'UCK qui étaient prêtes déjà, qui

 13   étaient dans le maquis. Il y avait plus de 25 000 personnes qui avaient

 14   pris les armes. C'était donc trop tard.

 15   Q.  En effet. Mais c'est l'UCK qui a été responsable de tout cela. L'UCK

 16   était le leader politique, pas le leader militaire, qui était impliqué.

 17   R.  C'était impossible, personne ne les acceptait vraiment en tant que

 18   leaders. Les premiers contacts sont arrivés à la fin du mois de mai 1998.

 19   C'était trop tard pour atteindre n'importe quel accord que ce soit. Nous

 20   proposions un projet de paix. Nous offrions des intermédiaires, nous avions

 21   une offre sur la table et ils ont rejeté tout cela.

 22   Q.  Je ne vais pas rentrer dans ces détails. Nous savons quelle était la

 23   position de la Serbie à l'époque et vous avez tout à fait raison. Les

 24   médiateurs étaient inacceptables au vu de la politique de la Serbie à

 25   l'époque.

 26   R.  Ce n'était pas au niveau de l'intérêt des Albanais, c'étaient des

 27   violations des droits de l'homme. Ça n'avait rien à voir avec les intérêts

 28   des Albanais.

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  1   Q.  Vous pouvez l'appeler ce que vous voulez, je savais que c'étaient des

  2   candidats acceptables. J'essaie de ne pas perdre du temps, j'essayais

  3   simplement d'éviter que vous reveniez comparaître demain.

  4   R.  D'accord.

  5   Q.  Ma question suivante est de savoir est-ce qu'il était fréquemment en

  6   contact avec vous, et vous alliez souvent le voir en Allemagne, en Suisse,

  7   et cetera ?

  8   R.  Oui, un total de trois réunions.

  9   Q.  Qui est M. Bujar Bukoshi et pourquoi ?

 10   R.  Qu'est-ce que vous entendez par "pourquoi" ?

 11   Q.  Pourquoi avec vous ?

 12   R.  Oui, avec moi. A l'époque, c'était le premier ministre du Kosova en

 13   exil. Vous devriez lui poser la question.

 14   L'INTERPRÈTE : Un intervenant ne peut pas parler en chevauchant l'autre

 15   intervenant.

 16   M. DJORDJEVIC : [interprétation]

 17   Q.  Vous dites que vous étiez arrêté --

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Djordjevic et Monsieur

 19   Haxhiu, nous interprétons dans différentes langues et vous parlez ensemble

 20   dans une conversation directe sans permettre de temps au processus

 21   d'interprétation. Par conséquent, nous n'arrivons pas à avoir sur le compte

 22   rendu d'audience tous les éléments que l'on devrait saisir. Donc je vous

 23   demande de faire des pauses.

 24   M. DJORDJEVIC : [interprétation] J'ai une suggestion.

 25   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

 26   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Vous deviez retirer vos écouteurs et

 27   écouter l'anglais --

 28   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, ça peut fonctionner peut-être,

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  1   mais je pense que vous devez être tous les deux conscients du problème et y

  2   remédier.

  3   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Q.  Pouvons-nous continuer en B/C/S, dans ce cas-là ? Bujar Bukoshi, vous

  5   l'avez invité, vous l'avez invité et vous avez participé à plusieurs

  6   entretiens. Pourquoi avez-vous appelé Bujar Bukoshi et pas le président du

  7   Kosovo, M. Rugova, ou pourquoi ne pas avoir une réunion avec les deux ?

  8   R.  Si vous regardez ma déposition, j'ai envoyé une lettre à M. Rugova et

  9   pas à M. Bukoshi, parce que c'était dangereux, c'était risqué d'envoyer une

 10   lettre. C'est la raison pour laquelle je l'ai contacté personnellement en

 11   Suisse. Dans la lettre, j'ai expliqué en détail le problème à M. Rugova.

 12   Mais j'avais des liens beaucoup plus étroits avec M. Bukoshi que M. Rugova.

 13   Q.  Pourquoi étiez-vous le choix des forces de sécurité serbes ? Pourquoi

 14   pas M. Bukoshi ou le président Rugova ? Pourquoi est-ce qu'ils vous ont

 15   choisi ? Qu'est-ce que votre présence signifiait à l'époque ? Quelle était

 16   la raison pour laquelle les dirigeants du service de Sécurité et de

 17   l'agence de sécurité, la BIA - c'est comme ça qu'on les appelait à l'époque

 18   - vous ont contacté par rapport à d'autres responsables, s'ils voulaient

 19   évidemment rentrer dans les négociations ? Qu'est-ce qu'ils connaissaient

 20   sur vous et pourquoi vous étiez un bon choix à leurs yeux, une bonne source

 21   d'information, pourquoi est-ce qu'ils vous ont demandé de les rencontrer ?

 22   R.  Ils ne m'ont pas choisi, mais lorsque j'ai été arrêté, c'est moi qui ai

 23   dit que le moment était venu de se lancer dans un dialogue, et que la voie

 24   que vous aviez empruntée nous amènerait à la guerre. J'ai essayé de voir si

 25   on pouvait avoir un dialogue et j'ai demandé si on pouvait avoir une

 26   réunion de façon à entamer ces négociations. J'ai dit oui, mais j'ai dit

 27   que c'était déjà assez tard, mais que je faisais preuve d'ouverture et que

 28   je n'adhère pas à cette idée de conspiration des Balkans. Ça a été donc un

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  1   dialogue très franc.

  2   Lorsque j'ai été arrêté, j'ai dit aujourd'hui que j'avais été maltraité,

  3   mais je pensais que c'était le bon moment d'aborder les questions

  4   concrètes. Ce n'est pas eux qui m'ont choisi, c'est moi qui ai eu cette

  5   idée lors de mon arrestation.

  6   Ils m'ont dit, Est-ce que vous pouvez faire cela ? J'ai proposé Bakalli et

  7   M. Agani; c'est aussi simple que cela. Donc deux réunions ont eu lieu, et

  8   c'était tout. Je ne les ai pas recontactés et ils ne m'ont pas recontacté

  9   non plus.

 10   La situation était vraiment dramatique, il fallait trouver une résolution.

 11   Lorsque les étudiants ont été maltraités, la situation a empiré. Par

 12   conséquent, ils avaient besoin d'une solution rapide. Ils ont vu qu'ils ne

 13   contrôlaient plus la situation et par conséquent, il n'y avait pas du tout

 14   de théorie de conspiration ou de complot.

 15   Q.  Ce n'est pas ce que j'avais à l'esprit. Ce que je voulais dire, c'était

 16   le statut politique que vous aviez à l'époque, les liens que vous aviez

 17   peut-être noués avec certaines personnes. C'est ce que je vous posais comme

 18   question, mais maintenant vous avez expliqué cela.

 19   Ma question suivante : lors de la première réunion, vous avez dit que M.

 20   Hadzic était là et M. Gajic. Vous étiez présent, il y avait également M.

 21   Bakalli. Etes-vous sûr de l'identité des personnes qui étaient présentes, à

 22   savoir Hadjic, Gajic, et qu'ils occupaient les positions qu'ils

 23   prétendaient obtenir ? Est-ce que vous étiez certain des identités des

 24   personnes que vous avez rencontrées, et que ces personnes étaient dûment

 25   habilitées à représenter la Serbie ? C'est leur agence ? Est-ce que vous

 26   avez posé des questions supplémentaires pour savoir exactement à qui vous

 27   vous étiez adressé ?

 28   R.  Je pensais qu'ils l'étaient, parce que Zoran Stijovic était également

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  1   présent. Et puis j'ai également vu des photos de M. Gajic un peu plus tard

  2   dans les journaux, lorsqu'il a donné des entretiens sur la situation au

  3   Kosova. Je n'ai jamais vu M. Hadjic après cela. Par conséquent, je ne peux

  4   pas dire s'il s'agissait vraiment de M. Hadjic ou pas, mais il s'est

  5   présenté comme tel. J'ai pris note de ces différents noms dans mon carnet,

  6   car je voulais refléter fidèlement la réunion. Je ne voulais pas avoir de

  7   mauvaise interprétation. Ils n'ont pas pris de notes de leur côté.

  8   Comme M. Bakalli l'a dit plus tard, peut-être qu'ils avaient des micros.

  9   Peut-être qu'ils ont enregistré tout ce que l'on a dit, mais moi, j'ai

 10   écrit tous les mots qui avaient été prononcés lors de cette réunion.

 11   Q.  Au moment où vous avez été interrogé, vous avez dit que le moment était

 12   vraiment venu de se lancer dans un dialogue. A ce moment-là, est-ce que

 13   vous avez contacté qui que ce soit, ou est-ce que vous avez essayé

 14   d'organiser une réunion avec M. Bakalli de façon à tomber d'accord sur un

 15   groupe de personnes qui participeraient à une réunion ultérieure ? Ou est-

 16   ce que c'était beaucoup plus improvisé ?

 17   R.  La proposition que j'ai faite durant mon arrestation, je dois vous

 18   avouer que je ne pensais pas qu'elle aurait été prise au sérieux. Je ne

 19   pensais pas qu'ils nous auraient rappelés; et en fait, ils nous ont

 20   rappelés après une longue période lorsque la situation avait empiré, et ils

 21   voulaient trouver une issue de sortie. Nous n'avions aucun contact avant

 22   cela. Je n'ai jamais reçu d'appel téléphonique de leur part. Rien du tout.

 23   Q.  Nous y reviendrons un peu plus tard. Quelle est selon vous la date de

 24   création de l'UCK ?

 25   R.  Est-ce que vous voulez ceci dans le contexte des évolutions historiques

 26   ou dans le contexte patriotique ? Car nous traitons de différentes

 27   réalités. Il y a la réalité souhaitée et la réalité factuelle.

 28   Q.  Je voudrais avoir des informations concernant l'UCK.

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  1   R.  En temps réel, l'UCK a vu le jour après les événements du 1er octobre,

  2   après les méthodes brutales utilisées contre les étudiants, c'est-à-dire le

  3   1er octobre 1997. Tout ce qui s'est passé avant était composé d'efforts

  4   individuels ou isolés, mais la résistance armée liée à l'UCK, compte tenu

  5   de l'absence de toute autre solution, a vu le jour après l'intervention

  6   brutale de la police qui a eu lieu le 1er octobre. Mais ça a été beaucoup

  7   plus important après l'exécution de la famille Jashari en mars 1998,

  8   lorsque tout le monde a voulu prendre les armes parce que plus personne ne

  9   pouvait supporter la situation.

 10   Q.  Alors vous avez parlé des activités, que vous étiez conscient des

 11   aspects négatifs de l'histoire avec la création de l'UCK et les activités

 12   de l'UCK sur le terrain. Et vous avez dit qu'il y avait une mauvaise

 13   interprétation, parce que quand on parle des idées relatives à une Grande-

 14   Albanie, cela est omis parce que vous le faites en guise d'acte

 15   patriotique.

 16   Pour ce qui est de la perception de la chose à l'étranger, au niveau

 17   des intervenants étrangers, et en votre qualité de journaliste, j'aimerais

 18   savoir quel est le contexte négatif qui était celui de l'UCK au niveau de

 19   la communauté internationale, ne serait-ce que vers le début. J'aimerais

 20   que vous élaboriez la chose, ne serait-ce qu'en quelques phrases.

 21   R.  Ils étaient tout à fait inconnus. Personne ne savait de qui il

 22   s'agissait. Au début, on pensait que c'était d'ex-soldats ayant fait partie

 23   des rangs de la JNA. Mais quand nous avons compris qu'il s'agissait là de

 24   jeunes garçons, de jeunes gens qui ne faisaient qu'avoir terminé les études

 25   à l'université parallèle, nous avons compris que la situation avait échappé

 26   à tout contrôle, et qu'il s'agissait d'exprimer, ou plutôt d'assurer une

 27   soupape de sécurité pour ce qui est de la haine qu'ils manifestaient vis-à-

 28   vis de tout ce qui leur avait été fait par les Serbes. J'ai été saisi par

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  1   ce que j'ai pu voir. J'ai essayé d'interpréter les choses. J'essayais de

  2   faire en sorte qu'il y ait une attitude rationnelle qui éviterait toute

  3   irrationalité, parce que imaginez ce que cela aurait donné si j'avais

  4   interprété le concept de la Grande-Albanie vis-à-vis des représentants

  5   étrangers.

  6   Alors comment expliquer cela à des gens de l'UCK ? J'avais rédigé à

  7   l'époque un article plutôt ferme à l'encontre de cette idée que j'avais

  8   estimé dangereuse, mais pour nous, c'était un contexte de survie. Il ne

  9   s'agissait pas de grand projet politique à l'époque, à ce moment-là, parce

 10   qu'à ce moment là, ça aurait été une illusion.

 11   Donc ce que je vous dis c'est qu'il y avait des gens qui "avaient

 12   cherché à nous aider", mais qui avaient fait preuve d'arrogance, et qui

 13   avaient conduit une politique malhonnête; et l'origine ou les racines de la

 14   politique se trouvaient à Belgrade. Le mieux peut-être serait de dire,

 15   Voyez ces gens-là, ils ne savent pas ce qu'ils font.

 16   Je ne pense pas qu'au début ils aient eu connaissance de ce qu'ils

 17   faisaient.

 18   Q.  Vous étiez journaliste à Bota e Re ?

 19   R.  Non, à Koha Ditore. En 1988, j'ai commencé comme débutant dans Bota e

 20   Re qui était un journal estudiantin. C'est là que j'ai commencé à apprendre

 21   ce métier de journaliste.

 22   Q.  Mais en votre qualité de rédacteur de ce journal de Koha Ditore ?

 23   R.  En 1997, il y a eu création de Koha Ditore comme journal. A l'époque,

 24   ça s'appelait Koha Javore. C'était un hebdomadaire.

 25   Q.  Mais il y avait des médias électroniques et des journaux au Kosovo, y

 26   compris Bota e Re.

 27   R.  Non, à l'époque, Bota e Re n'existait pas comme journal. Ça a été fermé

 28   comme institution ou comme établissement par l'ancien régime. On avait vu,

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  1   en première page, trois chaises tournées à l'envers. En réalité, nous

  2   avions demandé la révocation de trois personnes : Kole Shiroka --

  3   L'INTERPRÈTE : Deux autres noms que les interprètes n'ont pas entendus. Les

  4   interprètes n'ont pas entendu le nom de la troisième personne.

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Morina et Ali Shukrije.

  6   M. DJORDJEVIC : [interprétation]

  7   Q.  Adrian Krasniqi, vous savez qui c'est ? Est-ce que ce nom vous dit

  8   quelque chose ?

  9   R.  J'ai entendu prononcé ce nom, je l'ai publié dans mon journal. On a dit

 10   qu'il avait organisé des activités à proximité de Decan. Je ne l'ai jamais

 11   rencontré en personne. Je ne sais pas de qui il s'agit. D'aucuns disent que

 12   c'est l'un des premiers membres de ce groupe armé, et si mes souvenirs sont

 13   bons, il a organisé ou exercé ses activités en 1993 ou 1994, mais je n'en

 14   suis pas trop certain.

 15   Q.  Alors, dans votre journal on a publié sa photo en uniforme militaire,

 16   et vous le savez, avec des insignes de l'UCK, donc ça ne peut pas être

 17   1993, parce qu'en 1993 l'UCK n'existait pas. Dans un journal on a publié sa

 18   photo avec un lance-roquettes, avec une arme automatique et tout le reste,

 19   et on avait apporté un titre qui disait "Adrian en action." Vous en

 20   souvenez-vous ? Pouvez-vous répondre, je vous prie, par un oui ou par un

 21   non.

 22   R.  Non. Est-ce que vous souhaitez que l'on parle de ces aspirations

 23   balkaniques, ou est-ce que vous voulez qu'on parle de faits ? Parce qu'il y

 24   a des individus qui, en réalité --

 25   Q.  [aucune interprétation]

 26   R.  Je ne pense pas qu'il ait été, lui, membre de l'UCK. Il y a eu

 27   plusieurs individus en exil qui avaient des aspirations similaires et qui

 28   s'achetaient des uniformes pour l'équivalent de 100 francs, mais il n'y a

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  1   pas eu de formation militaire en tant que telle. En Allemagne et en Suisse,

  2   par exemple, ils avaient créé des formations militaires imaginaires, mais

  3   ce n'était pas des formations militaires d'active.

  4   Les éléments militaires, c'étaient des gens qui avaient fait auparavant

  5   partie des rangs de la police ou de l'armée, mais ils ont été emprisonnés

  6   au courant de la période qui a suivi l'année 1992.

  7   Q.  Saviez-vous que ce même Adrian Krasniqi s'est fait tué en 1997, et les

  8   médias électroniques en langue albanaise et la presse albanaise ont

  9   présenté cet homme comme étant une victime de la police serbe et ils l'ont

 10   présenté comme étant un étudiant albanais qui s'était fait tué pendant les

 11   manifestations ? En saviez-vous quelque chose de plus précis ?

 12   R.  J'ai dit que sa photo a été publiée par le journaliste Zeri i Kosoves

 13   qui est publié en Suisse, et non pas par des journaux publiés au Kosova.

 14   Mais pour ce qui est des activités déployées par cet homme, nous en avons

 15   parlé dans notre journal à nous, mais nous avons fourni la version

 16   officielle qui, d'après la police, était celle d'affirmer qu'il y ait eu de

 17   sa part une attaque contre un poste de police. Donc nous ne parlons pas de

 18   formations militaires imaginaires.

 19   Je voudrais dire que la véritable UCK c'est un produit qui date du 1er

 20   octobre. Ce qui a été écrit dans les journaux en Suisse et en Allemagne,

 21   c'est une histoire tout à fait autre. Tout à fait autre. Alors si l'on suit

 22   cette voie-là, il va peut-être être possible de tirer la conclusion qui

 23   serait celle d'affirmer que l'UCK a été créée avant 1989. Mais les faits,

 24   dans la réalité, sont tout à fait autres. L'UCK est le produit de la

 25   répression serbe, donc ce sont des gens qui sont le résultat d'une

 26   politique qui a suivi les accords de Dayton et la politique pacifique qui

 27   était celle d'Ibrahim Rugova.

 28   Q.  Mais en tant que journaliste, vous saviez que les membres de l'UCK

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  1   avaient enlevé des civils albanais et des civils des autres groupes

  2   ethniques et qu'ils avaient organisé les prisons, et que pendant toute

  3   cette période, ils s'étaient attaqués, l'arme au poing, aux forces de la

  4   police et de la l'armée dans des opérations de guérilla ? Ils avaient

  5   bloqué des routes, ils avaient créé ou mis en place des postes de contrôle

  6   ?

  7   R.  Oui, ils l'ont fait après 1998. Après l'attaque lancée contre la

  8   famille Jashari, ces gens étaient sortis dans les rues. Ils ont organisé

  9   des postes de contrôle et il y a eu un état de guerre. Cela est exact. Nous

 10   sommes en train de parler de la période qui a suivi à la première attaque

 11   lancée contre les Jashari, en janvier. Et ça s'est passé notamment lorsque

 12   les gens sont sortis sur les routes dans le secteur de Drenica. Je parle de

 13   membres de l'UCK. Et je répèterai que cela est la conséquence des

 14   brutalités serbes.

 15   Q.  Prenez la date du 18 juin 1998, la route Pristina-Pec, et vous dites

 16   qu'en été 1998 vous avez emprunté cette route pour aller à Malisevo, et que

 17   vous avez vu à Drenica et à Orahovac des destructions qui auraient été

 18   l'œuvre de forces serbes, et cetera. Saviez-vous que sur cette route, puis

 19   je vous ai donné la date, il y a eu une attaque de véhicule de la police et

 20   de véhicule civil à la localité d'Iglarevo ? J'aimerais savoir si vous en

 21   avez connaissance ou pas.

 22   R.  Non, pas le 16. Il y a eu des incidents après mai 1998. Je ne me

 23   souviens pas des noms, mais il y a eu des combats, en effet. Il y a eu des

 24   attaques sporadiques.

 25   Q.  Saviez-vous que l'UCK avait procédé au blocage de la route entre

 26   Pristina et Pec à la localité de Lapusnik, quand on part de Pristina, et à

 27   la localité de Dolac quand on part de Pec ? Et qu'il y a eu des barrages

 28   routiers avec des bois, des épaves de bois et des clôtures avec des

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  1   explosifs de posés et des mines. Vous avez emprunté cette route en

  2   compagnie de certains étrangers, de diplomates étrangers, du moins c'est ce

  3   que vous dites dans votre déclaration.

  4   R.  Oui, une fois la route bloquée, il y a eu cette célèbre phrase de

  5   prononcée que le nom de la paix et de la guerre au Kosova est celui de

  6   Llapushnik. Si vous vous en souvenez, c'est M. Holbrooke qui l'a dit. Vous

  7   devez forcément être au courant de cette offensive notoirement connue des

  8   forces serbes qui a été suivie de bon nombre de meurtres. J'ai vu des

  9   choses terrifiantes là-bas. Je suis allé dans ces montagnes en compagnie de

 10   David Slinn, un diplomate, et je ne pouvais pas croire de mes yeux à quel

 11   point la brutalité pouvait être grande. Je ne pouvais pas en croire mes

 12   yeux.

 13   Après cette offensive de juin, des villages entiers ont été brûlés

 14   jusqu'aux fondations. Il n'est pas resté une seule pierre sur une autre. A

 15   Rahovec, ces villages autour de Prishtina, toutes les maisons étaient

 16   incendiées et ont brûlé jusqu'aux fondations. Je l'ai vu de mes yeux.

 17   C'était une façon qui -- on avait essayé de convaincre l'UCK de créer une

 18   équipe de négociation pour sortir du conflit. On est allés à un village de

 19   Malishevo et dans le secteur de Drenica pour négocier avec les membres de

 20   l'UCK, et on est allé dans les montagnes et les collines là-bas. C'était

 21   une catastrophe.

 22   Q.  Ce n'est pas des choses qui sont contestées. On a trouvé cela dans

 23   votre déclaration. Il est dit dans votre déclaration qu'en juin 1998 il y a

 24   eu une interruption de la circulation entre Pristina et Prizren, et qu'il

 25   fallait faire le tour par Sredeska Zupa [phon]. Nous parlons de juin 1998.

 26   R.  [aucune interprétation] 

 27   Q.  Je n'ai pas d'interprétation.

 28   R.  Oui, c'est exact. C'est exact.

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  1   Q.  Bien.

  2   Alors ai-je raison de dire que le village de Kijevo est resté bloqué

  3   pendant un mois aussi ?

  4   R.  Oui. C'est là qu'a eu lieu cette bataille de Llapushnik. Ce sont deux

  5   localités très proches l'une de l'autre. De là, la route a été bloquée.

  6   Q.  Pendant ce blocage de la route entre Pec et Pristina, on pouvait aller

  7   de Pristina à Pec et vice versa en passant par Roxhaje et Kulla. Ai-je

  8   raison de dire cela ? Il n'y a pas eu de barrage routier là ? Enfin, je

  9   parle des Serbes ici.

 10   R.  On pouvait passer par Brezovica. On pouvait passer par la route

 11   Prizren-Gjakove, et on pouvait passer par Istoq. Il y avait des modalités

 12   d'y aller. Mais les Serbes de Peje ne pouvaient pas aller à Prishtina, et

 13   ils n'avaient pas besoin d'y aller. La situation était très grave. Les

 14   Serbes n'ont pas emprunté les routes principales à l'époque. Les Serbes de

 15   Kijevo allaient soit vers Peje, soit en prenant la route Prizren-Gjakove

 16   pour arriver à Prishtina.

 17   Q.  Mais à Lapusnik, saviez-vous que l'UCK à Lapusnik avait une prison ?

 18   R.  Non. Je n'ai jamais visité une prison de l'UCK là-bas. Je n'ai pas

 19   pensé que de telles prisons pouvaient exister. J'ai appris de la chose

 20   lorsqu'il y a eu des accusations de lancées à l'encontre de l'UCK.

 21   Q.  Saviez-vous que là-bas on a trouvé - à Lapusnik je veux dire - de

 22   cadavres de civils albanais et non-albanais ? Avez-vous eu des informations

 23   à ce sujet en votre qualité de journaliste ?

 24   R.  Je me souviens d'une conférence de presse organisée par le procureur de

 25   l'époque qui était un Serbe. C'était une femme procureur. Elle était si

 26   défiante. Ou plutôt, moi je ne l'ai jamais crue. S'il y avait eu ne serait-

 27   ce qu'un grain de vérité, elle le rendait tout à fait peu crédible. Elle ne

 28   bénéficiait d'aucune espèce de crédibilité. C'était la pire des

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  1   personnalités qu'on ait pu voir à l'époque.

  2   Q.  Vous parlez de Danica Maksimovic [phon] ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Ai-je raison de dire qu'en juillet 1998, l'UCK s'est attaquée à

  5   Orahovac et Velika Hoca et [inaudible].

  6   R.  J'étais personnellement là-bas avec des journalistes de la BBC, et je

  7   vous dirais que ce n'est pas exact. J'ai rendu visite à cet endroit et il y

  8   avait 250 mètres de distance entre les différents postes de contrôle, à

  9   savoir de l'UCK et des forces serbes. C'était une journée avant

 10   l'offensive, c'est là qu'on l'a visité. Donc j'ai visité Rahovec un jour

 11   avant l'offensive, et il n'y a eu aucune indication pour ce qui est de

 12   savoir qui est-ce qui attaquait.

 13   Dans mon livre, j'ai décrit les combats autour de Rahovec, et j'ai

 14   indiqué que la stratégie était celle de faire en sorte que par Rahovec on

 15   puisse attaquer Malishevo et aller vers Drenica. L'attaque a été planifiée

 16   et réalisée dans un délai de 24 heures. Les chars ont quitté Prishtina un

 17   jour avant que l'UCK ne s'attaque à Rahovec et ont encerclé le secteur de

 18   Malishevo de l'autre côté.

 19   Nous qui avons résidé à Prishtina et qui avions eu accès aux

 20   informations, et je dirais que M. Agani m'avait convoqué dans son bureau,

 21   et il a été informé par le commandant de l'armée un jour avant l'attaque,

 22   et on lui a dit que cette attaque allait être lancée -- intention de

 23   détruire Rahovec. Ça s'est passé après la réunion entre Bakalli, Surroi,

 24   Agani, dans les bureaux de Milosevic, et s'est terminé à la "maison

 25   blanche", au palais blanc à Belgrade.

 26   L'UCK a été attaquée, mais chacune des maisons a été également

 27   attaquée et incendiée. Des familles civiles ont été tuées, et il y a eu un

 28   effet opposé à celui que l'on s'attendait à obtenir.

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  1   Donc ce n'est pas vrai. Il y a eu, bien sûr, des combats à Rahovec,

  2   mais l'attaque a été bien planifiée.

  3   Q.  Alors la réponse est "non" ou "je n'en suis pas sûr" ?

  4   R.  Je suis certain de la chose. Je suis certain pour ce qui est de dire

  5   que la planification d'une action militaire d'une telle envergure a dû être

  6   faite auparavant. Le signal a été envoyé à l'intention de la communauté

  7   internationale pour affaiblir le rôle de l'UCK, et je pense que c'est M.

  8   Holbrooke qui l'a fait. Peut-être ne vous souvenez-vous pas de la réunion

  9   du 26 mai qui s'est tenue dans les bureaux de Milosevic. Il y a eu des

 10   groupes de gens du Kosova en 1998, et le secrétaire d'Etat de M. Clinton à

 11   Washington.

 12   Q.  Alors, Malisevo, dites-vous ? Savez-vous qu'il y avait une prison de

 13   l'UCK à Malisevo ? Le saviez-vous ?

 14   R.  Si vous aviez vécu dans les circonstances qu'étaient celles où j'ai

 15   vécu, parce que le Kosova en soi était déjà une grande prison. Il y avait 2

 16   000 000 de personnes qui étaient en train de purger leurs peines dans cette

 17   prison.

 18   Q.  Vous parlez d'Albanais ? Je vous ai parlé d'une petite prison de

 19   Malisevo. Il y avait une petite prison, une prison tenue par l'UCK à

 20   l'attention des Serbes. Vous ne savez pas ?

 21   R.  Non, il y a beaucoup de raisons pour moi de ne pas le savoir. C'était

 22   un événement d'importance moindre dans un contexte de situation horrible.

 23   C'est pour ça que je le dis.

 24   Q.  Saviez-vous que l'UCK, en 1999, avait kidnappé un autocar plein

 25   d'ouvriers, de mineurs, de cette mine de Belacevac ? Vous devez forcément

 26   le savoir, parce qu'ils ont tous été abattus. Ils venaient de la centrale

 27   thermoélectrique d'Obilic.

 28   R.  Les gens de l'UCK sont entrés dans les locaux de cette centrale

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  1   thermoélectrique et là, le fait que vous évoquez pour ce qui est du

  2   kidnapping d'un autocar d'ouvriers, ça, ce n'est pas exact. Ils sont entrés

  3   dans les locaux de la mine mais au quotidien, on pouvait entendre parler de

  4   meurtres, d'exécutions. Enfin, ça ne faisait plus la une des informations.

  5   Cet événement date de 1998. Il s'agit là d'une chose qui se produit dans

  6   toute guerre. Les gens viennent à être tués.

  7   Q.  Ecoutez, dites-moi maintenant quelque chose au sujet de la façon dont

  8   l'UCK faisait la guerre. C'était une guérilla et ça, c'est premièrement, et

  9   deuxièmement, après les actions et une fois que les gens des villages se

 10   retiraient, les civils se retiraient avec l'UCK, et ils cachaient leurs

 11   uniformes, et ils se changeaient pour se vêtir de vêtements civils. Etes-

 12   vous d'accord avec moi ? Parce que M. Zyrapi l'a indiqué, cela, dans l'un

 13   de ses témoignages.

 14   R.  Je n'ai pas été présent à l'occasion de ces situations où il y aurait

 15   eu changement de vêtements. Mais il est exact de dire que c'était une

 16   guerre de guérilla. Ce n'était pas une formation militaire régulière, mais

 17   l'armée serbe était si forte qu'il eut été difficile de voir un groupe quel

 18   qu'il soit de l'UCK pouvoir leur tenir tête.

 19   L'armée et la police serbe n'avaient pas combattu l'UCK, mais les

 20   civils. Leur brutalité était tournée contre les civils, et c'est la raison

 21   pour laquelle ils ont perdu la guerre. Ils ont gagné la guerre contre

 22   l'UCK, enfin. Ils ont gagné une bataille contre l'UCK, mais ils ont perdu

 23   la guerre contre les êtres humains. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas

 24   compté sur le peuple dans cette XXIe siècle. Donc ils ont remporté la

 25   guerre contre l'UCK, mais ils ont perdu la guerre contre le peuple du

 26   Kosova. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes maintenant au Tribunal

 27   de La Haye, et c'est la raison pour laquelle le Kosova est à présent

 28   indépendant.

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  1   Q.  C'est l'heure de la pause. Avant que nous ne prenions cette pause, je

  2   voudrais vous poser une question. Revenons à cet après-midi où vous avez

  3   été dans la maison, dans cette maison aux côtés des représentants des

  4   forces de sécurité serbe et M. Bakalli. Vous et Bakalli, vous étiez les

  5   seuls Albanais à vous être entretenus avec eux et ce, au nom de la

  6   population albanaise. Quelle est la légitimité que vous aviez, vous et M.

  7   Bakalli ? Aviez-vous quelque légitimité que ce soit ?

  8   R.  Le contexte temporel et le cadre temporel étaient différents. Je dois

  9   vous expliquer que toute personnalité publique au Kosova devait forcément

 10   jouer un rôle. J'étais rédacteur en chef d'un journal et M. Bakalli était

 11   une figure politique d'envergure. Donc chacun de nous s'était efforcé de

 12   trouver des moyens de résoudre ou de surmonter la situation de façon

 13   pacifique.

 14   Il me semble que M. Rugova, M. Agani et d'autres personnes avaient

 15   des filières de communication qui étaient les leurs, mais personne d'entre

 16   nous n'avait eu le courage de s'entretenir avec les Serbes face à face. On

 17   était passé par des médiateurs différents et cela créait souvent des

 18   situations de confusion et d'absence de clarté. Mon expérience à moi est

 19   celle d'affirmer que le contact direct est la meilleure des façons

 20   d'entamer des négociations de paix. Je pense cependant que la Serbie

 21   n'était pas prête à le faire. Nous avions proposé six personnes pour ce qui

 22   est d'entamer des négociations, mais nous n'avons jamais reçu de réponse en

 23   retour à cette proposition, et c'est la raison pour laquelle ces

 24   négociations ne sont jamais devenues une réalité. Nous avions proposé M.

 25   Rugova, M. Bakalli, M. Agani, je ne me souviens plus des autres. Mais nous

 26   avions demandé qui, du côté serbe, pourrait venir s'asseoir à cette table

 27   de négociation. Nous leur avons dit que nous ne pouvions pas, nous, décider

 28   en leur nom. Or, ils n'ont pas accepté que Bob Norman vienne à servir

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  1   d'intermédiaire dans ces négociations, parce qu'ils le percevaient en sa

  2   qualité d'Américain comme une personne opposée aux Serbes. Je ne sais pas

  3   pourquoi, pour quelle raison.

  4   Ce n'était pas une question de légitimité. C'était une question de prise

  5   d'initiative, dans l'espoir que l'on pourrait aboutir à une solution

  6   pacifique. Quand il y a de l'espoir, vous vous efforcez encore de faire

  7   quelque chose. Enfin, votre question en ce moment-ci a du sens mais à

  8   l'époque, elle était dénuée de sens.

  9   Q.  Juste avant la pause, vous et M. Bakalli, vous avez présenté les

 10   demandes maxima de la population albanaise. Mais si ces gens qui étaient là

 11   avaient dit d'accord, on accepte votre proposition et à partir de

 12   maintenant, nous allons créer un Etat confédéral, est-ce que vous aviez le

 13   pouvoir de poursuivre vos activités ? Je suis d'accord que ceux qui étaient

 14   venus étaient juste des médiateurs entre vous et le régime serbe; mais

 15   d'autre part, que se serait-il passé si eux avaient eu l'autorisation de

 16   vous dire, Bon, à partir de demain, nous allons entamer ce processus ?

 17   C'est pour ça que je vous pose cette question, cette question de

 18   légitimité.

 19   R.  Nous savions quelle était la situation sur le terrain. Nous savions

 20   quelles étaient les vraies possibilités pour nous, et nous connaissions la

 21   position de la communauté internationale. Personne parmi les étrangers, les

 22   représentants de la communauté internationale, n'avait mentionné

 23   l'indépendance du Kosova. Nous savions que ce processus n'allait pas

 24   pouvoir aboutir sans la participation de la communauté internationale. Nous

 25   avons présenté notre proposition, nous avons proposé un certain nombre de

 26   noms qui allaient être impliqués dans ces négociations, six noms en tout;

 27   et là se terminait notre travail.

 28   C'était ça, notre initiative. Peut-être que vous, vous ne le

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  1   comprenez pas, mais les Serbes étaient très condescendants. Ils se

  2   sentaient très forts par rapport à cette petite population non armée. Le

  3   problème majeur de cette génération d'hommes politiques est qu'ils

  4   n'avaient aucun respect pour l'être humain. Ils n'ont jamais considéré que

  5   l'être humain était un être réel.

  6   Q.  Merci. Nous allons poursuivre notre interrogatoire après la pause.

  7   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, il est l'heure de

  8   faire une pause brève.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui. Nous allons faire la deuxième

 10   pause maintenant. La Chambre souhaite vous dire que nous vous avons permis

 11   à tous les deux de vous exprimer librement, mais j'espère que cela portera

 12   ses fruits et que vous en terminerez aujourd'hui avec l'interrogatoire.

 13   Nous reprendrons nos travaux à 1 heure 05.

 14   [Le témoin quitte la barre]

 15   --- L'audience est suspendue à 12 heures 36.

 16   --- L'audience est reprise à 13 heures 05.

 17   [Le témoin vient à la barre]

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous avez la parole, Maître

 19   Djordjevic.

 20   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 21   Le témoin et moi nous nous sommes lancés dans une polémique de grande

 22   envergure, alors je vous prie de m'arrêter ou de m'interrompre si je vais

 23   trop loin.

 24   Q.  Je vais en terminer maintenant avec ces questions portant sur les

 25   négociations relatives à Brezovica.

 26   M. Bakalli et vous, vous étiez les seuls à être là-bas. Comment se

 27   fait-il que d'autres dirigeants albanais n'y sont pas allés étant donné que

 28   Jovica Stanisic a participé à ces négociations ? Est-ce que c'est parce que

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  1   le côté serbe vous a demandé de procéder ainsi ou bien il y a une autre

  2   explication ?

  3   R.  En fait, cette demande a été présentée à M. Bakalli. Ils ont dit qu'ils

  4   voulaient poursuivre ce que nous avions commencé mais avec M. Stanisic; et

  5   lorsque M. Stanisic est arrivé ce jour-là, il nous a proposé d'avoir une

  6   réunion avec M. Milosevic, nous avons refusé. Il semblait qu'il avait un

  7   mandat limité de mener les négociations. Je pense que je l'ai vu pour la

  8   première fois lorsqu'il avait été envoyé en Bosnie pour assister à

  9   l'assemblée en Bosnie, et j'ai entendu son nom en 1995 lors d'une

 10   conférence serbe.

 11   Il y est allé en tant que médiateur, donc j'ai retenu son nom et je pensais

 12   que c'était quelqu'un d'important, mais par la suite je n'ai rien appris à

 13   son sujet. Mais lors de cet entretien, il était correct, il avait présenté

 14   ses arguments pour expliquer son point de vue, mais il était limité dans ce

 15   qu'il souhaitait obtenir et l'issue a été plutôt mauvaise je dirais.

 16   Q.  Encore une question brève, très brève. La grande partie de ces

 17   négociations a eu lieu entre M. Bakalli et M. Stanisic; ai-je raison de le

 18   dire ?

 19   R.  Pendant la première moitié de la réunion, il voulait être en tête à

 20   tête avec M. Bakalli. Il semblait qu'il voulait se rassurer et ensuite il

 21   est venu avec M. Bakalli à une réunion conjointe.

 22   Et M. Bakalli m'avait expliqué ce dont ils avaient parlé pendant la

 23   première partie de la réunion, et bien sûr, il lui avait répété ce que nous

 24   avions présenté lors de la première rencontre dans son appartement.

 25   Q.  Oui, ça nous le savons.

 26   Mais j'aimerais que vous précisiez quelque chose d'autre, quelque chose qui

 27   figure dans votre déclaration. Vous avez dit que vous aviez littéralement

 28   la trouille, c'est le terme que vous avez employé, lorsque vous rentriez en

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  1   voiture à Pristina avec M. Bakalli. Est-ce qu'on vous a menacé ? De quoi

  2   s'agissait-il ?

  3   R.  En fait, dans l'appartement de M. Bakalli, M. Hadjic m'a montré du

  4   doigt et il m'a dit, Si quiconque apprenait au sujet de cette réunion - et

  5   il a parlé en montrant vers moi - il a dit, Vous ne serez plus la même

  6   personne que vous êtes aujourd'hui. Donc on n'a pas répété les mêmes

  7   gestes, ni les mêmes paroles, mais l'ambiance qui régnait était nouvelle,

  8   n'était pas agréable.

  9   Donc il a parlé de la possibilité de faire la guerre et cela a eu une

 10   incidence négative sur l'ambiance qui régnait lors de la réunion.

 11   Q.  D'accord, j'ai compris. Vous avez dit que vous n'avez jamais eu à payer

 12   l'amende compte tenu de votre sentence et je voulais vous demander quelque

 13   chose au sujet du procès qui a eu lieu en 1992. Parce que vous savez, nous

 14   en tant qu'avocats, on vérifie toujours les choses. Et vous avez dit que

 15   c'était un dimanche, alors qu'en fait il se trouve que c'était un lundi

 16   d'après ce qui est consigné dans votre déclaration, mais vous affirmez que

 17   c'était un dimanche.

 18   R.  Non, j'ai dit que c'était le 21, pas le 22.

 19   Q.  D'accord. Dans votre déclaration, vous avez dit que le journal devait

 20   payer 200 000 deutsche marks et que vous, vous deviez payer 25 000 deutsche

 21   marks. En fait il s'agissait d'une somme supérieure, vous deviez payer 110

 22   000 deutsche marks et le journal devait payer 420 000 deutsche marks. En

 23   fait, il s'agissait d'autres montants finalement, c'était respectivement 26

 24   000 et 7 200 dollars.

 25   Et ce sont les chiffres que j'ai obtenus dans la presse internationale et

 26   cette peine vous a été imposée en vertu de l'article 67 de la Loi portant

 27   sur l'information.

 28   R.  Si vous vous souvenez à l'époque, le dinar connaissait une inflation

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  1   phénoménale et le montant, ou plutôt la valeur de l'argent diminuait de 50

  2   % par jour. Et la loi que vous venez de mentionner n'était pas appliquée

  3   par rapport à moi, mais elle a été appliquée par rapport à Blic, par

  4   exemple.

  5   Q.  Mais c'est justement ce que je voulais vous dire. Il y avait d'autres

  6   journaux et différents médias électroniques qui ont été sanctionnés en

  7   vertu de cette loi ?

  8   R.  Il s'agissait d'une série de sentences.

  9   Q.  Il y a encore un détail lié à cela. Donc il y avait des sentences

 10   prononcées à l'encontre des médias serbes et non pas seulement à l'encontre

 11   des médias albanais. Le daily telepgrah a été touché également.

 12   Il s'agissait d'une loi qui portait sur les délits et c'est une cour de

 13   première instance et non pas une cour classique pour ainsi dire.

 14   R.  Cette loi était une catastrophe. Ils ont trouvé une excuse, et cette

 15   loi a été votée de manière très brutale en Serbie. Cette loi a été votée en

 16   juste une semaine.

 17   Q.  Oui. Je sais, je sais. La peine que vous pouviez encourir était donc de

 18   causer une haine interethnique, et en vertu de cette loi, ils ont pris en

 19   compte le magazine qui avait publié vos articles, articles intitulés, je

 20   crois : "Le Kosovo nous attendons un détachement de l'OTAN", ou quelque

 21   chose dans ce genre. Mais un autre élément était typique et j'aimerais que

 22   vous vous rappeliez de cela. Vous avez dû présenter les éléments à décharge

 23   en l'espace de 24 heures. Je ne sais pas si vous vous en souvenez. Vous

 24   deviez en fait monter une défense en l'espace de 24 heures. Si vous ne vous

 25   en souvenez pas, ce n'est pas grave.

 26   R.  Je m'en souviens.

 27   Q.  Très bien.

 28   R.  Le vendredi, nous avons publié l'article en deuxième page de

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  1   couverture. Le samedi, la procédure accélérée nous a été envoyée et j'ai

  2   été informé que je devais comparaître devant ce tribunal, et j'ai dû

  3   comparaître d'urgence. C'était une convocation en référé. C'était un

  4   dimanche.

  5   Q.  Oui. Un dimanche, n'est-ce pas ? Et c'était le juge responsable de ce

  6   type de délit qui était présent. J'avais été surpris que l'affaire fût

  7   traitée un dimanche, mais c'était en fait le juge de garde qui était

  8   présent.

  9   Merci. Nous avons également le temps pour les questions

 10   supplémentaires de M. Neuner, s'il en a suite à mon contre-interrogatoire.

 11   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Est-ce que l'on peut avoir la pièce D003-

 12   3235 à l'écran ?

 13   Q.  De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une déclaration ou d'une modification

 14   d'une déclaration qui a été faite en novembre 2006 par M. Haxhiu devant ce

 15   Tribunal.

 16   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait passer à la page

 17   2, s'il vous plaît. Est-ce que l'on pourrait également avoir la version

 18   albanaise, s'il vous plaît. Sinon, je crois comprendre que le témoin parle

 19   très bien l'anglais. Pas d'albanais. Très bien. Alors je vais continuer.

 20   Q.  Je voudrais que l'on regarde le supplément qui porte la date du 24 mars

 21   jusqu'au 2 avril 1999. Vous étiez dans la cave donc vous n'avez pas pu voir

 22   ce qui se passait dans la ville de Pristina.

 23   Lorsque vous avez quitté Pristina le 2 avril 1999, vous avez vu des hommes

 24   âgés et corpulents en uniformes verts qui portaient des masques, et cetera,

 25   et cetera, mais ce n'est pas ce qui est important, parce que ceci a été

 26   mentionné dans les autres dépositions et les principales déclarations, et

 27   vous vous êtes rendu compte qu'il y avait des militaires.

 28   Mais il y a quelque chose d'autre que j'aimerais mentionner également

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  1   sur ce qui concerne les événements du 24 mars au 2 avril. Vous n'aviez

  2   aucune connaissance de ce qui se passait à Pristina. Aujourd'hui, vous avez

  3   parlé exactement de cette période, y compris le meurtre d'un de vos gardes

  4   dans votre imprimerie. Et vous avez mentionné que lorsque vous êtes allé de

  5   votre maison à la maison de votre ami écrivain, aujourd'hui vous nous avez

  6   fait une formulation différente par rapport à ce qui est dans cette

  7   déclaration.

  8   R.  Quelle est la partie qui n'est pas claire selon vous ?

  9   Q.  Ce que je ne comprends pas très bien, vous nous avez dit aujourd'hui

 10   que vous étiez à Pristina. Vous vous êtes rendu au siège de votre journal,

 11   et à ce moment-là, vous avez vu votre garde qui avait été tué. Il est

 12   mentionné ici que dans la période du 24 mars au 2 avril, vous étiez dans la

 13   cave, donc vous n'avez pas pu voir ce qui se passait à Pristina, parce que

 14   vous étiez dans cette cave, et que vous êtes parti pour la Macédoine. Est-

 15   ce que vous ne voyez pas qu'il y a donc des éléments qui ne concordent pas

 16   dans vos deux dépositions ?

 17   R.  Il n'y a pas d'éléments discordants. Regardez les dates. Le 24, lorsque

 18   le bombardement a commencé, je vais expliquer tout cela. Je pensais qu'une

 19   fois que les bombardements commenceraient, il y aurait une liberté de

 20   mouvement. Par conséquent, j'étais sorti de chez moi pour rencontrer les

 21   journalistes au bureau de Koha Ditore. Et à 9 heures 30 le 25, j'avais

 22   l'intention de sortir et de me rendre dans les bureaux du journal.

 23   Le 25, j'ai quitté l'endroit où j'avais passé la nuit jusque dans le

 24   quartier de Dardanija. Ensuite, pendant les deux jours qui s'en sont

 25   suivis, je suis resté dans ce quartier et ensuite je suis allé à Kodra e

 26   Diellit. Je n'ai jamais dit que j'avais quitté la ville parce que ce

 27   n'était pas possible.

 28   Le 25 dans la soirée à 21 heures 30, ou environ 21 heures, des hommes

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  1   jeunes sont rentrés par effraction dans des magasins et dans des

  2   entreprises, et nous avons pu le voir par les fenêtres, parce que les

  3   lumières étaient éteintes. Nous pouvions voir ce qui se passait dans la

  4   rue. On pouvait voir qu'il y avait eu cette effraction et ces pillages.

  5   Mais je n'ai jamais dit à quelque moment que ce soit que j'ai quitté la

  6   ville ou que je suis allé me balader en ville.

  7   Si vous considérez une promenade que d'aller d'un appartement à un autre,

  8   très bien, mais ce n'est pas vraiment une promenade. Selon moi, une

  9   promenade a une signification différente, et une balade dans la ville

 10   signifie vraiment quelque chose d'autre, et la situation était tout à fait

 11   différente.

 12   Q.  Je vous prie de m'excuser. Je me suis peut-être mal exprimé. Ce n'était

 13   pas la question de balade en ville, c'était le paragraphe qui laissait

 14   penser que vous n'aviez pas quitté cette pièce dans votre appartement, et

 15   puis vous avez également mentionné que vous vous rendiez à Pristina. Vous

 16   avez parlé de la différence, et vous avez parlé de ceci que je souhaitais

 17   soulever. L'ambassadeur Wolfgang Petrisch était l'ambassadeur à l'époque.

 18   Nous n'avons pas vraiment beaucoup de temps et je ne voudrais pas poser

 19   d'autres questions concernant cela, car ceci a été traité dans l'addendum,

 20   et je voudrais donc faire appel à cette Chambre d'audience.

 21   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Je voudrais demander à cette Chambre

 22   d'instance si je pourrais verser cet addendum au dossier, compte tenu de ce

 23   qui figure dans ce document. Il s'agit de la pièce qui porte la cote D003-

 24   3235. Il parle de Julian Braithwaite [phon] --

 25   L'INTERPRÈTE : Pourrait-on demander au conseil de répéter les noms qu'il

 26   vient de mentionner plus lentement. Merci.

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que vous pouvez répéter les

 28   noms que vous venez de mentionner, Maître Djordjevic ?

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  1   M. DJORDJEVIC : [aucune interprétation]

  2   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je répète une nouvelle fois. Est-ce

  3   que vous pouvez répéter les noms que vous venez de mentionner. Merci.

  4   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Tout à fait, Monsieur le Président. Il y a

  5   le recteur de l'université qui est mentionnée dans cet addendum; il y a

  6   David Slinn; Julian Braithwaite; Jonathan Weiss; Jan Kickert - c'est un

  7   témoin qui a comparu ici - Albert Rohan; et l'ambassadeur Wolfgang

  8   Petritsch.

  9   Et je peux réduire le temps de mon contre-interrogatoire et ne pas

 10   poser les questions qui précéderont cela. Je ne poserai pas ces questions,

 11   cependant je voudrais que cet addendum soit versé. Il porte la date du 7

 12   novembre 2006, et il a été donc présenté par le témoin.

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Cette pièce sera versée au dossier.

 14   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce D227.

 15   M. NEUNER : [interprétation] Je voudrais faciliter la tâche de mon éminent

 16   collègue. L'Accusation n'aura probablement aucune question, donc vous

 17   pouvez poursuivre tant que vous le souhaitez.

 18   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Merci, cher collègue. Etant donné que les

 19   addendum ont été versés au dossier, nous allons gagner au moins une

 20   vingtaine de minutes. J'ai encore une autre question brève à poser,

 21   probablement qu'une seule.

 22   Q.  Monsieur le Témoin, avez-vous des informations qui vous permettent de

 23   savoir combien de Serbes ont quitté le Kosovo après l'accord en question,

 24   l'accord de Kumanovo ?

 25   R.  Je ne peux pas être exact quant au nombre de personnes, mais je sais

 26   qu'il y a eu des mouvements, notamment dans le centre du Kosova et le nord

 27   du Kosova, mais vous ne pouvez pas me demander des chiffres exacts parce

 28   que je ne sais pas. Je sais qu'il y a eu un mouvement immédiatement après

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  1   l'accord de Kumanovo, notamment après le 14 ou après le 15. Il y a eu des

  2   mouvements par le biais de tracteurs à partir du nord du Kosova en

  3   direction de la Serbie; cependant, une partie de ces personnes, des Serbes,

  4   même avant cela durant le régime de Milosevic, ils avaient déjà acheté des

  5   maisons en Serbie.

  6   Donc pour certains c'était surprenant qu'ils partent, mais pour

  7   d'autres, il était clair qu'ils partaient en raison d'affaire de corruption

  8   ou parce qu'ils avaient peur de poursuites ou parce qu'ils se sentaient

  9   coupables.

 10   Q.  Ma dernière question à votre attention aujourd'hui, Monsieur le Témoin

 11   : vous travaillez toujours en tant que journaliste, n'est-ce pas ? Avez-

 12   vous des informations sur le nombre de Serbes ou d'autres non-Albanais qui

 13   sont rentrés au Kosovo après ces événements ?

 14   R.  Pas beaucoup. Le Kosova n'est pas un territoire agréable, même pour les

 15   Albanais, et encore moins pour les Serbes. C'est un pays très pauvre qui

 16   rencontre de graves problèmes, des problèmes qui touchent tous ses

 17   habitants. Et selon moi, les Balkans fait toujours montre d'un concept

 18   primitif de vie. Les habitants n'ont pas beaucoup de possibilités ni

 19   d'opportunités aux Balkans.

 20   Ma proposition, ma suggestion aux Serbes serait la suivante. Ma

 21   réponse est que le Kosova n'a aucune signification sans les Serbes.

 22   Cependant, il est difficile de vivre dans un pays pauvre avec très peu de

 23   perspective d'avenir, notamment pour les jeunes. Et selon moi, les gens qui

 24   ont vécu au Kosova avec les Serbes connaissent le charme de la

 25   cohabitation, et ce charme a été perdu en raison des problèmes politiques

 26   et économiques; la perspective devrait être pour les jeunes.

 27   Q.  Monsieur Haxhiu, je vous remercie de votre témoignage. J'aimerais

 28   pouvoir dire que ce que vous avez dit aujourd'hui est fort possible et que

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  1   nous devons nous attendre à des temps meilleurs, mais si nous voulions

  2   chercher des réponses à tant d'autres questions qui se posent, cela nous

  3   mènerait à un débat qui risquerait de durer durant des jours. Mais ce qui

  4   est pertinent pour l'affaire qui nous intéresse, nous l'avons entendu

  5   aujourd'hui de votre bouche.

  6   Donc je me propose d'en terminer avec mon contre-interrogatoire.

  7   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de

  8   question à l'intention de ce témoin-ci.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Maître

 10   Djordjevic.

 11   Monsieur Neuner, à vous.

 12   Nouvel interrogatoire par M. Neuner : 

 13   Q.  [interprétation] Très brièvement, Monsieur Haxhiu, mon éminent confrère

 14   vous a demandé tout à l'heure quelque chose au sujet de la période où vous

 15   avez eu à vous cacher dans bon nombre de maisons et de sous-sols à

 16   Pristina. Est-ce que vous pourriez juste nous expliquer quelle a été la

 17   raison pour laquelle vous êtes passé dans la clandestinité, si je puis

 18   m'exprimer ainsi ?

 19   R.  La première raison serait le fait que nous avons été exposés en tant

 20   qu'intervenants en travaillant dans un journal. La deuxième raison, c'est

 21   le fait qu'on ait tué mon avocat. La troisième raison, c'était la guerre en

 22   tant que telle. Une autre raison pourrait être aussi les conseils qui nous

 23   ont été dispensés par nos amis internationaux. J'ai été de ceux qui étaient

 24   exposés à des risques. J'ai toujours vécu d'une vie ouvertement publique,

 25   et quelles qu'aient été mes opinions, je les ai publiées dans ce journal.

 26   Et le 22, en page de couverture, j'ai dit "Avions de l'OTAN : Allez-y".

 27   Et un ami à moi m'a dit, m'a conseillé que ce n'était pas quelque

 28   chose, un beau message pour ce qui est des hommes qui régime à Milosevic,

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  1   et ils m'ont dit qu'il valait mieux se cacher et craindre pour ma vie.

  2   Et ça, c'était les raisons principales, en plus de la situation de guerre.

  3   Q.  Moi j'essaie de comprendre cette réponse. Vous nous avez dit que vous

  4   étiez exposé en tant que journaliste. Exposé à qui ou à quoi ?

  5   R.  Koha Ditore a toujours eu une position opposée au régime à Milosevic et

  6   les activités et les brutalités exercées par l'autorité en place, et ce,

  7   pendant des années. C'est pourquoi nous avions adopté un ton critique, sans

  8   pour autant être sorti à quelque moment que ce soit des choses admissibles.

  9   Nous avons parlé de la violation des droits de l'homme, des brutalités de

 10   la police à l'égard de civils, et nous avons propagé l'idée du respect des

 11   droits de l'homme, tant des Albanais que des autres citoyens du Kosova.

 12   Donc nous avons par ce fait même été exposé au regard ou à la surveillance

 13   de la part des autorités.

 14   J'étais la personne qui avait conçu la politique du journal, et en cette

 15   qualité-là, je peux porter que le blâme de ce qui s'est passé. Parce que

 16   ceux qui avaient rendu publique leur opinion contre le régime de Milosevic,

 17   ils y en avaient même à Belgrade. Et il y a un rédacteur en chef d'un

 18   journal là-bas qui a été abattu.

 19   Donc la peur vient en premier lieu, le courage ne vient qu'après. Et

 20   c'est pourquoi j'ai été forcé d'aller d'une maison à une autre pour me

 21   convaincre psychologiquement moi-même qu'ils n'allaient pas me retrouver.

 22   Parce qu'ils pouvaient d'une certaine façon vous abattre quand bon leur

 23   semblerait. Donc c'est cette peur qui m'a fait fuir d'un appartement à un

 24   autre a créé une espèce de sentiment de sécurité pour ce qui est des gens

 25   qui l'ont fait.

 26   Et comme je vous l'ai déjà dit, la peur l'emportait à l'époque. Il

 27   n'y avait pas que moi, tout le monde au Kosova l'avait ressentie. Il y a eu

 28   quelques figures ou personnalités politiques au Kosova qui ont ouvertement

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  1   pu exprimer leur opposition au régime de Milosevic. Je ne suis pas en train

  2   de parler, c'est du peuple serbe, je ne parle pas des civils serbes, je

  3   parle du régime Milosevic.

  4   Q.  Serait-il exact de dire qu'à un moment donné on avait considéré que

  5   vous n'étiez plus en vie ?

  6   R.  Ce n'est que par la suite que, enfin ce n'est peut-être pas un bon

  7   endroit pour l'indiquer, mais ultérieurement donc j'ai appris que je me

  8   trouvais, mon nom se trouvait sur une liste de ceux qu'on avait dit de

  9   tuer. Mon nom se trouvait sur une liste de ce genre. Je ne pense pas devoir

 10   en parler à présent parce que je ne pense pas que cela puisse être

 11   pertinent pour cette Chambre de première instance ni pour l'affaire qui

 12   nous intéresse.

 13   Q.  Alors, il se peut que je vous aie mal compris. Il me semble que vous

 14   avez dit ce matin, juste avant que nous n'entrions dans le prétoire, qu'à

 15   un moment donné vers le début de la guerre, après le 24 mars 1999,

 16   quelqu'un aurait annoncé que vous étiez déjà mort.

 17   R.  Oui. Le 29 mars, à 3 heures 30, on a annoncé ma mort. C'est Jamie Shea

 18   qui l'a annoncé, et Welby [phon] l'a dit à une conférence de l'OTAN à

 19   Bruxelles.

 20   Il a dit qu'il y avait Fehmi Gani, Baton Haxhiu, et deux autres

 21   intellectuels albanais à avoir été tués le jour d'avant. Ça s'est passé

 22   après l'enterrement de Bajram Kelmendi, ce juriste et humaniste notoire,

 23   nom connu, originaire du Kosova. Alors, cette prétendue mort, pour moi,

 24   c'est une chose à laquelle on a cru jusqu'au 2 avril, date à laquelle je

 25   suis passé en Macédoine.

 26   Alors si vous me demandez ce que cela peut signifier que d'être

 27   considéré comme mort, ce que je puis vous dire c'est qu'il y a une mort

 28   spirituelle et une mort physique. Personnellement, je me considérais

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  1   spirituellement déjà mort. Un civil comme moi et comme tant d'autres se

  2   considérait spirituellement comme étant déjà mort. La façon dont nous avons

  3   vécu dans ces circonstances difficiles nous a fait nous sentir plus mort

  4   que vivant. Nous n'avions pas la possibilité d'informer nos familles

  5   respectives du fait d'être encore vivants et d'aller bien. Des gens sont

  6   allés voir mes parents et ma famille pour leur présenter des condoléances,

  7   mais condoléances exprimées pour ma mort.

  8   Voilà, c'est le type de choses que nous apporte la guerre.

  9   Enfin, c'est là des choses qu'il vaut mieux oublier. En ce moment-ci, je

 10   comprends qu'il y a deux types de mort, cette mort spirituelle et cette

 11   mort physique. Alors dans le cas qui nous concerne, on était vivant, au

 12   figuratif, mais j'ai réalisé à ce moment-là que l'esprit faisait également

 13   partie d'un corps humain, c'est ce qui vous garde en vie.

 14   Q.  Cette déclaration de l'OTAN a été faite en quelle année ? Vous avez dit

 15   le 29 mars, mais vous n'avez pas dit l'année.

 16   R.  En 1999.

 17   Q.  Alors, cette déclaration, de façon évidente, était erronée pour ce qui

 18   est de votre mort à vous, mais qu'en est-il de l'autre homme que vous avez

 19   nommé, Fehmi Agani, et les deux hommes que vous n'avez pas nommés ?

 20   R.  Ce n'était pas vrai non plus pour M. Agani à ce moment-là. M. Agani a

 21   été tué un mois plus tard. Moi, j'ai quitté le Kosova en me dissimulant,

 22   j'ai eu à me déguiser. J'ai donc abandonné le sous-sol, non pas en qualité

 23   de Baton Haxhui. J'ai essayé de me déguiser et de frapper aux portes

 24   d'autrui pour me cacher, mais personne ne voulait me prendre ou me

 25   recevoir.

 26   Quand j'allais frapper à la porte de quelqu'un et quand je disais que

 27   je m'appelais Baton Haxhui, ils me disaient, Tu devrais avoir honte de te

 28   présenter de la sorte parce que c'est un homme qui est mort. La période

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  1   était plutôt difficile. Ces deux journées-là ont été très difficiles pour

  2   moi. Personne ne voulait me croire. Personne ne voulait croire au fait que

  3   j'étais encore en vie. Ils avaient plus cru à la déclaration de l'OTAN que

  4   moi-même alors qu'ils pouvaient me voir.

  5   Q.  Alors, en votre qualité de journaliste, vous êtes au courant des

  6   pratiques investigatives. Vous êtes-vous adressé à quelque moment que ce

  7   soit à l'OTAN pour connaître la source de leur désinformation ?

  8   R.  Justement. Cette liste, c'était l'OTAN qui se l'était procurée à partir

  9   de sources à soi, et c'était une liste de personnes à exécuter. La liste

 10   était en possession de M. Sainovic. Ça c'est une chose qu'on a apprise par

 11   la suite. C'était la liste de ce qui était convenu d'appeler les ennemis.

 12   Bon nombre des personnes dont les noms figuraient sur cette liste ont bel

 13   et bien été tuées. Il y a M. Surroi, Alush Gashi, et moi, nous autres on

 14   nous avait déclaré mort, alors que nous étions toujours en vie.

 15   Q.  Est-ce que vous avez vu cette liste par vous-même ?

 16   R.  Je ne peux pas vous donner de réponse. Je ne l'ai pas, cette liste.

 17   Q.  Je sais, mais est-ce que vous l'avez vue ou avez-vous une copie de

 18   celle-ci ?

 19   R.  Je vous ai déjà dit que je n'avais pas de réponse pour vous à cette

 20   question.

 21   Q.  Ma dernière question à votre intention est la suivante : c'est partant

 22   de quoi que vous affirmez que cette liste était en possession de M.

 23   Sainovic ?

 24   R.  Il s'est passé dix ans depuis la guerre au Kosova. J'ai enquêté sur les

 25   circonstances me concernant en personne pour ce qui est du moment où on

 26   m'avait déclaré mort. Je me suis entretenu avec des membres de la famille,

 27   des amis, au sujet des circonstances où M. Welby et M. Shea m'avaient

 28   déclaré mort. J'ai posé la question en personne à M. Shea. J'ai posé la

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  1   question à d'autres diplomates britanniques à ce sujet, et c'est pourquoi

  2   je vous dis que j'ai eu connaissance de ce qui figurait sur cette liste.

  3   Q.  Ça, je l'ai compris. Ma question était celle de savoir qui est-ce qui

  4   vous a dit que M. Sainovic était en possession de ladite liste à l'époque ?

  5   R.  Je vous l'ai dit, je ne sais pas vous répondre cela, et je ne répondrai

  6   pas.

  7   M. NEUNER : [interprétation] L'Accusation n'a plus de questions, Messieurs

  8   les Juges.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Haxhui, ceci met un terme aux

 10   questions qu'on a à vous poser. Je pense que cela vous fera plaisir. Nous

 11   avons réussi à nous situer dans le cadre temporel en partie, je vous

 12   remercie de votre présence, de l'aide que vous nous avez apportée, et de

 13   l'intéressante discussion que vous avez eue avec le conseil. Vous êtes

 14   libre de vous en aller, de continuer à vaquer à vos activités normales.

 15   Nous allons lever l'audience pour aujourd'hui, et nous vous remercions une

 16   fois de plus.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie aussi.

 18   [Le témoin se retire]

 19   --- L'audience est levée à 13 heures 47 et reprendra le vendredi 19 juin

 20   2009, à 9 heures 00.

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