Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 5 mars 1998.)

2 (Jugement.) (L'audience est ouverte à 9 heures.)

3 Mme la Présidente (interprétation): Bonjour Madame la Greffière, pourriez-

4 vous appeler l'affaire?

5 Mme la Greffière (interprétation): IT-96-22-Tbis, le Procureur du Tribunal

6 contre Drazen Erdemovic.

7 Mme la Présidente (interprétation): Monsieur Erdemovic, m'entendez-vous

8 dans une langue que vous comprenez?

9 M. Erdemovic (interprétation): Oui.

10 Mme la Présidente (interprétation): Merci. Et les conseils de la défense?

11 M. Babic(?) (interprétation): Oui Madame la Présidente.

12 Mme la Présidente (interprétation): Est-ce que les parties peuvent se

13 présenter?

14 M. Niemann (interprétation): Madame la Présidente, je m'appelle Maître

15 Niemann et j'apparais ici aujourd'hui avec ma collègue de l'accusation,

16 Mme Savarend(?).

17 M. Babic (interprétation): Je m'appelle Monsieur Jovan Babic et je suis

18 défenseur de l'accusé Monsieur Erdemovic.

19 M. Kostic (interprétation): Bonjour Madame la Présidente, je m'appelle

20 Nikola Kostic et je défends Monsieur Erdemovic.

21 Mme la Présidente (interprétation): Merci.

22 La Chambre de première instance va prononcer son jugement aujourd'hui dans

23 l'affaire engagée contre M. Drazen Erdemovic, suite à son plaidoyer de

24 culpabilité par rapport au chef d'accusation n° 2 de l'acte d'accusation

25 émis contre lui le 22 mai 1996 et confirmé le 29 mai 1996.

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1 Acte d'accusation portant sur la violation des lois aux coutumes de la

2 guerre, punissable en vertu de l'Article 3 du Statut du Tribunal et

3 reconnu par l'article 3.1A: meurtre des conventions de Genève.

4 Le jugement officiel de la Chambre de première instance est émis

5 séparemment au cours de l'audience de ce jour mais je m'apprête à en

6 résumer les éléments principaux. La Chambre de première instance s'est

7 convaincue du plaidoyer de culpabilité présenté le 14 janvier 1998 et par

8 conséquent a condamné l'accusé le même jour. Une audience préalable au

9 prononcé de la peine a été tenue le même jour et la Chambre de première

10 instance a entendu les arguments présentés par les parties.

11 M. Drazen Erdemovic s'est vu accorder l'autorisation de témoigner devant

12 le Tribunal international, déposition qui serait prise en considération en

13 tant qu'élément de preuve.

14 Avec l'assentiment des deux parties, la Chambre de première instance a

15 versé au dossier de l'affaire un certain nombre de compte-rendus et

16 documents présentés sous forme de témoignage oral et elle a entendu

17 également la déposition de Monsieur Jean-René Ruez, officier enquêteur

18 responsable de l'enquête auprès du Bureau du Procureur, enquête au sujet

19 des événements survenus dans l'enclave de Srebrenica. La Chambre de

20 première instance a accepté en tant que fait la version des événements

21 présentés par les parties. Elle a accepté en particulier le fait que M.

22 Drazen Erdemovic a commis les infractions en question en raison d'une

23 menace contre sa vie.

24 En prononçant, en déterminant sa sentence, la sentence a prononcé contre

25 M. Drazen Erdemovic, la Chambre de première instance a pris en compte les

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1 dispositions pertinentes du statut et du Règlement de procédure et de

2 preuve, en particulier les Articles 7 et 24 du statut et les Articles 101

3 du Règlement de procédure et de preuve.

4 La Chambre de première instance a également appliqué les divers critères

5 et arrêts des Chambres d'appel dans son jugement rendu le 7 octobre 1997.

6 Circonstances aggravantes: la Chambre de première instance considère que

7 l'ampleur du crime et l'importance du rôle joué par l'accusé constituent

8 une circonstance aggravante dont il convient de tenir compte en vertu de

9 l'Article 24.2 du statut du Tribunal international.

10 Circonstances atténuantes, données personnelles, à l'époque du massacre de

11 la ferme collective de Pilica, l'accusé avait 23 ans. Il en a aujourd'hui

12 26 et il a été démontré qu'il n'est pas une personne dangereuse pour son

13 entourage. Fin de citation.

14 La Chambre de première instance estime que la situation personnelle ainsi

15 que le caractère de l'accusé indique que sa personnalité est amendable. Il

16 conviendrait de lui donner une segonde chance afin qu'il puisse prendre un

17 nouveau départ dans la vie après sa libération et tant qu'il est assez

18 jeune pour le faire.

19 Situation familiale de l'accusé: l'accusé est marié, il a une épouse

20 d'origine ethnique différente de la sienne, le couple a un enfant en bas

21 âge, né le 21 octobre 1994. L'accusé a vécu une formation professionnelle

22 au métier de serrurier en juillet 1995, il était simple soldat dans le

23 dixième détachement de sabotage. Il n'y occupait pas de poste de

24 commandement. Hormis les deux mois où il a eu le grade de sergent dans

25 cette unité, il était simple fantassin. Il n'a soutenu activement aucun

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1 des groupes ethniques participant au conflit. C'est en effet contre son

2 gré qu'il a successivement fait partie de l'armée de la République de

3 Bosnie Herségovine, du conseil croate de la défense et de la BSA.

4 Aucune des parties n'a évoqué la possibilité qu'il ait été un mercenaire.

5 Personnalité de l'accusé. Dans ses conclusions, le conseil de la défense

6 décrit l'accusé comme un jeune homme conciliant, désireux d'aider les

7 personnes en difficulté et ne démontrant aucun signe de fanatisme ou

8 d'intolérance. L'accusé a reçu une éducation emprunte de tolérance vis-à-

9 vis d'autrui. Il a d'ailleurs choisi pour épouse une femme d'une origine

10 différente de la sienne. Cela n'a rien à voir avec le fait que l'amour est

11 aveugle.

12 La Chambre de première instance constate que le casier judiciaire de

13 l'accusé est vierge et qu'il a déclaré n'avoir jamais tué avant le

14 massacre de Srebrenica.

15 Reconnaissance de la culpabilité de l'accusé. La Chambre de première

16 instance relève l'argument du conseil de la défense selon lequel les

17 déclarations de l'accusé relatives à sa culpabilité devraient, je cite:

18 "Avant tout être considérées comme sa position morale par rapport à la

19 vérité et comme un moyen de nous faire comprendre combien ont été

20 repoussées les limites des mauvais traitements infligés à l'homme dans

21 cette région, non seulement dans l'environnement immédiat de l'accusé,

22 mais aussi à plus grande échelle.", fin de citation.

23 Une reconnaissance de culpabilité prouve l'honnêteté de son auteur. Pour

24 le Tribunal international, il est important d'encourager les personnes

25 concernées à se présenter devant lui, qu'elles soient déjà mises en

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1 accusation ou qu'elles ne soient pas encore connues.

2 De surcroît, cette reconnaissance spontanée de culpabilité a permis au

3 Tribunal international de faire l'économie d'une longue enquête et d'un

4 procès avec tout ce que cela implique de temps et d'efforts. Il convient

5 donc de saluer ce geste.

6 Remords de l'accusé. L'accusé a déclaré à la Chambre de première instance

7 1, ce qui suit: je cite: "Je tiens à vous dire que je regrette pour toutes

8 les victimes, non-seulement pour celles qui sont mortes dans cette ferme

9 mais pour toutes les victimes quelle que soit leur nationalité, pour

10 toutes les victimes en ex Bosnie Herzégovine.", fin de citation.

11 Le stress post-traumatique vécu par l'accusé à la suite des atrocités

12 commises à Srebrenica prouve combien il a lui-même souffert d'avoir été

13 contraint de commettre ces meurtres contre sa volonté.

14 Coopération avec le Bureau du Procureur. La collaboration fournie par

15 Monsieur Erdemovic a été tout à fait excellente. L'accusation parle

16 rarement en ces termes d'un accusé. La Chambre de première instance en

17 prend acte gardant à l'esprit l'article 24 du Règlement de procédure et de

18 preuve du Tribunal international qui lui fait obligation de tenir compte

19 d'une telle coopération. Elle prend également note des conclusions de

20 l'accusation étayées par la déposition de Monsieur Ruez qui fait valoir

21 que l'accusé avait apporté sa coopération sans demander quoi que ce soit

22 en échange et que le degré et la qualité de sa coopération était telle

23 qu'il constitue des circonstances atténuantes importantes. Si les

24 enquêteurs du Bureau du Procureur connaissaient les meurtres perpétrés à

25 Srebrenica dans leurs grandes lignes, le témoignage de l'accusé s'est

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1 révélé particulièrement précieux. Il leur a en effet fourni des détails au

2 sujet de quatre incidents dont ils n'avaient pas connaissance auparavant.

3 L'accusé a également communiqué des précisions importantes, l'identité de

4 ses commandants et des autres participants aux exécutions, des

5 renseignements sur le camp de la Drina, la structure de la BSA et les

6 unités impliquées dans la prise de Srebrenica, tel le dixième détachement

7 de sabotage et la brigade de Bratounaz.

8 Le 5 juillet 1996, l'accusé a déposé au cours de l'audience tenue en

9 application de l'Article 61 du Règlement dans le cadre des affaires

10 Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Son témoignage s'est révélé important à

11 un double titre. D'une part, il est pour partie à l'origine de la décision

12 de la Chambre de décerner des mandats d'arrêts internationaux à l'encontre

13 de ces deux accusés en application de l'Article 61 et d'autre part, son

14 témoignage, celui d'un membre de la BSA permet d'établir ce qui s'est

15 effectivement passé à Srebrenica.

16 La contrainte. La Chambre de première instance a donné effet à l'arrêt de

17 la Chambre d'appel au terme duquel la contrainte n'est pas un argument de

18 défense suffisant pour exonérer entièrement un soldat accusé de crime

19 contre l'humanité et/ou de crime de guerre impliquant le meutre d'êtres

20 humains innocents. La contrainte ne peut intervenir que comme circonstance

21 atténuante.

22 Les parties et la Chambre de première instance admettent qu'il y a eu

23 contrainte en l'espèce. Au vu du dossier, il apparaît que l'accusé se

24 trouvait dans une situation extrême. La Chambre de première instance

25 conclut que s'il avait désobéi il aurait véritablement risqué d'être tué.

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1 Il a exprimé ses sentiments, tout en étant bien conscient qu'il n'avait

2 pas le choix. Il fallait tuer ou être tué.

3 Accord de marchandage judiciaire. Le 8 janvier 1998 les parties ont

4 conjointement déposé auprès du Greffe une requête au fin d'examen d'un

5 accord de marchandage judiciaire conclu entre M. Drazen Erdemovic et le

6 Bureau du Procureur, était joint le texte de l'accord. Son objet était de

7 préciser l'analyse que les parties faisaient de la nature et des

8 conséquences du plaidoyer de culpabilité de l'accusé et d'aider les

9 parties à la Chambre de première instance à garantir que ce plaidoyer

10 serait valable au regard des règles du Tribunal international.

11 Ni le statut ni le Règlement du Tribunal international ne contiennent de

12 dispositions sur ce type de marchandage. Et bien qu'elle n'y soit

13 aucunement tenue la Chambre de première instance a pleinement tenu compte

14 de la requête pour déterminer quelle sentence imposer à l'accusé.

15 Politique adoptée par la Chambre en matière de peine. Outre les

16 circonstances aggravantes et atténuantes exposées précédemment, la

17 sentence prononcée par la Chambre de première instance a tenu compte des

18 conditions dans lesquelles le massacre a eu lieu. En particulier, du degré

19 de souffrance enduré par les victimes avant et pendant ce massacre, des

20 moyens employés par l'accusé pour tuer et de son attitude au moment des

21 faits. L'atmosphère de terreur et de violence qui régnait alors a été

22 décrite avec force devant la Chambre de première instance. Le degré de

23 souffrance enduré par ces victimes ne saurait être minimisé.

24 La répugnance de l'accusé à participer au massacre et sa réaction face à

25 l'obligation d'accomplir une besogne aussi odieuse ont été examinées. Il

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1 apparaît clairement qu'il n'a pris aucun plaisir pervers à agir comme il

2 l'a fait.

3 Dans l'intérêt de la justice pénale internationale et de la mission du

4 Tribunal international, il convient d'évaluer à sa juste mesure la

5 coopération apportée par l'accusé. Ainsi il a sincèrement confessé sa

6 participation à ce massacre alors qu'aucune autorité ne la lui reprochait

7 et qu'il devait savoir qu'il s'exposait probablement à des poursuites. Il

8 est important de faire montre de compréhension à l'égard de ceux qui se

9 livrent au Tribunal international et avouent leur culpabilité si l'on veut

10 encourager les autres suspects et auteurs de crimes inconnus à sortir de

11 l'ombre.

12 Le Tribunal international est certes mandaté pour enquêter sur les

13 violations graves du droit international humanitaire, pour suivre et punir

14 leurs auteurs mais plus largement il doit, de par sa fonction judiciaire,

15 contribuer au règlement des questions plus vastes qui sous-tendent les

16 méfaits perpétrés en ex Yougoslavie, telles que la responsabilité, la

17 réconciliation et l'établissement de la vérité. La découverte de la vérité

18 est l'une des pierres angulaires de l'état de droit, une étape

19 fondamentale sur la voie de la réconciliation. En effet, seule la vérité

20 est à même de nettoyer l'abcès de la haine ethnique et religieuse et

21 d'amorcer le processus de guérison.

22 Le Tribunal international doit montrer que ceux qui ont l'honnêteté

23 d'avouer leurs crimes sont traités avec impartialité dans le cadre d'une

24 procédure fondée sur les principes de justice et d'équité, dans le respect

25 des droits fondamentaux de la personne. Par ailleurs, le Tribunal

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1 international est le vecteur par lequel la communauté internationale

2 exprime son indignation face aux atrocités commises en ex Yougoslavie.

3 Faire respecter le droit humanitaire international c'est protéger le droit

4 de l'accusé sans jamais perdre de vue le destin tragique des victimes et

5 les souffrances de leurs proches.

6 Prise en compte de la détention provisoire. L'Article 101E du Règlement

7 exige que la Chambre de première instance déduise de la durée totale de la

8 peine la période pendant laquelle la personne reconnue coupable a pu

9 rester en détention en attendant d'être remise au Tribunal ou d'être jugée

10 par une Chambre de première instance ou une Chambre d'appel.

11 En l'espèce, l'ordonnance aux fins du transfert de l'accusé et de son

12 placement sous la garde du Tribunal international a été décernée le 26

13 mars 1996 par Monsieur le Juge Riad. Le temps de détention préventive sera

14 donc pris en compte à partir de cette date.

15 Monsieur Erdemovic, veuillez vous lever s'il vous plaît.

16 Je lirai maintenant le dispositif contenu dans le jugement portant

17 condamnation disponible en anglais, français et dans votre langue.

18 La Chambre de première instance II ter, à l'unanimité par ces motifs vu

19 les Articles 23, 24 et 27 du Statut et 100, 101 et 103 du Règlement de

20 procédure et de preuve, vu l'acte d'accusation en date du 22 mai 1996

21 confirmé le 29 mai 1996, entendu votre plaidoyer de culpabilité, le 14

22 janvier 1998 relatif au chef de violation des lois aux coutumes de la

23 guerre, prévu à l'Article 3 du statut, vu les éléments de preuve soumis

24 dans cette affaire, et entendu les exposés des parties, vous condamne M.

25 Drazen Erdemovic, né le 25 novembre 1971, à une peine d'emprisonnement de

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1 5 ans et dit que la durée totale de cette peine est déduite la période de

2 détention ayant débuté le 28 mars 1996. Prescrit que la peine

3 d'emprisonnement soit purgée dans un Etat désigné par le Tribunal

4 international en application de l'Article 103A du Règlement de procédure

5 et de preuve.

6 Ordonne que vous resterez sous la garde du Tribunal jusqu'à l'expiration

7 d'un délai de 15 jours à compter de ce jour, période durant laquelle vous

8 pouvez interjeter appel de ce jugement en vertu de l'Article 88bis du

9 Règlement de procédure et de preuve et jusqu'à la mise en place des

10 arrangements nécessaires à votre transfert vers l'Etat où vous purgerez

11 votre peine.

12 Dit qu'en application de l'Article 102 du Règlement de procédure et de

13 preuve la sentence, sous réserve de la déduction de peine précitée,

14 devient exécutoire ce jour: le 5 mars 1998.

15 Monsieur le Juge Shahabudeen joint une opinion individuelle au présent

16 jugement. Cette lecture conclut le prononcé du jugement portant

17 condamnation.

18 L'audience du Tribunal pénal international est maintenant levée.

19 (L'audience est levée à 9 heures 20)

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