Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL IT-95-13a-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3 Lundi 19 janvier 1998

4 Le Procureur

5 c/

6 Dokmanovic

7 L’audience est suspendue à 1O heures 45 et reprise à 11 heures 05

8 M. le Président (interprétation). - La Chambre de première instance rend

9 la décision suivante : la Chambre de première instance déclare

10 premièrement, que le témoin-expert Professeur Mark Willer* sera cité à

11 comparaître, bien que la Défense n'aie reçu sa déclaration préliminaire

12 qu'en anglais et ce, deux à trois jours seulement avant sa comparution.

13 Ceci lui a donné suffisamment de temps pour préparer cette comparution.

14 Deuxièmement, le témoin Professeur Jan Schou sera cité à comparaître. Tout

15 d'abord, il a déclaré au cours de l'audience tenue au titre de

16 l'article 61... De plus la Chambre de première instance a décidé dans

17 l'affaire Celebici, le 25 septembre 1996, que tous les éléments de preuve

18 doivent être communiqués entre les parties et je cite "Tous ces éléments

19 doivent être dans la langue d'origine du document, si c'est la langue de

20 l'accusé ou bien dans l'une des langues de travail du Tribunal " et

21 « Toute traduction souhaitée devra être réalisée par la partie qui la

22 souhaite », traduction non officielle.

23 Troisièmement, les témoins Borislav Magovac et Marinko Vladic seront cités

24 à comparaître, sous réserve de toute réserve future, quant à

25 l'admissibilité de leurs témoignages. C'est donc la décision de la Chambre

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1 de première instance.

2 Je déclare maintenant que nous devrions passer en audience publique et

3 entendre les arguments du Procureur, sa déclaration liminaire,. Je me

4 demande si.... Nous nous retrouverons à 11 h 15.

5 La séance, suspendue à 11 heures 10, est reprise à 11 heures 20.

6 M. Fila (interprétation). – Madame et Messieurs les Juges, je m'appelle

7 Maître Fila. Avec mes collègues, Maîtres Petrovic et Lopicic, je défends

8 M. Dokmanovic dans ce procès.

9 M. le Président (interprétation). - Merci. Nous pouvons donc commencer

10 avec la déclaration liminaire du Procureur.

11 M. Niemann (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges, il s'agit

12 d'une affaire qui porte sur des événements qui ont débuté à l'hôpital de

13 Vukovar, le 20 novembre 1991. C'est une affaire qui implique 200 Croates

14 et autres personnes non Serbes. La plupart d'entre elles étaient des

15 patients de cet hôpital. Ces personnes ont été extirpées de leur lit, le

16 20 novembre 1991 au matin, ont été transportées à des casernes militaires

17 à Vukovar et, par la suite, dans l’après-midi, ont été à nouveau

18 transférées vers un complexe agricole, celui d'Ovcara. C'est une affaire

19 dans laquelle nombre des patients de l'hôpital ont été gravement frappés

20 et les passages à tabac étaient si graves que deux de ces personnes sont

21 mortes. C'est une affaire dans laquelle, après ces passages à tabac

22 abjects et après que certains ont été séparés du groupe, le reste des

23 personnes constituant ce groupe ont été transportées à un endroit très

24 proche où, au cours de la soirée et de la nuit, elles ont été sommairement

25 exécutées et enterrées dans un charnier.

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1 Il s'agit de l'affaire Slavko Dokmanovic, Président de la municipalité de

2 Vukovar, qui a participé activement à ces événements qui ont mené à la

3 mort de ces victimes innocentes. Etant donné cette participation,

4 Slavko Dokmanovic est accusé de violation des lois et coutumes de la

5 guerre, d'infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et de crime

6 contre l'humanité.

7 L'accusé n'est pas la seule personne responsable de ces actes terribles.

8 Il a agi de son plein gré et de concert avec d'autres, notamment avec

9 MM. Mrksic, Miroslav Radic et Veslin Slijvancanin. Ces participants à ces

10 crimes ne sont pas moins

11 coupables que l'accusé lui-même. Au cours de ce procès, Madame et

12 Messieurs les Juges, vous entendrez sans doute ces noms qui seront

13 mentionnés de temps en temps.

14 Les événements qui justifient ce procès faisaient partie d'une attaque à

15 grande échelle généralisée et systématique contre les résidents non Serbes

16 de la municipalité de Vukovar. Toutes les différentes étapes, qui ont mené

17 à l'existence de ce charnier d'Ovcara et qui ont culminé dans l’existence

18 de ce charnier, s’insèrent dans le cadre d'une action bien orchestrée et

19 continue dans le temps. Les actes qui sont dénoncés dans l'acte

20 d'accusation sont des actes et des omissions intentionnels commis par

21 l'accusé qui était l'autorité civile -la plus haute autorité serbe de la

22 municipalité de Vukovar-, qui impliquent également les conspirateurs, ses

23 associés qui commandaient les institutions militaires et paramilitaires.

24 Il n'y a pas de justification à ces crimes. L'activité criminelle qui

25 sous-tend ces délits a été réalisée à une telle échelle que cela choque la

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1 conscience de l'humanité. C'est la haine basée sur le préjugé et

2 l'intolérance qui a été à l'origine de ces meurtres. Le fondement de cette

3 sélection et de l'exécution de ces captifs qui a suivi était national,

4 ethnique, religieux et politique. Les victimes ont été sélectionnées par

5 leurs bourreaux pour être tuées parce qu'elles n'appartenaient pas à leur

6 groupe ethnique. Ces victimes innocentes n'étaient pas des victimes de

7 guerre tuées au cours d'un conflit armé, mais nombre d'entre elles étaient

8 des civils et des non-combattants qui ont été transférés de leur lit

9 d'hôpital, extirpés de leur lit, et qui ont été massacrés.

10 L'Accusation estime que l'accusé est individuellement responsable des

11 crimes qui lui sont imputés dans l'acte d'accusation en vertu de

12 l'article 7, paragraphe 1 du statut du Tribunal. La responsabilité pénale

13 individuelle existe lorsqu'une personne a commis, planifié, incité à

14 commettre, ordonné ou, de toute autre manière, aidé et encouragé à

15 planifier, préparer ou exécuter tous crimes visés par les articles 2 à 5

16 du statut du

17 Tribunal. Cependant, la responsabilité pénale de l'accusé pour les crimes

18 commis le 20 novembre 1991 à Ovcara et dans ses environs ne se fonde pas

19 seulement sur sa participation directe et active, mais se fonde également

20 sur la fonction qu'il occupait à l'époque, une fonction d'autorité et, à

21 cet égard, les éléments de preuve montrent, non pas une participation

22 directe, mais un manquement à son obligation de prévenir, de mettre un

23 terme à ces crimes ou d’en punir les auteurs. Ce dernier principe de la

24 responsabilité individuelle pour omission est donc, depuis longtemps,

25 reconnu par le droit pénal international et repris par l'article 7,

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1 paragraphe 3, du statut du Tribunal.

2 Si vous me le permettez, je voudrais brièvement parler de l'accusé lui-

3 même.

4 Madame et Messieurs les Juges, l'accusé, Slavko Dokmanovic, est né le

5 14 décembre 1949, à Trpinja, en République de Croatie ; République qui

6 constitue, à l'époque, une partie de la République socialiste fédérative

7 de Yougoslavie. Il a obtenu un diplôme à la faculté d'agriculture à Osjek

8 qui se trouve aussi en Croatie. Il déclare actuellement être citoyen de la

9 Croatie et avoir le statut de réfugié au sein de la République fédérale de

10 Yougoslavie. Il est Serbe de nationalité.

11 Avant d'entrer sur la scène politique, l'accusé a travaillé pendant

12 presque huit ans en tant qu'expert agricole au complexe agricole d'Ovcara,

13 le même lieu où ces événements tragiques ont eu lieu. En tant que tel, il

14 est devenu expert de la géographie et de la topographie des lieux autour

15 d'Ovcara.

16 Au cours des premières élections multipartites en 1990, l’accusé,

17 Dokmanovic est entré sur la scène politique et a été élu à l'assemblée

18 municipale de Vukovar en tant que membre du Parti pour

19 le Changement Démocratique. Par la suite, Dokmanovic a été élu Président

20 de l'assemblée municipale. En tant que tel, il a assuré les fonctions

21 exécutives de l'assemblée municipale, et il a également agi en tant que la

22 plus haute autorité de l'exécutif de la municipalité. Il a occupé cette

23 fonction de juin 1990 à

24 juin 1991. A l'époque, invoquant des craintes pour sa vie, il a refusé de

25 continuer à se rendre à Vukovar et, par conséquent, les autorités Croates

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1 ont nommé un remplaçant.

2 Au cours de la période pendant laquelle les forces serbes ont assiégé

3 Vukovar, l'accusé Dokmanovic est pourtant resté actif sur la scène

4 politique locale. Et il semblait être, pour de nombreux Serbes, le

5 Président légitime de l'Assemblée Municipale.

6 Après la chute de la ville de Vukovar aux mains de la JNA, l'accusé

7 Dokmanovic a repris sa fonction de Président de la municipalité pour une

8 courte période. Il est ensuite entré dans le gouvernement de la région

9 autonome serbe rebelle. En 1994, il a repris sa fonction de Président de

10 l'assemblée municipale de Vukovar, poste qu'il a occupé jusqu'en

11 avril 1996.

12 Madame et Messieurs les Juges, la ville de Vukovar se trouve dans la

13 région de la Slavonie Orientale en Croatie sur les rives du Danube. Le

14 Danube représente à cet endroit la frontière entre la République de Serbie

15 et la République de Croatie. La ville s’étend des deux côtés de la rivière

16 Voca*** qui rejoint le Danube au nord du centre-ville. Au sud-est, de

17 Vukovar

18 Vukovar le terrain présente une topographie de collines et de promontoires

19 le long du Danube. Au nord de la rivière Vuka, le terrain est plus plat,

20 nivelé, comme au sud et à l'ouest. La zone est principalement une zone

21 agricole et la plupart des terrains sont cultivés. Il y a peu de zones

22 boisées.

23 Pour vous aider, Madame et Messieurs les Juges, nous avons certaines

24 cartes à votre disposition et nous voudrions vous les montrer, si vous

25 nous le permettez, en utilisant l'écran, afin de vous indiquer certains

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1 des lieux dont nous avons parlé. Avec l'aide de la cabine technique, je

2 voudrais demander que la première carte soit présentée, c'est-à-dire la

3 carte B1/1.

4 Voici la carte qui représente la zone de l'ouest des Balkans. Il s'agit

5 d'une

6 carte à petite échelle, et il n'est pas facile de voir des endroits

7 spécifiques sur l'écran. Mais vous voyez peut-être qu'il y a une ligne

8 rouge ou des lignes rouges qui représentent les frontières entre les

9 différentes républiques : la Bosnie, la Croatie, la Serbie, la Slovénie,

10 etc.

11 La carte B1/2 est plus précise. Si vous souhaitez y jeter un coup

12 d'oeil... C'est une carte beaucoup plus claire, et je crois que vous

13 voyez, dans la zone violette, vers le haut, que la ville de Vukovar y

14 figure. On y voit le nom de Vukovar.

15 Peut-être pourrions-nous maintenant passer à la carte B1/3. Il s'agit là

16 d'une carte à grande échelle, qui montre la municipalité de Vukovar. Vous

17 comprendrez, Madame et Messieurs les Juges, que les municipalités sont

18 baptisées selon le nom de la ville la plus grande qu'elles abritent. C'est

19 une règle qui s'applique dans toute l'ex-Yougoslavie.

20 Je voudrais maintenant que nous passions à la carte B1/4. Il s'agit d'un

21 agrandissement, en quelque sorte, de la carte que nous venons juste de

22 voir. Vous voyez clairement sur cette carte la ville de Vukovar. Je peux

23 demander aux techniciens de nous souligner ce nom, et parce que ces

24 événements sont tellement liés avec le complexe agricole d'Ovcara. Je

25 voudrais demander au technicien s'il peut également marquer le nom

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1 d'Ovcara.

2 Vous voyez maintenant le trait qui vous donne une idée de la distance

3 entre Vukovar et Ovcara. Je vous remercie. Dans le recensement de 1991, la

4 population de la municipalité de Vukovar s'élevait à 84 189 habitants,

5 parmi lesquels 36 910 étaient croates, à savoir 43,8 %, 31 445 étaient

6 serbes, c'est-à-dire 37,4 %, 1 375 étaient hongrois, c'est-à-dire 1,6 %,

7 6 124 étaient yougoslaves, soit 7,3 %, et 8.335 étaient classifiés comme

8 "autres" et constituaient à l'époque 9,9 %.

9 Au cours de la deuxième guerre mondiale, les environs de Vukovar étaient

10 relativement paisibles. La ville semblait avoir échappé au nombre de

11 petites luttes ethniques intestines qu'on pouvait observer dans les autres

12 zones de la Yougoslavie. Après la guerre cependant, la population

13 allemande, qui représentait un groupe important, a été expulsée de la

14 région par le gouvernement de Tito et ceci a amené d'autres personnes

15 d'autres parties de la Yougoslavie à investir la région.

16 Nombre de nouveaux colons ont été envoyés de force en Slavonie orientale,

17 mais apparemment la plupart d'entre eux sont venus de leur plein gré des

18 régions pauvres de la Krajina. C'étaient principalement des Serbes de

19 Herzégovine et les personnes venant de Herzégovine étaient principalement

20 des Croates. Ces personnes étaient attirées par les terres agricoles

21 riches qui caractérisaient la région.

22 En 1991, les événements qui nous intéressent ont eu lieu et à l'époque,

23 Vukovar était une ville prospère de Croatie, grâce notamment à sa

24 position, à sa fonction de centre fournissant des biens et services, aux

25 différentes zones rurales locales. Elle était connue comme étant la région

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1 la plus riche au point de vue agricole de toute l'ex-Yougoslavie,

2 l'économie de la région était également prospère, grâce à des réserves

3 naturelles de pétrole et de gaz naturel et également grâce à la grande

4 usine de Borovo qui employait des milliers de personnes et qui fabriquait

5 des chaussures et des objets à base de cuir et de caoutchouc.

6 Je voudrais prendre quelques instants pour vous montrer une cassette

7 courte qui vous montrera l'apparence de la ville de Vukovar avant le

8 siège. Je voudrais maintenant demander aux techniciens de passer cette

9 vidéo, c'est-à-dire les séquences 1, 2 et 3.

10 (Projection de la vidéo)

11 La plupart de ces scènes ont été filmées au début de l'année 1991.

12 Peut-être les techniciens pourraient-ils avancer jusqu'à la séquence

13 finale...

14 Séquence n° 3... Si cela peut être fait rapidement, très bien, sinon nous

15 continuons. (Projection).

16 Il s'agit, Madame et Messieurs les Juges, des environs de Vukovar, de la

17 terre agricole de Vukovar. Je vous remercie. Je crois que cela est

18 suffisant. Madame et Messieurs les Juges, les tensions ethniques dans la

19 région de Vukovar se sont manifestées pour la première fois au début de

20 1991. L'atmosphère de tension a été exacerbée par des radicaux des

21 extrémistes serbes et croates qui se sont rendus dans cette zone et qui se

22 disaient en faveur de réponse violente aux provocations de la partie

23 adverse.

24 Dans les deux camps, l'arrivée d'ultra-nationalistes mieux armés et en

25 nombre supérieur a amené à une détérioration de la situation. Un incident,

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1 le 2 mai 1991, lorsque douze policiers ou soldats croates ont été tués par

2 balle dans le village environnant de Borovo Selo, a marqué le début du

3 glissement vers le conflit armé dans la région. A partir de cet incident,

4 il y a eu des échanges de coup de feu entre les Serbes et les Croates, de

5 plus en plus souvent.

6 Après le référendum du 19 mai 1991, la République de Croatie à décidé de

7 quitter la fédération socialiste de Yougoslavie. Elle a donc déclaré son

8 indépendance le 25 juin 1991, mais sur incidence de la communauté

9 européenne, la date effective de l'indépendance a été repoussée à trois

10 mois plus tard, c'est-à-dire le 8 octobre 1991.

11 La transition de la Croatie, qui passait de l'Etat de République au sein

12 de la Fédération socialiste de la Yougoslavie à celui d’Etat indépendant,

13 ne s'est pas faite sans heurts et sans conflits.

14 En août 1991, après avoir attaqué certains des villages environnants, la

15 JNA a assiégé la ville de Vukovar. Le 25 août 1991, la JNA a lancé une

16 attaque généralisée sur Vukovar. Les forces aériennes, navales et

17 terrestres, ont toutes été utilisées pour mener à bien cette attaque

18 coordonnée. La bataille de Vukovar a duré près de trois mois. Elle a

19 causé des dégâts importants à la ville et a entraîné la mort de plusieurs

20 centaines de personnes. Vukovar est finalement tombée le 18 novembre 1991.

21 La JNA et les forces paramilitaires serbes ont alors occupé ce qui restait

22 de la ville. Les quelques combattants Croates qui restaient se sont

23 rendus, mêmes si un nombre important d'entre eux ont été tués sur-le-champ

24 ou exécutés peu de temps après.

25 Nous allons maintenant vous montrer certaines scènes qui nous montrent ce

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1 qui s'est passé pendant cette bataille à Vukovar et ce qui s'est passé

2 suite à cette bataille. J'aimerais que les séquences 4 et 5 soient

3 diffusées à l'écran, s'il vous plaît.

4 Madame et Messieurs les Juges, ces segments ont trait au siège de Vukovar

5 et à ses conséquences.

6 (Projection)

7 M. Niemann (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges, au moment de

8 la chute de Vukovar, la JNA avait rassemblé plus de 30 000 hommes dans la

9 région de Vukovar. Un nombre important de troupes irrégulières serbes

10 avaient rejoint ces forces de la JNA. Ces troupes irrégulières provenaient

11 d'unités de défenses territoriales ou bien étaient des volontaires

12 d'unités paramilitaires qui étaient arrivés en masse dans la région depuis

13 la Serbie, le Monténégro et les régions serbes de Croatie.

14 L'unité de la JNA, principalement responsable de l'attaque, et de

15 l'occupation qui s’ensuivit, de la ville de Vukovar, était la brigade des

16 gardes basée à Belgrade. Cette unité était placée sous les ordres du

17 capitaine Mile Mrksic. C'est le Major Sljivancanin qui devait répondre à

18 son supérieur, le colonel Mrksic. Sljivancanin avait le commandement

19 opérationnel direct de la force de la JNA dans les environs immédiats de

20 la ville. Le Major Sljivancanin était l'officier de sécurité pour la

21 brigade des gardes. Il commandait également un bataillon de police

22 militaire qui était une des parties intégrantes de cette brigade.

23 L’autre unité de la brigade ayant pris un rôle actif au siège et à

24 l'occupation de la ville était une unité spéciale d'infanterie commandée

25 par le capitaine Miroslav Mladic, un associé du major Sljivancanin.

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1 Madame et Messieurs les Juges, l'hôpital de Vukovar se trouve au centre

2 même de la ville. Il était très clair qu'il s'agissait là d'un hôpital.

3 Sur son toit, on pouvait voir une grande croix rouge, et il y avait, dans

4 la cour de l'hôpital, une grande croix rouge en tissu. Mais, au lieu

5 d'être épargné par les pilonnages et les bombardements, et notamment par

6 les bombardements aériens, l'hôpital a fait l'objet d'attaques constantes.

7 Indépendamment du pilonnage continu qui s'est poursuivi pendant toute la

8 durée du siège, l'hôpital de Vukovar continue à fonctionner. Les médecins

9 et le directeur de l'hôpital, le Docteur Bosanic*, qui d'ailleurs

10 témoignera devant ce Tribunal, ont réussi à maintenir le contact avec le

11 monde extérieur et avec les organisations internationales pendant cette

12 période.

13 Le Docteur Bosanic* a participé à la mise en place d'un plan d'évacuation

14 des malades et des blessés, plan établi sous l'égide de l'E.C.M.M., la

15 mission d'observation de la Communauté Européenne, et sous l'égide du

16 Comité International de la Croix-Rouge, le C.I.C.R. Nous disposons de

17 certaines séquences de vidéo très courtes de cette évacuation qui a été

18 organisée par le Docteur Bosanic*. Nous allons maintenant, si vous le

19 permettez, les diffuser à l'écran. Il s'agit des séquences 6, 7 et 8.

20 (Projection)

21 La première séquence montre l'hôpital et, par la suite, on peut voir

22 l'évacuation elle-même...

23 ...Je pensais que d'autres segments allaient être diffusés mais peut-être

24 me suis-je trompé.

25 Au moment où la ville s'est rendue, nombre de Croates et de Serbes, qui

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1 s'étaient retrouvés bloqués à Vukovar du fait du siège de la JNA,

2 s'étaient rassemblés à l'hôpital de Vukovar. Des centaines de personnes

3 s'étaient rassemblées à l'hôpital pensant que l'hôpital serait évacué en

4 présence d'observateurs internationaux neutres. Outre les blessés et les

5 malades, des civils, des familles, des membres du personnel de l'hôpital

6 et des soldats, qui avaient assuré la défense de la ville -certains

7 d'ailleurs se faisant passer pour des malades ou des membres du personnel

8 de l'hôpital-, se sont réunis à l'hôpital et dans la cour de l'hôpital.

9 Je crois que nous avons également des segments qui nous montrent ce qui

10 s'est passé. Pouvons-nous les diffuser, s'il vous plaît ?

11 (Projection)

12 Je vous remercie. Je crois que nous pouvons nous arrêter là.

13 Le 18 novembre 1991, des représentants de la République de Croatie, de la

14 JNA, du C.I.C.R. et d'autres organisations humanitaires internationales,

15 ont conclut un accord prévoyant de mettre en place un convoi permettant

16 l'évacuation des malades et des blessés de l'hôpital de Vukovar. Une

17 clause de l'accord était la mise en place d'un cessez-le-feu pendant toute

18 la période d'évacuation, ainsi qu'un accord visant à fournir des véhicules

19 adéquats, une reconnaissance de la neutralité de l'hôpital de Vukovar

20 pendant toute la période d'évacuation, et la mise de l'hôpital sous la

21 protection du C.I.C.R. Cet accord a été suivi par la rédaction d'un

22 mémorandum d'accord plus détaillé dans lequel les signataires déclaraient

23 que tous les combattants blessés et malades seraient traités conformément

24 à la convention de Genève 1 et 2, que tous les combattants faits

25 prisonniers seraient traités en conformité avec la convention de Genève 3

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1 et, enfin, que tous les civils seraient traités conformément aux articles

2 70 à 149 de la convention de Genève 4, y compris les dispositions

3 relatives aux infractions graves de l'article 147.

4 Au cours de l'après-midi du 19 novembre 1991, le Major

5 Veselin Sljivancanin

6 est entré dans l'hôpital, accompagné de ces unités de la JNA, et a pris le

7 contrôle du lieu.

8 Aux premières heures du matin suivant, le 20 novembre 1991, le

9 Major Sljivancanin a donné l'ordre aux infirmières et aux docteurs de

10 l'hôpital de se rassembler pour une réunion qui se tenait dans la cave de

11 l'hôpital. Pendant ce temps, sur les ordres émis par le

12 Major Sljivancanin, une liste de toutes les personnes présentes dans

13 l'hôpital avait été établie. Au cours de la réunion réunissant les membres

14 du personnel médical, la JNA et les soldats paramilitaires serbes ont

15 séparé les hommes des femmes.

16 A la fin de la réunion réunissant le personnel médical et le Major

17 Sljivancanin, les soldats avaient emmené hors de l'hôpital tous les hommes

18 qui s'y trouvaient, en se basant sur la liste qui avait été établie

19 précédemment. Parmi les personnes emmenées hors de l'hôpital, se

20 trouvaient des patients malades et blessés, des membres du personnel de

21 l'hôpital, des soldats qui avaient assuré la défense de la ville, des

22 hommes politiques croates et d'autres civils. On n'avait pas tenu compte

23 du fait que la majorité des hommes étaient des hommes malades ou blessés

24 et que nombre d'entre eux portaient des drains sur leurs blessures, des

25 plâtres ou d'autres équipements médicaux. Les soldats ont fait monter

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1 environ 300 de ces hommes dans cinq ou six bus civils, et ont assuré la

2 garde de ces bus. Au cours, de la matinée, les bus ont quitté l'hôpital,

3 ont traversé le centre de Vukovar pour atteindre les casernes de la JAN

4 qui se trouvaient du côté sud de la ville. Les hommes ont été maintenus à

5 l'intérieur des bus aux casernes et ce, pendant deux heures environ.

6 Au cours de cette période, quinze hommes au moins ont été emmenés hors des

7 bus, apparemment parce que ces hommes faisaient, en fait, partie du

8 personnel de l'hôpital ou bien faisaient partie de la famille des membres

9 du personnel de l'hôpital. Les hommes qui ont dû rester à bord des bus ont

10 été injuriés et menacés. Les survivants de ce voyage en bus viendront

11 témoigner devant les Juges de ce Tribunal.

12 Vers midi ou peu de temps après, les hommes qui sont demeurés dans les bus

13 ont été emmenés à un bâtiment qui se trouvait sur le complexe agricole

14 d’Ovcara à 4 km environ au sud-est de Vukovar.

15 Madame et Messieurs les Juges -et nous en avons fait part à la Défense-,

16 nous avons préparé une séquence vidéo très brève qui nous indique quel a

17 été le chemin emprunté par les bus, depuis l'hôpital jusqu'aux casernes de

18 la JNA, puis des casernes de la JNA au hangar d'Ovcara. Il s'agit des

19 séquences 9 et 10. Pouvons-nous les diffuser à l'écran, s'il vous plaît ?

20 (Projection)

21 ...Cette indication nous montre l'emplacement des casernes de la JNA...

22 Madame et Messieurs les Juges, les bus sont ensuite partis des casernes de

23 la JNA pour atteindre le complexe agricole d'Ovcara et les bus se sont

24 arrêtés à proximité d'un hangar.

25 (Autre projection)

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1 M. Niemann (interprétation). - Nous sommes en train de voir, à présent, la

2 courte distance qui sépare le hangar du charnier.

3 Donc, comme je le disais, une fois sur place, la JNA et les soldats

4 paramilitaires serbes ont fait descendre les hommes des bus et les ont

5 obligés à courir entre deux rangées de soldats pour atteindre l'entrée du

6 hangar. Alors qu'ils passaient entre ces soldats, les hommes étaient

7 violemment battus. Une fois à l'intérieur du hangar, les hommes ont reçu

8 l'ordre de faire face au mur ou de s'asseoir sur le sol. Nos éléments de

9 preuve montreront que tout ceci n'était, en fait, qu'un prélude à des

10 scènes de cruauté et de brutalité qui défient l'imagination.

11 Les hommes ont été battus pendant des heures d'affilée. Ceci se passait de

12 façon systématique. Les membres de la JNA ou des soldats paramilitaires

13 entraient dans le hangar et commençaient à frapper, avec leurs poings ou

14 avec leurs pieds, les personnes qui

15 se trouvaient à l'intérieur. Ces hommes, qui frappaient les prisonniers,

16 fatiguaient après un moment, puis étaient remplacés par d'autres qui

17 continuaient les coups répétés avec une nouvelle énergie. Nous montrerons

18 qu’au moins deux de ces hommes qui ont été frappés n’ont pas survécu à

19 leurs blessures.

20 L'accusé était présent lors de ces passages à tabac et ce, pendant une

21 période de temps prolongée. Nous montrerons également qu’il faisait les

22 cent pas dans le hangar et qu'il occupait une position d'autorité.

23 Dokmanovic a également désigné certains individus qui ont été frappés avec

24 encore plus de violence.

25 Quelque sept hommes ont été libérés après que des Serbes soient intervenus

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1 en leur nom. Ces hommes ont été emmenés hors du hangar à l'intérieur

2 duquel se passaient ces passages à tabac, et ont été regroupés à

3 l'extérieur du bâtiment. Par la suite, ils ont été remmenés à Vukovar.

4 L'accusation fera appel au témoignage de l'un de ces survivants qui

5 témoignera que l'un des soldats qui est intervenu en son nom savait que

6 ceux qui restaient à Ovcara allaient être tués.

7 L'accusé Dokmanovic était présent lorsque ces hommes ont été sauvés. Il

8 était également présent lors des préparatifs de l'exécution. Il

9 manifestait quel était le sort réservé au prisonnier. Il était présent

10 durant toutes ces préparations qui visaient également à creuser la fosse

11 commune.

12 L'accusation présentera des moyens de preuve qui montreront toutes les

13 étapes franchies pour construire cette fosse commune. Par la suite, des

14 informations permettant d'identifier chaque homme ont été établies. Puis

15 les hommes ont été divisés par groupe de 10 à 20 personnes.

16 Chaque groupe a dû, ensuite, monter dans un camion. Le camion a quitté le

17 bâtiment de la ferme et, quelques instants plus tard, est revenu vide.

18 L'ensemble de ces événements démontrent que ceux qui se trouvaient dans le

19 hangar d'Ovcara savaient pertinemment, notamment l'accusé, que les hommes

20 allaient être exécutés. L'accusé, par ces actions et par sa présence sur

21 les lieux, a fait partie intégrante des préparations de ces exécutions.

22 Les camions, qui ont transporté les prisonniers et qui les ont emmenés à

23 leur mort, sont partis du sud du complexe agricole d'Ovcara en empruntant

24 la route allant à Grabovo.

25 A environ un kilomètre au sud-est de ce bâtiment, le véhicule a tourné à

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1 gauche, puis emprunté une route menant vers le nord-est, une route de

2 terre battue qui courait entre un champ cultivé sur la gauche et un ravin

3 boisé sur la droite.

4 Le seul survivant de ces voyages tragiques, et nous entendrons d'ailleurs

5 son témoignage au court de ces débats, est un homme qui a réussi à sauter

6 du camion sans se faire voir. C'est le dernier et le seul survivant de ce

7 voyage vers une mort certaine et cruelle.

8 En haut du ravin, à environ 900 mètres de la route allant d'Ovcara à

9 Grabovo, les soldats ont fait descendre les hommes du camion. A cet

10 endroit, les troupes de la JNA et les groupes paramilitaires serbes se

11 trouvaient rassemblés sur le côté nord du site où une fosse commune avait

12 été creusée.

13 Dans la soirée du 20 novembre 1991, ces soldats en tirant en direction du

14 sud ont abattu et tué au moins 198 hommes et 2 femmes. Les cadavres de 200

15 de ces hommes ont, depuis, été exhumés du charnier où ces exécutions ont

16 eu lieu.

17 L'accusation présentera nombre de pièces. Ce sont, en fait, une source

18 d'informations exhaustives, poignantes et macabres des crimes qui ont été

19 commis. L'accusation prouvera que l'accusé a directement participé à ces

20 passages à tabac et que, par sa présence et par ses actions pour ce qui

21 est de la préparation et de la mise en oeuvre de ces exécutions de masse,

22 a commis des crimes passibles de sanction au titre de

23 l'article 7-1 du statut.

24 En n'ayant pas réussi à empêcher de telles violations et en tant que

25 supérieur hiérarchique, il est passible de la responsabilité pénale au

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1 titre de l'article 7-3 du statut. J'aimerais maintenant, Mesdames et

2 Messieurs les Juges, vous montrer la carte B/6 et, sur cette carte, je

3 vous indiquerai l'emplacement de certaine des villes que nous citerons au

4 court des débats. Il s'agit d'un agrandissement de la carte de la

5 municipalité de Vukovar. Elle contient un certain nombre de villes

6 auxquelles nous ferons souvent référence. Je vais demander aux techniciens

7 de diffuser cette image à l'écran, s'il vous plaît.

8 Projection de la carte

9 Madame et Messieurs les Juges, je vais demander au technicien de nous

10 indiquer très rapidement la ville de Vukovar.

11 Vinkovci, je ne crois pas que l'on puisse voir toute la ville de Vinkovci,

12 mais il me semble que nous pourrions indiquer son emplacement. Nous

13 pouvons, en tout cas, indiquer l'emplacement d'Ovcara, de Borovo, et de

14 Trpinja. Enfin, nous voyons ici l'emplacement Ilok.

15 J'en viens maintenant à l'acte d'accusation en lui-même. Madame et

16 Messieurs les Juges, dans l'acte d'accusation de cette affaire, six chefs

17 d'accusation sont retenus contre l'accusé Dokmanovic. Les chefs sont les

18 suivants : infractions graves aux conventions de Genève de 1949,

19 violations des lois ou coutumes de la guerre et crimes contre l'humanité.

20 Les chefs d'accusation 1, 2 et 3 traitent des passages à tabac qui se sont

21 déroulés dans le hangar d'Ovcara. Quant aux chefs d'accusation 4, 5 et 6,

22 ils traitent principalement des meurtres commis sur le lieu du charnier.

23 Aucun des chefs d'accusation n'est subsidiaire, ils sont tous cumulatifs.

24 Pour ce qui en est maintenant des infractions graves aux conventions de

25 Genève, Slavko Dokmanovic est accusé d'infractions graves aux conventions

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1 de Genève au titre de l'article 2 de notre statut.

2 Le facteur commun de ces infractions graves est que, premièrement, les

3 victimes sont des personnes protégées par l'une des conventions de Genève

4 et, deuxièmement, que les actes ou omissions qui ont été commis l'ont été

5 au cours d'un conflit armé ou dans le cadre d'une occupation totale ou

6 partielle, cadre dans lequel la législation relative aux conflits armés

7 internationales s'applique.

8 En conséquence, et conformément à l'article 2, les critères juridiques

9 auxquels il faut satisfaire sont les suivants : le conflit doit être un

10 conflit international et il faut également démontrer que les victimes

11 étaient des personnes protégées par les conventions de Genève. Ces

12 éléments découlent de la lettre des conventions de 1949.

13 La Chambre d'appel a déclaré que l'article 2 du statut est, je cite :

14 "fondé sur la Convention de Genève de 1949 et, plus spécifiquement, sur

15 les dispositions de ces conventions relatives aux infractions graves".

16 Comme indiqué ci-dessus, l'accusation estime que durant toutes les époques

17 concernées, le territoire de l'ex-Yougoslavie était le théâtre d'un

18 conflit armé. A toutes les époques concernées, un conflit armé

19 international... A toutes les époques concernées dans le présent acte

20 d'accusation, les personnes décrites comme des victimes étaient protégées

21 par les conventions de Genève de 1949.

22 A toutes les époques concernées, l'accusé qui est visé par l'acte

23 d'accusation était tenu de respecter les lois et coutumes de la guerre, y

24 compris les conventions de Genève de 1949.

25 Pour ce qui est maintenant de la question du caractère international du

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1 conflit, afin que les conventions de Genève s'appliquent, il faut prouver

2 que le conflit était bien un conflit armé international.

3 La Croatie avaient déclaré son indépendance au mois de juin 91. Bien que

4 cette déclaration d'indépendance a tout d'abord été suspendue à la demande

5 de la communauté internationale, elle a pris effet, le 8 octobre 1991, à

6 savoir bien avant les événements qui nous concernent ici.

7 Il s'agit d'une guerre menée par le gouvernement de Yougoslavie, dont le

8 siège était à Belgrade, contre la Croatie indépendante. Il s'agit donc

9 d'une guerre opposant deux Etats souverains ou bien il s'agit d'un conflit

10 international au titre des conventions de Genève.

11 En conséquence, l'accusation considère que pendant toute la période

12 concernée par l'acte d'accusation, le conflit armée à Vukovar, opposant

13 deux Etats distincts était un conflit international. Cela ne fait aucun

14 doute.

15 Pendant toute la période concernée, c'est la JNA qui représentait la

16 République fédérale de Yougoslavie. Elle était placée sous le commandement

17 et la responsabilité des autorités yougoslaves à Belgrade. Cette entité

18 militaire recevait l'appui d'autres forces militaires et paramilitaires

19 serbes.

20 Les ennemis étaient les forces de la République de Croatie. Ces forces

21 regroupaient environ 1 800 hommes qui s'étaient rassemblés sans structure

22 précise pour constituer une force volontaire de défense de la ville. Au

23 début, cette force d'intervention était mal organisée et comptait dans ses

24 rangs une poignée de soldats professionnels seulement.

25 Cependant, progressivement, elle s'est organisée et a fini par constituer

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1 une unité plus efficace agissant dans le cadre d'une brigade d'infanterie

2 jouissant d'une chaîne de commandement très claire, et sur un emplacement

3 géographique clairement délimité. Les forces Croates comprenaient

4 également des policiers détachés du ministère de l'Intérieur croate et, au

5 fur et à mesure que les tensions se sont exacerbées dans la région,

6 les autorités croates ont également détaché un nombre important de membres

7 de la garde nationale croate.

8 Les deux camps en présence étaient donc clairement définis. De part et

9 d'autre, une présence militaire était placée sous les ordres d'un Etat

10 bien distinct. En tant que tel le conflit satisfait aux critères de

11 l'internationalité et conformément aux dispositions des conventions de

12 Genève, les lois régies dans le conflit international armé continuent de

13 s'appliquer jusqu'à ce qu'un accord de paix soit conclu.

14 Pour ce qui est maintenant de la question du conflit armé en elle-même,

15 pour que les dispositions relatives aux infractions graves de la

16 Convention de Genève puissent s'appliquer, un conflit doit être non

17 seulement international mais également armé. Ces dispositions s'appliquent

18 aux personnes protégées seulement dans la mesure où celles-ci étaient

19 impliquées dans un conflit armé.

20 Il ne fait aucun doute quant au fait que, pendant toute la période

21 concernée, il y avait à Vukovar un conflit dont le degré d'intensité et

22 d'organisation était tel qu'il constitue bien un conflit armé.

23 Depuis la fin du mois d'août 1991, la ville de Vukovar à été soumise à une

24 offensive massive tant sur mer, sur terre que dans les airs, offensive

25 menée par les forces de la JNA avec l'aide d'un certain nombre de groupes

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1 paramilitaires serbes.

2 En dépit de l'organisation d'une résistance armée, la ville de Vukovar à

3 été prise vers le 18 novembre 1991 après des pilonnages intensifs et un

4 siège d'une durée de près de trois mois. Il apparaît clairement que les

5 événements décrits dans l'acte d'accusation, et qui mettent en cause

6 l'accusé, se sont produits au court d'un conflit armé international.

7 Il convient, maintenant, de maintenir le deuxième critère permettant

8 d'invoquer l'application des dispositions relatives aux infractions

9 graves, à savoir que les victimes des

10 actes commis étaient des personnes protégées. Conformément à la Chambre

11 d'appel, c'est le statut d'une victime en tant que personne protégée qui

12 permet d'invoquer les dispositions relatives aux infractions graves.

13 Dans l'affaire Tadic, il a été décidé que "les crimes énumérés à

14 l'article 2 ne peuvent faire l'objet de poursuites que lorsqu'ils sont

15 perpétrés contre des personnes ou des biens considérés comme protégés par

16 les conventions de Genève dans le cadre des conditions rigoureuses fixées

17 par les conventions proprement dites." L'accusation, par ces éléments de

18 preuve, montrera que les victimes en l'occurrence étaient des personnes

19 protégées au titre soit de la Convention de Genève I soit de la

20 Convention III ou IV.

21 Ces conventions établissent trois catégories de personnes protégées, à

22 savoir les civils, les prisonniers de guerre, les combattants blessés et

23 le personnel médical.

24 Nous allons maintenant examiner les critères définissant chacune de ces

25 catégories. Pour ce qui est des civils, tout d'abord, l'article 4 de la

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1 Convention de Genève IV définit ces civils qui jouissent de la protection

2 de la Convention donc des personnes protégées comme étant des personnes

3 qui, à un moment quelconque et, de quelque manière que ce soit, se

4 trouvent, en cas de conflit ou d'occupation, au pouvoir d'une partie au

5 conflit ou d'une puissance occupante dont elles ne sont pas

6 ressortissantes.

7 En termes généraux, les catégories de personnes qui doivent être couvertes

8 par la Convention en tant que protégées, sont des personnes de

9 personnalité ennemie dans un conflit armé international ou alternativement

10 les habitants des territoires occupés, à l'exception des ressortissants de

11 la puissance occupante.

12 Dans l'arrêt et le jugement qui ont été rendus dans le cadre de l'affaire

13 Tadic, le 7 mai 1997, la Chambre de première instance deux, a déclaré que

14 la définition recouvrait implicitement la condition requise suivante : les

15 victimes étaient au pouvoir, d'une part, de la puissance occupante ou

16 d'une partie au conflit et que les victimes civiles n'étaient pas

17 ressortissantes de cette partie au conflit ou de cette puissance

18 occupante.

19 Ceci soulève la question de la nationalité des victimes par rapport à

20 celle de l'auteur des crimes et, implicitement, la condition que les

21 personnes sont protégées par cette disposition seulement dans la mesure où

22 elles sont impliquées dans un conflit international.

23 D'après ce qui apparaît dans le commentaire du CICR, dans la Convention

24 de Genève IV, et qui a été cité avec son approbation par la Chambre de

25 première instance deux dans l'affaire Tadic, l'expression au pouvoir n'a

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1 pas forcément un sens matériel, elle a un sens plus général. Elle signifie

2 simplement que la personne se trouve dans un territoire dont la puissance

3 en question est maîtresse.

4 En temps que tel, les personnes, qui ont été emmenées de l'hôpital de

5 Vukovar et qui ont été soumises aux actes décrits dans l'acte

6 d'accusation, étaient indubitablement au pouvoir de la puissance

7 occupante. Elles étaient placées sous le contrôle de la puissance ennemie,

8 qui était constituée presque exclusivement de soldats serbes et de soldats

9 de la JNA agissant de concert avec des forces paramilitaires provenant de

10 la République de Serbie. Des Serbes locaux avaient rejoint ces forces.

11 Ces personnes capturées, aucune n'était de nationalité serbe, comptaient

12 dans leur rang des personnes malades, des membres du personnel et d'autres

13 civils qui avaient cherché refuge à l'hôpital. En temps que civils

14 capturés après le siège de Vukovar par la JNA, il s'agissait là très

15 clairement de personnes protégées au titre de la Convention de Genève IV.

16 Pour ce qui est maintenant de la catégorie des prisonniers de guerre,

17 l'article 4 de la Convention de Genève III définit les prisonniers de

18 guerre qui doivent être protégés.

19 Parmi la liste de catégories de personnes qui sont couvertes par la

20 Convention se trouvent des membres de forces armées, des membres de

21 milices et des membres des

22 corps de volontaires.

23 En conséquence, l'accusation fournira des éléments de preuve qui

24 révéleront que certaines des victimes du massacre d'Ovcara étaient des

25 soldats croates ou non serbes qui avaient participé à la défense de la

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1 ville et qui s'étaient réfugiés dans l'hôpital.

2 Par la suite, ces soldats sont tombés aux mains de l'ennemi lors de la

3 chute de Vukovar, aux mains des forces de la JNA.

4 J'en viens maintenant à la catégorie suivante : les blessés, les

5 combattants malades et le personnel médical. C'est l'article 13 de la

6 Convention I qui régit le statut des blessés, des combattants malades et

7 des personnes protégées.

8 Cet article définit quelles sont les catégories de personnes qui doivent

9 être protégées en temps de guerre. Là encore, les catégories de personnes

10 sont les membres des forces armées, les membres de milices et les membres

11 de corps de volontaires.

12 Cependant, deux articles distincts traitent du personnel médical

13 bénéficiant du statut de personnes protégées.

14 Il apparaît clairement que toutes les personnes qui ont été emmenés hors

15 de l'hôpital de Vukovar et qui étaient membres des forces armées, des

16 milices ou des corps de volontaires, ou qui faisaient partie du personnel

17 de l'hôpital s'occupant des civils ou des combattants blessés, jouissaient

18 du statut de personnes protégées.

19 Au vu du fait que pendant toute la période concernée, il y avait un

20 conflit armé international, et au vu du fait que les personnes emmenées de

21 l'hôpital de Vukovar étaient des personnes protégées au titre des

22 dispositions relatives aux infractions graves des conventions de Genève,

23 j'en viens maintenant au chef d'accusation pertinent.

24 L'accusé est accusé d'avoir aidé, d'avoir encouragé ou d'avoir participé,

25 sous toute autre façon, au fait de causer de grandes souffrances physiques

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1 et d'avoir délibérément tué des personnes qu'on avait emmenées de

2 l'hôpital de Vukovar.

3 Les dispositions pertinentes sont les suivantes : homicide intentionnel

4 sanctionné par l'article 2a du Statut. Les éléments de ce crime sont les

5 suivants : que la victime est morte, que la mort est le résultat d'un acte

6 illicite ou d'une omission illicite auquel l'accusé a participé. Au moment

7 de l'acte ou de l'omission, l'accusé ou son subordonné avait l'intention

8 de tuer ou de causer une atteinte grave à l'intégrité physique de la

9 victime.

10 Là où l'accusé agit dans l'intention d'infliger une atteinte physique à

11 l'intégrité physique, l'accusé montre qu'il y a l'intention requise pour

12 l'homicide intentionnel, lorsqu'on veut montrer qu'il y a atteinte

13 sérieuse à l'intégrité physique, surtout si ceci entraîne l'ignorance

14 imprudente et la possibilité que la mort peut s'ensuivre.

15 Cependant, ce crime d'homicide intentionnel ne peut pas être limité au

16 fait de commettre des actes positifs. L'aspect délibéré implique également

17 l'aspect d'imprudence. Par exemple, si l'on permet à des personnes

18 protégées, qui se trouvent en détention, de mourir de faim, et si on

19 laisse mourir des personnes blessées par défaut d'apporter une aide

20 médicale, tout ceci peut être considéré comme un homicide intentionnel.

21 Pour ce qui est des atteintes à l'intégrité physique, l'article 2c

22 interdit ce fait. Les éléments du crime sont les suivants : que l'accusé

23 ou un subordonné a commis un acte spécifique ou une omission spécifique à

24 l'encontre de la victime, que l'accusé ou un subordonné a commis l'acte ou

25 l'omission dans l'intention d'infliger illégalement de grandes souffrances

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1 et enfin, que cette souffrance a été de ce fait infligé.

2 Dans le contexte des événements qui se sont produits à Ovcara, et au vu

3 des délits commis donnant lieu à cet acte d'accusation, nous avons

4 suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de chacun de ces éléments. De

5 surcroît, il semble que la grande souffrance infligée peut être à la fois

6 physique et mentale. Manifestement, les faits montrent qu'il y a eu

7 tourment physique ainsi qu'une angoisse mentale infligée. Ceci n'est pas

8 exclu par le

9 libellé du Statut, puisque les conventions ne se limitent pas simplement à

10 la souffrance physique, quand on parle de grande souffrance.

11 En fait, le commentaire du comité international de la Croix-Rouge à la

12 Convention de Genève IV précise qu'on ne parle pas simplement de

13 souffrance physique. Puisque ce n'est pas dit expressément, on peut

14 légitimement estimer que ceci couvre également les souffrances mentales.

15 Par conséquent, quand on parle de grandes souffrances, il y a à la fois

16 acte et omission ayant l'intention de causer de grandes souffrances

17 mentales, de même que des souffrances physiques.

18 Ceci est tout à fait important dans les faits en question

19 puisqu'effectivement, les victimes d'Ovcara ont subi de grandes

20 souffrances qui ont commencé à l'hôpital de Vukovar, se sont poursuivies

21 jusqu'à leur mort prématurée au charnier d'Ovcara.

22 Effectivement, il y a eu des tortures verbales, des menaces de mort qui

23 ont placé les victimes dans un état de crainte constante pour leur vie,

24 crainte qui s'est malheureusement réalisée.

25 Les souffrances physiques subies à la suite de passages à tabac prolongés

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1 constituent une base plus qu'évidente pour le chef d'accusation de grandes

2 souffrances. Ces passages à tabac -les témoins le diront- ont duré pendant

3 des heures, puisque les soldats se sont relayés au son d'un sifflet. Il ne

4 fait pas l'ombre d'un doute que ces sévices brutaux, cette violence sans

5 limite qui s'est produite dans le hangar d'Ovcara, ont provoqué la mort

6 d'au moins deux personnes, ce qui veut dire qu'il y a eu souffrance à

7 grande échelle.

8 Violation des lois ou coutumes de la guerre : s'agissant de ces violations

9 aux droits et coutumes de la guerre (chef d'accusation 2 et 5),

10 l'article 3 du Statut stipule que le Tribunal est habilité à poursuivre

11 les personnes qui commettent des violations des lois

12 ou coutumes de la guerre et précise que ces violations spécifiées aux

13 paragraphes a et e ne sont pas exhaustives.

14 En plus des autres précisions apportées, nous avons l'article commun des

15 Conventions de Genève, ainsi que les protocoles additionnels 1 et 2 de

16 1977 qui sont repris dans les paramètres de notre Statut.

17 De surcroît, il y a des règles minimales reconnues qui s'appliquent à tous

18 les conflits armés, quel que soit le classement opéré dans ces conflits,

19 ce qui fait que l'article commun 3 des Conventions de Genève s'applique.

20 Lorsqu'on a déterminé la portée de ces lois et coutumes de la guerre à

21 l'article 3, on a parlé aussi de la compétence de ce Tribunal

22 international qui pouvait être invoquée pour couvrir tous les crimes non

23 couverts par les articles 2, 4 et 5. En droit humanitaire international,

24 il faut remplir ou satisfaire à certaines conditions, à certains critères,

25 au titre de l'article 3 du Statut pour qu'il y ait persécution.

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1 En l'occurrence, l'accusé est accusé en vertu de l'article 3 de meurtre et

2 de traitement cruel. Ceci relève de la compétence de l'article 3 du Statut

3 du Tribunal, sur la base de l'article commun de l'article 3, paragraphe 1a

4 des conventions de Genève.

5 La Chambre d'appel a reconnu qu'au titre du droit coutumier international,

6 les règles énoncées dans l'article commun 3 reflètent des considérations

7 élémentaires de l'humanité qui s'appliquent à tous les conflits armés,

8 qu'ils soient internes ou internationaux de nature. Les dispositions

9 figurant à l'article commun 3 des Conventions de Genève interdisent

10 certains actes précis, y compris la violence, présentant une menace pour

11 la vie de la personne, en particulier des meurtres de tous types, et les

12 traitements cruels lorsqu'ils sont commis à quelque moment que ce soit

13 contre des personnes qui ne participent pas de façon active à des

14 hostilités, y compris les membres des forces armées qui ont déposé les

15 armes et qui se sont donc placés hors de combat ou qui ont été placés hors

16 de combat par

17 la maladie, par des blessures, par la détention ou partout autre cause.

18 Ceci veut dire que ces personnes doivent être traitées avec humanité, sans

19 qu'il y ait de discrimination opérée en fonction de la race, de la

20 couleur, de la religion, de la foi, du sexe, de la naissance ou de la

21 richesse ou en fonction d'autres critères.

22 En conséquence, compte tenu des principes du droit coutumier

23 international, compte tenu des dispositions de l'article commun 3, afin

24 d'apporter la preuve d'une violation à l'article commun 3, le Procureur

25 doit montrer au-delà de tout doute raisonnable que les actes illicites ont

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1 été commis dans le contexte d'un conflit armé, que l'accusé avait des

2 liens avec une des parties au conflit armé, que les victimes ne

3 participent pas de façon active ou ne participaient plus de façon active à

4 des hostilités, ce qui inclut des civils, des membres des forces armées

5 qui ont déposé des armes et ceux qui ont été placés hors de combat par la

6 maladie, les blessures, la détention ou par une autre raison.

7 L'accusé a commis un des actes énumérés dans l'article commun 3 des

8 Conventions de Genève.

9 Pour ce qui est du traitement cruel, l'article commun 3 parle de ce

10 traitement cruel et des éléments qu'il faut examiner. D'abord, que

11 l'accusé ou un subordonné a commis un acte spécifique ou une omission à

12 l'encontre de la victime, que la victime était un non combattant ou était

13 hors de combat, que l'accusé ou un subordonné a de ce fait eu l'intention

14 de soumettre la victime à un traitement cruel. Dit en termes plus simples,

15 un acte ou une omission est cruel si l'accusé était indifférent à la

16 souffrance de la victime ou en était satisfait.

17 L'article commun 3.1 précise que toutes les personnes, qui ne participent

18 pas activement à des hostilités, doivent être traitées avec humanité. Le

19 même article commun 3.1a proscrit la violence à l'égard de la vie et de la

20 personne, en particulier le meurtre sous toutes ses formes, les

21 mutilations, les traitements cruels, les tortures et supplices.

22 L'accusation avance l'argument suivant : le traitement cruel englobe des

23 situations dans lesquelles l'accusé a délibérément, et avec sévérité,

24 maltraité une autre personne, comme ce fut le cas dans cette affaire lors

25 des passage à tabac à la ferme d'Ovcara.

Page 63

1 Au titre de ce chef d'accusation, il suffit que l'accusé ait

2 intentionnellement soumis les captifs à la cruauté. Il n'avait pas besoin

3 de montrer qu'il avait l'intention de causer des tortures, de causer de

4 grandes souffrances ou atteintes à l'intégrité physique ou à la santé

5 d'une personne.

6 Il ne sera pas difficile de montrer que nous satisfaisons à tous les

7 éléments requis dans ce chef d'accusation.

8 Parlons de l'assassinat ou du meurtre. Les éléments de ce crime sont les

9 suivants : que la victime est morte, que la victime était un non

10 combattant ou hors de combat, que la mort est le résultat d'un acte ou

11 d'une omission illicite dans laquelle l'accusé ou un subordonné a

12 participé et qu'au moment de l'acte, l'accusé ou un subordonné avait

13 l'intention de tuer ou d'infliger des coups et blessures susceptibles

14 d'entraîner la mort.

15 L'article commun 3.1a proscrit le meurtre sous toutes ses formes commis

16 contre des personnes n'ayant pas une participation active dans les

17 hostilités. Alors que certains systèmes nationaux font une distinction

18 entre le meurtre et d'autres formes d'homicide intentionnel, aucune

19 distinction de ce genre n'est à retenir dans le contexte des Conventions

20 de Genève.

21 Enfin, les crimes contre l'humanité : en vertu de l'article 5 qui donne la

22 compétence au Tribunal et qui lui permet de connaître des crimes contre

23 l'humanité, on voit une liste des différents délits qui sont énumérés qui

24 constituent des crimes contre l'humanité. Il s'agit notamment de crimes

25 contre l'humanité dirigés contre toute population civile. Il s'agit

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1 d'actes inhumains graves et d'actes qui sont commis dans le contexte d'un

2 conflit armé, qu'il soit international ou national.

3 Dans le cas qui nous occupe, on reproche à l'accusé des crimes contre

4 l'humanité (chef d'accusation 3 et 6). Il s'agit là de crimes graves

5 dirigés à l'encontre de personnes, dans le cadre d'une attaque généralisée

6 et systématique contre une population civile. Les victimes de crimes

7 contre l'humanité constituent une catégorie plus large que celle couverte

8 par les articles 2 et 3 du Statut du Tribunal et peuvent inclure parfois

9 des citoyens du même pays que ceux commettant les crimes, ainsi que des

10 personnes apatrides.

11 Les crimes contre l'humanité peuvent être différenciés des crimes de

12 génocide. En effet, ils ne demandent pas qu'il y ait intention de détruire

13 un groupe. Seule la preuve que l'acte a été perpétré dans le cadre d'une

14 attaque généralisée et systématique contre la population civile est à

15 prouvé. L'élément commun est que cet acte ou cette omission a été commis

16 dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre une

17 population civile.

18 L'accusation va prouver ce fait de différentes manières. Tout d'abord, par

19 le témoignage d'un expert qui donnera aux juges une perspective leur

20 permettant de juger de l'attaque généralisée menée par la JNA sur

21 plusieurs fronts en Croatie. Ensuite, vous entendrez le témoignage de

22 différentes personnes qui décriront le siège de la ville de Vukovar et la

23 manière dont les forces serbes ont utilisé leur force d'artillerie pour

24 détruire totalement la ville.

25 Enfin, vous entendrez un témoignage lié à l'incident qui s'est produit à

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1 l'hôpital de Vukovar, qui montrera que deux-cent personnes ont été

2 assassinées. Certaines de ces personnes étaient de jeunes enfants, de

3 jeunes garçons, d'autres des personnes âgées et handicapées, parfois des

4 femmes.

5 Les éléments suivants sont des éléments communs de violation de

6 l'article 5 :

7 - Que les actes ou omissions en question doivent être commis dans le

8 contexte

9 d'un conflit armé qui peut être national ou international. Il faut qu'il y

10 ait un lien suffisant entre ces actes ou ces omissions et le conflit armé.

11 - Que les actes ou omissions doivent avoir été commis dans le cadre d'une

12 perpétration généralisée et systématique de crimes à l'encontre d'une

13 population civile,

14 - Enfin que l'accusé a commis l'un des actes énumérés dans l'article 5.

15 En ce qui concerne le critère selon lequel l'acte ou l'omission doit être

16 commis dans le contexte d'un conflit armé, les paramètres permettant d'en

17 déterminer ou non l'existence figurent dans l'arrêt Tadic sur la

18 compétence. Il y est dit : "Un conflit armé existe chaque fois qu'il y a

19 recours à la force armée entre Etats ou un conflit armé prolongé entre les

20 autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels

21 groupes au sein d'un Etat".

22 Par conséquent, l'article 5 peut être invoqué et peut servir de fondement

23 de compétence pour ce qui est des crimes commis dans des conflits armés

24 internationaux ou nationaux.

25 En ce qui concerne le lien existant entre le conflit armé et l'acte ou

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1 l'omission, en ce qui concerne ce critère particulier, il suffit, pour

2 qu'il y ait violation de l'article 5, de prouver que les crimes ont été

3 commis à un certain moment au cours du conflit armé, même si ces crimes

4 n'ont pas été commis en relation directe ou dans le cadre de la conduite

5 des hostilités au cours de l'occupation ou de tout autre aspect formant

6 partie intégrante du conflit armé.

7 Le terme "population" tel qu'utilisé dans l'article 5 vise le fait

8 suivant : à savoir que par ses actions, l'accusé a participé à une attaque

9 généralisée et systématique contre un groupe de victimes relativement

10 important, ce qui est donc différent d'attaque arbitraire et isolée contre

11 des individus. C'est tout à fait le cas dans la situation qui nous occupe.

12 Le meurtre, ou plutôt les éléments de meurtre tels que visés dans

13 l'article 5,

14 sont les suivants. Tout d'abord, il faut prouver que la victime est morte,

15 que la mort résulte d'un acte ou d'une omission illicite de la part de

16 l'accusé ou d'un subordonné, et qu'au moment de la mort de la personne,

17 l'accusé avait l'intention de tuer ou de porter atteinte de façon grave à

18 l'intégrité physique de la victime.

19 En vertu de l'article 5 paragraphe 1, les éléments de ce crime sont : que

20 l'accusé ou ses subordonnés ont commis un acte ou une omission à

21 l'encontre de la victime, que l'acte ou l'omission de l'accusé ou de son

22 subordonné était illicite.

23 Le rapport du secrétaire-général sur le Statut du Tribunal indique que

24 l'article 5 vise "les actes inhumains, de nature très grave", et en guise

25 d'exemple, dit qu’en Yougoslavie de tels actes inhumains ont pris la forme

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1 de ce qu'on a appelé « le nettoyage ethnique et du viol généralisé et

2 systématique et d'autres formes d'abus sexuels tels que la prostitution

3 forcée". Fin de citation.

4 Pour parler maintenant de la responsabilité individuelle, en vertu de

5 l'article 7, paragraphe 1 du Statut, nous pouvons dire que l'accusé est

6 responsable individuellement pour les crimes qui lui sont reprochés en

7 vertu de l'article 7, paragraphe 1 du Statut. La responsabilité pénale

8 individuelle est invoquée lorsqu'une personne a commis, planifié, ordonné

9 ou de toute autre manière, aidé et encouragé à la planification, la

10 préparation ou l'exécution de tous crimes visés par les articles 2 à 5 du

11 Statut.

12 A l'appui de nos arguments, certains témoins qui viendront identifier

13 l'accusé comparaîtront. Ils décriront les positions clé qu'occupait

14 l'accusé Dokmanovic à l'époque, et déclareront qu'il a joué un rôle

15 principal dans le passage à tabac ou les passages à tabac qui ont eu lieu

16 à Ovcara, dans les événements qui ont mené aux assassinats en masse à

17 Ovcara et qui démontreront sa participation aux crimes, à la fois directe

18 et indirecte.

19 En ce qui concerne l'intention et la contribution directe, dans la

20 décision Tadic, du 7 mai 1997, la Chambre de première instance a déclaré

21 que différentes lignes directrices

22 étaient apparues, après lecture des affaires qui ont suivi la seconde

23 guerre mondiale, et qui établissent que pour que la responsabilité pénale

24 soit déclarée, lorsqu'une personne est complice, il faut qu'il y ait

25 intention de la part de l'accusé et une contribution directe à la

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1 perpétration du crime.

2 Souvent dans la jurisprudence pertinente, l'intention est établie en

3 montrant qu’il y avait une connaissance de la part de l'accusé de la

4 nature criminelle de l'acte. En sachant qu'un certain type d'acte était

5 criminel et en s'associant ensuite de son plein gré avec l'acte ou ses

6 conséquences, l'accusé a indiqué son intention, sa décision délibérée de

7 participer en planifiant, incitant, ordonnant, commettant ou de toute

8 autre manière, aidant et encourageant la perpétration d'un crime. La

9 responsabilité du supérieur en vertu de l'article 7, paragraphe 3 est

10 également invoqué dans l'acte d'accusation.

11 Le bureau du Procureur montrera que l'accusé est également pénalement

12 responsable, pour ne pas avoir empêché ou mis un terme aux passages à

13 tabac et aux meurtres d'Ovcara, alors qu'il était en position de le faire,

14 parce qu'il pouvait exercer un contrôle sur les personnes qui ont

15 participé à ces passages à tabac et ces meurtres. L'accusation montrera

16 également ou estime également que l'accusé est pénalement responsable en

17 vertu de l'article 7, paragraphe 3 du Statut.

18 Le bureau du Procureur estime que le supérieur, dans le sens qui est

19 utilisé dans cette disposition, inclut également un supérieur hiérarchique

20 dans une instance civile. Ce qui est essentiel, c'est qu'une personne qui

21 détient une certaine autorité sur d'autres personnes qui sont sur le point

22 de commettre des actes visés dans les articles 2 à 5 du Statut, doit les

23 empêcher de commettre leurs actes ou doit les punir si les actes ont déjà

24 été commis.

25 L'accusation montrera que l'accusé a manqué à son obligation de le faire.

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1 Afin d'établir la responsabilité pénale en vertu de l'article 7,

2 paragraphe 3, le Procureur doit

3 montrer et démontrer 3 points : tout d'abord, il doit montrer que l'accusé

4 occupait effectivement une fonction de supérieur. Ensuite, que l'accusé

5 avait connaissance effectivement, des crimes qui étaient en train de se

6 produire ou qui s'étaient déjà produits ou qu'il aurait dû en avoir

7 connaissance, et enfin, troisième point, l'accusation doit montrer que

8 l'accusé n'a pas pris les mesures nécessaires afin d'empêcher les crimes

9 ou d'en punir les auteurs. L'accusation montrera que ces trois critères

10 ont été remplis.

11 Jusqu'à juillet 1991, l'accusé était Président de l'Assemblée municipale

12 de Vukovar et par conséquent, il était la plus haute autorité civile au

13 sein de la municipalité. Après son arrivée à Vukovar, le 19 novembre 1991,

14 après la fin des combats, lorsque la ville était contrôlée par les Serbes,

15 il a repris sa position comme si de rien n'était, et nous devons noter que

16 même dans la période précédant le siège et pendant le siège, en 1991,

17 entre juin et novembre, l'accusé Dokmanovic a continué à exercer sa

18 fonction de Président des Serbes à Vukovar.

19 En ce qui concerne une opération qui s'est soldée par l'exécution de 200

20 à 260 personnes, il est évident que nombre de préparations et de

21 planifications étaient nécessaires. De nombreuses étapes devaient être

22 inclues dans la planification et dans l'organisation logistique

23 nécessaires, pour qu'une telle opération puisse être menée à bien.

24 La réunion qui a été convoquée par le Major Sljivancanin à l'hôpital et

25 qui a assuré que les membres du personnel de l'hôpital n'entraveraient pas

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1 le transfert des détenus, la détention brève à la caserne de la JNA, la

2 détention plus longue à la ferme d’Ovcara, la sélection des personnes et

3 la préparation du site où les personnes allaient être exécutées, le

4 transfert des détenus au site en groupes faciles à contrôler, la sélection

5 de soldats qui devaient exécuter les victimes, l'excavation du charnier de

6 la fosse commune, les exécutions elles-mêmes et l'enterrement, le

7 transport entre chacun de ces points devaient être organisés à l'avance.

8 Enfin, toutes ces étapes devaient être réalisées dans une atmosphère de

9 grand secret, afin qu'il n'y ait aucune entrave ni aucune résistance.

10 L'accusé était présent à la ferme d’Ovcara, au moment des passages à tabac

11 qui ont duré plusieurs heures. De surcroît, il a participé activement à

12 ces passages à tabac. Cette participation directe à ces actions par

13 l'accusé est à notre avis suffisante pour l'accuser des chefs 1, 2 et 3 de

14 l'acte d'accusation.

15 S'agissant des deux morts occasionnés par les passages à tabac à la ferme,

16 il apparaît clairement, des affaires postérieures à la deuxième guerre

17 mondiale et de la décision Tadic, que les actions de l'accusé étaient

18 suffisantes pour assurer sa condamnation pour les chefs 4, 5 et 6.

19 Dans le procès de Franzt Schoenfeld et de neuf autres, le juge, en

20 déterminant la loi s'appliquant à des complices, a dit à un moment donné :

21 « le complice est toutefois responsable de tout ce qui suit l'exécution

22 d'un acte illicite qui a été ordonné, c'est-à-dire que si A ordonne à B de

23 frapper et si B frappe C et que C meurt, A est complice du meurtre de C.

24 Il faut qu'il y ait une participation active de la part du complice,

25 c'est-à-dire qu'il doit procurer, inciter ou d'une façon ou d'une autre

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1 encourager l'acte commis par l'auteur principal ». La participation active

2 de Dokmanovic aux passages à tabac des détenus, même si ceux-ci n'ont pas

3 trouvé la mort à la suite de ces coups, constitue tout au moins une

4 incitation à ce que des actes illicites soient commis par les responsables

5 du meurtre de ces deux détenus.

6 Le seul fait qu'il était présent à cet endroit lorsque ces deux détenus

7 ont été battus et en sont morts, peut être considéré comme une incitation.

8 Le rôle de l'accusé, pour ce qui est des exécutions massives et de la

9 préparation de ces tueries, tout ceci a été énoncé ci-avant.

10 Etant donné le lien qu'il y a avec ce crime par toute une série de moyens

11 qui

12 seront mentionnés plus bas, sa présence sur le lieu d'exécution n'était

13 pas nécessaire pour qu'il puisse être condamné des meurtres qui ont été

14 commis à cet endroit. Il est important de souligner que les événements

15 décrits ci-dessus, depuis le fait d'avoir séparé les détenus du personnel

16 hospitalier jusqu'au moment où les victimes ont été enterrées, que tout

17 ceci s'est produit en l'espace d'une seule journée, le 20 novembre 1991.

18 La distance qu'il faut couvrir pour aller de l'hôpital au lieu d'exécution

19 ne dépasse pas les cinq ou six kilomètres. Ces événements n'ont pas été

20 télescopés ni dans le temps ni dans l'espace, ne peuvent pas et ne

21 devraient pas être considérés comme étant séparés, déconnectés, mais

22 plutôt comme faisant l'objet d'une seule action continue qui a culminé aux

23 ravins boisés et dans le charnier.

24 Il est inconcevable que quelqu'un se trouvant dans la position de l'accusé

25 n'ait pas pu prendre toute la dimension de ce qui se passait ce jour-là,

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1 étant donné les activités frénétiques qui avaient été constatées. Sa

2 participation directe aux passages à tabac des seuls prisonniers, qui

3 étaient à peine à une heure ou deux de leur mort affreuse, le lie de façon

4 inextricable à cette entreprise criminelle qui avait un objet connu et

5 convenu par l'accusé.

6 Cet objectif a été connu de tous ceux qui se trouvaient à la ferme. Ceci

7 apparaît clairement du fait qu'un groupe de sept prisonniers a été enlevé

8 du reste du groupe, avait été retiré du reste du groupe et qu'on leur a

9 dit qu'ils avaient été sauvés. Les témoignages établiront donc que

10 l'exécution imminente des détenus était connue de tous. Les témoignages

11 montreront aussi que l'accusé s'est comporté dans le hangar d’Ovcara de

12 telle façon à donner l'impression qu'il était le responsable de

13 l'opération.

14 Pour ce qui est des critères que je viens d'énumérer, il faut tout d'abord

15 établir que l'accusé avait une position de supérieur civil par rapport à

16 ceux qui ont exécuté les passages à tabac et les meurtres d’Ovcara. A cet

17 égard, ce qui est déterminant, c'est de

18 savoir si le supérieur avait un certain contrôle sur ceux qui ont commis

19 ces crimes. Il se peut que ce contrôle soit direct ou indirect, de facto

20 ou de jure.

21 L'accusation va montrer que l'accusé se trouvait effectivement dans une

22 position de supérieur civil. Tout d'abord, l'accusé était Président de

23 l'assemblée de la municipalité avant le début des hostilités, et

24 l'autorité de l'assemblée municipale de Vukovar ne se limitait pas à

25 Vukovar elle-même, elle englobait une surface considérable de quelques

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1 606 kilomètres carrés, englobant dès lors plusieurs villes et villages

2 tels Ilok, Trpinja où l'accusé vivait, Nekoslavti* où la JNA avait son

3 quartier général et Ovcara lui-même. Tous ces événements allégués dans

4 l'acte d'accusation se sont déroulés dans cette région.

5 En tant que Président de l'assemblée municipale, l'accusé disposait d'une

6 autorité considérable, notamment envers le conseil exécutif de l'Assemblée

7 municipale qui était l'organe chargé de mettre en śuvre ses décisions.

8 Pendant toute la durée du siège de Vukovar qui a commencé en août 1991,

9 l'accusé est resté le maire de la Vukovar serbe. Il a aussi occupé un

10 autre poste, celui de ministre de l'Agriculture dans le gouvernement de la

11 région autonome serbe de la Slavonie-Baranja et Srem* occidentale. C'était

12 un poste qui lui donnait une idée précise et aussi une responsabilité par

13 rapport au complexe agricole d'Ovcara où les crimes ont été commis. Depuis

14 son bureau à Erdut au nord de Vukovar, il avait une influence considérable

15 qu'il exerçait étant une figure centrale du gouvernement régional.

16 Dans la période qui a précédé et qui a succédé immédiatement à la chute de

17 Vukovar, son rôle de dirigeant est devenu de plus en plus apparent. Il a

18 participé à plusieurs réunions de haut niveau avec des représentants

19 officiels à Erdut le 19 novembre, ainsi qu'à Packa-Palenka* le

20 20 novembre. Toujours le 20 novembre, l'accusé -il le dit lui-même- s'est

21 rendu à Vukovar dans le cadre d'une délégation officielle qui n'a eu

22 aucune

23 difficulté à rentrer dans la région, alors que cette zone était toujours

24 décrite par la JNA comme une zone de guerre.

25 Les jours suivants, l'accusé a donné plusieurs interview à la télévision

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1 et il a été présenté comme étant le président de la municipalité. Il est à

2 remarquer qu'un de ces interview était assuré par un reporter de la

3 télévision serbe qui parlait toujours à Dokmanovic comme étant le maire ou

4 le président de l'assemblée, un titre que l'accusé n'a ni contesté ni

5 corrigé.

6 Tout ceci montre clairement que l'accusé, en dépit de tous les rôles

7 concomitants qu'il a peut-être joués dans le gouvernement régional,

8 continuait d'être considéré par tous comme le président de l'assemblée de

9 Vukovar, impression qu'il n'a pas cherché à dissiper.

10 De surcroît, les témoignages montreront qu'alors qu'il était présent à

11 Ovcara, Dokmanovic a une autorité encore plus renforcée, plusieurs témoins

12 ont fait remarquer que l'accusé portait un uniforme militaire.

13 Selon plusieurs témoins, il y avait présents à Ovcara des militaires de la

14 JNA et des soldats paramilitaires. Pour établir la responsabilité au titre

15 de l'article 7, paragraphe 3, il faudra aussi montrer que l'accusé savait

16 ou bien avait des raisons de savoir que les actes qui se sont produits à

17 Ovcara étaient en train d'être commis, étaient sur le point d'être commis

18 ou avaient été commis. Les témoins à charge ont vu l'accusé à la ferme

19 d'Ovcara qui se trouvait debout à l'entrée du hangar, qui faisait les cent

20 pas à l'intérieur du hangar et qui a participé aux passages à tabac.

21 En conséquence de quoi, il faut dire qu'au cours des passages à tabac à

22 Ovcara, l'accusé était conscient de ce qui se passait. Non seulement, il

23 participait lui-même aux crimes, mais étant donné l'autorité considérable

24 dont il disposait, il donnait un exemple que les autres allaient suivre. A

25 ce moment, il était pleinement conscient de l'échelle

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1 massive des passages à tabac et du nombre de personnes qui participaient à

2 ces passages à tabac.

3 Je parle de l'obligation d'empêcher ou de mettre un terme au crime. Comme

4 le prévoit l'article 7, paragraphe 3 du Statut, il est nécessaire de

5 montrer que l'accusé n'a pas empêché la commission des crimes, alors qu'il

6 était conscient que ces crimes étaient commis, et qu'il n'a pas non plus

7 puni les auteurs de ces crimes, après commission de ceux-ci. Les

8 témoignages montreront que l'accusé n'a rien fait pour empêcher ces

9 passages à tabac ou pour qu'ils soient interrompus, alors qu'il se

10 trouvait à Ovcara, mais plutôt au contraire, étant donné l'autorité

11 considérable qu'il avait, il participait de façon active, il était un

12 responsable officiel de haut rang, il aurait pu sans nul doute diminuer la

13 violence qui se produisait ou épargner certaines des victimes, les

14 empêcher d'aller vers ce sort terrible.

15 Sa présence, son apparence en tant que dirigeant, le fait qu'il ait

16 sélectionné certaines victimes, montre clairement qu'il n'avait pas la

17 moindre intention d'empêcher la commission de ces crimes ou du moins la

18 poursuite de ces crimes. De surcroît, tout en étant pleinement conscient

19 que les victimes allaient être tuées par la suite, l'accusé n'a rien fait

20 pour changer le cours des choses.

21 L'accusation va citer à la barre des témoins qui vont établir quel était

22 le rôle de Dokmanovic en tant que responsable officiel civil. Plusieurs

23 témoins vont relater les événements terribles qui se sont produits à

24 l'hôpital le 20 novembre 1991, ainsi qu'aux casernes de la JNA, et comment

25 quelques rares hommes ont eu la chance de survivre et de s'échapper de

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1 cette tuerie. Nous aurons aussi des témoins qui donneront le détail des

2 enquêtes qui ont été menées par rapport à ces événements, la découverte de

3 ces charniers que les autorités serbes avaient mis tant de mal à essayer

4 de dissimuler, ainsi que l'exhumation de ce charnier lui-même, exhumation

5 qui a dévoilé l'énormité de ce crime

6 puisque au moins 200 personnes désarmées, dont de nombreuses étaient

7 blessées ou avaient été brutalement battues ou avaient été tuées de sang-

8 froid.

9 Vous verrez de nombreuses pièces, des photographies, des cassettes vidéo

10 et des éléments de balistiques qui montreront que ces éléments se sont

11 bien produits à Ovcara, des événements qui, étant donné leur nature, n'ont

12 permis qu'à très peu de survivre et donc à très peu de fournir un

13 témoignage oculaire.

14 Il faudra permettre à ces victimes de parler de façon posthume pour que la

15 vérité se dégage des travaux de nos experts en médecine légale, donnant

16 ainsi le témoignage de ceux qui sont partis.

17 Les chefs d'accusation repris à l'acte d'accusation sont cumulatifs, ils

18 ne sont pas subsidiaires. La notion de charges cumulatives revêt une

19 importance toute particulière ici, dans le cadre de nos travaux, puisqu'il

20 y a un classement de plusieurs délits. Les chefs cumulatifs de l'acte

21 d'accusation ne sont pas duplicites pour autant qu'ils soient considérés

22 comme des chefs séparés. Il se peut que vous ayez des faits relevant d'un

23 incident unique qui porte l'accusation à formuler plusieurs chefs. Mais

24 pour autant que les délits ne fassent pas l'objet d'un seul chef

25 d'accusation, la Cour peut rendre un verdict de culpabilité sur tous les

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1 chefs.

2 Ce qui importera en premier lieu, pour cette Cour, c'est de voir comment

3 on peut résoudre la question au niveau de l'établissement de la peine. Les

4 chefs 1, 2 et 3 de l'acte d'accusation ont trait à plusieurs délits,

5 notamment le fait de causer délibérément de grandes souffrances, le

6 traitement cruel et les actes inhumains. Ces crimes ne sont pas stricto

7 sensu cumulatifs, puisque l'aspect systématique de la conduite des

8 événements depuis le moment où les victimes ont été enlevées de leur lit

9 d'hôpital jusqu'au moment où ils ont été passés à tabac à la ferme

10 d'Ovcara, tout en attendant d'être transportées et dans l’attente de leur

11 mort, peuvent constituer des délits différents.

12 En d'autres termes, le fait d'avoir enlevé des malades de leur lit

13 d'hôpital constitue un acte inhumain, mais peut ne pas constituer la

14 volonté délibérée de causer de grandes souffrances.

15 Par ailleurs, si on frappe quelqu'un à tel point qu'il est pratiquement

16 mort, ceci peut être qualifié sans aucun doute de grandes souffrances. Les

17 traumatismes psychologiques encourus du fait de se trouver avec une

18 victime à vos côtés, au bord d'un charnier ou d'une fosse commune, en

19 attente d'être tué, peut représenter un traitement cruel. L'homicide

20 intentionnel et les meurtres relevés aux chefs 4, 5 et 6 proviennent des

21 mêmes circonstances, à savoir que les victimes ont été tuées par balle ou

22 tuées d'autres façons.

23 Les éléments des meurtres et des homicides intentionnels peuvent être

24 similaires mais, au-delà de cela, il y a d'autres éléments requis qui en

25 font des crimes tout à fait différents.

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1 Un acte de meurtre peut se trouver en violation de la disposition des

2 infractions graves aux conventions de Genève, aux lois et coutumes de

3 guerre et aux crimes contre l'humanité. La disposition des infractions

4 graves a pour objet de régir des aspects spécifiques de la conduite des

5 conflits armés et de protéger certains groupes de personnes.

6 Par exemple, la Convention de Genève a pour objet principal de protéger

7 une catégorie bien définie de civils contre une action arbitraire de la

8 part de l'ennemi. Les principes fondamentaux des lois et coutumes de la

9 guerre, repris dans le libellé de l'article commun n° 3 des conventions de

10 Genève, et repris par l'article 3 de notre Statut, donnent les règles

11 minimales qui s'appliquent à tous les conflits armés, quel que soit leur

12 classement.

13 Ces règles minimales couvrent une classe d'acteurs plus large et protègent

14 une

15 catégorie de personnes plus large que ce qui est prévu dans les

16 dispositions d'infractions graves.

17 Il y a des règles essentielles d'humanité qui sont reconnues par toutes

18 les nations civilisées. Elles ont pour objet d'assurer un traitement

19 humain et non discriminatoire à tous les non-combattants et à tous ceux

20 qui ne sont pas impliqués dans le conflit armé. Les crimes contre

21 l'humanité ont un objectif principal qui n'a pas de relation essentielle

22 avec la conduite des conflits armés. Cette disposition vise à assurer le

23 droit d’exister à toutes les populations civiles. C'est une partie

24 essentielle du crime contre l'humanité que d'avoir des attaques

25 systématiques et à grande échelle contre les membres de la population

Page 79

1 civile.

2 En effet, chacun de ces articles a un objectif distinct et, de fait,

3 contiendra des éléments différents. Il est toutefois permis de les

4 reprendre dans un chef d'accusation collectif, là où un acte particulier

5 viole chacun de ces éléments et si l'accusé est considéré comme coupable,

6 il doit être condamné pour chacun de ces chefs.

7 Il se peut qu'aux fins de l'établissement de la peine, les différents

8 délits soient fusionnés pour avoir une peine unifiée. Le point essentiel

9 qui est propre à l'hypothèse où plusieurs condamnations sont possibles,

10 c'est que chaque crime doit exister pour protéger certaines normes de la

11 société et que chacun doit être évalué et considéré singulièrement.

12 Chacun de ces articles, repris dans l'acte d'accusation, représente des

13 crimes des plus graves. Il est important pour la communauté internationale

14 que chaque article soit respecté et, s'il ne l'est pas, que poursuite soit

15 engagée là où c'est nécessaire. Il n'y a aucun exemple où un accusé peut

16 être exonéré de ses responsabilités, alors qu'il a violé telle ou telle

17 disposition, tout simplement parce que sa conduite aurait violé l'un ou

18 l'autre article supplémentaire.

19 Aucune question de rapidité ou d'économie ne doit intervenir pour ces

20 accusations. Si on décide de regrouper les chefs d'accusation au moment de

21 l'établissement de la peine, il faut, bien sûr, qu'il n'y ait pas

22 préjudice causé à l'accusé, mais il faut respecter les intérêts de la

23 Communauté des Nations.

24 Lorsque cette question a été examinée par la Chambre de première instance

25 dans l'affaire Tadic, il a été décidé que la question des chefs cumulatifs

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1 intervenait uniquement au moment de l'établissement de la peine s'il y a

2 condamnation de l'accusé. Ce raisonnement s'est appliqué par la suite pour

3 le rejet de requête s'agissant de vice de forme de l'acte d'accusation

4 dans l'affaire Celebici.

5 Nous relèverons également que la valeur des charges cumulatives, dans des

6 circonstances où il y a des délits mineurs, ne relève pas de la compétence

7 du Tribunal, comme l’a déterminé la Chambre de première instance dans

8 l'affaire Tadic.

9 Conclusion : l'Accusation estime que les témoignages que vous allez

10 entendre apporteront la preuve, au-delà de tout doute raisonnable, de ce

11 que l'accusé est coupable des chefs qui sont retenus contre lui, tant en

12 tant qu'auteur principal s'agissant des chefs 1, 2 et 3, qu’en tant que

13 complice s'agissant des chefs 4, 5 et 6.

14 L'accusé savait quel était l'objectif de toute cette opération et, par ses

15 actions, par sa présence, il a manifesté sa volonté d'être associé à cet

16 acte et a contribué à cette opération.

17 Pour ce qui est du crime lui-même, pour lequel il n'existe pas le moindre

18 doute, l'atrocité monstrueuse que nous voyons et qui ravive les souvenirs

19 des pires écarts de la deuxième guerre mondiale est inexplicable. Rien ne

20 peut justifier un acte aussi abominable. Les détails effrayants de ce

21 massacre, rappelés par le témoignage de survivants, resteront longtemps en

22 tant qu'échos dans les couloirs de cette institution mais ne seront plus

23 jamais cachés.

24 Si l'accusé est vraiment déclaré coupable pour ses actes et pour sa

25 participation, ce n'est qu'après qu'il ait reçu toutes les garanties d'un

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1 procès équitable et la protection de ses droits, protection que nous

2 soutenons bien sûr car c'est certainement par la justice qu'une paix

3 durable peut être assurée dans cette partie si malheureuse du monde.

4 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Il nous reste cinq

5 minutes. J'aimerais très brièvement vous poser deux questions. Je ne vous

6 demande pas d'y apporter une réponse immédiate, ni aujourd'hui ni demain,

7 mais je me demandais si vous auriez l'obligeance de déposer d'ici deux

8 semaines un mémoire juridique ou deux mémoires portant sur ces deux

9 points.

10 Ma première question a trait à ce que vous venez de dire. Il y a quelques

11 instants, vous avez parlé de l'accumulation de chefs d'accusation pénaux.

12 Je me demande si, en droit international humanitaire, cette cumulation de

13 chef d'accusation est possible.

14 En d'autres termes, est-ce qu'un individu peut être accusé pour des

15 actions qui sont considérées à la fois comme des infractions graves et des

16 crimes de guerre ou à la fois comme des crimes de guerre et des crimes

17 contre l'humanité, ou alors comme crimes contre l'humanité et génocide par

18 exemple.

19 Est-ce qu'un même individu peut être accusé des deux crimes ? Je me

20 demande si cela ne viole pas le principe leg bis in idem. Je me demande si

21 l'accusation aurait l'obligeance de déposer un mémoire sur la question, en

22 se référant aux sources de droit nationale ou internationale pertinente,

23 et en faisant notamment appel à certaines sources de droit, à certaines

24 références de droit particulières, à des recueils de droit par exemple.

25 Ma deuxième question a trait, là aussi, à une question juridique assez

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1 complexe, assez épineuse, à savoir les conflits internes ou nationaux par

2 rapport aux conflits internationaux armés. En 1991, il est allégué qu'en

3 Slavonie orientale, il y a eu un conflit armé dont on dit qu'il avait un

4 caractère mixte. C'était une rebellion locale contre les autorités en

5 place, tout d'abord, et également une invasion de la JNA, donc d'une force

6 armée. Il s'agirait peut-être alors d'un conflit armé international.

7 Il est allégué que l'accusé faisait partie d'un groupe de rebelles locaux

8 en tant qu'autorité civile. Dans ce contexte, ma question est la

9 suivante : sur quel fondement juridique pourrait-il être accusé d'avoir

10 commis des crimes dans le cadre d'un conflit armé international ?

11 Je m'explique : je vais vous poser un certain nombre de questions. Le fait

12 de faire partie d'une structure militaire, de l'armée d'occupation peut-il

13 être un facteur juridique décisif sur ce point ? Ou bien un individu peut-

14 il être accusé ou responsable d'infractions graves, s'il agit en tant

15 qu'agent d'une armée étrangère ?

16 Ou bien en tant qu'agent de facto d'une armée étrangère ? Ou bien est-ce

17 que un individu doit être placé sous le contrôle de facto de cette armée

18 étrangère ou peut-il faire partie intégrante de la chaîne de

19 commandement ? Je me demande si vous pourriez essayer de répondre à ces

20 questions juridiques très précises et je vous en remercie.

21 Il nous faut maintenant absolument suspendre nos travaux. Demain matin,

22 nous reprendrons à 8 heures 30 très précises. Je ferai en sorte que demain

23 les forces de police néerlandaise ne retombent pas dans les travers où ils

24 sont tombés aujourd'hui.

25 Nous reprendrons donc à 8 heures 30, et nous commencerons par une audience

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1 à huis clos au cours de laquelle nous examinerons les diverses requêtes

2 qui ont été déposées et qui n'ont pas encore été examinées. Certaines

3 d'entre elles sont confidentielles, ce qui implique donc que nous

4 travaillions à huis clos. Je pense que nous aurons besoin de deux heures

5 pour l'examen de ces requêtes, et peut-être après ferons-nous une pause.

6 Ensuite, il y aura bien évidemment une décision sur le siège.

7 Nous reprendrons à 11 heures, en audience publique cette fois, et le

8 premier témoin de l'accusation sera appelé à la barre.

9 L'audience est levée à 13 heures 15.

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