Affaire n° : IT-98-29-T

LE BUREAU

Composé comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Fausto Pocar, Vice-Président
M. le Juge Richard May M. le Juge Wolfgang Schomburg
M. le Juge Daqun Liu

Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 mars 2003

LE PROCUREUR

C/

STANISLAV GALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE GALIC EN APPLICATION DE L’ARTICLE 15 B) DU RÈGLEMENT

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Les Conseils du requérant :

Mme Mara Pilipovic et M. Stéphane Piletta-Zanin

Le Bureau du Procureur :

M. Mark Ierace

 

1. Suite au renvoi prononcé par la Chambre d’appel le 13 mars 20031, le Bureau est saisi d’une requête déposée le 23 janvier 2003 par Stanislav Galic afin que le Juge Orie soit dessaisi de l’affaire Galic. Galic affirme que l’impartialité et l’apparence d’impartialité du Juge Orie sont compromises du fait qu’il a confirmé un acte d’accusation établi à l’encontre de Ratko Mladic en novembre 2002. Pour les motifs exposés ci-après, le Bureau rejette la requête.

Rappel du contexte

2. Le 8 novembre 2002, le Juge Orie a confirmé un acte d’accusation à l’encontre de Ratko Mladic. Ce faisant, il a conclu, en application de l’article 19 1) du Statut et de l’article 47, paragraphes E) et F) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), qu’au vu des présomptions, il y avait lieu d’engager des poursuites contre Mladic2.

3. Le 24 janvier 2003, Stanislav Galic a soumis la présente requête à la section de la Chambre de première instance I saisie de son affaire3. Le 3 février 2003, le Juge Liu, en sa qualité de Président de la Chambre, a rejeté la requête4.

4. Le 10 février 2003, en application de l’article 73 B) du Règlement, Galic a demandé, « par l’intermédiaire » du Juge Liu, à la section de la Chambre de première instance  I chargée de son procès de certifier son appel5. Le 26 février 2003, la Chambre de première instance I, composée de ses trois juges permanents (le Juge Liu (Président), le Juge El Mahdi et le Juge Orie), a fait droit à la demande de certification6.

5. Galic a ensuite saisi la Chambre d’appel d’une requête lui demandant d’ordonner à la Chambre de première instance de suspendre son procès jusqu’à ce qu’il soit statué en appel sur la requête aux fins de dessaisissement et lui demandant l’autorisation de présenter ses moyens d’appel7. La Chambre d’appel a renvoyé la requête de Galic aux fins de dessaisissement au Bureau8.

Discussion

6. Avant d’examiner le fond de la requête aux fins de dessaisissement, le Bureau doit tout d’abord traiter une question de procédure. L’article 15 B) du Règlement dispose, en son passage pertinent, que « StCoute partie peut solliciter du Président de la Chambre qu’un juge de cette Chambre, soit dessaisi d’une affaire en première instance ou en appel pour les raisons ci-dessus énoncées. Après que le Président de la Chambre en ait conféré avec le juge concerné, le Bureau statue si nécessaire. » La question est la suivante : lorsqu’une requête aux fins de dessaisissement est renvoyée au Bureau après qu’un Président d’une Chambre a statué sur ladite requête, le Bureau agit-il en tant qu’organe de recours chargé d’examiner la décision du Président de la Chambre ou procède-t-il à un nouvel examen de la requête ? Le Bureau estime, comme la Chambre d’appel9, qu’il doit procéder à un nouvel examen de ladite requête.

7. Force est de constater que l’article 15 B) du Règlement, tel qu’il est formulé, ne répond pas à la question. Mais la lettre et l’esprit de l’article incitent le Bureau à considérer qu’il est préférable de procéder à un nouvel examen de toute requête aux fins de dessaisissement qui lui a été renvoyée, même si un Président de Chambre a déjà statué sur la question. L’article ne prévoit pas la possibilité d’interjeter « appel » d’une décision rendue par le Président de Chambre. De fait, cet article pourrait être interprété comme indiquant que toutes les voies de recours sont épuisées dès lors que le Juge dont le dessaisissement est demandé et le Président de la Chambre s’accordent sur la solution appropriée (sauf s’il s’agit d’une seule et même personne). Mais il semble que l’article vise principalement à promouvoir à la fois l’impartialité et l’apparence d’impartialité, puisqu’il confère à des juges autres que le juge contesté le pouvoir de statuer sur la demande de dessaisissement. D’où l’intérêt d’un examen de novo par le Bureau (lequel est bien plus éloigné du Juge contesté que ne l’est le Président de la Chambre à laquelle appartient celui-ci). En outre, les requêtes aux fins de dessaisissement ne portent presque jamais sur des faits litigieux (autres que la question fondamentale de la partialité ), ce qui permet au Bureau de traiter la question directement, en appliquant les critères juridiques établis à un dossier dépourvu de points litigieux.

8. Le Bureau en vient à présent au bien-fondé de la requête aux fins de dessaisissement déposée par Galic. Celui-ci soutient que le Juge Orie doit être dessaisi de la présente affaire car, le 8 novembre 2002, il a confirmé un acte d’accusation modifié établi à l’encontre de Ratko Mladic. Galic fait observer que cet acte d’accusation l’identifie nommément comme officier ayant servi dans l’Armée serbe de Bosnie (la « VRS ») sous les ordres de Mladic et ayant participé avec celui-ci à une entreprise criminelle commune, dans le cadre de laquelle de nombreux crimes contre l’humanité, entre autres, auraient été commis en Bosnie-Herzégovine entre mai 1992 et décembre 1996, notamment dans la municipalité de Vogosca, dans le district de Sarajevo10. Les crimes reprochés à Galic sont liés au rôle qu’il aurait joué dans la campagne de bombardements et de tirs d’embuscade que la VRS aurait menée à Sarajevo entre septembre 1992 et août 199411. Galic avance qu’une « contamination » est intervenue entre les deux dossiers, le Juge Orie ayant fait fonction à la fois de juge de confirmation de l’acte d’accusation modifié dans l’affaire Mladic et de Président de la Chambre saisie de l’affaire Galic12.

9. Cette contamination présumée a, selon Galic, deux origines. D’une part, il semble affirmer qu’elle est due au fait que les accusations figurant dans l’acte d’accusation Mladic et celles figurant dans le sien, ou du moins les pièces jointes aux deux actes, se chevauchent. Galic soutient qu’en estimant que l’Accusation avait établi qu’au vu des présomptions, il y avait lieu d’engager des poursuites contre Mladic, le Juge Orie a, en raison de ce chevauchement, effectivement préjugé de la culpabilité de Galic pour certains des crimes qui lui sont reprochés13. D’autre part, Galic consacre une grande partie de sa requête à l’argument suivant  : l’acte d’accusation établi contre Mladic allègue la participation de Galic à des crimes pour lesquels ce dernier n’est pas poursuivi. Là encore, Galic avance que le fait que le Juge Orie a confirmé l’acte d’accusation Mladic indique qu’il a préjugé de la culpabilité de Galic. Mais, affirme-t-il, c’est précisément parce que les crimes dont le Juge Orie l’a incidemment déclaré coupable ne sont pas ceux pour lesquels il est poursuivi que cette déclaration incidente entachera inévitablement la façon dont le Juge Orie percevra les éléments de preuve se rattachant aux crimes pour lesquels il est poursuivi14.

10. Les normes juridiques applicables en la matière sont bien établies. L’article 21 2) du Statut garantit aux accusés le droit à ce que, lors de leur procès, leur « cause soit entendue équitablement et publiquement » et, comme l’a reconnu la Chambre d’appel du Tribunal international (le « TPIY »), « le droit fondamental d’un accusé à être jugé devant un tribunal indépendant et impartial fait partie intégrante15 » de la garantie d’un procès équitable. Ainsi, l’article 13 1) du Statut dispose, dans ses parties pertinentes, que les juges du Tribunal « doivent être des personnes de haute moralité, impartialité et intégrité ».

11. L’article 15 A) du Règlement, qui régit la récusation et l’empêchement des juges, prévoit, en ses parties pertinentes, que « « SuCn juge ne peut connaître en première instance ou en appel d’une affaire dans laquelle il a un intérêt personnel ou avec laquelle il a ou il a eu un lien quelconque de nature à porter atteinte à son impartialité. »

12. En interprétant et en appliquant l’obligation d’impartialité énoncée dans le Statut et le Règlement, la Chambre d’appel du TPIY a fixé les normes suivantes :

A. Un Juge n’est pas impartial si l’existence d’un parti pris réel est démontrée.

B. Il existe une apparence de partialité inacceptable :

i) si un juge est partie à l’affaire, s’il a un intérêt financier ou patrimonial dans son issue ou si sa décision peut promouvoir une cause dans laquelle il est engagé aux côtés de l’une des parties. Dans ces circonstances, le juge est automatiquement récusé de l’affaire ;

ii) si les circonstances suscitent chez un observateur raisonnable et dûment informé une crainte légitime de partialité16.

13. Le Bureau appliquera tout d’abord ces normes à la question de savoir si, comme le prétend Galic, le chevauchement entre les deux actes d’accusation montre que l’impartialité du Juge Orie est compromise. Le Bureau n’en est pas convaincu pour deux raisons. La première raison a été relevée tant par le Juge Liu, lorsqu’il a rejeté la requête de Galic, que par la Chambre d’appel, lorsqu’elle a renvoyé l’affaire devant le Bureau17. Pour qu’un acte d’accusation puisse être confirmé, il convient de déterminer si, à supposer que les éléments de preuve à charge soient acceptés, un juge du fait raisonnable pourrait conclure qu’ils suffisent pour déclarer l’accusé coupable au-delà de tout doute raisonnable18. De toute autre nature est le verdict prononcé à l’issue du procès : il s’agit de déterminer, à la lumière de tous les éléments de preuve présentés par les deux parties, si l’Accusation a effectivement établi la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable. C’est parce que ces décisions impliquent une attitude différente vis -à-vis des éléments de preuve et le recours à des normes différentes que la confirmation d’un acte d’accusation n’entraîne aucun préjugé inacceptable concernant la culpabilité d’un accusé. En outre, l’opinion provisoire résultant de la confirmation d’un acte d’accusation se fonde sur des éléments de preuve qui vont très probablement être présentés au procès. Il s’agit donc d’un premier jugement qui repose sur des éléments de preuve pertinents. Le fait de former un jugement provisoire sur la base d’éléments de preuve pertinents ne prouve pas qu’il y a parti pris. Cette conclusion est consacrée à l’article 15 C) du Règlement qui dispose, en son passage pertinent, que « le juge d’une Chambre de première instance qui examine un acte d’accusation conformément à l’article 19 du Statut et aux articles 47 ou 61 du Règlement peut siéger à la Chambre appelée à juger ultérieurement l’accusé ». Si, sans compromettre son impartialité, un même juge peut confirmer un acte d’accusation dans une affaire et siéger à la Chambre saisie de celle-ci, à plus forte raison peut-il confirmer un acte d’accusation dans une affaire qui peut impliquer une personne mise en accusation dans une autre et siéger à la Chambre saisie de cette dernière, au procès de laquelle seront présentées certaines des pièces jointes au premier acte d’accusation.

14. Pour ces raisons, le Bureau conclut que le fait que le Juge Orie a confirmé l’acte d’accusation établi contre Mladic n’engendre pas de parti pris réel quand bien même certaines des pièces présentées à l’appui de la confirmation de l’acte d’accusation Mladic auraient été ou seront peut-être présentées au procès de Galic. Qui plus est, le Bureau constate que Galic n’a relevé qu’un chevauchement très limité entre l’acte d’accusation établi contre Mladic et les pièces qui y étaient jointes, d’une part, et celui établi contre Galic et les pièces qui y étaient jointes, d’autre part. Le Bureau estime, pour des raisons similaires, qu’un observateur raisonnable et dûment informé reconnaîtrait que la confirmation par le Juge Orie de l’acte d’accusation dressé contre Mladic n’engendre en aucun cas un préjugé inacceptable quant à la culpabilité de Galic, susceptible d’empêcher le Juge Orie d’examiner en toute objectivité les éléments de preuve présentés au procès de Galic.

15. Galic affirme en deuxième lieu qu’en confirmant l’acte d’accusation établi contre Mladic, le Juge Orie a provisoirement jugé que Galic pourrait être coupable de certains des crimes allégués dans cet acte d’accusation et que le fait de conclure, même provisoirement, à la participation de Galic à des crimes pour lesquels il n’est pas mis en accusation prédisposera le Juge Orie à le déclarer coupable des crimes pour lesquels il est poursuivi. Ce risque, à savoir que le juge du fait peut être influencé par des preuves d’actes criminels ou répréhensibles autres que ceux pour lesquels l’accusé est poursuivi, est pris en compte dans les règles d’administration de la preuve appliquées dans de nombreux systèmes juridiques nationaux19.

16. Le Bureau considère ces risques comme inexistants dans le contexte des procédures engagées devant le TPIY ou, plus précisément, dans le cas d’espèce, s’agissant de la confirmation d’un acte d’accusation d’une affaire et du procès d’une autre affaire. Au TPIY, ce sont des magistrats professionnels, et non des jurés, qui jugent les affaires au fond. Leur formation et leur expérience professionnelle leur ont inculqué la capacité de ne retenir que les éléments de preuves présentés au procès pour rendre leur verdict. Les magistrats chargés de l’examen des faits peuvent souvent se trouver exposés à des informations concernant les affaires dont ils ont à connaître, qu’elles leur viennent des médias ou, dans certains cas, d’affaires connexes. Le Bureau ne considère pas pour autant que des juges puissent être dessaisis pour la simple raison qu’ils ont été exposés à de telles informations20. Si des juges peuvent être récusés parce qu’ils se sont prononcés sur la question fondamentale de la culpabilité d’un accusé dans une affaire connexe, il n’est pas justifié d’en faire autant au motif qu’ils auraient pris des décisions préjudicielles, comme c’est le cas ici avec la confirmation d’un acte d’accusation21. En outre, comme ils sont contraints de motiver leur jugement et d’étayer leurs conclusions, contrairement aux jurés de certains systèmes juridiques nationaux, y compris du système fédéral américain, les juges du TPIY sont dans l’obligation de s’en tenir aux éléments de preuve du dossier pour rendre leurs conclusions. C’est pourquoi le Bureau est d’avis que le requérant n’a pas réfuté la forte présomption d’impartialité dont jouissent les juges du TPIY. Il est également convaincu qu’un observateur raisonnable et dûment informé ne nourrirait pas de crainte raisonnable que le Juge Orie fasse preuve de parti pris dans le procès de Galic22.

Dispositif

17. Pour les raisons qui précèdent, la requête est rejetée.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Fait le 28 mars 2003
La Haye (Pays-Bas)

___________
Juge Theodor Meron
Président du Tribunal

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-AR54, Décision relative à l’appel interjeté contre le rejet de la demande de dessaisissement d’un juge, 13 mars 2003.
2 - Le Procureur c/ Mladic, IT-95-5/18-I, Ordonnance autorisant le dépôt d’un acte d’accusation modifié et confirmant celui-ci, 8 novembre 2002.
3 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-T, Requête de la Défense en vue de la récusation de Monsieur le Président Alphons Orie, 23 janvier 2003, (la « Requête »).
4 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-T, Décision relative à la requête de la Défense aux fins de dessaisissement du Juge Orie, 3 février 2003 (la « Décision du Président de la Chambre de première instance »).
5 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-T, Requête en délivrance d’un certificat d’appel en relation à la décision de Monsieur le Juge Liu Daqun, rendue en date du 3 février 2003, mais communiquée le 4, et concernant la demande de récusation de Monsieur le Juge Alphons Orie, 10 février 2003. L’article 73 B) du Règlement dispose ce qui suit : « [l]es décisions relatives à toutes les requêtes ne pourront pas faire l’objet d’un appel interlocutoire, à l’exclusion des cas où la Chambre de première instance a certifié l’appel, après avoir vérifié que la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité ou la rapidité du procès, ou son issue, et que son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure ». Selon l’article 73 C) du Règlement, les demandes de certification doivent être enregistrées dans les sept jours suivant le dépôt de la décision contestée.
6 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-T, Décision relative à la requête de la Défense aux fins de certification d’un appel contre la décision rendue par le Président de la Chambre au sujet du dessaisissement du Juge Orie, 26 février 2003.
7 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-T, Requête en suspension et en complément d’écritures, 5 mars 2003, p. 2 et 3 ; Requête extension de délai, 6 mars 2003, troisième page non numérotée.
8 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-AR54, Décision relative à l’appel interjeté contre le rejet de la demande de dessaisissement d’un juge, 13 mars 2003 (la « Décision de la Chambre d’appel »). La Chambre d’appel a rejeté la demande visant à obtenir la délivrance d’une ordonnance aux fins de suspendre la procédure dans l’affaire Galic et a enjoint à ce dernier d’adresser cette requête à la Chambre de première instance elle-même. Ibid, par. 9.
9 - Ibid., par. 9.
10 - Requête, p. 2 à 4 et 7 ; voir Le Procureur c/ Ratko Mladic, IT-95-5/18-I, Acte d’accusation modifié, 10 octobre 2002, par. 24, 25 et 36 à 38.
11 - Le Procureur c/ Stanislav Galic, IT-98-29-I, Acte d’accusation, 26 mars 1999.
12 - Requête, p. 5.
13 - Requête, p. 10.
14 - Requête, p. 5 à 7, 9 et 10.
15 - Arrêt Furundzija, par. 177 et note 239.
16 - Ibid., par. 189.
17 - Décision du Président de la Chambre de première instance, par. 5 et 11 ; Décision de la Chambre d’appel, par. 4.
18 - L’article 19 1) du statut dispose qu’un juge « confirme l’acte d’accusation » « [s]’il estime que le Procureur a établi qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites ». L’article 47 E) du Règlement enjoint au Juge de confirmation d’examiner « tout élément que le Procureur présenterait à l’appui de ces chefs d’accusation » afin de décider, en application de la norme posée par l’article 19 1) du Statut, « si un dossier peut être établi contre le suspect ». Après avoir examiné les formules quelque peu différentes utilisées par les différents juges de confirmation et les normes employées dans plusieurs systèmes juridiques nationaux, le Juge Orie a confirmé l’acte d’accusation Mladic au motif que « les moyens de preuve à charge, s’ils sont acceptés et non contredits, appuient suffisamment la probabilité que l’accusé soit reconnu coupable par un juge du fait raisonnable. ». Ordonnance de confirmation de l’acte d’accusation dressé contre Mladic, par. 26.
19 - Par exemple, les règles d’administration de la preuve appliquées par les tribunaux fédéraux des États-Unis d’Amériques excluent les éléments de preuve afférents à d’autres crimes, méfaits ou actes [...] pour illustrer la moralité d’une personne et prouver ainsi que ses actes en sont le reflet. Article 404 b) des Federal Rules of Evidence ; voir, en général, G. Weissenberger, Weissenberger’s Federal Rules of Evidence, §§ 404.11- 404.12 (1995). Comme l’a expliqué la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, en autorisant l’examen de tels éléments de preuve, on risque d’ériger un acte délictueux antérieur en signe général d’une piètre moralité de l’accusé et de considérer qu’il renforce la probabilité que l’accusé ait commis l’acte présentement reproché (ou, pire encore, d’estimer qu’il justifie une condamnation préventive, même si l’accusé se trouvait être temporairement innocent). Comme l’a dit le Juge Breyer, alors membre de la juridiction d’appel, « Bien que [...] les éléments prouvant une propension de l’accusé soient pertinents, le risque qu’un jury condamne une personne pour des crimes autres que ceux qui lui sont reprochés (ou qu’il la condamne quand même sans être convaincu de sa culpabilité, parce qu’une mauvaise personne mérite d’être punie) créée un effet préjudiciable qui l’emporte sur la simple pertinence. [Traduction non officielle] United States v. Old Chief, 519 U.S. 172, 180-81 (1997) [citant United States v. Moccia, 681 F.2d 61, 63 (C.A.1 1982)].
20 - En Allemagne, par exemple, un juge ne peut être dessaisi d’une affaire uniquement pour avoir connu d’un même état de faits dans une autre affaire. Il est entendu que le juge rend un jugement dans chaque affaire sur la seule base des éléments de preuve présentés dans celle-ci. Bundesgerichtshof in Strafsachen [Chambre criminelle de la Cour suprême fédérale] BGHSt. 21, 334 et 341. Il en va de même lorsque le deuxième procès implique un coaccusé inculpé de la même infraction. Bundesgerichtshof in Neue Zeitschrift fur Strafrecht 1986, 206.
21 - Cf. Saraiva de Carvalho c/ Portugal, CEDH, 14/1993/409/488 (22 avril 1994), par. 35 à 37 ; Nortier c/ Pays-Bas, CEDH 31/1992/376/450 (24 août 1993), par. 35.
22 - Le Tribunal a, à deux reprises, rejeté des requêtes aux fins de dessaisissement d’un juge fondées sur l’idée que sa participation à une autre affaire influerait sur sa façon de percevoir les éléments de preuve présentés dans l’espèce considérée. Dans l’affaire Kordic & Cerkez, le Bureau a rejeté, quasiment sans s’en justifier, une requête aux fins de dessaisir deux juges qui siégeaient au procès et participaient également au procès Blaskic même si les accusations portées dans les deux affaires « résult[ai]ent de la même série d’événements ». Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, IT-95-14/2-PT, Décision du Bureau, 4 mai 1998. Dans l’affaire Brdanin et Talic, le Juge Hunt, en sa qualité de Président de la Chambre de première instance, a rejeté une requête aux fins de dessaisir le Juge Mumba, alors qu’elle avait, dans l’appel Tadic, exprimé une opinion quant au caractère international du conflit armé ayant eu lieu en Bosnie-Herzégovine, question que la Chambre de première instance saisie de l’affaire Brdanin et Talic devait également aborder. Le Procureur c/ Brdanin et Talic, IT-99-36-PT, Décision relative à la demande de récusation d’un juge de la Chambre de première instance présentée par Momir Talic, 18 mai 2000.