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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-96-22-A
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE LA CHAMBRE D'APPEL
3 M. Cassese, président
4 M. Li, juge
5 M. Stephen, juge
6 M. Vohrah, juge
7 M. McDonald, juge
8 LE PROCUREUR C/ Drazen Erdemovic
9 Le Bureau du Procureur M. Grant Nieman, M. Payam Akhavan
10 Le Conseil de la Défense M. Jovan Babic Lundi 26 mai 1997
11 L'audience est ouverte à 9 heures 35.
12 M. le Président (interprétation). Bonjour, puis-je demander au
13 greffe de citer l'affaire.
14 M. le Greffier (interprétation). - Nous sommes en présence de
15 l'affaire IT.96.22.PA, le procureur contre Erdemovic.
16 M. le Président (interprétation). - Quelles sont les comparutions.
17 M. Niemann (interprétation). - (hors micro)
18 M. Babic (interprétation). - Madame et messieurs les juges, je
19 m'appelle Jovan Babic. Je suis avocat de Yougoslavie et je défends
20 M. Erdemovic.
21 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Monsieur
22 Erdemovic, m'entendez-vous bien ?
23 M. Erdemovic (interprétation). - Oui.
24 M. le Président (interprétation). - Merci. Ce matin, nous allons
25 consacrer notre audience aux questions préliminaires prévues dans
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1 l'ordonnance fixant un calendrier en date du 5 mai 1997. A cet égard,
2 je tiens à remercier les deux partis d'avoir si rapidement exécuté
3 les demandes visant à la soumission d'écriture en l'espèce. Avant de
4 commencer, j'aimerais rappeler que la Chambre d'appel a décidé de ne
5 pas accorder l'autorisation de recevoir un mémoire d'amicus curiae de
6 M. Sienohé*. Permettez-moi vous dire comment nous entendons mener
7 l'audience. Etant donné que les deux parties ont présenté des
8 mémoires circonstanciés, il est inutile qu'ils nous représentent à
9 nouveau leur position. Je demanderai à chacune des parties si elles
10 ont des choses à ajouter, auquel cas chacune d'entre elles disposera
11 de dix minutes. Après quoi des questions seront posées par les juges
12 de la Chambre d'appel afin de préciser les positions adoptées par
13 chacune des parties. Si ceci vous convient, je commencerai par
14 demander au conseil de la défense s'il a des éléments qu'il veut
15 ajouter à l'argumentation écrite. Je parle ici uniquement des
16 questions préliminaires évoquées dans l'ordonnance du 5 mai.
17 M. Babic (interprétation). - Madame et messieurs les juges, je pense
18 que dans mon mémoire, j'ai été assez clair pour ce qui est de la
19 position que j'avais adoptée. Cette position se répercute dans les
20 plaidoiries, dans l'interjection d'appel et dans les premières
21 requêtes relatives aux questions préliminaires. Je n'ai rien d'autre
22 à ajouter.
23 M. le Président (interprétation). - Merci. Le procureur a-t-il des
24 éléments à ajouter.
25 M. Niemann (interprétation). - Effectivement, monsieur le Président,
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1 nous avons préparé des écritures très importantes, surtout sur la
2 question de savoir comment le droit international règle cette
3 question. Ce faisant, nous nous sommes efforcés d'aborder la question
4 de la jurisprudence et de faire valoir comment la jurisprudence doit
5 inévitablement aboutir à la conclusion qu'il n'y a pas contrainte
6 dans un crime qui implique le fait de prendre des vies humaines. Nous
7 avons également évoqué plusieurs aspects du compte rendu d'audience
8 qui devrait d'être une grande utilité à la Cour, quand elle va
9 examiner le cheminement de cette affaire jusqu'au jugement. Si vous
10 me donnez dix minutes, je voudrais utiliser ce temps pour présenter
11 ces arguments. Mais pour ce qui concerne les arguments de droit
12 international, ils sont déjà très bien présenté. Nous pourrions vous
13 remettre une copie de ces arguments, mais nous aimerions les
14 présenter à l'audience, la question étant très complexe à deux
15 titres. D'abord parce qu'il y a une division où il y a divers avis
16 dans les différents systèmes suivant qu'on est du système de Common
17 Law ou de droit romain. Les deux arguments amènent à une position qui
18 n'est pas toujours très claire. En droit international, nous disons
19 que les positions sont beaucoup plus claires, mêmes si à première vue
20 cela ne l'est pas, parce que la position de droit romain, bien sûr,
21 peut valoir et a une influence sur le droit international, mais en
22 fin de compte, nous pourrons dire que la jurisprudence prouve à
23 satiété que la contrainte n'existe pas. Nous tenions à vous présenter
24 ces arguments en audience, mais si vous le préférez, nous pourrons
25 vous soumettre le mémoire. Nous nous sommes préparés à un échange
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1 d'arguments. Le mémoire, inévitablement, présente des éléments plus
2 écrits qui devaient être étayés en audience. Mais si vous nous le
3 permettez, nous aimerions pouvoir présenter ces arguments aussi, à
4 moins que vous préfériez que nous soumettions le mémoire.
5 M. le Président (interprétation). - De combien de temps auriez-vous
6 besoin pour présenter les arguments.
7 M. Niemann (interprétation). - La question de droit international
8 serait présentée par mon collègue. Permettez-moi de m'entretenir avec
9 lui un instant. (M. Niemann et M. Akhavan se consultent.)
10 M. Niemann (interprétation). - Puis-je consacrer dix minutes ? La
11 même période serait utilisée par mon collègue. M'accordez-vous ce
12 délai ?
13 M. le Président (interprétation). - Volontiers.
14 M. Niemann (interprétation). - Madame et messieurs les juges, dans
15 notre mémoire, en réponse à la première question posée, nous avançons
16 ceci. A l'évidence que la contrainte soit un moyen de défense quand
17 il y a crime contre l'humanité, alors qu'il y a effectivement prise
18 de vies humaines, là nous disons que la contrainte ne vaut pas. En
19 dehors des questions de droit international, qui seront examinées par
20 M. Akhavan, nous disons que c'est une position intéressante
21 également. Au Royaume Uni, par exemple, en 1975 la House of Lords a
22 été saisie d'une question qui venait d'Irlande du Nord, reprise dans
23 les rapports de 1975 de Lynch. Dans cette affaire, on a examiné la
24 possibilité de présenter, comme moyen de défense, celui de la
25 contrainte dans un cas de tentative de meurtre par opposition à un
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1 meurtre de premier degré. Très rapidement, cette affaire a été
2 réexaminée par la House of Lords dans une affaire de 1976. Dans cette
3 affaire, la House of Lords faisait office de Chambre d'appel. Lord
4 Salmon, à cet égard, a présenté un exposé des plus instructifs sur la
5 question de la contrainte, lorsque la charge incriminée ou les faits
6 incriminés impliquent le fait de tuer des personnes innocentes. En
7 particulier le ministère public a alors examiné la question sous
8 l'angle de cas de crimes de guerre de la deuxième guerre mondiale. Sa
9 conclusion serait qu'il serait fort malencontreux que la Common Law
10 d'Angleterre soit modifiée, amendée, pour tenir compte de la
11 contrainte dans certaines circonstances où, en l'espèce, il y avait
12 effectivement un homicide intentionnel au premier degré. Même s'il y
13 a eu un déplacement momentané vers la possibilité de revoir la
14 contrainte comme moyen de défense, par exemple comme dans l'affaire
15 Lynch v DPP, un an plus tard, et ceci s'est terminé en 1977 avec
16 l'affaire RvHow reprise dans les rapports de la même année, la House
17 of Lords a renversé la décision qu'elle avait prise dans une affaire
18 précédente. C'est là une évolution intéressante dans la configuration
19 du droit. Nous disons dans nos arguments qu'il y aura toujours des
20 affaires qui vont recevoir davantage la sympathie des juges étant
21 donné les circonstances entourant le crime. La solution au problème
22 n'est pas de recevoir la contrainte comme élément de circonstances
23 atténuantes quand il y a le fait de tuer des personnes innocentes,
24 mais uniquement de le prendre dans le cas de circonstances
25 atténuantes. L'atténuation de la peine doit relever du pouvoir
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1 d'appréciation des juges. Parfois, il y a exemption de peine de ce
2 fait. Mais le fait de prendre des vies innocentes, guidé par le
3 principe de l'homicide international au premier degré, ne
4 justifierait pas que dans ce cas cette atténuation s'applique.
5 L'autre question est de savoir si le fait que l'accusé ait plaidé
6 coupable était équivoque. A notre avis, il n'y avait aucune
7 équivoque. L'accusé a plaidé coupable, après quoi il s'est uniquement
8 contenté de présenter cette excuse en vue d'atténuation de la peine.
9 L'excuse invoquée était l'obligation de respecter des ordres de
10 supérieurs hiérarchiques. Il n'y a aucune incertitude. Je crois que
11 le juge présidant la Chambre a pris grand soin, rappelez-vous, de
12 préciser la question aux pages 9 à 11 du compte rendu d'audience du
13 31 mai 1996. Le juge Jorda s'est entretenu de cette question quand
14 elle a été posée. A notre avis, la position initiale adoptée par
15 l'accusé n'a pas modifié alors que le temps s'écoulait. En effet, six
16 mois plus tard, lorsqu'il s'est retrouvé, le 19 novembre, devant la
17 Chambre de première instance (page 36 du compte rendu d'audience), sa
18 position n'avait pas changé. S'agissant du plaidoyer de culpabilité
19 lui-même, le Président a pris grand soin à étudier la question dans
20 tous ses détails. Quand il a abordé la question du plaidoyer de
21 culpabilité, il a évoqué l'article 21, alinéa 4a du statut du
22 Tribunal pour bien être sûr que l'accusé comprenait les charges
23 portées contre lui. Le Président a veillé aussi à ce que l'accusé ait
24 la possibilité de se préparer, d'organiser sa défense, d'avoir un
25 procès juste, équitable et public, que ces droits étaient compris et
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1 qu'il comprenait aussi la nature de l'accusation portée contre lui.
2 Jamais, à aucun moment préjudiciel ou à un constat de la comparution
3 initiale, le conseil de l'accusé n'a évoqué la question de la
4 contrainte. Il n'y avait manifestement pas pensé à ce stade de la
5 procédure à l'époque. C'est au cours des plaidoiries et réquisitions
6 finales, sept mois plus tard, que nous avons entendu parler de ce
7 moyen de défense. A ce moment-là, ce moyen était présenté de façon
8 différente de ce qu'avait invoqué l'accusé lui-même avec le juge qui
9 avait prononcé la sentence. Le problème posé ici, c'est que la
10 question de l'état mental, la nécessité d'avoir une analyse
11 psychiatrique, n'avait pas été évoquée au départ par l'accusé. C'est
12 la Chambre elle- même qui avait avancé cet argument, qui avait
13 demandé cet examen psychiatrique pour mieux prendre une décision.
14 Même à l'époque où l'argument était avancé, nous estimons qu'à ce
15 stade, il n'y a eu aucune discussion approfondie de la part du
16 Conseil ou de l'accusé. Lorsque le rapport de cet examen
17 psychiatrique a été présenté à la Chambre, on n'a pas non plus évoqué
18 la question de l'état mental de l'accusé. Nous disons que ceci est
19 arrivé à un stand très tardif de la procédure et de façon, nous
20 semble-t-il, opportuniste. Madame et Messieurs les Juges, nous
21 pensons qu'au moment de la perpétration du crime, si on avait posé la
22 question de la contrainte à ce moment-là plutôt qu'à un stade tardif,
23 il y aurait eu davantage de possibilités parce qu'un délai de sept
24 mois est un peu long. Il aurait fallu en arriver là alors qu'il
25 aurait été utile d'obtenir des rapports à un stade précédent de la
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1 procédure. On a aussi laissé entendre qu'à un moment donné de la
2 procédure, au niveau du prononcé de la peine, l'accusé avait suggéré
3 qu'il avait été en fait puni et frappé de ne pas avoir obéi aux
4 ordres de son supérieur. Nous ne sommes pas d'accord parce qu'il
5 avait déjà désobéi à des ordres de supérieurs sans conséquence. A
6 cela s'ajoute le fait qu'il avait ultérieurement désobéi à des ordres
7 sans répercussion sérieuse. En fin de compte, la personne responsable
8 qui lui aurait infligé cette blessure a malgré tout changé d'avis, a
9 veillé à son transfert à Belgrade où il pouvait recevoir un
10 traitement médical, ce qui semblerait dire que cette sanction de la
11 blessure n'en était pas véritablement une. Finalement, lorsqu'on est
12 allé à Belgrade pour étudier la question, il y a eu aussi une
13 audience sur la question, où effectivement des témoins ont dit que
14 les personnes concernées se trouvaient dans un bar, avaient bu, et un
15 soldat a tiré sur un autre. On ne peut donc pas dire que c'est là une
16 base valable pour expliquer qu'il ait eu peur de désobéir à l'ordre
17 du supérieur parce qu'il avait déjà désobéi auparavant. On peut donc
18 supposer que s'il avait des craintes générales pour la vie de sa
19 femme et de son enfant, il n'avait pas nourri ces craintes à d'autres
20 occasions. Il n'invoque que les occasions qui ont entraîné sa
21 condamnation, qui l'impliquent. Etant donné son état mental, cette
22 question a apparemment été bien réglée. Il n'y a eu aucun vice de
23 forme à aucun moment ultérieur de la procédure. On pourrait dire que
24 l'accusé lui-même dans son mémoire affirme qu'il campe sur sa
25 position s'agissant de son plaidoyer de culpabilité. Notre examen du
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1 compte rendu d'audience montre qu'à aucun moment, il n'a changé
2 d'avis. Il a dit clairement qu'il était coupable, il l'a répété bien
3 qu'il ait fait l'objet de nombreuses questions visant peut-être à le
4 faire changer d'avis. Une fois la sentence tombée, même s'il y a un
5 caractère équivoque, ceci ne constitue pas une base juridique valable
6 pour débouter ce moyen. Nous nous basons surtout sur le rapport de
7 Caroline Dunour* et des rapports des Etats-Unis, mais il y a aussi
8 l'affaire "La Reine contre Sullivan" de 1994. Dans cette affaire, la
9 House of Lords ne s'est pas saisie de cette question particulière,
10 mais elle a évoqué une situation d'une personne manifestement
11 innocente qui avait plaidé coupable étant donné les circonstances ou,
12 à défaut, il était considéré comme étant sain et la House of Lords
13 n'a eu aucune difficulté à accepter ce plaidoyer. Merci
14 M. le Président (interprétation). - Merci, maître Niemann. Maître
15 Akhavan ?
16 Me Akhavan (interprétation) - Madame et messieurs les juges, dans le
17 peu de temps qui m'est imparti, je voudrais rapidement reprendre les
18 points essentiels de notre argumentaire. La question qui se pose est
19 de savoir si la contrainte peut être retenue comme moyen exonératoire
20 face au fait de tuer des vies innocentes. J'aimerais insister sur le
21 fait que la contrainte est une excuse au titre du droit et non pas
22 une justification. On dit souvent que la contrainte est telle que les
23 actions de l'accusé ne sont pas volontaires. Toutefois, la contrainte
24 ne s'intéresse pas à une situation où une personne est forcée
25 physiquement à perpétrer un "actus reus" sans disposer d'aucun choix
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1 personnel. Dans de telles circonstances, l'accusé, de façon
2 invariable, serait exonéré de la charge. Il ne serait pas accusé d'un
3 crime parce qu'il n'a pas pu exercer son choix. C'est là une raison
4 fondamentale invoquée parce qu'il n'a pas pu agir librement. En tant
5 qu'excuse, la contrainte ne présuppose pas que l'accusé n'avait pas
6 d'intention délictueuse. Comme les commentaires Smith & Hogan
7 l'observent, lorsque l'on évoque la contrainte comme moyen de
8 défense, l'accusé, je cite, "reconnaît qu'il était en mesure de
9 contrôler ces actes" et a choisi les actes dont il est accusé. Mais
10 il nie la responsabilité de commettre ces actes. Il va peut-être dire
11 "je n'avais pas de choix", mais ceci n'est pas "strico sensu" exact.
12 L'alternative à la perpétration était peut-être à ce point
13 inintéressante qu'aucune personne raisonnable ne l'aurait choisie,
14 mais choix il y avait. La contrainte, par conséquent, à notre avis...
15 M. Babic (interprétation). - Je n'entends pas l'interprétation.
16 M. le Président (interprétation). - Y a-t-il un problème
17 d'interprétation ? Est-ce que le son passe en cabine ?
18 M. Babic (interprétation). - Tout va bien.
19 M. le Président (interprétation). - Merci. Poursuivez, monsieur.
20 Me Akhavan (interprétation) - Par conséquent, Madame et Messieurs les
21 Juges, la contrainte n'est pas un moyen de défense catégorique
22 lorsqu'il y a conduite criminelle. A l'inverse d'autres moyens, elle
23 ne présuppose pas l'absence d'intention délictueuse de "mains rea".
24 La notion qu'un acte commis sous la contrainte soit involontaire est
25 simplement une fiction juridique, comme le dit la Cour Suprême du
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1 Canada dans l'affaire de 1984 de Perka contre la Reine repris dans le
2 treizième rapport juridique du deminium de 1984. Comme le décrit la
3 Cour Suprême, "les aspects involontaires de la contrainte ne sont",
4 je cite, "que mesurés à l'aune des attentes de la société lorsqu'il y
5 a une résistance appropriée à la pression". Je voulais simplement
6 insister sur le fait, qu'à l'inverse de la justification, la
7 contrainte est une excuse et sa portée est déterminée comme le disait
8 la Cour Suprême du Canada. Elle est basée sur les attentes de la
9 société. Elle ne violerait aucun principe de droit international si
10 la Chambre d'Appel décidait de ne pas l'appliquer pour cette
11 accusation. Je passe rapidement à la question de la contrainte en
12 moyen de défense au titre du droit international. Notre mémoire
13 l'indique clairement. Le poids extraordinaire des éléments de preuve
14 des décisions d'après-guerre montre, de façon irréfutable, que la
15 contrainte ne peut jamais être reçue comme moyen de défense lorsqu'il
16 y a un crime de meurtre. La seule exception claire à cette règle est
17 le procès "Einsatzgruppen Trial" aux Etats-Unis mais comme nous
18 l'avons indiqué dans nos écritures, cette affaire ne cite aucun
19 précédent à l'appui de sa thèse selon laquelle la contrainte peut
20 constituer un moyen de défense en cas de meurtre. Cette affaire va
21 contre les droits et décisions des cours militaires américaines de
22 même que contre la Common Law anglo-saxonne. Cette décision a fait
23 l'objet de vives critiques d'éminents commentateurs y compris le
24 Professeur Schlaterbach et Laurent Insteen*. Je tenais simplement à
25 rappeler également que le calibre ou le pedigree du Common Law en
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1 droit international ne devrait en aucun cas modifier la position du
2 droit international s'agissant de la recevabilité de la contrainte
3 comme moyen de défense. La Cour s'entend dire qu'il faut rejeter tous
4 les précédents parce qu'il y a trop d'aspects du Common Law, mais
5 ceci négligerait le côté éclectique du droit international qui glane
6 ici et là des éléments dans les différents systèmes internationaux.
7 S'il fallait étudier chaque droit, chaque loi, ceci pourrait saper
8 l'ensemble de cet édifice que constitue le droit. Pour étayer ceci et
9 par quelques exemples, le droit du complot discuté lors de la
10 préparation de la Charte en 1944 a été considéré par la délégation
11 française comme étant un concept barbare. La délégation russe était
12 tout à fait choquée du concept de la conspiration du complot. Ceci a
13 été retenu dans la Charte et développé par la Jurisprudence, tant par
14 des Cours internationales et par d'autres Cours, notamment celles qui
15 se trouvent sous le contrôle du droit du Conseil n° 10. On ne peut
16 pas dire que la conspiration puisse être retenue comme concept de
17 droit pénal international et nous avançons que ceci s'applique
18 également aux moyens de défense de la contrainte. Le fait que le
19 droit international dans ses positions concoure par le fait de
20 l'évolution historique avec la position de la Common Law, le fait que
21 la contrainte ne peut manifestement pas être invoquée comme moyen de
22 défense au titre du droit international, ceci ne peut être contesté
23 en aucune façon du seul fait de l'origine de ce concept. Je
24 terminerai en soulignant que cette question de droit ne peut pas être
25 réglée par un examen exhaustif de tous les systèmes internes quand on
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1 reprend la catégorie générale des principes de droit. Tout d'abord,
2 les décisions de Nuremberg elles-mêmes sont reconnues comme étant le
3 reflet de principes généraux de droit, ceci apparaît clairement dans
4 les travaux préparatoires du pacte international des droits civils et
5 politiques s'agissant de l'article 15 paragraphe 2 qui reconnaît les
6 principes généraux. Ceci étant un moyen de satisfaire aux principes
7 d'une " lund criment sine lege" et ceci a été repris explicitement
8 pour ratifier la Jurisprudence des procès d'après-guerre. Ceci vaut
9 aussi pour le deuxième paragraphe de l'article 7 de la Convention
10 Européenne des Droits de l'Homme où là aussi il y a une Jurisprudence
11 qui soutient le fait que la jurisprudence de notre Tribunal reflète
12 des principes généraux de droit. Deuxièmement, si on essaie de
13 résoudre une question aussi pointue de droit en se fondant sur des
14 principes généraux, ce serait excessivement difficile. Ces principes
15 sont de par nature généraux. Ils ne sont pas conçus pour régler des
16 questions très précises, très pointues dont celles que connaît cette
17 Cour. En tout état de cause, ce moyen n'aboutirait pas à une réponse
18 claire car il est manifeste que les systèmes juridiques internes
19 adoptent des positions variées, positions variées qui ne sont pas
20 simplement des différences de système entre la Common Law et le droit
21 romain. A l'intérieur même de la Common Law, il y a des divergences
22 de vue très marquées sur la portée de la contrainte en tant que moyen
23 de défense. Ainsi, au Royaume Uni, la contrainte est un moyen de
24 défense contre tout crime, à l'exception du meurtre, de l'aide et de
25 la contribution à la commission de meurtre, de la trahison qui
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1 concourt à la mort du souverain. Mais, au Canada, la Cour suprême
2 l'applique pour toute une série de délits. La contrainte ne peut donc
3 pas simplement être invoquée comme moyen de défense contre le meurtre
4 ou la trahison, mais pour d'autres délits comme le fait de graves
5 atteintes à l'intégrité physique, sévices sexuels ou kidnapping. La
6 seule façon dont la Chambre peut régler, en toute certitude, cette
7 question sera en étudiant les points pertinents de droit
8 international comme l'ont fait les tribunaux d'après- guerre. Ceci, à
9 notre avis, au vu de la Jurisprudence, montre bien que la contrainte
10 ne peut pas être reçue comme étant un moyen de défense puissant
11 contre l'accusation de meurtre. Si vous le voulez, je pourrais vous
12 donner d'autres éléments, mais voilà, grosso modo, les arguments
13 présentés par le Procureur.
14 M. le Président (interprétation). - Avant de passer aux questions, je
15 voudrais me tourner vers la défense et lui demander si elle souhaite
16 réagir aux arguments présentés oralement par l'accusation.
17 M. Babic (interprétation). - Quelques remarques simplement, Madame et
18 Messieurs de la Cour. Nous traitons ici du rapport qui existe entre
19 les principes généraux et les principes qui s'appliquent à l'affaire
20 qui nous occupe dans les pays pour lesquels le code pénal traite ces
21 questions. Dans les codes européens, nulle part, en tout cas
22 s'agissant des codes auxquels j'ai eu accès, on ne trouve un système
23 qui exclut la contrainte pour des infractions d'ordre pénal. Par
24 conséquent, si un concept dans la partie générale du code pénal tel
25 que la nécessité extrême, la contrainte ou d'autres concepts généraux
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1 sont prévus, ils doivent s'appliquer à tous les actes à caractère
2 délictueux quel que soit le degré de leur gravité. Voilà le principe
3 de base sur lequel s'appuient tous les codes pénaux des pays
4 européens, c'est ce que je dis dans mon exposé. Si nous n'acceptons
5 pas cette idée, nous retournons alors au principe "Crimen sine lege"
6 ou "Crimen sine pena", ce qui voudrait dire que nous n'avons pas de
7 concept au départ. Dans l'audience initiale, j'ai dit que ma
8 principale objection portait sur la nature du droit appliqué, s'agit-
9 il du "Common Law", du droit romain ou de concept qui s'inspirait du
10 procès de Nuremberg ou d'une certaine jurisprudence. Voilà pour ce
11 qui concerne la contrainte et la notion générale de contrainte dans
12 les codes de droit pénal. L'accusation dit que la contrainte est
13 fondée sur les attentes de la société. Quelle société ? Si nous
14 parlons de la société qui prévalait sur le territoire de l'ex-
15 Yougoslavie et des valeurs morales de cette société-là, concernant
16 cette infraction et d'autres infractions similaires, alors la
17 position de cette société-là est exprimée dans le mémoire que j'ai
18 présenté faisant appel au jugement à savoir que "n'est pas mauvais
19 celui qui fait le mal pour se défendre du mal", citation que je
20 rappelais dans le mémoire. Il n'est pas possible d'exclure la
21 contrainte si elle existe en rapport avec l'acte que consiste
22 l'assassinat. Si cette contrainte est avérée lors des procédures,
23 alors elle doit être acceptée. Lorsque mes collègues réfléchissent
24 sur cette question en faisant appel à des précédents, ils font appel
25 au droit national et à des décisions judiciaires nationales. Voyons
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1 donc si nous n'avons pas de droit international codifié en la
2 matière, il faut alors décider quelles sont les décisions de droit
3 national qui font autorité en l'occurrence. Il est une dernière chose
4 que je voudrais faire observer concernant l'état mental de l'accusé.
5 Mes collègues ont tort de dire que la défense a tardé à invoquer
6 l'état mental de l'accusé. La défense n'a pas eu la possibilité et
7 n'aurait pas dû même avoir à faire observer l'état mental de l'accusé
8 puisque ce système de défense a été présenté dès la première
9 déclaration prononcée par l'accusé devant la Chambre de première
10 instance, quand il a reconnu sa culpabilité. Voilà mes observations
11 pour l'instant, monsieur le Président.
12 M. le Président (interprétation). - Si mes confrères sont d'accord
13 avec moi, je crois que nous allons commencer par une série de
14 questions aux deux parties. Pour ma part, et sans plus tarder, je
15 voudrais poser des questions à la défense. J'ai deux questions,
16 Me Babic, concernant ce que vous avez écrit dans votre mémoire et
17 aussi concernant ce que vous avez dit ce matin. Dans votre mémoire
18 écrit, vous dites, Monsieur Babic, que l'accusé, Erdemovic, a agi
19 sous la contrainte ou, comme vous le dites, dans un état de
20 nécessité. La nécessité est un argument de défense et si je vous
21 cite : "elle exclut l'existence de l'infraction ou la culpabilité du
22 défendeur". Vous dites aussi qu'en Yougoslave, encore une fois je
23 vous cite : "une distinction très nette est faite entre une
24 infraction et la responsabilité pénale". Vous continuez en disant :
25 "le fait que quelqu'un a commis une infraction ne signifie pas qu'il
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1 soit nécessairement responsable sur le plan pénal de cette
2 infraction". Ceci correspond à ce que vous avez dit devant la Chambre de
3 première instance dans votre plaidoirie. Je me fonde ici sur la
4 version anglaise, à la page 57, ligne 29, vous dites que M. Erdemovic
5 s'est accusé lui-même et s'est en même temps défendu. Puis, page 62,
6 vous citez plusieurs codes pénaux de différents pays européens qui
7 tous signifie d'après vous, et je vous donne raison : "que
8 l'existence d'un état d'extrême nécessité est une raison
9 d'exonération de la culpabilité ou de la responsabilité pénale".
10 Toujours fidèle à cette position, aux pages 64 et 65 de la version
11 anglaise toujours, je vous cite dans votre plaidoirie, vous dites
12 avoir demandé que votre client, M. Erdemovic, soit acquitté. Et, à
13 titre d'alternative, vous demandez que la contrainte ou la nécessité soit
14 considérée comme une circonstance atténuante. Si tel est le cas,
15 comment pouvez-vous arguer que le plaidoyer de culpabilité n'a pas un
16 caractère ambiguë. Je reprends les termes de votre mémoire écrit. Au
17 paragraphe 2, vous dites que "le plaidoyer de culpabilité n'a pas de
18 caractère ambigu". Ne jugez-vous pas qu'il y a là une certaine
19 incohérence, une certaine contradiction à dire, d'une part, que le
20 défendeur, bien qu'il ait commis une infraction, n'est pas
21 responsable pénalement étant donné l'état de nécessité et, d'autre
22 part, que le plaidoyer de culpabilité est valable. Monsieur Babic, en
23 vertu de notre statut, comme vous le savez, plaider coupable n'est
24 pas synonyme d'avouer un crime. En vertu du Statut du Tribunal,
25 plaider coupable signifie que l'on reconnaît sa responsabilité pénale
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1 dans l'infraction commise. Après avoir plaidé coupable, la question
2 de savoir si quelqu'un est pénalement responsable ne se pose plus. Ce
3 problème de la responsabilité pénale est réglé une fois pour toutes
4 par le plaidoyer de culpabilité. Le seul problème qu'il faut encore
5 régler alors tourne autour de la peine à infliger à l'accusé, la
6 sentence. Je voudrais que vous répondiez à cette question que je
7 viens de vous poser. Je répète pour que cela soit bien clair. Pour
8 moi, il y a contradiction dans ce que vous dites. Pouvez-vous
9 réagir ?
10 M. Babic (interprétation). - Monsieur le Président, je ne vois pas de
11 contradiction dans les arguments que j'ai présentés. Cela dit, je
12 peux même m'appuyer sur le droit national de mon pays, sur la
13 pratique judiciaire ainsi que sur la théorie. D'après le code pénal
14 de la Yougoslavie, pour que quelqu'un soit condamné et jugé coupable,
15 il faut prouver les éléments objectifs de l'acte incriminé, ainsi que
16 ses éléments subjectifs. Permettez-moi ici une digression. Dans les
17 procédures que nous avons ici, je crois personnellement, bien que mes
18 confrères de l'accusation me le reprochent, qu'il appartenait à
19 l'accusation de prouver tant l'élément objectif que subjectif de
20 l'infraction pour que l'accusé soit jugé coupable par la Chambre. Il
21 nous a été dit qu'aucune requête n'était présentée afin que des
22 experts se prononcent sur l'état mental de l'accusé au moment de
23 l'infraction, car en vertu de notre code pénal, il appartient à
24 l'accusation de le faire. Par conséquent, si l'accusé comparaissait
25 devant un Tribunal yougoslave et disait : oui, j'ai commis telle et
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1 telle infraction et s'il explique pourquoi il a commis cette
2 infraction, dans quelles circonstances, alors il peut être déclaré
3 non responsable étant donné l'absence d'acte criminel s'il es prouvé
4 que cet acte a été commis dans un état d'extrême nécessité, en état
5 de légitime défense ou sous la contrainte. C'est une première chose.
6 Deuxième chose. Un défendeur, d'après notre droit, peut être dégagé
7 de sa responsabilité pénale s'il est prouvé qu'au moment de la
8 commission de l'infraction, il était dans un état mental équivalent à
9 un état d'irresponsabilité ou s'il n'y avait pas de préméditation
10 directe ou indirecte. Voilà pourquoi mon hypothèse de départ était et
11 reste que la déclaration de mon client n'est pas ambiguë. Par son
12 plaidoyer, il a exprimé une attitude morale vis-à-vis de l'infraction
13 et expliqué les circonstances dans lesquelles il a commis cet acte.
14 Ensuite, nous ne mettons pas en cause la déclaration de l'accusé, pas
15 même pour ce qui concerne son état mental, même si la première
16 déclaration au moment où des médecins ont expliqué que mon client
17 souffrait d'un syndrome post-traumatique. Avant cela, mon client
18 avait déjà fait une déclaration. Il l'a répétée sous serment devant
19 la Chambre de première instance et cette déposition faite sous
20 serment valide toutes les déclarations antérieures. Nous ne remettons
21 absolument pas en question les déclarations de l'accusé.
22 M. le Président (interprétation). - Je vous comprends, monsieur
23 Babic. Mais il me semble que vous continuez à vous en tenir au code
24 pénal yougoslave. Je crains qu'ici, au Tribunal pénal international,
25 nous n'appliquions pas le code de quelque pays que ce soit, qu'il
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1 s'agisse du code pénal yougoslave, du code pénal français, allemand
2 ou américain. Nous appliquons notre Statut et notre Règlement de
3 procédure. Or en vertu du statut, lorsqu'on dit "je plaide coupable",
4 cela signifie que "je me considère comme pénalement responsable". Si
5 vous dites "je plaide coupable, mais j'ai assassiné quelqu'un parce
6 que j'ai agi en situation de légitime défense" vous niez votre
7 responsabilité pénale. Vous ne vous considérez pas comme coupable et
8 ne dites pas que vous l'êtes, vous dites j'ai commis un acte qui est
9 contraire au droit criminel, mais je dois être exonéré par le fait
10 que j'étais en situation de légitime défense. Auquel cas, il n'y a
11 pas de plaidoyer de culpabilité. Je ne veux pas poursuivre cette
12 discussion maintenant, mais vous devez comprendre qu'aux yeux de
13 notre Statut, donc aux yeux du Tribunal, telles sont les règles qui
14 s'appliquent, règles inscrites au Statut et au Règlement de procédure
15 qui constitue en quelque sorte notre Code Pénal. Je me demande si mes
16 confrères ont des questions à poser à M. Babic ?
17 M. Li (interprétation). - Maître Babic, je voudrais vous poser une
18 question. Pourriez-vous citer un jugement rendu par un tribunal
19 militaire, après la deuxième guerre mondiale, dans lequel on pourrait
20 trouver un argument exonérant entièrement un accusé d'avoir tué des
21 civils du fait de la contrainte ; affirmation qui aurait mené à
22 l'acquittement de l'accusé ?Voilà ma question.
23 M. Babic (interprétation). - Monsieur le Juge, les jugements auxquels
24 j'ai eu accès, je les ai déjà mentionnés dans le mémoire d'appel,
25 dans le document interjetant appel du jugement et dans mon
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1 réquisitoire. Il s'agit de jugements rendus en 1947 et 1948, lorsque
2 le principal accusé de violations graves du droit humanitaire
3 international était jugé. Dans tout ces jugements, nous constatons
4 que la contrainte et les ordres de supérieurs hiérarchiques ne
5 peuvent être reçus comme circonstances exonératoires des crimes
6 commis par les Nazis. Telle était d'ailleurs la position du Tribunal
7 de Nuremberg. Mais, pour ma part, je ne juge pas que ces sentences
8 soient applicables aux cas qui nous occupe. Dans ces jugements de
9 1947 et 1948, je n'ai jamais constaté que la contrainte exonérait de
10 la responsabilité pénale, mais je ne pense pas que ces affaires-là
11 soient similaires à l'affaire qui nous occupe maintenant car on y
12 parle de soldats réguliers. Ces jugements ne font pas référence à des
13 militaires d'un grade aussi peu élevé que mon client. Il y a un cas
14 bien connu en Yougoslavie, où un soldat a reçu l'ordre de tuer des
15 personnes innocentes. Il a refusé d'exécuter cet ordre. On l'a
16 dégradé et il a été désarmé devant les gens qui plus tard ont
17 effectivement été exécutés. On peut trouver dans les archives de la
18 Cinémathèque yougoslave un film de cette scène. On pourrait même
19 montrer ce film comme élément de preuve. Ma réponse est donc que de
20 toute évidence dans les jugements de 1947 et 1948, il n'y a pas eu ce
21 genre de situation à laquelle vous avez fait référence.
22 M. Li (interprétation). - Vous dites qu'il n'y a pas de jugement
23 rendu par un tribunal militaire après la deuxième guerre mondiale
24 affirmant qu'une accusation d'avoir tué des personnes civiles sous la
25 contrainte peut néanmoins faire l'objet d'un acquittement. Vous dites
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1 donc bien qu'il n'y a pas de jugement émanant d'un tribunal militaire
2 allant dans ce sens. Est-ce bien ce que vous avez dit ?
3 M. Babic (interprétation) - Oui, absolument.
4 M. Li (interprétation) - Pas de précédent judiciaire pour cette
5 question ? M. Babic (interprétation). - Oui, c'est exact.
6 Mais permettez-moi d'ajouter, encore une fois, que je ne considère pas ces
7 jugements et d'ajouter, encore une fois, que je ne considère pas ces
8 affaires-là comme étant comparables à l'affaire qui nous occupe et qui
9 est maintenant jugée. M. Li - Je vous remercie. Pourrais-je poser une
10 autre question, mais cette fois à l'avocat de l'accusation ?
11 M. le Président (interprétation. - Plus tard, si vous le voulez bien.
12 Nous allons d'abord poser les questions à la défense.
13 Mme McDonald (interprétation) - Maître Babic, lorsque M. Erdemovic a
14 plaidé coupable, il a ajouté à cela qu'il avait agi sous la
15 contrainte, n'est-ce pas ?
16 M. Babic (interprétation). - Oui.
17 Mme McDonald (interprétation) - A-t-il, à ce moment-là, invoqué cet
18 argument de la contrainte comme un moyen de défense ou comme une
19 circonstance atténuante devant entraîner une atténuation de la
20 peine ?
21 M. Babic (interprétation). - Nous revenons à la question de la raison
22 d'être de la déclaration de l'accusé, ce qui est une question
23 théorique. La déclaration de l'accusé doit être reçue comme moyen de
24 preuve et comme moyen de défense, autant l'un que l'autre. Il serait
25 illogique de considérer cette déclaration seulement d'un point de vue
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1 ou de l'autre. Si l'accusé Erdemovic, dans son témoignage, dit qu'il
2 était coupable parce qu'il a participé effectivement où a dû
3 participé comme il l'a dit, c'est à la fois une accusation et une
4 défense, et nous ne mettons pas en cause cette déclaration de
5 l'accusé. Par ailleurs, l'accusation n'a avancé aucun autre moyen de
6 preuve. Le seul moyen de preuve faisant état de cette infraction est
7 le témoignage de l'accusé. Si cette déclaration est recevable
8 concernant cette infraction grave, elle doit aussi être recevable
9 pour ce qui est des conditions dans lesquelles l'acte a été commis.
10 Ainsi, mon client a fait cette déclaration tant sur le plan de la
11 reconnaissance de la culpabilité que pour se défendre.
12 Mme McDonald (interprétation) - Je voudrais poursuivre sur plan ce
13 plan. Lorsque le plaidoyer de culpabilité a été prononcé par
14 l'accusé, était-ce alors votre intention de accepter cette
15 culpabilité par la Chambre de première instance et d'obtenir ainsi un
16 verdict exonérant l'accusé de toute peine ? Ou votre attention était-
17 elle de faire en sorte que cette déclaration de culpabilité soit
18 prise en considération pour atténuer la peine à infliger à l'accusé ?
19 M. Babic (interprétation). - Ma position et les arguments que j'ai
20 avancés, à la suite de cette déclaration de l'accusé, était une
21 position alternative. J'aurais voulu que cette déclaration de
22 culpabilité soit reçue et que l'accusé soit exempté de toute peine.
23 Et, si ce raisonnement n'était pas accepté, si les arguments invoqués
24 par mon client n'étaient pas reçus, que ces faits soient pris en
25 considération et qu'une atténuation importante de la peine soit
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1 accordée.
2 Mme McDonald (interprétation) - Je poursuis encore dans la même
3 ligne. Au paragraphe 14, page 7 du jugement, la Chambre de première
4 instance dit que "le plaidoyer de contrainte peut atténuer la peine
5 infligée, et selon la valeur probante et le poids à accorder à ces
6 facteurs cela peut éliminer l'intention délictueuse afférente à
7 l'acte incriminé, et par conséquent l'acte lui-même". Pour moi, à la
8 lecture de cette partie du jugement, il ressort que la Chambre de
9 première instance a adopté la même position que celle que vous venez
10 de défendre.
11 M. Babic (interprétation). - Mais, cela n'a pas été pris en compte
12 dans le jugement final.
13 Mme McDonald (interprétation). - Oui, effectivement, je comprends
14 bien. A ceci près qu'il semble bien que le jugement varie un peu.
15 Parfois, il parle de circonstances atténuantes, parfois il parle de
16 moyens de défense. C'est peut-être là une explication de ce que
17 voulait la Chambre de première instance, en ce sens qu'elle voulait
18 atténuer, mais la peine en fonction de la valeur probante du poids à
19 accorder aux déclarations de l'accusé qui serait susceptible alors
20 d'éliminer l'intention délictueuse et l'acte incriminé lui-même. Je
21 comprends votre position, à savoir que la Chambre de première
22 instance n'a pas accordé à cet argument le poids voulu. Si je vous
23 comprends bien toujours, vous invoquez cet argument à la fois comme
24 moyen de défense et comme circonstance atténuante, n'est-ce pas ?
25 M. Babic (interprétation). - Oui, effectivement. Monsieur le
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1 Président, je suis véritablement honoré d'être le premier avocat à
2 comparaître devant le Tribunal pour traiter des questions à ce point
3 importantes. C'est pourquoi j'ai eu le sentiment qu'il était
4 important que nous parvenions à une entente qui s'appliquerait non
5 seulement à l'affaire présente, mais peut-être aussi aux affaires
6 futures.
7 Mme McDonald (interprétation) - J'ai encore une question, si vous le
8 permettez. Je crois comprendre que votre position est qu'il incombe à
9 l'accusation de prouver l'absence de contrainte. Votre position, à
10 vous, étant qu'il y a un élément délictueuse ou que c'est là un
11 élément de l'infraction requis. Donc, l'accusation doit prouver que
12 votre client avait cette intention délictueuse. Est-ce bien juste ?
13 M. Babic (interprétation). - C'est ma position. Je pense que c'est
14 aussi la position défendue par les codes pénaux des pays européens, à
15 savoir que la charge de la preuve incombe à l'accusation, non
16 seulement pour ce qui est de l'élément objectif de l'infraction, mais
17 aussi pour l'éléments subjectifs de l'infraction, c'est-à-dire
18 l'intention délictueuse. Il appartient à l'accusation de le prouver,
19 ce qui ne veut pas dire que la défense doit jouer un rôle passif en
20 la matière.
21 Mme McDonald (interprétation) - Ce matin, vous avez dit que
22 concernant la contrainte, l'intention délictueuse et l'acte
23 délictueux existent. Mais, vous dites qu'il y avait aussi contrainte,
24 et vous l'invoquez comme moyen de défense, et par conséquent qu'il
25 n'y a pas de choix moral pour l'accusé. Cela étant, si vous acceptez
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1 l'idée que même dans une situation de contrainte, il peut y avoir
2 l'intention délictueuse, persisteriez-vous à dire alors que la charge
3 de la preuve de l'existence de l'intention délictueuse incombe
4 toujours à l'accusation pour renverser le moyen de défense qu'est la
5 contrainte ? Comprenez-vous ma question ?
6 M. Babic (interprétation). - Oui, je vous comprends. J'ai dit que
7 l'élément subjectif d'un acte délictueux était la compétence et la
8 préméditation. D'après les codes européens, il faut prouver l'élément
9 objectif, il faut prouver que quelqu'un a commis l'acte. Il faut
10 prouver l'acte lui-même, ses conséquences, ses tenants et ses
11 aboutissants. Voilà, quels sont les éléments objectifs. L'élément
12 subjectif est le fait que quelqu'un soit mentalement capable de
13 commettre cet acte et qu'il ait l'intention délictueuse requise pour
14 commettre cet acte, qu'il ait le "mains rea" requis, donc qu'il fait
15 preuve sur le plan mental de sa capacité de commettre cet acte
16 consciemment. Deuxièmement, est-ce qu'il accepte ce qu'il est en
17 train de faire ? A-t-il la volonté de commettre l'acte ? Voilà le
18 droit des pays européens et il appartient à l'accusation de prouver
19 ces éléments. La défense peut bien sûr, si c'est dans son intérêt,
20 peut aussi intervenir sur ce plan.
21 Mme McDonald (interprétation). - Il n'empêche que le plaidoyer de
22 contraintes peut aboutir à l'atténuation de la peine, et si c'est
23 cela qui est important plutôt que le moyen de défense, est-ce qu'il
24 incombe alors à la défense de prouver la validité de son plaidoyer de
25 contraintes, ou cette charge reviendrait-elle plutôt à l'accusation ?
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1 M. Babic (interprétation). - J'aimerais une fois de plus revenir au
2 code pénal yougoslave. D'après celui-ci, quelles que soient les
3 allégations des deux parties, la Cour peut établir certains faits
4 indépendamment des arguments des parties. Dans le cas où ce serait
5 l'accusation ou la défense qui devrait prouver la contrainte en tant
6 que circonstance atténuante, nous avons essayé d'apporter cette
7 preuve, ce que, à mon avis, nous avons fait, tout du moins en tant
8 que circonstance atténuante.
9 Mme McDonald (interprétation). - Vous faites référence... C'est ma
10 dernière question, Monsieur le Président, si vous me permettez. Vous
11 dites : "Ne commet pas le mal celui qui fait quelque chose de mal en
12 guise de défense." et vous l'avez dit dans vos plaidoiries initiales
13 ce matin. Vous avez cité ceci pour le cas de légitime défense.
14 Pourtant, cette citation pose le question de la légitime défense. Or,
15 ce n'est pas ce qu'a invoqué M. Erdemovic lorsqu'il a plaidé
16 coupable. Il n'invoquait pas la légitime défense, n'est-ce pas ?
17 M. Babic (interprétation). - Madame le Juge, c'est une excellente
18 remarque que la vôtre. Il est vrai que cette citation rappelle la
19 légitime défense, mais elle rappelle également l'extrême nécessité
20 parce que la nécessité et la légitime défense excluent
21 l'incrimination. Il y a donc aussi la notion, le concept d'extrême
22 nécessité.
23 M. Le Président. - Si ceci ne vous dérange pas, Monsieur Babic, je
24 voudrais vous poser une deuxième question qui ne porte pas sur la
25 question du plaidoyer de culpabilité ou du moins pas de la même façon
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1 que nous avons évoqué tout récemment d'autres questions. Vous savez
2 que M. Erdemovic a été accusé par le Procureur pour ces mêmes faits
3 de crimes de guerre et/ou de crimes contre l'humanité. M. Erdemovic a
4 plaidé coupable des crimes contre l'humanité. Voici ma question.
5 Avez-vous expliqué à M. Erdemovic la différence qu'il y a entre un
6 crime de guerre et un crime contre l'humanité, et plus
7 particulièrement, avez-vous expliqué à M. Erdemovic que, toutes
8 choses étant égales, qualifier une infraction de crime contre
9 l'humanité, une telle qualification encourt en général une peine plus
10 lourde que celle qui dépend de la Commission d'un crime de guerre ?
11 Par exemple, si quelqu'un est accusé d'avoir tué cinq voire dix
12 personnes, si ces meurtres qui se sont produits en temps de conflit
13 armé, sont qualifiés de crimes de guerre, celui-ci encourt en général
14 des peines moins lourdes que si ces mêmes meurtres sont qualifiés de
15 crimes contre l'humanité. Etant donné ce stigmatisme qu'il y a à
16 l'encontre des crimes contre l'humanité, et comme l'a dit aussi le
17 Président de la Chambre de Première Instance dans sa décision, un
18 crime contre l'humanité est un crime qui n'est pas seulement commis
19 contre une personne, mais contre l'humanité en tant que telle. En
20 fait, il y a crime contre la personne qui est victime de ce crime,
21 mais c'est aussi un crime contre toute l'humanité. Avez-vous bien
22 expliqué à votre client la différence entre ces deux types de crime
23 parce que nous nous sommes rendus compte qu'en fait, il a plaidé
24 coupable des crimes les plus graves. Voilà la question que je voulais
25 vous poser.
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1 M. Babic (interprétation). - Monsieur le Président, avant que
2 M. Erdemovic ne plaide coupable des crimes dont il se sentait
3 coupable, il a été interrogé par les représentants du bureau du
4 Procureur. Et puis, finalement, lorsqu'il a plaidé coupable et qu'on
5 a comparé ces plaidoyers aux solutions juridiques proposées par le
6 statut de façon à déterminer la nature des infractions commises dans
7 le cas de crime contre l'humanité et la nature des infractions
8 commises quand il s'agit d'un crime de guerre, si on tient compte de
9 l'absence d'opération de guerre, étant donné qu'on avait ici aussi
10 des populations civiles, on n'avait pas vraiment de choix, nous
11 n'avions pas d'option "crime de guerre", si j'ose dire, étant donné
12 que tous les éléments constitutifs de l'infraction de crime de guerre
13 n'étaient pas présents. Nous en avons dès lors discuté.
14 M. le Président. - Peut-être ne vous ai-je pas bien compris. Vous
15 avez dit que certains éléments constituent des éléments de crime de
16 guerre ou de crime contre l'humanité. Lesquels n'étaient pas
17 présents ?
18 M. Babic (interprétation). - La présence de civils, par exemple,
19 n'est pas un élément constitutif de crimes de guerre, mais bien
20 constitutif de crimes contre l'humanité.
21 M. le Président. - Vous voulez dire que dans un conflit armé, qu'il
22 soit qualifié de conflit national ou international, le fait de tuer
23 des civils ne peut pas être considéré comme un crime de guerre ? Or,
24 si vous examinez la jurisprudence...
25 M. Babic (interprétation). - Au cours d'opérations de combat, ça peut
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1 être considéré comme élément constitutif de crimes de guerre.
2 M. le Président. - Fort bien, je vous remercie. Je pense que nous
3 pouvons désormais passer au Procureur. Je pense que nous avons
4 plusieurs questions à vous poser à commencer par moi, et je
5 m'interroge, je me demande si mes collègues m'en voudront si je pose
6 d'abord les questions. Je devrais peut-être renoncer à certaines des
7 questions que je voulais poser, leur nombre étant trop nombreux. Tout
8 d'abord -nous venons de discuter de cette question lors de cet
9 échange entre Me Babic et le Juge McDonald-, quelle était l'intention
10 du Conseil de la défense lorsqu'il a soulevé la question de la
11 contrainte. La voyait-il comme étant un moyen de défense ou comme une
12 circonstance atténuante ? Dans ses écritures, le Procureur nous a dit
13 : "Le plaidoyer de culpabilité de l'accusé était sans équivoque dans
14 la mesure où l'accusé a évoqué la contrainte en vue de l'atténuation
15 de sa peine et non pas comme moyen de défense." Ceci est en fait
16 contraire tant aux arguments du Conseil de la défense qu'aux
17 événements que nous avons de fait connus lors de la procédure
18 judiciaire, que la Chambre de Première Instance a connu. J'aimerais
19 citer certains extraits de ce compte rendu d'audience. Le 31 mai, je
20 pense, quand M. Erdemovic a plaidé coupable, il a dit ( à la page 9
21 de ce compte rendu d'audience du vendredi 31 mai 1996, lignes 7 à 11)
22 : "Monsieur. le Président, j'étais forcé de le faire, à savoir tuer
23 ces civils. Si j'avais refusé, j'aurais été tué en même temps que les
24 victimes. Lorsque j'ai refusé, ils m'ont dit : "Si tu regrettes ce
25 qui leur arrive, lèves-toi et mets-toi parmi leurs rangs, et tu seras
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1 tué toi aussi." Je ne pensais pas qu'à moi-même, mais aussi à ma
2 femme et à mon enfant qui n'avait alors que neuf mois. Il m'était
3 impossible de refuser, sinon j'aurais été tué moi aussi. C'est tout
4 ce que je veux dire." A ce stade, la précision n'avait pas été
5 apportée pour dire si cette déclaration avait été faite aux fins de
6 l'atténuation de l'appel ou s'il fallait la prendre comme étant un
7 moyen de défense en tant que tel. Pour moi, toute la lumière n'a pas
8 été faite sur ce point. Il n'empêche que par la suite, au moment des
9 plaidoiries et réquisitoires, quand la défense a fait sa plaidoirie,
10 moment que j'ai déjà cité à l'évidence, comme Me Babic l'a rappelé à
11 l'instant, la question de la contrainte, de la nécessité a été
12 évoquée à nouveau tant en tant que moyen de défense proprement dit,
13 et de façon tout à fait logique et cohérente, M. Babic demandait donc
14 l'acquittement, je dis bien, de M. Erdemovic, mais il a évoqué ce
15 moyen aussi comme circonstance atténuante et demandait qu'une peine
16 très légère soit infligée. J'ai des difficultés à comprendre pourquoi
17 vous dites ce que j'ai cité à l'instant. Pourriez-vous apporter
18 quelques précisions ?
19 M. Nieman (interprétation).- Volontiers. Madame et Messieurs de la
20 Cour, voici la position du Procureur. Le fait d'avoir plaidé coupable
21 a été expliqué avec force détails par le Tribunal du jugement et les
22 circonstances étaient rappelées également quand la question s'est
23 reposée. Il y a quand même le règlement du Tribunal qui parle d'une
24 audience du jugement ou le prononcé de la peine. Où est- ce ? A
25 l'article 72, alinéa 5, on dit "lorsqu'il y a plaidoyer de
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1 culpabilité, une date est fixée pour l'audience de prononcé de la
2 peine", ceci dit implicitement qu'on passe directement du plaidoyer à
3 la sanction. Je crois que ceci avait été bien compris, à notre avis,
4 tant par l'accusé que par son conseil. Le juge du jugement lui-même,
5 à la page 6 du compte rendu d'audience du 31 mai 1996, ligne 22,
6 commence en expliquant ce qu'on entend par plaidoyer de culpabilité.
7 Il dit : "Si vous plaidez non coupable, vous serez jugé, vous aurez
8 un procès. Il y aura effectivement procédure contradictoire, avec des
9 accusations et des allégations, comme -nous vous le rappelons- "dans
10 d'autres allégations d'infractions de crimes contre l'humanité." Je
11 donne un extrait : "Si vous plaidez non coupable, le procès se
12 poursuivra, mais de façon tout à fait différente qu'il me faudra vous
13 expliquer. A ce stade, vous aurez l'occasion, au cours d'une autre
14 audience, de voir fixer une date pour le procès. Avec l'accord de
15 tout un chacun, il sera compris que vous plaidez coupable, mais dans
16 d'autres circonstances, c'est-à- dire qu'il y aurait des
17 circonstances atténuantes ou aggravantes au moment auquel il y aura
18 des échanges entre la défense et l'accusation, et ce seront des
19 échanges tout à fait différents." Ceci a été expliqué dès le départ,
20 à notre avis. Mais, vous avez posé une question, Monsieur le
21 Président. Vous avez dit qu'ici le plaidoyer est sans équivoque. Nous
22 ne sommes pas d'accord. Ce qui est soulevé ici, et ce qui est tout à
23 fait instructif à cet égard, c'est la ligne 9 où il est dit : "je ne
24 suis pas désolé tant pour moi-même, mais pour ma famille, ma femme,
25 mon fils qui avait 9 mois à l'époque. Il m'était impossible de
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1 refuser parce que sinon ils m'auraient tué moi." Nous avançons que
2 ceci a été présenté comme argument à ce stade précis de la procédure
3 et, sans plus tarder, le Président disait, à la ligne 14 : "Monsieur
4 Erdemovic, voulez- vous vous lever une fois de plus ; nous voulons
5 être sûr que vous êtes conscient de vos actes, parce que vous savez
6 que le plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité n'aura pas
7 nécessairement les mêmes conséquences. Vous êtes ici devant un
8 Tribunal qui doit arrêter une peine pour le comportement dont vous
9 êtes coupable ou non coupable. Ce jugement sera rendu au moment
10 voulu, mais il s'agit de voir comment nous allons nous organiser. Il
11 faudrait que vous compreniez que vous ne pourrez pas nécessairement
12 revenir sur vos propos une fois que vous aurez plaidé coupable. La
13 Chambre de première instance veut vraiment que vous compreniez , et
14 veut comprendre elle-même, que votre plaidoyer est sincère. Vous êtes
15 représenté par M. Babic. Etes-vous satisfait de lui ? Avez-vous été
16 en mesure de discuter avec lui de tout ce qui vous concernait dans
17 des conditions appropriées ?". L'accusé a répondu : "Je suis
18 satisfait de l'acte d'accusation.". Le Président dit alors, et
19 j'insiste sur ce point parce qu'à mon avis il est tout à fait
20 illustratif du propos, il insiste et dit : "Oui, mais je ne parle pas
21 ici de l'acte d'accusation. Je veux savoir, si au travers des
22 contacts que vous avez eus, vous avez pu choisir le conseil de votre
23 choix ? Si je vous pose cette question, c'est parce qu'effectivement
24 le Tribunal doit commettre d'office.". Là, il parle de la question de
25 la commission d'office des Conseils. Puis, vers la fin de la page,
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1 page 9, ligne 32, il vous dit : "Voilà, vous comprenez que,
2 désormais, vous avez renoncé au droit d'avoir un procès qui
3 déterminera oui ou non votre culpabilité. Ceci doit être clair à vos
4 yeux.". A ce moment-là déjà, le juge, Président de la Chambre de
5 première instance a été très méticuleux. Il a pris toutes les
6 précautions nécessaires pour veiller à ce que l'accusé et son conseil
7 soient au courant de ce qui se passait. Mais je crois qu'il y a une
8 confusion, qui est simple. Quelle est-elle ? Maître Babic en parle
9 lui-même. Il dit qu'il y a une certaine collision entre deux systèmes
10 juridiques. A notre avis, il n'y a pas de collision. En fait, le
11 droit international est très clair dans sa position. La contrainte
12 n'est pas un moyen invoquable. Mais, il y a collision entre le fait
13 que nonobstant ce que disait le Président de la Chambre, nonobstant
14 la teneur du règlement, nonobstant le temps qu'a pris le Président
15 pour bien faire comprendre à l'accusé ce qui se passait, pour être
16 sûr qu'il comprenait aussi, malgré tout cela le Conseil de la défense
17 voulait une possibilité cumulative ; ce qui n'était pas le sens voulu
18 par les explications du Président. Alors, de deux choses l'une ! Soit
19 l'accusé ne comprenait pas les propos du Président, soit il refusait
20 de les comprendre. Ce que nous disons, c'est qu'au moment où l'accusé
21 a plaidé coupable, il savait parfaitement ce qu'il faisait. Il a dit
22 : "Oui, j'ai commis ces crimes, mais je veux vous dire que je les ai
23 commis parce que je devais protéger ma femme, mon fils, pour la
24 sécurité desquels j'étais inquiet. Je n'étais pas inquiet pour moi-
25 même. Je ne craignais pas des représailles directes en cas de
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1 désobéissance." Sans parler du fait qu'à deux autres occasions il
2 avait déjà désobéi., mais à l'époque il ne s'inquiétait pas de savoir
3 s'il y aurait des réactions dangereuses pour lui, non, il
4 s'inquiétait pour la vie sa femme et de son enfant. Il disait
5 simplement : "Je voudrais que vous teniez compte de tout cela au
6 moment du prononcé de la peine.", je crois que cela était tout à fait
7 clair. Pour effleurer un instant la question de savoir si cette
8 position a changé chez l'accusé, elle n'a jamais changé. C'est
9 l'accusé lui-même qui a gardé cette position tout du long.
10 M. le Président (interprétation). - Monsieur le Procureur, je ne vous
11 comprends pas. Vous dites : "Il ne s'inquiétait que de la vie de sa
12 femme et de son enfant." J'ai moi-même cité la déclaration de
13 M. Erdemovic au moment du plaidoyer de culpabilité. Il l'a dit
14 immédiatement : "Lorsque j'ai refusé de tirer, ils m'ont dit : si tu
15 regrettes ce qui se passe pour ces personnes, lèves-toi, mets-toi
16 parmi elles et tu seras tué toi aussi." Il poursuit en disant
17 qu'effectivement il regrettait tout cela parce qu'il craignait pour
18 la vie de sa femme et de son enfant, mais qu'il craignait pour sa
19 propre vie aussi. Quoi qu'il en soit, je concoure avec vous pour dire
20 que tout au long de la procédure, il était clair que le Conseil de la
21 défense n'avait pas vraiment perçu toute la portée, toute la
22 signification du plaidoyer multiple au titre de notre statut. Mais le
23 Conseil de la défense a insisté sur le fait que son client était
24 coupable, et également sur l'argument de nécessité. Je me demandais
25 si ceci ne rendait pas le plaidoyer de culpabilité un peu ambigu.
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1 Ceci étant, j'aimerais passer à un point suivant. Ce matin, M.
2 Akhavan a repris à l'audience les principaux arguments de vos
3 écritures. Je cite : "La contrainte ne peut pas être invoquée comme
4 moyen de défense dans un cas de meurtre ". Je me demande si c'est
5 tout à fait exact. Effectivement, dans votre mémoire, vous faites
6 état de trois cas de précédents, deux affaires britanniques et une
7 affaire canadienne. A juste titre, vous ajoutez une autre affaire,
8 l'affaire Jepsen, ainsi que deux affaires américaines devant le
9 Tribunal militaire de Nuremberg où la position adoptée était
10 différente. Il n'est pas exact de dire que tous les précédents
11 parlent dans le même sens. J'ajouterai même, et vous le savez sans
12 doute, qu'il y a beaucoup d'autres affaires dans laquelle la position
13 adoptée est différente, position selon laquelle on peut invoquer la
14 contrainte comme moyen de défense, même dans un cas de meurtre, ou en
15 tout cas les tribunaux importants ne font pas de différence entre les
16 faits menant à l'infraction. Il y a aussi une affaire de la Cour
17 suprême d'Israël, deux affaires, l'affaire Touvier, également le
18 jugement de la Cour de cassation et l'affaire Papon, ainsi qu'une
19 affaire récente en Italie l'affaire Pribcke. J'aimerais avoir vos
20 réactions. Je vais vous lire un passage très court que je retire de
21 l'Italian Law Reports*. C'est un jugement rendu par la Cour suprême
22 d'Israël. Je cite : "L'applicabilité de ces moyens de défense, la
23 contrainte ou la nécessité, comme étant exonératrice de la
24 responsabilité, s'agissant d'infractions qui ont fait l'objet de la
25 loi israélienne de 1950, ceci a été exclu par la section...". Je
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1 crois que la traduction n'est pas bonne, mais l'essentiel arrive
2 maintenant. Je cite : "Même si le droit israélien avait autorisé
3 l'accusé à se fonder, comme moyen de défense, sur le fait que dans
4 l'exécution de l'ordre visant à la commission d'un crime, il avait
5 agi sous la contrainte ou la nécessité, il ne pourrait y parvenir
6 qu'à preuve des deux faits suivants : qu'il y avait un danger
7 imminent pour sa propre vie et qu'il a aussi exécuté ces tâches
8 criminelles dans le souci de sauver sa propre vie et parce qu'il ne
9 voyait pas d'autre solution".Et là, à nouveau, est citée l'affaire
10 Einsatzgruppen. En poursuivant, et comme ce sera vu ici après, aucune
11 de ces deux conditions n'a été remplie en cette affaire. En attendant
12 toujours vos commentaires, j'aimerais vous citer l'affaire italienne.
13 Eichmann, évidemment, a été accusé d'avoir planifié le génocide de
14 millions et de millions de Juifs. Il y a eu une affaire devant le
15 tribunal militaire de Rome, en Italie. L'accusé, le capitaine
16 Pribcke, qui était capitaine des SS, avait été accusé de complicité.
17 Plusieurs meurtres étaient concernés. Une fois de plus, une affaire
18 de meurtre. Le tribunal a dit la chose suivante, et je lirai
19 lentement les passages pertinents, le tribunal fait remarquer que "si
20 l'accusé s'était trouvé devant une menace imminente de menace, il ne
21 se trouvait plus sous l'obligation de refuser l'ordre comme c'aurait
22 été le cas dans une situation de nécessité. S'il y avait menace
23 imminente de mort, il aurait pu renoncer à refuser et il aurait pu
24 participer à l'exécution, ne fut-ce que pour sauver sa propre vie, en
25 invoquant la nécessité prévue dans tous les systèmes juridiques, y
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1 compris le système allemand. De fait, en l'espèce, on aurait pu
2 escompter de Pribcke qu'il se comporte en héros et sacrifie sa propre
3 vie pour ne pas participer à une exécution inhumaine de 335 civils.
4 Dès lors, face à toutes les possibilités évoquées, Pribcke aurait pu
5 trouver une issue. Toutefois, cette issue n'aurait pas pu consister à
6 obéir à un ordre manifestement illégal, sauf dans le cas où il y
7 avait un danger immédiate et imminent pour sa vie. Mais ceci n'a
8 jamais été prouvé en l'espèce. Il a donc plein de responsabilités en
9 tant que complice avec les autres exécutants." La Cour a débouté de
10 ce moyen de contrainte, mais uniquement sur un point de fait.
11 J'aimerais avoir vos commentaires sur cette affaire. Pourriez-vous
12 étoffer, pour ce qui est des fondements mêmes de la contrainte en
13 tant que circonstances atténuantes uniques quand les faits incriminés
14 constituent un meurtre ?
15 M. Niemann (interprétation). - Je vais demander pour cela l'aide de
16 M. Akhavan parce qu'il a étudié plus particulièrement la
17 jurisprudence internationale en la matière. Mais de façon générale,
18 je voudrais vous donner un début de réponse. L'accusation n'a jamais
19 dit qu'il y avait divergence de position entre les différents Etats
20 nationaux concernant la contrainte, surtout quand l'acte incriminé
21 comprend des actes d'assassinat. Monsieur Akhavan poursuivra plus en
22 détail, mais nous disons que le droit international doit s'appliquer
23 et qu'en l'occurrence, la contrainte n'est pas invoquable quand
24 l'acte incriminé comprend le meurtre de civils ou de personnes
25 innocentes. Nous disons que bien qu'il y ait peut-être des arguments
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1 très convaincants dans certaines juridictions nationales en faveur de
2 la contrainte, il y a également des arguments tout aussi convaincants
3 militants contre la recevabilité de l'argument de la contrainte,
4 surtout quand il s'agit du meurtre de personnes innocentes. Nous
5 pensons en l'occurrence qu'il faut appliquer le droit international
6 et qu'à cet égard, il y a comme principe sous-jacent que la
7 contrainte ne peut être invoquée comme moyen de défense. L'affaire
8 Lord Salmon est très intéressante pour ce qui nous intéresse et je
9 voudrais moi-même en lire un passage car cela nous aidera sur le
10 point de savoir pourquoi on ne peut recevoir l'argument de la
11 contrainte. Dans l'affaire Lord Salmon, il est d'abord question de la
12 contrainte qui est recevable ou non dans le cas de meurtre. Ensuite,
13 Lord Salmon dit qu'il n'y a pas d'affaires en Angleterre ou ailleurs
14 dans le Commonwealth où la contrainte était acceptée comme moyen de
15 défense pour des homicides volontaires. Le seul cas où cela a été
16 envisagé était un cas jugé en vertu d'un mélange de droit romain
17 hollandais et de droit anglais, après que l'Afrique du Sud avait
18 quitté le Commonwealth. Il est donc dit qu'on ne peut attendre, dans
19 des conditions modernes et selon les notions modernes d'humanité,
20 qu'un assassin puisse se fonder sur la contrainte comme moyen de
21 défense. Dans les procédés "personnes responsables de crime de guerre
22 impliquant des massacres d'hommes, de femmes et d'enfants", il a été
23 invoqué par la défense que ces crimes avaient été commis sous la
24 contrainte. Si l'accusé avait refusé d'accomplir les actes
25 incriminés, il aurait été lui-même abattu et il devait donc être
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1 acquitté. Tel était l'argument de la défense. Cet argument a toujours
2 été rejeté de façon universelle et il semble extraordinaire, pour les
3 membres de la Chambre des Lords, qu'une société civile puisse
4 accepter cet argument comme exonérant l'appelant. Je cite toujours :
5 "nous ne vivons pas dans un monde de rêve, où l'on peut contenir le
6 terrorisme et la violence par la seule logique". Le bon sens nous
7 fait comprendre le danger additionnel dans ce monde moderne que le
8 public court si l'on proposait de changer la loi dans le sens demandé
9 par l'appelant. Le jugement se poursuit. Lord Salmon parle de ce
10 qu'il se passerait si l'argument de la défense était reçu et du fait
11 que des terroristes pourraient invoquer la contrainte pour placer une
12 bombe sur un marché, dans un avion ou ailleurs. Il pourrait y avoir
13 des meurtres commis en masse et encore une fois, l'argument serait
14 utilisé par les terroristes pour s'exonérer. "Voilà pourquoi, en
15 droit international, il faudrait en conclure que l'argument de la
16 contrainte ne peut être reçu. " C'est là une citation des propos de
17 Lord Salmon.
18 M. Akhavan (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et
19 Messieurs de la Cour, je voudrais dire d'abord que pour ce qui est
20 des précédents, il s'agit de précédents effectivement jugé devant des
21 juridictions nationales qui utilisaient le droit national ou
22 l'interprétation nationale du droit qui s'appliquait au plan
23 international. S'agissant de ces affaires, on constate clairement que
24 pour ce qui est de la hiérarchie des précédents faisant autorité en
25 vertu de l'article 38.1 du Statut de la Cour internationale de
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1 justice, ces sources ne sont que sont des sources subsidiaires pour
2 ce qui est du droit international, ce ne sont pas des sources de
3 première main ou décisives. Bien sûr, quand il est question du droit
4 international coutumier, conventionnel ou autres, ces décisions
5 peuvent avoir un poids supplémentaire. Pour ma part, je dirais que ce
6 qui a été décidé dans les affaires Touvier, Papon et autres, Pribcke
7 ne contredit en rien ce que j'ai déjà dit aujourd'hui. Il s'agissait
8 chaque vois de juridictions de droit civil dans lesquelles, très
9 clairement, la contrainte a une application large qui peut inclure
10 les cas de meurtres. L'affaire Eichmann est un peu différente, mais
11 elle renvoie aussi à un autre procès, de Einsatzgruppen. Je voudrais
12 revenir ici sur les faits précis repris dans la décision à laquelle
13 vous avez fait référence, monsieur le Président. Mon interprétation
14 est, d'après ce que vous lu, que la Cour fait référence au procès de
15 Einsatzgruppen. Je dis ceci parce que le poids du précédent se fonde
16 sur quelques hypothèses. La première hypothèse étant que le rapport
17 de la Commission des Nations Unies pour les crimes de guerre,
18 notamment au volume 15, le plus pertinent, qui traite de la
19 contrainte, délimite les affaires principales ou la seule affaire qui
20 est pertinente pour ce qui est de la contrainte. Je pense que ces
21 affaires se voir accorder un poids beaucoup plus grand que n'importe
22 quelle autre décision ou arrêt rendu par une juridiction nationale
23 dans la mesure où ces affaires tombaient sous le coup du droit
24 international, même si beaucoup étaient jugées par des tribunaux
25 nationaux des puissances occupantes en vertu de la loi du conseil
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1 n° 10 qui est adoptée par les quatre puissances alliées et dix-neuf
2 signataires additionnels, de sorte que l'on peut considérer que cela
3 fait partie du corpus juridique international. Vous avez dit aussi
4 qu'il y avait un certain nombre d'affaires qui allaient à l'encontre
5 de notre position. L'affaire Jepsen a été tranchée devant un tribunal
6 britannique en 1946 et ce jugement a été renversé par les deux
7 décisions ultérieures dans les trois affaires de Stalag Luft et dans
8 l'affaire Fuerstein qui ont été jugées respectivement en 1947 et en
9 1948. En 1946 toujours, un tribunal militaire canadien avait pris une
10 position inverse et l'affaire Jepsen ne cite aucun précédent, quel
11 qu'il soit, pour appuyer ses conclusions, au contraire des trois
12 autres décisions rendues que nous avons, pour notre part, évoquées.
13 Quand un tribunal ne cite aucun précédent à l'appui de ses thèses,
14 ses conclusions ne peuvent se voir accorder le même poids que les
15 autres jugements. Dans les affaires américaines, comme cela a été dit
16 aussi, l'affaire Krupp, l'affaire Flick notamment, ces deux affaires
17 ne traitent pas de la question de meurtre. Il y a tout au plus une
18 référence en passant dans l'affaire Krupp, sur la base d'un
19 commentaire obscur de 1942, et nous avançons l'argument que ces
20 affaires ne peuvent se voir accorder un grand poids pour ce qui nous
21 occupe. De même, le procès des Einsatzgruppen ne fournit aucun
22 raisonnement, aucune référence à l'appui de cette thèse et, comme
23 nous l'avons indiqué, même s'ils avaient voulu le faire, ils
24 n'auraient rien trouvé à l'appui de leur thèse en droit
25 international. Ils n'auraient trouvé aucun précédent à ce stade pour
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1 appuyer leur thèse, pas même dans le droit américain lui- même. On
2 n'aurait trouvé aucun précédent. Je ne pense donc pas que l'on puisse
3 dire que les références aux procès erronés des Einsatzgruppen et les
4 références erronées par conséquent dans les procès ultérieurs, tel le
5 procès Eichmann, invalident notre propre raisonnement. Je voudrais
6 aussi préciser un petit point plus mineur qui a trait à l'intention
7 délictueuse, à la question de la contrainte comme circonstance
8 exonératoire. Ce que j'ai essayé d'expliquer, c'est qu'il n'y a
9 absolument pas de raison pour laquelle la contrainte doit absolument
10 s'appliquer au cas de meurtre, car il ne s'agit pas d'un moyen de
11 défense qui élimine le caractère criminel de l'infraction incriminée.
12 Je fais référence ici au rapport de la Commission du droit
13 international de 1996 et son commentaire sur le projet de crime de
14 code contre la paix et la sécurité de l'humanité (cf. page 74 de la
15 version anglaise). La Commission reconnaît la distinction à faire
16 entre les justifications et ...* Je cite : "La légitime défense
17 justifie et élimine à tous égards le caractère criminel de l'acte
18 visé." La Commission poursuit en disant : "La contrainte, si elle est
19 reçue concernant une infraction particulière, n'est un argument qui
20 peut exonérer ou excuser un accusé." Je fais cette citation, Monsieur
21 le Président, parce qu'il faut savoir où on place la barre entre
22 l'application de ce moyen de défense-barre qui est placé à un niveau
23 différent selon les systèmes juridiques. Pour fixer cette barre en
24 droit international, il faut se référer aux cas cités par la
25 Commission des Nations-Unies pour les crimes de guerre et se fonder
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1 sur l'hypothèse de base que la contrainte ne peut jamais être
2 invoquée dans le cas de meurtre. Voilà tout ce que je veux dire pour
3 l'instant.
4 M. Stephen (interprétation). - Dans le rapport auquel vous venez de
5 faire référence, une distinction est faite entre la légitime défense
6 et la contrainte. Je voudrais y revenir. Comment, pour votre part,
7 comprenez-vous la raison de cette distinction ? Dans chaque cas,
8 l'acte est commis consciemment, de façon "volontaire", délibérée
9 parce qu'il y a une nécessité soit de se défendre soit de se protéger
10 d'une menace, d'une contrainte. Quelle est la distinction que vous
11 faites entre les deux ?
12 M. Akhavan (interprétation). - Je voudrais citer une observation de
13 Smith et Hogan, encore une fois concernant le droit anglais, où il
14 est dit qu'un acte est justifié quand on l'approuve de façon
15 affirmative. Si quelqu'un tue en situation de légitime défense ou
16 administre une sentence de mort, l'administration de la peine de
17 mort, la sentence de mort, la peine capitale est une question tout à
18 fait différente. C'est une décision d'un Tribunal. Je voudrais que
19 nous nous en tenions à la légitime défense. Smith et Hogan expliquent
20 qu'il s'agit à chaque fois d'un comportement qui est approuvé, que
21 l'acte en question est approuvé tandis que lorsqu'un acte est
22 simplement excusé, il reste néanmoins désapprouvé, mais il peut ne
23 pas être traité comme une infraction. Dans le cas de la légitime
24 défense, l'acte visé, y compris celui de tuer qui est commis en
25 situation de légitime défense, est approuvé et l'on ne peut dire
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1 qu'il y ait intention délictueuse. Il n'y a pas d'éléments de
2 culpabilité. Tandis que si l'on excuse un acte, l'acte en tant que
3 tel est désapprouvé et ne fait pas l'objet d'une approbation
4 quelconque. Il y a intention délictueuse, mais il y a excuse,
5 exonération pour des raisons qui sont à évaluer. Ici, je fais
6 référence à l'affaire traité par la Cour suprême du Canada qui se
7 fonde sur les attentes de la société et de la résistance raisonnable
8 à des pressions exercées sur l'accusé. Ainsi donc, la légitime
9 défense apparaît comme un moyen de défense lorsque les éléments
10 requis sont présents. Mais le cas de la contrainte est un peu
11 différent. Il s'applique de façon très différente non seulement aux
12 yeux du droit civil et du Common Law, mais à l'intérieure même de ces
13 systèmes, en fonction de considérations différentes d'attente
14 sociale, de politique, de public pour ce qui est de ce qui peut être
15 considéré légitimement d'intérêt publique, pour ce qui peut être
16 considéré comme raisonnable de la part d'une personne assujettie à
17 une certaine pression.
18 Mme McDonald (interprétation). - Je voudrais avoir un exemplaire du
19 jugement auquel vous avez fait référence et si possible maintenant
20 pour que je puisse examiner ce document pendant la pause.
21 M. le Président. - Avant de suspendre la séance pour quelques
22 minutes, je voudrais savoir si vous insistez sur certains cas en
23 guise de précédent, par exemple, les trois affaires Stalag Luft et
24 d'autres. Il s'agit de références britanniques qui s'entête à citer
25 Betty Stephens. Vous venez vous-mêmes de parler des tribunaux qui
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1 appliquent le droit national, c'est le cas aussi des trois affaires
2 que vous mentionnez. Notamment l'affaire des Mignonnettes est une
3 affaire purement britannique, me semble-t-il. Je ne peux donc pas
4 faire la différence entre ces affaires et d'autres affaires et je ne
5 vois pas pourquoi certaines affaires que vous mentionnez devraient se
6 voir accorder..., trois affaires sur vingt affaires devraient se voir
7 accorder un poids beaucoup plus important. Je crois qu'il est grand
8 temps de suspendre l'audience. Je propose une pause de vingt minutes.
9 L'audience, suspendue à 11 heures 20, est reprise à 11 heures 45.
10 M. le Président. - Avant de reprendre le fil des questions à
11 l'accusation, je dois vous annoncer que nous avons décidé de
12 poursuivre jusqu'à 13 h, de suspendre ensuite et de reprendre à 14 h
13 30. Cela vous convient-il ? Très bien. Continuons les questions à
14 l'accusation. J'en ai encore une à poser. Elle a trait aux
15 considérations d'intérêt public, question dont a parlé M. Nieman, au
16 sujet de la contrainte. La question de base est de savoir si, oui ou
17 non, il existe une distinction ou une approche différente selon qu'on
18 est en Common Law ou en droit civil. Je voudrais clarifier cette
19 question avec vous et pour cela vous soumettre quatre exemples. En
20 discutant de ces quatre exemples, nous verrons peut-être s'il existe
21 une différence entre les pays de Common Law et les pays de droit
22 civil. Nous pourrions aussi essayer de mettre le doigt sur la
23 philosophie qui se cache derrière la notion de contrainte et sur la
24 raison pour laquelle, en droit britannique ou en Common Law, la
25 contrainte ne peut être invoquée dans le cas de meurtre. La première
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1 affaire est très simple. Une personne A oblige une autre personne B,
2 sous la menace d'une arme, à tuer C. A dit à B que s'il ne tue pas C,
3 B lui-même sera tué. Il est très clair que dans ce cas, la personne B
4 doit choisir entre sauver sa propre vie ou celle de quelqu'un
5 d'autre. C'est le cas le plus élémentaire et c'est un cas qui est
6 abordé dans plusieurs jugements, y compris ceux que vous avez
7 mentionnés. Il y a aussi des jugements de tribunaux militaires
8 français prononcés après la deuxième guerre mondiale où nous
9 retrouvons cette situation : un capitaine qui dit à un soldat : "Si
10 tu ne tues pas ce civil ennemi, je te tue, moi." La personne doit
11 donc choisir entre sauver sa vie et celle d'un tiers. Un cas un peu
12 plus compliqué : une personne A dit à B que s'il ne tue pas C, il
13 tuera l'enfant de B. Dans ce cas, la personne B doit choisir entre la
14 vie d'une personne tierce et celle de son propre enfant. Ceci dit, on
15 reste sans doute dans le cas de figure du choix entre la vie d'une
16 personne innocente et la vie de la personne qui reçoit l'ordre de
17 tirer. Ensuite, nous avons un autre cas différent dont je vous
18 donnerai deux exemples qui me ce sont venus à l'esprit. L'un pourrait
19 être considéré comme étant typique d'un pays en situation de paix.
20 Par exemple, dans le cas d'une attaque armée contre une banque, le
21 braquage d'une banque : quelqu'un prend en otage quelqu'un d'autre et
22 demande à un témoin du braquage de tuer les otages. L'auteur de
23 l'attaque A ajoute que si C, c'est-à-dire le témoin, n'exécute pas
24 l'otage, il tuera aussi bien l'otage que le témoin. A tuera aussi
25 bien l'otage que le témoin. Dans ce cas, C doit choisir entre : tirer
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1 sur l'otage et se faire tuer lui-même plus l'otage. Le témoin sait
2 donc que dans tous les cas, l'otage sera tué de toute façon. Dans ce
3 cas-là, en tuant l'otage, choisit-il le moindre mal ? Il sait que
4 l'otage sera tué de toute façon. Le choix est donc très limité. Ou
5 bien, ils meurent tous les deus, ou bien l'otage meurt. L'otage meurt
6 de toute façon, qu'il soit tué par A ou par le témoin. Un autre
7 exemple similaire qui est plus typique d'une situation de guerre : le
8 membre d'un peloton d'exécution chargé de fusiller refuse de
9 participer à l'exécution et se voit menacé d'être abattu sur-le-
10 champ. Aucun autre membre du peloton ne refuse d'exécuter l'ordre
11 d'exécution des prisonniers de guerre. Dans ce cas, la personne qui
12 reçoit l'ordre d'exécuter doit savoir s'il choisit de sacrifier sa
13 propre vie sachant que lesdits prisonniers de guerre seront de toute
14 façon abattus. Il n'y a pas de choix entre la vie à lui et celle de
15 quelqu'un d'autre. Vous voyez la différence ? Si vous pensez encore
16 une fois aux deux premiers exemples, je doute que dans un pays de
17 droit civil, les juges adoptent un position différente de celle
18 qu'adapteraient des juges de Common Law. Je crois que même dans un
19 pays de droit civil, la philosophie que vous avez évoquée de façon
20 très éloquente derrière l'idée de contrainte et qui veut qu'il n'y
21 ait pas contrainte en cas de meurtre, cette philosophie ne
22 s'appliquerait pas non plus dans un pays de droit civil, car le choix
23 est entre sa propre vie et celle de quelqu'un d'autre. Cela
24 s'applique d'autant plus si je suis un soldat, un combattant et, par
25 conséquent, du fait de ma profession, je dois faire face à des
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1 risques tandis que la personne innocente n'est pas un combattant,
2 c'est juste un civil. Même dans un pays de droit civil, dans ce cas-
3 là, je pense que la Cour, le Tribunal vous suivrait. J'ai quelques
4 doutes quand il s'agit du choix entre tuer un civil ou voir tuer son
5 propre enfant. Si je dois choisir entre une personne tierce et mon
6 enfant qui pourrait se faire abattre par la personne A, la question
7 se pose un peu différemment, mais si on en arrive aux troisième et
8 quatrième exemples, il n'y a pas de choix là. De toute façon, comme
9 je l'ai dit, ou bien l'otage et le témoin sont tués tous les deux, ou
10 bien les dix prisonniers de guerre sont de toute façon abattus.
11 Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ces quatre exemples et
12 voir dans quelle mesure la philosophie que vous avez évoquée
13 s'applique, et quelles sont les raisons à prendre en considération
14 dans chaque cas de figure et si cette philosophique s'applique à tous
15 les cas de figure ou seulement à l'un ou l'autre d'entre eux ?
16 M. Akhavan (interprétation). - Il s'agit d'une discussion
17 philosophique extrêmement complexe de toute évidence et l'on pourrait
18 en parler de différents points de vue. Si la question sous-jacente
19 est la proportion de mal, comme vous l'avez dit, il faudrait alors
20 mesurer quel est le mal que l'on pourrait éviter selon l'option
21 choisie, mais ce n'est pas un exercice très facile, en tout cas, pas
22 aussi facile qu'il pourrait apparaître à première vue, même si l'on
23 réduit ces cas de figure à plusieurs équations, ce qui est déjà un
24 problème pour commencer, à savoir, faut-il mieux tuer une personne ou
25 laisser deux personnes être tuées. Si l'on part de ce point de vue,
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1 il reste des considérations plus larges d'intérêt public à prendre en
2 compte. Ne va-t-on pas abuser de genre d'argument, ne va-t-on pas
3 ouvrir la boîte de pandore et ouvrir des possibilités en droit pénal
4 alors que cela devrait être évité. Si l'on accepte l'argument : il
5 vaut mieux tuer une personne plutôt que laisser mourir deux
6 personnes, ne faut- il pas aussi prendre en compte le mal à permettre
7 l'invocation de ce genre de moyen de défense. Ce que j'essaie
8 d'expliquer au départ, c'est qu'il y a là une discussion morale et
9 philosophique très vaste et très imprécise, et les différentes
10 sociétés en traitent différemment. En France, la notion de contrainte
11 s'applique à toutes les infractions, y compris les meurtres, mais au
12 Canada, cela ne s'applique pas au meurtres ni aux atteintes graves à
13 l'intégrité physique ni aux sévices d'ordre sexuel ni aux
14 enlèvements. Il s'agit donc essentiellement d'attentes différentes
15 selon le système dans lequel on se trouve. C'est pourquoi je donnais
16 comme exemple la Cour suprême canadienne pour montrer que différents
17 systèmes procèdent différemment et qu'il n'y a pas de considération
18 absolue permettant d'appliquer la contrainte à toutes les
19 infractions, et ce pour des considérations d'intérêt public et
20 d'ordre social. portant sur les pressions qu'il faut reconnaître ou
21 ne pas reconnaître. S'il faut prendre en compte ces considérations,
22 on peut le faire par le biais des circonstances atténuantes, par
23 exemple en accordant la remise d'une peine. Le problème, Monsieur le
24 Président, est que si nous voulons régler cette question sur la base
25 de cette discussion philosophique abstraite, ce sera un énorme
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1 problème du point de vue même, dirais-je, du principe nulles crimen.
2 Dans quelle mesure pouvons-nous réduire la discussion à un débat
3 assez positiviste portant sur le droit applicable en droit
4 international ? C'est pourquoi dans nos mémoires écrits, nous avons
5 évoqué les affaires qui nous semblent les plus importantes, ayant le
6 plus de poids en droit international. Je voudrais expliquer sur ce
7 plan que lorsqu'on examine des affaires tels que l'affaire Touvier,
8 l'affaire Papon ou l'affaire Eichmann, indépendamment des décisions
9 des tribunaux d'après-guerre, il faut procéder à une analyse du poids
10 à attribuer à chacune de ses sources. En effet, on a affaire ici à
11 des systèmes où il y a une énorme ambiguïté du fait d'une absence
12 d'une législation souveraine. Il faut se pencher très soigneusement
13 sur l'importance de chacune de ces sources. Nous avançons pour notre
14 part que le jugement de Nuremberg et la charte de Nuremberg sont au-
15 delà de tout doute, partie du droit coutumier international ainsi que
16 c'est reconnu dans le rapport du secrétaire-général. Nous avançons
17 aussi que la loi n°10 du Conseil de contrôle qui a été adoptée par
18 quinze états à la conclusion de la deuxième guerre mondiale, est
19 aussi au-delà de tout doute, partie du droit coutumier international
20 et aussi reconnu dans le rapport du Secrétaire général dans la
21 résolution 95 de l'Assemblée générale de 1946. Il y a là un noyau
22 certain, mais les affaires nationales traitées devant différentes
23 législations ne peuvent qu'introduire de la confusion. Une façon
24 d'aborder ces discussions est de retourner les questions et de voir
25 si on peut dire que la contrainte s'applique au meurtre en tant que
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1 moyen de défense. Si l'on adopte cette position, il faut alors
2 ignorer non seulement les précédents faisant autorité dans le droit
3 international, mais aussi la position adoptée par un certain nombre
4 important de systèmes de droit national.
5 M. le Président (interprétation). - Excusez-moi de vous interrompre.
6 Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Je précise ma
7 pensée : vous parlez de droit positif d'une part et de la
8 considération d'intérêt public d'autre part. Il faut choisir. Vous ne
9 pouvez pas passer d'un angle de vue à l'autre. Il faut faire un
10 choix. Vous dites que le droit international éclaire en la matière
11 étant donné trois jugements que vous mentionnez. Or, on peut citer
12 vingt-cinq autres jugements allant dans un sens inverse. Le droit
13 international n'est donc pas aussi clair cela sur ce point. Je veux
14 explorer avec vous les raisons qu'il y a derrière cet étroit jugement
15 à savoir les fameuses affaires britanniques que nous connaissons très
16 bien. Douglas contre Elos* et voir si ces considérations peuvent
17 s'appliquer à d'autres affaires et si cela peut s'appliquer par
18 exemple, aux tribunaux de droit civil et dans le domaine du droit
19 international. Les raisons invoquées par ces tribunaux est que l'on
20 ne peut pas choisir entre sa propre vie et celle d'une personne
21 innocente. C'est là l'intérêt public qui est protégé dont vous avez
22 très bien parlé dans votre exposé et dont M. Nieman a également
23 parlé. Je parle de quelque chose de tout à fait différent. Il y a
24 deux situations : celles où ce choix se présente effectivement -et
25 vous faites le mauvais choix en tuant quelqu'un d'autre pour sauver
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1 votre propre vie- mais il y a un autre cas de figure où vous n'avez
2 pas le choix parce que vous savez que vous êtes membre d'un peloton
3 d'exécution de dix personnes. Les neuf autres membres de ce peloton
4 sont prêts à abattre les prisonniers de guerre et vous avez, pour
5 toute option -étant donné l'ordre reçu de votre capitaine qui vous
6 dit : "Je vous tue si vous ne participez pas au peloton d'exécution"
7 de vous sacrifier ou de tuer. Dans ce cas donc en sacrifiant votre
8 vie, vous ne sauvez pas celle des dix prisonniers de guerre puisque,
9 de toute façon, cesdits prisonniers de guerre vont être exécutés. Y
10 a-t-il un choix moral en l'occurrence ? Ne voyez-vous pas la
11 différence avec l'exemple où il y a le choix entre sa propre vie et
12 celle de quelqu'un d'autre ? Cas très élémentaire où il y a trois
13 personnes : A dit à B, si tu ne tues pas C, je te tue. Là, il faut
14 choisir et je suis d'accord avec les raisons qui sous-tendent le
15 Droit britannique. Je suis d'accord sur le fait qu'un soldat ne doit
16 pas sacrifier la vie d'un innocent. Son métier est de tuer ; il doit
17 donc aussi sacrifier sa propre vie dans certaines circonstances.
18 C'est la philosophie qui inspire tant le droit civil que la Common
19 La, mais il y a une différence entre cette situation et le cas que je
20 vous soumettais en fin de commentaire. Je voudrais que vous
21 réagissiez à l'exemple des dix prisonniers de guerre et du peloton
22 d'exécution. Dites-moi s'il y a véritablement un choix, sachant que
23 les prisonniers vont, de toute façon, être tués. Est-il utile de
24 sacrifier sa propre vie dans ce cas-là ? Faut-il se comporter en
25 héros pour la postérité, pour que l'on puisse dire, plus tard : "Il a
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1 refusé de participer à un peloton d'exécution, mais pour quoi
2 faire" ?
3 Me Akhavan (interprétation). - Monsieur le Président, en tout premier
4 lieu, j'aimerais vivement savoir quelles sont les précédents
5 internationaux s'agissant de votre scénario ? Mais même dans un tel
6 cas de figure, la question qu'il faut poser revient à la distinction
7 entre plusieurs concepts. Je dirai qu'effectivement même dans un tel
8 scénario où le fait de prendre une seule vie peut permettre d'en
9 sauver dix, il peut y avoir des raisons de droit qui ne suffiraient
10 pas à assurer toute la défense, mais qui compenseraient l'absence de
11 choix moral par d'autres moyens, par exemple par la sentence. Je
12 crois que c'est là le raisonnement qui caractérise la Common Law.
13 Lorsque je faisais la distinction entre l'excuse et la justification,
14 je voulais dire qu'il n'y avait pas de raison catégorique impérative
15 disant qu'il faut, de toute façon, appliquer la contrainte. Il se
16 peut que ce soit basé sur ce que l'on attend raisonnablement au vu
17 des circonstances et lorsque l'on s'attend au mal, au détriment
18 qu'une telle décision pourrait signifier pour l'ensemble de la
19 société. Il est peut-être utile de préciser que nous ne voulons pas
20 nécessairement invoquer l'argument de l'intérêt public, ici. Nous
21 essayons de montrer les précédents qui doivent constituer le noyau
22 dur de la décision ou du droit appliqué par ce Tribunal. Permettez-
23 moi de revenir aux affaires citées : Tout d'abord, il est clair qu'à
24 un moment ou à un autre, il faudra bien dire quelles sont les sources
25 de droit à utiliser au vu d'une décision, aux fins d'une décision en
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1 cette matière. Nombre des tribunaux qui se sont penchés sur cette
2 question dans les pays de droit civil ou romain se sont contentés
3 d'appliquer le droit civil ou romain. La décision française que vous
4 avez citée ne m'est pas particulièrement connue, mais les affaires
5 françaises citées dans le cadre de la loi n°10 du Conseil de contrôle
6 ne me semblent pas dire, dans aucun cas spécifique, que la contrainte
7 soit reçue comme moyen de défense dans un cas de meurtre. Même si
8 c'était le cas, je suis sûr que les tribunaux français se seraient
9 fondés sur leur propre système, comme le font les tribunaux
10 britanniques qui se fondent sur leur système. Va-t-on réduire ceci à
11 la question d'une certaine concurrence entre le droit civil et la
12 Common Law ? Il ne faudrait pas, à notre avis, que ceci devienne une
13 espèce de concurrence aux yeux du Tribunal. J'ai essayé de vous
14 expliquer que les cours britanniques fondent leurs activités sur leur
15 droit national. C'est peut-être problématique, cela ne l'est peut-
16 être pas. En tout cas, au fil des cinquante ans, tout ce "corpus" est
17 devenu une partie intégrante du droit coutumier international. On ne
18 peut plus, maintenant, revenir cinquante ans en arrière pour remettre
19 en question et contester ces fondements-mêmes puisque, franchement,
20 les tribunaux ne disposaient d'aucune autre source. Il n'y avait rien
21 dans le droit international qui pouvait leur servir ni même dans les
22 grands principes de droit ; rien permettant de dire qu'il était
23 possible de prendre une décision arbitraire. Les tribunaux
24 britanniques n'ont pas simplement pu dire qu'ils allaient appliquer
25 le droit de la House of Lords. Ce droit n'a pas été contesté, il
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1 n'est pas en litige. C'est une partie du droit coutumier
2 international, tout comme l'est la conspiration, qui est tout à fait
3 étranger à certains systèmes de droit civil. L'inverse est également
4 vrai. On pourrait citer beaucoup d'éléments et de maximes du droit
5 civil qui sont devenus parties du droit international coutumier.
6 Dira-t-on, parce qu'ils viennent du droit civil, qu'il ne sont pas
7 recevables ? Nous sommes partis du principe qu'il y avait la Common
8 Law et le droit civil. Or, il n'y a de nombreux autres systèmes. Nous
9 pourrions partir dans une expédition illimitée pour voir ce
10 qu'auraient à dire les autres sources de droit. Permettez-moi de
11 revenir rapidement à la Jurisprudence et aux précédents. Nous faisons
12 valoir que seul le procès des Einsatzgruppen est contraire à la
13 position que nous suggérons. Même l'affaire du Haut commandement,
14 souvent citée comme précédent, ne se penche pas sur cette question
15 précise. Dans cette affaire précise, il est fait mention de la
16 contrainte, mais uniquement dans le contexte de la contrainte
17 provenant de l'ordre d'un supérieur hiérarchique. Dans cette affaire,
18 permettez-moi de citer la défense qui dit reconnaître comme moyen de
19 défense pour le crime évoqué, ce qui est dit dans la loi n° 10 du
20 Conseil de contrôle : "Un agent a exécuté l'ordre de son Gouvernement
21 ou de son supérieur". Cela reviendrait à dire que toutes les
22 accusations de culpabilité de l'acte d'accusation revenaient à Hitler
23 et lui seul parce que c'était lui qui avait la force de décision de
24 l'Etat et l'autorité suprême permettant d'émettre des ordonnances ou
25 des injonctions militaires et civiles. C'est en page 12 de mon
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1 mémoire. Reconnaître une telle affirmation reviendrait à reconnaître
2 et à accepter une absurdité. Voilà sur quoi se penchait ce Tribunal.
3 C'était la défense de l'ordre supérieur hiérarchique et non pas de la
4 contrainte. Cet argument est donc sans objet en l'espèce. Sinon, on
5 pourrait dire que cette formulation est un diktat arbitraire. Même
6 dans le cas de Haut commandement, on n'a pas parlé de contrainte,
7 mais bien sûr des pelotons d'exécution qui avaient tué des milliers
8 et des milliers de personnes à cette époque. Je pense cependant que
9 jamais la Cour n'a accordé beaucoup de poids à la question de ces
10 personnes qui pouvaient participer à cette orgie de massacres pendant
11 plusieurs années. Comment ces personnes pourraient-elles invoquer la
12 contrainte comme éléments de défense ? Dans cette affaire, la Cour
13 n'a pas véritablement enquêté sur le droit applicable. Nous pensons
14 que ce jugement est erroné et cet avis est partagé par des
15 commentaires ultérieurs comme dans le cas Eichmann et ceci ne donne
16 pas davantage de légitimité à l'affaire Einsatzgruppen, pas plus à la
17 fin qu'au début. Un des grands commentateurs de droit international
18 ne s'est pas contenté de faire opposition à cette affaire, mais a
19 mentionné aussi les objections sérieuses mentionnées par Lauterpacht.
20 Il va même jusqu'à dire qu'il est très malheureux que ce tribunal ait
21 décidé qu'il s'agissait d'un élément de défense d'application
22 illimitée. On pourrait dire qu'effectivement si l'application était
23 illimitée, ceci pourrait justifier de nombreux scénarii qui, pour des
24 raisons diverses, ne se manifesteraient pas dans l'intérêt de
25 l'équité des systèmes juridiques nationaux et internationaux.
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1 J'espère avoir répondu à votre question.
2 M. le Président. - Je pense que mes collègues auront des questions à
3 poser, je voudrais vous remercier et vous féliciter pour le calme et
4 la sérénité qui ont marqués vos réponses. Je ne voulais pas du tout
5 être agressif, mais certaines questions m'interpellent. Je suis
6 passionné par ces questions cruciales, excusez-moi si mon ton était
7 quelque peu animé, mais vous vous en êtes très bien sorti. Je
8 voudrais désormais me tourner vers mes collègues qui auront peut-être
9 des questions.
10 Mme Mc Donald (interprétation). - Je vais essayer d'être aussi
11 passionnée que M. Cassese Je voudrais savoir si le plaidoyer de
12 culpabilité était équivoque et je voudrais opposer la notion de
13 légitime défense à celle de contrainte. Si l'accusé avait plaidé
14 légitime défense, cela aurait été un plaidoyer équivoque puisqu'il
15 n'y aurait pas de "mens rea*" pour commettre un crime parce que la
16 notion de légitime défense veut que l'on se protège de l'auteur du
17 crime. Dans notre système, on ne peut utiliser que la force qui est
18 nécessaire pour se protéger. Il n'y aurait aucune "mens rea" dans ce
19 cas de figure. Il y aurait donc un plaidoyer équivoque. Est-ce bien
20 exact ? Parce que c'est une justification et l'on ne peut pas plaider
21 coupable si l'on plaide sur un motif de justification.
22 Me Akhavan (interprétation). - D'accord.
23 Mme Mc Donald (interprétation). - Vous dites, à propos de la
24 contrainte, que ce n'est pas une justification, mais une excuse.
25 Me Akhavan (interprétation). - Effectivement, c'est une excuse qui ne
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1 vaut même pas pour l'infraction de meurtre.
2 Mme Mc Donald (interprétation). - Voulez-vous dire qu'en matière de
3 contrainte, une personne agissant sous la contrainte a, malgré tout,
4 l'intention, la "mens rea" de commettre ce crime ?
5 Me Akhavan (interprétation). - Effectivement.
6 Mme Mc Donald (interprétation). - Ces personnes sont cependant
7 exonérées et excusées. Mais pour quelles raisons ?
8 Me Akhavan (interprétation). - Ces personnes sont exonérées ou
9 excusées surtout pour des raisons d'ordre moral, pour des raisons de
10 ce que la société attend du comportement d'une personne raisonnable
11 dans une situation de pression extrême. Il faut opérer une
12 distinction entre un crime au sens technique du terme impliquant
13 "mens rea actus reus " des considérations morales entourant l'acte.
14 Dire qu'il n'y a pas de choix moral ne veut pas dire qu'il n'y a pas
15 de "mens rea." L'accusé qui a un revolver sur le tempe, à qui on
16 ordonne de tuer une autre personne, est tout à fait conscient de son
17 acte. Il a l'intention de tuer une autre personne. Cela veut dire que
18 le crime, à l'inverse de la justification de la légitime défense,
19 n'est pas le même. Si une juridiction particulière décide de dégager
20 une personne de ses responsabilités, elle le fait uniquement pour des
21 raisons d'intérêt public, de considérations morales, d'attentes de la
22 société. Stephen (interprétation). - murmurant des propos personnels.
23 Me Akhavan (interprétation). - Effectivement, c'est comme cela que
24 nous comprenons le droit. C'est la raison pour laquelle, en théorie,
25 ce ne serait pas faire une grande injustice à un accusé que de dire
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1 que ce n'est pas un moyen de défense d'application illimitée.
2 Mme Mc Donald (interprétation). - Si, par conséquent, le plaidoyer
3 était basé sur la contrainte et s'il ne constituait pas un moyen de
4 défense, comme le serait la légitime défense puisque ce serait une
5 justification, le plaidoyer serait-il équivoque ? Faut-il vraiment,
6 pour cela, interjeter appel ?
7 Me Akhavan (interprétation). - A l'évidence, non puisque la
8 contrainte n'est pas un moyen de défense dans un cas où on a tué des
9 personnes innocentes et civiles. Ici, il ne s'agit pas de tuer une
10 personne mais bien de soixante-dix à cent personnes selon les aveux-
11 mêmes de l'accusé. Pour nous, ce plaidoyer était sans équivoque, même
12 si on invoquait la contrainte ce qui n'a pas été le cas. Ce moyen
13 n'aurait pas été permis à l'accusé. Je crois que dans notre mémoire
14 nous avons cité, en guise d'exemple, des précédents venant de la Cour
15 martiale américaine qui a décidé que le plaidoyer de culpabilité
16 était sans équivoque et donc était recevable puisqu'il n'était pas
17 possible d'invoquer la contrainte comme moyen de défense.
18 Mme McDonald (interprétation). - Monsieur le Juge Stephen, avez-vous
19 une question sur ce propos, parce que je voulais passer à autre
20 chose ?
21 M. Stephen (interprétation). - Fort bien. La question que je
22 voudrais désormais vous poser a trait à l'hypothèse d'une personne
23 prise en otage. Ce cas a été évoqué par notre président. Je ne vais
24 pas revoir tous les scénarios avec des personnes A, B ou C. Dans le
25 jugement, la Chambre n°1 fait référence à un incident où l'accusé
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1 s'est opposé à l'ordre donné par un lieutenant colonel de participer
2 à l'exécution de 500 Musulmans. Il a été en mesure de ne pas
3 commettre ce crime supplémentaire parce qu'il a été soutenu dans sa
4 désobéissance par trois camarades. Imaginons une situation où des
5 gens prennent d'autres personnes en otage. C'est là une hypothèse
6 philosophique. Vous refusez d'obéir, ne pourriez-vous pas bénéficier
7 du soutien d'autres camarades qui, eux aussi, sont prêts à désobéir ?
8 Comprenez-vous bien ma question ?
9 M. Akhavan (interprétation). - Je crois que cette question est des
10 plus pertinentes. Une partie de cette équation philosophique, pour
11 déterminer la proportionnalité du mal, il faut dans ce cas se
12 demander si le droit exige des gens qu'ils soient des héros ou des
13 martyrs, ou est- ce que le croit permet aussi à un couard d'être là ?
14 La question n'est pas simplement de l'équation numérique. Si le droit
15 admet la contrainte, comme moyen de défense, il va encourage un tel
16 comportement. Ce droit va permettre à des gens de soumettre d'autres
17 à de telles pressions sans crainte des représailles ni de culpabilité
18 juridique. Vous l'avez-vous même dit. Le cas en l'espèce montre
19 clairement que lorsque l'accusé a refusé d'obtempérer, il a été aidé
20 en cela par des camarades.
21 Mme McDonald (interprétation). - Non seulement cela pourrait
22 encourager d'autres à faire de même, pour suivre votre raisonnement,
23 mais cela pourrait même encourage d'autres personnes. Sans aucune
24 justification, évidemment, je ne veux pas utiliser le terme de
25 "justification" quand on parle de légitime défense. L'affaire dont
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1 j'ai pris connaissance présente un cas où la contrainte a été
2 reconnue comme élément de défense. Pour ma part, je ne pense qu'à un
3 autre cas -même s'il y en a d'autres- où l'accusé a pu remplir les
4 conditions très sévères nécessaires à l'établissement de cette
5 défense. Ce que vous faites, c'est dire qu'il y a un moyen de défense
6 -je suis votre argumentation-, qui, s'il n'encourage pas, du moins ne
7 dissuade pas quelqu'un à dire non. Ce faisant, ce qui se passe au
8 niveau de l'application, c'est une défense qui ne peut pas être menée
9 jusqu'au bout parce qu'elle est trop sévère, il faut remplir des
10 conditions trop rigoureuses. Si l'on parle de la philosophie, si l'on
11 parle du rôle du droit à dissuader d'éventuels auteurs de commettre
12 des crimes contre l'humanité, je trouve que cet argument répond
13 exactement aux inquiétudes que vous avez manifestées. Je voudrais
14 vous demander ceci. Pensez-vous que la contrainte ne peut jamais être
15 acceptée comme un élément ou moyen de défense, en fonction de
16 certaines circonstances ?
17 M. Akhavan (interprétation). - La contrainte est reconnue dans
18 pratiquement tous les systèmes de droit nationaux en tant qu'élément
19 de défense.
20 Mme McDonald (interprétation). - Je vous interromps, peut-on
21 reconnaître ceci comme étant un moyen de défense dans la violation du
22 droit international humanitaire ?
23 M. Akhavan (interprétation). - Je crois que nous avons limité notre
24 examen à la question du meurtre.
25 Mme McDonald (interprétation). - Je comprends bien parce que j'ai lu
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1 vos propos avec beaucoup d'attention. Mais je vous demande si à votre
2 avis la contrainte peut être retenue comme moyen de défense,
3 traitement inhumain par exemple, dans le cas de violation du droit
4 international humanitaire ?
5 M. Akhavan (interprétation). - En guise de remarque liminaire, je
6 dirai que oui. Effectivement, ceci peut être retenu comme élément de
7 défense dans certains crimes, dans certains délits. Il y a une
8 différence énorme entre la déportation ou la destruction arbitraire
9 de propriété et le fait de tuer cent personnes. Manifestement, quels
10 que soient les critères de moralité invoqués, il n'est pas possible
11 de mettre ces deux crimes en équation. Mais pour ce qui est de
12 l'espèce, nous n'avons examiné que la question du meurtre. Par
13 exemple au Royaume Uni, d'autres crimes ou délits, par exemple des
14 sévices sexuels, peuvent être parfois retenus sur l'élément de
15 contrainte alors que ce n'est pas possible au Canada. Voilà un
16 problème qu'il revient à la Cour de trancher. A l'avenir, faut-il
17 faire la ligne de démarcation entre la contrainte comme élément de
18 défense ou pas ? On pourrait penser, surtout s'il s'agit d'un crime
19 contre l'humanité, celui-ci fait partie des crimes les plus
20 exceptionnellement graves qu'à à connaître cette juridiction. Cela
21 veut dire que ceux-ci tombent sous le coup de la non-applicabilité de
22 la contrainte en tant qu'élément de défense.
23 Mme McDonald (interprétation). - Que pensez-vous du paragraphe 47 du
24 rapport du secrétaire général, quand il parle de la coercition ou de
25 l'absence de choix moral en tant que moyen de défense ? Pensez-vous
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1 que le secrétaire général faisait une référence générale à
2 l'existence de la contrainte en tant que moyen de défense, mais sans
3 appliquer ceci au cas précis où quelqu'un tue un innocent ?
4 M. Akhavan (interprétation). - Effectivement, en tant qu'hypothèse
5 ou postulat général, nous sommes d'accord. On reconnaît la contrainte
6 en tant qu'excuse. La Commission du droit international le fait
7 également. Elle reconnaît la contrainte comme étant une excuse, mais
8 le paragraphe 57 dont vous parlez porte plutôt sur l'ordre du
9 supérieur hiérarchique dans ce rapport du secrétaire-général.
10 J'ajoute que le libellé est quelque peu ambigu, les termes ne sont
11 pas très précis. On voit très bien, à examiner les jugements d'après-
12 guerre, que beaucoup d'affaires ont parlé de la contrainte en passant
13 dans le contexte plus large de l'ordre du supérieur hiérarchique,
14 comme c'était le Einsatzgruppen, par exemple. Le Tribunal reconnaît
15 que des ordres de supérieur hiérarchique ne peuvent jamais être
16 invoqués comme élément de défense. On dit en passant que si ceci
17 s'accompagne de contrainte, cela peut devenir un moyen de défense.
18 C'est là la raison pour laquelle ces jugements n'ont pas bien tenu
19 compte du droit. On s'est contenté de donner un jugement arbitraire
20 en passant. Le rapport du secrétaire-général reconnaît, comme nous le
21 reconnaissons aussi, que la contrainte constitue un moyen de défense.
22 Quand on dépasse le postulat général et que l'on voit le précédent
23 applicable, on en arrive à une conclusion contraire.
24 Mme McDonald (interprétation). - Vous semblez suggérer qu'en
25 l'espèce, il nous faut nous focaliser sur la question de savoir si la
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1 contrainte, si elle est accompagnée d'un ordre supérieur
2 hiérarchique, constitue un bon moyen de défense.
3 M. Akhavan (interprétation). - Vous voulez parler du paragraphe 57 ?
4 Mme McDonald (interprétation). - Vous dites que lorsque la contrainte
5 accompagne un ordre d'un supérieur hiérarchique, ce qui est le cas en
6 l'espèce, vous dites que la jurisprudence par la suite le montre (les
7 procès de Nuremberg). En d'autres termes, y a-t-il une différence
8 entre le traitement que nous devons donner à la contrainte, si ceci
9 implique aussi le fait de tuer des innocents, mais lorsque le fait de
10 tuer ces personnes n'est pas accompagné d'un ordre de supérieur
11 hiérarchique ?
12 M. Akhavan (interprétation). - A l'évidence, le moyen de défense de
13 la contrainte, s'il était invoqué ici, il l'a été en conjonction avec
14 un autre supérieur hiérarchique. Nous disons qu'étant donné que ces
15 ordres supérieurs sont résolument un moyen non retenu en droit
16 international, quand cet élément s'allie au moyen de la contrainte,
17 somme toute et somme fait, on devrait ne pas utiliser ceci comme
18 moyen de défense. Je ne suis pas prêt ici à faire des propositions
19 plus précises sur les conséquences que ceci aura pour les critères à
20 retenir pour l'établissement de la preuve, mais même quand il n'y a
21 pas meurtre, la contrainte accompagnant l'ordre du supérieur devrait
22 être retenue encore plus rarement que le seul cas où il y a
23 contrainte..
24 Mme McDonald (interprétation). - Le cas que nous connaissons est
25 celui où la contrainte accompagnant l'ordre du supérieur devrait être
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1 retenu comme circonstance atténuante. Vous dites qu'il faut se
2 pencher sur ce cas précis et ne pas se demander de façon abstraite et
3 générale si la contrainte peut être retenue de façon générale comme
4 moyen de défense.
5 M. Akhavan (interprétation). - La contrainte en tant que telle,
6 qu'elle soit accompagnée ou pas de l'ordre du supérieur ne devrait
7 pas être retenue comme moyen de défense.
8 Mme McDonald (interprétation). - Vous vous nous dites qu'il faut être
9 un peu plus sévère que de bon aloi.
10 M. Akhavan (interprétation). - Nous sommes prêts à dire qu'en fait,
11 s'il y a aussi ordre du supérieur, c'est encore plus persuasif.
12 Mme McDonald (interprétation). - En matière de proportionnalité,
13 pensez-vous que le Tribunal doive tenir compte du nombre de personnes
14 tuées, les circonstances entourant le meurtre de personnes
15 innocentes, la position de l'accusé, sa place dans la hiérarchie
16 militaire ou même dans la structure politique ? Faudrait-il, à votre
17 avis, tenir compte de ces éléments pour trancher sur la question de
18 savoir si la contrainte est un moyen de défense accompagné ou pas de
19 l'ordre du supérieur.
20 M. Akhavan (interprétation). - Cela ne serait pas nécessaire si la
21 contrainte est un moyen de défense pour un meurtre. Une telle enquête
22 ne peut se faire que pour l'atténuation de la peine. A l'évidence, si
23 l'accusé a tué une personne pour sauver dix prisonniers de guerre, le
24 Tribunal va peut-être décidé d'imposer une peine très légère ou même
25 visera l'exemption de la peine suivant l'intérêt de la justice et en
Page 97
1 fonction des circonstances. Peut-être est-ce là une des raisons
2 philosophiques ? Pourquoi ne peut-on pas retenir la contrainte comme
3 moyen défense ? Parce qu'on le voit tout de suite sous l'angle de la
4 philosophie. L'acte d'équilibrage est des plus périlleux. Il serait
5 très difficile, vu les circonstances. C'est pratiquement un jeu de
6 roulette ou une équation mathématique. Est-il préférable de sauver
7 dix vies ou plutôt de sauver la vie d'un petit enfant ? Est- il
8 préférable de lui sauver la vie que de sauver la vie de deux
9 personnes âgées ? Est-il préférable de sauver la vie d'un juriste
10 plutôt que celle d'un comptable ? Là, on s'engagerait dans des
11 discussions philosophiques des plus problématiques.
12 Mme McDonald (interprétation). - Une question à propos du rapport de
13 la CDI, la Commission droit international dont vous avez parlé. Dans
14 ce rapport, il est dit que la Convention de 1948 sur le génocide et
15 les Conventions de Genève de 49, ainsi que le Protocole additionnel 1
16 de 1977 ne prévoient pas de moyens de défense pour ces crimes. Quelle
17 est la répercussion de ceci sur le cas que nous devons connaître en
18 appel, pour autant qu'il y ait une répercussion ?
19 M. Akhavan (interprétation). - La question du génocide est quelque
20 peu différente étant donné l'intention ou les éléments requis de
21 l'infraction du génocide. Mais je ne suis pas très familier avec ce
22 passage précis que vous venez de citer, je vous demanderai peut-être
23 le loisir de l'étudier avec le plus grand soin. Voici notre position,
24 tout du moins lorsqu'il s'agit de violation ordinaire et pas du
25 génocide. Nous disons qu'il n'y a pas de moyen de défense. Les
Page 98
1 délibérations de la CDI présentent cette difficulté. Vous avez des
2 gens venant de systèmes juridiques qui ont chacun leur façon de voir
3 et leur façon de concevoir la portée de la responsabilité pénale.
4 Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de moyens de défense possible
5 quand il y a des violations du droit international humanitaire. Je
6 suis un peu surpris de la teneur du passage que vous avez lu. Je suis
7 étonné que l'on parle de telles possibilités, à l'exception du crime
8 de génocide. Beaucoup de commentateurs disent que même en cas de
9 génocide, la légitime défense ne peut pas être invoquée.
10 Mme McDonald (interprétation) - La Cour d'appel, en l'espèce, doit se
11 demander si l'ordre du supérieur hiérarchique est un moyen de
12 défense ?
13 M. Akhavan (interprétation) - Ce n'est pas nécessaire, parce que
14 l'article 7.4 nous donne un avis catégorique. Ceci ne peut se faire
15 que pour l'atténuation de la peine. C'est tout à fait déterminant. Ce
16 point est décisif en droit international. La seule question qui
17 subsiste, c'est celle de la contrainte accompagnant l'ordre du
18 supérieur.
19 Mme McDonald (interprétation) - Vous dites donc qu'il est clair que
20 ce n'est pas un moyen de défense, qu'on ne peut l'invoquer que pour
21 l'atténuation de la peine. Est-ce vraiment un problème ? Vous me
22 donnez une réponse, vous me dites que manifestement ceci ne peut être
23 utilisé qu'à des fins d'atténuation de peine et non pas comme moyen
24 de défense. Est-ce une question dont nous devons décider ?
25 M. Akhavan (interprétation) - Pas du tout, dans ce cas précis.
Page 99
1 M. le Président. - Je vais d'abord passer la parole au Juge Stephen.
2 M Stephen (interprétation) - Vous avez parlé de la décision de
3 l'affaire Einsatzgruppen à l'encontre du droit militaire américain.
4 M. Akhavan (interprétation) - Oui, j'imagine que, puisqu'il n'y a
5 pas de précédent international dans les tribunaux militaires
6 américains, le plus simple était de procéder comme il a été fait. Je
7 n'ai pas connaissance de précédent à l'époque du procès
8 Einsatzgruppen qui puissent étayer les thèses que l'on trouve dans le
9 jugement. Peut-être pourrais-je poursuivre mes recherches, mais je me
10 suis fondé sur la source Winthrop qui est la plus utile en matière de
11 jurisprudence des tribunaux militaires américains. On n'y trouve
12 aucun cas dont il ressortirait que la contrainte avait été admise
13 comme moyen de défense en cas de meurtre. Depuis 1951, les cours
14 martiales américaines ont explicitement dit que la contrainte n'était
15 pas un moyen de défense en cas de meurtre. C'était bien entendu après
16 le procès Einsatzgruppen, donc cela ne concerne pas ce qui a été dit
17 en 1948. Mais, de façon générale, le consensus dans le droit
18 militaire américain va dans le sens de notre thèse.
19 M. le Président. - Je vous interromps un instant. Encore une fois,
20 pour moi, il y a une contradiction. En effet, l'affaire
21 Einsatzgruppen est le seul cas où un Tribunal militaire américain a
22 appliqué la loi n° 10 du Conseil de contrôle. Or, vous dites que les
23 tribunaux appliquent le droit national. Dans le cas que vous venez de
24 mentionner, il s'agit de cours martiales américaines où le droit
25 national américain a été appliqué. Or, dans l'affaire Einsatzgruppen
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1 tombait sous le coup de la loi n°10 du Conseil de contrôle. On ne
2 peut donc pas placer ces différentes affaires sur le même pied.
3 M. Akhavan (interprétation) - Non, je fais une distinction entre la
4 loi n°10 du Conseil de contrôle, s'agissant du fait que la loi n°10,
5 comme la charte de Nuremberg, peut être considérée comme droit
6 international. Je veux faire cette distinction et dire que les
7 tribunaux nationaux, dans les parties occupées de l'Allemagne,
8 fonctionnaient, eux aussi, comme des tribunaux internationaux, au
9 contraire de l'affaire Touvier ou d'autres affaires qui peuvent
10 emprunter ou ne pas emprunter au droit international. Pour ce qui est
11 de la loi n°10 du Conseil de contrôle, il n'y avait pas de Code Pénal
12 puisqu'il n'existait pas. Il y avait bon nombre d'incertitudes quant
13 aux moyens de défense recevables. Ceci est vrai aussi pour notre
14 Tribunal aujourd'hui, puisque le statut ne couvre pas tous les cas de
15 figure. Donc, le Tribunal s'est retrouvé avec un nombre d'options
16 limité lorsque la loi n°10 et le droit international ne donnaient pas
17 d'instructions claires. Le Conseil de contrôle pouvait décider
18 d'appliquer le droit allemand, d'appliquer le droit français ou le
19 droit anglo-américain. Il pouvait décider de procéder à une étude de
20 tous les systèmes juridiques existants. Beaucoup d'options lui
21 étaient accessibles. Pour ma part, la décision Einsatzgruppen me pose
22 un problème dans la mesure où l'on ne cite aucune source, aucune
23 jurisprudence. Il y a une phrase qui ressemble plutôt à une thèse
24 d'ordre moral selon laquelle aucun Tribunal ne jugera coupable une
25 personne si.... etc. Qu'est-ce que cette conclusion sous- entend
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1 comme raisonnement juridique ? Les Einsatzgruppen étaient des
2 escadrons d'extermination. Le Tribunal aurait pu ne pas passer
3 beaucoup de temps sur cette affaire. En ce sens, il est très possible
4 que sur la base de considérations morales ou de bon sens, les juges
5 siégeants arrivent à la conclusion qu'effectivement si une personne a
6 un pistolet braqué sur la tempe, on ne peut pas la considérer comme
7 coupable lorsqu'elle en tue une autre. Ce n'était pas le cas en
8 l'occurrence. Nous l'avons mentionné en passant. Nous avançons même
9 que le jugement prononcé dans l'affaire Einsatzgruppen est
10 contradictoire. La raison pour laquelle nous nous sommes fondés à ce
11 point sur l'affaire Stalag Luft et l'affaire Holzer, c'est parce que
12 les tribunaux ont examiné très longuement ces différentes questions
13 et ont considéré les moyens de défense recevables. Il ne s'agissait
14 pas, en l'occurrence, de pelotons d'exécution, mais de dix à quinze
15 défendeurs qui avaient abattu des officiers de l'armée de guerre ou
16 des prisonniers de guerre. Si la contrainte avait été autorisée comme
17 moyen de défense, cela aurait changé beaucoup de choses. Donc, les
18 tribunaux ont examiné la question en détail, de même que dans
19 l'affaire La Reine c./ Dudley Stephens et d'autres affaires. On peut
20 évidemment se poser toutes sortes de questions hypothétiques sur ce
21 qui se serait passé si tel ou tel Tribunal qui siégeait était un
22 tribunal chinois en train d'appliquer le droit chinois. Le résultat
23 aurait sans doute été différent. Mais, il s'agit là de circonstances
24 historiques qui ont créé ce corpus juridique. Je ne pense pas qu'il
25 faille maintenant le remettre en question.
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1 M Stephen (interprétation). - S'agissant du droit militaire, il me
2 semble que vous dites que ce n'est pas seulement le droit militaire
3 qui dit que la contrainte ne peut être invoquée comme moyen de
4 défense, mais plutôt que vous vous fondez sur l'affaire Winthrop. En
5 est-il bien ainsi ? Vous dites qu'il n'y a pas de sources qui, de
6 façon positive, permettent de dire que la contrainte peut être reçue
7 comme moyen de défense.
8 M. Akhavan (interprétation). - C'est vrai s'agissant du droit
9 militaire américain.
10 M Stephen (interprétation) - C'est effectivement ce dont je parle.
11 C'est votre remarque qui m'amène à poser cette question. Je voudrais
12 aussi vous demander d'ailleurs si, dans ce passage que vous citez de
13 Winthrop, on parlait moins de cette question ? On y parle, à mon
14 avis, de la question de l'ennemi, de savoir si ce moyen de défense
15 peut être avancé pour prouver un danger immédiat de mort posé par
16 l'ennemi. Ce qui laisserait plutôt entendre que l'on pense à la
17 trahison qui serait excusable quand une contrainte de ce genre est
18 exercée. Est-ce le point le plus extrême que vous pouvez atteindre
19 dans cette question de droit militaire ?
20 M. Akhavan (interprétation) - Oui. Nous disons que si la contrainte
21 était recevable en cas de meurtre, cela aurait été dit explicitement
22 dans les commentaires. La raison pour laquelle nous citons ce passage
23 est que la seule infraction pour laquelle la contrainte semble être
24 acceptée comme moyen de défense est la trahison. Mais, on ne peut pas
25 considérer le droit militaire américain isolément du droit américain
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1 dans son ensemble. Nous avons dû passer par plusieurs stades
2 d'analyse pour ce procès, qui était un procès de droit militaire
3 américain, par un Tribunal militaire américain. Il n'y avait pas de
4 précédent. Après ce stade, nous sommes passés au droit américain et
5 nous avons étudié l'affaire traitée en 1893 dans l'Etat d'Alabama.
6 Bien sûr, nous aurions pu présenter une liste exhaustive de très
7 nombreuses affaires traitées dans les années 1920 et 1930, qui
8 répètent l'idée que la contrainte n'est pas recevable comme moyen de
9 défense.
10 M Stephen (interprétation) - Encore une fois, vous parlez des Etats
11 Unis et d'Etats des Etats Unis qui avaient un code pénal.
12 M. Akhavan (interprétation) - De façon générale, la contrainte n'est
13 pas recevable comme moyen de défense dans le cas d'un meurtre. Je
14 crois que c'est la règle qui s'applique dans l'ensemble des Etats
15 Unis.
16 M Stephen (interprétation) - Dans l'ensemble des Etats Unis ?
17 M. Akhavan (interprétation) - Oui, c'est ce que je pense, mais il y
18 a une législation dans certains Etats qui permet d'utiliser
19 partiellement la contrainte comme moyen de défense. Par exemple, un
20 homicide peut être qualifié d'infraction moins grave si l'on accepte
21 la contrainte. Je ne connais pas d'Etat aux Etats Unis qui, du point
22 de vue législatif ou judiciaire, reconnaisse la contrainte comme
23 moyen de défense total.
24 M Stephen (interprétation) - Merci. Autre question que je voudrais
25 vous poser, dans le cas sur lequel vous vous fondez, l'affaire Holzer
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1 et l'affaire Fuerstein, c'est le juge militaire dont vous rapportez
2 les propos. Or, nous ne savons pas quel est le crédit que le Tribunal
3 a accordé aux propos du juge militaire ?
4 M. Akhavan (interprétation) - Non, c'est effectivement un problème
5 posé très souvent par bon nombre de ces affaires. D'ailleurs,
6 concernant l'affaire Holzer, je n'ai vu, nulle part, aucun exemplaire
7 du texte du jugement, sinon dans un recueil. Je suis sûr que le
8 Président Cassese est l'un des rares au monde à avoir un exemplaire
9 de ce jugement et, qui plus est, à l'avoir lu. C'est la passion du
10 Président pour le droit international qui explique son zèle et je lui
11 en suis très reconnaissant. Mais, dans toutes ces affaires, la
12 défense n'a pas fait usage de ce moyen de défense. Cela nous donne
13 aussi une indication. Je crois comprendre que l'opinion du juge
14 militaire a été effectivement prise en considération par le Tribunal,
15 c'est là une hypothèse tout à fait raisonnable à faire.
16 Mme McDonald (interprétation) - Est-ce que l'affaire Holzer était une
17 affaire avec un jury ? Est-ce que cela n'expliquerait pas l'absence
18 d'explications ? Aux Etats Unis, le juge laisse le jury délibérer. Je
19 ne connais pas exactement la procédure canadienne, mais s'il s'agit
20 d'une affaire soumise à jury, cela pourrait expliquer pourquoi on a
21 recours à une autre source pour retrouver les explications
22 supplémentaires ?
23 M. Akhavan (interprétation) - Pour autant que je sache, il s'agit
24 d'une variante du système de jury, en ce sens que le juge militaire
25 dit quel est le droit applicable. C'est pour cela que nous avons
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1 toutes les raisons de croire que c'est effectivement le droit sur
2 lequel s'est fondé le Tribunal pour trancher.
3 M. Stephen (interprétation). - J'examine ici le rapport de la CDI à
4 sa 48ème session en 1996 où l'on cite le Tribunal de Nuremberg et où
5 l'on parle de la non- recevabilité des ordres de supérieurs
6 hiérarchiques en tant que moyen de défense. Il est dit, et je cite :
7 "le texte à appliquer n'est pas le droit pénal des pays différents,
8 mais la question est de savoir s'il y avait un choix moral." Est-ce
9 là l'argument que vous avancez et que vous appliquez à la déclaration
10 de l'accusé, à savoir qu'il allait être abattu en même temps que dix
11 autres personnes s'il n'obéissait pas à l'ordre qui lui était donné ?
12 Où est le choix moral ?
13 M. Akhavan (interprétation). - Je crois que cette affirmation qui
14 figure dans le jugement du tribunal militaire international est
15 quelque peu ambiguë. Quand on parle d'ordres de supérieurs, ils
16 disent que ce n'est pas un moyen de défense et ensuite on parle de
17 choix moral. Je donnerai au Tribunal le bénéfice du doute et je
18 suggérerai alors que ce que le Tribunal dit, c'est que les ordres
19 supérieurs ne sont pas un moyen de défense, mais que la contrainte
20 peut l'être. Si tel est le cas, cela ne veut pas dire que la
21 contrainte doit être acceptée dans l'ensemble des systèmes juridiques
22 du monde. Ce moyen de défense pourrait être utilisé de façon
23 spécifique et cela serait laissé à la discrétion du Tribunal. Pour ce
24 qui est du choix moral, là encore il y a là une question d'ordre
25 moral qui est indépendante de l'intention délictueuse de l'accusé. Il
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1 se peut que je tue quelqu'un délibérément pour sauver la vie de dix
2 personnes, bien sûr je tuerai le comptable pour sauver le magistrat,
3 mais en aucune manieur cela ne signifie que je n'avais pas
4 l'intention délictueuse requise pour commettre l'infraction de
5 meurtre avec ou sans préméditation. Cette affirmation du Tribunal
6 militaire international concernant le choix moral ne change rien au
7 fait que l'accusé a commis une infraction qui consiste à participer à
8 l'exécution de quelques 1 200 personnes sur une période de 5 heures
9 et qu'il possédait l'intention délictueuse requise et qu'il a commis
10 "l'actus reus" incriminé au titre de crime contre l'humanité. Etant
11 donné les circonstances, la Cour peut décider que le choix moral
12 était limité ou qu'il n'y avait pas de choix moral et que cet élément
13 doit être prise en considération au titre de circonstance atténuante,
14 pour aller jusqu'à la remise de la peine. Mais, il ne me semble pas
15 qu'il y ait une théorie de droit pénal qui rende synonyme l'absence
16 de choix moral et l'absence d'intention délictueuse.
17 M. Stephen (interprétation). - Merci.
18 Mme McDonald (interprétation). - Excusez-moi, il y a encore une
19 phrase après cette citation qui pourrait peut-être préciser les
20 choses. Le juge Stephen lisait la citation suivante : "le texte à
21 appliquer est non pas l'existence de l'ordre, mais la question de
22 savoir s'il y avait possibilité de choix moral ou non." La phrase
23 suivante dit ceci : "de toute évidence, s'agissant d'un 'individu qui
24 était responsable, dans une certaine mesure, de l'existence ou de
25 l'exécution d'un ordre, ou dont la participation était au-delà des
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1 besoins, ne peut dire avoir été privé de choix moral quant à son
2 comportement." Je pense que cette phrase doit être reliée à la phrase
3 qui la précède. La première phrase pose une question et, pour ma
4 part, je trouve la réponse dans la phrase qui suit, à savoir que la
5 personne qui a exécuté l'ordre ne peut arguer de l'absence de choix
6 moral. Excusez-moi de vous avoir interrompu, mais cela me semblait
7 intéressant.
8 M. Stephen (interprétation). - Oui, cela n'est pas cité dans le
9 rapport de 1996. J'ai encore deux questions, dont l'une s'adresse
10 sans doute à M. Niemann plus qu'à M. Akhavan. La première question
11 porte sur un passage qui me rend un peu perplexe dans le jugement
12 prononcé en haut de la page 9 (version anglaise). A cette page 9, il
13 est dit que : "bien que l'accusé n'ait pas mis en cause le caractère
14 illégal de l'ordre qu'il dit avoir reçu...." Cela apparaît aussi dans
15 la version originale française. J'ai vérifié. Est-ce une erreur ?
16 Depuis deux heures, nous parlons du fait que l'accusé a bel et bien
17 mis en cause le caractère légal, licite de l'ordre qui lui était
18 donné ?
19 M. Niemann (interprétation). - Madame et messieurs de la cour. Il ne
20 me semble pas qu'il y ait des moyens de preuve permettant de dire que
21 l'accusé a mis en cause l'ordre au moment des faits. Lorsque l'ordre
22 lui a été donné, l'accusé dit avoir fait plus que simplement dire "je
23 ne veux pas commettre cet acte". C'est alors qu'on lui aurait
24 répondu : "tu te feras tuer aussi." Tels sont les moyens de preuve
25 que nous avons. Il n'est pas dit que l'accusé a été plus loin que
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1 cela. Il se peut que la Chambre de première instance examinait en
2 fait les références faites aux occasions précédentes, quand l'accusé
3 avait de toute évidence refusé d'accomplir un ordre en en contestant
4 le caractère licite.
5 M. Stephen (interprétation). - Oui, jusque là je vous suis. Je
6 voulais vous poser une autre question sur l'obligation, quand un
7 accusé est représenté par un conseil, pour le Tribunal de dire en
8 détail, de façon précise, les chefs d'accusation. Il y a ici deux
9 chefs d'accusation alternatifs : crime de guerre et crime contre
10 l'humanité. Y avait-il obligation d'expliquer à l'accusé quels
11 étaient précisément les éléments de ces deux infractions
12 alternatives ?
13 M. Niemann (interprétation). - Quand un accusé est représenté, je ne
14 crois pas que le Tribunal a cette obligation. J'ai déjà dit
15 précédemment que l'accusé avait plaidé coupable et qu'il avait dit
16 avoir été obligé de le faire, avoir dû le faire. A ce moment-là le
17 Tribunal s'est assuré en détail que l'accusé comprenait ce qu'il lui
18 était reproché. Mais je ne pense pas que cela soit obligatoire de la
19 part du Tribunal. Un Tribunal qui entend un plaidoyer de culpabilité
20 de la part de l'accusé, auquel l'accusé dit : "j'ai été obligé de le
21 faire", s'assure normalement que l'accusé plaide effectivement
22 coupable. Cela dit, le Tribunal n'est pas obligé d'accepter le
23 plaidoyer. S'il considère que ce plaidoyer de culpabilité est
24 équivoque, il peut le rejeter. Nous, nous disons que cette question a
25 été soulevée longuement. En l'occurrence, il a été conclu que le
Page 109
1 plaidoyer de culpabilité n'était pas équivoque et il a donc été
2 accepté.
3 M. le Président (interprétation). - Il nous reste cinq minutes. Je
4 voudrais vous poser deux questions qui font suite à celles du juge
5 Stephen. A supposer que votre théorie de la contrainte, contrainte
6 qui n'est pas recevable comme moyen de défense en cas de meurtre, est
7 correcte et que la contrainte ne peut être invoquée que comme
8 circonstances atténuantes, il n'en demeure pas moins qu'il ressort
9 des propos de l'avocat de la défense, dans des audiences précédentes
10 et aujourd'hui, qu'il a conseillé à son client d'invoquer la
11 contrainte soit comme moyen de défense, soit comme circonstances
12 atténuantes. Il a donc conseillé son client en ce sens. Peut-on en
13 conclure que le client a été mal conseillé et que par conséquent, son
14 plaidoyer de culpabilité était ambigu, illogique parce que l'avocat
15 de la défense aurait été sous l'influence du droit yougoslave et,
16 comme il l'a dit plus d'une fois aujourd'hui, en conséquence la
17 contrainte à ses yeux pouvait être invoquée tant comme moyen de
18 défense que comme circonstance atténuante. Tandis que si nous nous en
19 tenons à ce que vous dites, en droit international, la contrainte ne
20 peut être invoquée dans cette affaire comme moyen de défense,
21 uniquement comme circonstance atténuante. Pouvons-nous en déduire que
22 le plaidoyer de culpabilité n'était pas valable ? Et, question
23 subsidiaire, encore une fois il est très clair, à la lumière des
24 propos de l'avocat de la défense tenus aujourd'hui, que d'une
25 certaine façon celui-ci a mal conseillé son client pour ce qui est de
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1 la distinction entre crime de guerre par opposition à crime contre
2 l'humanité. Je ne dis pas qu'il a été mal conseillé, mais on pourrait
3 dire cela car il n'a pas eu de choix entre les crimes de guerre et
4 les crimes contre l'humanité. On lui a dit : "étant donné les
5 circonstances de l'affaire, on ne peut pas plaider les crimes de
6 guerre. Les seuls crimes qui peuvent être plaidés sont les crimes
7 contre l'humanité." Pourrait-on dire alors que parce que M. Erdemovic
8 a été mal conseillé, lorsqu'il a choisi de plaider coupable de crime
9 contre l'humanité, que son plaidoyer de culpabilité n'était pas
10 valable et qu'il devrait être invalidé ?
11 M. Niemann (interprétation). - Pour répondre à la première partie de
12 votre question, monsieur le Président, nous annoncerions que même si
13 l'avocat de la défense s'est trompé -mais je ne crois pas que l'on
14 puisse partir de cette hypothèse-, toute ambiguïté ou incertitude qui
15 aurait pu subsister a été écartée par les remarques du juge qui
16 présidait la Chambre de première instance et qui s'est adressé
17 directement à l'accusé et lui a posé des questions très précises, y
18 compris la question de savoir s'il était satisfait des services de
19 son conseil. S'il y avait eu quelques difficultés sur ce plan, je
20 crois que le point est réglé à la lecture du compte rendu.. Cela
21 étant, je ne crois pas qu'il faille y voir un problème puisque la
22 question n'a pas été soulevée par le défendeur, il n'a pas dit avoir
23 été mal représenté. L'avocat de la défense peut employer un certain
24 nombre de stratégies pour avoir les résultats qu'elle donne et nous
25 sommes habilités à supposer que le conseil de la défense était très
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1 conscient qu'il s'agissait t'une question s'inspirant de la Common
2 Law, qu'il connaissait le droit international ainsi que les règles en
3 vigueur au Tribunal, qu'il connaissait tous ces facteurs. Auquel cas,
4 qu'il peut avoir décidé de néanmoins poursuivre une tactique en
5 disant : "voilà la position que je vais défendre, quoi qu'il ait été
6 dit jusqu'ici". Je crois qu'on ne peut spéculer maintenant en disant
7 que peut-être il n'a pas compris, que peut-être il a mal compris. Le
8 conseil présence deux options. Cela ne signifie pas qu'il ne
9 connaissait pas l'autre option ou le droit qui s'appliquait et le
10 droit que le juge présidant la Chambre de première instance devait
11 appliquer. Pour la deuxième partie de la question, je ne peux que
12 supposer que les conseils donnés par l'avocat de la défense à son
13 client étaient corrects. Encore une fois, cette question n'a pas été
14 soulevée par l'accusée ni par son conseil. A mon avis, monsieur le
15 président, il nous est très difficile de répondre à votre question
16 dans les circonstances où cette question n'est pas posée. Il s'agit
17 d'une question tout à fait hypothétique que nous pourrions poser au
18 vu de certaines réponses à certaines question, mais rien ne laisse
19 entendre que M. Erdemovic n'ait pas été représenté comme il convenait
20 du début à la fin de la procédure et que cette représentation
21 continue d'être valable.
22 Mme McDonald (interprétation). - Sur ce point, il me semble que la
23 Chambre de première instance est tombée d'accord avec M. Babic, à
24 savoir qu'il pouvait y avoir et moyen de défense et circonstance
25 atténuante. Si je comprends bien le mémoire, c'est comme cela que
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1 M. Babic a conseillé son client. Pour ce qui concerne la Chambre de
2 première instance, il me semble que cette dernière a suivi M. Babic.
3 C'est en tout cas la lecture que je fais du texte.
4 M. Niemann (interprétation). - Oui, cela semble bien être le cas.
5 Mme McDonald (interprétation). - Ma question s'adresse tant à
6 M. Babic qu'à vous, M. Niemann. Si nous devions renvoyer l'affaire,
7 faut-il la renvoyer à la Chambre de première instance composée des
8 mêmes juges que ceux qui ont prononcé la sentence ?
9 M. Niemann (interprétation). - Je ne pense pas que cela soit
10 nécessaire. Ce n'est pas une option qui se présente. En tout cas, je
11 pense que l'affaire doit être renvoyée à la même Chambre composée des
12 mêmes juges.
13 Mme McDonald (interprétation). - La question n'est pas de savoir si
14 elle doit retourner à la même Chambre, mais si elle peut retourner à
15 la même Chambre. Maître Babic, pensez-vous, si la Chambre d'appel
16 renvoie l'affaire à la Chambre de première instance, à votre avis
17 serait-il approprié que l'affaire soit renvoyée à la même Chambre de
18 première instance, composée des mêmes juges, à cette Chambre qui a
19 prononcé l'appel ?
20 M. Babic (interprétation). - Tout au long de la procédure, je n'ai
21 eu aucune observation négative à faire à l'égard de cette procédure.
22 Je n'ai pas de raison particulière, dès lors que vous décidiez de
23 renvoyer l'affaire pour qu'elle soit à nouveau jugée, de ne pas le
24 faire à la même Chambre composée par les mêmes juges. Par conséquent,
25 si l'affaire était renvoyée en première instance, je ne verrais pas
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1 d'inconvénient à ce qu'elle soit renvoyée à la même Chambre.
2 M. le Président (interprétation). - Maître Niemann.
3 M. Niemann (interprétation). - J'aurais voulu régler quelques
4 questions rapides, si vous le permettez. Ces questions ayant été
5 soulevées, il est important de les éliminer. Il y a une référence
6 dans le transcript anglais au terme "Acquittal". A notre avis, ce
7 terme n'a pas la même signification dans toutes les langues. Nous
8 avons réfléchi à la question et avons consulté les services de
9 traduction. Il nous a été dit que le terme utilisé est un terme
10 serbe, permettez-moi de me risquer à le prononcer "oslobodjenje od
11 kazne". Il m'a été dit que ceci ne signifie pas "acquittement" au
12 sens coutumier qu'on a en anglais, c'est en fait l'exemption de la
13 peine. Il y a donc peut-être possibilité d'avoir été induit en erreur
14 si effectivement ce mot était utilisé dans la traduction dans
15 différentes langues. Il y avait une autre question que j'aimerais
16 régler rapidement. J'ai parlé de la question de savoir si l'accusé
17 craignait pour sa propre vie et vous avez marqué une certaine
18 surprise devant mes commentaires, monsieur le Président. Je fais
19 simplement référence au transcript, au compte rendu d'audience. Je
20 vous donne la référence. En date du 19 novembre 1996, page 36, ligne
21 8 ou 9, "possibilité d'échapper s'il avait été seul, mais il n'a pas
22 pu le faire parce qu'il avait femme et enfant. Il y a une autre
23 référence, toujours du 19 novembre, page 40, ligne 18. Pour conclure,
24 je peux dire que de toute façon, sa femme et son enfant n'était pas
25 présent. Il n'y avait donc aucun risque immédiat pour eux. Maître
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1 Babic, voulez-vous ajouter quelques éléments.
2 M. Babic (interprétation). - Permettez-moi d'expliquer un peu mieux
3 ma position. En vertu du droit yougoslave et du droit procédure, qui
4 s'inspire du droit pénal français, la peine est prononcée de telle
5 sorte que l'accusé est déclaré coupable d'avoir commis tel ou tel
6 acte. Par la suite, on va pouvoir éventuellement l'exempter de
7 l'exécution de la peine pour des raisons particulières. Le plaidoyer
8 demeure, il est corroboré, affirmé, mais l'exécution n'est pas
9 réalisée pour des raisons précises. C'est une première chose. Il y a
10 autre chose. Je pense que l'attitude que nous avons prise à l'égard
11 de la contrainte et de cette question en droit national des
12 répercutions en droit international, là non plus il n'y pas de grosse
13 différence. Soit on retient ceci comme moyen de défense, ou comme
14 élément contribuant à l'atténuation de la peine. Le tout est de
15 savoir si ici, en ce cas précis, le cas est suffisamment précis pour
16 exonérer l'accusé de responsabilité ou c'est simplement à retenir en
17 tant que circonstance atténuante. Là, il incombe à vous-mêmes, madame
18 et messieurs de la Cour, de trancher pour ce qui est du choix moral
19 des injonctions ou des ordres du supérieur. J'ai essayé d'évoquer ces
20 points par écrit, et j'aimerais éviter toute répétition. Mais je
21 pense qu'en l'espèce le choix moral, au vu des circonstances précises
22 que l'accusé lui-même a décrites, il n'y a d'ailleurs eu aucune autre
23 description des autres circonstances. Nous n'avons entendu que les
24 explications de Erdemovic. Force est de constater et de conclure que
25 l'accusé n'avait pas d'autre choix moral. Lorsque nous parlons de
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1 l'équivalence des principes, de quelle équivalence parle-t-on ? Tous
2 ces Musulmans innocents d'un côté, plus une personne, Erdemovic, ou
3 était-ce simplement qu'il y avait des milliers de Musulmans, moins
4 Erdemovic, qu'il soit héros ou pas. Si Erdemovic avait lui aussi été
5 exécuté, ce qui aurait été inévitable s'il avait refusé, ou avait-il
6 la possibilité de faire ce choix différent ? De fait, il a sacrifié à
7 ce moment-là précis sa propre dignité pour sauver sa vie. Ce qu'il a
8 dit ici, comme devant les autorités yougoslaves, c'est qu'il voulait
9 être jugé. Il a dit aux autorités yougoslaves qu'il avait participé à
10 cette exécution, propos qu'il a répété ici lors de sa comparution
11 initiale devant ce Tribunal. C'est sans doute une tentative
12 inconsciente de sa part pour essayer d'expliquer la position qu'il a
13 prise au moment où ces crimes ont été commis. Je crois que cet
14 éminent Tribunal dispose de suffisamment d'éléments, de faits. C'est
15 un premier cas en droit public et c'est la première fois qu'il est
16 possible de fournir une réponse précise en matière de responsabilité
17 d'un soldat qui commet un crime sur ordre d'un supérieur. Il y a la
18 question de la coercition, de l'extrême nécessité et de l'ordre du
19 supérieur qu'il faut invoquer ici aussi. La question a été posée de
20 savoir si j'avais mal conseillé mon client quant aux crimes de guerre
21 ou aux crimes contre l'humanité. Ces deux types de crimes reçoivent
22 le même traitement au titre du statut et du règlement. Lorsqu'il nous
23 a fallu trancher, le président Jorda a demandé laquelle de ces
24 infractions nous retenions. A l'époque, nous avions pensé que la
25 chose était la même étant donné une même gravité, mais les motifs
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1 étaient différents. C'est ce qui a fondé notre choix. En troisième
2 lieu, en vertu de la loi et du droit yougoslave qui, je le répète,
3 s'inspire de la procédure et du droit français, la Cour n'est pas
4 tenue par la qualification juridique donnée par l'accusation. La
5 Chambre elle-même peut qualifier elle-même de son propre chef, un
6 acte et en induire, grâce à son pouvoir d'appréciation, s'il y a
7 culpabilité ou pas. Ce seront mes commentaires supplémentaires.
8 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup, je crois qu'il
9 est 13 heures 10.
10 Mme McDonald (interprétation). - Une question encore, toute simple,
11 elle rejoint à la question préliminaire. Pour être jugé coupable d'un
12 crime contre l'humanité, il faut établir un certain ensemble de
13 facteur, n'est-ce pas. Ma question s'adresse l'un ou l'autre d'entre
14 vous, messieurs. Si on invoque la contrainte, la personne peut-elle
15 dire qu'elle agit pour des raisons purement individuelles et
16 personnelles et que donc cet élément constitutif n'est pas rempli ?
17 Maître Niemann, peut-être préférez-vous de répondre cet après-midi.
18 M. Niemann (interprétation). - Oui, de préférence cet après-midi.
19 M. le Président (interprétation). - Fort bien, nous reprendrons à
20 14 heures 45. L'audience, suspendue à 13 heures 10, est reprise à
21 14 heures 50.
22 M. le Président. - Bon après-midi. Excusez-nous de ce léger retard
23 qui est entièrement de ma faute. Avant la reprise, nous avions posée
24 des questions au Procureur.
25 Me Niemann (interprétation) - La question avait déjà été posée.
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1 J'avais promis d'essayer d'y répondre dès la reprise.
2 Mme McDonald (interprétation) - Je suis sûre que vous avez utilisé
3 cette heure et demie pour bien réfléchir à la question et que votre
4 réponse est fin prête.
5 Me Niemann (interprétation) - Pour ce qui est de la question de
6 l'intention, lorsqu'on soulève la contrainte, nous estimons que ce
7 n'était pas tant la distinction entre un crime contre l'humanité et
8 un crime de guerre que plutôt la différence à faire entre un jugement
9 international et un jugement national. Prenons l'exemple d'un soldat
10 allemand pendant la deuxième guerre mondiale. Il avait participé à
11 une querelle de soldats ivres, il est attaqué et, de ce fait, il
12 commet un meurtre. S'il apparaissait par la suite que cette personne
13 était d'origine juive, cela n'en transformerait pas pour autant le
14 crime en crime contre l'humanité ou en crime de guerre. Nous estimons
15 que les motifs d'une personne ne doivent pas être nécessairement très
16 concluants pour justifier de sa participation à un crime. En
17 l'espèce, les crimes impliqués sont des crimes généralisés et
18 systématiques contre une population civile. Pour nous, il ne fait pas
19 l'ombre d'un doute que l'accusé savait qu'il participait, à l'époque,
20 à ces événements. Il n'y avait pas non plus, pour nous, le moindre
21 doute sur le fait qu'il avait l'intention de commettre ces crimes en
22 pleine connaissance du contexte plus général dans lequel se
23 produisaient ces actes, et qu'il était vraiment informé de ce
24 contexte plus large. Nous irons même plus loin, le chiffre précis de
25 personnes exécutées en un seul incident suffit à remplir la condition
Page 118
1 et à satisfaire au critère de la nature systématique ou généralisée.
2 Rien ne nous pousse à croire qu'il n'avait pas une connaissance plus
3 élargie de ce qui se passait vu sa participation aux événements de la
4 guerre et puisqu'il avait participé au conflit, des deux côtés même
5 de ce conflit. Mesdames et messieurs de la Cour, même s'il avait des
6 raisons purement personnelles pour participer à ces crimes, même s'il
7 avait peut-être des raisons personnelles à la commission de tel ou
8 tel acte, nous estimons que cela n'exclut pas le fait qu'il avait
9 l'intention de participer à une attaque généralisée et systématique,
10 ce qui en fait un crime contre l'humanité. Ceci nous amène à conclure
11 que les faits de l'espèce sont en soi très indicatifs des
12 circonstances dans lesquelles l'accusé se trouve et de la
13 connaissance qu'il avait de ces événements. Nous estimons qu'il n'y a
14 pas le moindre doute sur le fait qu'il était conscient de sa
15 participation dans ce cadre plus large, au moment de la commission
16 des actes.
17 Mme McDonald (interprétation) - Je vous remercie.
18 M. le Président (interprétation) - Avez vous d'autres questions,
19 Monsieur le Juge Li ?
20 M. Li (interprétation). - Non, merci.
21 M. le Président (interprétation). - Passons au fond, si vous le
22 voulez bien. Mais, auparavant j'aimerais relever un point soulevé, ce
23 matin, par M. le Juge Stephen, en ce qui concerne l'affaire Holzer.
24 J'ai obtenu des autorités canadiennes le procès-verbal d'audience.
25 J'aimerais en quelques mots vous parler des faits de cette affaire.
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1 Trois membres allemands de la Wermarcht, de l'armée allemande, ont
2 tué un aviateur canadien sur trois, qui avait été faits prisonniers.
3 Deux Allemands ont participé à l'assassinat de ce Canadien. Ils ont
4 tous les deux seulement invoqué l'ordre de leur supérieur, mais aussi
5 la contrainte. Je cite un extrait du procès-verbal d'audience : "Le
6 lieutenant a pointé son revolver sur moi en me disant : tu veux ou tu
7 veux pas !, et puis il a été forcé de tuer.". Maître Akhavan à raison
8 de dire qu'il apparaît clairement de l'étude de l'ensemble de
9 l'affaire que la contrainte a été rejetée comme moyen de défense. En
10 effet, tant l'accusation que le juge militaire ont exclu la
11 contrainte dans le meurtre d'innocents. De fait, les deux hommes ont
12 été condamnés à mort, alors que le troisième soldat allemand, qui
13 n'avait pas participé à ces actes, a été condamné à 15 ans de prison.
14 Voilà pour ce qui est de cette affaire Holzer. Mais, si j'ai fait
15 état des faits de cette espèce, c'est que nous nous trouvons dans une
16 des situations que j'évoquais, ce matin, parmi les scénarios divers.
17 A savoir un lieutenant qui menace deux soldats, subordonnés, de mort
18 si ces soldats n'exécutent pas les aviateurs canadiens. Le choix
19 était le choix entre sa propre vie et la vie d'un prisonnier. La
20 donne est tout à fait différente de celle sur laquelle j'appelais
21 votre attention, ce matin, où quelle que soit la configuration la
22 personne subissant la contrainte sait que les personnes menacées
23 d'être tuées le seront de toute façon.
24 Me Niemann (interprétation) - La question est très complexe, d'autant
25 plus si on vous pointe un fusil ou un revolver sur la tempe. Cette
Page 120
1 question a bien sûr été réexaminée sous cet angle particulier. La
2 House of Lords a étudié cette question dans l'affaire Howards.
3 L'avocat de la défense, en l'espèce, avait dit que l'on exige des
4 choses tout à fait différentes. L'être humain, aujourd'hui, est dans
5 un contexte moderne. Lorsque Lord Salmon a évoqué le problème, il a
6 spécifiquement fait référence à une situation hypothétique où un
7 individu était contraint à commettre un crime parce qu'il savait que
8 lui-même et sa famille seraient tués s'il ne commettait pas ce crime.
9 Nonobstant cela, la House of Lords a maintenu que ceci était
10 contraire aux lois de la Grande Bretagne, que cette situation ne
11 pouvait pas être envisagée par le droit anglais et que la contrainte
12 pouvait servir de justification dans un crime entraînant la mort d'un
13 autre être humain. Je ne sais pas si cette référence peut vous aider.
14 Mais, effectivement, la House of lords a évoqué ce scénario et l'a
15 rejeté après examen. C'est la seule aide que je peux vous fournir
16 dans le cas précis que vous avez évoqué.
17 Mme McDonald (interprétation) - J'enchaîne. Il me semble que si nous
18 commençons à débattre de tout ce concept qui revient à savoir si une
19 personne doit renoncer à sa propre vie plutôt que d'en prendre une
20 autre, si nous en concluons.... (panne)
21 M. le Président (interprétation). - Ah non, nous n'avons pas de
22 compte rendu de procès-verbal d'audience dans ce Tribunal. Est-ce que
23 cela fonctionne ?
24 Mme McDonald (interprétation) - Je crois que je vais retirer ma
25 question, c'est à cause que nous avons une petite panne !
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1 Me Niemann (interprétation) - La panne a commencé avant, Madame le
2 Juge. J'espère que je n'aurai pas à répéter tout ce que j'ai déjà dit
3 auparavant.
4 M. le Président (interprétation). - ... (hors micro). Je pense que
5 nous sommes arrivés au bout des questions préliminaires soulevées par
6 la Chambre d'appel dans son ordonnance. Maintenant, nous allons
7 porter notre examen au fond de l'appel. Le conseil de la défense,
8 l'accusation, ont ils des éléments nouveaux à apporter, outre ceux
9 déjà répercutés dans les mémoires ? S'ils ont besoin d'un certain
10 temps, que celui-ci ne soit pas supérieur à 10 mn. Maître Babic,
11 avez-vous des compléments à apporter ?
12 M. Babic (interprétation). - Monsieur le Président, ce que j'ai
13 écrit, ce que j'ai déjà dit aujourd'hui, suffira. Je n'ai pas grand-
14 chose à ajouter. J'aurais peut-être une question à évoquer parce
15 qu'elle découle de nos débats de ce matin. Sur le principe de
16 reformatio in peius, lorsqu'il s'agit peut-être du renvoi de cette
17 affaire à une instance inférieure, si une décision devait être prise
18 dans ce sens par la Chambre d'appel, il nous faudrait aussi respecter
19 le principe du reformatio in peius, à savoir que la peine ne pourra
20 pas être plus lourde la seconde fois que la première pour l'accusé.
21 M. le Président (interprétation). - Ce n'est pas tant la question de
22 réformatio in peius. Pourquoi ? Parce que si la Chambre d'appel prend
23 une décision et devait décider de renvoyer l'affaire à une Chambre de
24 première instance, il y aurait un procès en bonne et dû forme. Il n'y
25 aurait pas une sentence simplement décernée sans procès. Il
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1 incomberait alors à la Chambre de première instance de déterminer la
2 culpabilité ou l'innocence du prévenu et, en cas de culpabilité, il
3 faudrait déterminer l'importance de la peine. Donc, pour moi, cette
4 question de réformatio peius n'intervient pas. En général, elle
5 survient dans le cadre de toute peine infligée par une Chambre
6 d'appel. Est-ce que ceci est désormais clair ?
7 M. Babic (interprétation). - Parfaitement. Je tenais simplement à
8 vous rappeler ce principe.
9 M. Stephen (interprétation). - Puisque j'ai l'inconvénient de venir
10 de Common Law, c'est un nom latin dont la signification n'est pas
11 tout à fait claire. Auriez-vous l'obligeance de traduire "reformatio
12 in peius" ?
13 M. Babic (interprétation). - En vertu du code pénal yougoslave, de
14 notre procédure pénale et des règles de droit et de procédure
15 européennes, lorsqu'un appel est interjeté par l'accusé dans un
16 jugement, il y a réouverture du procès et la peine infligée ne peut
17 pas être supérieure à la première. L'infraction ne peut pas revêtir
18 une qualification supérieure non plus. Voilà la nature de "reformatio
19 in peius".
20 M. le Président (interprétation). - Je crois comprendre que vous ne
21 voulez rien ajouter, si ce n'est ce que vous venez juste de dire.
22 M. Babic (interprétation). - Non.
23 M. le Président (interprétation). - L'accusation, le procureur veut-
24 il ajouter un complément à son mémoire ?
25 M. Nieman (interprétation) .- Simplement une chose qui a trait à ce
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1 qui pourrait se produire en fonction de la décision rendue par cette
2 Chambre d'appel. Je constate qu'à l'article 25 du statut du Tribunal,
3 le pouvoir conféré à la Chambre d'appel consiste à affirmer, réviser
4 ou annuler une décision rendue par une Chambre de première 'instance.
5 S'il y avait renvoi, ce serait dans le cadre de cet article, mais ce
6 n'est pas dit "expressis verbis" pour ce qui est des pouvoirs
7 conférés à la Chambre d'appel. J'aurais aimé attirer votre attention
8 sur le fait qu'il n'est pas, à notre avis approprié de dire qu'une
9 erreur de fait ou de droit serait intervenue. Si une partie à une
10 procédure présente des arguments et, par exemple, invoque la
11 contrainte comme atténuation de la peine, il n'est pas approprié de
12 dire qu'il y a eu erreur de fait par la Chambre de première instance
13 ou erreur de droit parce que la Chambre n'aurait pas relevé ce point
14 au moment du procès. Il incombe aux parties d'expliquer à la Chambre
15 qu'il y a des raisons d'atténuer la peine. Si une partie omet de le
16 faire, tant pis pour elle. A elle la charge de la preuve. Il est
17 évident que si la défense soumet un argument, il incombe à
18 l'accusation, au- delà de doutes raisonnables, jusqu'à ce que les
19 juges se forgent l'intime conviction et tout au long de la procédure,
20 de prouver qu'il n'y a pas eu, par exemple, commission de l'acte du
21 fait de la légitime défense. Quand il y a plaidoyer de culpabilité,
22 prononcé d'une peine et condamnation, si l'accusé veut une
23 atténuation de la peine, l'accusation doit convaincre la Cour,
24 suivant la plus forte probabilité qu'il y aurait effectivement
25 justification et circonstances atténuantes. Libre à l'autre partie de
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1 réfuter ceci, mais il n'empêche que si une partie dépose un argument
2 à un moment donné de la procédure, elle en a tout de même la
3 responsabilité. Si l'on avait pu demander de nouveaux éléments de
4 preuve, pu apporter de nouveaux arguments convainquant la Chambre de
5 la présence de certaines circonstances, il fallait en apporter la
6 preuve. Je crois qu'il s'agit, bien sûr, de circonstances
7 parfaitement connues de la Chambre d'appel, mais l'atténuation de la
8 peine, au vu, des éléments avancés par la défense, reviendrait à dire
9 que l'on ne pourrait pas imposer de sentence ni de condamnation à
10 l'emprisonnement. Cela revient à dire que le conseil de la défense
11 demande une telle atténuation qu'il n'y aurait plus de peine du tout.
12 La Chambre de première instance aurait pu statuer dans ce sens si la
13 demande avait été effectuée, ce qui n'a pas été le cas à l'époque. Il
14 ne faut pas oublier que cette démarche aurait pu être engagée par la
15 défense au moment du procès. La Cour aurait dit : "Nous n'imposons
16 pas de condamnation d'emprisonnement". Voilà la teneur de nos
17 arguments.
18 M. le Président (interprétation). - Vous avez fait référence à
19 l'article 25 de notre statut, deuxième alinéa. Vous avez raison, mais
20 j'aimerais aussi attirer votre attention sur l'article 117. Si les
21 circonstances le justifient, la Chambre d'appel peut ordonner que le
22 procès soit repris ou peut renvoyer l'affaire devant la Chambre de
23 première instance pour un nouveau procès.
24 M. Niemann (interprétation) .- J'en suis conscient. Je vous
25 remercie.
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1 M. le Président (interprétation) - Y a-t-il d'autres questions ?.
2 Mme Mc Donald (interprétation). - Quelques questions aux deux
3 parties. Je commencerai peut-être par vous, Monsieur Babic. Etes vous
4 d'avis que M. Erdemovic n'avait pas la capacité mentale requise ou
5 n'avait qu'une capacité mentale atténuée ou diminuée au moment où il
6 a commis ces actes ?
7 M. Babic (interprétation). - J'ai présenté cette position dans le
8 mémoire de l'appelant et dans le mémoire d'appel. En l'absence d'une
9 évaluation adéquate réalisée par des experts en médecine, je n'aurais
10 pas pu être aussi catégorique que je ne voulais l'être, même si j'ai
11 fait valoir qu'il se trouvait, tout du moins, dans un état de
12 responsabilité mentale diminuée. Je ne voulais pas aller au point où
13 j'aurais dit qu'il y avait absence de capacité mentale pour ce faire
14 puisque je n'avais pas les moyens, en l'occurrence le rapport
15 d'expert.
16 Mme Mc Donald (interprétation). - La Chambre de première instance a
17 constaté que l'une des circonstances atténuantes était constituée par
18 cet état d'incompétence ou d'incapacité mentale affirmée par la
19 défense, page 46 paragraphe 86. A cette lecture, je comprends que la
20 Chambre avait dit que l'une des circonstances atténuantes était
21 effectivement la capacité mentale dont disposait l'accusé au moment
22 de l'acte. Un examen a été requis par la Chambre de première
23 instance, mais elle n'a demandé aux psychologues et aux psychiatres
24 de répondre à cette question. On n'a pas posé la question de l'état
25 de capacité mentale à l'époque. Il n'empêche que la Chambre rejette
Page 126
1 ceci, reconnaît certes que c'est une circonstance atténuante, mais en
2 conclut que les motifs n'ont pas été apportés d'une capacité mentale
3 fut-elle atténuée au moment des faits. D'où ma question. Incombait-il
4 à la Chambre de première instance d'inclure dans sa requête cette
5 question dans le mandat des psychologues et des psychiatres qui ont
6 examiné l'accusé ? Je pense que c'est la position que vous adoptez
7 dans votre mémoire. Ou n'aviez-vous pas cette option, à savoir que
8 vous aussi auriez pu demander que cette question soit posée aux
9 psychiatres et aux psychologues. Je résume : à qui imputer les
10 responsabilités ? Quel est l'effet de l'impossibilité, pour les
11 psychiatres et les psychologues, de se prononcer sur une question qui
12 n'a pas été posée, d'autant que la Chambre estime qu'une des
13 circonstances atténuantes était l'état de capacité mentale à l'époque
14 des faits ? Pourtant, aucun psychiatre et psychologue ne s'est vu
15 poser la question, d'où bien évidemment l'absence de commentaires.
16 Quel effet ceci a-t-il sur l'ensemble de la procédure, que ce soit le
17 plaidoyer de culpabilité ou la peine prononcée ?
18 M. Babic (interprétation). - Pour ce qui concerne les psychiatres,
19 je ne peux pas leur en imputer la faute. Ils n'ont pas répondu à
20 cette question, mais ils ont répondu aux questions que la Chambre de
21 première instance a posées. Pour ce qui est de cette question, a-t-
22 elle été posée durant la procédure de cette façon précise ? Elle n'a
23 été posée ni par la Chambre de première instance ni par la défense ni
24 par l'accusation. Nous n'avons donc pas reçu de réponse à cette
25 question. Sur la base des éléments présentés par le psychiatre et le
Page 127
1 psychologue, j'en ai conclu, pour ma part, que j'avais suffisamment
2 de bases juridiques pour conclure qu'il y avait capacité mentale
3 diminuée et que cela pouvait être invoqué comme circonstance
4 atténuante. Je propose maintenant que des examens complémentaires
5 soient effectués par des experts mais je dois ajouter dans ce
6 contexte que, durant la pause d'aujourd'hui, j'ai expliqué à mon
7 client ce que signifierait l'annulation du premier jugement, du
8 jugement prononcé en première instance. Il est absolument opposé à
9 une nouvelle procédure. Il dit qu'il ne pourrait pas la supporter. Il
10 veut simplement savoir quel sera son sort, même si cela signifie que
11 tout ce que je viens de dire doit être considéré comme circonstance
12 atténuante et même si une peine réduite est possible. Je parle
13 maintenant de la sentence minimale imposable en vertu du code
14 yougoslave, cinq ans d'emprisonnement. Je pense que si nous
15 considérons ensemble toutes ces considérations, tous ces éléments, la
16 présente Chambre peut prendre une décision. La décision concernant
17 l'appel peut être modifiée, bien évidemment. Ceci ne va pas dans le
18 sens de ce que je souhaite faire, car je préférerais plaider les
19 points de droit et de fait, mais le mandat que me donne mon client
20 est quelque peu différent et je me dois de vous le transmettre.
21 Mme Mc Donald (interprétation). - Je voudrais être sûre de bien
22 comprendre ce que vous venez de dire, je ne suis pas certaine de vous
23 avoir entièrement compris, Maître Babic. Je voudrais savoir si je
24 suis capable de vous répéter vos propres propos. Voulez-vous dire que
25 M. Erdemovic, ayant été condamné à dix ans d'emprisonnement, ne
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1 souhaite pas poursuivre l'appel, étant entendu que l'affaire peut
2 être renvoyée en première instance et que la Chambre de première
3 instance pourrait demander à l'accusé de reformuler un plaidoyer et
4 peut-être y aurait-il un procès ? A moins que la Chambre de première
5 instance ne se considère liée par ce principe énoncé en latin et que
6 vous avez bien voulu traduire pour nous, votre client risque une
7 peine plus lourde. Etes-vous en train de dire que c'est là quelque
8 chose que votre client ne veut pas affronter ? Je ne suis pas
9 certaine de vous avoir bien compris.
10 M. Babic (interprétation). - Mon client m'a demandé -bien que j'aie
11 appelé son attention sur les conséquences possibles de cette
12 décision- de prier la Chambre de ne pas renvoyer l'affaire en
13 première instance et de ne pas rouvrir un procès. Il pense que la
14 présente Chambre devrait encore une fois considérer tous les éléments
15 que j'ai présentés et réévaluer les circonstances atténuantes. A
16 notre avis, il est possible de prendre cet appel en considération et
17 de réduire la peine prononcée.
18 M. Stephen (interprétation). - Puis-je vous dire ce que j'ai cru
19 comprendre et voir si vous êtes d'accord avec moi ? Votre client vous
20 donne pour instruction de nous dire qu'il ne souhaite pas devoir
21 subir un procès qui serait le résultat du fait qu'il ne plaiderait
22 pas coupable, mais qu'il souhaite que la présente Chambre réexamine
23 la sentence imposée et qu'elle envisage une réduction de la peine.
24 M. Babic (interprétation). - Oui, c'est exact.
25 Mme Mc Donald (interprétation). - Si la Chambre d'appel décide que la
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1 contrainte est un moyen de défense et non pas une circonstance
2 atténuante, il se pourrait alors que la Chambre d'appel en conclut
3 également que le plaidoyer de culpabilité était non recevable, auquel
4 cas, elle devrait renvoyer l'affaire à la Chambre de première
5 instance et il appartiendrait alors à l'accusé de décider s'il
6 souhaite plaider coupable ou non coupable, ou accepter un procès.
7 Vous nous dites maintenant qu'il ne veut pas de procès, mais si la
8 Chambre d'appel conclut que la contrainte ne peut être invoquée comme
9 un moyen de défense, alors notre conclusion serait également, par
10 voie de conséquence, que le plaidoyer de culpabilité est impossible
11 si vous maintenez votre plaidoyer de contrainte comme moyen de
12 défense. Je voudrais être sûr que vous compreniez bien ce point. Pour
13 ma part, je ne veux pas me mettre à votre place. Il est suffisamment
14 difficile d'être juge, je ne voudrais pas m'embarquer dans les tâches
15 d'un juriste. Au-delà de cela, je voudrais vous poser encore une
16 question. Page 47, la Chambre de première instance a rejeté
17 l'argument de la contrainte car elle a constaté qu'elle aurait eu
18 besoin d'éléments corroborant les déclarations de l'accusé. Quelle
19 est votre position sur ce point de la corroboration ? Une Chambre de
20 première instance vient de rendre un jugement constatant que la
21 corroboration n'est pas requise, mais à la lecture du jugement de la
22 Chambre de première instance n°1, il semble bien qu'elle a rejeté la
23 contrainte faute d'éléments corroborant l'argument. La Chambre de
24 première instance accepte la déposition de l'accusé concernant
25 l'infraction commise parce des éléments avaient déjà été avancés lors
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1 de la procédure article 61. Dans le cadre de cet article, il n'y a
2 pas de contre-interrogatoire. Donc, quelle que soit la valeur de ces
3 éléments, la Chambre de première instance a accepté une partie de la
4 déposition de l'accusé et a rejeté l'argument de la contrainte en
5 disant qu'il manquait des éléments de corroboration. Qu'en
6 pensez-vous ?
7 M. Babic (interprétation). - J'ai déjà dit quel était mon point de
8 vue sur cet aspect des choses. La Chambre de première instance a
9 apprécié les déclarations de M. Erdemovic de deux manières. Lorsque
10 l'accusé a parlé de l'infraction commise, son témoignage a été
11 accepté entièrement par la Chambre de première instance. Quand il a
12 parlé de sa propre défense, ce qu'il a dit n'a pas été retenu, non
13 seulement au sujet de sa défense mais aussi des circonstances
14 atténuantes. Sur ce plan, la Chambre de première instance n'a pas
15 retenu les propos de l'accusé comme circonstances atténuantes. C'est
16 sur ce point que j'ai construit l'argument de la contrainte et si
17 j'accepte la position de mon client, je devrais demander à la Chambre
18 d'accepter la contrainte comme circonstance atténuante et de réduire
19 en conséquence la peine.
20 Mme Mc Donald (interprétation). - Monsieur Nieman, voulez-vous
21 répondre à cette question ?
22 M. Niemann (interprétation) .- Oui, Madame le juge. A notre avis,
23 quand la Chambre de première instance a parlé de corroboration, elle
24 parlait des faits et ne traitait pas d'un point de droit. A notre
25 avis, la Chambre de première instance disait par là qu'elle retenait
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1 ou ne retenait pas certains faits. Elle était simplement en train de
2 dire : "Nous n'avons pas été convaincus par ce qui a été dit, comme
3 un jury aurait pu être convaincu, même si, en l'occurrence, il n'y en
4 a pas qui siège. Nous n'avons donc pas été convaincus par les
5 éléments de preuve présentés, nous ne pensons pas qu'il y ait
6 corroboration ni moyen de preuve à l'appui des propos de l'accusé".
7 Voilà ce que pensait la Chambre de première instance. A notre avis,
8 il faut entendre le terme corroboration dans un sens différent de
9 l'acception technique que le terme a dans certaines juridictions.
10 Simplement, les moyens de preuve n'étaient pas suffisants pour
11 persuader le Tribunal d'un fait qu'on lui demandait de croire.
12 Mme Mc Donald (interprétation). - Ce n'est pas exactement ce que la
13 Chambre de première instance a dit. Page 48, paragraphe 91 : "La
14 défense n'a avancé aucun témoignage, évaluation aux autres éléments
15 permettant de corroborer les dires de l'accusé. Pour cette raison,
16 les juges estiment qu'ils ne peuvent retenir l'argument de l'extrême
17 nécessité". J'ai deux choses à dire : si la Chambre n'explique pas la
18 base de ses conclusions, il est très difficile, pour la Chambre
19 d'appel, ensuite, d'évaluer l'exactitude ou le bien-fondé de la
20 décision de la Chambre de première instance. Si la Chambre de
21 première instance ne s'explique pas, elle nous place dans une
22 situation très difficile car nous ne savons pas pourquoi elle a
23 rejeté tel ou tel argument. Normalement, les Chambres de première
24 instance disent : "Nous avons évalué la crédibilité des éléments des
25 preuves et les croyons ou pas". Or ici, on nous dit qu'il n'y a pas
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1 eu de témoignage d'évaluation d'autres éléments permettant de
2 corroborer les dires de l'accusé. Il me semble que si c'est ce que
3 cherchait la Chambre de première instance, il peut y avoir eu une
4 erreur si cette corroboration n'est pas nécessaire pour les affaires
5 dont est saisie la Chambre de première instance. C'est pourquoi je
6 pose la question.
7 M. Niemann (interprétation) .- Je comprends bien votre remarque,
8 mais à mon avis, Madame le Juge, la situation n'est pas très
9 différente de celle dans laquelle on se trouve dans le contexte d'une
10 affaire avec jury, où on ne sait jamais ce qui motive la décision
11 d'un jury. S'il y avait une situation claire -et je ne pense pas que
12 ce soit si clair que cela- nous suivrions les instructions afférentes
13 à la corroboration, or ce point de droit n'a pas été précisé
14 jusqu'ici pensons-nous. Pour ma part, je dirai qu'il y a un problème
15 car, même si les règles en vigueur au Tribunal concernant
16 l'administration de la preuve sont très larges, il se pose là une
17 question sérieuse quant à certaines modalités de la preuve, par
18 exemple sur le plan de la corroboration.
19 Mme Mc Donald (interprétation). - Quel serait l'argument ?
20 M. Niemann (interprétation). - L'on pourrait dire qu'il ne faut pas
21 importer dans le procès ou la procédure des exigences telles que la
22 corroboration. C'est un point discutable que de dire qu'il y a eu
23 erreur, mais je ne pense pas en tous les cas, madame le juge, qu'il y
24 ait eu erreur en l'occurrence. Je vous dis que le mot
25 "corroboration", tel qu'utilisé dans le contexte où il apparaît ici,
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1 exprime la conviction ou non que le Tribunal peut avoir obtenu sur la
2 base des moyens de preuve, comme un jury ferait la même chose. On ne
3 nous dit pas exactement sur quoi se fonde cette conviction. Il est
4 dit : "cette question a été soulevée, mais nous n'avons pas été
5 convaincus. Il n'y a pas de corroboration et pas d'autres pièces à
6 l'appui permettant de suggérer que l'affaire se présente bien ainsi
7 et nous ne sommes pas convaincus par les éléments de preuve." Voilà
8 le contexte dans lequel on a pu parler de corroboration. Si l'on
9 examine le paragraphe 87, qui traite aussi de cette question, on y
10 dit : "La Chambre de première instance rappelle l'article 89.C qui
11 dit qu'elle peut prendre en compte tous moyens de preuve ayant valeur
12 probante." A cet égard, la Chambre de première instance, peut
13 demander que les dires de l'accusé soit corroboré par d'autres moyens
14 de preuve. Voilà pour ce qui est des questions relatives à la
15 conviction que doit se faire la Chambre. Il y a aussi des différences
16 dans les approches entre certaines juridictions, entre ce que l'on
17 entend par "corroboration" sur le plan technique. J'entends par là
18 qu'il y a certaines juridictions, par exemple, qui ne peuvent se
19 forger une conviction sur la base des aveux ou d'un plaidoyer de
20 culpabilité, uniquement, il faut qu'il y ait d'autres moyens de
21 preuve. Ceux-ci sont baptisés "corroboration", mais il ne s'agit pas
22 d'une corroboration au sens strict du terme.
23 M. Stephen (interprétation). - Pouvez-vous ralentir un peu le
24 rythme ?
25 M. Niemann (interprétation). - Il ne s'agit pas de corroboration au
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1 sens strict du terme, tel qu'on l'entend dans les juridictions de
2 Common Law. A mon avis, en l'occurrence il n'y a pas eu erreur.
3 M. le Président (interprétation). - Je voudrais poser une question
4 qui n'est pas directement liée à cette question de la corroboration,
5 mais qui porte aussi sur les moyens de preuve produits qui pourraient
6 faire état de la situation de contrainte. Je voudrais appeler votre
7 attention sur le fait que la Chambre de première instance a discuté
8 de la question de savoir si oui ou non des moyens de preuve avaient
9 été fournis sur ce point, sous le chapitre validité du plaidoyer de
10 culpabilité. Il s'agit du paragraphe 20 du jugement rendu par la
11 Chambre de première instance. Avez-vous le sentiment que la Chambre
12 de première instance a traité ici d'une question qui est typiquement
13 une question que l'on soulèverait dans un procès véritable et non
14 dans une audience de fixation d'une sentence. La question de savoir
15 si l'accusé a agi sous la contrainte n'est-elle pas une question qui
16 relève d'un procès que d'une audience de rendu de la sentence. En
17 d'autres termes, si l'on examine la question du plaidoyer de
18 culpabilité, la Chambre de première instance ne s'est-elle pas
19 comportée comme une Chambre en train de procéder à un procès.
20 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le président, il y a
21 certains éléments dans la procédure suivie qui sont sans doute
22 importés par des juridictions nationales, par les différents juges
23 qui siègent à la Chambre. Je dois dire que c'est une tendance à
24 laquelle nous succombons tous de temps en temps, à savoir que nous
25 nous référons à notre propre contexte juridique national. Pour ce qui
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1 est de la question de la contrainte qui a été ou non utilisée comme
2 moyen de défense, peut-être n'est-on pas allé si loin ? Peut-être
3 n'est-ce pas la ligne à suivre ? Peut-être être est-ce la ligne à
4 suivre ? Je ne sais pas exactement comment le Tribunal doit traiter
5 un plaidoyer de culpabilité. J'ai fait référence à une décision
6 rendue aux Etats-Unis et une autre au Royaume-Uni où l'accusé a dit :
7 "je ne suis pas coupable de cette infraction", sans que cela empêche
8 la Cour suprême des Etats-Unis de conclure qu'il n'y a pas eu
9 équivoque. Cela n'a pas interféré sur la décision qui s'en est
10 suivie. Il me semble que lorsque nous sommes confrontés à ce qui
11 pourrait apparaître comme un plaidoyer équivoque, on peut comprendre
12 pourquoi un Tribunal chargé de prononcer une sentence peut avoir
13 envie d'explorer et d'aller plus avant et d'investiguer la question
14 de façon à se convaincre que le plaidoyer doit être accepté dans les
15 circonstances de l'espèce. A mon avis cependant, cela ne peut donner
16 lieu à une conclusion d'erreur judiciaire.
17 M. Stephen (interprétation). - Vous parlez de l'affaire Elfut, aux
18 Etats-Unis ?
19 M. Niemann (interprétation). - Effectivement.
20 Mme McDonald (interprétation). - Oui, si la contrainte peut être
21 utilisée comme moyen de défense, l'accusé serait alors habilité à
22 passer en jugement, en procès. Cela ne serait pas réglé par un
23 plaidoyer de culpabilité. Vous dites que cette contrainte ne peut
24 être utilisée qu'à des fins de circonstances atténuantes et que donc
25 il n'y a pas eu erreur.
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1 M. Niemann (interprétation). - Je recherche mes sources. Il est une
2 autre affaires aux Etats-Unis à laquelle je peux vous renvoyer, dont
3 je retrouverai la référence dans un instant. Si le Tribunal se
4 convainc que l'accusé n'était pas saint d'esprit au moment des faits
5 et qu'il a cependant plaidé coupable, cela n'empêche que ce plaidoyer
6 de culpabilité puisse être accepté. Cela s'est posé dans l'affaire
7 Sullivan en Angleterre, bien que le Tribunal ait eu à traiter une
8 affaire ou l'accusé a lui-même soulevé la question de savoir s'il
9 était sain d'esprit au moment des faits. Il a été conclu que tel
10 n'était pas le cas et cette personne a cependant plaidé coupable.
11 L'affaire est allée en appel devant la Chambre des Lords, laquelle
12 n'a pas jugé bon d'intervenir et de réformer le jugement, alors même
13 qu'il avait été établi que l'accusé ne pouvait pas être coupable de
14 l'infraction dans la mesure où techniquement il avait un moyen de
15 défense. La raison étant qu'une partie peut choisir une tactique qui
16 peut apparaître inadéquate après évaluation. Dans le cas de Elfut,
17 l'accusé a choisi sa tactique parce qu'il craignait l'imposition de
18 la peine de mort. Dans le cas de Sullivan, il l'a choisi une autre
19 tactique parce qu'il ne voulait pas se retrouver stigmatisé comme
20 étant fou, ayant perdu sa santé mentale. Les tribunaux n'ont pas jugé
21 bon d'intervenir. Nous pensons que le principe qui s'applique ici est
22 le même.
23 Mme McDonald (interprétation). - La Chambre de première instance, par
24 erreur d'après la défense, a conclu que l'accusé avait participé à
25 l'exécution de 500 Musulmans à la ferme de Pelice. L'accusé a dit que
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1 la Chambre de première instance a fait une erreur sur le plan des
2 faits et que les circonstances atténuantes n'ont pas été suffisamment
3 accordées, puisque la Chambre de première instance a conclu
4 erronément que l'accusé avait participé à ce massacre. Si c'est
5 vraiment une erreur, est-ce une erreur suffisamment grave pour que la
6 Chambre d'appel renvoie l'affaire devant la Chambre de première
7 instance pour qu'elle ait l'occasion de revoir la sentence à la
8 lumière des faits exacts ?
9 M. Niemann (interprétation). - Nous traitons de cette question dans
10 notre mémoire. Notre position est restée la même, à savoir que la
11 Chambre traitait de la situation factuelle dans le cadre des
12 événements survenus. Rien n'indique ici que la Chambre a considéré
13 qu'il avait participé au massacre des 500 Musulmans pour redécider de
14 la peine.
15 Mme McDonald (interprétation). - Maître Babic, voulez-vous réagir à
16 cette dernière remarque ? Vous comprenez ma question, elle est la
17 suivante. La Chambre de première instance dit et conclut que l'accusé
18 a participé à l'assassinat de 500 Musulmans et l'accusation nous dit
19 que cela n'a pas eu d'incidence sur la sentence. Qu'en pensez-vous ?
20 M. Babic (interprétation). - Moi aussi, je voudrais répéter la
21 position que j'ai défendue dans mon mémoire à la page 3 de la version
22 serbo-croate. Je dis que cette conclusion de la Chambre de première
23 instance a forcément eu une incidence sur la sentence rendue.
24 Mme McDonald (interprétation). - Est-ce que cette incidence est
25 suffisamment grave pour que la Chambre d'appel doive annuler le
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1 jugement ? Est-ce une erreur réversible ? Ou est-ce simplement une
2 erreur qui a été commise ?
3 M. Babic (interprétation). - Je ne pense pas que cette erreur soit
4 d'une ampleur telle qu'elle ne puisse être corrigée. La Chambre
5 d'appel peut effectivement corriger cette situation en atténuant la
6 peine rendue.
7 M. Stephen (interprétation). - Une question, après ce que vous venez
8 de dire. La Chambre d'appel pourrait simplement dire que l'unité à
9 laquelle appartenait l'accusé a participé au massacre de
10 500 personnes, plutôt que l'accusé lui-même a participé au massacre
11 de 500 personnes.
12 M. Babic (interprétation). - Pas même son unité. La Xème Unité de
13 sabotage n'a pas participé à ce massacre. C'est une autre unité qui
14 l'a accompli. C'est pourquoi nous contestons ce point.
15 M. Stephen (interprétation). - J'en suis bien conscient. Votre grief
16 porte sur l'affirmation de la Chambre de première instance disant que
17 la Xème Unité de sabotage a massacré 500 personnes et non pas que
18 l'accusé a massacré 500 personnes.
19 M. Babic (interprétation). - L'accusé appartenait à la Xème Unité de
20 sabotage. Ce détachement comprend lui-même plusieurs unités et ce
21 jour-là, il y avait un peloton auquel l'accusé appartenait. Sur ces
22 huit personnes, aucune n'a participé au massacre de 500 Musulmans à
23 Pelice. Par conséquent, mon client Erdemovic n'y a pas participé non
24 plus. Tel est le point que je conteste.
25 M. Stephen (interprétation). - Merci.
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1 M. le Président (interprétation). - Je me demande si les parties ont
2 encore quelque chose à ajouter. Monsieur Babic, avez-vous quelque
3 chose à ajouter avant que nous ne levions l'audience ?
4 M. Babic (interprétation). - Madame et messieurs de la Cour,
5 monsieur le Président, je dois dire que contre ma volonté, je lance
6 un appel à la Chambre pour qu'elle prenne en considération la
7 déclaration de mon client que j'ai essayée de vous transmettre
8 littéralement. Psychologiquement mon client n'est pas à même de subir
9 une nouvelle fois un procès. Nous avons le sentiment que la Chambre
10 d'appel a tous les éléments nécessaires pour corriger quelque erreur
11 qui aurait pu être commise par la Chambre de première instance.
12 Encore une fois, ce n'est pas le choix que j'aurais fait en tant que
13 juriste. De même que durant la déposition de l'accusé, quand on lui a
14 demandé s'il plaidait coupable ou non, je lui ai dit qu'il n'y avait
15 pas de moyen de preuve faisant état de l'infraction commise et qu'il
16 ne devait pas plaider coupable. Il a dit : "non, je ne peux pas
17 mentir devant les autorités yougoslaves, dans le Tribunal. Je ne peux
18 mentir à personne. C'est là ma position morale. Je dois reconnaître
19 que cela s'est passé et cela dans les circonstances que j'ai
20 décrites." Mon client ne m'a pas écouté à ce moment-là non plus.
21 M. le Président (interprétation). - Maître Niemann ?
22 M. Niemann (interprétation). - (hors micro). La seule chose que je
23 dirais, c'est qu'au cours de l'audience du prononcé de la peine, le
24 Procureur s'est exprimé sur la peine à infliger et il n'exigeait pas
25 davantage que dix ans. Nous n'avons pas de propositions spécifiques à
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1 faire sur le nombre d'années et nous n'avons rien à ajouter par
2 rapport à la suggestion faite par l'appelant aujourd'hui.
3 M. le Président (interprétation). - Je pense que nous avons entendu
4 les arguments. Nous allons passer aux délibérations. L'audience est
5 levée à 15 heures 45.
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