Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le vendredi 19 mars 2010

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 28.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Nous avons été obligés de

  6   commencer un peu plus tard, parce que le procès précédent n'était pas

  7   terminé à l'heure.

  8   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djordjevic, vous avez la

  9   parole.

 10   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Messieurs

 11   les Juges. Je l'ai promis hier et j'espère pouvoir honorer ma promesse. Je

 12   compte terminer mes questions supplémentaires dans 15 ou 20 minutes.

 13   LE TÉMOIN : DANICA MARINKOVIC [Reprise]

 14   [Le témoin répond par l'interprète]

 15   Nouvel interrogatoire principal par M. Djordjevic : [Suite]

 16   Q.  [interprétation] Madame Marinkovic, je n'ai pas réussi hier à saisir la

 17   réponse que vous avez fournie à une question posée par Mme Gopalan, et je

 18   pense d'ailleurs que je ne suis pas le seul à ne pas avoir compris votre

 19   réponse.

 20   Connaissez-vous personnellement votre confrère, l'avocat Destan Rukiqi ?

 21   R.  Oui, je le connaissais.

 22   Q.  Travaillait-il à Pristina ou dans une autre ville ?

 23   R.  A Pristina.

 24   Q.  Pour ce qui est de mon confrère Rukiqi, était-ce un avocat qui avait

 25   une bonne réputation à Pristina, ou plutôt sur le territoire couvert par le

 26   tribunal de district de Pristina ?

 27   R.  Il n'avait pas une réputation brillante. Il n'avait pas la réputation

 28   d'être très professionnel.

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  1   Q.  M. Rukiqi, était-il connu comme quelqu'un qui s'engageait en faveur des

  2   droits de l'homme ? Le savez-vous ? En avez-vous entendu parler ?

  3   R.  Non, j'en ai entendu parler pour la première fois hier. Ce n'est pas un

  4   domaine qui l'intéressait particulièrement.

  5   Q.  Au vu des questions qui ont été posées lors du contre-interrogatoire

  6   pendant toute une séance, vous avez expliqué que c'était le procureur

  7   municipal et le procureur de district qui étaient compétents pour des

  8   blessures corporelles légères. Alors ce qui m'intéresse de savoir c'est le

  9   point suivant : devant le tribunal de district à Pristina, une procédure a-

 10   t-elle été entamée - et je fais là une parenthèse, je ne pense pas

 11   uniquement à ce type d'infraction mais aussi à d'autres infractions - une

 12   procédure judiciaire, quelle qu'elle soit, a-t-elle été entamée devant le

 13   tribunal de district à Pristina concernant l'affaire dont il a été question

 14   pendant le contre-interrogatoire et dans laquelle des Albanais avaient été

 15   impliqués ?

 16   R.  Non, jamais. Personne ne s'est jamais plaint de la qualité de mon

 17   travail.

 18   Q.  Permettez-moi de vous interrompre. Pour ce qui est des plaintes ou des

 19   réclamations faites pour ce qui est de la qualité du travail fait par les

 20   juges, auprès de qui peut-on porter plainte ?

 21   R.  Une plainte peut être portée auprès du président du tribunal. Ceci est

 22   prescrit par la loi.

 23   Q.  Pendant que vous travailliez dans cette affaire, cette affaire qui

 24   concerne le MUP clandestin, une plainte a-t-elle été portée à votre

 25   encontre d'après vos connaissances ?

 26   R.  Non.

 27   Q.  Merci. Question suivante : je souhaite revenir sur une question qui

 28   vous a été posée par Mme Gopalan, à peu près vers la fin de son contre-

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  1   interrogatoire. Cette question posée par elle concernait à son tour toute

  2   une série de questions précédentes qui visaient à établir si le tribunal à

  3   Pristina fonctionnait d'une manière professionnelle ou non. Mais vous

  4   n'avez pas fourni une réponse directe à une de ses questions qui faisaient

  5   partie de toute une série.

  6   Je vais citer la référence pour faciliter le travail de mes

  7   collègues. Il s'agit de la page 13 088 du compte rendu d'audience d'hier.

  8   C'est à peu près vers le haut de la page, ligne 1 et suivantes. La question

  9   suivante vous a été posée, je vais essayer de vous fournir une traduction

 10   vers le B/C/S. Avez-vous été compétente pour les sévices infligés aux

 11   personnes qui se trouvaient en détention provisoire ? Ou plutôt, avez-vous

 12   suivi les activités de la police sur ce plan ?

 13   R.  Non, je ne l'ai pas fait, parce que cela ne fait pas partie de mes

 14   responsabilités. Je n'ai aucun contact direct avec la police. C'est au

 15   procureur de coopérer avec la police, donc il est impossible que je n'aie

 16   jamais pu agir de la sorte.

 17   Q.  J'aimerais que nous éclaircissions cette question jusqu'au bout. Avez-

 18   vous des contacts directs dans la police; si oui, quel type de contact, et

 19   citez-nous quelques exemples concrets.

 20   R.  Conformément au code sur la procédure pénale, en tant que juge

 21   d'infraction, je peux donner un ordre aux agents de police pour faire des

 22   activités dans le cadre d'une enquête. Ils peuvent procéder à une fouille,

 23   ils peuvent confisquer un certain nombre d'objets, et tout ceci ne peut

 24   être fait que dans la phase préalable à l'enquête. Par ailleurs, sur un

 25   ordre de ma part, la police peut sécuriser les lieux.

 26   Q.  Permettez-moi de vous interrompre. Qu'est-ce qu'on entend exactement

 27   par la phrase "sécuriser les lieux" ?

 28   R.  Par cette phrase, il faut comprendre qu'on assure la sécurité des lieux

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  1   de façon à ce que personne ne puisse toucher ou que personne ne puisse

  2   mettre en péril les traces et les éléments de preuve qui se trouvent sur

  3   les lieux. Le site est coordonné et personne ne peut y pénétrer.

  4   Q.  Il s'agit d'une activité qui est confiée à la police. Nous allons

  5   revenir un peu plus tard sur le même sujet, mais poursuivez votre réponse.

  6   Quelles sont les autres activités qui pouvaient être confiées à la police ?

  7   R.  La police pouvait s'engager dans toutes sortes d'activités qui sont

  8   liées à une enquête. Par exemple, si un inculpé ne se présente pas au

  9   tribunal après avoir été convoqué, les organes du MUP sont tenus d'arrêter

 10   cette personne et de l'amener au tribunal devant un juge.

 11   Q.  Dans le cadre d'une enquête, et lorsqu'on procède à des activités

 12   concrètes, la police peut-elle poser des questions à un juge d'instruction

 13   ou peut-elle donner des ordres à un juge d'instruction ?

 14   R.  Non, absolument pas.

 15   Q.  Merci. Au début de ma question supplémentaire, je tiens également à

 16   vous poser la question suivante : le jugement porté contre les personnes

 17   inculpées, ou plutôt, permettez-moi de reformuler, le jugement porté sur

 18   les personnes impliquées dans l'affaire connue sous le nom du MUP

 19   clandestin a été versé au dossier dans son intégralité. Ce dossier

 20   comprend-il un raisonnement, une motivation du jugement porté ?

 21   R.  Oui. Il existe un avis motivé qui compte plus de 130 pages.

 22   Q.  Merci.

 23   M. DJORDJEVIC : [interprétation] J'aimerais demander quelque chose à

 24   Mme O'Leary. Ceci concerne les enregistrements vidéo que nous avons déjà pu

 25   voir et j'aimerais que l'on affiche à l'écran la séquence qui commence à

 26   partir de la dix-septième minute et 20 quelque secondes. J'aimerais que

 27   nous voyions une séquence qui ne dure que 5 à 6 secondes, puis je vous

 28   poserai une question à ce sujet. Je me demande si le témoin peut suivre ?

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  1   S'il vous plaît, Madame.

  2   [Diffusion de la cassette vidéo]

  3   Q.  Veuillez vous concentrer sur cette séquence, s'il vous plaît.

  4   M. DJORDJEVIC : [interprétation] J'aimerais qu'on revienne un petit

  5   peu en arrière et qu'on reprenne dès le début. Voilà. Allons-y.

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   Q.  Reconnaissez-vous la personne que l'on peut voir dans cet

  8   enregistrement vidéo ? Voyez-vous la personne qui est en train de passer

  9   devant la caméra et la personne qui se trouve juste devant ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  La KVM ou l'OSCE comptait-il dans leurs rangs des membres en uniforme ?

 12   R.  Non.

 13   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Mme O'Leary, veuillez revenir en arrière.

 14   L'individu qui nous intéresse porte une enseigne à son bras et j'aimerais

 15   que vous vous concentriez là-dessus. Veuillez arrêter l'enregistrement.

 16   Q.  Avez-vous déjà pu voir des enseignes de ce type ?

 17   R.  Oui. J'ai pu les voir à plusieurs reprises, il s'agit des enseignes de

 18   l'UCK.

 19   Q.  Ma question suivante concerne la conversation que vous avez eue avec le

 20   général Drewienkiewicz le 17 janvier. Il me semble que cette conversation

 21   s'est tenue au poste de police de Stimlje. A un moment donné, le général

 22   Drewienkiewicz a-t-il évoqué le fait que les forces de l'UCK se trouvaient

 23   sur les lieux, dans le village de

 24   Racak ?

 25   R.  Non.

 26   Q.  Merci.

 27   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Veuillez faire démarrer la séquence

 28   suivante, qui commence à 17 minutes et quelque secondes.

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  1   [Diffusion de la cassette vidéo]

  2   M. DJORDJEVIC : [interprétation]

  3   Q.  Veuillez vous pencher sur cette séquence. Merci, c'est bon.

  4   Vous avez pu voir quelle activité se déroulait sur le site. Quiconque

  5   avait-il le droit de se présenter sur les lieux d'un crime avant les

  6   autorités compétentes ? Tout ceci s'est produit avant le début des frappes

  7   aériennes de l'OTAN. Vous avez vu ce que cet individu a fait.

  8   R.  Non, personne n'était habilité à le faire.

  9   Q.  Il faut que je revienne encore une fois sur la conversation que vous

 10   avez eue avec le général Drewienkiewicz. Au cours de la conversation que

 11   vous avez eue avec lui, a-t-il évoqué le fait que la MVK a essayé de

 12   sécuriser les lieux à Racak ?

 13   R.  Non. Drewienkiewicz ne l'a jamais mentionné. Par ailleurs, il n'était

 14   pas habilité à sécuriser les lieux, mais il n'a rien suggéré dans ce sens,

 15   de toute manière, et notre conversation n'a pas du tout porté sur le sujet.

 16   Q.  J'aimerais revenir sur les cadavres qui ont fait l'objet d'une

 17   autopsie, et notamment qui étaient au nombre de 40. Dans les procès

 18   précédents, qu'il s'agisse de Milosevic ou de Milutinovic, savez-vous si

 19   l'Accusation avait avancé un autre chiffre pour ce qui est du nombre total

 20   de personnes disparues à Racak ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Pourriez-vous nous en dire davantage ?

 23   R.  Oui. Dans l'affaire Milosevic, lors de ma déposition. Dans l'acte

 24   d'accusation, on lui reprochait le meurtre de 45 personnes à Racak.

 25   Q.  Avez-vous réussi à élucider ce mystère par la suite ?

 26   R.  Oui. Au cours de mon témoignage, avec l'assistance de l'Accusation et

 27   des Juges de la Chambre, nous avons procédé à une comparaison des listes

 28   qu'ils avaient eux, de leur part, et moi, de mon côté, et nous avons pu

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  1   éclaircir la situation.

  2   Q.  Quelle est la conclusion à laquelle vous êtes arrivés ?

  3   R.  J'avais une liste compilant 45 personnes identifiées, et nous avons

  4   procédé à une comparaison de cette liste avec la liste qui figurait dans

  5   l'acte d'accusation. Nous avons constaté que neuf personnes de plus étaient

  6   citées dans l'acte d'accusation par rapport à la liste que j'avais. Puis

  7   nous avons remarqué qu'une seule et même personne était consignée à

  8   plusieurs reprises dans la liste qui figurait dans l'acte d'accusation, et

  9   nous avons réduit le nombre total de personnes tuées de dix.

 10   Q.  Une autre question que je souhaite vous poser : lorsque vous avez

 11   étudié les rapports rédigés par les médecins légistes, par les pathologues

 12   - et là, je pense aux spécialistes serbes, dont le Pr Dunjic, le Pr

 13   Dobricanin - par la suite, des experts Belarus ont également travaillé dans

 14   cette affaire, puis un certain nombre de Finnois - dans tous ces rapports

 15   qui ont été élaborés par eux, a-t-il jamais été question d'un corps

 16   décapité ?

 17   R.  Non, il n'en a jamais été question.

 18   Q.  Question suivante : vous avez déclaré avoir retrouvé les corps à la

 19   mosquée.

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Avez-vous essayé d'établir d'où les corps avaient été apportés pour

 22   être mis dans la mosquée ? Avez-vous essayé d'établir qui a fait ces

 23   déplacements ? Y a-t-il eu des personnes sur les lieux avec qui vous auriez

 24   pu en parler ?

 25   R.  Non, je n'ai pas pu établir ce fait, parce qu'aucun habitant du village

 26   de Racak ne se trouvait sur les lieux.

 27   Q.  Finalement, le fait seul que vous avez examiné les enregistrements

 28   vidéo présentés par ma consoeur, Mme Gopalan - et je signale que j'évoque

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  1   cette question aux fins d'enregistrement, il s'agit du document qui a été

  2   enregistré aux fins d'identification sous la cote P1575 - alors, le fait

  3   que vous avez pu voir hier ces cadavres, qu'est-ce que cela signifie, à vos

  4   yeux, étant donné que vous êtes juge d'instruction ? Il est vrai que vous

  5   avez indiqué que vous étiez incapable de reconnaître les cadavres montrés

  6   sur l'enregistrement. Mais si ces corps avaient été par la suite apportés

  7   dans la mosquée, quelle aurait été leur signification, à vos yeux, étant

  8   donné que vous êtes juge d'instruction ?

  9   R.  Cela signifierait que les corps avaient été manipulés. Si les corps

 10   s'étaient trouvés initialement dans un fossé pour être transférés par la

 11   suite dans la mosquée, alors un grand nombre de traces étaient certainement

 12   éliminées lors de leur déplacement, ce qui, par conséquent, signifie que

 13   l'enquête en aurait été entravée. Je me souviens d'un cadavre que nous

 14   avons vu. Un homme avait reçu une blessure à la tête alors qu'il gardait

 15   toujours son bonnet. Donc la question se pose de savoir de quelle manière

 16   il a été blessé et de quelle manière le corps s'est trouvé sur les lieux.

 17   Puis nous avons vu les soldats UCK passer, et M. Walker a passé près d'un

 18   corps sans que personne ne semble y prêter attention. Et personne n'a pris

 19   des photographies d'un certain nombre de cadavres qui gisaient.

 20   Q.  Nous ne reviendrons plus sur ce sujet. Merci de vos réponses. Ma série

 21   de questions suivantes sera de caractère général. Elle concerne toute une

 22   série d'articles publiés dans la presse.

 23   Ma collègue, hier, s'est référée à des articles publiés dans

 24   "Financial Times", dans un hebdomadaire serbe, celui de "Nin", et nous

 25   avons pu lire toute une série de déclarations faites par, par exemple, M.

 26   Destan Rukigi, par Mme Natasha Kandic, par le Dr Flore Brovina. Alors la

 27   question qui m'intéresse est la suivante : à l'issue de ces événements,

 28   quelqu'un a-t-il entamé une procédure à votre encontre qui serait basée sur

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  1   des allégations avancées contre vous dans tous ces articles publiés dans la

  2   presse ?

  3   R.  Non, personne ne l'a jamais fait.

  4   Q.  Avez-vous été contactée par les autorités compétentes pour être

  5   entendue ou interrogée ?

  6   R.  Non, jamais. J'ai continué à exercer mes fonctions au sein du tribunal

  7   de district à Kragujevac.

  8   Q.  Merci.

  9   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Vous aurez du plaisir à apprendre que mes

 10   questions supplémentaires touchent à leur fin. Je remercie Mme le Témoin

 11   d'être venue ici et d'avoir bien voulu nous fournir une explication aussi

 12   limpide de plusieurs points essentiels.

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci infiniment, Maître Djordjevic.

 14   Questions de la Cour : 

 15   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Madame le Témoin, j'aimerais en

 16   entendre davantage sur la mosquée dans laquelle vous êtes entrés et où vous

 17   avez vu 40 cadavres. Au moment où vous êtes entrés dans le bâtiment,

 18   qu'est-ce que vous avez vu au juste ?

 19   R.  Ce jour-là, lorsque nous sommes entrés dans le village de Racak, la

 20   mosquée ne montrait pas des signes de dégâts. Elle ressemblait à toutes les

 21   mosquées. Elle était entourée d'une muraille. Et je ne sais pas comment

 22   trop décrire son architecture. Elle se trouvait à la droite quand on entre

 23   dans le village. Elle était construite en rond et elle avait une grande

 24   porte d'entrée. Nous sommes entrés par cette porte dans la mosquée. Tous

 25   les membres de l'équipe chargée de l'enquête m'accompagnaient, de même que

 26   les représentants de l'OSCE et les journalistes qui portaient leurs

 27   caméras. Parmi les journalistes, il y a eu des journalistes étrangers,

 28   aussi bien que des journalistes serbes, et je leur ai permis de filmer la

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  1   scène. Donc nous avons tous vu au même moment à quoi ressemblait la scène.

  2   Les cadavres avaient été disposés en rond. Leurs pieds étaient

  3   tournés vers l'intérieur de la mosquée, alors que leurs têtes étaient

  4   tournées vers l'extérieur. Et par-dessus de leurs têtes, ils avaient une

  5   sorte de serviette blanche.

  6   La première chose que j'ai faite en entrant dans la mosquée, j'ai

  7   ordonné aux membres de la police scientifique de numéroter les cadavres,

  8   d'apposer un chiffre sur chaque cadavre individuel. Puis lorsque les

  9   journalistes sont entrés, le médecin légiste, le Dr Dobricanin, m'a

 10   accompagnée, nous sommes allés d'un cadavre à l'autre. Puis il a découvert

 11   chaque cadavre pour lui examiner la tête et pour effectuer un examen

 12   visuel. Donc tout ce qui nous intéressait à ce premier abord, c'est de

 13   constater si des blessures se trouvaient à la tête et s'il y avait des

 14   traces de sang. Nous avons effectué cet examen ensemble.

 15   Puis les journalistes sont sortis et nous avons poursuivi nos

 16   travaux.

 17   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Qui est entré dans la mosquée en

 18   premier, était-ce vous ou quelqu'un d'autre ?

 19   R.  J'étais la première à entrer, et j'étais suivie par tous les autres.

 20   Mais la porte était ouverte. En fait, nous sommes tous entrés au même

 21   moment. Donc on m'a posé la question : Pouvons-nous entrer ? J'ai dit :

 22   Vous pouvez tous entrer avec moi. Donc nous sommes tous entrés ensemble,

 23   les membres de l'équipe, les experts médecins légistes et les journalistes.

 24   Et tout a été filmé. Donc on peut tout très bien voir. Cet enregistrement a

 25   été montré dans l'affaire Milosevic.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Combien de personnes s'y trouvaient

 27   au total ?

 28   R.  A quelles personnes pensez-vous ? Combien de cadavres nous avons

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  1   retrouvés dans la mosquée, ou que voulez-vous dire ?

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Non, non, je sais que vous avez déjà

  3   déclaré qu'il y avait 40 cadavres dans la mosquée. Mais combien de

  4   personnes sont-elles entrées dans la mosquée ? Combien de personnes

  5   comptaient ce groupe qui était entré dans la mosquée ?

  6   R.  Je ne saurais vous citer un chiffre précis. Il y avait tous les membres

  7   de l'équipe chargée de l'enquête, le procureur, le médecin légiste, les

  8   observateurs, trois observateurs accompagnés d'un interprète, puis les

  9   journalistes. Je ne sais pas quel était leur nombre exact. Ils étaient

 10   peut-être cinq ou six. Donc une dizaine ou quinzaine de personnes.

 11   Vraiment, en toute sincérité, je ne saurais le préciser. Je n'y ai pas

 12   prêté attention.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Qui a touché les corps ? Qui

 14   manipulait les corps à ce moment donné, littéralement ?

 15   R.  Personne n'a touché les corps outre le médecin légiste. Mais lui non

 16   plus n'a pas touché les corps, il a tout simplement enlevé la serviette qui

 17   couvrait la tête pour la remettre par la suite à sa place. Mais d'après mon

 18   ordre, personne n'a touché les corps.

 19   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Avez-vous vu autre chose que les

 20   têtes ? Avez-vous pu voir les corps ? Ou n'avez-vous vu que des vêtements ?

 21   R.  J'ai expliqué que j'ai vu les vêtements que les victimes portaient. Ils

 22   étaient tous en pantalon, en blouson, en pull, en chaussure. Puis j'ai

 23   remarqué qu'un certain nombre de cadavres portaient des pantalons

 24   militaires très épais. Un certain nombre portait des bottes militaires et

 25   des ceintures militaires.

 26   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Pourriez-vous décrire en détail ces

 27   vêtements ? Je pense notamment aux blousons et aux pantalons.

 28   R.  Pour ce qui est du haut, ils portaient des pulls en laine, des

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  1   blousons, des survêtements. Puis ils portaient des pantalons militaires.

  2   Quelques-uns portaient peut-être des pantalons civils ou des survêtements,

  3   mais j'avais relevé très bien le fait que certains parmi eux portaient des

  4   vêtements militaires, des uniformes militaires.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] De quelle couleur étaient ces

  6   vêtements ?

  7   R.  Bleu marine, gris foncé.

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci. Est-ce que vous pourriez nous

  9   parler des vêtements des corps des femmes ?

 10   R.  Honnêtement, je ne m'en souviens pas.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Combien de temps êtes-vous restés

 12   dans la mosquée ?

 13   R.  Nous ne sommes pas restés longtemps dans la mosquée. Une fois que nous

 14   avons pu voir les corps, tout le monde a quitté la mosquée sauf les

 15   responsables de la scène du crime, ceux qui s'occupaient des lieux du

 16   crime. Devant la mosquée, il y avait déjà une citerne ou un camion-citerne

 17   qui était présent, et ils étaient déjà en train de remettre chacun des

 18   corps dans un sac destiné à cet effet, dans une housse; et les corps ont

 19   été chargés dans le camion. C'était un camion réfrigérant, un camion frigo.

 20   En présence des vérificateurs, j'ai vérifié que ce camion avait bel et bien

 21   été scellé, et il ne fallait pas y toucher jusqu'à ce que l'on revienne du

 22   terrain.

 23   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci. J'aimerais en savoir un petit

 24   peu plus sur les fonctions du Dr Dobricanin. Qu'a-t-il fait précisément

 25   lorsqu'il était dans la mosquée, M. Dobricanin ?

 26   R.  M. Dobricanin ?

 27   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui.

 28   R.  Comme je vous l'ai dit, il a regardé chacun des cadavres. Il relevait

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  1   le linge, vérifiait leurs visages. Il faisait un commentaire, ensuite il

  2   remettait le linge. C'est tout ce qu'il pouvait faire à ce moment-là

  3   d'ailleurs. Il était médecin légiste, et c'est la seule chose qu'il pouvait

  4   faire à ce moment-là. Il ne pouvait nous faire part de ses commentaires

  5   dans l'immédiat. Ce n'était pas un examen officiel et poussé. Il voulait

  6   simplement vérifier ce qui nous intéressait le plus à l'époque, à savoir

  7   qu'il n'y avait pas de traces de brutalité sur les corps, qui auraient pu

  8   être vues à l'œil nu.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation]  Il n'a pas retourné les corps, par

 10   exemple, pour regarder de plus près les visages, par exemple ? Il les a

 11   simplement regardés, si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit ?

 12   R.  Oui. Absolument.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Donc il a regardé chacun de ces 40

 14   cadavres, ensuite il a dit qu'il n'y avait pas de traces de massacre ou de

 15   brutalité sur ces corps. C'est ce que vous avez dit hier. Combien de temps

 16   s'est-il écoulé entre son enquête et son commentaire qu'il a formulé ?

 17   R.  Je ne sais pas combien de temps cela a pris, mais je sais qu'il a

 18   regardé chacun des corps et qu'il a fait ses commentaires. Tout cela a été

 19   enregistré, vous pouvez réécouter cet enregistrement si vous le souhaitez.

 20   On l'entend parler.

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 22   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Madame Marinkovic, j'aimerais revenir

 23   sur un point concernant Gornje Obrinje. Vous nous avez que la cour de

 24   district de Pristina avait reçu une demande venant de plusieurs familles

 25   qui vivaient à Gornje Obrinje, et certains des membres de ces familles qui

 26   avaient été tués avaient été enterrés dans ce village de Gornje Obrinje;

 27   est-ce exact ?

 28   R.  Oui, c'est l'information dont on disposait. On n'a pas pu le vérifier

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  1   pour autant.

  2   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Avez-vous une idée, si vague soit-elle,

  3   du nombre de corps qui avaient été enterrés sur place ?

  4   R.  Pour autant que je me souvienne, dans la demande il n'y avait pas de

  5   mention de chiffres. Peut-être qu'ils ne le savaient pas non plus. On a

  6   essayé de vérifier tout cela, et tous les corps que nous avons trouvés ont

  7   du être exhumés et une autopsie a du être pratiquée. Tout cela aurait dû

  8   être fait sur place, il m'est difficile de faire une estimation.

  9   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] D'accord, donc vous n'avez pas de

 10   chiffres. Vous avez répondu à Mme Gopalan que l'enquête sur le terrain

 11   n'avait jamais été terminée, parce que vous n'aviez pas pu aller sur les

 12   lieux. Je crois que Helena Ranta vous avait dit qu'il y avait des barrages

 13   de l'UCK et il y avait une conversation entre vous et Mme Ranta, et donc

 14   cette enquête n'a pas pu être terminée pour des raisons objectives, n'est-

 15   ce pas ?

 16   R.  Oui.

 17   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Vous avez dit aussi qu'à Racak, vous

 18   n'avez pas pu mener l'enquête sur les lieux à trois reprises. Vous y êtes

 19   d'abord allés le 15, on vous a empêchés d'accéder aux lieux et vous avez

 20   donc dû rentrer à Stimlje. Malgré ces difficultés, ces dangers, le 16 vous

 21   êtes revenus et on vous a bloqués le passage, vous avez dû retourner,

 22   rentrer à Stimlje, puis vous y êtes retournés le 17, et là encore, on vous

 23   a refoulés. Donc ce n'est que le 18 que vous avez pu effectivement mener

 24   l'enquête à Racak.

 25   Alors la question que j'aimerais vous poser, Madame Marinkovic, est

 26   la suivante : du fait que vous n'avez pas pu vous rendre sur les lieux à

 27   Gornje Obrinje une fois, pourquoi n'y êtes-vous pas retournés une deuxième

 28   ou une troisième fois, comme vous l'avez fait à Racak ?

Page 13118

  1   R.  Parce que l'équipe finlandaise ne voulait pas qu'on travaille

  2   conjointement. Ils essayaient de se démarquer de nous et d'éviter tout

  3   contact supplémentaire.

  4   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Donc l'enquête dépendait de l'équipe

  5   finlandaise pour sa poursuite ?

  6   R.  Non, ça ne dépendait pas de l'équipe finlandaise, mais du fait qu'on

  7   était au niveau de tribunal du bureau du procureur et de l'équipe

  8   finlandaise, il y avait une réunion, réunion où cours de laquelle ils

  9   s'étaient mis d'accord  pour travailler ensemble. Donc je n'avais pas la

 10   main sur ces décisions. Tout cela avait été décidé à un niveau supérieur au

 11   moins, qui m'échappait. Helena Ranta a dit qu'il y avait des terroristes à

 12   Gornje Obrinje et que nous ne pourrions pas mener d'enquête extérieure.

 13   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Vous n'avez donc jamais mené l'enquête

 14   sur le meurtre et l'enterrement de ces personnes, n'est-ce pas ?

 15   R.  Moi non, quelqu'un d'autre, peut-être. Mais si je ne l'ai pas fait, ça

 16   ne veut pas dire que personne ne l'a fait, alors je ne sais pas s'il y a eu

 17   une enquête sur site ou pas et si elle a été terminée ou non, mais moi, le

 18   jour où j'ai voulu y aller, ça n'était pas terminé. Il y a peut-être eu un

 19   suivi, je ne sais pas.

 20   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Mais pour que quelqu'un d'autre l'ait

 21   fait, qu'aurait-il fallu qu'il se passe ? Est-ce qu'on aurait eu besoin

 22   d'une nouvelle demande ? Est-ce Mme Ranta aurait du participé ? Qu'est-ce

 23   qui aurait du se passer ?

 24   R.  Si la famille en avait fait la demande - c'était dans leur intérêt -

 25   bien, c'est le président qui aurait du trancher et qui me l'aurait confié à

 26   moi ou à quelqu'un d'autre. C'était une mesure d'enquête qui dépendait de

 27   la personne qui était d'astreinte à ce moment-là et de la personne qui

 28   devait mener cette enquête sur les lieux.

Page 13119

  1   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Cela m'amène à une autre question. Vous

  2   avez que les familles ne demandaient plus d'enquêtes. Alors ma question est

  3   la suivante : les familles ont donc formulé une première demande d'enquête

  4   concernant le meurtre et l'enterrement de membres de leur famille. Mais

  5   est-ce qu'il fallait qu'ils fassent de nouvelles demandes répétées pour que

  6   cette enquête continue, ou est-ce que cette seule demande aurait pu suffire

  7   ?

  8   R.  Cette demande a été faite par les familles des victimes, et en la

  9   matière, on agit dans l'urgence ou rapidement lorsque l'on reçoit une telle

 10   demande des familles des victimes.

 11   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] D'accord. Mais vous nous avez dit quand

 12   même que si vous n'aviez pas suivi cette enquête, c'est parce que les

 13   familles n'en faisaient plus la demande. Alors ma question est la suivante

 14   : fallait-il qu'ils continuent à faire la demande du fait qu'ils avaient

 15   fait une première demande ?

 16   R.  C'est précisément ce que je suis en train d'essayer de vous expliquer.

 17   Lorsque nous répondons à une demande, la demande du demandeur que l'on

 18   prend des mesures supplémentaires, ils ne sont pas venus me voir, peut-être

 19   que le tribunal les a renvoyés vers quelqu'un d'autre, je ne sais pas. Je

 20   ne sais pas quel a été le résultat final de tout cela à Gornje Obrenje,

 21   mais tout ce que je sais c'est que nous aurions dû y aller pour terminer

 22   l'enquête.

 23   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] A quel moment est-ce que vous et toute

 24   l'équipe est partie de Pristina pour aller à Gornje Obrinje ? Est-ce que

 25   vous vous en rappelez à peu près ?

 26   R.  Environ 6 heures du matin, on est parti de Pristina. Je sais. C'est

 27   tout.

 28   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] D'accord. Evidemment, c'est peut-être

Page 13120

  1   un peu difficile, mais est-ce que vous arriveriez à nous dire de qui était

  2   composée cette équipe ou de combien de personnes était composée cette

  3   équipe avec laquelle vous êtes partis de Pristina ? Environ combien de

  4   personnes y avait-il ?

  5   R.  Il y avait les membres de l'enquête habituelle, il y avait moi; le

  6   procureur du district; un médecin légiste; M. Dobricanin et son assistant;

  7   le Dr Susanna quelque chose - j'ai oublié son nom de famille - et de

  8   l'équipe finlandaise il y avait Helena Ranta; l'ambassadeur aux droits de

  9   l'homme dont j'ai oublié le nom, avec sa femme; et deux ou trois autres

 10   personnes. Je sais aussi qu'il y avait deux ou trois véhicules de l'OSCE.

 11   Il y avait notre véhicule et une colonne de policiers qui nous ont escortés

 12   et qui étaient là pour protéger les lieux, mais je ne sais pas combien ils

 13   étaient. Au début de la colonne, il y avait des représentants de l'OSCE,

 14   puisque eux étaient déjà allés sur les lieux une fois auparavant, sans

 15   nous.

 16   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] De combien de temps auriez-vous eu

 17   besoin si vous n'aviez pas été arrêtés -- refoulés par Mme Ranta, de

 18   combien de temps auriez-vous eu besoin pour aller de Pristina à Gornje

 19   Obrinje ?

 20   R.  Pour autant que je me souvienne, il nous a fallu longtemps pour aller

 21   de Pristina à ce village. Je pense qu'on était à mi-chemin, lorsqu'on s'est

 22   arrêté, d'ailleurs. Je ne me rappelle pas de combien de temps, ou combien

 23   de temps ça a duré. On a été arrêté au beau milieu de la route principale.

 24   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Oui, mais ça, c'est lorsque vous et Mme

 25   Ranta avez parlé, n'est-ce pas, avez eu cette conversation quant à savoir

 26   qui irait, le fait que vous vouliez y aller, que vous vouliez avoir une

 27   escorte policière ?

 28   R.  Ecoutez, nous nous sommes arrêtés brutalement sans savoir pourquoi.

Page 13121

  1   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Oui. Ensuite, vous êtes sortis du

  2   véhicule et Mme Ranta a pris la parole. Non, ce qui est important, Madame

  3   Marinkovic, c'est que vous avez dit qu'il commençait à faire nuit, à ce

  4   moment-là.

  5   R.  C'était pendant l'hiver, donc à 16 ou 17 heures, il commence à faire

  6   nuit. Je ne sais pas quelle heure il était précisément. J'ai pensé qu'ils

  7   voulaient se reposer, et c'est là qu'ils se sont arrêtés, et là, j'ai

  8   commencé à parler à Helena, la femme de l'ambassadeur. Lorsqu'elle s'est

  9   rendu compte du tour que prenait cette conversation, elle a dit qu'elle ne

 10   pouvait pas dire grand-chose, mais elle a simplement rassemblé ses mains et

 11   a dit : Non, Madame, non, n'y allez pas, me faisant signe ainsi de ne pas y

 12   aller. Je n'oublierai jamais, d'ailleurs.

 13   Ensuite on s'est rendu compte que dans les collines, ils avaient

 14   commencé à nous encercler. Ils étaient cachés dans leurs uniformes noirs

 15   avec leurs armes automatiques. Ils étaient placés en embuscade. Je vous ai

 16   déjà retracé cette conversation que j'ai eue avec Helena Ranta.

 17   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] S'il commençait à faire nuit, si vous

 18   n'aviez pas été arrêtés, il aurait fait nuit lorsque vous seriez arrivés à

 19   Gornje Obrinje. Donc comment auriez-vous pu mener l'enquête ?

 20   R.  Non, on ne serait pas arrivé de nuit. On est resté assez longtemps sur

 21   la route à discuter et à expliquer les choses. Notre idée c'était d'arriver

 22   à 14 ou 15 heures sur place. Helena nous avait dit que ce charnier présumé

 23   était censé se trouver à l'entrée du village. C'est l'information dont on

 24   disposait, d'ailleurs. Si l'on avait pu y arriver, on aurait pu mener cette

 25   enquête de jour. On aurait exhumé les corps, on aurait prélevé des

 26   échantillons et le reste, les autopsies, et cetera, tout cela se fait à

 27   l'institut médicolégal.

 28   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Une toute dernière question, Madame

Page 13122

  1   Marinkovic. J'aimerais que vous nous disiez quelques mots sur une autre

  2   question. Vous nous avez dit que pendant l'enquête, les juges d'instruction

  3   étaient la seule personne habilitée à recueillir des éléments de preuve,

  4   n'est-ce pas ?

  5   R.  Oui.

  6   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Vous nous avez dit aussi que

  7   certaines activités d'enquête menées par le juge d'instruction étaient

  8   transférées à la police, comme, par exemple, le fait de faire une

  9   perquisition de certains sites pour localiser les auteurs de certains

 10   crimes ou des objets qui auraient pu être utilisés pour commettre tel ou

 11   tel meurtre.

 12   R.  Absolument. Ce sont des --

 13   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] La police ne peut pas poser des

 14   questions ou formuler des demandes au juge d'instruction, elle ne peut même

 15   pas envoyer des ordres, n'est-ce pas ?

 16   R.  Oui.

 17   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Est-ce que vous pourriez faire un

 18   commentaire sur la déclaration suivante, Madame Marinkovic.

 19   Les officiels du MUP pouvaient lancer une enquête lorsque l'urgence de la

 20   situation le nécessitait, et ils n'étaient pas freinés par la présence ou

 21   par l'absence du juge d'instruction ou du procureur. Qu'avez-vous à nous

 22   dire sur cette déclaration, Madame ?

 23   R.  Ecoutez, mon cher collègue, je vais vous expliquer. Tout cela a

 24   été appliqué en temps de guerre, parce qu'un décret avait été adopté par le

 25   gouvernement fédéral concernant l'application des procédures pénales en

 26   état de guerre. Donc l'état de guerre était en vigueur et donc le juge

 27   d'instruction et les organismes de police pouvaient mener une enquête sans

 28   la demande du procureur public, le cas échéant, en cas d'urgence, mais le

Page 13123

  1   juge d'instruction et le MUP devaient en informer immédiatement le

  2   procureur public. Mais cela ne s'appliquait qu'en état de guerre.

  3   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Est-ce que cela a jamais été le cas ?

  4   Est-ce que vous avez connu ça, telle situation ?

  5   R.  Non, je n'ai jamais connu telle situation. Le procureur public agissait

  6   rapidement, et moi, j'appliquais ses demandes. Il n'y a jamais eu d'affaire

  7   où j'ai dû mener l'enquête en urgence, et une telle demande ne m'a jamais

  8   été faite dans des circonstances comme celles-ci.

  9   M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Merci. Je vous remercie de votre

 10   présence et je m'excuse encore d'avoir été aussi long dans mes questions.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Voilà, c'est la fin, Madame, des

 12   questions. Une bonne nouvelle pour vous. Il ne reste à la Chambre qu'à vous

 13   remercier de votre présence ici, à La Haye. Merci de l'aide que vous avez

 14   pu nous fournir au cours de ces deux derniers jours. Vous pouvez maintenant

 15   reprendre une activité normale. Le greffier ou l'huissier va vous aider à

 16   quitter la salle.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Je tiens à remercier la Chambre de sa

 18   tolérance et de sa compréhension. Certaines de mes réponses ont parfois été

 19   longues, certes, mais ce n'était que pour aider au mieux à établir la

 20   vérité.

 21   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

 22   [Le témoin se retire]

 23   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Kravetz, est-ce que vous voulez

 25   passer à autre chose ?

 26   Mme KRAVETZ : [interprétation] Non, je voulais simplement revenir sur des

 27   questions d'intendance concernant ce témoin avant de passer au témoin

 28   suivant.

Page 13124

  1   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

  2   Mme KRAVETZ : [interprétation] Hier Mme Gopalan a fait mention d'une pièce

  3   06078, et c'est une réclamation de Fazli Balaj, le conseil de la Défense

  4   d'Isak Aliu. C'est au compte rendu d'audience à la page 13 029, et nous

  5   voulons demander le versement de cette pièce. A l'époque, nous avons oublié

  6   de demander le versement et je demande maintenant le versement de cette

  7   pièce.

  8   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djordjevic.

  9   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Je ne me suis pas levé pour faire une

 10   objection. Si je me suis levé, c'est tout simplement pour préciser que Mme

 11   Gopalan a présenté à la Chambre et aux parties un document et que nous ne

 12   sommes pas opposés au versement de cette pièce au dossier. Il a été

 13   présenté à l'écran, ce document, juste avant la pause.

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Ce document est versé au

 15   dossier.

 16   M. LE GREFFIER : [interprétation] La cote P01579.

 17   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'ai aussi d'autres éléments qui ont été

 18   versés pendant le témoignage de Mme Marinkovic dans l'affaire Milutinovic

 19   et ils n'ont pas été utilisés pendant son témoignage dans cette affaire,

 20   mais pour être complet et exhaustif dans le compte rendu, j'aimerais que ce

 21   témoignage soit versé par la Défense. Nous demandons le versement de ces

 22   pièces.

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djordjevic.

 24   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Je n'ai pas bien compris. La Défense fait

 25   objection, parce que Mme Gopalan aurait pu présenter ce document pendant le

 26   contre-interrogatoire. Je pense que cela va à l'encontre des Règles du

 27   Tribunal et nous sommes contre le versement de cette pièce.

 28   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je pense que vous n'avez pas bien

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  1   compris ce qui est proposé. Ce sont des documents qui ont été présentés au

  2   cours du procès dans l'affaire Milutinovic. Ce sont des documents qui ont

  3   été présentés à ce témoin, qui les a commentés. Vous avez versé le compte

  4   rendu d'audience, et l'Accusation dit que pour bien comprendre ce compte

  5   rendu d'audience, il faut verser le document dont le témoin parlait. Il

  6   s'agit simplement de compléter le compte rendu que vous avez versé. Si j'ai

  7   bien compris, ces trois pièces sont présentées.

  8   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons déjà

  9   connu une situation comme celle-ci. Toutefois, la Chambre n'a pas été

 10   d'accord, mais évidemment ce sont les Juges qui décideront, mais nous ne

 11   sommes pas d'accord.

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il y a plusieurs occasions auxquelles

 13   nous avons fait allusion à des comptes rendus d'audience présentés par la

 14   Défense ou par l'Accusation, qui ont été versés au dossier pour que l'on

 15   comprenne mieux les parties de son compte rendu qui avaient été lues.

 16   Alors pour faire preuve de cohérence, nous admettons le versement de

 17   ces trois pièces au dossier.

 18   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci. Nous allons lire les numéros de la

 19   liste 65 ter, 03109. Dans l'affaire Milutinovic, c'était la pièce P3109; il

 20   s'agit des pages 23 597. Je demande le versement de ces pièces au dossier.

 21   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] D'accord.

 22   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P01580.

 23   Mme KRAVETZ : [interprétation] Pièce suivante dans la liste 65 ter, 03106.

 24   Dans l'affaire Milutinovic, c'était P3106 et il s'agit des pages du compte

 25   rendu d'audience 23 580 de l'affaire Milutinovic. Je demande le versement

 26   de cette pièce au dossier.

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] D'accord.

 28   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P01581.

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  1   Mme KRAVETZ : [interprétation] Dernière pièce, 03095. Dans l'affaire

  2   Milutinovic, c'était P3095, page du compte rendu d'audience 23562. Je

  3   demande le versement de cette pièce au dossier.

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] D'accord.

  5   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P01582. 

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pour ce qui est du 16 janvier 1999 à

  7   Racak, l'Accusation a demandé le versement de la pièce. La Défense s'y est

  8   opposée en élevant une objection en quelques mots. La question est

  9   complexe. La question du versement de la pièce est complexe. La Chambre

 10   estime qu'il serait mieux que les parties s'expriment par écrit pour que la

 11   Chambre puisse se pencher sur la question en bonne et due forme d'ici au

 12   mercredi de la semaine prochaine. Est-ce que cela vous paraît acceptable de

 13   nous présenter vos écritures ? J'espère que cela permettra à la Chambre de

 14   trancher cette question avant les vacances de Pâques.

 15   Y a-t-il d'autres questions relatives au versement de la preuve et

 16   qui ont trait à la déposition du dernier témoin ? La Chambre pense qu'il

 17   n'y en a aucune. Très bien. Je pense que nous avons épuisé ce que nous

 18   avions à régler. Nous pourrions peut-être faire entrer le témoin suivant.

 19   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

 22   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous invite à donner lecture de la

 23   déclaration solennelle que l'on vous présente.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 25   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 26   LE TÉMOIN : VUKASIN JOKANOVIC [Assermenté]

 27   [Le témoin répond par l'interprète]

 28   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous

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  1   asseoir, s'il vous plaît.

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est M. Djurdjic qui vous posera des

  4   questions.

  5   M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  6   Interrogatoire principal par M. Djurdjic : 

  7   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Jokanovic.

  8   R.  Bonjour.

  9   Q.  Aux fins du compte rendu d'audience, pourriez-vous, s'il vous plaît,

 10   décliner votre identité ?

 11   R.  Je suis Vukasin Jokanovic. Je suis né le 18 novembre 1939 dans le

 12   village de Gornje Slatina, municipalité de Vitina au Kosovo.

 13   Q.  Je vous remercie. Pourriez-vous nous dire quel est votre emploi

 14   actuel ?

 15   R.  Je suis diplômé de la faculté de droit de Skoplje, en Macédoine. J'ai

 16   été juriste dans ma vie professionnelle et maintenant, je suis à la

 17   retraite.

 18   Q.  Je vous remercie. Pourriez-vous, en quelques mots, nous résumer votre

 19   curriculum vitae. Juste les grandes lignes.

 20   R.  Je suis sorti diplômé de la faculté de droit, puis j'ai commencé à

 21   travailler dans une fabrique de tabac à Gnjilane en tant que juriste. Puis

 22   au centre médical, j'ai également été chargé des affaires juridiques.

 23   Ensuite, en 1969, j'ai été élu député de l'assemblée municipale de

 24   Gnjilane, puis en 1970, en avril de cette année, j'ai été élu président de

 25   l'assemblée municipale de Gnjilane et j'ai occupé ce poste pendant deux

 26   mandats dont tous les deux ont duré chacun quatre ans en tout, donc j'y

 27   suis resté pendant huit ans.

 28   A l'expiration de ce mandat, l'assemblée régionale kosovare m'a élu

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  1   au conseil exécutif du Kosovo et en même temps, j'étais secrétaire régional

  2   chargé des affaires juridiques et de l'administration générale. J'ai occupé

  3   ce poste pendant quatre ans. Par la suite, j'ai été élu au comité régional

  4   de la Ligue des Communistes du Kosovo et j'en ai été l'un de plusieurs

  5   secrétaires exécutifs, également dans le domaine du système politique et

  6   des questions juridiques.

  7   Après avoir quitté ce poste, ou plutôt, à l'issue de ce poste, j'ai

  8   été élu membre de la présidence du Kosovo. C'était au sein de l'organe le

  9   plus important de la province et j'y suis resté jusqu'au début de l'année

 10   1988. Par la suite, j'ai été élu président de l'assemblée de la province de

 11   Kosovo et j'y suis resté pendant deux mandats, chacun d'une durée d'un an,

 12   en 1988 et en 1989.

 13   A la fin de l'année 1989, des élections ont été organisées et j'ai

 14   été élu député à l'assemblée de Serbie en tant que représentant de ma

 15   circonscription de Gnjilane, du Kosovo, et j'ai été vice-président de

 16   l'assemblée de la République de Serbie.

 17   Par la suite, j'ai été député fédéral dans la République fédérale de

 18   Yougoslavie. Aujourd'hui, c'est la petite Yougoslavie, qui ne compte plus

 19   que la Serbie-et-Monténégro. En 1995, si mes souvenirs sont bons, j'ai été

 20   élu membre du gouvernement, puisque la terminologie juridique a changé,

 21   donc je suis devenu membre du gouvernement fédéral de cette petite

 22   Yougoslavie, et en plus de ce rôle-là, j'ai été ministre des Affaires

 23   intérieures. J'ai occupé ce poste pendant trois ans.

 24   Le président de la Yougoslavie, Zoran Lilic et le président du

 25   Monténégro, ainsi que le président de la Serbie, m'ont proposé au poste du

 26   procureur d'Etat et j'ai accepté ce poste. J'y suis resté pendant quatre

 27   ans et j'ai pris ma retraite par la suite.

 28   Q.  Je vous remercie. Nous pouvons voir que pour la plus grande partie de

Page 13129

  1   votre parcours professionnel, vous êtes resté au Kosovo-Metohija, et je

  2   vais vous interroger, par conséquent, sur l'évolution de l'autonomie du

  3   Kosovo-Metohija.

  4   R.  Oui, c'est précisément le sujet sur lequel j'ai travaillé la plupart du

  5   temps. Au moment de la création de la Yougoslavie et à l'issue de la

  6   Seconde Guerre mondiale, cette province était une région autonome appelée

  7   le Kosovo-Metohija, tandis que la Vojvodine était une province. Plus tard,

  8   en 1963, le Kosovo a reçu l'appellation province, tout comme la Vojvodine.

  9   D'après la nouvelle constitution de 1963, l'acte juridique le plus

 10   important est la loi constitutionnelle, alors qu'avant la région avait des

 11   statuts. Puis, en 1969, 1970 et 1971, il y a eu des amendements qui ont été

 12   adoptés, ce qui a permis d'élargir les attributions de la province. En

 13   vertu de ces amendements, cette province était définie en tant que province

 14   faisant partie de la République de Serbie et, en même temps, de la

 15   Yougoslavie. Pour consolider cette position, cette position a été

 16   consolidée -- ce statut, par la constitution yougoslave de 1974.

 17   Q.  Très bien. Est-ce que vous pourriez nous dire maintenant à quel moment,

 18   pour la première fois, vous êtes devenu conscient des revendications

 19   séparatistes albanaises ?

 20   R.  La première fois où j'ai rencontré ces revendications séparatistes

 21   c'était en 1968, à Gnjilane. C'est là que je travaillais et c'est là que je

 22   résidais. A ce moment-là, c'était le 27 novembre, des manifestations ont eu

 23   lieu et les manifestants sont partis du centre d'enseignement secondaire -

 24   c'est un quartier de la ville où ces écoles sont basées - ils ont emprunté

 25   la rue principale pour se rendre au centre-ville, et après ils se sont

 26   dispersés. Ces manifestants ont brandi des slogans du genre le plus souvent

 27   "Kosovo république" et aussi "unification."

 28   Q.  Je vous remercie.

Page 13130

  1   R.  Je souhaite ajouter que ces manifestations ont constitué une très

  2   grande surprise pour nous qui résidions à l'époque à Gnjilane, car il faut

  3   savoir qu'à l'époque la Yougoslavie était un Etat très organisé, la Ligue

  4   des Communistes était une structure ferme, et ça a constitué un choc pour

  5   les citoyens, surtout pour ceux qui embrassaient de tout leur cœur le

  6   système communiste.

  7   Q.  Est-ce que vous pouvez nous dire quelle a été la finalité de ces

  8   manifestations ?

  9   R.  Je pense que leur objectif était ce qu'on voit dans les slogans, à

 10   savoir qu'ils souhaitaient que la province se voie conférer le statut de

 11   république, que ce ne soit plus une province. Puis le deuxième slogan qui

 12   demandait l'unification, il s'agissait d'unifier tous les territoires où

 13   résidaient les Albanais. A partir du moment où cette province devenait une

 14   république, cela signifiait qu'on lui conférait un statut d'Etat au sein de

 15   la RSFY, qui est un Etat en soi.

 16   Q.  Très bien. Dites-nous, ce slogan, "Kosovo république," sur le plan

 17   politique, quelle était sa signification ?

 18   R.  Cela voulait dire que l'on portait atteinte à l'ordre constitutionnel

 19   qui était en vigueur. Et ces manifestations, on y a vu un geste hostile à

 20   l'État, une atteinte à l'ordre public, à l'ordre constitutionnel. Elles

 21   mettaient en cause l'égalité, la fraternité, les valeurs qui constituaient

 22   la priorité de l'Etat à l'époque. Mais les manifestations n'ont pas eu lieu

 23   uniquement à Gnjilane, mais également à Urosevac et aussi à Pristina. Et je

 24   sais qu'il y en a eu en Macédoine, à Tetovo où la population est à majorité

 25   albanaise. Et il faut savoir que ces manifestations ont eu lieu à la veille

 26   de la fête nationale de l'Albanie. Le 28 novembre, c'est leur fête

 27   nationale. Ils appellent cela le jour du drapeau. En fait, c'est leur fête

 28   nationale en Albanie.

Page 13131

  1   Q.  Très bien. Mais entre le statut de la province autonome et de la

  2   république, quelle différence de statut y avait-il au moment où ces

  3   manifestations ont eu lieu ?

  4   R.  C'est une différence substantielle. Les républiques étaient en fait des

  5   Etats qui avaient leurs frontières, tout comme la Yougoslavie elle aussi

  6   avait ses frontières. Tandis que les provinces, elles existaient au sein de

  7   la Serbie et elles constituaient des communautés sociopolitiques. C'était

  8   ça leur libellé. Donc elles n'avaient pas un statut plus important que ça.

  9   Q.  Je vous remercie. Pourriez-vous nous dire qu'elles ont été les

 10   conséquences de ces manifestations ?

 11   R.  C'est surtout sur le plan des relations entre les groupes ethniques que

 12   cela s'est ressenti. Ça a entraîné une dégradation des relations, une

 13   détérioration. Donc on avait peur que ce processus amorcé ne continue. Les

 14   personnes plus âgées, y compris mon père, par exemple, disaient que ça

 15   allait continuer. Je dois dire qu'à l'époque, je n'ai pas partagé son

 16   opinion, mais la vie et la suite des événements m'ont montré que j'ai eu

 17   tort. Donc on a commencé à s'inquiéter de l'avenir, des perspectives

 18   d'avenir, et on a commencé à quitter le Kosovo pour aller s'installer dans

 19   d'autres parties de la république de Serbie.

 20   Q.  Très bien. Pourriez-vous me dire --

 21   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Excusez-nous Monsieur, nous arrivons

 22   au bout de nos bandes d'enregistrement. Nous allons devoir faire une pause.

 23   Et peut-être que nous aurons 5 ou 7 minutes de retard au retour. Donc

 24   essayons d'envisager une pause jusqu'à 16 heures 20. On va vous

 25   raccompagner, Monsieur.

 26   [Le témoin quitte la barre]

 27   --- L'audience est suspendue à 15 heures 47.

 28   --- L'audience est reprise à 16 heures 25.

Page 13132

  1    [Le témoin vient à la barre]

  2   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Djurdjic.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Q.  Monsieur Jokanovic, vous venez de nous dire qu'en 1974 la constitution

  5   de la RSFY a été adoptée, mais qu'en même temps il y a eu adoption des

  6   constitutions de la République de Serbie et de la province autonome

  7   socialiste de Kosovo. Dites-nous, comment cette constitution régit-elle le

  8   statut de la province ?

  9   R.  La constitution de la RSFY dispose très clairement que la Yougoslavie

 10   se compose de six républiques, et que l'une de ces républiques, à savoir la

 11   République de Serbie, comporte deux provinces, celle de Vojvodine et celle

 12   de Kosovo.

 13   M. DJURDJIC : [interprétation] Peut-on afficher un document de la Défense,

 14   le document D011-4638, s'il vous plaît.

 15   Je m'adresse à la Chambre. J'aimerais savoir s'il est possible de faire

 16   remettre au témoin le classeur qui comporte les copies papier pour qu'on

 17   puisse avancer plus rapidement.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Djurdjic. Cependant, je

 19   tiens à préciser une chose. Nous aimerions avoir une introduction à

 20   l'aperçu qui a été présenté précédemment, mais vous comprendrez qu'en dépit

 21   de l'intérêt de l'introduction, nous n'aimerions pas passer trop de temps

 22   sur des aspects historiques. L'acte d'accusation commence en 1999. Et nous

 23   n'aimerions pas passer trop de temps à examiner des questions qui ne nous

 24   aiderons pas au moment où il nous faudra trancher en l'espèce. J'en parle

 25   parce que si vous allez aborder une grande quantité de documents à présent,

 26   peut-être que cela vous permettra de faire le tri entre les pièces qui sont

 27   vraiment pertinentes et celles qui ne le sont pas.

 28   M. DJURDJIC : [interprétation] Nous n'avons pas énormément de documents, et

Page 13133

  1   l'intention de la Défense est de présenter uniquement les éléments

  2   essentiels qui définissent le statut de la province par rapport à la

  3   république et par rapport à la fédération. Nous avons déjà évoqué les

  4   questions relatives à la suppression de l'autonomie de la province et les

  5   conséquences que cela a entraîné. Donc par rapport à cela je souhaite

  6   réagir mais de manière tout à fait ciblée.

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous en serai gré. Je vous prie

  8   effectivement de ne pas vous écarter de cette ligne que vous venez

  9   d'énoncer.

 10   M. DJURDJIC : [interprétation]

 11   Q.  Monsieur le Témoin, nous voyons qu'il s'agit bien de la constitution de

 12   la RSFY. La page 31 en anglais, s'il vous plaît, et l'article premier du

 13   texte serbe.

 14   R.  L'article premier.

 15   Q.  Oui.

 16   R.  Est-ce que vous souhaitez que je formule un commentaire ?

 17   Q.  Monsieur le Témoin, commentez brièvement l'article premier et l'article

 18   2, s'il vous plaît, mais compte tenu de ce que nous venons de dire.

 19   R.  En substance, l'article premier précise que la Yougoslavie est un Etat

 20   fédéral où sont fédérés des peuples et des minorités, ainsi que les

 21   républiques socialistes et les provinces autonomes, qui sont donc prévues

 22   par la constitution, la Vojvodine et le Kosovo, et qui constituent une

 23   partie intégrante de la République de Serbie.

 24   Et l'article 2 --

 25   Q.  Et l'article 3, s'il vous plaît. Est-ce que vous pourriez nous dire de

 26   quoi parle l'article 3 ?

 27   R.  L'article 2 ou l'article 3 ?

 28   Q.  L'article 3.

Page 13134

  1   R.  Toutes les républiques socialistes constituent des Etats, et ces Etats

  2   se fondent sur la souveraineté des peuples.

  3   Q.  Je vous remercie. Et l'article 4, que dit-il ?

  4   R.  L'article 4 dit que la province autonome socialiste constitue une

  5   communauté sociopolitique. On insiste sur la différence entre l'Etat et une

  6   communauté sociopolitique.

  7   Q.  Très bien. Très brièvement, pour ce qui est de l'article 5, est-ce que

  8   vous pourriez réagir ?

  9   R.  Les territoires des républiques ne sauraient être modifiés sans

 10   l'acceptation de ces républiques. Il en va de même pour les provinces

 11   autonomes.

 12   Q.  Et les deux alinéas qui suivent pour ce qui est des frontières ?

 13   R.  C'est la Yougoslavie qui a ses frontières, mais les républiques elles

 14   aussi ont leurs frontières. C'est la terminologie employée dans cette

 15   constitution qui souligne la différence entre les Etats et les provinces.

 16   Q. Très bien.

 17   M. DJURDJIC : [interprétation] Prenons la page 212 en anglais s'il vous

 18   plaît. C'est l'article 321 qui m'intéresse.

 19   Q.  Pourriez-vous, s'il vous plaît, formuler un commentaire très bref au

 20   sujet de cet article qui concerne la présidence de la RSFY…

 21   R.  En un mot, l'organe le plus important de la Yougoslavie est la

 22   présidence de la RSFY qui constitue un président collectif qui se compose

 23   d'un membre venu de chaque république et un membre en plus de chacune des

 24   provinces élues par les assemblées des républiques respectivement et des

 25   provinces également. Au vote secret, vous avez toutes les entités fédérales

 26   qui sont représentées à égalité, y compris les provinces autonomes.

 27   Q.  Très bien. Et dites-nous, quel est le nombre de chambres au sein du

 28   parlement fédéral ?

Page 13135

  1   R.  Je ne sais plus quel est cet article. Oui, je m'en souviens, je

  2   travaillais là-dessus. Effectivement, il y a deux chambres. La chambre

  3   fédérale, chacune des républiques y comptent 30 députés et chacune des

  4   provinces 20 députés. Puis l'autre chambre, la chambre des républiques et

  5   des provinces, les républiques y compte chacune 12 députés et les provinces

  6   chacune 8 députés. C'est ainsi que l'on souligne encore une fois la

  7   différence de statut entre les républiques et les provinces. Mais en

  8   substance, cela n'influe pas sur le processus de prise de décisions, parce

  9   que c'est par la voix du consensus qu'on adopte les décisions dans l'une

 10   comme dans l'autre chambre.

 11   Q.  Très bien.

 12   M. DJURDJIC : [interprétation] Est-ce que l'on peut aller à la page 194 en

 13   anglais, 292.

 14   Q.  Les articles 291 et 292, s'il vous plaît.

 15   M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, ces articles

 16   précisent la composition des deux chambres du parlement fédéral, parlent de

 17   ce que vient de dire le témoin à l'instant. Je demande le versement de cela

 18   au dossier.

 19   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce sera versé.

 20   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D00902.

 21   M. DJURDJIC : [interprétation] La pièce D130 s'il vous plaît. Q.  C'est en

 22   point 2 chez vous. Nous verrons s'afficher la constitution de 1974 qui

 23   était la constitution de la République socialiste de Serbie. De la manière

 24   la plus succincte, s'il vous plaît, dites-nous, quelle est la position des

 25   provinces autonomes en vertu de cette constitution ?

 26   R.  C'est assez petit, je dois dire. Est-ce qu'on pourrait l'agrandir ?

 27   Mais il me semble que la constitution de la République de Serbie dispose --

 28   Q.  Un instant, s'il vous plaît.

Page 13136

  1   M. DJURDJIC : [interprétation] La page 16 en anglais et l'article premier

  2   en serbe.

  3   Q.  Vous pourrez retrouver le document dans votre classeur. L'article 1 de

  4   la constitution de Serbie y figure.

  5   R.  [aucune interprétation]

  6   Q.  Oui.

  7   R.  Quelle page s'il vous plaît. Oui, voilà, je l'ai trouvée. Constitution

  8   de la Serbie. Article 1. L'essentiel c'est ce qui suit : la république

  9   socialiste de Serbie est un Etat qui réunit les citoyens serbes ainsi que

 10   les autres ethnicités, minorités. Par ailleurs, les provinces autonomes de

 11   Vojvodine et du Kosovo font partie intégrante de la République socialiste

 12   de Serbie. La République socialiste de Serbie est l'une des composantes de

 13   la République socialiste fédérale de Yougoslavie.

 14   Q.  Merci.

 15   M. DJURDJIC : [interprétation] Passons maintenant à la page 17 en anglais.

 16   Q.  C'est l'article 3 dans votre classeur. Dites-nous quelques mots là-

 17   dessus, s'il vous plaît.

 18   R.  Le territoire de la république est composé du territoire des

 19   municipalités prescrites par la loi. Il est impossible de changer les

 20   frontières de la République, ou plutôt, ceci n'est possible qu'à la base

 21   d'une décision adoptée par l'assemblée de la République sociale de Serbie.

 22   Toutes modifications de la frontière ne peuvent être faites que par suite

 23   d'une décision adoptée par l'assemblée de la République de Serbie. C'est ça

 24   le point essentiel.

 25   Q.  Merci.

 26   M. DJURDJIC : [interprétation] Passons à la page 99 en version anglaise.

 27   Q.  L'article qu'il nous faut c'est l'article 291. Vous le retrouverez dans

 28   votre classeur.

Page 13137

  1   R.  Chapitre 8, provinces autonomes socialistes ?

  2   Q.  Oui.

  3   R.  On reprend ici les dispositions de la constitution yougoslave. Une

  4   province autonome est une communauté sociopolitique. Les peuples et les

  5   minorités y exercent leur droit souverain, mis à part les droits qui sont

  6   transférés au niveau des républiques dans leur totalité pour servir les

  7   droits de la classe ouvrière et des autres travailleurs. Il y a un certain

  8   nombre de droits transférés au niveau de la république.

  9   Q.  Merci.

 10   M. DJURDJIC : [interprétation] Passons maintenant à la page 104 de la

 11   version anglaise.

 12   Q.  C'est l'article 300 dans la copie papier.

 13   R.  Vous souhaitez que je vous dise quelque chose ?

 14   Q.  Oui. Livrez-nous succinctement vos observations.

 15   R.  L'article 300 est le seul article de la constitution serbe énumérant

 16   les questions qui valent pour tout le territoire de la République de

 17   Serbie, y compris le territoire des deux provinces autonomes. Il s'agit des

 18   lois qui sont en vigueur sur tout le territoire de la République, y compris

 19   les provinces. Mis à part les points énumérés ici, la République ne pouvait

 20   pas adopter de décisions indépendamment des provinces. Cet article a

 21   suscité de nombreux problèmes. Je le sais. Parce que j'ai travaillé sur sa

 22   rédaction.

 23   Donc il s'agissait d'abord de déterminer les principes, puis les

 24   principes de base - vous voyez qu'ils figurent dans les différents alinéas

 25   - puis toute une série de problèmes juridiques se sont posés pour

 26   déterminer jusqu'à quel point s'étendent les principes d'une part, les

 27   principes de base d'autre part. Donc il était difficile d'harmoniser le

 28   texte de la constitution serbe concernant ce point. A l'époque, j'étais

Page 13138

  1   secrétaire chargé de la jurisprudence au niveau de la province autonome et

  2   je sais que sur le plan technique, lors de l'élaboration de cette

  3   constitution, nous avons dû faire face à toute une série de problèmes pour

  4   ce qui est de l'interprétation des principes, des principes de base, et

  5   cetera, mises à part les questions qui valaient pour le territoire de la

  6   république.

  7   Q.  Pouvez-vous nous dire quel était le nombre de représentants provenant

  8   de la province autonome du Kosovo au niveau de la république ?

  9   R.  Le principe était le même que pour tout autre territoire qui faisait

 10   partie de la République de Serbie. Donc le nombre de députés dépendait du

 11   nombre d'habitants, du nombre de municipalités, de la composition ethnique

 12   et du nombre de chambres, puisque trois chambres différentes existaient.

 13   Donc le nombre de députés variait en fonction des chambres. Les provinces

 14   étaient représentées d'une manière unifiée au niveau de la république.

 15   Chaque province avait le nombre de députés qui dépendait du nombre

 16   d'habitants et du nombre de municipalités, étant donné que deux chambres

 17   différentes existaient au niveau de la République de la Serbie; une chambre

 18   des municipalités, puis une autre chambre.

 19   Q.  Ces députés participaient-ils à l'élection de la

 20   présidence ?

 21   R.  Les députés de Vojvodine ou du Kosovo qui prenaient part aux travaux de

 22   l'assemblée serbe étaient traités sur un pied d'égalité par rapport à tous

 23   les autres députés qui venaient de la Serbie proprement dite. Ils

 24   participaient à l'adoption des lois, à l'élection de tous les organes, à

 25   l'élection de la présidence, à l'élection des juges, du président de

 26   tribunaux. Bref, ils participaient à la prise de décisions sur tous les

 27   points qui relevaient des compétences de l'assemblée de la république. Tous

 28   les députés décidaient sur un pied d'égalité.

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  1   Q.  Merci.

  2   M. DJURDJIC : [interprétation] Passons à la page 125 dans la version

  3   anglaise. C'est l'article 136 dans votre copie papier. Donc page 125,

  4   version anglaise, article 161.

  5   Q.  Ici, nous voyons quelle est la composition de la présidence de la

  6   République de Serbie.

  7   R.  Je n'ai pas l'impression que c'est le texte qui figure dans cet

  8   article. Il s'agit plutôt de l'article 364.

  9   Q.  Je vous demande pardon. Donc article 364, page 125.

 10   R.  Les membres de la présidence sont élus par les députés à l'assemblée

 11   serbe - je viens de l'indiquer tout à l'heure - la présidence compte 13

 12   membres, et ils comprennent les membres de la présidence des deux provinces

 13   autonomes ainsi que le président du comité central de la Ligue des

 14   Communistes de Serbie.

 15   Q.  Nous voyons qu'un président de la province ait automatiquement fait

 16   partie de la présidence de la Serbie.

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Mais la même chose vaut-elle pour le président Serbie -- pour la

 19   présidence de la Serbie proprement dite ?

 20   R.  Une présidence de la Serbie proprement dite n'existait pas.

 21   M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais que nous passions au document

 22   D011-5078. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je souhaite vous

 23   informer qu'une traduction de ce document est entamée, mais nous ne l'avons

 24   toujours pas, mais j'aimerais tout de même entendre brièvement les

 25   observations du témoin concernant cette constitution de la province

 26   autonome socialiste du Kosovo, si vous le permettez toutefois.

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Le document sera enregistré

 28   aux fins d'identification.

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  1   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D00903 enregistrée aux

  2   fins d'identification.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation]

  4   Q.  Monsieur le Témoin, j'aimerais entendre brièvement vos observations

  5   concernant l'article 1 de la constitution de la province autonome

  6   socialiste du Kosovo.

  7   R.  Les constitutions yougoslaves, serbes et celles du Kosovo sont

  8   mutuellement liées. De nombreuses dispositions sont harmonisées. L'article

  9   1 concerne la définition de la province du Kosovo. A partir de 1974, la

 10   province du Kosovo a sa constitution. Auparavant, elle n'avait qu'une loi

 11   constitutionnelle qui représentait son acte juridique le plus important. La

 12   province autonome est une communauté d'Albanais, de Serbes, de Turcs et de

 13   Monténégrins. C'est une question qui était souvent évoquée dans la vie

 14   politique. La province ne pouvait pas être traitée comme une province des

 15   Albanais, mais comme une province qui appartenait à titre égal à tous les

 16   peuples et toutes les minorités. Ces peuples et ces minorités sont énumérés

 17   dans ce texte en suivant l'ordre alphabétique, tant dans la version serbe

 18   que dans la version albanaise. Donc dans le texte en B/C/S, il s'agit

 19   d'Albanais, de Serbes, de Turcs et de Monténégrins, et l'ordre est

 20   différent dans la version albanaise du texte. Les Albanais figurent en

 21   dernier, puisque le terme utilisé en albanais pour désigner les membres de

 22   cette ethnicité est Siptar.

 23   Q.  Merci.

 24   R.  Puis, il est indiqué que la province autonome socialiste du Kosovo fait

 25   partie intégrante de la République de Serbie et de la République fédérale

 26   de Yougoslavie et, par conséquent, cette constitution harmonisée avec les

 27   constitutions serbe et yougoslave.

 28   Q.  Merci. Pourriez-vous formuler brièvement vos commentaires concernant

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  1   l'article 4.

  2   R.  Article 4, le territoire de la province est composé de différentes

  3   municipalités. Le territoire de la province autonome du Kosovo ne saurait

  4   être modifié sans l'aval de l'assemblée de la province.

  5   Q.  Merci. Et les articles 4 et 5 ? J'aimerais entendre brièvement vos

  6   commentaires.

  7   R.  Bien, il est question de l'égalité. C'est le point de départ de toute

  8   constitution. Tous les citoyens bénéficient des mêmes droits, et l'article

  9   5, plus concrètement, aborde la légalité des différentes langues. Donc la

 10   constitution du Kosovo prescrit l'égalité des langues serbo-croate et

 11   albanaise, tant orales qu'écrites, puis la province adopte sa propre loi

 12   permettant d'assurer la mise en œuvre de ce principe général.

 13   Q.  Merci. Penchez-vous, s'il vous plaît, sur l'article 301, alinéa 1.

 14   R.  De la constitution du Kosovo ?

 15   Q.  Oui, oui.

 16   R.  Article 301.

 17   Q.  Alinéa 1.

 18   R.  Ce sont les compétences de l'assemblée qui sont définies ici. On voit

 19   toutes les questions qui sont régies par l'assemblée.

 20   Q.  Ce n'est que l'alinéa 1 qui m'intéresse, Monsieur.

 21   R.  L'assemblée du Kosovo décide de toute modification de la constitution

 22   de la province. Donc l'alinéa 1 confère le droit à la province de décider à

 23   titre indépendant de la constitution pertinente pour la province socialiste

 24   du Kosovo. Par ailleurs, l'assemblée doit donner son aval pour toutes les

 25   modifications de la constitution de la République socialiste fédérale de

 26   Yougoslavie, et celle de la République de Serbie. Donc la province

 27   bénéficie des droits qui lui permettent de bloquer toute modification de la

 28   constitution serbe et yougoslave.

Page 13143

  1   Q.  Merci. Les organes yougoslaves et les organes de la République de

  2   Serbie, donnaient-ils leur aval pour ce qui est de modifier la constitution

  3   de la province ?

  4   R.  Non. La province était indépendante pour ce qui est de l'adoption de sa

  5   constitution. Evidemment, cette constitution devait être harmonisée avec

  6   les principes de base prévus dans la constitution yougoslave. C'est

  7   pourquoi un certain nombre de dispositions découlent les unes des autres.

  8   Mais l'aval des instances supérieures n'était pas nécessaire. Même elles ne

  9   devaient pas participer à la prise de décisions.

 10   Q.  Merci. Veuillez vous concentrer sur l'alinéa 20, s'il vous plaît.

 11   R.  L'assemblée du Kosovo assure l'élection des membres de la présidence

 12   yougoslave. Donc elles procèdent à l'élection d'un membre qui la

 13   représentera, un membre sur huit au total, et l'assemblée du Kosovo procède

 14   à l'élection et à la démise [phon] des fonctions des membres de sa propre

 15   présidence puisqu'un tel organe existe. Il existe une présidence du Kosovo,

 16   une présidence de Serbie, une présidence yougoslave.

 17   Q.  Merci.

 18   M. DJURDJIC : [interprétation] Je souhaite demander le versement au dossier

 19   -- en fait, non. Je vous demande pardon. Nous l'avons déjà enregistré aux

 20   fins d'identification.

 21   Q.  Veuillez me décrire la structure ethnique au sein des organes d'Etat

 22   dans la province du Kosovo.

 23   R.  Au sein des organes de la province du Kosovo, la structure ethnique

 24   reflétait plus ou moins fidèlement la structure ethnique de la population

 25   au total. On parlait à l'époque de clé de distribution; c'était

 26   l'expression consacrée à l'époque. Cette clé était appliquée dans les

 27   institutions politiques au niveau de la province, dans un certain nombre

 28   d'entreprises même, et la même chose valait pour les municipalités. Donc

Page 13144

  1   toutes les communautés ethniques devaient être représentées. Etant donné

  2   qu'environ 70 % des habitants étaient albanais, on peut donc dire que les

  3   organes de la province comptaient environ 70 % de députés albanais, alors

  4   que les Serbes, les Turcs, les Musulmans et les autres minorités étaient

  5   représentés en fonction du nombre d'habitants pour composer au total 30 %

  6   de députés.

  7   Q.  Pouvez-vous nous dire comment la situation a évolué au cours des années

  8   80 et 90 ?

  9   R.  Etant donné que j'ai toujours vécu au Kosovo et que j'y ai passé

 10   l'essentiel de ma carrière professionnelle, à partir des années 70 un

 11   progrès social et économique très rapide a pu être relevé, et ceci a permis

 12   de créer un fonds spécial au niveau yougoslave, qui était intitulé, fonds

 13   destiné au développement des provinces sous-développées. La province du

 14   Kosovo avait accès à ce fonds, et cela, dans une proportion importante. Ce

 15   fonds permettait de financer le développement sur le plan économique, sur

 16   le plan de la santé, de l'éducation, et cetera, et de façon générale il

 17   permettait de lutter contre le chômage et d'élever le niveau social et

 18   culturel.

 19   Comme j'ai participé directement dans tout ceci, au cours d'une

 20   période relativement brève Kosovo a réalisé un très grand progrès. Des

 21   dizaines et des dizaines d'années avaient été nécessaires aux autres

 22   populations pour réaliser un tel progrès. Mais grâce à cet effort financier

 23   investi par toutes les républiques, un développement social et économique

 24   accéléré du Kosovo a été rendu possible. C'est quelque chose que nous avons

 25   souvent souligné lors de nos activités politiques, lors des discours que

 26   nous délivrions, et nous étayions nos dires par des pourcentages et des

 27   statistiques.

 28   Q.  Merci. Pouvez-vous nous dire quelle était la situation sur le plan de

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  1   la science et de l'éducation ?

  2   R.  Comme tous les autres domaines, l'éducation était en expansion. Un

  3   certain nombre d'écoles et d'établissements scolaires ont été bâtis. Le

  4   nombre d'élèves a augmenté au niveau des écoles primaires, aussi bien que

  5   des écoles secondaires. Un certain nombre de facultés ont été fondées au

  6   sein de l'Université de Belgrade. Plus tard, ces facultés ont bénéficié

  7   d'une indépendance. Elles ont commencé à faire partir de l'Université de

  8   Pristina, et cette université s'est développée très vite. Elle est devenue

  9   la troisième université de Yougoslavie, précédée uniquement par celles de

 10   Belgrade et de Zagreb. Elle était la plus grande -- enfin, la troisième

 11   plus grande, tant par le nombre d'étudiants que par l'espace de ses locaux.

 12   Q.  Et les académies, ont-elles été développées ?

 13   R.  Evidemment. Comme le nombre de personnes diplômées, de personnes

 14   bénéficiant d'un doctorat a augmenté, une académie des arts et des sciences

 15   a été fondée au Kosovo. Puis un institut a été mis sur pied, il s'agissait

 16   d'un institut de l'albanologie [phon]. Cet institut avait pour tâche

 17   d'étudier l'histoire de l'ethnicité albanaise; son histoire, sa culture, et

 18   cetera. C'est la raison pour laquelle cet institut était celui de

 19   l'albanologie.

 20   Par ailleurs, une académie des arts et des sciences existait au Kosovo

 21   comme elle existait en Vojvodine et dans toutes les républiques de la

 22   grande République fédérale Yougoslavie.

 23   Q.  Merci. Quelle était la situation sur le plan des infrastructures ?

 24   R.  Le Kosovo était la région la plus sous-développée. Les infrastructures

 25   n'étaient pas très développées, mais grâce à l'assistance de la classe

 26   ouvrière et du pays tout entier, qui étaient mis à contribution en fonction

 27   de leurs salaires, des routes magistrales ont été construites, des systèmes

 28   d'irrigation et d'autres installations permettant de faciliter la vie aux

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  1   citoyens sur le territoire du Kosovo pendant cette période.

  2   Q.  Merci. Au début des années 80, des manifestations ont-elles été

  3   organisées; et si oui, comment ?

  4   R.  En 1981, de grandes manifestations ont été organisées au Kosovo. Ces

  5   manifestations ont commencé au mois de mars, le 11 mars plus précisément,

  6   et elles ont duré jusqu'au moins d'avril. Les manifestations ont d'abord

  7   été montées sur pied dans la cantine des étudiants et avec de brèves pauses

  8   elles se sont poursuivies jusqu'au 3 ou 4 avril. Et de jour en jour elles

  9   gagnaient en importance.

 10   Il s'agissait de manifestations très sérieuses, de grande envergure,

 11   qui ont même pris un caractère destructeur. Des conflits sérieux avec la

 12   police ont éclaté. De nombreuses activités ont été amorcées au sujet de ces

 13   manifestations, de nombreuses décisions ont été prises, les organes de la

 14   province et de la république ont été engagés pour résoudre les problèmes.

 15   Q.  Quelles étaient les revendications des manifestants ?

 16   R.  Lorsque les manifestants se sont réunis pour la première fois dans la

 17   cantine universitaire, la revendication officielle était la qualité des

 18   aliments. Mais une fois que les étudiants sont sortis dans la rue, les

 19   mêmes slogans qui avaient été évoqués en 1968 ont refait surface. Le slogan

 20   principal était "Kosovo république" et "unification." Les manifestations

 21   les plus importantes ont été organisées au début du mois d'avril à

 22   Pristina.

 23   Les manifestations s'étaient déroulées également dans d'autres

 24   villes, mais elles étaient les plus importantes à Pristina, puisqu'un grand

 25   groupe de citoyens provenant d'autres villes étaient venus à Pristina. Les

 26   organes policiers du Kosovo ont été incapables d'étouffer ces

 27   manifestations.

 28   Q.  Merci. C'est la question que je souhaitais vous poser. Quelles étaient

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  1   les méthodes utilisées lors de ces manifestations ?

  2   R.  Les forums politiques au niveau de la province et de la fédération, ces

  3   manifestations ont été définies comme destructrices, visant à porter

  4   atteinte à l'ordre constitutionnel de la province, de la Serbie et de la

  5   Yougoslavie.

  6   Q.  Ces manifestations ont-elles été paisibles ?

  7   R.  A en juger par ce que je viens de vous dire, elles n'ont pas pu être

  8   paisibles; au contraire, elles ont été très violentes.

  9   Q.  Merci. Qui a réagi et de quelle façon ?

 10   R.  Ce sont d'abord les organes de sécurité, à savoir la police du Kosovo,

 11   qui ont réagi. Ces organes ont été incapables d'étouffer les

 12   manifestations. Puis les organes serbes ont offert leur assistance. Ils ont

 13   proposé de se rendre sur les lieux pour prêter main-forte à leurs collègues

 14   du Kosovo. Mais les dirigeants du Kosovo ne l'ont pas permis. Les organes

 15   policiers serbes ont été arrêtés dans la municipalité de Krsumlije au poste

 16   administratif. Ceci a suscité des problèmes, puis un compromis a été

 17   trouvé. Des forces que l'on appelait conjointes, je crois, des forces de

 18   sécurité, ont été mises sur pied. Les représentants de toutes les

 19   républiques yougoslaves y avaient leurs représentants, y compris la

 20   province du Kosovo. Donc une partie de la police serbe a été intégrée à

 21   cette unité conjointe, et à ce titre elle est entrée au Kosovo pour

 22   faciliter l'étouffement des manifestations. Ces forces conjointes sont

 23   restées sur le territoire du Kosovo jusqu'à l'année 1990. Ces

 24   manifestations ont été très violentes. Un grand nombre de participants a

 25   été relevé, puis d'une certaine manière, c'est l'armée qui a réagi. Ceci a

 26   été fait à la demande du comité chargé de la défense du Kosovo. L'armée est

 27   venue de Macédoine, concrètement de la ville de Skopje. Il s'agissait d'une

 28   unité de chars. Et c'est l'armée qui a assuré la protection de toutes les

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  1   installations-clés dans la province. L'assemblée de la province, le conseil

  2   exécutif, c'était l'instance que nous appellerions aujourd'hui par le terme

  3   de gouvernement, la chaîne de télévision. Quant aux autres forces

  4   conjointes, elles étaient censées rétablir l'ordre. Et la présence de ces

  5   forces a créé un état d'urgence, et c'est pourquoi l'état d'urgence a été

  6   proclamé au Kosovo.

  7   Q.  Dites-moi, qui a envoyé ces forces conjointes pour prêter main-forte à

  8   la demande du comité chargé de la défense de la province autonome du Kosovo

  9   ?

 10   R.  Le gouvernement fédéral, par le biais de son ministère fédéral de

 11   l'Intérieur, avec l'accord préalable de toutes les républiques. Le

 12   commandant des forces conjointes venait de Croatie. Je crois qu'il était

 13   Croate.

 14   Et dans le cadre de ces forces conjointes, il y avait une unité

 15   spécialisée qui était commandée par un Slovène. Les forces conjointes

 16   avaient leur état-major, elles étaient situées dans différentes villes au

 17   Kosovo dont l'état-major était à Pristina et à Avalija, aux environs de

 18   Pristina. Les forces étaient déployées de telle sorte qu'à Vitina où

 19   j'étais, la police croate, outre la force du Kosovo, était présente. Il y

 20   avait également à Urosevac des policiers de Macédoine et Bosnie-

 21   Herzégovine.

 22   Q.  Merci. Vous avez parlé de l'armée yougoslave. Est-ce qu'elle a

 23   participé à la répression de ces manifestations ?

 24   R.  L'armée de Yougoslavie était là pour montrer qu'elle existait,

 25   pour afficher sa puissance avec les chars. Les chars sont venus de Skopje,

 26   ils sont descendus à Pristina par les grandes rues, simplement pour faire

 27   montre de sa puissance. Et Pristina a également vu des sorties des forces

 28   aériennes yougoslaves, l'objectif étant l'impact psychologique pour ceux

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  1   qui participaient à ces manifestations ainsi que pour les citoyens de

  2   manière générale.

  3   Q.  Merci.

  4   M. DJURDJIC : [interprétation] Peut-on faire apparaître

  5   D011-4952, s'il vous plaît. 

  6   Q.  Intercalaire 4 pour vous. Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit ?

  7   R.  C'est quelque chose que j'ai conservé dans mes archives

  8   personnelles. Il s'agit d'un laissez-passer officiel. Etant donné que

  9   l'état d'urgence avait été décrété, on ne pouvait pas se déplacer librement

 10   à Pristina. A l'époque, je faisais partie du conseil exécutif, et même moi,

 11   je ne pouvais pas me déplacer librement. Je ne pouvais même pas aller au

 12   travail sans un laissez-passer comme celui-ci. Donc on dit clairement

 13   pourquoi il a été délivré. On y voit qu'il a été délivré pour la personne

 14   en question, pour qu'elle puisse se déplacer librement. Ça a été rédigé

 15   dans les deux langues.

 16   M. DJURDJIC : [interprétation] Je demande le versement de cette pièce au

 17   dossier.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] D'accord.

 19   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote D00904.

 20   Merci.

 21   M. DJURDJIC : [interprétation]

 22   Q.  Quelles ont été les conséquences des manifestations de

 23   1981 ?

 24   R.  Etant donné leur ampleur et leur nature, et au vu des slogans et du

 25   nombre de participants, cela a eu un impact très négatif sur la situation

 26   politique et sur les relations entre les différentes ethnies présentes au

 27   Kosovo. Un climat très défavorable est né, ce qui a inquiété tous ceux qui

 28   voulaient vivre en Yougoslavie avec le système politique et social tel

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  1   qu'il existait à l'époque. Toutes les appartenances ethniques s'en sont

  2   inquiétées.

  3   Toutefois, il y avait une insécurité croissante, un manque de

  4   confiance, on avait peur de l'avenir, on avait peur à cause des

  5   manifestations. Et pendant les manifestations, ensuite aussi d'ailleurs, il

  6   y a eu plusieurs attaques, plusieurs personnes qui ont été attaquées, tout

  7   comme leurs biens. Et tout cela a eu un impact grave sur les relations

  8   entre les différentes ethnies; et tout cela a abouti au fait qu'un nombre

  9   de plus en plus important de Serbes et de Monténégrins sont partis du

 10   Kosovo, bien plus qu'il n'y en avait eu après les manifestations de 1968.

 11   Les relations interethniques ont empiré très clairement, et tout cela

 12   était contraire aux politiques existantes et au système politique de

 13   l'époque.

 14   Q.  Merci. Quelle a été la position des organes d'Etat républicains par

 15   rapport à la résolution du problème du Kosovo ?

 16   R.  Ce problème a été identifié assez tôt, et les institutions fédérales,

 17   les institutions de Serbie, les institutions du Kosovo les avaient

 18   identifiées; et les différentes parties, les différentes assemblées, que ce

 19   soit au niveau de l'Etat ou au niveau des communes, toutes ont lancé des

 20   programmes pour mettre un terme à cette tendance à l'émigration et pour

 21   faire revenir ceux qui étaient déjà partis.

 22   Ce problème a été géré par les organismes provinciaux et municipaux

 23   de Yougoslavie et de Serbie. Il y avait un programme yougoslave, par

 24   exemple, pour favoriser le retour de ceux qui avaient émigré et pour

 25   enrayer cette tendance.

 26   Q.  Vous nous avez parlé de l'Université de Pristina. Quelle était la

 27   composition, jusqu'en 1981 et après, de cette université ?

 28   R.  Les relations interethniques empiraient. Les manifestations, la

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  1   participation des étudiants albanais à ces manifestations ont entraîné de

  2   véritables césures au sein de l'université, ce qui a inquiété et ce qui a

  3   entraîné un sentiment d'insécurité parmi les étudiants turcs, serbes,

  4   entres autres. A l'époque, pour autant que je me souvienne, d'après les

  5   informations dont disposaient les organismes provinciaux, 60 % du corps

  6   enseignant qui n'était pas albanais a quitté le Kosovo.

  7   Q.  Quelle était la situation dans les zones rurales ?

  8   R.  Les choses étaient particulièrement marquées dans les zones rurales

  9   parce qu'il y avait du harcèlement, les cultures étaient endommagées, et il

 10   y a eu des menaces pour la sécurité et pour les biens de la population. Il

 11   y avait également eu des cas d'attaques physiques ou de meurtres. Je me

 12   souviens d'ailleurs d'un certain nombre de meurtres qui ont eu lieu pendant

 13   cette période. Un Sarkic a été tué dans le village de Malkovica [phon]. Je

 14   m'en souviens très clairement, parce qu'avec d'autres, le président de la

 15   présidence du Kosovo m'a demandé d'enquêter dans cette affaire. En fait, ce

 16   Sarkic avait formulé une plainte par écrit, une réclamation, et il avait

 17   prévu ce qui allait lui arriver. Il disait qu'il serait tué. Alors

 18   évidemment, les gens ne l'ont pas cru au départ. Mais nous sommes allés

 19   voir les autorités à Djakovica, nous sommes allés dans sa maison de

 20   famille, et d'après les informations dont je disposais, on avait tiré sur

 21   sa maison. C'est avant sa mort.

 22   A l'époque d'ailleurs il a dit qu'il était très inquiet, qu'il

 23   craignait d'être tué, et les autorités de Djakovica ont promis de l'aider.

 24   Malheureusement, un peu plus tard, il a effectivement été abattu. J'ai été

 25   vraiment très ému parce que j'avais essayé de l'aider.

 26   Il y avait une autre famille où le père et le fils ont été tués à

 27   Samodreza. Je me rappelle également de l'affaire Martinovic, mais il y a eu

 28   beaucoup d'autres attaques similaires ou de cas ou d'affaires qui ont

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  1   entraîné cette crainte et cette peur parmi la population.

  2   Q.  Merci. Qu'en était-il de la situation pour ce qui est du fonctionnement

  3   de la République de Serbie dans l'exercice de ses pouvoirs sur tout le

  4   territoire ?

  5   R.  Conformément à la constitution de 1974, la république pouvait exercer

  6   tous ses pouvoirs sur tout le territoire. J'ai essayé d'illustrer cela en

  7   disant que les policiers serbes ne pouvaient pas entrer dans la province

  8   sans en référer au préalable aux organismes fédéraux.

  9   Pour toutes les questions internes, c'était les organismes

 10   provinciaux qui s'occupaient de toutes ces questions. Dans la pratique, les

 11   autorités serbes exerçaient leur pouvoir uniquement en Serbie en tant que

 12   telle. Maintenant, pour ce qui est de l'application du droit et de la

 13   réglementation au niveau local, c'est les organismes provinciaux qui s'en

 14   chargeaient.

 15   Q.  Pouvez-vous nous dire quand les premières mesures ont été prises pour

 16   régler ce problème de fonctionnement, et comment est-ce que cela a été

 17   réglé ?

 18   R.  Une fois le premier amendement proclamé, amendement selon lequel la

 19   province disposait de pouvoirs élargis, et après les manifestations de

 20   1968, certains au Kosovo se sont opposés à ce processus, y compris Jova

 21   Sotra, Misa Sekulovic [phon], Jevica Pecinovic [phon]. Je me rappelle d'eux

 22   notamment, parce qu'ils ont été écartés de la Ligue des Communistes et ils

 23   sont partis parce qu'ils n'avaient plus de travail. L'un d'entre eux

 24   d'ailleurs est mort peu après.

 25   Ils s'opposaient aux changements qui étaient apportés à la constitution de

 26   1974. Dans la République de Serbie, je me rappelle de quelque chose qu'on

 27   appelait un livre bleu dans lequel j'ai analysé le statut constitutionnel

 28   de la Serbie. Rapidement cela a été écarté, mais après 1981 et après tous

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  1   les événements dont nous avons parlé, c'est quelque chose qui est revenu à

  2   l'ordre du jour, parce qu'on s'est rendu compte que la constitution serbe

  3   devait être changée pour que la Serbie puisse récupérer ces prorogatives.

  4   Q.  Merci. Qui a réagi à la situation et comment ?

  5   R.  Vous voulez dire la situation par rapport à la

  6   constitution ?

  7   Q.  Oui.

  8   R.  D'un point de vue formel, la première initiative est venue de la

  9   présidence de Serbie comme organisme le plus haut placé en Serbie. Un

 10   groupe de travail a été mis en place, présidé par le président de la

 11   présidence serbe, M. Ivan Stambolic. Il y avait également deux membres, je

 12   crois que c'est Spiro Galovic, et l'autre j'ai oublié son nom. Il y avait

 13   également des représentants de la Vojvodine. Je me rappelle de Vojadinovic

 14   [phon]. Il y avait des représentants du Kosovo, y compris moi-même et deux

 15   Albanais, qui étaient des experts en droit constitutionnel.

 16   Ce groupe de travail était chargé d'élaborer un projet de changement

 17   de la constitution pour que cette constitution aille dans le bon sens.

 18   Q.  Pouvez-vous nous dire quels ont été les résultats des travaux menés par

 19   la présidence de la SRS ?

 20   R.  Il y a des informations qui ont été envoyées à l'assemblée de Serbie.

 21   L'assemblée l'a accepté, et la commission constitutionnelle de l'assemblée

 22   a été chargée de la rédaction d'amendements de la constitution de Serbie à

 23   la lumière de ces informations qui avaient été envoyées au préalable.

 24   Q.  Merci. Comment les choses ont-elles continué une fois que l'assemblée a

 25   pris sa décision ?

 26   R.  La commission constitutionnelle devait travailler sur ces amendements à

 27   la constitution. Un groupe de travail plus petit a été mis en place. Il

 28   était présidé par Bora Jovic et il comprenait également d'autres membres de

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  1   la commission constitutionnelle de Serbie, et des représentants également

  2   de Vojvodine et du Kosovo étaient présents. Il a participé à la rédaction,

  3   au libellé, de ces amendements.

  4   Q.  Quand est-ce que les travaux de rédaction de ces amendements ont

  5   commencé ? Combien de temps ont-ils duré ?

  6   R.  Trois ans, de 1986 à 1989. Le travail sur les amendements

  7   constitutionnels et l'harmonisation, cela a pris du temps, parce que le

  8   processus était compliqué à cause de la singularité de notre système qui

  9   n'existe nulle part ailleurs dans le monde.

 10   Q.  Est-ce que ces membres de la commission constitutionnelle ont dû

 11   harmoniser leurs propositions par rapport à ce que l'on appelait une base à

 12   l'époque ?

 13   R.  Oui. C'était ça leur devoir. Les membres de la Vojvodine et du Kosovo

 14   ne pouvaient pas faire cavalier seul. Ils devaient informer les autorités

 15   officielles de la province, la présidence et le comité exécutif notamment,

 16   et évidemment la Ligue des Communistes, parce qu'à l'époque cette Ligue des

 17   Communistes disposait du rôle directeur principal dans notre société, comme

 18   on l'appelait à l'époque.

 19   Q.  Quelle était l'essence des amendements apportés à la constitution de

 20   Serbie ?

 21   R.  Etant donné qu'il a fallu trois ans pour faire tout cela, ou plutôt,

 22   disons, que même s'il a fallu trois ans pour faire tout ça, on s'est mis

 23   d'accord pour ne changer que les questions concernant le fonctionnement de

 24   l'Etat, à savoir les questions liées à la sécurité de toute la république,

 25   ensuite les questions liées à la défense du peuple dans l'intérêt de la

 26   république et la portée constitutionnelle de la République de Serbie. La

 27   République de Serbie peut-elle adopter sa constitution indépendante; si

 28   oui, quelle en est la procédure; indépendante de manière autonome ?

Page 13155

  1   Q.  Ces amendements ont-ils changé la position constitutionnelle de la

  2   province et ses pouvoirs par rapport à la République de Serbie ?

  3   R.  La position constitutionnelle de la province dans la fédération n'a pas

  4   été modifiée par ces amendements. Les droits de la province dans la

  5   fédération sont restés intacts. La province est restée une composante de la

  6   fédération avec ses droits et ses devoirs. Pour ce qui est de la République

  7   de Serbie, les amendements ont modifié le pouvoir.

  8   Q.  Attendez, nous parlerons de cela un petit peu plus tard.

  9   M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, je pense que le

 10   moment est venu de faire une pause d'ailleurs.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Effectivement, effectivement. Nous

 12   reprendrons nos travaux à 18 heures, et je dois dire que cette déposition

 13   est trop détaillée et trop longue. Peut-être pourriez-vous nous faire un

 14   petit résumé de ce qui était dit aujourd'hui. Je vous invite à y réfléchir

 15   pendant la pause.

 16   [Le témoin quitte la barre]

 17   --- L'audience est suspendue à 17 heures 32.

 18   --- L'audience est reprise à 18 heures 02.

 19   [Le témoin vient à la barre] 

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djurdjic.

 21   M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 22   Q.  Monsieur Jokanovic, lorsque la commission constitutionnelle de

 23   l'assemblée de Serbie a terminé ses travaux, quels en ont été les résultats

 24   ?

 25   R.  La commission constitutionnelle de l'assemblée de Serbie a remis ses

 26   propositions d'amendement à l'assemblée de Serbie pour adoption, tel a été

 27   le cas, ensuite il y a eu une discussion publique.

 28   Q.  Quels ont été les résultats du débat public qui s'en est suivi ?

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  1   R.  Dans notre système, cette discussion ou ce débat public est assez

  2   large, très large. Les amendements constitutionnels ont été abordés à tous

  3   les niveaux, que ce soit au niveau des villages, des quartiers, à tous les

  4   niveaux d'élection, ainsi que dans les institutions professionnelles,

  5   institutions d'expert, institutions scientifiques, notamment les

  6   organisations d'experts juridiques. J'ai également pris part à ces

  7   discussions, et le président de la Ligue socialiste, une institution

  8   socioprotocolaire a fait des déclarations et a animé ces discussions. Il y

  9   a plusieurs centaines de personnes qui ont participé à ces discussions, et

 10   40 000 ont contribué activement aux débats.

 11   Q.  Quelle a été la procédure après ce débat public ?

 12   R.  Après le débat public, tous les commentaires, toutes les propositions,

 13   ont été reprises dans un résumé. Certaines étaient fondées, d'autres

 14   l'étaient moins. Certaines étaient pertinentes d'un point de vue

 15   professionnel, d'autres pas. Les éléments saillants ont été repris et remis

 16   à la commission constitutionnelle de Serbie pour acceptation ou refus, le

 17   tout devant être motivé par une explication.

 18   Q.  Qui a proposé les amendements à la commission constitutionnelle de

 19   Serbie ?

 20   R.  La commission constitutionnelle de Serbie, qui était l'organisme

 21   responsable, a reçu ces amendements de la Ligue socialiste.

 22   Q.  Est-ce que cette commission constitutionnelle a adopté ces amendements

 23   ?

 24   R.  Oui. Les trois chambres de l'assemblée de Serbie ont accepté ces

 25   amendements, et ces amendements adoptés ont été envoyés aux assemblées de

 26   la Vojvodine et du Kosovo pour approbation. C'était une procédure

 27   constitutionnelle.

 28   Q.  Avant de donner leur accord aux amendements de la constitution de la

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  1   République de Serbie, y avait-il eu des événements au Kosovo ?

  2   R.  Oui, en effet. Il y avait une résistance quant à l'approbation de ces

  3   amendements. Je me rappelle de manifestations dans certaines villes, comme

  4   Urosevac, entre autres. Les protestations politiques les plus importantes,

  5   ça a été la grève des mineurs à Trepca. Ils ont demandé à ce que tous les

  6   responsables albanais et à ce que l'assemblée de la fédération

  7   démissionnent, à savoir tous ceux qui soutenaient ces amendements

  8   constitutionnels.

  9   Il y avait notamment Rrahman Morina, président de la Ligue des

 10   Communistes du Kosovo. Il y avait aussi Ali Shukrija, qui était membre de

 11   la présidence de la Ligue des Communistes de Yougoslavie. Il y avait

 12   également Hysamedin Azemi, qui lui aussi était un haut responsable de la

 13   province.

 14   Q.  Merci. Quelle a été la réaction à ces manifestations ?

 15   R.  Tout le public yougoslave était inquiet de cette grève des mineurs. Les

 16   mineurs ont reçu des télégrammes de soutien. Les conséquences politiques

 17   ont été très importantes. Les autorités fédérales ont dû agir pour rétablir

 18   l'ordre ou protéger l'ordre constitutionnel pour que les choses puissent se

 19   faire et que l'on atteigne les objectifs qui avaient été fixés. Je me

 20   rappelle que la présidence de Yougoslavie a instauré ce que l'on appelait à

 21   l'époque des mesures spécifiques.

 22   Q.  Qui a organisé ces manifestations, et qu'est-ce qui les a déclenchées ?

 23   R.  Elles ont été déclenchées principalement par des informations fausses,

 24   notamment le fait que l'utilisation de la langue et de l'écrit serait mise

 25   en danger par ces amendements. Il y avait des choses un peu bizarre, comme

 26   le fait que le chapeau albanais serait interdit, que le quotidien ne serait

 27   plus jamais le même, que l'égalité était remise en question, que la langue

 28   ne pourrait plus être la langue officielle, et cetera. L'objectif c'était

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  1   d'inciter les gens à résister à ce changement constitutionnel.

  2   M. DJURDJIC : [interprétation] Peut-on porter à l'écran la pièce D0086787 ?

  3   Q.  Intercalaire 5 dans votre classeur, Monsieur.

  4   Voulez-vous, s'il vous plaît, nous dire ce que sont les conclusions

  5   de l'assemblée de la RSFY et ce qu'elles veulent dire ? Publiées le 3 mars

  6   1999.

  7   R.  Il s'agit de protéger l'ordre constitutionnel, l'ordre public, la

  8   sécurité de tous les citoyens et de normaliser la situation. L'assemblée de

  9   la RSFY soutient les décisions de la présidence, qui est l'organe

 10   présidentiel collectif, et les devoirs du comité exécutif sont définis au

 11   niveau de la république et des provinces. On demande aux citoyens de

 12   retourner à leurs activités normales, de reprendre leur travail, que des

 13   procédures pénales ou autres seront lancées contre les organisateurs de

 14   toute activité contre-révolutionnaire, que l'assemblée ne soutient pas les

 15   revendications des mineurs, parce qu'elle considère que seules les

 16   autorités juridiques peuvent nommer des responsables, et cetera.

 17   Q.  Merci.

 18   M. DJURDJIC : [interprétation] Je demande le versement de cette pièce au

 19   dossier.

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

 21   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote D009050.

 22   M. DJURDJIC : [interprétation] Merci.

 23   Q.  Monsieur Jokanovic, est-ce que les autorités de la République de Serbie

 24   ont pu faire quelque chose face à ces événements de février et de mars 1998

 25   ?

 26   R.  Non, elles ne pouvaient rien faire. Il y avait simplement les forces

 27   conjointes, forces venant de toutes les républiques et de toutes les

 28   provinces, et les autorités de la République de Serbie ne pouvaient qu'en

Page 13159

  1   référer aux autorités fédérales, mais ne pouvaient pas agir directement au

  2   Kosovo.

  3   Q.  Merci. Quelle était votre position en mars 1989 ?

  4   R.  Comme je vous l'ai dit tout à l'heure lorsque je me suis présenté ce

  5   jour-là, le 23 mars 1989, j'étais président de l'assemblée du Kosovo.

  6   Q.  Quand est-ce que l'assemblée du Kosovo s'est réunie et à quelle réunion

  7   a-t-elle appuyé les amendements de la constitution de Serbie ?

  8   R.  Le 23 mars de cette année-là. L'assemblée de la Vojvodine s'était

  9   réunie le 10 mars. Ils avaient d'ores et déjà entériné les amendements de

 10   la constitution de Serbie.

 11   Q.  En quelle année était-ce ? Le 23 mars de quelle année ?

 12   R.  1989.

 13   Q.  Combien de délégués ont participé aux travaux de l'assemblée du Kosovo,

 14   le 23 mars 1989 ?

 15   R.  L'assemblée du Kosovo disposait au total de 190 délégués. La majorité

 16   des délégués des trois chambres étaient présents. Certains étaient absents,

 17   trois. Donc au total 187 ont participé.

 18   Q.  Quelle était la composition ethnique de l'assemblée du Kosovo en mars

 19   1989 ?

 20   R.  La composition ethnique correspondait à la composition ethnique de la

 21   population. Je vous l'ai déjà dit dans l'une de mes réponses précédentes;

 22   70 % d'Albanais, et 30 % venaient d'autres origines ethniques : des Serbes,

 23   des Monténégrins, des Turcs. Mais

 24   70 % étaient Albanais, parce que c'était l'un des principes au Kosovo, dans

 25   le système qui était en place à l'époque.

 26   M. DJURDJIC : [interprétation] Peut-on porter à l'écran le document D006-

 27   4413.

 28   Q.  Intercalaire 6, Monsieur. Le document que nous allons voir constitue

Page 13160

  1   l'enregistrement de la session tenue par les trois chambres du parlement

  2   kosovar en date du 23 mars 1989.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation] Pourriez-vous afficher la page 3, s'il vous

  4   plaît, en anglais.

  5   Q.  Y a-t-il eu des invités lors de cette réunion du 23 mars; et si oui,

  6   pourriez-vous nous dire de qui il s'agissait ?

  7   R.  A en juger d'après cet enregistrement audio qui a fait l'objet d'une

  8   transcription par la suite, il ressort que je prends la parole pour

  9   souhaiter la bienvenue aux invités. Sinan Hasani, qui est membre de la

 10   présidence de la RSFY, est présent. J'ai parlé de cet organe. Ensuite,

 11   Monsieur, ou plutôt, Camarade, à l'époque, Sefcet Jasari, membre de la

 12   présidence de la République socialiste de Serbie; Velimir Vukmanovic et

 13   Ferat Ahmeti, qui sont vice-présidents de l'assemblée de Serbie - l'un

 14   d'entre eux est Serbe, l'autre est Albanais - l'adjoint du président de la

 15   commission constitutionnelle de Serbie est présent, son nom n'est pas

 16   consigné. Et vous pouvez voir la suite des noms et des fonctions.

 17   Q.  Est-ce que vous pouvez nous dire si les médias ont suivi le déroulement

 18   de cette assemblée ?

 19   R.  Ce qui m'a étonné, en ma qualité de président, c'était de voir

 20   l'intérêt qu'on a porté à cette session du parlement provincial. Cent

 21   quatre-vingt journalistes et membres de la presse ou des médias ont été

 22   accrédités. Jamais de ma vie je n'ai eu l'occasion de prendre la parole

 23   devant plus de journalistes que ce jour-là.

 24   Q.  Je vous remercie. Qui a pris la parole pour faire l'introduction -- les

 25   propos liminaires ?

 26   R.  C'est moi-même, comme on le voit dans cette transcription qui

 27   constitue, en fait, la transcription d'un enregistrement audio.

 28   Q.  Très bien.

Page 13161

  1   M. DJURDJIC : [interprétation] Je voudrais à présent que l'on nous affiche

  2   la page 6 en anglais.

  3   Q.  Pour vous, ce sera la page 6. Nous avons ici une partie de

  4   l'introduction qui a été prononcée par vous. Sur quoi mettez-vous l'accent

  5   surtout pendant cette prise de parole ?

  6   R.  Vous voulez dire page 6, ou si je parle de mes souvenirs ?

  7   Q.  Dites-nous de quoi vous vous souvenez.

  8   R.  J'allais, en grandes lignes, expliquer l'essentiel, et j'allais attirer

  9   l'attention sur le fait que ces amendements ne modifiaient pas la position

 10   constitutionnelle du Kosovo en tant que province au sein de la fédération

 11   yougoslave, qu'aucunement le statut constitutionnel de cette province

 12   n'était mis en péril par ces amendements et que la Serbie allait simplement

 13   bénéficier des pouvoirs qui sont habituellement ceux d'un Etat et que, pour

 14   ce qui est de l'écriture et de la langue dans la province, c'était garanti

 15   et c'était régi par la constitution de la province et par la loi. En

 16   particulier, j'évoque l'amendement numéro 47. Par cet amendement, la

 17   question du veto est modifiée, à savoir cela devient une procédure

 18   complexe, le veto qui est entre les mains de l'assemblée provinciale.

 19   Q.  Très Bien. Dites-nous, est-ce que il y a eu un débat qui a porté sur ce

 20   point de l'ordre du jour ?

 21   R.  La session s'est déroulée comme prévu à l'ordre du jour. Il y a eu un

 22   débat, on a donné la parole à tous ceux qui l'ont demandée. Et je pense

 23   qu'une trentaine de députés ont pris la parole; ils l'ont demandée et l'ont

 24   eue. Et à partir du moment où on est arrivé au terme du débat, on a procédé

 25   au vote.

 26   Q.  Je vous remercie.

 27   M. DJURDJIC : [interprétation] A titre d'exemple, je voudrais que l'on

 28   affiche la page 23 en anglais ainsi que la page 14 en serbe.

Page 13162

  1   Q.  Le mieux pour vous, Monsieur, est de regarder à l'écran.

  2   Est-ce que le débat qui a eu lieu a été libre ? Est-ce qu'on pouvait

  3   s'exprimer librement au sujet des points à l'ordre du jour ?

  4   R.  Tous ceux qui sont intervenus l'ont fait librement. Il n'y a pas eu

  5   d'interruption. D'ailleurs, c'est ce que l'on peut voir dans le

  6   sténogramme. Tout ceux qui ont voté contre ont pris la parole, on peut le

  7   voir; et ceux qui étaient favorables n'ont pas pris la parole. Ça c'est une

  8   chose qui est caractéristique de ce que nous avons fait. Puis il faut

  9   savoir que les députés qui ont pris la parole ont discuté non seulement en

 10   leurs noms propres mais au nom de leurs délégations, à savoir les

 11   assemblées municipales ou des organes tels que l'organisation des syndicats

 12   socialistes, de la jeunesse socialiste ou autres.

 13   M. DJURDJIC : [interprétation] Prenons la page 25, s'il vous plaît, en

 14   B/C/S. Page 15 en anglais -- ou plutôt, 16.

 15   Q.  Monsieur Jokanovic, nous voyons ici que c'est Imer Dzafici qui

 16   intervient. Dites-nous, au nom de qui il s'exprime ? Vous le voyez mieux à

 17   l'écran, Monsieur Jokanovic, mieux que sur le papier ?

 18   R.  Oui. Il vient de Prizren. Dans les instances, les organes de

 19   l'assemblée municipale de Prizren, une activité intense a été développée eu

 20   égard aux amendements, et il précise que l'assemblée municipale de Prizren

 21   apporte son soutien intégral à ces amendements.

 22   Q.  Très bien. Nous voyons très bien ce qui est dit dans le texte.

 23   M. DJURDJIC : [interprétation] Je demande le versement de ce document.

 24   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le document sera versé au dossier.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D00906.

 26   M. DJURDJIC : [interprétation] Peut-on afficher la pièce

 27   D011-4958.

 28   Q.  C'est l'intercalaire 8 dans votre classeur. Monsieur Jokanovic, ce sera

Page 13163

  1   le numéro 8 pour vous.

  2   R.  Merci. Est-ce que vous souhaitez que je formule un commentaire ?

  3   Q.  Dites-nous ce que nous avons là, de quel document il s'agit.

  4   R.  C'est le journal Politika. A l'époque, le journal le plus lu de Serbie.

  5   Q.  Non, non, non. Il vaut mieux regarder l'écran. Ce n'est pas Politika.

  6   R.  Alors c'est au numéro 9.

  7   Q.  Oui.

  8   R.  Oui, alors ça c'est le journal Rilindja. C'était le journal le plus

  9   important du Kosovo en langue albanaise. En albanais, le titre dit : "La

 10   constitution de la République de Serbie a reçu l'approbation."

 11   Q.  Pouvez-vous nous dire, d'après le journaliste Rilindja, il y a eu

 12   combien de voix ?

 13   R.  Cent quatre-vingt.

 14   M. DJURDJIC : [interprétation] Est-ce qu'on peut afficher la dernière page

 15   du document, s'il vous plaît.

 16   Q.  Vers la fin de la page, qui sont les journalistes ?

 17   R.  Z. Celaj, Y. Baja, R. Rugova, R. Bislimi, M. Gjata, et les reporters B.

 18   Skenderi et I. Bylykbashi.

 19   M. DJURDJIC : [interprétation] Je demande que l'on attribue une cote MFI à

 20   ce document en attendant son versement définitif.

 21   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

 22   M. LE GREFFIER : [interprétation] Le document D011-4658 sera la pièce

 23   D00907 MFI.

 24   M. DJURDJIC : [interprétation] Est-ce que l'on peut afficher à présent la

 25   pièce D011-4962.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Ça, c'est Politika. C'est l'équivalent de

 27   Rilindja, mais qui paraît à Belgrade. C'est l'organe de la Ligue

 28   socialiste, l'un au Kosovo et l'autre à Belgrade. Politika transmet donc

Page 13164

  1   les travaux de l'assemblée et informe du fait que l'assemblée a accepté

  2   l'adoption des modifications de la constitution de Serbie.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation] Est-ce que l'on peut, s'il vous plaît,

  4   redresser le texte un petit peu.

  5   Q.  C'est l'introduction qui m'intéresse. Est-ce que nous avons les

  6   résultats du vote qui s'est déroulé à l'assemblée ici également ?

  7   R.  Oui, tout à fait. Ici, il est dit que sur un ensemble de 187 députés,

  8   dix s'y sont opposés et deux se sont abstenus. Et il est dit que 24 députés

  9   ont pris part au débat.

 10   M. DJURDJIC : [interprétation] Je demande une cote MFI en attendant la

 11   traduction pour ce document.

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, tout à fait.

 13   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D00908, qui a reçu une

 14   cote aux fins d'identification.

 15   M. DJURDJIC : [interprétation] Je vous remercie. Je demanderais à présent

 16   un enregistrement vidéo; 011-5052 est le numéro du document.

 17   [Diffusion de la cassette vidéo]

 18   M. DJURDJIC : [interprétation]

 19   Q.  Monsieur Jokanovic, pouvez-vous nous dire ce que nous avons vu dans cet

 20   extrait très bref ?

 21   R.  Pour commencer, je me suis vu bien plus jeune qu'aujourd'hui. J'ai

 22   annoncé l'adoption des amendements. J'avais belle allure, n'est-ce pas ?

 23   On voit le caractère, pourrait-on dire, solennel de l'assemblée,

 24   l'issue du vote, saluée par les applaudissements de l'auditoire. Les

 25   personnes présentes se lèvent pour saluer l'annonce que je fais.

 26   Q.  Est-ce qu'il y a eu poursuite de travaux par la suite ?

 27   R.  Au bout d'une interruption de 20 minutes, oui. On a continué à

 28   travailler selon les chambres, les trois chambres, et non plus dans la même

Page 13165

  1   composition avec moi en tant que président. Azir Fusuri [phon], le chef du

  2   gouvernement, a pris la parole, et d'autres points à l'ordre du jour ont

  3   été examinés. On a procédé à l'élection et à la nomination d'un certain

  4   nombre de juges, des présidents de tribunaux et des procureurs.

  5   Q.  Je vous remercie.

  6   M. DJURDJIC : [interprétation] Pièce P8 à présent, s'il vous plaît.

  7   Q.  Chez vous ce sera à l'intercalaire 7.

  8   M. DJURDJIC : [interprétation] Au préalable, je demande le versement

  9   de l'extrait vidéo très bref que nous avons vu.

 10   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] En quoi est-ce que cela nous

 11   sera utile, Maître Djurdjic ? Cet extrait est très bref. Il montre une

 12   réunion publique. Le témoin nous a dit de quoi il s'agit. Vous vous avancez

 13   dans un examen très détaillé. C'est ce qui nous déplaît. Nous avons pu voir

 14   quelle est la teneur de cette vidéo. Nous avons vu qu'il y a eu adoption

 15   des amendements et que cette adoption a été saluée.

 16   M. DJURDJIC : [interprétation] Oui, mais il va y avoir des déclarations que

 17   je soumettrai au témoin, et c'est ce que je me propose de faire dans très

 18   peu de temps. Je ne voudrais pas maintenant annoncer trop en détail ce que

 19   j'ai l'intention de faire dans la suite.

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djurdjic, nous n'allons pas

 21   accepter le versement de la vidéo.

 22   M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Q. Monsieur

 23   Jokanovic. Nous avons ici la décision portant adoption des amendements de 9

 24   à 49, amendements à la constitution de la République de Serbie. J'aimerais

 25   parcourir à présent les amendements qui me paraissent les plus importants.

 26   Nous avons déjà évoqué cela dans le cadre de vos réponses précédentes.

 27   M. DJURDJIC : [interprétation] Je demande la page 23 en anglais et 27 en

 28   B/C/S.

Page 13166

  1   Q.  317 devrait figurer en bas à droite chez vous.

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] 27. Oui.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation]

  4   Q.  C'est cela. Veuillez nous livrer brièvement vos observations portant

  5   sur cet amendement.

  6   R.  Cet amendement concerne l'égalité des langues et des alphabets au sein

  7   de la République de Serbie, sur son territoire intégral. Ce qui est

  8   pertinent pour vous, je crois, c'est le dernier alinéa. Là, on garantit

  9   l'égalité des langues et des alphabets, puis au dernier alinéa, je cite :

 10   "Conformément à la constitution de la province, les langues des communautés

 11   ethniques seront toutes mises sur un pied d'égalité. C'est la province qui

 12   assurera l'égalité des langues à l'oral et à l'écrit, conformément à la

 13   constitution de la République, à la constitution de la province, qui en

 14   garantit également."

 15   M. DJURDJIC : [interprétation] Passons à la page 31 en version anglaise,

 16   qui correspond à la page 320 en version B/C/S.

 17   Q.  Indiqué en bas de la page à droite, c'est l'amendement 33 qui nous

 18   intéresse. Les alinéas 3 et 4, j'aimerais entendre vos commentaires.

 19   R.  J'ai déjà abordé ce point essentiel. C'est la question qui concerne la

 20   défense populaire et la base à partir de laquelle les plans visant à la

 21   défense du pays sont élaborés.

 22   Q.  Merci. Qu'en est-il de l'alinéa 4 ?

 23   R.  L'alinéa 4 concerne la défense territoriale, la manière dont dirige la

 24   défense territoriale. Ceci doit être dans l'intérêt de la république dans

 25   sa totalité, et elle existe également au niveau de la province.

 26   M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais que l'on affiche la page 35 en

 27   version anglaise.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Quel est l'amendement qui vous intéresse ?

Page 13167

  1   M. DJURDJIC : [interprétation]

  2   Q.  C'est l'amendement 33. Il figure à la page 321.

  3   R.  321 ou 327 ?

  4   Q.  321. C'est le dernier alinéa juste avant l'amendement 34.

  5   R.  C'est l'amendement 34 ?

  6   Q.  Non, c'est le paragraphe qui le précède.

  7   R.  Cet amendement remplace les parties pertinentes et apportent une

  8   modification aux provisions de l'article 300 qui remplacera l'article 432

  9   de la constitution serbe. Dans cet amendement on précise un certain nombre

 10   de questions qui n'avaient pas été définies précédemment avec précision, et

 11   on établit quelles sont les fonctions de l'Etat.

 12   Q.  Merci.

 13   M. DJURDJIC : [interprétation] Passons maintenant à l'amendement 45 qui se

 14   trouve à la page 48 de la version anglaise.

 15   Q.  Chez vous, c'est la page 326.

 16   R.  Ceci concerne la Cour suprême ?

 17   Q.  Oui.

 18   R.  Vous souhaitez entendre mes observations ?

 19   Q.  Oui.

 20   R.  La Cour suprême du Kosovo continue à fonctionner avec toutes ses

 21   compétences, malgré les amendements, mais on ajoute que la cour suprême

 22   tranche sur des points juridiques où un remède extraordinaire doit être

 23   trouvé. Par ailleurs, il adopte des décisions qui portent sur la peine

 24   capitale en troisième instance.

 25   Q.  Passons à la page 49 en version anglaise. C'est l'amendement 47 qui

 26   nous intéresse.

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djurdjic, le texte concerne la

 28   Cour suprême de la Serbie, or le témoin parlait de la Cour suprême du

Page 13168

  1   Kosovo.

  2   M. DJURDJIC : [interprétation]

  3   Q.  Monsieur le Témoin, veuillez nous dire, quelles sont les décisions

  4   adoptées par la Cour suprême de la Serbie, conformément à cet amendement.

  5   R.  Il est question de la Cour suprême de Serbie. Cet amendement définit

  6   les compétences de la Cour suprême de Serbie. Cette cour tranche sur des

  7   remèdes extraordinaires à prendre conformément au code sur la procédure

  8   pénale de la République de Serbie. Avant ces amendements, tout se terminait

  9   au niveau de la Cour suprême de la Défense, qui représentait la dernière

 10   instance. Mais désormais, pour ce qui est des remèdes juridiques

 11   extraordinaires et pour ce qui est de la peine capitale, c'est la Cour

 12   suprême serbe qui en décide en troisième instance.

 13   Q.  Merci.

 14   M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais que nous passions à la page 49 en

 15   version anglaise.

 16   Q.  C'est l'amendement 47 qui figure à la même page dans votre texte. Très

 17   brièvement, veuillez nous dire, quels sont les points essentiels dans cet

 18   amendement.

 19   R.  L'amendement 47 apporte une modification du droit de veto et il prévoit

 20   une procédure complexe. Si les assemblées de la province ne donnent pas

 21   leur aval, un groupe est formé et la prise de décisions est repoussée pour

 22   une période de six mois. Donc une modification apportée à la constitution

 23   n'est pas appliquée pendant une période de six mois; et si l'aval de la

 24   province n'est pas obtenu, un référendum est organisé au niveau de la

 25   Serbie dans sa totalité. Et cette solution a pour objectif de ne pas

 26   bloquer le droit constitutionnel serbe et le droit de la Serbie d'adopter

 27   sa constitution.

 28   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crains que les interprètes n'aient

Page 13169

  1   pas saisi entièrement cette réponse. Il va falloir reprendre la question et

  2   la réponse, Maître Djurdjic.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation]

  4   Q.  Dans le compte rendu d'audience, je lis les derniers mots consignés. Ce

  5   n'est pas la peine que vous vous penchiez sur le texte. Ecoutez-moi. Donc

  6   les derniers mots consignés : "Si dans un délai de six mois quelque chose

  7   n'est pas fait."

  8   Veuillez reprendre la réponse que vous aviez fournie sur ces points

  9   essentiels. Mais si vous pouvez parler lentement pour qu'on puisse assurer

 10   l'interprétation.

 11   R.  L'essence de cet amendement réside dans le point suivant : il est

 12   important pour la République de Serbie de pouvoir apporter des

 13   modifications à sa constitution sans que le droit de veto s'en mêle. A la

 14   place du droit de veto, cet amendement prévoit une procédure complexe.

 15   L'objectif visé, c'est de trouver un compromis avec les assemblées de la

 16   province. Si les provinces ne donnent pas leur aval, la modification ne

 17   peut pas être adoptée par l'assemblée serbe et ne peut pas être mise en

 18   vigueur. Et si jamais les provinces ne donnent jamais leur aval, alors il

 19   est nécessaire d'organiser un référendum pour que la modification apportée

 20   à la constitution serbe puisse être appliquée en pratique.

 21   Q.  Merci. Suite à cette séance de l'assemblée, l'assemblée du Kosovo a-t-

 22   elle reçu une visite de la part d'une autre délégation ?

 23   R.  Immédiatement après la tenue de cette séance de l'assemblée - je ne me

 24   souviens plus combien de jours se sont écoulés - l'assemblée a reçu une

 25   visite d'une délégation parlementaire du Conseil de l'Europe. Parmi les

 26   sujets discutés figuraient la situation au Kosovo et les modifications

 27   apportées à la constitution.

 28   J'ai informé la délégation de la situation prévalente au Kosovo et de

Page 13170

  1   la teneur de la séance de l'assemblée du Kosovo. Je leur ai présenté la

  2   quintessence des modifications apportées à la constitution.

  3   Les discussions que nous avons eues se sont déroulées d'une manière

  4   positive et dans une ambiance agréable et amicale.

  5   Q.  Merci. Des objections ont-elles été soulevées quant à la manière dont

  6   s'est déroulée la séance de l'assemblée lors de laquelle les modifications

  7   à la constitution ont été adoptées ?

  8   R.  Cette délégation parlementaire n'a soulevé aucune objection. Une fois

  9   nos discussions terminées, la délégation a souhaité rencontrer M. Rugova et

 10   M. Djosaj [phon], ainsi que quelques autres personnalités. J'ai donné mon

 11   aval et j'ai promis de les inviter dans les locaux de l'assemblée pour

 12   qu'un débat puisse être organisé.

 13   Toutefois, un membre de la délégation a contacté une personne

 14   compétente par téléphone en me disant qu'il me rappellera plus tard; et le

 15   lendemain, j'ai appris qu'un entretien avec M. Rugova et quelques autres

 16   hommes politiques de l'époque s'était déroulé dans une chambre d'hôtel, à

 17   l'hôtel Grand.

 18   Q.  A-t-il été question de la possibilité de ne pas adopter ces amendements

 19   ?

 20   R.  Lorsque la délégation parlementaire est partie pour Belgrade pour

 21   rencontrer le président du conseil exécutif fédéral, M. Ante Markovic, M.

 22   Markovic m'a demandé que tous les députés qui ont voté contre l'adoption se

 23   rencontrent avec la délégation. Alors, j'ai souhaité que la délégation se

 24   fasse une bonne idée de ce qui s'est passé et j'ai proposé d'y aller moi-

 25   même. Mais il m'a expliqué que ce n'était pas moi qui décidais de la

 26   politique d'Etat, mais que c'était lui.

 27   Il a envoyé un avion de Belgrade à Pristina, et tous les députés qui

 28   avaient voté contre se sont embarqués dans cet avion, se sont rendus à

Page 13171

  1   Belgrade et ont eu des entretiens avec la délégation parlementaire du

  2   Conseil de l'Europe.

  3   Q.  Merci. Il existe aussi un autre point qui m'intéresse. L'assemblée du

  4   Kosovo a-t-elle également adopté des amendements qui concernaient la

  5   constitution du Kosovo ?

  6   R.  Au mois de juin ou au mois de juillet, une fois adoptés ces amendements

  7   à la constitution serbe, l'assemblée du Kosovo a adopté des amendements à

  8   la constitution du Kosovo, de façon à harmoniser la constitution du Kosovo

  9   avec la constitution serbe. Il fallait également harmoniser le texte de la

 10   constitution avec la constitution fédérale. Il s'agissait des amendements

 11   qui avaient été adoptés au préalable et qui concernaient l'autogestion et

 12   le développement social.

 13   Q.  Merci. Des tensions politiques se sont-elles fait sentir lorsque ces

 14   amendements à la constitution du Kosovo ont été adoptés ?

 15   R.  Non. Je n'ai relevé aucune tension. La séance de l'assemblée s'est

 16   déroulée normalement, et les amendements ont été adoptés d'une manière

 17   unanime au sein de l'assemblée du Kosovo.

 18   Q.  Merci.

 19   M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais que l'on affiche le compte rendu

 20   d'audience dans ce procès, page 248, s'il vous plaît.

 21   Q.  Monsieur, il s'agit du 28 janvier 2009. Donc c'est la page 248 qui sera

 22   affichée à l'écran dans quelques instants.

 23   Q.  Je vous donnerai lecture d'un extrait de la déposition faite par le

 24   Témoin Surroi.

 25   "Question : Au mois de mars 1988, a-t-on voté en faveur des modifications

 26   proposées à l'assemblée ?

 27   "Réponse : C'est la manière dont ils en formulaient. Ils ont voté pour ces

 28   amendements, mais la décision n'a pas été mise en œuvre, parce que les

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  1   locaux du parlement avaient été entourés par des chars. D'immenses

  2   pressions ont été exercées sur des députés, puis par ailleurs dans la salle

  3   il y avait des personnes qui ont voté qui n'étaient pas des députés de

  4   l'assemblée du Kosovo."

  5   Alors, la première question que je souhaite vous poser est la

  6   suivante : des véhicules blindés, entouraient-ils l'assemblée du Kosovo au

  7   moment où cette séance de l'assemblée s'est tenue le 23 mars 1989 ?

  8   R.  Il n'y a pas eu de véhicules blindés autour de l'assemblée.

  9   Q.  Dites-moi, des pressions ont-elles été exercées sur les députés quant à

 10   la manière dont ils devaient s'exprimer et se prononcer ?

 11   R.  Aucune pression n'a été exercée sur les députés. Les députés se

 12   consultaient avec leurs délégations et votaient en fonction de leur

 13   conscience pour ou contre.

 14   Q.  Est-ce que des personnes qui n'étaient pas membres de l'assemblée ont

 15   participé aux débats ?

 16   R.  Mais c'est impossible. Il était impossible pour les personnes qui ne

 17   faisaient pas partie des députés de l'assemblée de voter. Il y avait un

 18   certain nombre de personnes invitées, mais ces personnes n'ont pas voté.

 19   Q.  Nous avons vu qu'un grand nombre de journalistes a assisté à cette

 20   séance. Avez-vous pu voir à n'importe quel moment des véhicules blindés qui

 21   auraient été filmés autour de l'assemblée le jour du vote ?

 22   R.  S'il y avait eu des véhicules blindés, comme de nombreux journalistes

 23   se trouvaient sur place, quelques-uns parmi eux auraient certainement

 24   enregistré le fait. Ceci aurait été particulièrement intéressant pour les

 25   médias étrangers, parce que je vous signale que les journalistes s'étaient

 26   réunis de l'étranger et du territoire de la République yougoslave dans sa

 27   totalité.

 28   M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais maintenant qu'on affiche le

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  1   compte rendu d'audience du 13 mars 2009, page 2 201.

  2   Q.  C'est le témoin Adnan Jadan [phon] qui témoigne. A la ligne 4, il

  3   déclare, et je cite :

  4   "Les amendements à la constitution ont été imposés par force malgré

  5   la volonté du peuple et le public général qui s'opposait à ces amendements.

  6   Le régime a toutefois mis en œuvre cette mesure pour détruire toutes les

  7   institutions de l'échelon plus bas au niveau plus haut, y compris le

  8   système de l'éducation et le système de la protection de santé, la police,

  9   la législation, et de façon générale toute la société au Kosovo." Pourriez-

 10   vous commenter ce passage ?

 11   R.  Je pense que cette déclaration est fausse. Ces amendements ne

 12   concernent que les points que j'ai déjà abordés.

 13   Q.  Merci.

 14   M. DJURDJIC : [interprétation] Page du compte rendu d'audience dans le

 15   présent procès 18 juin 2009, page 6 250. Il s'agit d'un extrait d'une

 16   déposition faite par le témoin Haxhiu Baton. Aux lignes 1 à 3, il déclare,

 17   je cite :

 18   "Le problème a été déclenché lors des modifications apportées à la

 19   constitution en 1989. Les plus grands problèmes du Kosovo datent du 23 mars

 20   1989, date où la constitution a été modifiée."

 21   Q.  Monsieur Jokanovic, une fois modifiée la constitution, l'autonomie du

 22   Kosovo a-t-elle continué de fonctionner de la même manière ? Les instances

 23   de la province autonome ont-elles été éliminées ? Ont-elles disparu ?

 24   R.  Une fois adoptés, des amendements à la constitution du Kosovo ont été

 25   adoptés. Puis M. Suponji Reza [phon] a été élu président, et j'ai été réélu

 26   encore une fois pour exercer les fonctions du président de l'assemblée.

 27   J'ai remercié l'assemblée d'avoir coopéré avec moi et d'avoir obtenu des

 28   résultats enviables. Puis vers la fin de l'année, au mois de décembre de

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  1   l'année 1989, les élections ont été organisées.

  2   Q.  Merci.

  3   M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais qu'on présente la pièce P286.

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Djurdjic, nous n'avons plus de

  5   temps. Je ne pense pas qu'il faut se pencher sur un autre document. Il est

  6   nécessaire de lever la séance.

  7   Nous poursuivrons nos travaux après le week-end, lundi.

  8   L'huissier vous accompagnera de la salle d'audience. Lundi, nous siégeons à

  9   14 heures 15.

 10   Nous levons la séance.

 11   [Le témoin quitte la barre] 

 12   --- L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le lundi 22 mars

 13   2010, à 14 heures 15.

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