Affaire No : IT-94-2-PT
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II
Composée comme suit :
M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Carmel Agius

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

LE PROCUREUR

C/

DRAGAN NIKOLIC

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À L’EXCEPTION D’INCOMPÉTENCE DU TRIBUNAL SOULEVÉE PAR LA DÉFENSE

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Upawansa Yapa

Le conseil de l’accusé :

M. Howard Morrison
Mme Tanja Radosavljevic

I. INTRODUCTION

1. La Chambre de première instance du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (« le Tribunal  ») est saisie d’une Exception préjudicielle soulevée par l’accusé Dragan Nikolic (« Nikolic » ou « l’accusé ») concernant la légalité de son arrestation.

2. Initialement, Nikolic a été inculpé de 24 chefs de crimes contre l’humanité, violations des lois ou coutumes de la guerre et infractions graves aux Conventions de Genève de 19491. Après deux modifications apportées à l’acte d’accusation par le Bureau du Procureur, l’accusé doit maintenant répondre de huit chefs de crimes contre l’humanité2. Les crimes auraient été commis par l’accusé en 1992 dans la région de Vlasenica, en Bosnie orientale. La plupart des crimes allégués auraient été perpétrés dans le camp de Susica, une ancienne installation militaire transformée par les Serbes de Bosnie en camp de détention dont Nikolic aurait été le commandant. En l’espèce, Nikolic conteste la compétence du Tribunal à connaître des allégations portées à son encontre en application de l’article 72 A) i) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »). À titre de réparation, Nikolic demande la suspension, le rejet ou l’annulation de l’acte d’accusation, sa mise en liberté et le retour à son lieu de résidence avant son arrestation3.

3. À sa première comparution le 28 avril 2000, Nikolic a plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation. À cette époque, il ne s’est pas plaint de la manière dont il avait été déféré au Tribunal.

4. À la conférence de mise en état du 12 octobre 2000, le conseil de Nikolic a informé le Tribunal qu’il contesterait la légalité de son arrestation et de sa détention au quartier pénitentiaire du Tribunal sur la base de cette arrestation.

5. À la conférence de mise en état du 30 mars 2001, le juge de la mise en état a proposé au conseil de Nikolic que la Chambre de première instance décide, à titre préjudiciel, si une faute commise par « une personne autre que le Procureur »4 peut éventuellement fonder une remise en cause de la compétence du Tribunal. Le conseil de Nikolic a accepté, et il a été décidé que cette démarche pourrait se substituer à la tenue d’une audience consacrée aux éléments de preuve5.

6. Le 17 mai 2001, la Défense a déposé sa Première Requête contestant l’arrestation illicite de l’accusé6. Dans cette Requête, Nikolic se réserve le droit d’invoquer la décision rendue par une Chambre de première instance du Tribunal dans l’affaire Todorovic7 (la « Décision Simic ») : ainsi, en cas de rejet de cette Requête, l’accusé solliciterait une audience consacrée aux éléments de preuve, pour établir les faits relatifs à son arrestation, comme autre moyen de contester la compétence du Tribunal 8. Dans sa Réponse, l’Accusation a pris acte du fait que Nikolic avait adopté cette position en réservant ses décisions futures en matière de communication de pièces ; à titre réciproque, mutatis mutandis , le Procureur a réservé lui aussi sa position9. Cependant, l’Accusation soutient que, en réponse à une demande formulée par Nikolic, tous les documents dont elle dispose concernant l’arrestation de l’accusé ont déjà été communiqués à ce dernier10. Les deux parties conviennent qu’un procès des ravisseurs présumés a eu lieu en Serbie et que ces individus ont été condamnés pour ce délit. Cela étant, les parties n’ont pas été en mesure de présenter à la Chambre de première instance une copie du jugement 11.

7. Nikolic a sollicité l’autorisation de déposer une réplique à la Réponse de l’Accusation. Attendu que la Réponse ne soulevait aucune question nouvelle et que la Réplique proposée ne faisait que réitérer les arguments avancés dans la Requête, la Chambre de première instance a refusé l’autorisation de répliquer12.

8. Le 6 juillet 2001, la Chambre de première instance a émis une Directive enjoignant aux parties de lui indiquer si elles étaient en mesure de conclure un accord sur la limitation des questions en litige concernant la Requête de la Défense relative à l’arrestation illégale de l’accusé13. À cette époque, les parties ne sont pas parvenues à un accord. Le 29 août 2001 s’est tenue une conférence de mise en état, au cours de laquelle le Juge de la mise en état a de nouveau exhorté les parties à conclure un accord. À la suite de cette conférence, les parties ont informé la Chambre de première instance qu’elles étaient parvenues à un accord en vue de limiter les questions en litige.

9. Le 29 octobre 2001, la Défense a déposé une deuxième Requête reprenant avec précision les questions à trancher14. L’Accusation a déposé sa Réponse à cette deuxième Requête le 12 novembre 200115, et la Défense a déposé une brève Réplique à cette Réponse le 19 novembre 200116.

II. CONTEXTE

10. Le 4 novembre 1994, en application des articles 47 et 55 du Règlement, M. le Juge Odio Benito a confirmé l’acte d’accusation établi contre Nikolic. En application des articles 2 A) et 55 du Règlement, deux mandats d’arrêt ont été décernés contre l’accusé, l’un adressé à la Fédération de Bosnie-Herzégovine, l’autre à l’administration serbe de Bosnie à Pale. Les mandats d’arrêt ont été signifiés aux autorités et l’Accusation a tenté à plusieurs reprises de signifier l’acte d’accusation à Nikolic et de faire exécuter les mandats.

11. Le 15 novembre 1994, le Greffier du Tribunal a été officiellement informé par la Fédération de Bosnie-Herzégovine que celle-ci n’était pas en mesure d’exécuter le mandat d’arrêt. La Fédération de Bosnie-Herzégovine prétendait que Nikolic résidait dans la ville de Vlasenica. L’administration serbe de Bosnie à Pale n’a donné aucune réponse quant à sa capacité ou volonté d’exécuter les mandats d’arrêt décernés contre Nikolic.

12. Le 16 mai 1995, M. Le Juge Odio Benito a ordonné à l’Accusation de soumettre l’affaire à la Chambre de première instance aux fins d’un examen de l’acte d’accusation conformément à l’article 61 A) du Règlement17. Le 20 octobre 1995, la Chambre de première instance a estimé qu’elle disposait d’éléments de preuve suffisants pour soutenir raisonnablement que Nikolic avait commis les crimes mis à sa charge dans l’acte d’accusation. En conséquence, un mandat d’arrêt international a été délivré et transmis à tous les États18.

13. La Chambre de première instance a également estimé que le défaut de signification de l’acte d’accusation par le Bureau du Procureur était imputable entièrement au défaut ou au refus de coopération de l’administration serbe de Bosnie à Pale. En application de l’article 61 E) du Règlement, le Président de la Chambre de première instance a demandé au Président du Tribunal d’informer le Conseil de sécurité de ce manquement19. Le Président du Tribunal a donné suite à cette demande et informé le Conseil de sécurité par lettre du 31 octobre 199520.

14. La Chambre de première instance a invité le Bureau du Procureur à modifier l’acte d’accusation à la lumière des éléments de preuve présentés lors de la procédure d’examen. Par la suite, le Bureau du Procureur a déposé son premier acte d’accusation modifié, dans lequel étaient allégués 80 chefs de crimes contre l’humanité, violations des lois ou coutumes de la guerre et infractions graves aux Conventions de Genève. M. le Juge Claude Jorda a confirmé l’acte d’accusation le 12 février 1999 et délivré un nouveau mandat d’arrêt aux autorités de la République fédérale de Yougoslavie (« RFY »).

15. Le 20 avril 2000 ou vers cette date, Nikolic a été arrêté et détenu par la SFOR avant d’être transféré au Tribunal le 21 avril 2000. On ne sait pas exactement comment Nikolic en est venu à être détenu par la SFOR. Celui-ci aurait été enlevé en Serbie par plusieurs individus et remis à des officiers de la SFOR en poste en République de Bosnie-Herzégovine.

16. En 2001, à la suite de discussions avec le Juge de la mise en état et entre les parties, le Bureau du Procureur a été invité à présenter un nouvel acte d’accusation modifié. Le 7 janvier 2002, le Bureau du Procureur a sollicité l’autorisation de déposer son deuxième acte d’accusation modifié21. Celle-ci lui a été accordée le 15 février 200222, et l’accusé a été inculpé de huit chefs de crimes contre l’humanité.

III. OBSERVATIONS GÉNÉRALES

17. Avant de procéder à l’analyse des diverses questions soulevées par l’espèce, il convient de se pencher sur les termes de l’accord conclu entre les parties et les « faits présumés » qui constituent les éléments en fonction desquels les points de droit devront être tranchés.

18. Les termes de l’accord conclu entre les parties sont les suivants :

PROJET DE PROTOCOLE D’ACCORD SUR LES POINTS DE DROIT DANS NIKOLIC

Les mesures de réparation sollicitées par l’accusé sont sa mise en liberté et le rejet de l’acte d’accusation établi contre lui ou toute autre mesure que le Tribunal juge appropriée. Aux fins de déterminer si ces mesures doivent être accordées, l’Accusation et la Défense conviennent que les points suivants devraient être tranchés lors d’une audience contradictoire :

1. Si l’accusé peut établir qu’il a été arrêté à la suite de tout comportement illégal ou avec la complicité concrète de la part :

a) de tout individu ou organisation (autre que la SFOR, le Bureau du Procureur ou le Tribunal)
b) de la SFOR
c) du Bureau du Procureur
d) du Tribunal

l’accusé aurait-il droit aux mesures de réparation sollicitées ?

2. La SFOR joue-t-elle le rôle d’agent du Bureau du Procureur et/ou du Tribunal dans l’arrestation et la détention des suspects ?

Aux fins de trancher le point de droit à l’audience, l’Accusation et la Défense conviennent que les passages de la déclaration fournie par l’accusé au Bureau du Procureur concernant les circonstances de son arrestation constitueront les « faits présumés » qui seront débattus.

Il est également convenu entre l’Accusation et la Défense que si le Tribunal décide, après l’audience consacrée à ce point, que les mesures pourraient être accordées à l’accusé dans l’hypothèse où les faits présumés seraient avérés, une nouvelle audience sera tenue afin de déterminer les circonstances matérielles de l’arrestation de l’accusé.

Si une telle audience s’avère nécessaire, l’Accusation et la Défense conviennent que la charge de la preuve tendant à établir les faits pertinents pèse sur la Défense. Il est également convenu que la Défense doit établir les faits selon le critère de la plus grande probabilité23.

Les conseils de l’accusé et du Bureau du Procureur ont alors signé ce projet de protocole24.

19. Étant donné que les passages pertinents des déclarations fournies par l’accusé au Bureau du Procureur n’ont jamais été soumis à la Chambre de première instance, le Juge de la mise en état a rendu le 11 juillet 2002 une Ordonnance25 enjoignant aux parties, après concertation, de produire une copie de ces déclarations.

20. Ayant minutieusement examiné les passages pertinents des déclarations de l’accusé relatives aux circonstances de son arrestation26, la Chambre de première instance considère que les allégations des parties27 sur ce point correspondent aux déclarations de l’accusé.

21. En particulier, la Chambre de première instance note que la Défense et l’Accusation s’accordent sur les points suivants au moins :

- lorsqu’il a été appréhendé, l’accusé résidait en République fédérale de Yougoslavie,

- l’accusé a été saisi de force et transporté en Bosnie-Herzégovine,

- l’accusé a été appréhendé puis transporté en Bosnie-Herzégovine par des inconnus n’ayant aucun lien avec la SFOR et/ou le Tribunal28,

- l’accusé a affirmé, lors de son audition par le Bureau du Procureur, qu’il se trouvait dans le coffre d’une voiture, avec des menottes aux poignets, lorsque les inconnus l’ont remis à la SFOR,

- l’accusé a été arrêté et détenu par la SFOR en Bosnie-Herzégovine,

- l’accusé a ensuite été placé sous la garde du Tribunal et transféré à La Haye,

- certains individus ont été jugés et condamnés en République fédérale de Yougoslavie pour les actes liés à l’arrestation de l'accusé.

22. Aux fins de la présente Décision, la Chambre de première instance considère que les faits susvisés ne sont pas en litige entre les parties : elle se limitera donc à trancher les points de droit exposés par les parties dans l’Accord et à la lumière des allégations factuelles comprises dans les écritures des parties après la signature de cet Accord. Les questions soulevées par les parties dans leurs premières allégations, avant la signature de l’Accord, ne seront examinées que dans la mesure où elles portent sur les points de droit exposés dans le Protocole d’accord.

IV. PRÉTENTIONS DES PARTIES

23. La Défense conteste la compétence du Tribunal à juger l’accusé en raison de la manière dont ce dernier a été livré au Tribunal.

24. L’argument invoqué par Nikolic peut se résumer comme suit :

qu’en l’espèce, et dans toute affaire où il est effectivement question d’enlèvement, les illégalités et violations des droits de l’homme sont si condamnables et le risque de sembler les cautionner est tel, qu’un organe judiciaire chargé notamment de préserver les droits de l’homme se doit d’affirmer sans ambiguïté qu’il ne saurait exercer sa compétence dans de telles conditions29.

Dans la Deuxième Requête de la Défense, cet argument est énoncé comme suit :

Il est allégué que le fait que la Chambre de première instance se déclare compétente lorsque l’illégalité d’une arrestation a été établie revient, en pratique, à cautionner un tel acte malgré l’existence d’autres moyens légitimes par lesquels la comparution d’un accusé aurait pu être assurée. Lorsqu’il y a eu violation du droit international – en particulier lorsque l’infraction a été commise par un agent ou avec sa complicité matérielle et/ou par le destinataire d’une ordonnance du Tribunal ou avec sa complicité matérielle –, la juridiction est tenue de se déclarer incompétente pour juger l’accusé, ne serait-ce que pour sauvegarder et maintenir sa propre intégrité30.

25. Les allégations de la Défense sont essentiellement les suivantes :

- que la SFOR, même si elle n’a pas participé directement au transfert de l’accusé depuis la RFY, « avait une connaissance réelle ou implicite du fait que l’accusé avait été appréhendé de manière illicite et transféré de Serbie contre son gré » et que « la reddition était entachée d’illégalité »31 ;

- que la SFOR doit être considérée comme l’agent de facto et de jure du Bureau du Procureur et du Tribunal s’agissant de l’arrestation d’accusés et que, partant, le comportement illégal peut être attribué au Tribunal32 ;

- à titre subsidiaire, que le comportement ultérieur du Bureau du Procureur et du Tribunal « était tel que le comportement de la SFOR a été effectivement ratifié et donnait l’impression d’avoir été autorisé au préalable »33 ; autrement dit, le comportement de la SFOR doit être considéré comme emportant acceptation et ratification de toute violation antérieure du droit international ou de la RFY ;

- que le départ forcé de l’accusé de la FRY impliquait une violation tant de la souveraineté de la RFY que du droit personnel de l’accusé à un procès équitable ; et que, bien que ces violations se soient produites avant la remise de l’accusé à la SFOR et au Tribunal, elles étaient d’une ampleur telle que même si la SFOR ou le Bureau du Procureur n’y étaient pas impliqués, l’élargissement de l’accusé et le rejet de l’acte d’accusation établi à son encontre s’imposent vu les circonstances34.

26. Dans sa Réponse, l’Accusation allègue que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si des violations du droit international ont été commises. Cependant, elle fait valoir que les parties s’accordent à penser qu’il convient d’éviter les longues et fastidieuses procédures de recherche d’éléments de preuve et, partant, de déterminer d’abord les mesures de réparation sollicitées qui peuvent être accordées35.

27. L’Accusation fait observer qu’il est incontestable que toute irrégularité commise par les autorités d’un autre État ou par des individus avant que l’accusé ne soit déféré au Tribunal ne saurait suffire à priver celui-ci de sa compétence à le juger, et que toute violation présumée des droits de Nikolic par des inconnus ne saurait être imputée à l’Accusation36. Le simple fait d’avoir accepté après coup la garde de l’accusé n’équivaut pas, en soi, à une « collusion» ou à une « implication officielle » de sa part. Selon l’Accusation, cela aurait nécessité de sa part au moins une quelconque reconnaissance ou approbation de ces violations37.

28. Enfin, l’Accusation avance que les mesures radicales de réparation sollicitées par l’accusé ne se justifient pas, à moins :

a) que le Bureau du Procureur se soit clairement et délibérément rendu coupable de violations des règles internationales ; et/ou b) que, dans certains cas, les irrégularités en question aient été si flagrantes ou si condamnables que, même sans la participation de l’Accusation, la Chambre de première instance ne pourrait, en son âme et conscience, continuer à exercer sa juridiction sur l’accusé.38

29. De l’avis de la Chambre de première instance, la Défense a suivi deux raisonnements différents pour contester la compétence du Tribunal sur l’accusé. Son premier argument est que, en prenant possession de l’accusé des mains d’individus inconnus, la SFOR et/ou le Bureau du Procureur ont reconnu et approuvé le comportement présumé illégal de ces individus. De ce fait, l’illégalité des actes desdits individus devient attribuable à la SFOR et au Bureau du Procureur. À son tour, pareille attribution conduit à la conclusion que le Tribunal ne saurait exercer sa compétence sur l’accusé. Le deuxième argument établit un lien plus direct entre l’arrestation de l’accusé par les inconnus et l’exercice de la compétence du Tribunal. D’après cet argument, le caractère illégal en soi de l’arrestation devrait interdire au Tribunal d’exercer sa compétence sur l’accusé. À l’appui de ce raisonnement, la Défense invoque l’argument selon lequel l’adage male captus, bene detentus ne devrait pas constituer le fondement de la compétence du Tribunal.

30. La Chambre de première instance se penchera d’abord sur l’argument selon lequel les actes des individus peuvent être attribués à la SFOR et au Bureau du Procureur.

V. ATTRIBUTION DE RESPONSABILITÉ

31. Ainsi qu’il a été dit plus haut, les parties s’accordent à reconnaître que l’accusé a été appréhendé en RFY par des individus étrangers à la SFOR, puis transféré en Bosnie-Herzégovine avant d’être livré à la SFOR. Cependant, les parties sont en désaccord sur la question de savoir comment il convient d’apprécier les liens entre les individus qui ont appréhendé l’accusé et la SFOR, d’une part, et entre la SFOR et le Bureau du Procureur, d’autre part. À propos de la nature de ces liens se pose la question de l’effet qu’aurait sur la compétence du Tribunal tout acte potentiellement illégal commis par ces individus avant la remise de l’accusé au Tribunal.

32. La Défense soutient que lorsque les hommes de la SFOR ont placé l’accusé en détention, ils avaient une connaissance réelle ou implicite du fait que celui-ci avait été appréhendé de manière illicite et transféré contre son gré de RFY en Bosnie -Herzégovine. La Défense soutient également que la SFOR, consciente du caractère illégal de l’arrestation, a exploité la situation en plaçant l’accusé en détention et en le remettant au Bureau du Procureur. La Défense soutient que « l’exercice par la SFOR de sa compétence sur Nikolic, qui non seulement méconnaît l’illégalité de la situation mais l’exploite en plaçant l’accusé en détention, équivalait à cautionner l’illégalité, dont elle était consciente, et, partant, à prolonger la détention illégale.39 »

33. Le Bureau du Procureur répond que toute irrégularité commise par les autorités d’un autre État ou par des individus avant que l’accusé ne soit déféré au Tribunal ne devrait pas suffire à priver celui-ci de sa compétence à le juger. En l’espèce, la SFOR ne semble avoir bénéficié que fortuitement du transfert de l’accusé40.

34. Afin de pouvoir trancher la question considérée, la Chambre de première instance doit d’abord définir le cadre juridique dans lequel fonctionnent la SFOR et le Tribunal, et en particulier le Bureau du Procureur.

A. Cadre juridique

35. Le Tribunal a été créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 25 mai 1993 aux termes de sa résolution 827. Cette résolution a été adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. En conséquence, la résolution oblige tous les États Membres de l’ONU. Le paragraphe 4 de la résolution dispose que tous les États « apporteront leur pleine coopération au Tribunal international et à ses organes, conformément à la présente résolution et au Statut du Tribunal international , et affirme « l’obligation des États de se conformer aux demandes d’assistance ou aux ordonnances émanant d’une chambre de première instance en application de l’article 29 du Statut ». Des résolutions ultérieures du Conseil de sécurité, notamment celles relatives à la création et au fonctionnement de l’IFOR et de la SFOR, réaffirment ce devoir des États Membres41.

36. L’article 29 1) du Statut rappelle que les États doivent coopérer avec le Tribunal. En outre, le paragraphe 2 dispose notamment que « les États répondent sans retard à toute demande d’assistance ou à toute ordonnance émanant d’une chambre de première instance et concernant, sans s’y limiter : a) l’identification et la recherche des personnes ; (...) d) l’arrestation ou la détention des personnes ; et e) le transfert ou la traduction de l’accusé devant le Tribunal. »

37. Au sujet de l’arrestation, il convient de rappeler l’article 19 2) du Statut  :

S’il confirme l’acte d’accusation, le juge saisi, sur réquisition du Procureur, décerne les ordonnances et mandats d’arrêt, de détention, d’amener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès.

En outre, l’article 20 2) énonce que :

Toute personne contre laquelle un acte d’accusation a été confirmé est, conformément à une ordonnance ou un mandat d’arrêt décerné par le Tribunal international, placée en état d’arrestation, immédiatement informée des chefs d’accusation portés contre elle et déférée au Tribunal international.

38. L’article 55 du Règlement porte sur l’exécution des mandats d’arrêt. L’article 55 A) dispose qu’un mandat d’arrêt « comprend une ordonnance aux fins du transfert rapide de l’accusé au Tribunal, une fois son arrestation opérée. » L’article 56 ajoute que :

L’État auquel est transmis un mandat d’arrêt (...) agit sans tarder et avec toute la diligence voulue pour assurer sa bonne exécution, conformément à l’article 29 du Statut.

L’article 58 prévoit en outre que :

Les obligations énoncées à l'article 29 du Statut prévalent sur tous obstacles juridiques que la législation nationale ou les traités d'extradition auxquels l'État intéressé est partie pourraient opposer à la remise ou au transfert de l'accusé (...) au Tribunal.

Et l’article 59, relatif au « Défaut d’exécution d’un mandat d’arrêt ou d’un ordre de transfert », est conçu comme suit :

A) Lorsque l'État auquel un mandat d'arrêt ou un ordre de transfert a été transmis n'a pu l'exécuter, il en informe sans délai le Greffier et en indique les raisons.

B) Si, dans un délai raisonnable, il n'est pas rendu compte des mesures prises, l'État est réputé ne pas avoir exécuté le mandat d'arrêt ou l’ordre de transfert et le Tribunal, par l'intermédiaire du Président, peut en informer le Conseil de sécurité.

39. Le 14 décembre 1995 a été signé à Paris l’Accord de paix de Dayton (l’« Accord de Dayton »). Dans le cadre de cet accord, la Force de mise en œuvre militaire multinationale (« IFOR ») a été créée. L’Accord de Dayton a été conclu entre les Gouvernements de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de la RFY (« les Parties »). L’article IX de l’accord-cadre général dispose que les Parties

coopéreront pleinement avec toutes les Entités participant à la mise en œuvre du présent Accord de paix, telles que décrites dans les Annexes au présent Accord, ou autrement autorisées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, conformément à l'obligation qu'ont toutes les parties de coopérer aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes de guerre et autres violations du droit international humanitaire.

40. L’annexe 1-A de l’Accord de Dayton comprend l’« Accord relatif aux aspects militaires du règlement de paix ». L’article I 1) a) de cet Accord, intitulé « Obligations générales » invite le Conseil de sécurité à 

adopter une résolution par laquelle il autorisera des États Membres ou des organisations et arrangements régionaux à créer une Force de mise en œuvre militaire multinationale (ci-après dénommée « l'IFOR »).

L’article I 1) b) dispose également que :

[l]'OTAN pourra créer ladite force, qui opérera sous l'autorité du Conseil de l'Atlantique Nord et sera soumise à la direction et au contrôle politique de celui-ci par l'intermédiaire de la chaîne de commandement de l'OTAN42.

Au paragraphe 2 b) de cette disposition figure parmi les obligations des Parties celle de

faire le nécessaire pour que l'IFOR dispose de l'appui et des autorisations voulus et, en particulier, autoriser l'IFOR à prendre les mesures requises, y compris l'emploi de la force nécessaire, pour veiller au respect des dispositions de la présente Annexe et pour assurer sa propre protection ;

41. L’article VI de cet Accord invite à nouveau le Conseil de sécurité à créer l’IFOR « en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies » et expose les fonctions de l’IFOR43. L’article VI 4) prévoit que :

Les Parties considèrent comme entendu et conviennent que le Conseil de l'Atlantique Nord, au moyen de nouvelles directives, pourra assigner à l'IFOR des devoirs et des responsabilités supplémentaires en ce qui concerne l'application de la présente Annexe.

Le paragraphe 5 du même article dispose en outre que :

Les Parties considèrent comme entendu et conviennent que le Commandant de l'IFOR aura autorité, sans qu'aucune Partie ne puisse s'y opposer ou n'ait à donner son autorisation, pour faire tout ce qu'il jugera nécessaire et approprié, y compris employer la force militaire, afin de protéger l'IFOR et d'exécuter les tâches énumérées cidessus aux paragraphes 2, 3 et 4, et qu'elles devront se conformer à tous égards aux exigences de l'IFOR.

42. L’article 10 de cette Annexe 1-A énonce que :

Les Parties coopéreront pleinement avec toutes les Entités qui sont chargées d'appliquer le présent règlement de paix, ainsi que prévu dans l'Accord-cadre général, ou qui sont par ailleurs autorisées par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, y compris le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie.

Enfin, l’article XII se lit comme suit :

Conformément à l'article I, le Commandant de l'IFOR a, sur le théâtre, l'autorité finale en matière d'interprétation du présent Accord pour ce qui est des aspects militaires du règlement de paix (...).

43. Le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a adopté le 15 décembre 1995 la résolution 1031. Au paragraphe 14, celle- ci

autorise les États Membres agissant par l’intermédiaire de l’organisation visée à l’annexe 1-A de l’Accord de paix ou en en coopération avec elle à créer une Force multinationale de mise en œuvre de la paix (IFOR), placée sous un commandement et un contrôle unifiés, chargée de s’acquitter du rôle décrit à l’annexe 1-A et à l’annexe 2 de l’Accord de paix.

44. Le 16 décembre 1995, le Conseil de l’Atlantique Nord a approuvé le plan d’opérations du Commandant suprême des Forces alliées en Europe (SACEUR) pour la création de l’IFOR et a autorisé le déploiement des forces principales de l’IFOR sur le théâtre des opérations. Dans le cadre de cette décision, le Conseil de l’Atlantique Nord a établi la règle d’engagement suivante :

eu égard aux résolutions 827 et 1031 du Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Annexe  1-A de l’accord-cadre général pour la Paix en Bosnie-Herzégovine, la force multinationale de mise en œuvre de l’OTAN (IFOR) devra placer en détention toutes personnes mises en accusation par le Tribunal pénal international qui entreraient en contact avec l’IFOR dans le cadre de l’exécution par cette dernière de tâches lui incombant , aux fins d’assurer leur transfert audit Tribunal44.

Afin d’assurer par ailleurs la mise en œuvre de cette règle, des copies des actes d’accusation et mandats d’arrêt émis par le Tribunal ont été transmis à l’IFOR.

45. En janvier 1996, les juges du Tribunal, réunis en session plénière, ont modifié le Règlement de procédure et de preuve et adopté un nouvel article 59 bis. Cet article se lit maintenant comme suit :

Nonobstant les articles 55 à 59 ci-dessus, le Greffier transmet, à la suite d'une ordonnance d'un juge permanent et selon les modalités fixées par celui-ci, une copie du mandat d'arrêt aux fins d'arrestation de l'accusé à l'autorité ou à l'institution internationale appropriées ou au Procureur, ainsi qu'une ordonnance de transfert sans délai de l'accusé au Tribunal dans l'éventualité où ce dernier serait placé sous la garde du Tribunal par ladite autorité ou institution internationale ou par le Procureur45.

46. En mai 1996, un accord a été conclu entre le Tribunal et le Grand Quartier général des forces alliées en Europe (« SHAPE »). Dans la décision Simic46 du 18 octobre 2000, il est fait référence aux dispositions pertinentes suivantes de cet accord :

2.1 Les points de contact sont le Bureau du Procureur, pour le Tribunal de La Haye, et le Bureau du Conseiller juridique (OLA), pour le SHAPE, lesquels traiteront toutes les questions de politique générale.

3.2 À l’arrivée du représentant compétent du Tribunal, ledit représentant est également chargé de confirmer que la personne détenue par l’IFOR est bien celle nommée dans le mandat d’arrêt en cause, et d’informer ladite personne des charges retenues contre elle dans le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet. Par ailleurs, le Tribunal défendra le SHAPE et l’IFOR pour toutes omissions ou erreurs éventuelles découlant de l’application des articles 1, 2 et 3 du mémorandum par le personnel de l’IFOR agissant de bonne foi dans le cadre de ces détentions47.

3.5 Lors du transfert de l’inculpé détenu devant le représentant compétent du Tribunal, le Chef de la Prévôté de l’IFOR doit fournir à ce représentant un compte rendu succinct des circonstances de la mise en détention de l’inculpé, y compris tout procès-verbal ou autre relation d’éventuelles déclarations faites par l’inculpé eu égard à son acte d’accusation et à son mandat d’arrêt.

En outre, les passage pertinents du paragraphe 4 se lisent comme suit :

4.1 L’IFOR apportera son soutien à l’exécution du mandat du Tribunal en Bosnie -Herzégovine dans la mesure de ses capacités, compte tenu des tâches et des ressources qui lui sont assignées48.

4.4 Le commandant de l’IFOR (COMIFOR) a l’autorité finale s’agissant de déterminer les capacités de l’IFOR conformément à l’article 4.1 ci-dessus49.

47. En 1996, la résolution 1088 du Conseil de sécurité (12 décembre 1996) a autorisé les États Membres, agissant par l’intermédiaire de l’organisation visée à l’annexe 1-A de l’Accord de Dayton ou en coopération avec elle à créer, pour une période de 18 mois, une force multinationale de stabilisation (SFOR) en tant que successeur légal de l’IFOR. Le paragraphe 7 du dispositif de cette résolution

Rappelle aux parties qu’aux termes de l’Accord de paix, elles se sont engagées à coopérer pleinement avec toutes les Entités qui sont chargées de mettre en œuvre le règlement de paix, ainsi que prévu dans l’Accord de paix, ou qui sont par ailleurs autorisées par le Conseil de sécurité, y compris le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, dans l’exercice des responsabilités qui lui incombent en vue de dispenser la justice de façon impartiale, et souligne que cette coopération sans réserve avec le Tribunal international suppose notamment que les États et les Entités défèrent à ce dernier toutes les personnes inculpées et lui fournissent des informations pour l’aider dans ses enquêtes ;

Ce mandat de la SFOR, ultérieurement renouvelé par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité, est resté en vigueur pendant toute la période concernée par la présente décision50.

B. Appréciation

48. Comme le Secrétaire général de l’ONU l’a confirmé dans son rapport concernant la création du Tribunal,

le mandat d’amener ou ordonnance de transfert sous la garde du Tribunal émanant d’une Chambre de première instance seront considérés comme donnant effet à une mesure coercitive relevant du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies51 ».

49. La question qui peut se poser est de savoir si l’obligation de coopération prévue à l’article 29 du Statut s’applique uniquement aux États ou également à d’autres entités ou organes chargés de mener une action collective tels que la SFOR. Pris au pied de la lettre, l’article 29 semble s’appliquer uniquement aux États. Cette question avait notamment déjà été débattue par la Chambre de première instance dans la Décision Simic. La présente Chambre de première instance ne voit aucune raison d’adopter une opinion différente et se réfère aux observations suivantes formulées dans cette Décision :

En principe, rien ne s’oppose à ce qu’il s’applique aux actions collectives entreprises par les États dans le cadre d’organisations internationales, et notamment leurs organes compétents, à l’instar de la SFOR dans le cas présent. Une interprétation téléologique de l’article 29 du Statut plaide en faveur de son applicabilité à ces actions collectives de la même manière qu’aux États. L’objectif de l’article 29 du Statut est de veiller à la coopération avec le Tribunal international pour la recherche et le jugement de personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire en ex-Yougoslavie. La nécessité d’une telle coopération est flagrante, le Tribunal international ne disposant pas de force d’exécution propre, c’est-à-dire qu’il ne dispose pas de force de police. Bien que cette obligation de coopération s’adresse logiquement aux États, elle est également possible grâce à l’aide des organisations internationales, par l’intermédiaire de leurs organes compétents qui, du fait de leurs fonctions, peuvent disposer d’informations concernant les personnes accusées par le Tribunal international de violations graves du droit international humanitaire ou entrer en contact avec ces dernières. La relation existant entre la SFOR et le Tribunal international illustre cette coopération mise en pratique.

(...)

Selon une interprétation téléologique du Statut, une telle ordonnance devrait pouvoir être adressée tant aux actions collectives entreprises par les États qu’aux États pris individuellement ; l’article 29 devrait donc être interprété comme conférant au Tribunal international le pouvoir d’exiger d’une organisation internationale, ou de ses organes compétents tels la SFOR, qu’elle l’assiste dans la réalisation de son objectif fondamental, à savoir la poursuite de personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire, en fournissant les différents types d’assistance décrits ici52.

50. La présente Chambre tient à ajouter que l’introduction de l’article 59 bis du Règlement doit également être considérée dans ce contexte. Ainsi qu’il est dit ci-dessus, l’obligation de coopération avec le Tribunal s’adresse logiquement aux États, mais ceux-ci n’ont pas toujours fait preuve de bonne volonté. Comme la Chambre de première instance l’a affirmé dans la Décision relative à la requête aux fins de mise en liberté déposée par l’accusé Slavko Dokmanovic, l’article 55 du Règlement, qui traite de l’exécution des mandats d’arrêt par les États, fixe toujours les principales modalités d’arrestation et de remise de personnes au Tribunal. Toutefois, l’article 59 bis doit également être considéré comme mettant en place « un mécanisme qui vient s’ajouter à celui prévu à l’article 55 du Règlement53. La présente Chambre approuve entièrement cette observation. Elle note que les deux mécanismes – celui prévu à l’article 55 et celui défini à l’article 59 bis – ne différent pas en substance mais découlent de l’obligation générale de coopérer avec le Tribunal en vertu de l’article 29 du Statut.

51. La Chambre de première instance note que la Défense ne conteste pas le pouvoir de la SFOR en tant que telle d’arrêter, de détenir et de transférer des criminels de guerre inculpés. Elle considère toutefois qu’il est opportun d’examiner la base légale de ce pouvoir d’arrêter des suspects, de les détenir54 et de les remettre à l’Accusation en vue de leur transfèrement à La Haye.

52. La base légale du pouvoir de la SFOR d’arrêter, de détenir et de transférer les personnes mises en accusation par le Tribunal est, aux yeux de la Chambre de première instance, solidement établie. Le cadre légal décrit ci-dessus fournit des arguments convaincants en faveur d’une telle conclusion. La règle d’engagement adoptée le 16 décembre 1995 par le Conseil de l’Atlantique Nord constitue la disposition principale établissant le pouvoir de la SFOR à cet égard. Cette règle doit évidemment être envisagée dans son cadre légal global, dans la mesure où elle s’intègre à plusieurs résolutions du Conseil de sécurité, aux obligations des parties à l’Accord de Dayton ainsi qu’au Statut et au Règlement du Tribunal. Le libellé de cette règle, selon lequel la SFOR « doit placer en détention toute personne mise en accusation par le Tribunal pénal international qui entrerait en contact avec la SFOR ou l’IFOR au cours de l’accomplissement de leur mission », a toutefois constitué la base de discussions ultérieures sur la nature exacte du rôle de la SFOR. Il a souvent été affirmé que la SFOR était seulement autorisée à arrêter, détenir et transférer les personnes mises en accusation par le Tribunal mais parfois aussi qu’elle était obligée d’arrêter, de détenir et de transférer ces personnes55.

53. Ce pouvoir de l’IFOR et de la SFOR d’arrêter, de détenir et de transférer les personnes mises en accusation par le Tribunal a été rappelé régulièrement par les responsables de la SFOR. Dans leurs déclarations, ils ont constamment affirmé que si l’IFOR ou la SFOR entrait en contact avec des criminels de guerre, il leur incombait de les livrer au Tribunal56. Ce pouvoir a également été utilisé par le personnel de la SFOR en plusieurs occasions depuis juillet 1997. À plusieurs reprises, la SFOR a précisé qu’elle procédait à de telles arrestations lorsqu’elle entrait en contact avec des inculpés « au cours de l’accomplissement de sa mission57 ». La Chambre de première instance observe que les règles d’engagement ont un caractère obligatoire pour le personnel de la SFOR. Elles définissent le degré et les modalités de l’utilisation de la force militaire58. Pour tous les participants à la mission de la SFOR, elles constituent une obligation légale. De la pratique de la SFOR en vertu des règles d’engagement, la Chambre déduit que celle-ci a clairement pour mission d’arrêter et de détenir toute personne mise en accusation par le Tribunal et d’assurer son transfèrement au Tribunal lorsque, dans le cadre de l’exécution de tâches qui lui incombent, elle entre en contact avec une telle personne. Ces modalités sont définies par le Conseil de l’Atlantique Nord et font partie de la mission assignée par le Conseil de sécurité59.

54. En appliquant le cadre légal aux faits présumés, les conclusions suivantes peuvent être tirées. L’accusé a été livré à des soldats de la SFOR en Bosnie-Herzégovine par des inconnus qui l’avaient arrêté et transféré du territoire de la RFY à celui de la Bosnie-Herzégovine. On peut donc dire que l’accusé est « entré en contact  » avec la SFOR. Celle-ci avait le pouvoir de le détenir et l’a fait en application de la procédure définie dans l’Accord du SHAPE. Un représentant du Tribunal a été averti et l’accusé transféré à La Haye.

55. La SFOR aurait-elle pu en fait agir différemment, par exemple en relâchant l’accusé  ? La Chambre estime que cette question ne peut qu’appeler une réponse négative. L’article 59 bis, paragraphe A), fait explicitement référence à « une ordonnance de transfert sans délai de l’accusé au Tribunal dans l’éventualité où ce dernier serait placé sous la garde du Tribunal par ladite autorité ou institution internationale (...) ». L’emploi du mot « ordonnance » dans cette disposition constitue déjà en soi l’indication d’un caractère obligatoire. Comme on l’a dit ci-dessus, l’article 29 du Statut ne s’applique pas uniquement aux États. Une fois encore, une interprétation téléologique de cet article, en conjonction avec l’article 59 bis, ne peut qu’amener la Chambre de première instance à conclure que, dans les circonstances particulières de l’espèce, les forces en cause de la SFOR n’avaient pas d’autre choix que de détenir l’accusé et mettre en mouvement la procédure normale afin de le faire transférer à La Haye.

C. Attribution à la SFOR

56. Sur la base du cadre légal défini ci-dessus, la question se pose maintenant de savoir si les faits illicites qui auraient été commis par des inconnus à l’encontre de l’accusé peuvent être attribués à la SFOR.

57. Selon les faits présumés par les parties, des inconnus ont arrêté l’accusé sur le territoire de la RFY, l’ont emmené en Bosnie-Herzégovine et l’ont livré à la SFOR. La mission de la SFOR ne couvre que le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Les parties conviennent que ces inconnus n’avaient aucun lien avec la SFOR ni avec le Tribunal. La SFOR, comme on l’a décrit, agissant dans le cadre légal applicable, a détenu l’accusé et l’a remis à un représentant du Bureau du Procureur. L’accusé a ensuite été emmené au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye.

58. La Défense ne prétend pas que la SFOR a participé au comportement illégal de ces inconnus. Elle soutient principalement que lorsque la SFOR a arrêté l’accusé, celle-ci « avait une connaissance réelle ou implicite du fait que l’accusé avait été appréhendé illégalement et transféré de Serbie contre son gré, que sa liberté de mouvement avait été illégalement restreinte, qu’il avait été illégalement privé de sa liberté et qu’il avait été et restait détenu contre son gré ». Elle soutient en outre que « le personnel de la SFOR a choisi de “profiter” de la situation en arrêtant l’accusé, en avertissant le Tribunal international de sa présence et en suivant la procédure d’arrestation convenue avec le Tribunal60 ».

59. L’Accusation réfute ces arguments et considère que la SFOR n’a été saisie que par hasard de la personne de l’accusé parce que des inconnus le lui ont livré en Bosnie-Herzégovine. Elle affirme qu’elle n’a pas été impliquée dans les faits illégaux qui auraient été commis, affirmation que la Défense ne contredit pas. Elle déclare également qu’elle n’a en aucune manière adopté ni approuvé ces actes et que « [sa] simple acceptation par la suite de la garde de l’accusé n’équivaut pas en soi à une “collusion” ou à une “implication officielle” de sa part ». En bref, l’Accusation estime que tant la SFOR qu’elle-même n’ont fait qu’accomplir leur tâche en conformité avec le cadre légal décrit ci-dessus61.

60. Pour décider dans quelle mesure le comportement illégal des inconnus en question peut pour l’une ou l’autre raison être attribué à la SFOR, la Chambre de première instance se réfère aux principes définis dans le projet d’articles de la Commission du droit international sur la question de la « Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite ». Ce projet d’articles a été adopté par la Commission du droit international lors de sa cinquante-troisième session en 200162. La Chambre de première instance est toutefois consciente que cette source doit être utilisée avec prudence, dans la mesure où le projet d’articles, rédigé par la Commission du droit international, doit encore être débattu par les États. Il n’a pas le statut de règle du droit des traités et n’a aucune force obligatoire pour les États. En outre, comme son nom l’indique, il porte principalement sur la responsabilité de l’État et non sur celle des organisations ou entités internationales. Comme le souligne le projet d’article 57,

[l]es présents articles sont sans préjudice de toute question relative à la responsabilité d’après le droit international d’une organisation internationale ou d’un État pour le comportement d’une organisation internationale.

61. Dans ce contexte, il convient d’examiner d’abord dans quelle mesure les faits d’inconnus peuvent être attribués à la SFOR. Comme l’indique l’article 1 de l’Annexe 1-A de l’accord de Dayton, l’IFOR (la SFOR) est une force multinationale. Elle «  [peut]être composée d’unités terrestres, aériennes et navales de pays membres et non membres de l’OTAN », « [opère] sous l’autorité du Conseil de l’Atlantique Nord et [est] soumise à la direction et au contrôle politique de celui-ci ». Aux fins de statuer sur les requêtes pendantes dans la présente affaire, la Chambre n’estime pas nécessaire de déterminer le statut juridique exact de la SFOR au regard du droit international. À titre d’indication juridique générale, elle se fondera sur les principes définis dans le projet d’articles dans la mesure où ils peuvent être utiles pour trancher la question qui se pose.

62. L’article 11 de ce projet d’articles porte sur le « Comportement reconnu et adopté par l’État comme étant sien ». Il dit :

Un comportement qui n’est pas attribuable à l’État selon les articles précédents est néanmoins considéré comme un fait de cet État d’après le droit international si, et dans la mesure où, cet État reconnaît et adopte ledit comportement comme étant sien63.

63. Le Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante -troisième session éclaire le sens de l’article :

L’article 11 (...) prévoit l’attribution à l’État d’un comportement qui n’était pas ou pouvait ne pas être attribuable à celui-ci au moment de la commission, mais qui est ultérieurement reconnu et adopté par cet État comme étant sien. (...), l’article 11 est fondé sur le principe selon lequel un comportement purement privé ne peut en tant que tel être attribué à l’État. Mais l’on y reconnaît « néanmoins » qu’un comportement doit être considéré comme un fait de cet État « si, et dans la mesure où, cet État reconnaît et adopte ledit comportement comme étant sien64.

En outre, ce rapport fait la distinction entre des concepts tels que « reconnaître  » ou « adopter » et des concepts tels que « soutenir » ou « appuyer ». La Commission du droit international affirme qu’

en règle générale, un comportement ne sera pas attribuable à un État en vertu de l’article 11 si cet État se contente de reconnaître l’existence factuelle du comportement ou exprime verbalement son approbation dudit comportement. Dans le cadre des différends internationaux, les États prennent souvent des positions qui équivalent à une «  approbation » ou un « appui » dans un sens général mais qui n’entraînent clairement aucune hypothèse de responsabilité. Le mot « adopter », en revanche, contient l’idée que le comportement est reconnu par l’État comme étant, en fait, son propre comportement65.

64. La Chambre de première instance note que les deux parties emploient les mêmes critères de « reconnaissance », « adoption », « approbation » et « ratification  » que la Commission du droit international. La question est donc de savoir si, sur la base des faits présumés, on peut considérer que la SFOR a « reconnu et adopté66 » le comportement des inconnus « comme étant sien ». Il faut à nouveau souligner, dans ce contexte, que l’on ne peut déduire des faits présumés que la SFOR ait été d’une quelconque façon, directement ou indirectement, impliquée dans l’arrestation de l’accusé en RFY ou dans son transfert sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, pas plus qu’il n’a été affirmé ni suggéré en aucune façon que la SFOR aurait ordonné, dirigé ou supervisé ces actes. Des faits présumés, on peut seulement conclure que l’accusé a été remis à une unité de la SFOR après avoir été arrêté en RFY par des inconnus et emmené sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Du point de vue de la SFOR, l’accusé est entré en contact avec elle dans le cadre de l’exécution de tâches lui incombant. En vertu de sa mission ainsi que de l’article 29 du Statut et de l’article 59 bis du Règlement, elle était tenue d’en avertir l’Accusation et de remettre l’accusé à ses représentants. De ces faits, la Chambre de première instance peut aisément conclure qu’il n’y a eu ni collusion ni implication officielle de la SFOR dans les faits illégaux qui auraient été commis.

65. La SFOR et le Tribunal sont tous deux engagés dans une mission de paix et sont censés contribuer de façon positive au rétablissement de la paix et de la sécurité dans la région. Tout recours à des méthodes ou pratiques qui par nature violeraient les principes fondamentaux du droit international et de la justice internationale serait contraire à la mission du Tribunal.

66. Il reste à déterminer si la circonstance que la SFOR et l’Accusation, pour reprendre les termes de cette dernière, n’aient fait « qu’accepter passivement la reddition fortuite (même irrégulière) de l’accusé en Bosnie » pourrait, comme le soutient la Défense, être assimilée à une « adoption » ou à une « reconnaissance » du comportement illégal « comme étant le sien ».

67. La Chambre de première instance répond à cette question par la négative. Dès lors qu’une personne « entre en contact avec » la SFOR, comme dans la présente espèce, celle-ci est tenue, aux termes de l’article 29 du Statut et de l’article 59 bis du Règlement, d’arrêter, de détenir cette personne et de la faire transférer au Tribunal. Les faits présumés démontrent que la SFOR, une fois en présence de l’accusé, l’a placé en détention, en a informé le représentant de l’Accusation et a concouru à son transfèrement à La Haye. Ce faisant, la SFOR n’a fait que s’acquitter des obligations que mettent à sa charge le Statut et le Règlement du Tribunal.

D. La relation entre la SFOR et l’Accusation

68. Dans la section précédente, la Chambre de première instance a conclu que le comportement prétendument illégal d’inconnus ne pouvait être attribué à la SFOR faute de reconnaissance et de ratification. La Défense affirme en outre que la relation entre la SFOR et l’Accusation est passée de la coopération à la représentation67. Si une telle relation de représentation existait et si d’une certaine façon l’Accusation avait reconnu et ratifié le comportement illégal présumé d’inconnus, celui-ci pourrait être attribué à la SFOR et, par le truchement de celle-ci, à l’Accusation.

69. À la lumière des conclusions qui précèdent, la Chambre ne juge pas nécessaire de discuter cette hypothèse. Ainsi qu’il a été conclu, le comportement des inconnus ne peut être attribué à la SFOR. Quelle que soit la relation entre la SFOR et l’Accusation, rien ne peut être attribué à cette dernière. En d’autres termes, les conclusions de la Défense sont sans objet.

VI. LE PRINCIPE MALE CAPTUS, BENE DETENTUS

A. Introduction

70. Jusqu’à ce point, la discussion a porté essentiellement sur la question de savoir s’il y a lieu d’empêcher le Tribunal d’exercer sa compétence sur l’accusé parce que l’intervention illégale d’inconnus en RFY aurait entaché son arrestation et son transfèrement par la SFOR et l’Accusation. La Défense, toutefois, utilise également un moyen – pourrait-on dire – plus direct pour contester la compétence du Tribunal. Selon le raisonnement qu’elle développe, l’arrestation illégale constitue en soi un obstacle direct à l’exercice de cette compétence. La Défense tire argument d’une comparaison avec l’évolution qui se dessine dans la jurisprudence de certains États, selon laquelle la maxime male captus, bene detentus ne devrait plus être appliquée. Selon cette maxime, un tribunal peut exercer sa compétence sur un accusé indépendamment des circonstances dans lesquelles cet accusé se trouve déféré devant lui. En bref, la Défense affirme que le principe a perdu beaucoup de sa pertinence dans la pratique de plusieurs États et ne devrait donc pas servir de base à l’exercice de la compétence du Tribunal. Selon la Défense, le Tribunal devrait plutôt appliquer le principe male captus, male detentus, qui signifie qu’une irrégularité s’est produite au cours de l’arrestation de l’accusé et, partant, que cette irrégularité fait obstacle à ce que le Tribunal exerce sa compétence68.

71. L’argument principal de la Défense est que la reddition illégale d’un accusé au Tribunal devrait entraîner comme conclusion

que le droit international a été enfreint dans une certaine mesure et que ses principes fondamentaux – qu’il s’agisse de la souveraineté de l’État, des droits de l’homme ou de la primauté du droit – doivent être protégés de telles violations par-delà toute autre considération69.

Cette conclusion se résume à trois moyens distincts excipant d’une violation du droit international. Premièrement, un tel enlèvement constituerait une violation de la souveraineté de l’État qui aurait été lésé. Comme l’observe la Défense, les enlèvements transfrontaliers ont traditionnellement été considérés principalement d’une « perspective étato-centrique ». De ce point de vue, il était essentiel de déterminer si la complicité directe ou indirecte d’un État dans de tels enlèvements pouvait être établie. Selon la Défense, cet élément est beaucoup moins important de nos jours. Dès lors, si « l’enlèvement a été perpétré par des individus agissant à titre privé, l’état du droit demeure incertain, et il en est par conséquent de même pour ce qui est de la réparation à raison d’une telle infraction70 ».

Deuxièmement, un tel enlèvement pourrait constituer une atteinte grave aux droits fondamentaux inaliénables et entacher d’irrégularité l’exercice de la compétence d’un tribunal statuant à l’égard d’une personne. Dans ce contexte, selon la Défense, « la question de savoir si les ravisseurs agissaient à l’instigation d’un État ou à titre privé n’est pas pertinente71 ».

Troisièmement, la Défense affirme qu’un tel enlèvement en soi et l’exercice ultérieur de la compétence constituent un abus de procédure et une atteinte à la primauté du droit72. Dans ce contexte, la Défense interprète le concept de primauté du droit au sens large, reconnaissant expressément qu’« il n’y a aucune suggestion de [sa] part que la remise irrégulière prive inévitablement l’accusé d’un procès équitable73. La Défense soutient aussi dans ce cas que la Chambre de première instance devrait décliner sa compétence parce qu’il existait en l’espèce d’autres moyens légitimes de s’assurer de la présence de l’accusé74.

72. L’Accusation a opposé un certain nombre d’arguments en réponse. Elle note que les précédents de droit interne invoqués par la Défense ne se prononcent pas de manière constante pour ou contre la maxime male captus, bene detentus. Elle affirme également que la différence entre les relations horizontales d’État à État et la relation verticale entre le Tribunal et les États s’oppose à une application automatique de ces précédents de droit interne. Elle soutient en outre que même si on considère, pour les besoins de la discussion, que l’accusé a été appréhendé en violation du droit international pour l’une des raisons citées par la Défense, l’exercice par le Tribunal de sa compétence sur cet accusé n’est pas contraire en soi au droit international. La réparation sollicitée par la Défense est, selon l’Accusation, « une mesure extrême, à n’accorder que lorsque les impératifs de la justice l’exigent et lorsque le Tribunal estime qu’elle est d’une nécessité vitale à la sauvegarde de l’intégrité de la justice pénale internationale75. Dans des cas comme celui qui nous occupe, il convient de peser la valeur relative de tous les intérêts en présence. L’Accusation considère que le rejet de l’acte d’accusation ne se justifie que dans des situations extrêmes. Les conditions minimales suivantes doivent être satisfaites. Soit « des violations claires et délibérées du droit international, attribuables au Bureau du Procureur (...) » doivent avoir eu lieu, et/ou une situation très particulière doit se produire « où les violations en question sont à ce point flagrantes ou scandaleuses que, même si l’Accusation n’y était pas impliquée, la Chambre de première instance ne pourrait, en bonne conscience, continuer à exercer sa compétence sur l’accusé. Dans de telles circonstances, la mise en liberté peut donc être ordonnée de manière à sauvegarder l’intégrité de tout le processus judiciaire76 . Bien que l’Accusation emploie ici la formule « et/ou », elle fait également valoir que, selon la jurisprudence, ce comportement flagrant et scandaleux doit en principe être attribué à l’État concerné. Faisant référence aux affaires Dokmanovic et Barayagwiza, elle conclut qu’à l’issue de l’examen d’affaires où il a fallu peser la valeur relative des intérêts en présence, aucune situation n’a encore été identifiée où le caractère scandaleux de la violation constatée était tel que le rejet de l’acte d’accusation tel qu’il est demandé ici par la Défense était considéré comme le remède approprié77.

73. Sur la base de ces conclusions, la Chambre de première instance considère que la question juridique essentielle à laquelle cette partie de la Décision doit répondre est de savoir s’il existe un obstacle juridique à l’exercice par le Tribunal de sa compétence sur l’accusé. Cet obstacle tiendrait au fait que l’accusé aurait été déféré au Tribunal par la SFOR et l’Accusation après avoir été illégalement arrêté en RFY et transféré en Bosnie-Herzégovine par des inconnus.

74. La question est de savoir s’il existe en l’espèce des facteurs à ce point graves qu’ils constituent un obstacle à l’exercice de la compétence du Tribunal. La Chambre a le pouvoir inhérent de décider d’exercer ou non sa compétence sur un accusé78. Il convient maintenant de déterminer si des facteurs aussi graves existent en l’espèce.

75. La Chambre de première instance est consciente qu’en répondant à la question juridique essentielle formulée ci-dessus elle s’aventure en terre inconnue. La recherche d’une réponse appropriée demande de la prudence. Afin de l’aider à trancher la question en cause, les deux parties ont fait d’amples références à la jurisprudence de plusieurs États au sujet de l’enlèvement forcé transfrontalier. Il faut considérer cette jurisprudence avec prudence. Premièrement, comme nous le verrons ci-dessous, la jurisprudence invoquée est loin d’être uniforme. Dans certains États, la maxime male captus, bene detentus est plus strictement suivie que dans d’autres. En outre, la jurisprudence sur cette question particulière est encore en cours d’évolution et celle-ci a progressé davantage dans certains États. De plus, le concept d’enlèvement forcé transfrontalier n’est pas toujours interprété de la même façon. La jurisprudence varie également en ce que les faits sur lesquels ont porté les décisions ne sont pas du tout identiques.

76. Un autre facteur important à prendre en considération est le fait que toute cette jurisprudence repose sur diverses formes d’enlèvements forcés transfrontaliers se produisant entre États souverains, c’est-à-dire sur un plan horizontal. Les États sont alors entièrement libres de se soumettre aux obligations d’un traité portant par exemple sur l’extradition de personnes accusées de certains crimes. Comme la jurisprudence du Tribunal l’a souligné à de multiples reprises, la relation entre le Tribunal et les juridictions nationales n’est pas horizontale mais verticale . La Chambre se réfère au cadre légal de la coopération des différents organes du Tribunal avec la SFOR tel que défini ci-dessus. Le caractère vertical de la coopération entre le Tribunal d’une part et les États et autres entités d’autre part est d’abord et surtout déterminé par la résolution 827 du Conseil de sécurité et l’article 29 du Statut. Aucune liberté de cet ordre n’existe donc dans cette relation. Pour les besoins de l’exercice de la compétence du Tribunal, cette circonstance doit par définition avoir un impact sur l’interprétation de la jurisprudence nationale. En d’autres termes, la jurisprudence nationale doit être « traduite » pour s’appliquer au contexte particulier de fonctionnement du Tribunal.

77. Tout en gardant à l’esprit ces considérations, la Chambre juge cependant utile de fournir une vue d’ensemble de cette jurisprudence, même si celle-ci ne peut être exhaustive et ne prétend pas l’être. La Chambre analysera brièvement les principaux aspects de la jurisprudence dans un certain nombre d’États au sujet des enlèvements forcés transfrontaliers. Cette analyse fournira à la Chambre suffisamment d’indications qui lui permettront d’identifier les éléments essentiels qui ont joué un rôle dans le développement de cette jurisprudence. Ces éléments seront ensuite utilisés et « traduits » afin de répondre à la question juridique posée ci-dessus. La Chambre sera ainsi en mesure de déterminer les facteurs qui ont joué un rôle important dans la jurisprudence de différents États et ceux qui peuvent être appliqués – et dans quelle mesure – à la présente espèce.

78. Le principe male captus, bene detentus provoque depuis des décennies des discussions intenses et parfois passionnées dans les milieux judiciaires, administratifs et académiques79. Cependant, le contexte vertical dans lequel doit s’inscrire la présente Décision est très différent du contexte horizontal dans lequel ces débats ont eu lieu. La prudence est donc de mise lorsque l’on utilise ces discussions pour la présente Décision. Elle le sera également lorsque l’on transposera l’issue de la présente espèce dans son contexte vertical en fonction des débats qui se déroulent dans le contexte horizontal.

B. Jurisprudence interne

79. La jurisprudence des États-Unis a traditionnellement réservé un accueil très favorable au principe male captus, bene detentus. Dans Ker v. Illinois , l’accusé, ressortissant américain, avait été emmené de force du Pérou aux États-Unis par un « messager privé » qui avait été envoyé au Pérou avec un mandat censé être utilisé dans le cadre des mécanismes d’extradition entre les deux États. À l’initiative de ce messager, le mandat n’a cependant jamais été utilisé et l’accusé a été ramené aux États-Unis à la suite d’un enlèvement. Lorsque Ker a contesté la compétence des tribunaux, la Cour suprême a déclaré :

[u]n tel enlèvement forcé ne constitue pas pour l’accusé une raison suffisante de ne pas répondre de l’infraction qui lui est reprochée lorsqu’il est déféré au tribunal qui a le droit de le juger pour une telle infraction, et ne présente pas d’obstacle valable à ce qu’il soit jugé par ce tribunal.

La Cour suprême a estimé que l’accusé n’avait pas été privé d’une procédure régulière80.

80. En 1952, un raisonnement similaire a été appliqué dans Frisbie v. Collins . Dans cette espèce, l’accusé avait été enlevé à Chicago et emmené de force au Michigan pour y être jugé. À nouveau, la Cour a estimé que « le pouvoir d’un tribunal de juger une personne à raison des infractions qu’il a commises n’est pas affecté par le fait qu’elle a été déférée devant ce tribunal à la suite d’un enlèvement81  » et qu’il n’y avait aucune violation des droits de la défense. Il faut cependant noter qu’il ne s’agissait pas ici d’un transfert forcé d’un État souverain vers un autre mais bien d’un État des États-Unis vers un autre État de ceux-ci. Depuis lors, la règle établie par ces précédents est souvent désignée sous le nom de règle Ker-Frisbie.

81. Dans l’affaire United States v. Toscanino, jugée en 1974, l’accusé, Toscanino, ressortissant italien, a été enlevé en Uruguay par les autorités uruguayennes et emmené de force au Brésil, où il a été détenu et torturé pendant près de trois semaines, puis aux États-Unis, le tout avec la connivence des autorités américaines. Il y a été accusé et déclaré coupable de crimes liés à la drogue. Les autorités américaines n’avaient pas cherché à utiliser la procédure normale d’extradition pour pouvoir le juger. Dans cette espèce, la Cour a décidé ce qui suit :

Confrontés à un conflit entre deux conceptions du respect de la légalité, l’une étant une version restreinte fondée sur la règle Ker-Frisbie et l’autre l’interprétation plus large et éclairée exprimée dans des décisions plus récentes de la Cour suprême, nous sommes persuadés que, dans la mesure où les deux sont en conflit, c’est la version Ker-Frisbie qui doit céder. En conséquence, nous estimons que le respect de la légalité exige maintenant qu’un tribunal renonce à exercer sa compétence sur la personne d’un accusé si celui-ci a été arrêté à la suite d’une atteinte délibérée, superflue et déraisonnable à ses droits constitutionnels par les autorités82 [traduction non officielle].

Aboutir à une autre décision dans une telle situation revenait, selon la Cour, à cautionner « la brutalité et l’illégalité policières83 ». Il faut ici tenir compte du fait que la décision d’interdire au tribunal de connaître de l’affaire repose sur la manière dont l’enlèvement a été effectué et non sur le fait qu’il a eu lieu. Ainsi, lorsque la même cour a été confrontée à un nouveau cas d’enlèvement quelques années plus tard – dans l’affaire United States, ex rel. Lujan v. Gengler –, aucune allégation de mauvais traitements n’étant véritablement avancée, la Cour s’est fondée sur la règle Ker-Frisbie et a jugé qu’il n’était pas nécessaire de renoncer à l’exercice de sa compétence84. La règle Toscanino semble donc ne s’appliquer que lorsque i) l’enlèvement lui-même s’assimile à « un acte barbare manifestement cruel et inhabituel » ou « heurte la conscience », ii) l’enlèvement était le fait d’agents de l’État et iii) il y a eu protestation de la part de l’État lésé85.

82. L’une des décisions les plus connues et aussi l’une des plus controversées aux États-Unis est celle de la Cour suprême dans l’affaire Alvarez-Machain86. Dans cette espèce, M. Alvarez-Machain, ressortissant mexicain, a été enlevé au Mexique par des agents mexicains et emmené de force aux États-Unis où il devait être jugé pour avoir participé à l’enlèvement et au meurtre d’un agent spécial de la DEA américaine. Des agents américains ont été impliqués dans l’enlèvement et l’extradition de l’intéressé n’avait pas été demandée. La Cour suprême devait décider si le traité d’extradition entre le Mexique et les États-Unis interdisait un tel enlèvement. Le Mexique avait vigoureusement protesté contre l’enlèvement, qu’il considérait comme une violation à la fois du traité d’extradition et de sa souveraineté nationale. Il demandait également le retour de l’accusé au Mexique. La Cour suprême a décidé à la majorité qu’il n’y avait pas eu violation du traité d’extradition dans la mesure où le traité ne contenait aucune disposition explicite interdisant un tel enlèvement. En l’absence de violation du traité d’extradition, selon la majorité de la Cour suprême, la règle Ker-Frisbie était d’application et la Cour ne devait pas renoncer à sa compétence sur l’accusé. La minorité de la Cour suprême s’est fortement opposée à la décision, qu’elle a qualifiée de « monstrueuse ». Selon elle, le concept de procédure régulière devait être interprété comme mettant en cause non seulement la question de savoir si l’accusé bénéficierait d’un procès équitable mais également des principes tels que la protection des procédures du tribunal contre les abus du pouvoir exécutif, le respect d’une conception large de la primauté du droit international et le respect des droits de l’homme. La décision a été abondamment critiquée non seulement aux États-Unis mais également dans d’autres États, notamment dans des décisions de tribunaux d’autres États, et dans la doctrine. Elle doit cependant être considérée comme « l’arrêt de principe aux États-Unis en matière d’enlèvement forcé par des agents du gouvernement87 » [traduction non officielle].

83. Deux autres décisions de tribunaux américains méritent encore d’être mentionnées. La première est l’affaire United States v. Matta-Ballesteros, jugée le 1er décembre 1995, et très semblable à l’affaire United States v. Alvarez-Machain . L’accusé avait également été enlevé, cette fois au Honduras, par des agents honduriens et américains. Il aurait été impliqué dans la torture et le meurtre d’un agent spécial de la DEA américaine. L’accusé a affirmé qu’au cours de son enlèvement il avait été régulièrement battu et torturé sur l’ordre des agents américains. Toutefois, dans cette espèce, les États-Unis avaient d’abord tenté d’utiliser le traité d’extradition avec le Honduras afin d’obtenir le défèrement de l’accusé, mais la procédure avait échoué. Le tribunal saisi de l’affaire a suivi la décision de la Cour suprême dans United States v. Alvarez-Machain et décidé que « lorsque les termes d’un traité d’extradition n’interdisent pas explicitement l’enlèvement de ressortissants étrangers, ce traité ne retire pas aux tribunaux fédéraux la compétence sur les ressortissants étrangers88 [traduction non officielle]. La Cour n’a pas exclu l’application de la règle Toscanino mais a considéré que les circonstances de l’enlèvement de l’accusé n’atteignaient pas le niveau de gravité requis. L’autre cas digne d’être cité est l’affaire United States v. Noriega, jugée le 7 juillet 1997. L’accusé y affirmait entre autres que son transfèrement du Panama aux États-Unis à la suite de l’intervention militaire américaine constituait une violation du traité d’extradition entre les deux États. La Cour a cependant suivi le précédent Alvarez-Machain89.

84. L’affaire Eichmann est un exemple classique de décision pour laquelle un principe proche du principe male captus, bene detentus a été appliqué90. Eichmann a été capturé en Argentine par des personnes qui agissaient pour le compte d’Israël et a été amené en Israël pour y répondre de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis sous le régime nazi. L’Argentine s’était initialement fortement opposée à cette action, ce qui a donné lieu à l’adoption par le Conseil de sécurité d’une résolution91. Le Conseil a demandé à Israël d’assurer une réparation adéquate à l’Argentine mais n’a pas exigé le retour d’Eichmann en Argentine. Israël et l’Argentine ont par la suite trouvé un arrangement à l’amiable. Eichmann a été jugé en Israël. Il a excipé de l’incompétence de ce pays à le juger, en vain. Il a été reconnu coupable des crimes qui lui étaient reprochés et condamné à la peine capitale92.

85. Au Royaume-Uni, l’adage male captus, bene detentus a longtemps été respecté. Dans l’affaire Scott, une britannique recherchée pour faux témoignage a été appréhendée en Belgique et renvoyée au Royaume-Uni. En réponse à l’exception d’incompétence soulevée par celle-ci, la juridiction anglaise a statué en ces termes  :

Ainsi, la question qui se pose est celle de savoir s’il est du devoir de la Cour, lorsqu’une personne est accusée d’un crime donné et retrouvée sur le territoire de ce pays, de vérifier qu’elle peut être déférée en justice, ou s’il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles cette personne a été traduite devant elle. J’estime que nous ne pouvons enquêter sur ces circonstances93.

Ce point de vue a également été suivi en 1949 en l’affaire Elliott, dans laquelle l’accusé, poursuivi pour désertion, a été arrêté en Belgique par des policiers belges et britanniques avant d’être ramené au Royaume-Uni. L’exception d’incompétence qu’il a soulevée a elle aussi été rejetée, le tribunal s’étant déclaré non habilité à enquêter sur les conditions dans lesquelles l’accusé avait été traduit devant lui. La remarque faite par Lord Goddard, le Juge président, à ce sujet est néanmoins intéressante : «le tribunal pourrait être influencé dans son jugement s’il pense que l’arrestation est entachée d’irrégularité ou abusive94».

86. Le signe avant-coureur que cette approche était sur le point de changer est apparu dans l’affaire Mackeson, dans laquelle un ressortissant britannique était recherché pour fraude. Il a été retrouvé au Zimbabwe, mais le gouvernement britannique n’a pas demandé son extradition. Les autorités locales, informées par les autorités britanniques qu’il était recherché, ont procédé à son expulsion vers le Royaume-Uni et, à son arrivée, il a été arrêté. Toutefois, le tribunal a arrêté les poursuites engagées contre lui au motif que sa remise aux autorités avait été organisée de manière à échapper aux contraintes procédurales d’une extradition régulière95.

87. L’approche adoptée dans l’affaire Mackeson a été suivie dans l’arrêt rendu 24 juin 1993 par la Chambre des Lords en l’affaire Bennett. Dans cette affaire, l’appelant, un ressortissant néo-zélandais, avait été arrêté en Afrique du Sud. Le Royaume-Uni le recherchait pour des activités frauduleuses en relation avec l’achat d’un hélicoptère. À cette époque, aucun accord d’extradition n’avait été conclu entre l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni. La police sud-africaine l’a toutefois renvoyé par avion à Londres, où il a été arrêté. L’appelant a fait valoir que la procédure appliquée équivalait à une extradition déguisée. Bien que la Divisional court ait appliqué la règle établie dans l’affaire Scott, la Chambre des Lords a décidé de s’en écarter :

[l]e respect de la primauté du droit a prévalu sur l’intérêt général de poursuivre et punir le crime lorsque l’autorité chargée des poursuites s’est assurée de la présence du prisonnier dans le ressort du tribunal en l’enlevant de force ou en le faisant enlever sur le territoire d’un autre État en violation du droit international, du droit de l’État dans lequel il a été enlevé et des droits reconnus à l’intéressé par cet État, et au mépris des procédures permettant de l’extrader légalement de son pays de résidence pour le déférer au tribunal. Le défèrement de force de cet accusé devant cette juridiction au mépris des procédures d’extradition existantes permettant d’assurer son retour au Royaume-Uni constitue un abus de procédure... 96 [traduction non officielle]

Dans l’opinion qu’il a exposée dans cette affaire, Lord Bridge of Harwich a ajouté  :

[i]l n’y a, selon moi, aucun principe plus fondamental dans tout système juridique digne de ce nom que celui du respect de la primauté du droit lui-même. Lorsqu’il est démontré que l’organe de répression chargé d’intenter les poursuites n’a pu y parvenir qu’en commettant des violations du droit international et du droit d’un autre État dans le but de s’assurer de la présence de l’accusé dans le ressort du tribunal, je pense que le respect de la primauté du droit exige que le tribunal prenne acte de cette circonstance. Soutenir que le tribunal peut fermer les yeux sur les agissement illégaux du pouvoir exécutif en-dehors de son territoire, c’est, selon moi, adopter une optique bornée et inacceptable97.

L’approche adoptée par la Chambre des Lords dans cette affaire est maintenant généralement considérée comme le principe directeur lorsque des représentants d’un État sont impliqués dans une violation du droit international s’analysant en une violation du principe de la primauté du droit. Ce principe est ici clairement interprété comme exigeant uniquement un procès équitable envers l’accusé.

88. La Nouvelle-Zélande fut toutefois le premier pays partie au sein du Commonwealth à s’écarter de l’approche plus traditionnelle du principe male captus, bene detentus. Dans l’affaire Regina v. Hartley, un ressortissant néo-zélandais recherché pour meurtre s’était enfui en Australie. Les forces de l’ordre australiennes, à la demande de la police néo-zélandaise, l’avaient renvoyé par avion en Nouvelle- Zélande, où il a été arrêté, jugé et condamné. Bien que possible, l’extradition n’avait pas été demandée. Le Juge Woodhouse a observé dans cette affaire :

À notre avis, la cour ne peut en l’espèce fermer les yeux sur les agissements des forces de l’ordre néo-zélandaises qui ont sciemment ignoré les obligations impérieuses que leur impose la loi. (...) Mais nous ne devons jamais en venir au point dans ce domaine où il suffit de considérer que la fin justifie les moyens. Les questions soulevées par la présente affaire touchent à l’essence même de la notion de liberté au sein de la société.

Estimant que la conduite des forces de l’ordre constituait un abus de pouvoir, la Chambre a usé de son pouvoir discrétionnaire pour arrêter les poursuites.

89. En Australie, le raisonnement suivi dans l’affaire Hartley a été repris dans l’affaire Levinge98. Dans cette affaire, l’accusé, un ressortissant australien, a été arrêté à Mexico par des policiers mexicains puis amené aux États-Unis dans ce qui semblait être un effort concerté des services mexicains et américains. Il a ensuite été extradé des États-Unis vers l’Australie. Le tribunal a estimé être en droit d’arrêter les poursuites engagées contre lui afin de prévenir un abus de procédure du pouvoir exécutif ou de sauvegarder l’intégrité de l’administration de la justice. Le Tribunal a toutefois précisé que, selon lui, il convenait de réserver cette décision aux cas où l’exécutif a été, directement ou indirectement, partie à la conduite illicite. N’ayant pu constater aucune participation des autorités australiennes au comportement illicite, le tribunal a décidé de ne pas arrêter les poursuites engagées contre l’accusé.

90. En Afrique du Sud également la question du bien-fondé de l’application de l’adage male captus, bene detentus est devenue le centre d’un débat au début des années 90. Elle a été soulevée dans l’affaire State v. Ebrahim dans laquelle l’accusé, un ressortissant sud-africain, avait été arrêté et enlevé au Swaziland avant d’être ramené en Afrique du Sud. Il était recherché pour trahison et a été initialement condamné à une peine de vingt ans d’emprisonnement. Lorsqu’il a contesté son arrestation, la Cour suprême a déclaré :

[n]ul ne peut être arrêté et enlevé illégalement, il convient de ne pas outrepasser sa compétence, de respecter la souveraineté [des États], d’assurer l’équité du procès envers les personnes concernées et d’éviter tout abus de droit afin de sauvegarder et de promouvoir l’intégrité de l’administration de la justice. Cela vaut aussi pour les États. Lorsqu’un État est partie à un litige, par exemple en matière pénale, il doit se présenter au procès les «mains propres». Lorsque l’État lui-même est impliqué dans un enlèvement transfrontalier, comme en l’espèce, il n’a pas les mains propres.

Dans son arrêt, la Cour suprême a explicitement fait référence au fait que l’adage male captus, bene detentus avait fait l’objet de débats aux États-Unis ainsi qu’à l’affaire Toscanino99.

91. En France, il ressort des premières décisions sur ce point que les tribunaux se sont montrés plutôt réticents à appliquer l’adage male captus, bene detentus. Dans l’affaire Jolis100, un ressortissant français avait été arrêté par des policiers français en Belgique, puis amené de force en France. Le tribunal a estimé qu’il s’agissait là d’une violation du droit international et a remis cette personne en liberté101. Dans l’affaire Argoud, toutefois, la Cour de cassation n’y a pas vu un obstacle à l’exercice de la compétence sur l’accusé, un ancien colonel dans l’armée française qui était recherché pour sa participation à une tentative d’assassinat du Général de Gaulle. La Cour a estimé que

[l]a capture à l’étranger d’un citoyen ne priverait pas les tribunaux de son pays du droit et de la compétence de le juger102.

Il a été condamné par contumace à la peine capitale. Il avait fui en Allemagne, où il a été retrouvé par des individus agissant à titre privé et ramené en France. Une fois de retour, les forces de l’ordre françaises ont été informées de sa présence sur le territoire par un coup de téléphone anonyme et il a été arrêté et jugé. La décision de ne pas arrêter les poursuites engagées contre l’accusé a été lourdement influencée par le fait que les autorités françaises ne semblaient pas être impliquées et que l’Allemagne ne s’était pas plainte de la manière dont l’accusé avait été transféré en France.

92. La Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht ) a explicitement fait sienne la position adoptée dans l’affaire Argoud, et n’a relevé aucun obstacle à l’exercice de la compétence en matière pénale dans le cas d’un ressortissant allemand qui aurait été illégalement transféré du territoire français au territoire allemand103.

93. Et pour conclure ce survol de la jurisprudence interne, nous pourrions nous pencher sur le procès qui a opposé l’État zimbabwéen à Beahan, qui s’est terminé un an après le procès Ebrahim, et qui, dans une large mesure, adopte la même démarche. Dans cette affaire, l’accusé avait été transféré au Zimbabwe grâce à la coopération d’un État tiers, ce qui revenait à délibérément éviter toute procédure d’extradition. M. Gubbay, Président de la Cour, a déclaré :

Il me paraît essentiel, afin d’inspirer confiance en l’administration de la justice et respect envers celle-ci et de ne pas vicier le processus judiciaire, que les tribunaux se refusent à forcer un accusé à subir un procès lorsque sa comparution devant eux a été facilitée par un enlèvement organisé par l’État exerçant les poursuites. Cette démarche se heurte à une objection fondamentale, tant pour des raisons d’ordre public liées au respect de normes éthiques internationales, qu’en raison du fait qu’elle menace et éprouve la coexistence pacifique et le respect mutuel des États souverains. Car l’enlèvement est illégal en droit international si l’auteur de l’enlèvement n’a pas agi de sa propre initiative et s’il l’a fait sur l’initiative ou avec la complicité de son gouvernement. Soutenir le contraire reviendrait à dire que la fin justifie les moyens, ce qui encouragerait les États à ignorer le droit pour assurer la condamnation d’un individu104.

C. Appréciation

1. Introduction

94. La Chambre de première instance remarque que la jurisprudence exposée ci-dessus est plutôt hétérogène. Selon la définition qu’on donne à l’enlèvement illégal, il est probable que les cas décrits n’y correspondent pas nécessairement tous. Dans certains cas, l’État qui est sur le point d’exercer sa compétence sur l’accusé ( l’État du for) était très activement impliqué dans son enlèvement forcé ; dans d’autres cas, l’État sur le territoire duquel l’accusé a initialement été trouvé y a aussi activement participé, par exemple, en le déportant ou en l’expulsant - situation que l’on associe parfois à une forme d’extradition officieuse, voire même à une entorse à la procédure d’extradition régulière. La Chambre de première instance n’estime pas nécessaire de déterminer les différents types de transferts transfrontaliers d’accusés. Ce qui est important, c’est d’identifier les éléments-clés dans l’évolution de la jurisprudence, et de voir de quelle manière il convient de les interpréter à la lumière du problème juridique auquel la Chambre est à présent confrontée.

95. Ici encore, la Chambre tient à souligner que ces éléments-clés ont été définis dans le contexte de relations horizontales entre États souverains et égaux. Une autre question est en effet de savoir si et dans quelle mesure il convient d’appliquer pareils éléments dans le contexte particulier - vertical - dans lequel le Tribunal œuvre vis-à-vis des États. N’empêche qu’il est toujours opportun de résumer les éléments principaux qui ont joué un rôle dans la jurisprudence. Ces éléments sont les suivants :

- Est-ce qu’un représentant des autorités de l’État du for a participé au transfert illégal de l’accusé de l’État où il a été retrouvé (l’État lésé) à l’État du for ? Cette participation peut être directe, comme dans l’affaire Noriega, dans laquelle des soldats américains s’étaient rendus au Panama pour arrêter l’accusé, mais elle peut également être beaucoup plus indirecte comme dans l’affaire Bennett, dans laquelle les autorités britanniques ont préféré recourir à des contacts informels avec les autorités sud-africaines pour que celles-ci renvoient l’accusé par avion au Royaume-Uni, où il a pu être arrêté105,

- L’Accusé était-il un ressortissant de l’État lésé (comme dans l’affaire Alvarez -Machain) ou de l’État du for (comme dans l’affaire Hartley) ?

- L’État lésé a-t-il d’une manière ou d’une autre protesté contre le fait que l’accusé a été emmené hors de son territoire ? Pareille protestation est plus probable lorsque l’accusé est un ressortissant de l’État lésé et que les autorités de cet État ne sont pas impliquées dans son transfert transfrontalier (comme, initialement, dans l’affaire Eichmann et dans l’affaire Alvarez-Machain),

- Existait-il un traité d’extradition entre l’État du for et l’État lésé et, dans l’affirmative, y a-t-il eu une tentative préalable d’appliquer ce traité ? Dans les affaires Ker, Toscanino et Alvarez-Machain, pareil traité existait bel et bien, mais l’État du for n’a pas essayé d’abord de recourir à cette procédure. Dans l’affaire Matta-Ballesteros, l’État du for a tout d’abord essayé de se prévaloir du traité d’extradition, mais cette tentative n’a pas donné le résultat escompté,

- Comment l’accusé a-t-il été traité entre le moment où il a été privé de sa liberté dans l’État lésé et celui de son arrestation officielle dans l’État du for ? L’accusé a-t-il fait l’objet de mauvais traitements graves ? Dans le cas de Toscanino, le traitement qui lui a été réservé a atteint le niveau d’un «acte barbare manifestement cruel et inhabituel» qui «heurte la conscience». Dans d’autres affaires, il y a eu allégation de mauvais traitements (par exemple dans l’affaire Matta-Ballesteros ), mais le tribunal a considéré que ces allégations n’étaient pas prouvées ou que les faits allégués ne revêtaient pas un degré de gravité comparable,

- Finalement, pour quels crimes l’accusé était-il recherché ? Dans la plupart des cas, les accusés étaient recherchés pour des crimes tels que meurtre, tentative de meurtre, trafic de drogue ou fraude. Il y a toutefois une exception de taille, l’affaire Eichmann dans laquelle l’accusé était recherché pour sa participation à un haut niveau à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité106.

96. La Chambre doit à présent se pencher sur les allégations de la Défense selon lesquelles il y a eu en l’espèce violation du droit international, à savoir i)  violation de la souveraineté de l’État lésé, ii)  violation du droit international relatif aux droits de l’homme, en particulier des droits de l’accusé, et iii)  violation du principe de la primauté du droit. Il convient de déterminer si de telles violations ont bien eu lieu compte tenu des rapports qui existent entre le Tribunal, les États et d’autres entités, tels que définis principalement par l’article 29 du Statut.

2. Violation de la souveraineté de l’État ?

97. S’agissant de la question de savoir si un transfert transfrontalier forcé constitue une violation de la souveraineté de l’État lésé, il convient tout particulièrement de prendre en compte les facteurs suivants : le rôle des autorités de l’État du for dans le transfert de l’accusé, la nationalité de celui-ci, le rôle de l’État lésé lui-même et les obligations conventionnelles existant le cas échéant entre l’État lésé et l’État du for, tout particulièrement en matière d’extradition. Comme la Défense le note : «Dans les cas d’enlèvements transfrontaliers où il y a des indices d’une participation de l’État (...) la violation du droit international a été considérée comme une violation de la souveraineté de l’État». Traditionnellement, pareilles violations étaient considérées comme des litiges potentiels entre États sans que l’intéressé y joue un rôle quelconque. Cette question dépend donc en grande partie de la réaction de l’État lésé lui-même. Toutefois, comme la Défense l’a fait remarquer à juste tire dans son arrêt relatif à l’exception préjudicielle d’incompétence déposée par la Défense de Tadic, la Chambre d’appel a dit que des particuliers peuvent également invoquer ce motif, du moins devant le Tribunal pénal international107.

98. La Défense avance en outre que lorsqu’il existe des éléments permettant d’établir la complicité d’un État dans l’enlèvement d’un individu, cela justifie en soi «une action légitime pour violation de la souveraineté de l’État». Mais lorsque «l’enlèvement a été perpétré par des individus agissant à titre privé, l’état du droit demeure incertain et il en est par conséquent de même pour ce qui est de la réparation à raison d’une telle infraction108». La Chambre de première instance remarque que le tour d’horizon de la jurisprudence interne ne nous éclaire pas suffisamment à cet égard. Dans de nombreux procès, les juridictions nationales ne se sont nullement prononcées sur l’existence d’une violation du droit international, préférant axer leur réflexion sur l’interprétation et l’application du droit interne. Dans les cas où les tribunaux se sont déclarés incompétents pour juger l’accusé, le principal motif avancé était que la manière dont l’accusé avait été soumis à la compétence de l’État du for violait le principe de régularité de la procédure109.

99. Cela étant, la Chambre pense, tout comme la Défense, que la participation manifeste d’un État à un enlèvement forcé peut soulever de graves questions quant au respect de la souveraineté de l’État lésé. Il pourrait en être tout particulièrement ainsi dans le cas où les traités d’extradition conclus entre l’État lésé et l’État du for n’ont pas été correctement appliqués, ou ont été délibérément éludés ou violés de toute autre manière, et lorsque l’État lésé proteste et demande le retransfèrement de la personne enlevée. Indépendamment de cette conclusion, sur la base des faits présumés, la Chambre ne saurait partager l’avis de la Défense lorsque celle-ci affirme qu’il y a eu en l’espèce pareille violation du droit international, et ce, pour les raisons exposées ci-après.

100. Premièrement, la Chambre tient de nouveau à insister sur la différence entre le contexte juridique dans lequel a évolué la jurisprudence interne et celui dans lequel opère le Tribunal international. Cette jurisprudence naît de situations dans lesquelles un accusé est amené - par la force ou non, et avec ou sans la participation de l’État quelle qu’elle soit - d’un État à un autre. Étant donné que les États se trouvent sur un pied d’égalité, il est de la plus haute importance qu’un tel État exerce sa compétence dans le plein respect de celle des autres. L’observation de ce principe fondamental constitue un élément important de la coopération pacifique entre États. Cela signifie que la souveraineté et l’égalité entre les États vont de pair. Le rôle du Tribunal pénal international, compte tenu des mesures de coercition prévues au Chapitre VII de la Charte de l’Organisation des Nations Unies, est, vu sous cet angle, fondamentalement différent. Ainsi, dans ce contexte vertical, la souveraineté ne peut, par définition, jouer le même rôle.

101. Deuxièmement, l’espèce qui nous occupe se distingue de bon nombre des autres affaires abordées dans le tour d’horizon de la jurisprudence nationale par un aspect très important. Selon les faits présumés, l’accusé a été privé de sa liberté sur le territoire de la RFY par des inconnus qui lui ont fait passer la frontière pour l’amener en Bosnie-Herzégovine. À aucun moment avant que l’accusé ne franchisse la frontière séparant la RFY de la Bosnie, ni la SFOR ni l’Accusation n’ont été mêlés à ce transfert. En outre, les faits présumés ne donnent nullement à penser que la SFOR ou l’Accusation aurait de quelque manière que ce soit incité ces inconnus à agir de la sorte. Une analyse plus poussée de la jurisprudence nationale permet de dire que chaque fois qu’un tribunal s’est déclaré incompétent, les faits de l’espèce démontraient que les autorités de l’État du for avaient participé à l’opération litigieuse que constitue le transfert d’un accusé d’un État à un autre. En outre, dans plusieurs cas où il apparaissait clairement que ces autorités n’étaient pas impliquées, les tribunaux n’ont vu aucun obstacle à l’exercice de leur compétence sur l’affaire110.

102. Plusieurs autres auteurs partagent également cet avis. Par exemple, Michell déclare :

L’enlèvement doit avoir été le fait d’agents de l’État, soit de fonctionnaires, soit de particuliers travaillant sous la direction de l’État. La différence entre l’enlèvement par des agents de l’État et par des individus agissant à titre privé est importante parce que le caractère internationalement illicite de cet acte et la responsabilité de l’État reposent sur la relation de représentation111.

Lamb écrit ce qui suit :

Il convient de souligner qu’aucun des précédents de droit interne cités plus haut ne donne à entendre qu’un tribunal devrait refuser d’exercer sa compétence sur un accusé lorsque les autorités de l'État du for ont agi comme il se doit, simplement parce que les autorités d’un autre État ou des individus ont agi illégalement112.

Dans son commentaire sur la manière dont Eichmann a été enlevé et transféré d’Argentine en Israël, O’Higgins déclare :

S’il s’avérait en fait qu’il s’agissait d’individus agissant à titre privé, Israël ne pourrait être tenu responsable de leurs actes113.

103. Et troisièmement, l’affaire qui nous intéresse se distingue des autres précédents de droit interne examinés en ce qu’il n’est nullement question en l’espèce de manœuvres visant à éviter de recourir à d’autres moyens disponibles pour déférer l’Accusé devant le Tribunal. Il résulte notamment du rapport vertical liant le Tribunal aux États souverains qu’aucune convention d’extradition n’est applicable. Les États sont en effet tenus de livrer tout accusé pour lequel un mandat d’arrêt est décerné. Ces mandats sont des ordres de jure du Tribunal pénal international adressés à tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies.

104. La Chambre tient à faire le commentaire suivant en guise d’obiter dictum. Même si elle avait conclu à une violation de la souveraineté de l’État en l’espèce, l’adage «dolo facit qui petit quod [statim] redditurus est» serait toujours d’application114. Dans ce contexte, cet adage aurait signifié qu’en présence d’une violation de la souveraineté de l’État, l’accusé aurait dans un premier temps dû être renvoyé en RFY, où les autorités de celle-ci auraient immédiatement été tenues de s’acquitter de l’obligation que leur impose l’article 29 du Statut, à savoir livrer l’accusé au Tribunal.

105. Tout bien pesé, la Chambre conclut qu’en l’espèce, il n’y a pas eu violation de la souveraineté de l’État.

3. Violation des droits de l’homme et du droit à une procédure régulière ?

106. La Défense avance également que l’arrestation et le transfert de l’Accusé constituent une violation de droits de l’homme internationalement reconnus et une violation du droit fondamental à une procédure régulière. S’agissant de la question d’une violation des droits de l’homme, il convient tout particulièrement d’apprécier les facteurs suivants : la manière dont l’accusé a été arrêté et traité, qui a participé à son arrestation et au traitement qui lui a été infligé. S’agissant de la question d’une violation du droit à une procédure régulière, les mêmes facteurs peuvent aussi être pris en compte. En outre, la question de l’équité du procès envers l’accusé peut elle aussi toujours être soulevée. Puisque ces deux points sont étroitement liés, nous les examinerons ensemble.

107. Pour affirmer que l’enlèvement de l’Accusé constitue une violation des droits de l’homme qui lui sont reconnus, la Défense invoque en particulier l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, et l’article 9 du Pacte relatif aux droits civils et politiques. Elle renvoie à un certain nombre de décisions et de jugements rendus par des organes de défense des droits de l’homme tant au niveau régional qu’international. Selon elle, cette jurisprudence démontre que l’enlèvement est manifestement arbitraire, qu’il constitue une violation du principe de légalité et n’est pas conforme au droit115.

108. La Défense avance en outre que, dans la mesure où l’enlèvement était illégal, l’exercice de toute compétence sur cet individu devient elle aussi irrégulière, indépendamment de la question de savoir si l’enlèvement avait été organisé sous les auspices de l’État ou s’il était le fait d’individus agissant à titre privé. Dans les cas où «il y a eu violation grave du principe de la primauté du droit ou abus de procédure», le Tribunal devrait «envisager de se déclarer lui-même incompétent pour juger l’accusé». «Nous avançons que lorsque l’enlèvement constitue en soi et un abus de procédure et une violation du principe de la primauté du droit, le transfert subséquent d’un accusé en conséquence directe de cet enlèvement dans un autre État pour y faire l’objet de poursuites pénales constitue, à nos yeux, un abus de procédure116. La Défense ajoute qu’elle ne suggère pas par là que l’Accusé sera privé d’un procès équitable, mais que, vu la manière dont il a été déféré devant le Tribunal, la poursuite de son procès porterait atteinte à l’intégrité de la procédure judiciaire. La Défense tire argument de la théorie de l’«abus de procédure», appliquée par la Chambre d’appel dans l’affaire Barayagwiza. Dans cette affaire, la Chambre d’appel a estimé qu’un tribunal pouvait refuser - s’il le juge bon - de se déclarer compétent «lorsqu’au vu des violations graves et flagrantes dont les droits de l’accusé font l’objet, l’exercice d’une telle compétence pourrait s’avérer préjudiciable à l’intégrité du Tribunal117».

109. L’Accusation avance que les mesures de réparation demandées par la Défense, à savoir l’annulation de l’Acte d’accusation et le retour de l’Accusé en RFY, sont des mesures qui devraient s’appliquer uniquement à des cas extrêmes de violations des droits de l’accusé. L’Accusation soutient que la Chambre de première instance doit mettre en balance l’exigence de respecter les droits de l’accusé et celle de poursuivre les violations très graves du droit humanitaire. Selon l’Accusation, «on trouve dans la doctrine des auteurs approuvant la thèse selon laquelle l’exercice de la compétence sur un accusé appréhendé en violation du droit international n’est pas en soi contraire au droit international118». L’Accusation ajoute que, en pratique, la théorie de l’abus de procédure peut également être invoquée avec succès lorsque non seulement il y a violation très grave des droits fondamentaux de l’accusé, mais aussi que ces violations sont également attribuables à un État. L’Accusation estime que ce n’est pas le cas en l’espèce119.

110. La Chambre de première instance tient tout d’abord à rappeler qu’elle attache une grande importance au respect des droits de l’homme dont jouit l’accusé et à la pleine régularité de la procédure. Elle est également tenue de respecter les droits consacrés à l’article 21 du Statut. Le Tribunal pénal international est investi de la responsabilité et du devoir suprêmes de pleinement respecter les règles mises au point dans le domaine au cours des dernières décennies, tout particulièrement, mais non exclusivement, dans le contexte de l’Organisation des Nations Unies. Le Tribunal pénal international a donc la responsabilité de respecter pleinement «les normes internationalement reconnues touchant les droits de l’accusé à toutes les phases de l’instance». Ces normes «sont notamment énumérées à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques»120 et figurent également aux articles 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales adoptée le 4 novembre 1950. La Chambre note que ces règles ne fixent que les conditions tout à fait minimales applicables.

111. Il existe un lien étroit entre l’obligation faite au Tribunal de respecter les droits de l’homme s’agissant de l’Accusé et l’obligation d’assurer la régularité de la procédure. Garantir le respect des droits de l’Accusé et l’équité de son procès constituent, dans les faits, un aspect important du concept général de la régularité de la procédure. Dans ce contexte, la Chambre se range à l’avis exprimé dans plusieurs décisions rendues par des juridictions internes selon lequel la question de la régularité de la procédure va au-delà du simple devoir d’assurer un procès équitable à l’accusé. Elle touche également à la manière dont les parties se sont comportées dans les circonstances de l’espèce et à la manière dont l’accusé a été déféré devant le Tribunal. La conclusion énoncée dans l’affaire Ebrahim selon laquelle l’État doit se présenter en justice les mains propres s’applique tout autant à l’Accusation devant une Chambre de première instance du Tribunal pénal international. En outre, la Chambre partage l’avis exprimé par la Chambre d’appel dans l’affaire Barayagwiza selon lequel la théorie de l’abus de procédure peut être invoquée lorsque «dans les circonstances d’une affaire particulière, la continuation du procès de l’accusé serait contraire à la conception que le tribunal a de la justice». Toutefois, pour qu’une Chambre adopte cette position, il faut que les droits de l’accusé aient été violés de manière flagrante121.

112. La Chambre doit mettre en balance et apprécier tous les facteurs pertinents en l’espèce afin de déterminer si, à la lumière de l’ensemble de ceux-ci, elle peut exercer sa compétence sur l’accusé.

113. La Chambre a déjà conclu que, en tant que tels, les actes commis par les inconnus, soit le transfert de l’Accusé contre sa volonté du territoire de la FRY au territoire de la Bosnie-Herzégovine, ne peuvent être attribués à la SFOR ou à l’Accusation. Cela ne signifie cependant pas que ces actes ne soulèvent aucune interrogation chez les Juges. Les faits présumés montrent que ces individus ont usé de violence envers l’Accusé. La Défense invoque plusieurs décisions du Comité des droits de l’homme relatives à des enlèvements forcés commis dans les années 80 dans certains pays d’Amérique latine. Dans ces décisions, les personnes concernées ont été considérées comme des victimes de violations du droit à la liberté et à la sécurité des personnes122. La Chambre hésite à appliquer cette jurisprudence automatiquement mutatis mutandis en l’espèce. Dans ces affaires, il s’agissait de déterminer tout particulièrement si un État devait être tenu responsable de la violation des droits de l’homme alors que son devoir était de les respecter. En outre, dans toutes ces affaires, les États faisant l’objet d’une plainte étaient eux-mêmes impliqués dans l’enlèvement forcé des victimes. Comme nous l’avons vu ci-dessus, il s’agit là d’un facteur important dans l’appréciation des questions juridiques et factuelles de l’espèce considérée.

114. Malgré ces considérations, la Chambre estime que le fait qu’un accusé fasse l’objet de mauvais traitements graves, voire même inhumains, cruels ou dégradants, ou d’actes de torture avant d’être livré au Tribunal, peut constituer un obstacle juridique à l’exercice de sa compétence sur un tel accusé. Cela serait certainement le cas si des personnes agissant au service de la SFOR ou de l’Accusation participaient à des mauvais traitements d’une telle gravité. Mais même sans pareille participation, la Chambre estime qu’il est extrêmement difficile de justifier l’exercice de sa compétence sur une personne si celle-ci a été déférée devant le Tribunal après avoir fait l’objet de mauvais traitements graves. La Chambre observe que cette position est dans le droit fil de celle adoptée dans l’affaire Barayagwiza, à savoir qu’en cas de violations flagrantes des droits de l’accusé, il «importe peu de savoir quel organe est responsable des violations présumées des droits de l’Appelant123. L’Accusation partage cet avis124. La prise de pareille décision dépend également entièrement des faits de l’espèce et elle ne peut se faire in abstracto. En conséquence, le degré de violence témoigné envers l’Accusé doit être évalué. En l’espèce, la Chambre remarque que les faits présumés, bien que soulevant certaines inquiétudes, n’établissent nullement que le traitement réservé à l’Accusé par les inconnus revêt un caractère de violation flagrante.

115. Cela conduit la Chambre à conclure que, sur la base des faits présumés, le Tribunal doit exercer sa compétence sur l’Accusé. Les allégations selon lesquelles il y a eu violation des droits de l’homme qui lui sont reconnus ou que poursuivre son procès violerait le droit fondamental à une procédure régulière sont rejetées.

VII. CONCLUSION

116. Sur la base des faits présumés, la Chambre de première instance conclut ainsi qu’il suit :

- l’Accusé a, semble-t-il, été arrêté et enlevé illégalement sur le territoire de la RFY par des inconnus avant d’être transféré par leurs soins sur le territoire de la BosnieHerzégovine,

- ni la SFOR ni l’Accusation n’étaient impliqués dans ces actes,

- une fois sur le territoire de la BosnieHerzégovine, l’Accusé a été arrêté et détenu par la SFOR,

- la SFOR a agit en conformité avec les pouvoirs que lui a conféré le Conseil de l’Atlantique Nord pour l’arrestation et le transfert des personnes poursuivies par le Tribunal international,

- comme l’Accusé est «entré en contact avec la SFOR», celle-ci était tenue de l’arrêter, de le détenir et de procéder à son transfert à La Haye,

- la SFOR et l’Accusation ont établi une relation bien précise qui doit être considérée comme une relation de coopération,

- le Tribunal est compétent pour juger l’Accusé,

- le Tribunal a le pouvoir inhérent de déterminer s’il existe un obstacle juridique à l’exercice de sa compétence sur l’Accusé en vue d’assurer l’intégrité de toute la procédure judiciaire,

- les faits présumés ne donnent nullement à penser qu’il y a eu violation de la souveraineté de la RFY imputable soit à la SFOR, soit à l’Accusation,

- les faits présumés ne laissent nullement penser qu’il y a eu violation des droits de l’homme envers l’Accusé,

- les faits présumés ne donnent nullement à penser qu’il y a eu violation du principe fondamental de régularité de la procédure,

- il n’y a aucun obstacle juridique à l’exercice par le Tribunal international de sa compétence sur l’Accusé.

II. DISPOSITIF

PAR CES MOTIFS, LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

REJETTE les mesures de réparation demandées par la Défense, à savoir la mise en liberté de l’Accusé et l’annulation de l’acte d’accusation dressé à son encontre, et REJETTE l’exception préjudicielle de la Défense.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Fait le 9 octobre 2002
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
M. le Juge Wolfgang Schomburg

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Dragan Nikolic alias Jenki, Affaire n° IT-94-2-I, acte d’accusation, 1er novembre 1994.
2 - Deuxième acte d’accusation modifié, 7 janvier 2002 (« Deuxième acte d’accusation modifié »).
3 - Requête de la Défense aux fins de mesures de réparation fondée, entre autres, sur l’arrestation illégale de l’accusé après son enlèvement et son emprisonnement illicites et sur des abus de procédure connexes, déposée en vertu de l’article 72 du Règlement, 17 mai 2001 (« Première Requête de la Défense »).
4 - Compte rendu d’audience en anglais, p. 39.
5 - Ibid., p. 39 et 40.
6 - Première Requête de la Défense, par. 1.
7 - Le Procureur c/ Blagoje Simic, Miroslav Tadic, Stevan Todorovic, Simo Zaric, Affaire n° IT-95-9, Décision relative à la requête aux fins d’assistance judiciaire de la part de la SFOR et d’autres Entités, 18 octobre 2000.
8 - Ibid., par. 3.
9 - Voir Réponse de l’Accusation à la « Requête de la Défense aux fins de mesures de réparation fondée, entre autres, sur l’arrestation illégale de l’accusé après son enlèvement et son emprisonnement illicites et sur des abus de procédure connexes, déposée en vertu de l’article 72 du Règlement », déposée le 31 mai 2001, par. 10, note 9, 31 mai 2001, (« Première Réponse de l’Accusation »).
10 - Ibid., par. 6.
11 - Ibid., par. 5, note 2. L’Accusation se fonde sur une dépêche de l’Agence France-Presse : Sept personnes condamnées à la prison par un tribunal yougoslave pour l’enlèvement de criminels de guerre présumés, 24 novembre 2000.
12 - Ordonnance, 13 juin 2001, par. 2.
13 - Directive du Juge de la mise en état en date du 6 juillet 2001 (la « Directive »).
14 - Motion to Determine Issues as Agreed Between the Parties and the Trial Chamber as Being Fundamental to the Resolution of the Accused’s Status Before the Tribunal in Respect of the Jurisdiction of the Tribunal under Rule 72 and, Generally, the Nature of the Relationship Between the OTP and SFOR and the Consequences of any Illegal Conduct Material to the Accused, his Arrest and Subsequent Detention, 29 octobre 2001 (« Deuxième Requête de la Défense »).
15 - Prosecutor’s Response to Defence « Motion to Determine Issues as Agreed Between the Parties and the Trial Chamber as Being Fundamental to the Resolution of the Accused’s Status Before the Tribunal in Respect of the Jurisdiction of the Tribunal under Rule 72 and, Generally, the Nature of the Relationship Between the OTP and SFOR and the Consequences of any Illegal Conduct Material to the Accused, his Arrest and Subsequent Detention » déposée le 29 octobre 2001, datée du 12 novembre 2001 (« Deuxième Réponse de l’Accusation »).
16 - Reply to the Response of the Prosecutor, filed on 12 November 2001, to the Defence Motion filed on 29 October 2001, en date du 19 novembre 2001 (« Réplique de la Défense »).
17 - Review of the Indictment Pursuant to Rule 61 of the Rules of Procedure and Evidence, 20 octobre 1995, par. 35 (« Procédure en vertu de l’article 61 »).
18 - Ibid., par. 36.
19 - Ibid.
20 - S/1995/910, 31 octobre 2001.
21 - Voir la note 2 supra.
22 - Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’autorisation de modifier le premier acte d’accusation modifié, 15 février 2002.
23 - Les passages figurant en gras dans cette citation correspondent au document original adopté par les parties.
24 - Annexe I de la Deuxième Réponse de l’Accusation.
25 - Ordonnance relative à la communication d’informations, 11 juillet 2002.
26 - Prosecution’s Submission of Information (Confidential - Annex A) Relating to the Accused’s Account of the circumstances of his Arrest, 12 juillet 2002 (« Allégations de l’Accusation »).
27 - Première Requête de la Défense, par. 3 ; Première Réponse de l’Accusation, par. 13.
28 - La Chambre de première instance note qu’au cours de l’audition de l’accusé, il a été demandé à celui-ci s’il avait connaissance d’une éventuelle implication de la SFOR et/ou du Tribunal dans son arrestation. Nikolic a répondu qu’il ignorait si les deux hommes qui l’avaient arrêté initialement avaient un lien quelconque avec la SFOR et/ou le Tribunal. En outre, l’accusé a affirmé qu’il avait d’abord cru que son arrestation était liée au meurtre d’Arkan qui avait eu lieu quelque temps auparavant. À cette occasion, un individu portant également le nom de Dragan Nikolic, soupçonné d’avoir participé à ce meurtre, a été blessé et est toujours en liberté.
29 - Première Requête de la Défense, par. 11.
30 - Deuxième Requête de la Défense, par. 20.
31 - Deuxième Requête de la Défense, par. 12.
32 - Ibid., par 7 à 11.
33 - Ibid., par. 10.
34 - Première Requête de la Défense, par. 9.
35 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 2.
36 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 6.
37 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 6 et 7.
38 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 17.
39 - Deuxième Requête de la Défense, par. 12.
40 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 6 à 8.
41 - Voir par exemple résolution 1031 (1995), par. 4, et résolution 1174 (1998), par. 4, du Conseil de sécurité.
42 - Non souligné dans l’original.
43 - L’IFOR est notamment chargée de veiller au respect des aspects militaires de l’Accord de paix, d’établir une liaison avec les autorités locales et les autres organisations internationales, d’aider les organisations internationales dans leurs missions humanitaires, de prévenir les entraves au mouvement des populations civiles et de surveiller les opérations de déminage.
44 - Non souligné dans l’original.
45 - Tel est le texte de l’article applicable depuis avril 2001. C’est alors que le mot « permanent » a été inséré devant le mot « juge » à la deuxième ligne. Depuis l’adoption de l’article en janvier 1996, celui-ci n’a subi que des modifications très mineures. En juin/juillet 1996, les mots « ou au Procureur » et « ou par le Procureur » ont été insérés dans cet article aux quatrième et sixième lignes respectivement. En 1997, la version anglaise de l’article a été légèrement modifiée pour permettre une référence aux accusés sans distinction de sexe.
46 - Décision Simic, note 7 supra, p. 17.
47 - Non souligné dans l’original.
48 - Non souligné dans l’original.
49 - Non souligné dans l’original.
50 - Voir résolutions 1174 (15 juin 1998) et 1247 (18 juin 1999) du Conseil de sécurité.
51 - Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, UN Doc. S/25704 (3 mai 1993), par. 125 et 126.
52 - Décision Simic, note 7 ci-dessus, p. 18 et 19.
53 - Le Procureur c/ Dokmanovic et consorts, « Décision relative à la requête aux fins de mise en liberté déposée par l’accusé Slavko Dokmanovic », 22 octobre 1997, affaire n° IT-95-13a-PT, par. 40 et 41.
54 - La Chambre observe que le mot « détenir » est utilisé dans la Règle d’engagement en cause et que ce concept a été utilisé depuis lors par la SFOR elle-même pour décrire son rôle à cet égard.
55 - A l’appui de la première interprétation, voir notamment : Paola Gaeta, « Is NATO Authorized or Obliged to Arrest Persons Indicted by the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia ? (L’OTAN a-t-il l’autorisation ou l’obligation d’arrêter les personnes mises en accusation par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) » dans l’European Journal of International Law, vol. 9, 1998, p. 174 à 181. A l’appui de la seconde interprétation, voir notamment : John R.W.D. Jones, « The implications of the Peace Agreement for the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia (Les implications de l’Accord de paix pour le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) dans l’European Journal of International Law, vol. 7, 1996, p. 226 à 244, p. 239 et suiv.
56 - Voir par exemple les remarques faites le 5 décembre 1995 par le Secrétaire général Warren Christopher au siège de l’OTAN à Bruxelles, où il a dit notamment : « ... en ce qui concerne la responsabilité de l’IFOR, la responsabilité de l’IFOR – ou la responsabilité de l’OTAN – est de livrer les criminels de guerre s’ils s’assurent de leur personne, ou s’ils entrent en contact avec eux ou si les criminels de guerre font obstruction au processus de mise en oeuvre. Mais ce n’est pas une obligation de l’OTAN – ni une responsabilité de l’IFOR – de traquer ou de rechercher les criminels de guerre. C’est la responsabilité des pays concernés (...) », cité dans : John R.W.D. Jones, note 55 ci-dessus, p. 239, note 48.
57 - Voir notamment les communiqués de presse de l’OTAN sur le site www.nato.int ou sur le site de l’American Forces Press Service www.dtic.mil/afos/news.
58 - Voir « Alliance : Rules of Engagement. ROE for Land, Air, Maritime and Joint Operations (Règles d’engagement de l’Alliance pour les opérations terrestres, aériennes et navales conjointes) », SHAPE, 10 mars 1997.
59 - Voir par exemple « Interview with Defence Department General Counsel J.A. Miller » (Interview de l’avocat général du Ministère de la Défense), dans l’American Bar Association National Security Law Report, été 1996, p. 2 ; Déclaration du Secrétaire général de l’OTAN, J. Solana, Communiqué de presse de l’OTAN (1999) 092.
60 - Deuxième Requête de l’Accusation, par. 12.
61 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 6 à 8.
62 - Voir « Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-sixième session, Supplément n° 10 » (A/56/10), chap. IV.E.2.
63 - Ibid., p. 125.
64 - Ibid., p. 125 (non souligné dans l’original).
65 - Ibid., p. 128 (non souligné dans l’original).
66 - Ces conditions sont énoncées de façon conjonctive dans le projet d’article 11 et son commentaire.
67 - Deuxième Requête de la Défense, par. 6 à 8.
68 - Deuxième Requête de la Défense, par. 14.
69 - Ibid.
70 - Ibid., par. 15.
71 - Ibid., par. 16.
72 - Ibid., par. 17.
73 - Ibid.
74 - Ibid., par. 20.
75 - Deuxième Requête de l’Accusation, par. 13.
76 - Ibid., par. 17.
77 - Ibid., par. 22.
78 - Voir l’Arrêt de la Chambre d’appel dans Jean-Bosco Barayagwiza c/ le Procureur, ICTR-97-19-AR72, du 3 novembre 1999, p. 42 et suiv.
79 - La Chambre aimerait faire remarquer qu’en général cette maxime a été interprétée et commentée beaucoup plus négativement dans la doctrine que dans la pratique juridique. Voir notamment « The Regionalisation of International Criminal Law and the Protection of Human Rights in International Cooperation in Criminal Proceedings, (La régionalisation du droit pénal international et la protection des droits de l’homme dans les procédures de coopération internationale en matière pénale) », Section IV du XVe congrès de l’Association internationale de droit pénal (AIDP), European Journal of Crime, Criminal Law and Criminal Justice 1995, p. 98 à 105.
80 - Ker v. Illinois, 119 U.S. 436 (1886).
81 - Frisbie v. Collins, 342 U.S. 519 (1952).
82 - United States v. Toscanino, 500 F 2d 267 (1974), p. 275.
83 - Ibid., p. 272.
84 - United States, ex rel. Lujan v. Gengler, 510 F.2d 62 (1975).
85 - Voir Paul Michell, « English-Speaking Justice : Evolving Responses to Transnational forcible Abduction after Alvarez-Machain (Justice anglophone : Réactions qui se dessinent à l’enlèvement forcé international après Alvarez-Marchain) », dans le Cornell International Law Journal, vol. 29, 1996, p. 383 à 500, à la p. 403.
86 - United States v. Alvarez-Machain, 504 U.S. 655 (1992).
87 - Voir Michell, note 85 ci-dessus, p. 404.
88 - United States v. Matta-Ballesteros, 71 F.3d 754 (1995).
89 - United States v. Noriega, 11th Circuit Court, Nos 92-4687 et 96-4471 (1997).
90 - Attorney-General v. Eichmann, 36 I.L.R. 18 (Tribunal d’instance d’Israël) et 304 (Cour suprême).
91 - 1960 UN Yearbook 196, UN Doc. S/4349.
92 - Dans la doctrine, ce procès est généralement considéré comme tellement exceptionnel, en terme de gravité des crimes dont Eichmann a été reconnu coupable, qu’il ne doit pas être pris comme exemple pour cautionner ou rejeter le principe male captus, bene detentus. Voir, par exemple, F.A. Mann, Reflections on the Prosecution of Persons Abducted in Breach of International Law, dans : Y. Dinstein (directeur de publication), International Law at a Time of Perplexity, Kluwer 1989, p. 407 à 421, plus particulièrement à la p. 414. Voir également Michel, note en bas de page 85 ci-dessus, p. 423 et 424.
93 - Scott, 9 B. & C., à la p. 448, 109 Eng. Rep., à la p. 167. Décision similaire prise en vertu du droit écossais, voir Sinclair v. H.M. Advocate, 17 R (Ct. Of Sess) 38 (H.C.J. 1890).
94 - Regina v. O./C. Depot Batallion, R.A.S.C. Colchester (Ex parte Elliot), 1 A11 E.R. 373 (K.B.) (1949)., aux p. 376 et 377.
95 - Regina v. Bow Street Magistrates’Court (Ex parte Mackeson), 75 Crim. App. 24 (1982).
96 - Re Bennett, Chambre des Lords, 24 juin 1993, All England Law Reports (1993) 3, aux p. 138 et 139.
97 - Ibid., p. 156.
98 - Levinge v. Director of Custodial Services, 9 N.S.W.L.R. 546.
99 - State v. Ebrahim, 2 S.A.L.R. 553, Arrêt du 26 février 1991.
100 - Affaire Jolis, Tribunal correctionnel d’Avesnes, 7 Ann Dig 191 (1933-1934).
101 - Pour plus d’informations sur cette affaire et d’autres, voir : Stephan Wilske et Teresa Schiller, Jurisdiction over Persons Abducted in Violation of International Law in the Aftermath of United States v. Alvarez-Machain, 1998, University of Chicago Law School Roundtable, p. 205 à 242, plus particulièrement à la p. 228.
102 - Affaire Argoud, Cour de cassation, 4 juin 1964, 45 ILR 90 (Cass Crim 1964), Clunet, JDI 92 (1965), p. 98.
103 - Bundesverfassungsgericht, Décision du 17 juillet 1985 - 2 BvR 1190/84, dans : EuGRZ 1986, p. 18 à 21, et critique de Herdegen, ibid., p. 1 à 3.
104 - State v. Beahan, 1992, (1) SACR 307 (A), p. 317.
105 - La Chambre de première instance se rend parfaitement compte que le concept d’«État lésé» convient probablement moins bien dans des situations où l’État en question a lui-même participé activement et de son plein gré au transfert de l’accusé depuis son territoire vers celui de l’État du for. Toutefois, pour des raisons de commodité, la Chambre utilisera toujours ce terme pour décrire l’État dans lequel l’accusé a initialement été retrouvé.
106 - Voir note en bas de page n° 92 ci-dessus.
107 - Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995, par. 55.
108 - Deuxième Requête de la Défense, par. 15.
109 - Voir par exemple : Toscanino, Hartley, Ebrahim et Bennett.
110 - Voir tout particulièrement l’affaire Argoud.
111 - Michell, note en bas de page 85 ci-dessus, p. 483.
112 - Susan Lamb, The Powers of Arrest of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia, British Yearbook of International Law, vol. 70, 1999, p. 167 à 244, à la p. 237.
113 - P. O’Higgins, Unlawful Seizure and Irregular Extradition, British Yearbook of International Law, vol. 36, 1965, p. 296.
114 - Selon le Blacks’ Law Dictionary, 7e édition, Appendix A, Legal Maxims, cet adage se traduit ainsi : «Agit avec tromperie celui qui demande ce qu’il devra rendre [immédiatement]».
115 - Deuxième Requête de la Défense, par. 16.
116 - Ibid., par. 17.
117 - Jean-Bosco Barayagwiza c/ Le Procureur, Arrêt rendu le 3 novembre 1999 par la Chambre d’appel du TPIR, par. 74.
118 - Deuxième Réponse de l’Accusation, par. 14.
119 - Ibid., par. 18 et suivants.
120 - Voir le Rapport du Secrétaire général visé à la note en bas de page 51 ci-dessus, par. 106 (non souligné dans l’original).
121 - Voir Barayagwiza, note en bas de page n° 117 ci-dessus, par. 77 et 73.
122 - Voir : Almeida de Quinteros and Quinteros Almeida v. Uruguay, Communication n° R24/107, Décision du 21 juillet 1983, Lopez v. Uruguay, Communication n° R12/52, Décision du 29 juillet 1981, Celiberti de Casariego v. Uruguay, Communication n° R13/56, Décision du 29 juillet 1981 et Canon Garcia v. Ecuador, CCPR/C/43/D/319/1988.
123 - Barayagwiza, note en bas de page 117 ci-dessus, par. 73.
124 - Deuxième Requête de l’Accusation, par. 17.