Page 560
1 (Lundi 3 décembre 2001.)
2 (L'audience est ouverte à 14 heures 20.)
3 (Audience publique.)
4 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, veuillez annoncer
5 l'affaire.
6 Mme Philpott (interprétation): Il s'agit de l'Affaire IT-98-29-T, le
7 Procureur contre Stanislav Galic.
8 M. le Président (interprétation): Bonjour Mesdames et Messieurs.
9 Je vais demander aux parties et d'abord à l'accusation, de se présenter.
10 M. Ierace (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
11 Juges. Je m'appelle Mark Ierace; je suis présent ici à l'audience avec
12 d'autres membres de mon équipe. Il y a M. Michael Blaxill, Morris Anyah,
13 Monika Kalra, et notre substitut d'audience Edek Guzman.
14 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Ierace.
15 La défense peut-elle se présenter?
16 M. Blaxill (interprétation): Bonjour Messieurs les Juges. La défense du
17 général Galic est représentée aujourd'hui par Me Mara Pilipovic, moi-même,
18 et mon confrère Me Piletta-Zanin. Je vous remercie.
19 M. le Président (interprétation): Monsieur le Général Galic , êtes-vous en
20 mesure de suivre les débats dans une langue que vous comprenez?
21 M. Galic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, dans une langue que
22 je comprends.
23 M. le Président (interprétation): Je ne vais pas vous poser cette question
24 tous les jours, mais sitôt que se présente un problème en matière de
25 traduction, n'hésitez pas à nous le dire sur le champ.
Page 561
1 M. Galic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
2 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir.
3 M. Galic (interprétation): Merci.
4 M. le Président (interprétation): Avant d'entamer ce procès, je me
5 demandais si vous aviez des problèmes de santé en ce moment ou si vous
6 êtes en bonne santé? Vous n'avez pas à vous lever chaque fois. A vous de
7 décider, bien sûr.
8 M. Galic (interprétation): Je vous remercie, merci de me poser cette
9 question, Monsieur le Président. J'ai effectivement quelques problèmes de
10 santé et j'avais espéré qu'ils seraient réglés avant le début du procès,
11 mais j'espère être en mesure de suivre les audiences, même si ce sont des
12 problèmes qui me préoccupent. J'avais des problèmes au dos et aux jambes.
13 M. le Président (interprétation): Vous pourrez peut-être me dire si vous
14 êtes en mesure de suivre les débats aujourd'hui. Nous verrons ce qu'il en
15 est de votre santé par la suite avec plus de détails.
16 Est-ce que ceci vous convient?
17 M. Galic (interprétation): Oui, merci beaucoup, tout à fait. Je peux
18 suivre les débats aujourd'hui et au fil des jours, s'il y a des problèmes,
19 je vous le ferai savoir en temps utile.
20 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Général
21 Galic.
22 Par ordonnance du Président du Tribunal en date du 30 novembre la présente
23 Chambre de première instance se compose de trois Juges. A ma droite se
24 trouve le Juge Elmahdi El Abbassi et à ma gauche se trouve le Juge Raphael
25 Nieto-Navia. Moi, je m'appelle Alphons Orie et je serais le Président de
Page 562
1 cette Chambre de première instance.
2 La Chambre de première instance tient à remercier le Juge de la mise en
3 état, le Juge Rodrigues pour avoir si bien mené la conduite de la mise en
4 état. Si je comprends bien, nos audiences commenceront à 14 heures 15 et
5 se poursuivront jusqu'à 19 heures, toute cette semaine. La semaine
6 prochaine, nous avons des contraintes provenant d'autres procès qui se
7 tiennent devant ce Tribunal. Nous n'aurons une audience que lundi, lundi
8 matin de 9 heures à 13 heures 45.
9 Je remercie le Greffe de bien vouloir nous informer des modifications de
10 façon à informer les parties et les Juges, bien entendu.
11 Monsieur Ierace, êtes-vous prêt à procéder à vos déclarations liminaires,
12 conformément à l'Article 84 du Règlement de procédure et de preuve?
13 M. Ierace (interprétation): Oui.
14 M. le Président (interprétation): :Veuillez nous dire combien de temps
15 vous avez l'intention de prendre, nous pourrons ainsi aménager des pauses.
16 M. Ierace (interprétation): Dans la mesure où je peux le prévoir, je pense
17 que je vais avoir besoin d'une heure et demie à peu près.
18 M. le Président (interprétation): Eh bien, commencez.
19 (Déclarations liminaires de M. Ierace.)
20 M. Ierace (interprétation): Le siège de Sarajevo, c'est comme cela qu'il a
21 fini par être appelé, est un épisode du conflit en ex-Yougoslavie d'une
22 telle notoriété qu'il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale pour
23 trouver un parallèle dans l'histoire de l'Europe. Depuis une armée
24 professionnelle n'avait jamais mené une campagne d'une violence incessante
25 telle contre les habitants d'une ville d'Europe, aussi incessante qu'elle
Page 563
1 ne l'a réduite à une situation de privation moyenâgeuse dans laquelle la
2 peur de la mort était constante.
3 Dans la période couverte par l'Acte d'accusation, pour un habitant de
4 Sarajevo, il n'y avait pas un seul endroit où il pouvait se sentir à
5 l'abri d'une attaque ciblée que ce soit chez lui, à l'école ou dans un
6 hôpital.
7 Pourquoi est-ce que ceci s'est passé? Parce que Sarajevo est une ville de
8 500.000 habitants, c'était le siège du gouvernement de la République
9 socialiste de Bosnie-Herzégovine, l'Unité fédérale de l'ex-Yougoslavie. La
10 composition démographique de la ville est à peu près celle-ci: 44% de
11 Musulmans ou Bosniens, 31% de Serbes et 17% de Croates.
12 En 1991, ce fut d'abord la Slovénie et puis la Croatie qui déclarèrent
13 leur indépendance et tombèrent dans un conflit ethnique violent. Au fil de
14 la désintégration de la Yougoslavie, le gouvernement a décidé d'emboîter
15 le pas à la Slovénie, à la Croatie, en déclarant son indépendance. Et, en
16 mars 1992, le gouvernement s'est déclaré être le gouvernement de la
17 République de Bosnie-Herzégovine.
18 Sarajevo était une communauté multiethnique prospère, fière de son
19 héritage culturel foisonnant et de son statut international qu'elle avait
20 acquis en tant que ville qui avait accueilli les Jeux Olympiques d'hiver
21 en 1984. Beaucoup d'habitants étaient convaincus que leur ville était bien
22 trop moderne, sophistiquée et multiethnique pour subir un tel sort.
23 La fin de la guerre est arrivée au début du mois d'avril 1992, les
24 habitants de Sarajevo avaient constaté que des forces de l'armée populaire
25 yougoslave, ou JNA, avaient effectué des exercices autour de Sarajevo. Et,
Page 564
1 quand la communauté européenne a reconnu la République le 6 avril, c'est
2 ce jour-là que les hostilités ont commencé.
3 Le lendemain, les Serbes de Bosnie se sont déclarés constituer la
4 République serbe de Bosnie-Herzégovine que l'on a connue, à partir du mois
5 d'août 1992, comme étant la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine, et a
6 revendiqué à peu près deux tiers du territoire de la République. Par la
7 suite, je parlerai de cette entité comme étant la Republika Srpska.
8 L'objectif qu'elle poursuivait par rapport à Sarajevo était devenu très
9 clair, une fois arrivé le 12 mai 1992. C'est alors que son assemblée
10 nationale a déclaré qu'elle avait pour objectif stratégique de vouloir la
11 séparation de la ville de Sarajevo en deux parties: une partie serbe et
12 une partie musulmane. Ce même jour, l'assemblée a décidé de créer l'armée
13 de la Republika Srpska, la Vojska Republika Srpska connue sous le sigle
14 VRS, transformant ainsi à toute fin pratique des unités qui restaient de
15 la JNA et d'autres forces loyales à la Republika Srpska en commandement ou
16 en unités de la nouvelle VRS.
17 Le corps de la VRS qui a été déployé à Sarajevo était le Sarajevsko
18 Romanijski Korpus, appelé aussi "Corps Romanija de Sarajevo", SRK. L'armée
19 du gouvernement de Bosnie-Herzégovine était l'Armija Bosnia Herzegovina,
20 connue sous le sigle ABiH, armée de Bosnie-Herzgovine.
21 C'est ainsi que les deux principaux protagonistes étaient le gouvernement
22 de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska dissidente qui opérait à
23 travers leurs armées respectives, à savoir l'armée de Bosnie-Herzégovine
24 et le SRK.
25 Au cours des trois années et demie qui allaient suivre, la population de
Page 565
1 Sarajevo a vécu une descente dans ce que certains ont qualifié "d'enfer
2 moyenâgeux". Les deux armées ont mené une bataille d'impasse,
3 d'opposition. Les lignes de confrontation étaient statiques. Et, vue
4 l'emprise qu'avait le SRK, la bataille est devenue le siège de Sarajevo.
5 Ceci a pu se faire parce que, bien que l'armée de Bosnie-Herzégovine ait
6 75.000 éléments engagés dans la bataille, et même si le SRK n'en avait que
7 18.000, le SRK avait en compensation un avantage en matière de territoire
8 et d'armement; elle tenait les hauteurs entourant la ville et avait bien
9 plus de moyens en artillerie.
10 Une fois arrivé le mois de janvier 1993, Sarajevo était entourée de
11 milliers de pièces d'artillerie dont des chars, des obusiers, des canons
12 antiaériens et d'autres armes, mais aucune des parties n'a pu donner à
13 l'autre le coup de grâce, mais le SRK a pu garder son engagement à
14 Sarajevo. C'est la raison pour laquelle, quand on voit le reste du théâtre
15 des opérations en Bosnie, le rapport restait 4 à 1 par rapport aux soldats
16 de l'armée de Bosnie-Herzégovine. En modulant l'intensité des attaques à
17 la fois légitimes et illégitimes sur Sarajevo, la Republika Srpska a pu
18 exercer une pression importante sur son adversaire aux moments importants.
19 Pendant de très longues périodes de temps, les citoyens de cette ville
20 européenne ont été privés d'eau, de gaz, d'électricité. Privés de ces
21 services et de ces besoins essentiels, ces habitants étaient forcés
22 régulièrement à sortir de la sécurité relative de leur habitation pour
23 faire la file au robinet public, pour aller ramasser du bois de chauffage
24 qu'ils ont fait brûler pour se chauffer, pour cuisiner dans des fourneaux
25 construits avec beaucoup d'ingéniosité. Pour ceux qui vivaient dans des
Page 566
1 immeubles résidentiels, ne pas avoir d'électricité signifiait qu'il n'y
2 avait pas d'ascenseur, pas de moyen d'apporter les besoins de première
3 nécessité.
4 Mais il y avait une dimension différente et plus sombre encore à ce
5 conflit armé. Il apparut rapidement que les civils qui décidaient de
6 rester à Sarajevo allaient devenir des cibles délibérées. A travers la
7 télévision, à travers la presse écrite, le monde a observé avec horreur
8 ces habitants de Sarajevo sur qui on tirait à volonté lorsqu'ils
9 essayaient de franchir les lignes sous la vue du SRK qui tenait les
10 collines et les immeubles résidentielles. L'âge, le métier, le sexe,
11 l'origine ethnique, avaient peu d'intérêt pour le tireur isolé; on le
12 verra. Une gamine de 3 ans a été tuée sur le seuil de sa porte, une gamine
13 de 9 ans alors qu'elle jouait dans son jardin. Les Civils étaient tués
14 dans leur maison quand ils regardaient leur télévision, buvaient du café
15 ou faisaient leur prière. Ils étaient la cible de tir à l'extérieur de
16 leur maison lorsqu'ils traversaient la rue, allaient du bois, tiraient de
17 l'eau, l'emportaient chez eux, nettoyaient devant chez eux, bavardaient ou
18 marchaient avec leurs amis; lorsqu'ils étaient en voiture, en camion, en
19 bus, en tram, en bicyclette; quand ils enterraient leurs morts. Il semble
20 qu'aucun aspect de l'activité humaine n'était trop inoffensif, trop
21 ordinaire, ni sacro-saint pour échapper à la volonté du tireur isolé.
22 Les Serbes qui ont décidé de rester n'ont pas été pardonnés. Eux aussi
23 sont devenus la cible de ces tirs, ainsi que leurs concitoyens Musulmans.
24 Afin de garder un semblant d'ordre et pour essayer de réprimer, de
25 contenir les attaques, les morts étaient enterrés la nuit quand il faisait
Page 567
1 du brouillard ou simplement dans des lopins de terre entre les bâtiments.
2 De nouvelles routes, des routes détournées, protégées par des bâtiments
3 ont été utilisées. On a érigé des barrières antitireur isolé;
4 effectivement pour se protéger. Pour cela, on a utilisé des conteneurs,
5 des bus, des camions; d'autres obstacles de ce genre qui étaient placés
6 aux carrefours pour se protéger des possessions de la RSK.
7 Les tireurs isolés ont répondu à ces nouveaux défis en tirant le meilleur
8 profit possible des interstices qu'il y avait entre ces barrages, et
9 prévoyants où les victimes seraient le plus vulnérable. Cependant, nulle
10 part on était à l'abri des bombardements.
11 L'accusation va citer des experts qui vous expliqueront que l'artillerie
12 déployait par la RSK comprenait aussi bien des armes à tir direct qu'à tir
13 indirect. Des armes à tir direct, ce sont des chars, des obusiers, des
14 canons à gros calibres, comme par exemple des canons antiaériens et des
15 canons blindés transporteurs troupes, qui en général utilisent les tirs
16 directs. Par contre des mortiers sont utilisés pour parcourir une
17 trajectoire en forme de U renversé, c'est-à-dire qu'ils tombent dans des
18 endroits que les servants de l'arme ne voient pas. De même, ils sont
19 utilisés, servis par des hommes qui sont en communication radio avec un
20 éclaireur qui va diriger le tir en fonction de la cible.
21 Un obus de mortier est conçu de façon à tuer, à amputer, à mutiler; en
22 général on n'utilise pas cette arme pour détruire des biens, en général,
23 on utilise pour causer le plus de perte. Ce qui reste en général ce sont
24 des marques sur le sol.
25 A la fin de la guerre, les rues, les sentiers, les aires de parking de
Page 568
1 Sarajevo étaient parsemés de cette structure en étoile révélatrice qui
2 montre les impacts de mortier. On les a appelées les "roses de mortier".
3 Pendant la période couverte par l'Acte d'accusation, ces mortiers étaient
4 utilisés par le SRK avec des effets dévastateurs contre les civils qui
5 vaquaient à diverses activités, qu'ils soient rassemblées à l'air libre
6 hors des lignes directes de tir de position du SRK. Par exemple s'il y
7 avait un match de football ou lorsque des gens faisaient la file pour
8 aller chercher de l'eau, des groupes d'enfants qui jouaient, des places de
9 marché pleine de monde et normalement à l'abri, des écoles, des hôpitaux,
10 des cortèges funéraires. Les annexes qui reprennent les tirs isolés en
11 sont quelques illustrations.
12 Cette campagne de tirs isolés et de bombardements délibérés contre des
13 civils constitue la base de la thèse soutenue par l'accusation, telle
14 qu'elle est consignée dans le mémoire préalable au procès, revient à dire
15 que le pilonnage, le bombardement, a été utilisé parfois dans l'intention
16 de frapper des cibles bien précises de civils, parfois à l'aveuglette sans
17 but précis. C'est-à-dire que les servants ont tiré des obus dans des lieux
18 dont on savait qu'ils étaient occupés par des civils; non pas dans
19 l'intention de toucher une cible précise, mais plutôt sachant que là où
20 l'obus allait tombé, il était probable qu'il mette en péril des civils.
21 Cette pratique est en contradiction avec le principe de la distinction
22 dont je parlerai un peu plus tard, pour parler du contexte et de la teneur
23 juridique de ceci.
24 Le monde a vu incrédule que ces auteurs ont agi avec impunité, jour après
25 jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année. La
Page 569
1 conscience du monde en a été à ce point ébranlée, qu'elle a sans doute…
2 que ceci a sans doute contribué, dans une bonne mesure, à l'établissement
3 de ce Tribunal.
4 La bataille de Sarajevo a duré à peu près 3 ans et demi. Au cours de cette
5 période, il y a eu trois commandants principaux du SRK: le second, le
6 général de division Stanislav Galic dont je… qui sera pour moi l'accusé
7 était commandant pendant la plus longue période, presque deux ans, à
8 partir du 10 septembre 1992 environ jusqu'au 10 août 1994.
9 J'ai souvent parlé jusqu'à présent de la bataille qui couvre la totalité
10 de la campagne plutôt que la période couverte par l'Acte d'accusation qui
11 concerne la période pendant laquelle l'accusé a occupé la fonction de
12 commandant du RSK.
13 Nous allons vous montrer plusieurs extraits vidéo qui datent de la période
14 antérieure à l'Acte d'accusation et qui montrent quelques événements de
15 cette période. Pourquoi? Il y a trois raisons à cela.
16 Tout d'abord, parce que nous pensons que l'accusé a hérité d'une stratégie
17 de tirs délibérée et de pilonnages de civils délibérée qui précédaient sa
18 prise de fonction.
19 L'autre raison, c'est que les caractéristiques de cette campagne avant,
20 pendant et après ses fonctions sont pratiquement identiques.
21 La troisième raison, c'est que je voudrais replacer les actes de l'accusé
22 dans leur contexte historique. Il est clair que l'accusé ne doit répondre
23 que des responsabilités qui lui incombaient en tant que commandant
24 effectif de ces forces. Et même pour ce qui est de la période couvercle
25 par l'Acte d'accusation.
Page 570
1 L'accusation ne dit pas que tous les faits répréhensibles eussent été
2 attribuables à l'accusé, ou même que tous les faits répréhensibles eussent
3 été perpétrés par le camp de l'accusé. Il est manifeste -nous avons des
4 preuves à cette fin-, il est manifeste que des civils ont été ciblés de
5 part et d'autres des lignes de confrontation, et ce serait un lieu commun
6 de faire remarquer que le comportement illicite contre des civils par les
7 adversaires de l'accusé ne l'autorisait pas à faire de même.
8 Je vais maintenant essayer de familiariser les Juges de cette Chambre avec
9 la vie et la configuration de Sarajevo.
10 (Le Procureur prend un pointeur et montre une carte.)
11 (Le Procureur s'adresse à M. l'huissier.)
12 M. le Président (interprétation): Est-ce que la défense peut voir cette
13 carte, Monsieur Ierace?
14 M. Piletta-Zanin: Merci, Monsieur le Juge, de poser la question. Comme à
15 l'accoutumée, la défense est totalement aveuglée.
16 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous voyez désormais cette
17 carte sur l'écran? Est-ce que vous avez une vue directe?
18 M. Piletta-Zanin: Votre Honneur, comme à l'accoutumée, un peu en retard.
19 M. le Président (interprétation): Merci.
20 M. Ierace (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je
21 vous montre cette carte qui montre la ville de Sarajevo.
22 Vous constatez qu'il y a deux lignes vertes -une en vert clair et une en
23 vert plus sombre-, qui entourent la ville. Vous voyez que c'est une zone
24 urbanisée. Les deux lignes vertes montrent les lignes de confrontation
25 entre le SRK et l'armée de Bosnie-Herzégovine. Je vous l'ai dit, ces
Page 571
1 lignes n'ont pas beaucoup bougé: elles sont restées pratiquement statiques
2 pendant la guerre. A certains endroits, elles se rapprochent très fort
3 l'une de l'autre: parfois il y a à peine 50 mètres qui les séparent, à
4 d'autres endroits la distance est plus grande entre elles.
5 Remarquez également que, sur certains points, les lignes entrent dans la
6 ville même, dans la partie habitée. C'est vrai pour la zone de Grbavica et
7 aussi -plutôt sur la gauche de la carte-, pour Dobrinja. C'était en fait
8 le village olympique en 1984. Suite à cet événement, c'est devenu une zone
9 résidentielle d'immeubles, tout près de l'aéroport.
10 Vous voyez aussi mentionnés sur cette carte divers incidents de tirs
11 isolés, l'endroit où se trouvaient des victimes au moment où elles ont été
12 la cible de ces tirs. Vous avez les points rouges. Vous verrez qu'il y a
13 une différence entre, par exemple, le point 27 et le n°1. A côté du n°1,
14 vous avez un "U". Pourquoi? Parce que votre prédécesseur avait retiré cet
15 incident tout en permettant à l'accusation de citer des témoins à ce
16 propos.
17 Les points bleus vous indiquent les lieux où des incidents, repris dans
18 l'Acte d'accusation, ont eu lieu: A, B, C font état d'obus particuliers.
19 Vous avez un incident de pilonnage à Dobrinja où il y a eu deux obus qui
20 sont tombés très près l'un de l'autre: 1A, 1B. Et puis, vous avez le 4 où
21 il y a eu trois obus qui sont tombés.
22 Sur la carte figure également une étoile qui indique où se trouve la
23 caserne de Lukavica. Cette caserne militaire est devenue le poste de
24 commandement avancé de l'accusé. C'était son poste de commandement avancé
25 d'ailleurs pendant toute la période couverte par l'Acte d'accusation.
Page 572
1 Remarquez la proximité qu'il y a de cette caserne avec le quartier
2 résidentiel de Dobrinja.
3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je me rends bien compte qu'en
4 regardant une carte d'une zone que l'on ne connaît pas bien, il est
5 difficile de bien comprendre tout ce que cette carte vous montre mais je
6 souhaite simplement vous montrer, pour commencer, que la ville de Sarajevo
7 a une configuration assez longue et assez étroite, d'Est en Ouest.
8 Et maintenant, je vais placer un film de plastique sur cette carte pour
9 vous indiquer à quel endroit correspondront les photographies que nous
10 allons vous montrer.
11 La première photographie a été prise ici, en ce lieu, et les deux lignes
12 que l'on voit de part et d'autres vous donnent une idée de ce que vous
13 verrez sur la photographie.
14 D'abord, vous remarquerez que l'appareil photo pointait approximativement
15 vers le Nord, c'est-à-dire à partir du Sud de la ville, et par dessus la
16 ville vers le Nord. Vous pourrez donc voir sur cette photo un certain
17 nombre de bâtiments et de quartiers qui se situent à l'Ouest.
18 Parlons maintenant de la photo panoramique, vous la voyez ici. Je vais
19 attendre quelque instant pour que la caméra de la salle la montre à
20 l'écran. Je demanderai un zoom arrière à la caméra de façon à ce que l'on
21 voie la plus grande partie possible de cette photographie en même temps.
22 Vous voyez ici donc les hauteurs qui entourent la ville. C'est une
23 photographie qui a été prise de l'endroit que je vous ai montré tout à
24 l'heure sur la carte et qui vous montre une grande partie de la ville avec
25 la partie très urbanisée qui va de l'est jusqu'à l'ouest et, à l'ouest, on
Page 573
1 voit que la ville se perd dans la vallée.
2 Je vais maintenant placer le pointeur sur certains éléments importants. On
3 voit sur cette photographie que la ville suit le tracé d'une rivière. On
4 voit également que, vers l'ouest, la vallée se transforme peu à peu en
5 plaine.
6 Mais revenons maintenant à la partie est de la ville. C'est là que se
7 trouve le quartier que l'on appelle en général la "vieille ville" et,
8 s'agissant des trois communautés qui peuplaient la ville de Sarajevo,
9 c'est un quartier que l'on associe le plus fréquemment à la communauté
10 bosnienne. C'est effectivement la partie la plus ancienne de la ville.
11 Au centre de la photographie, on trouve un autre quartier qui était avant
12 la guerre l'endroit majoritairement peuplé par la communauté croate. Et
13 lorsqu'on va vers l'ouest, on voit se multiplier les bâtiments à plusieurs
14 étages, les immeubles, où la population était particulièrement mélangée.
15 C'est dans cette partie la plus moderne de la ville que l'on trouve, parmi
16 la population, la communauté serbe très bien représentée.
17 On voit également sur cette photographie, à peu près au centre, les deux
18 hôpitaux principaux qui fonctionnaient à l'époque. Je souligne que cette
19 photographie a été prise l'année dernière en 2000, mais que s'agissant des
20 arguments développés par l'accusation, les choses sont restées assez
21 inchangées depuis cette date.
22 Nous voyons donc l'hôpital de Kosevo qui se trouvait dans une région
23 surplombant légèrement la vallée, au nord de la ville, et c'était un
24 hôpital important. Le deuxième hôpital, connu actuellement sous le nom
25 d'hôpital d'Etat et quelquefois connu sous le nom d'hôpital français,
Page 574
1 apparaît ici.
2 Dans les séries de séquence vidéo que l'accusation soumettra à la Chambre,
3 vous verrez un endroit annoté comme étant "nœud de tireurs isolés". Et
4 dans cette partie de la photographie, on voit le secteur qu'il était
5 possible de voir à partir de la meurtrière d'où tiraient les tireurs
6 isolés qui avaient une bonne visibilité de la ville et qui pouvaient donc
7 voir l'hôpital en particulier.
8 Ici, nous avons la caserne. Vous entendrez des témoins parler de cette
9 caserne, s'agissant de décrire les heures les plus noires de la ville.
10 Des routes importantes longeaient la vallée, dont l'une en particulier
11 était à l'époque, et demeure aujourd'hui, la voie de communication la plus
12 importante traversant Sarajevo de part en part, d'est en ouest. Elle
13 traverse la vallée en partant de ce quartier moderne pour arriver dans la
14 partie centrale de la photographie où elle longe, pratiquement sur tout
15 son cours, la rivière. C'est ce que je vous montre en ce moment avec le
16 pointeur.
17 On voit également sur cette photographie le bâtiment de l'assemblée,
18 bâtiment qui était très important avant le conflit et où l'on peut
19 observer aujourd'hui des traces de très nombreux pilonnages.
20 Le quartier de Grbavica est ici au premier plan, mais ressort un peu du
21 secteur pris en photo sur cette photographie panoramique. Des tireurs
22 isolés ont opéré massivement dans ce secteur.
23 Je montre également, même si la caméra de la salle aura quelque difficulté
24 sans doute à l'indiquer de façon très nette, je montre ici des positions
25 qui se trouvaient dans le quartier le plus ancien de la ville, dans la
Page 575
1 vieille ville. C'est notamment le marché de Markale qui a fait l'objet
2 d'un incident survenu le 5 février 1994, incident sanglant au cours duquel
3 un obus de mortier de 120 millimètres de calibre a tué 66 personnes qui
4 faisaient leurs courses au marché ce jour-là. La direction du tir
5 approximatif indique que ce tir devait partir de la région de Markovici,
6 que la caméra… que l'appareil photographique a sans doute eu beaucoup de
7 mal à intégrer sur la photographie.
8 A gauche et à l'arrière de cette position, on a une autre position très
9 bien connue où se situait en fait la ligne de démarcation avec le Corps de
10 Sarajevo Romanija occupant les hauteurs. Un peu en dessous donc, se
11 trouvait la ligne de démarcation avec l'armée de Bosnie-Herzégovine, et
12 l'endroit que je vous ai montré est connu sous le nom de "rocher pointu".
13 L'incident impliquant le tir de tireurs isolés s'est produit dans ce
14 secteur, juste en dessous de ce lieu dit "la pierre pointue".
15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je reviens maintenant à la
16 carte recouverte par le film de plastique pour vous montrer le
17 positionnement qui correspondra à la deuxième photographie panoramique
18 dont nous parlerons dans quelques instants. Les lignes ici montrent
19 l'endroit d'où la photographie a été prise il y a quelques mois, en
20 septembre, octobre 2001. Et sur la photographie panoramique, nous verrons
21 donc un secteur où l'on trouve, entre autres, la caserne de Lukavica et le
22 lieu du troisième incident lié à un pilonnage, ainsi que les lieux où se
23 sont produits trois incidents liés à des tireurs isolés. L'appareil photo
24 était orienté approximativement Sud/Sud-Ouest.
25 Je reviens à présent à la photographie panoramique. Je demande à la caméra
Page 576
1 de la salle de zoomer le plus loin possible en arrière pour vous montrer
2 la plus grande partie possible de cette photographie. Je fais remarquer,
3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que l'on ne voit pas toute la
4 photographie. Maintenant cela va mieux.
5 Alors cette photo, elle aussi, a été prise à partir des hauteurs. Vous
6 voyez les immeubles de Dobrinja qui correspondaient au village olympique
7 en 1984 et, au premier plan, les voies de communication qui mènent à
8 l'aéroport; en tout cas certaines d'entre elles.
9 A gauche de la photographie, vous voyez l'inscription "caserne de
10 Lukavica". Et je place le pointeur actuellement sur l'ensemble des
11 bâtiments composant cette caserne, que l'on voit donc à l'arrière de cette
12 route qui apparaît en blanc sur la photographie, avec un carrefour en "T".
13 Ce carrefour en "T" est intéressant; je demande à la caméra de la salle de
14 bien le montrer. C'est là que se trouvait ce bâtiment blanc à deux étages
15 qui abritait le bureau de l'accusé dans son poste de commandement avancé.
16 Son bureau se situait à l'étage supérieur, au coin du bâtiment, sur la
17 façade que l'on voit au premier plan à droite.
18 Maintenant, je continue à montrer ce que l'on voit sur cette photographie.
19 On arrive en allant un peu plus loin sur une église. Et, un peu plus loin
20 encore, on arrive au site d'un incident de pilonnage, puis au site d'un
21 autre incident de pilonnage. Ces deux incidents portant les numéros 1 et
22 6.
23 Je reviens sur la gauche de la photographie, et bientôt, je vais vous
24 montrer un organigramme qui montre comment étaient structurées les lignes
25 de confrontation, à peu près à cet endroit.
Page 577
1 Alors le premier incident lié à un pilonnage s'est produit au niveau de ce
2 complexe que l'on voit ici, de cette résidence en fer à cheval; ce
3 bâtiment est pratiquement identique à celui que l'on voit immédiatement
4 sur sa gauche. On a donc trois façades qui regardent vers les collines où
5 se trouve l'appareil photographique. Et derrière les arbres, sur la
6 droite, on a une réplique pratiquement identique de ce bâtiment.
7 Il y avait, au moment de l'incident, un match de football qui se déroulait
8 dans un parking situé sur la droite. Et vous voyez ici l'orientation, la
9 direction suivie par les deux obus de mortier qui ont frappé ce secteur de
10 Lukavica. Comme je l'ai déjà dit, nous allons maintenant retrouver sur la
11 photographie panoramique le lieu de cet incident n°6.
12 La nature des crimes qui constituent la base du dossier de l'accusation
13 sont telle qu'il est difficile d'en parler dans un prétoire. S'agissant
14 des tirs isolés, il s'agit de personnes qui ont été abattues à l'air libre
15 dans des conditions où le tireur était caché. S'agissant des pilonnages,
16 les tirs indirects ont pour conséquence le fait que les personnes qui ont
17 été ciblées et atteintes ne pouvaient pas, en général, voir d'où venaient
18 ces obus. L'accusation est bien consciente des difficultés qu'impliquent
19 ces circonstances pour les Juges de cette Chambre de première instance;
20 difficultés à comprendre les détails du dossier de l'accusation.
21 En général, lorsqu'on parle du site d'un crime, on utilise des
22 photographies et des cartes. Ce sera fait d'ailleurs, et cela permettra en
23 partie aux Juges de cette Chambre de se retrouver dans une situation où
24 les Juges pourront imager comment le crime s'est déroulé. Mais, pour mieux
25 aider les Juges de la Chambre, l'accusation a préparé une série de vidéos,
Page 578
1 de séquences vidéos montrant les six incidents liés à des tirs et à des
2 pilonnages.
3 S'agissant des incidents liés à des tirs isolés, si les victimes ont
4 survécu et sont capables de témoigner, les victimes ont été filmées sur le
5 lieu de l'incident et montrent précisément où elles se trouvaient à
6 l'époque de l'incident. Mais si la victime a été tuée, un témoin oculaire
7 est filmé dans la séquence vidéo et indique, au mieux de son souvenir, où
8 la victime se trouvait précisément au moment où elle a été abattue.
9 Après quoi, un représentant du Bureau du Procureur est vu dans la séquence
10 vidéo en train de placer une croix de couleur jaune sur le lieu où la
11 victime a été atteinte. Après quoi, on érige un tripode sur le lieu et la
12 caméra est réglée de façon à indiquer la dimension, le point d'entrée de
13 la balle dans le corps de la victime. Un photographe professionnel a
14 ensuite pris des photos qui montrent sur un spectre de 360 degrés où se
15 trouvent ces différentes positions. Les photographes qui ont travaillé
16 avec le Bureau du Procureur ont ensuite utilisé des appareils
17 informatiques pour montrer, dans les meilleures conditions possibles, les
18 images en question avec un angle de 360 degrés et permettre l'utilisation
19 d'une souris informatique pour naviguer en haut, en bas, à gauche, à
20 droite, sur ces images.
21 Le conseil de la défense, Me Pilipovic, a pu assister au tournage de ces
22 incidents en vidéo en septembre de l'année dernière.
23 Les incidents liés à des pilonnages ont été filmés dans les mêmes
24 conditions, et tous ceux qui ont participé au tournage de ces séquences
25 seront présentés, seront cités à la barre par l'accusation pour témoigner
Page 579
1 et attester des faits qu'ils d'écrivent; attester de la véracité de ces
2 faits en confirmant ce qu'ils disent dans les séquences vidéo.
3 En temps utile, et dans les mêmes conditions, l'ensemble de ces incidents
4 filmés seront soumis à la Chambre par l'accusation en tant qu'éléments de
5 preuve. Une série de séquences figurera au dossier du procès et sera
6 communiquée à la défense. Ce montage vidéo sera donc associé à une note
7 indiquant où commence chacune des séquences, à quelle date ces séquences
8 ont été filmées, quel est l'incident particulier qui fait l'objet des
9 images qui sont montrées dans la séquence en question, ainsi que le nom
10 des personnes filmées et le rôle que ces personnes ont joué; par exemple
11 enquêteur, interprète, témoin, caméraman, etc.
12 La position du site sera répertoriée grâce à l'utilisation d'un système de
13 positionnement par satellite, ce qui permettra à chacun de se rendre
14 compte au mieux des possibilités de l'emplacement du site en question et
15 de ce que représente la séquence vidéo filmée par les caméramen.
16 La direction de la prise des images vidéo sera indiquée également et,
17 lorsque les photographies panoramiques ont été prises, je souligne
18 qu'elles sont toujours orientées Nord, vers le Nord. Donc, une série de
19 photographies sera soumise qui sont toutes prises en faisant face au Nord.
20 Je vais maintenant parler d'un incident lié à un tireur isolé, à des
21 tireurs isolés et il s'agit de l'incident n°6.
22 Nous lisons comme annotation liée à cet incident: "11 juillet 1993,
23 Zametica, Munira Zametica". Il s'agissait d'une femme âgée de 48 ans,
24 abattue alors qu'elle allait chercher de l'eau dans la Dobrinja, dans le
25 quartier de Dobrinja 2 et 3. La scène du meurtre était donc le bord de la
Page 580
1 rivière Dobrinja qui traverse le quartier de Dobrinja grâce à un canal
2 cimenté. Les habitants du quartier avaient l'habitude d'aller chercher de
3 l'eau dans ce canal puisque, à la maison, les adductions d'eau avaient été
4 coupées. Ce canal était orienté Est-Ouest à partir de la caserne de
5 Lukavica, et il était traversé à intervalles réguliers par des ponts et
6 des routes.
7 J'aimerais maintenant qu'on vous présente la deuxième carte.
8 (Intervention de l'huissier.)
9 Merci, Monsieur l'huissier.
10 Vous voyez ici un gros plan de la première carte qui a été faite par
11 moyens électroniques, ces moyens permettant donc de montrer des gros plans
12 de toute partie de la carte que l'on souhaite voir plus en détail.
13 Vous voyez ici, en rouge, le site, l'endroit où a eu lieu l'incident n°6.
14 Et j'appelle les Juges de cette Chambre à remarquer que les deux autres
15 incidents, liés à des tirs isolés, se situent très près de cet endroit. Je
16 veux parler des incidents 18 et 22.
17 On voit aussi, sur cette carte, la position d'un incident lié à un
18 pilonnage; c'est l'incident n°1 qui se trouve ici.
19 Le grand cercle rouge que je vous montre maintenant est l'endroit où se
20 trouve la photographie que vous avez vue il y a quelques instants sur la
21 photo panoramique. Sur la gauche de cette église, on voit la ligne de
22 démarcation avec, en vert clair, les positions les plus avancées de
23 l'armée de Bosnie-Herzégovine et, en vert foncé, les positions du Corps de
24 Sarajevo Romanija, SRK. La difficulté que présente cette carte, c'est que
25 l'accusation va citer à la barre des témoins qui vous diront que les
Page 581
1 incidents liés à des tirs isolés visant Dobrinja à partir de ce bâtiment
2 étaient très fréquents pendant la période la plus sombre de ces
3 événements.
4 En effet, à partir de certains immeubles de la résidence que l'on voit
5 ici, indiquée par ce point rouge, donc une partie de ces immeubles occupés
6 par le Corps de Sarajevo Romanija était à l'origine de la plupart de ces
7 tirs isolés. Les témoins vous indiqueront que la distance séparant
8 l'église et le site de l'incident n°6 était d'à peu près 900 mètres, et
9 que la distance séparant les immeubles de cette résidence et le lieu de
10 l'incident n°6 était d'à peu près 740 mètres. En bleu, ici, cette ligne
11 indique le parcours de la rivière Dobrinja avec, ici, le point plus
12 particulier que représente le canal cimenté ou bétonné.
13 Les témoins vous diront que les tireurs isolés tiraient plus
14 particulièrement sur le site du canal. Et on voit des positions multiples
15 qui semblent indiquer que le quartier résidentiel, ici, qui, comme vous le
16 savez, était traversé par plusieurs ponts -des ponts piétonniers d'une
17 part dans cette zone et ensuite, des ponts routiers-, permettait de viser
18 de façon variable le site de l'incident n°6, et tous les autres sites
19 jusqu'au site de l'incident 18. Et des barrages ont été érigés, ici, sur
20 ces ponts, à plusieurs reprises.
21 Je vous montre également le pont qui se trouve à l'arrière du site de
22 l'incident n°6, ici.
23 Tous ces endroits ont été la cible de tirs très nombreux. De nombreuses
24 victimes sont tombées également dans les zones environnant le site de
25 l'incident n°6. Il arrivait que les tireurs isolés tirent toute la journée
Page 582
1 ou plusieurs jours de suite. Cet incident a eu lieu -comme je l'ai déjà
2 dit-, juste en dessous du pont piétonnier que je vous ai montré à
3 l'instant.
4 Le 11 juillet 1993, un jour d'été, à environ 14 heures, la victime et un
5 de ses voisins, (expurgé) se sont approchés du pont pour y
6 chercher de l'eau dans le canal. Ils ont vu plusieurs personnes qui se
7 protégeaient contre le mur de béton qui était à la base du pont, et qui
8 offrait une protection temporaire par rapport aux positions d'où tiraient
9 les tireurs du SRK. Et des personnes qui se trouvaient là avant elles leur
10 ont dit que des balles avaient déjà été tirées dans l'eau.
11 Donc ce groupe cherche une protection le plus rapidement possible sur les
12 berges du pont, et cherche néanmoins à remplir ses seaux d'eau le plus
13 vite possible. Une personne s'en va, puis une autre s'approche d'un seau
14 qui est déjà rempli et, lorsque cette femme s'approche, elle est frappée à
15 la poitrine. Elle se retourne et est frappée par une autre balle à la
16 nuque, puis elle tombe. Sa fille de 16 ans, qui se trouvait tout près,
17 accourt: elle arrive, elle voit sa mère gisant face contre terre près de
18 la rive et elle, ainsi que d'autres personnes, sont empêchées de retirer
19 le corps de la victime pour l'emporter jusqu'à un endroit plus sûr par les
20 tirs qui se poursuivent.
21 La fille de la victime voit les balles qui frappent la surface de l'eau,
22 le fils de la victime arrive; il tente de s'approcher de sa mère mais ils
23 sont tous obligés de reculer en raison des tirs qui se poursuivent. Et un
24 autre voisin se fournit une corde, l'attache autour du bras de la victime
25 et est alors capable de tirer le corps jusqu'à un secteur, jusqu'à une
Page 583
1 zone plus sûre. Mais, à ce moment-là, la mère était déjà morte.
2 Sur la séquence vidéo, vous verrez, Monsieur le Président, Messieurs les
3 Juges, que la victime et sa voisine étaient accompagnées d'un certain
4 nombre de personnes jusqu'au site de l'incident -donc je parle des
5 fondations en béton de ce canal et que, donc, des personnes se trouvaient
6 à quelques mètres de la victime lorsqu'elle a été abattue.
7 Ces personnes vous parleront du lieu où l'incident s'est produit et du
8 moment précis où cette femme a été tuée. Vous verrez également une autre
9 personne sur les images vidéo qui inscrira une croix à l'endroit où elle
10 dit avoir vu la victime tomber. Cette croix est de couleur jaune. Vous
11 entendrez les propos tenus par ces personnes; vous entendrez l'enquêteur
12 parler en anglais et vous entendrez le voisin de l'enquêteur le traduire
13 en BCS.
14 (Diffusion d'une vidéo.)
15 (Sans traduction.)
16 M. Ierace (interprétation): Comme je l'ai dit précédemment, un certain
17 nombre de photographies ont été prises après que la croix ait été apposée
18 sur le sol. Ces photographes, grâce à un certain logiciel, ont été montées
19 de telle façon à ce que l'on puisse obtenir une vue à 360 degrés. Je vais
20 maintenant demander à ce que cette photographie soit maintenant présentée
21 à l'écran, afin que vous puissiez l'examiner.
22 Je vais également demander à ce que l'on donne un aperçu complet de cette
23 photographie qui couvre un angle de 360 degrés. On commence à l'Est du
24 canal, sous le pont. N'oubliez pas, Messieurs les Juges, que cela a été,
25 en fait, pris depuis l'endroit où se trouvait la victime.
Page 584
1 Maintenant, nous nous trouvons à la hauteur de la pente, nous sommes donc
2 au Sud de la rive. Nous sommes maintenant à l'Ouest, nous regardons l'aval
3 du canal, nous nous déplaçons de Lukavica, nous sommes donc à l'opposé de
4 Lukavica, nous nous approchons de l'église. Et nous sommes maintenant
5 orientés au Nord.
6 Je vais maintenant demander à ce que l'on regarde à l'Est par rapport au
7 canal. Et je demande à ce qu'il y ait un gros plan fait sur les berges du
8 canal. Nous indiquerons que le bâtiment, à droite, qui est un bâtiment
9 blanc sur l'image, est en fait le clocher ou ce qui reste de l'église.
10 Vous trouvez à gauche le bâtiment qui était occupé par les forces du SRK,
11 qui se trouve juste derrière ces buissons. Et je pense qu'il sera, au
12 cours du procès, possible d'établir précisément tous éléments qui
13 apparaissent sur les photographies. Je vous remercie.
14 M. Nieto-Navia (interprétation): Est-ce que nous disposons de cette
15 photographie?
16 M. Ierace (interprétation): Oui, nous disposons de cette photographie en
17 version papier. J'avais compris que vous disposiez de ces photographies.
18 Est-ce que les conseils de la défense disposent d'un exemplaire de cette
19 photographie? J'ai cru comprendre qu'on leur en avait donné un exemplaire,
20 de ces photographies. En tout cas, des exemples sont tout prêts à être
21 distribués.
22 (L'huissier distribue des exemplaires.)
23 On voit plus clairement sur cette photographie l'église.
24 Puisque nous avons encore sous les yeux la vue panoramique, nous allons
25 revenir brièvement sur ce qui apparaît sur cette image pour annoncer un
Page 585
1 certain nombre de points.
2 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vais indiquer l'église qui
3 apparaissait également sur la séquence vidéo, et je vais à nouveau
4 indiquer l'endroit où se trouvait la caserne de Lukavica où l'accusé avait
5 son bureau. Je vous montre qu'il y a une courte distance qui sépare le
6 bureau de l'accusé du lieu d'où les tirs étaient tirés et nous regardons
7 là le quartier de Dobrinja.
8 Nous voyons donc quel est un petit peu l'emplacement des différents lieux
9 qui nous intéressent pendant toute la période couverte par l'Acte
10 d'accusation, et nous vous soumettrons des éléments de preuve qui vous
11 permettront d'indiquer précisément ces différentes positions.
12 On a souvent fait référence à la bataille de Sarajevo comme étant un
13 siège, mais ce n'est pas un siège tel qu'il est souvent entendu dans le
14 domaine militaire, ce n'est pas non plus le terme que l'on trouvait
15 parfois dans le droit international et il ne convient pas ici d'établir
16 clairement ce que l'on entend par le terme siège. Nous ne parlons pas ici
17 de savoir pourquoi une campagne a été menée à Sarajevo, il s'agit plutôt
18 de savoir de quelle façon cette campagne a été menée.
19 Pour la première fois, ce Tribunal va entendre une affaire au cœur de
20 laquelle se trouvent des incidents qui placent exclusivement et
21 explicitement l'accent sur la conduite des hostilités. Nous allons
22 notamment parler de l'étendue de l'obligation qui incombe à un commandant
23 militaire de protéger la vie des populations civiles pendant un conflit
24 armé. Les lignes de confrontation à certains moments du conflit ont
25 traversé des zones urbaines. Nous pouvons donc partir du principe qu'il
Page 586
1 existait, dans les limites de la ville, un certain nombre de cibles
2 militaires tout à fait légitimes.
3 Par conséquent, l'accusation ne conteste pas que la campagne militaire
4 générale menée à Sarajevo était illégale, ne conteste pas non plus que
5 certaines des attaques qui ont été menées pendant la période couverte par
6 l'Acte d'accusation comprenaient un certain nombre d'activités de combat
7 légales. Cela étant dit, parallèlement à ces opérations de combat légales,
8 il apparaît clairement que des civils ont été bombardés, ont fait l'objet
9 de tirs embusqués tout à fait illégaux et que ces actes ont été perpétrés
10 sur une échelle géographique et temporelle tel qu'ils constituent une
11 campagne délibérée qui a été menée dans l'intention d'instaurer un climat
12 de terreur dont a souffert chaque habitant de la ville.
13 Dans le cours de ce procès, nous vous demanderons de vous pencher sur
14 certains principes fondateurs du droit humanitaire international, des
15 principes qui sont essentiels dès lors que l'on parle de la conduite des
16 hostilités. Ces principes de droit ont peut-être été moins pertinents dans
17 le cadre d'autres affaires qui ont été jusqu'à présent entendues par ce
18 Tribunal.
19 Le premier de ces principes est celui dit de distinction. Ce principe est
20 la pierre angulaire du droit international humanitaire et place le
21 commandant militaire sous l'obligation d'établir à tout moment une
22 distinction entre les objectifs militaires et civils. Le commandant à tout
23 moment est obligé de n'utiliser la force que contre des objectifs
24 militaires. La définition d'un objectif militaire ne fait pas l'objet d'un
25 accord, cependant, l'on peut affirmer sans nul doute que seuls des
Page 587
1 combattants constituent des objectifs légaux, les civils en aucun cas ne
2 peuvent constituer de tels objectifs. De la même façon des bâtiments, des
3 objectifs utilisés à des fins militaires peuvent être ciblés alors que les
4 bâtiments qui sont exclusivement utilisés à des fins civiles, ne peuvent
5 pas être ciblés.
6 Deuxième principe fondamental, le principe dit de proportionnalité qui
7 oblige un commandant militaire, quand il essaie de savoir s'il veut lancer
8 une attaque contre un objectif militaire légitime, de décider donc s'il
9 souhaite se livrer à un certain type de calcul, calcul par lequel il doit
10 évaluer quel est l'avantage militaire que l'on pense obtenir grâce à cet
11 acte. Est-ce que cet avantage militaire est tel peut-être qu'il l'emporte
12 sur l'étendue des pertes civiles qui en découleront certainement?
13 Une évaluation rationnelle de la proportionnalité doit donc être effectuée
14 pendant que l'attaque est menée. Elle doit également intervenir avant et
15 pendant l'attaque. Ce principe absolu est régi par la raison et c'est
16 toujours à ce principe qu'il faut se référer pendant toute la durée de
17 l'opération.
18 D'après l'accusation, les attaques menées par les forces placées sous le
19 commandement et le contrôle de l'accusé n'ont pas mené à bien ce calcul,
20 n'ont pas fait ce bilan, n'ont pas retenu la notion de raison qui doit
21 être acceptée par les commandants militaires responsables. Nous souhaitons
22 aider la Chambre de première instance à se référer à ces normes
23 fondamentales du droit humanitaire international qui doivent être
24 appliquées dans le cadre du combat armé moderne.
25 De façon très simple, nous pouvons dire que la doctrine qui sera élaborée
Page 588
1 dans le cadre de ce procès sera d'un intérêt tout particulier, sera en
2 fait un test décisif pour les forces militaires de par le monde.
3 Si nous nous penchons maintenant sur les chefs d'accusation, nous nous
4 apercevons que six des sept chefs retenus dans l'Acte d'accusation
5 traitent de l'assassinat de civils, de blessures infligées aux civils dans
6 le cadre de la campagne. Le septième chef d'accusation qui apparaît en
7 premier lieu dans l'Acte d'accusation indique que l'accusé a violé les
8 lois ou coutumes de la guerre en infligeant la terreur et des souffrances
9 mentales à la population civile de Sarajevo.
10 Je souhaiterais pour ma part m'attacher plus particulièrement à ce chef
11 d'accusation. Pendant toute la période couverte par l'Acte d'accusation,
12 le nombre de victimes civiles découlant de la campagne menée a atteint
13 plusieurs milliers, mais par opposition aux autres six chefs, les victimes
14 de ces crimes n'étaient pas seulement des habitants de Sarajevo abattus ou
15 blessés, il s'agissait également de personnes qui ont été terrorisées par
16 la conduite de cette campagne. Si l'accusé avait simplement souhaité tuer
17 autant d'habitants de Sarajevo que possible, eh bien, il n'aurait pas dû
18 s'y prendre de la sorte car il disposait des moyens lui permettant
19 d'atteindre des chiffres de victimes plus élevés. La ville était entourée
20 de collines qui fourmillaient de mortiers, de tanks, d'obusiers, de lance-
21 roquettes, d'autres pièces d'artillerie encore. Les moyens étaient là. Il
22 apparaît au vu des caractéristiques de la campagne menée sur une période
23 de temps prolongé, que l'intention n'était pas de tuer autant de civils
24 que possible. Il s'agissait plutôt d'insuffler dans l'esprit de chaque
25 citoyen l'idée que, aussi longtemps qu'ils restaient à Sarajevo, eux-mêmes
Page 589
1 et leurs proches allaient vivre dans une situation à laquelle ils ne
2 pouvaient échapper, où le risque de mort était omniprésent.
3 Ainsi que certains témoins le feront valoir, une fatalité morbide s'est
4 emparée de tous les civils de Sarajevo. Il apparaissait qu'il ne servait à
5 rien d'essayer de se protéger contre les mortiers, contre le tir des
6 tireurs embusqués. La mort les attendait à chaque tournant et la mort
7 viendrait quelles que soient les mesures prises pour s'en défendre.
8 Les soldats ont exprimé également le sentiment selon lequel ils se
9 trouvaient plus en sécurité sur le front que lorsqu'ils se trouvaient en
10 permission dans les zones civiles. Sur le front, ils savaient d'où le
11 danger pouvait venir alors que, dans les quartiers de la ville, la mort
12 pouvait survenir n'importe où, n'importe quand.
13 Comme nous l'avons dit précédemment, les témoins qui seront appelés à
14 comparaître donneront des exemples relatifs aux 26 incidents de tir
15 embusqué et aux 5 incidents de bombardement, ces incidents qui sont repris
16 dans l'Acte d'accusation. Les témoins s'exprimeront également sur d'autres
17 incidents dont ils ont été victimes, dont des voisins, dont des proches
18 ont été victimes.
19 A cette époque, un habitant de Sarajevo connaissait nombre de personnes
20 dans son entourage qui avaient été victimes de cette campagne. Grâce à ses
21 différents témoignages, la Chambre de première instance pourra prendre
22 conscience de l'étendue de la campagne, comprendra comment la société de
23 Sarajevo s'est trouvée touchée dans sa fibre même, comprendra comment,
24 bien au-delà du nombre de victimes, la campagne a réussi à insuffler ce
25 sentiment de terreur et de crainte permanente.
Page 590
1 La pression psychologique exercée sans relâche sur la population civile a
2 eu des conséquences dramatiques sur le bien-être de ladite population.
3 J'en veux pour preuve le nombre de personnes qui se sont rendues dans des
4 cliniques psychiatriques pendant et après le conflit. Des psychiatres
5 experts viendront témoigner, démontreront que la crainte qui prévalait à
6 Sarajevo pendant la période couverte par l'Acte d'accusation était
7 extrême, qu'elle était bien supérieure à celle à laquelle on serait en
8 droit de s'attendre dans le cadre d'un conflit armé. Si l'on regarde le
9 chef d'accusation qui ne traite pas de la terreur, eh bien, il apparaît
10 que nombre des civils qui se trouvaient impliqués dans ce conflit armé
11 subissaient ce climat de terreur.
12 Il est absolument traumatisant de comprendre que l'on est soi-même, que
13 les proches, que les voisins sont au cœur de la campagne, qu'il sont fait
14 la cible de la campagne, qu'il n'y a nulle part où se réfugier. La
15 souffrance des civils n'est pas un produit dérivé du conflit armé qui a eu
16 cours à Sarajevo. La souffrance des civils est en fait la conséquence
17 principale de cette campagne.
18 Si l'on regarde les faits, une conclusion s'impose. Les attaques menées
19 contre les civils de Sarajevo avaient principalement pour but, si ce n'est
20 exclusivement, de terroriser la population civile de Sarajevo.
21 Il est reconnu que le fait de répandre la terreur dans une population
22 civile est tout à fait contraire au droit coutumier international. Nous
23 notons cependant que ce type de chef d'accusation n'a jamais été jugé par
24 une instance de droit international. Les deux protocoles additionnels aux
25 Conventions de Genève de 1989, 1949 pardon, interdisent que des campagnes
Page 591
1 de terreur soient menées contre des populations civiles. L'accusé s'est
2 livré à ces actes par le biais des forces qui étaient placées sous son
3 commandement et sous son contrôle. Souvent, le fait de répandre la terreur
4 est lié à des objectifs très précis qui sont ceux de l'auteur des actes
5 et, dans ce cas, le fait de répandre la terreur est étroitement lié aux
6 objectifs plus généraux des dirigeants serbes de Bosnie.
7 Si la terreur qui a été répandue avait sapé le moral des civils ou s'il
8 avait sapé la volonté politique du gouvernement de Bosnie-Herzégovine à un
9 tel point que celui-ci aurait capitulé, alors il convient d'indiquer que
10 les objectifs plus généraux que j'évoquais tout à l'heure auraient été
11 atteints.
12 J'en viens maintenant à l'accusé. L'accusé est né le 12 mars 1943 dans le
13 village de Golesa dans la municipalité de Banja Luka. C'était un soldat de
14 carrière de la JNA; il est devenu à terme commandant de la 30e Division
15 des partisans. En mai 1992, lorsqu'il y a eu transition de… passage de la
16 JNA en armée de la Republika Srpska, l'accusé est resté au poste de
17 commandant de la division, qui s'est vue rebaptisée. Elle portait
18 désormais le nom de 30e Division d'infanterie. A ce titre, il a pris part
19 à un certain nombre d'opérations militaires dans la zone opérationnelle du
20 1e Corps de Krajina, y compris Jajce. Il a été désigné au poste de
21 commandant du Corps de Sarajevo Romanija par le Président de la Republika
22 Srpska, le Professeur Radovan Karadzic, le 31 août 1992.
23 En novembre de la même année, il a été promu du grade de colonel à celui
24 de général de division. Il est resté à ce poste jusqu'en août 1994, date à
25 laquelle il a été remplacé. Peu de temps après, il se retirait de son
Page 592
1 service d'active. Cela a été officialisé par un décret en date du 30
2 septembre 1994.
3 Par conséquent, l'on peut dire que l'accusé a assumé le commandement du
4 SRK alors qu'il était un soldat professionnel jouissant d'une grande
5 expérience. Il venait d'accomplir des missions dans d'autres secteurs
6 d'intervention de la VRS.
7 Si l'on regarde maintenant la doctrine militaire, eh bien, l'on s'aperçoit
8 que celle qui était au cœur du fonctionnement de la JNA est devenu la
9 doctrine qui était au cœur de la VRS.
10 L'accusé, ses subordonnés ont continué à suivre la même doctrine, doctrine
11 qui lui était hautement familière. Au cœur même de ce système était l'idée
12 selon laquelle chaque niveau de la structure dépendait des ordres émanant
13 des échelons supérieurs.
14 Un système de briefing régulier, la distribution de documents écrits
15 permettaient de faire descendre ces ordres le long de la chaîne de
16 commandement. Un mécanisme de transmission d'informations quotidien
17 permettait au supérieur de savoir de quel résultat les ordres avaient été
18 suivis.
19 Ainsi, le Corps agissait en tant qu'unité parfaitement intégrée,
20 opérationnelle, placée sous les ordres d'un commandant suprême.
21 Conformément à cette doctrine, le commandant est doté d'une autorité qui
22 lui permet de commander son état-major, les unités subordonnées, les
23 institutions et le personnel qui se trouvent à l'intérieur de ces
24 différentes entités. Cette doctrine établit également la responsabilité du
25 commandant réitérant le concept selon lequel certain commandant peut
Page 593
1 déléguer son autorité à des officiers subordonnés, mais il reste en tout
2 état de cause responsable des actions desdits subordonnés.
3 Peu de temps après sa formation, la Republika Srpska a adopté des
4 instruments clefs du droit international régissant le comportement des
5 forces armées. Ce faisant, la Republika Srpska a reconnu la responsabilité
6 de chaque niveau de sa structure militaire, au regard du droit
7 international qui régit les conflits armés.
8 Le commandant en chef de la VRS était le Président, le Professeur Radovan
9 Karadzic. Placé directement sous ses ordres, était le Général Ratko Mladic
10 qui était le commandant de l'état-major général de la VRS. L'état-major
11 général de la VRS avait sous ses ordres un certain nombre de Corps de la
12 VRS, parmi lesquels le SRK.
13 Si nous regardons la structure du SRK, l'on s'aperçoit qu'un certain
14 nombre d'unités la constituaient. Ce sont ces unités qui se sont livrées à
15 ces actes de tir embusqué, à ces actes de bombardement. Dans le cadre de
16 ces unités, des ressources étaient à la disposition de l'accusé qui lui
17 auraient permis de prendre des mesures de sanction.
18 Pour ce qui est du terme "tir embusqué", il est important de comprendre
19 que l'utilisation qui sera faite de ce terme dans le cadre du procès ne se
20 limite pas simplement à son acception militaire. Selon sa définition
21 militaire, un tireur embusqué est un tireur professionnel utilisant un
22 fusil et une lunette spécialisés. Nous allons utiliser ce terme dans un
23 sens plus large, et nous inclurons dans les tireurs embusqués les membres
24 de troupes régulières utilisant des armes telles que les fusils de chasse,
25 les mitrailleuses et les fusils antiaériens.
Page 594
1 Dans le montage vidéo que vous verrez dans quelques instants, vous pourrez
2 voir une mitrailleuse qui est bien connue des habitants de Sarajevo, qui a
3 été baptisée à l'époque la "grande faucheuse", qui avait été montée avec
4 une lunette télescopique. Vous verrez également un canon antiaérien placé
5 dans le nid d'un des tireurs embusqués, qui dominait l'hôpital d'Etat.
6 Je vais maintenant vous montrer un diagramme qui vous donne la structure
7 du SRK.
8 (Intervention de l'huissier.)
9 Nous allons regarder ensemble ce tableau, Monsieur le Président, Messieurs
10 les Juge.
11 Je voudrais mettre l'accent sur les chaînes de responsabilité, sur la
12 façon dont les unités d'artillerie, dont les tireurs faisaient partie des
13 troupes régulières, et donc, étaient placés sous l'autorité de leurs
14 commandants parmi lesquels se trouvait l'accusé.
15 La structure du SRK était une structure à quatre niveaux, quatre niveaux
16 de forces placées sous le commandement du commandant de Corps. Il y avait
17 l'état-major général du commandant, les brigades, les bataillons et enfin,
18 les compagnies.
19 Il y avait neuf brigades comptant environ 2.000 hommes chacune, les
20 bataillons étaient au nombre de 37 au moins, ce qui représente 37
21 bataillons comptant de 200 à 700 hommes. Et enfin, les compagnies qui
22 regroupaient chacune 50 hommes.
23 Comme nous l'avons indiqué précédemment, au coeur de la doctrine militaire
24 de la VRS, il y a l'idée qu'à chaque niveau de la structure, il y a
25 respect des ordres qui émanent de l'échelon supérieur. Pour le dire d'une
Page 595
1 autre façon, eh bien, les 18.000 hommes du SRK étaient placés sous la
2 responsabilité de l'accusé et agissaient sous ses ordres. Il revenait donc
3 à l'accusé de savoir ce qui se passait, de rythmer les activités de combat
4 et de prendre leur direction.
5 L'accusé fournissait à son état-major général des objectifs opérationnels.
6 Il revenait alors à l'état-major de concevoir un plan permettant
7 d'atteindre les objectifs fixés. Les ordres étaient donnés qui
8 permettaient la mise en oeuvre de ce plan. Ces ordres étaient ensuite
9 transmis par la chaîne de commandement.
10 L'on parlait du quartier général du Corps, ensuite on passe au quartier
11 général des brigades, donc des neuf brigades que j'ai évoquées tout à
12 l'heure. Ces neuf brigades entouraient la ville de Sarajevo.
13 Ces réunions d'information étaient tenues à chaque échelon, donc au niveau
14 des brigades, mais également au niveau des bataillons, puis au niveau des
15 compagnies. Les lignes de communication fonctionnaient dans les deux sens.
16 Il convenait également que l'échelon le plus bas de la structure puisse
17 transmettre l'information à l'échelon le plus haut, ainsi des rapports
18 quotidiens étaient envoyés qui portaient sur la mise en oeuvre des ordres
19 et des activités de combat.
20 Ce système de communication est typique de celui qui est d'application au
21 sein des forces armées modernes; c'est un moyen simple de s'assurer que
22 les forces qui se trouvent à l'échelon le plus bas comprennent ce que l'on
23 attend d'elles. C'est également un système qui permet au commandant, dans
24 le cas d'espèce l'accusé, d'être tout à fait au fait des activités menées
25 par ses forces.
Page 596
1 Grâce à ce système, le Corps agissait comme une formation intégrée qui
2 exécutait les ordres du commandant suprême, en l'occurrence l'accusé.
3 L'organigramme montre aussi qu'au sein de la structure placée sous son
4 commandement, l'accusé disposait d'unités de police militaire. Il aurait
5 pu avoir recours à ces unités de police militaire pour mener des enquêtes
6 portant sur les allégations de conduite illégale de ses troupes. Il
7 disposait donc d'un bataillon de police militaire qui était responsable
8 devant le quartier général du Corps, et puis, il disposait également au
9 sein des bataillons de compagnies de police militaire.
10 L'organigramme vous montre quelles sont les compagnies dont nous savons
11 qu'elles existaient, quelles étaient en place. L'accusation estime que
12 chaque brigade disposait de ce type d'unité de police militaire.
13 Pour ce qui est toujours de cet organigramme, je voudrais vous indiquer
14 les unités d'artillerie et les unités de tireurs embusqués. Vous avez les
15 unités d'artillerie qui apparaissent en rouge, à différents niveaux de la
16 structure du SRK.
17 J'en reviens au premier ensemble de cadres que j'ai indiqués, et je vous
18 invite à remarquer que ces unités d'artillerie étaient placées directement
19 sous le contrôle du quartier général de l'accusé. Il s'agissait donc de
20 subordonnés assez haut placés, dépendant directement de l'accusé. Au
21 niveau des brigades et des bataillons, il y avait d'autres unités
22 d'artillerie.
23 L'organigramme vous montre également -et je vous renvoie aux encadrés
24 vert…
25 M. le Président (interprétation): Monsieur Ierace, si vous me le
Page 597
1 permettez, je vais intervenir.
2 Nous avons sous les yeux un exemplaire en noir et blanc, vous faites
3 référence à des couleurs qui n'arrivent pas clairement à l'écran, donc
4 nous ne vous suivons pas aussi bien que nous le pourrions. Nous allons
5 faire une pause d'ici quelques minutes. Je propose que, pendant la pause,
6 vous veilliez à ce que la défense reçoive des exemplaires couleur et à ce
7 que les Juges reçoivent des exemplaires couleur de cet organigramme.
8 M. Ierace (interprétation): Est-ce que le moment est venu de nous
9 interrompre, Monsieur le Président?
10 M. le Président (interprétation): De combien de temps souhaitez-vous
11 disposer?
12 M. Ierace (interprétation): Au moins 20 minutes, si ce n'est 30.
13 M. le Président (interprétation): N'oublions pas que les interprètes
14 doivent se reposer. Je prends bonne note de ce que vous nous avez dit,
15 Maître.
16 Peut-être pouvez-vous conclure la partie à laquelle vous êtes en train de
17 faire référence? Disons que vous êtes tout à fait libre de vous
18 interrompre ou maintenant ou d'ici deux, trois minutes.
19 M. Ierace (interprétation): En fait, il serait bon que nous nous
20 interrompions maintenant, car j'allais passer à une autre partie de
21 l'organigramme; j'allais très rapidement vous dire un certain nombre de
22 choses et passer à autre chose.
23 M. le Président (interprétation): Très bien, j'ai un peu de mal à voir
24 l'heure exacte, il y a un reflet sur l'horloge, mais je propose que nous
25 suspendions l'audience et que nous nous retrouvions à 16 heures 15. Je
Page 598
1 vous remercie.
2 (L'audience, suspendue à 15 heures 44, est reprise à 16 heures 17.)
3 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Ierace de nous avoir
4 remis des copies couleur des documents. Je demande à la défense si elle a
5 obtenu également des copies couleur?
6 (Signe affirmatif de la défense.)
7 Merci.
8 Monsieur Ierace, vous pouvez poursuivre.
9 M. Ierace (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
10 Avant de vous montrer les documents graphiques, je vais montrer sur
11 l'organigramme et sur l'écran où se trouvent les cases qui correspondent
12 aux tireurs isolés et aux pièces d'artillerie.
13 On ne voit pas à l'écran la couleur rouge qui indique la case réservée aux
14 unités d'artillerie, mais je vous les montre avec le pointeur; elles se
15 trouvent ici dans la chaîne de commandement. Je vous indique également la
16 position des sites d'où opéraient les tireurs embusqués dans toute cette
17 structure, au niveau des compagnies notamment.
18 L'organigramme vous montre également la chaîne d'information et de
19 restitution des résultats. Cette chaîne descend du haut vers le bas,
20 c'est-à-dire du quartier général du Corps jusqu'aux compagnies et remonte
21 ensuite des compagnies jusqu'à l'échelon supérieur.
22 Je vais maintenant parler de la responsabilité de l'accusé, en application
23 de l'Article 7.1 du Statut de ce Tribunal.
24 L'accusation affirme que les actes illégaux décrits dans l'Acte
25 d'accusation et notamment ce que l'on trouve dans les annexes de l'Acte
Page 599
1 d'accusation, ainsi que d'autres actes de nature similaire, ont été
2 planifiés ou ordonnés par l'accusé.
3 Les armées fonctionnent dans le respect des principes de subordination et
4 de contrôle. Les actes commis par des forces militaires sur le théâtre des
5 opérations sont dans le temps les actes ordonnés par les commandants, et
6 lorsque j'emploie le mot "ordonnés", je ne veux pas dire nécessairement
7 qu'il s'agit uniquement des actes ordonnés par écrit par un commandant.
8 Cependant, compte tenu du degré d'illégalité de la campagne, tout à fait
9 manifeste, il serait surprenant que des ordres écrits aux fins d'ordonner
10 de tels actes existent encore ou qu'ils n'aient été émis que de façon
11 verbale.
12 Le monde entier regardait ce qui se passait. L'échelle temporelle et
13 géographique de la campagne montre bien que cette campagne a constitué une
14 campagne délibérée qui a dû être le résultat d'ordres émanant à l'époque
15 du niveau suprême de commandement du SRK, c'est-à-dire de l'accusé.
16 Cette campagne n'aurait pas pu se poursuivre pendant 22 mois et se
17 déroulait un peu partout dans la ville, avec… donc de l'autre côté de la
18 ligne de démarcation par rapport à l'accusé, si cela ne s'était pas passé
19 sur les ordres de l'accusé.
20 Cette opération militaire durable n'a pas eu lieu spontanément. Elle
21 était organisée avant l'arrivée de l'accusé. Et comme le prouve à l'envi
22 la fourniture continue de munitions par l'accusé à ceux qui étaient
23 responsables de la conduite de cette campagne, l'accusé a bel et bien
24 choisi de poursuivre et de faire durer cette campagne. Le fait qu'il
25 obéissait sans doute aux ordres de ses supérieurs, c'est-à-dire du général
Page 600
1 Mladic et du Président Karadzic, lorsqu'il a émis ces ordres de poursuite
2 de la campagne, ne l'exonère pas de sa responsabilité.
3 En rapport avec l'Article 7.3 du Statut, nous disons que même si -et cela
4 serait tout à fait extraordinaire- l'accusé n'avait pas ordonné la
5 conduite de cette campagne, le droit international coutumier impose des
6 obligations très claires aux commandants militaires qui sont tenus de
7 prévenir ou de punir les actes illégaux commis par leurs subordonnés.
8 L'accusé n'a rien fait pour empêcher la poursuite de la campagne et n'a
9 pas sanctionné ceux qui étaient responsables. Ce fait confirme sa
10 responsabilité. Bien que l'accusé dans le mémoire préalable au procès le
11 nie, il ne fait aucun doute qu'il savait que des actes illégaux étaient
12 commis par ses subordonnés, compte tenu du système de restitution de
13 l'information du SRK qui avait pour but de l'informer, au quotidien, des
14 combats qui étaient en cours, immédiatement au niveau de commandement
15 inférieur.
16 Il est extraordinaire de penser que ces attaques n'aient pas été
17 communiquées tout le long de la chaîne de commandement, même si cela n'a
18 pas été fait sous forme écrite, compte tenu de leur caractère
19 particulièrement illégal.
20 A part ce système de restitution de l'information qui existait au sein du
21 Corps de Sarajevo Romanija, l'accusé et ses subordonnés les plus
22 importants au quartier général du Corps recevaient très souvent des
23 plaintes officielles relatives aux pilonnages et aux tirs isolés visant la
24 population civile, plaintes qui émanaient de nombreux observateurs
25 militaires des Nations Unies ainsi que des plus hauts responsables de la
Page 601
1 force de protection des Nations Unis qui avaient des contacts avec lui et
2 ses subordonnés les plus importants.
3 Et puis il y avait les médias, les journalistes du monde entier qui se
4 sont rendus à Sarajevo pour rendre compte de la conduite de la guerre.
5 Dans son mémoire préalable au procès, déposé devant cette Chambre il y a
6 quelques semaines, l'accusé prétend qu'aucun membre du RSK n'a jamais
7 admis devant lui avoir délibérément pris les civils pour cible de tirs
8 isolés, et que les représentants des Nations Unis ne lui ont jamais donné,
9 communiqué l'identité des auteurs de ces actes.
10 Le corollaire de ceci, semble-t-il, c'est qu'il considérait qu'il n'était
11 pas nécessaire d'ordonner une enquête tant qu'il n'était pas en possession
12 du nom du soldat qui avait tiré, qui avait utilisé le fusil pour tirer
13 dans le cadre d'un incident particulier, ou en tout cas tant qu'il ne
14 connaissait pas le nom de l'unité responsable. Donc il n'a rien fait.
15 Au minimum, l'accusé aurait dû ordonner une enquête au sujet de ces crimes
16 qui auraient pu être commis par ses subordonnés, ce qui lui faisait
17 obligation d'enquêter. Le droit international coutumier exige de
18 l'accusation de prouver simplement que l'accusé avait des raisons de
19 savoir que ses subordonnés ont commis ces actes.
20 S'agissant du tir isolé et du pilonnage délibéré des civils, au paragraphe
21 2.47, il déclare -je cite: "Il n'avait aucune connaissance de tels
22 événements". (Fin de citation.)
23 Et au paragraphe 6.32, je cite: "Qu'il n'a jamais reçu le moindre rapport
24 au sujet d'un quelconque incident individuel et qu'il n'a entrepris aucune
25 enquête s'agissant d'un tel incident". (Fin de citation.)
Page 602
1 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, au cours des deux années où
2 l'accusé a commandé le SRK, il était nécessairement la seule personne au
3 monde qui n'avait aucune connaissance des allégations très crédibles selon
4 lesquelles les résidents de Sarajevo étaient pris pour cible délibérément,
5 dans le cadre de tirs isolés et de pilonnages et ce au quotidien, tirs
6 isolés et pilonnages provenant des collines entourant la ville.
7 Les collines étaient contrôlées par ses forces et, ce qui est encore plus
8 bizarre, c'est que si l'on considère les éléments de preuve montrant qu'il
9 avait une télévision dans son bureau, au poste de commandement avancé de
10 la caserne de Lukavica, tout ceci semble très étrange. Il n'avait qu'à
11 brancher son poste de télévision.
12 Un témoin vous dira qu'en 1993 et ce n'est pas surprenant, il a vu une
13 télévision qui diffusait une émission dans le bureau de l'officier de
14 liaison de l'accusé. Et l'émission diffusée était CNN. Les pouvoirs d'un
15 commandant de Corps de l'armée de la Republika Srpska s'agissant de punir
16 sont très importants. Un témoin expert identifiera la portée exacte et la
17 nature de la responsabilité de l'accusé sur le théâtre des opérations et
18 mettra le doigt précisément sur les mesures qu'il aurait pu prendre dans
19 le cadre de ses pouvoirs.
20 Au nombre de ces mesures on peut parler de la possibilité d'éloigner les
21 personnes suspectes du front, d'émettre des ordres, de susciter des
22 améliorations au niveau de la formation et dans l'entraînement, de
23 modifier le règlement d'engagement des forces, et d'appliquer des mesures
24 disciplinaires. L'accusé a admis qu'il n'a rien fait de ce genre, qu'il
25 n'a pris aucune mesure comparable à cela s'agissant des incidents qui sont
Page 603
1 décrits dans les annexes de l'Acte d'accusation ou d'autres incidents
2 similaires.
3 A présent, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vais vous
4 montrer une série de séquences vidéos, un montage, dont la diffusion va
5 durer quelques 8 minutes et 4 secondes et ces images ont été tournées
6 durant la période de l'Acte d'accusation, c'est-à-dire avant le printemps
7 1993. Je le fais afin de montrer avec plus de forces que ne peuvent le
8 faire des mots, ce à quoi on aurait pu s'attendre et que je viens
9 d'évoquer au cours de mon propos liminaire.
10 Dans ces séquences vidéos, les vêtements portés par les gens vous seront
11 montrés et l'état de la végétation vous indiquera également quelle est la
12 saison en cours, à savoir l'été, les mois d'été de 1992, soit une période
13 ultérieure à celle où l'accusé a pris le commandement du SRK au début de
14 septembre de la même année.
15 Une note explicative préfacera chacune des séquences. Nous commencerons
16 donc par une séquence montrant des civils qui essaient d'échapper à des
17 tirs de tireurs isolés alors qu'ils traversent en courant un carrefour
18 exposé par rapport aux positions du SRK au début du conflit.
19 La deuxième séquence vous montre le même carrefour dans une période
20 comprise dans la période couverte par l'Acte d'accusation, c'est-à-dire la
21 période où des barrages destinés à protéger contre les tirs isolés avaient
22 été érigés et vous verrez donc ces barrages composés de containers empilés
23 les uns sur les autres.
24 Ensuite, vous verrez une séquence qui vous montrera des civils tentant
25 d'échapper aux tirs de tireurs isolés, parfois sans succès, ainsi que des
Page 604
1 civils en train d'aller chercher de l'eau et de ramasser du bois de
2 chauffage et ceci est en rapport avec trois incidents de pilonnage et les
3 décès à Dobrinja, à un endroit qui se situe tout près d'un parking utilisé
4 à l'époque pour les processions funéraires. Et ensuite, vous verrez dans
5 ces images vidéos la terreur qui était semée dans la population qui devait
6 échapper aux balles des tireurs isolés, aux obus et qui devait vivre tous
7 les jours en assistant à ces événements dans la ville de Sarajevo. Ces
8 personnes étaient continuellement prises pour cible et même si elles
9 n'étaient pas atteintes, elles subissaient la terreur due à cette
10 intention de les tuer.
11 Merci. Les images peuvent commencer à être diffusées.
12 (Diffusion de la séquence vidéo.)
13 M. le Président (interprétation): Dois-je comprendre que vous êtes arrivé
14 au bout de votre propos liminaire avec ces images, Monsieur Ierace?
15 M. Ierace (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
16 Monsieur le Président (interprétation): Maître Pilipovic, vous avez la
17 possibilité, à ce stade, en application de l'Article 84 du Règlement, de
18 présenter votre propre propos liminaire, mais vous pouvez –comme vous le
19 savez-, en demander le report à la fin de la présentation des éléments de
20 preuve de l'accusation. Que souhaitez-vous faire?
21 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, la défense se
22 réfère à l'Article 84 du Règlement pour demander de présenter son propos
23 liminaire après la présentation des éléments de preuve de l'accusation.
24 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.
25 Maître Pilipovic, votre client souhaiterait-il s'exprimer en application
Page 605
1 de l'Article 84 bis du Règlement de procédure et de preuve?
2 Mme Pilipovic (interprétation): En ce moment même, non, Monsieur le
3 Président.
4 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Ce qui signifie que nous
5 pouvons commencer la présentation des éléments de preuve de l'accusation.
6 Monsieur Ierace, êtes-vous prêt à entendre votre premier témoin? J'ai cru
7 comprendre, d'ailleurs, qu'il serait bon que nous ayons une brève
8 suspension d'audience avant le début de l'audition du premier témoin, car
9 il faut réaménager la salle d'audience. Mais je vous demande, néanmoins,
10 si vous êtes prêt à entendre votre premier témoin.
11 M. Ierace (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
12 M. le Président (interprétation): Nous allons donc faire une pause de
13 quelque 3, 4 ou 5 minutes pour réaménager la salle d'audience.
14 (L'audience, suspendue à 15 heures 42, est reprise à 16 heures 46.)
15 M. le Président (interprétation): Maître Ierace, je vois que la salle
16 d'audience est prête. Qui est le premier témoin que vous souhaitez appeler
17 à comparaître?
18 M. Ierace (interprétation): Monsieur le Président, c'est M. Michael
19 Blaxill, mon collègue, qui va mener l'interrogatoire principal du premier
20 témoin: M. Kupusovic.
21 M. le Président (interprétation): Nous allons demander à l'huissier de
22 bien vouloir introduire le premier témoin.
23 M. Blaxill (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
24 bonjour. Je m'appelle Michael Blaxill, c'est effectivement moi qui vais
25 mener à bien l'interrogatoire principal de ce témoin. Nous allons donc
Page 606
1 appeler à la barre M. Tarik Kupusovic.
2 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Blaxill.
3 (Le témoin, M. Tarik Kupusovic, est introduit dans le prétoire.)
4 M. le Président (interprétation): Monsieur Kupusovic, m'entendez-vous et
5 pouvez-vous suivre notre discussion dans une langue que vous comprenez?
6 M. Kupusovic (interprétation): Oui, je vous entends.
7 M. le Président (interprétation): Je vais maintenant vous inviter à
8 prononcer la déclaration solennelle. L'huissier vous tend le texte que
9 vous devez lire à haute voix.
10 M. Kupusovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
12 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Kupusovic.
13 Monsieur Blaxill, vous pouvez commencer l'interrogatoire principal de ce
14 témoin.
15 (Interrogatoire principal du témoin, M. Tarik Kupusovic, par M. Blaxill.)
16 M. Blaxill (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
17 Bonjour, Monsieur Kupusovic. Merci de bien vouloir décliner votre
18 identité, ainsi votre nom apparaîtra au compte rendu d'audience.
19 M. Kupusovic (interprétation): Bonjour à vous, Monsieur. Je m'appelle
20 Tarik Kupusovic.
21 Question: Pouvez-vous nous donner votre date de naissance?
22 Réponse: Je suis né le 5 décembre 1952.
23 Question: Quel est votre lieu de naissance?
24 Réponse: Je suis né à Sarajevo.
25 Question: Pourriez-vous nous dire quel a été votre parcours scolaire, et
Page 607
1 quel a été votre parcours professionnel?
2 Réponse: Je suis ingénieur civil, j'enseigne à la faculté d'ingénierie
3 civile de Sarajevo. Je suis également directeur d'un institut
4 d'ingénierie.
5 Question: Quel était votre emploi en 1992, au début de cette année?
6 Réponse: J'étais professeur à l'université, mais j'étais également membre
7 de l'assemblée municipale de Sarajevo; c'était de façon amateur, disons.
8 Question: Depuis combien de temps votre famille réside-t-elle à Sarajevo?
9 Réponse: Depuis plus de 400 ans.
10 Question: Vous avez indiqué que vous aviez pris part aux travaux de
11 l'assemblée municipale de Sarajevo. Quand avez-vous commencé à exercer un
12 rôle au sein de la municipalité?
13 Réponse: Eh bien, après les élections de 1990, j'ai été élu au conseil
14 municipal; j'en étais donc membre.
15 Question: Pourriez-vous nous décrire brièvement les fonctions d'un
16 conseiller municipal à Sarajevo?
17 Réponse: Eh bien, il en allait de même que dans toutes les autres villes
18 du monde. C'est un organe de gouvernement local qui était chargé du
19 service public et des autres choses dont la ville de Sarajevo avait besoin
20 pour fonctionner.
21 Question: Est-ce qu'il existe, au sein de Sarajevo, des municipalités
22 locales, d'autres entités donc qui jouissaient d'une certaine autorité?
23 Réponse: Oui. A l'époque, la ville de Sarajevo était constituée de 10
24 municipalités.
25 Question: Merci de bien vouloir nous donner le nom de ces municipalités.
Page 608
1 Et dites-nous, de façon assez générale, où se trouvaient ces
2 municipalités. Est-ce qu'elles étaient au Nord, au Sud de la ville?
3 Donnez-nous ce type d'indication.
4 Réponse: Eh bien, si nous commençons à l'Est, il y avait les municipalités
5 de Pale, Stari Grad Center, le nouveau Sarajevo, Novi Grad, Hadzici,
6 Ilijas, Trnovo et Vogosca.
7 Question: Combien de ces municipalités constituent-elles le centre urbain
8 de Sarajevo?
9 Réponse: Le centre urbain est constitué de quatre municipalités.
10 Question: Merci de bien vouloir nous donner le nom de ces quatre
11 municipalités.
12 Réponse: Stari Grad Center, le nouveau Sarajevo, et Novi Grad –ou ville
13 nouvelle.
14 Question: Monsieur Kupusovic, je vais vous demander de bien vouloir nous
15 parler de Sarajevo avant la guerre. Quelle était la vie que l'on menait à
16 Sarajevo avant la guerre? Dites-nous également quelle était l'activité
17 économique de Sarajevo avant 1990.
18 Réponse: Sarajevo est une ville qui a plus de 500 ans. Elle a été bâtie au
19 carrefour de deux routes, c'était un centre économique. Après la Seconde
20 Guerre mondiale, et notamment… ou disons plus précisément après les Jeux
21 Olympiques d'hiver de 1984, Sarajevo n'était pas seulement la capitale de
22 Bosnie-Herzgovine, Sarajevo était également le centre culturel et
23 économique de l'ex-Yougoslavie.
24 Sur les six plus grandes entreprises d'ingénierie et de consultants de
25 l'ex-Yougoslavie, quatre se trouvaient à Sarajevo. Pour ce qui est de la
Page 609
1 recherche universitaire, pour ce qui est de la vie culturelle, de la vie
2 musicale, eh bien, Sarajevo était une ville riche, indépendante.
3 Indépendante de Belgrade, de Zagreb, les autres centres principaux de
4 l'ex-Yougoslavie.
5 A Sarajevo, tout le monde vivait en bonne entente, personne ne se souciait
6 de l'appartenance ethnique ou religieuse.
7 Question: Avant d'aborder cette question, je vais vous poser quelques
8 questions.
9 Quelle était la population de Sarajevo en 1991/1992?
10 Réponse: Un demi million d'habitants.
11 Question: Pourriez-vous nous dire quelle était la composition ethnique de
12 cette population?
13 Réponse: Environ 40% de la population était musulmane, 32% de la
14 population étaient serbe et 8% de la population était croate. Pour ce qui
15 est du pourcentage restant, il s'agissait de mariages mixtes, de personnes
16 qui se considéraient comme étant d'abord Yougoslaves; des personnes qui se
17 considéraient comme étant des citoyens de la Yougoslavie. Et il y avait
18 également des membres d'autres groupes ethniques.
19 Question: Pourriez-vous nous parler dans le détail des rapports qui
20 existaient entre les différents groupes ethniques qui habitaient la ville?
21 Réponse: J'en ai déjà parlé, j'ai déjà dit que nous vivions en bonne
22 entente. Nous avions des rapports harmonieux et il n'y avait aucun
23 quartier de la ville, aucune institution, aucune entreprise qui soit
24 dominé par les membres d'un groupe ethnique. Les citoyens se considéraient
25 comme précisément cela: des concitoyens.
Page 610
1 Les petites différences religieuses qui existaient n'étaient en aucun cas
2 un obstacle. Les gens se rendaient visite lors de fêtes telles que Bajram,
3 se rendaient visite lors de célébrations familiales et dans le cadre
4 d'autre célébration également.
5 En tant que citoyen de Sarajevo, je peux affirmer ici qu'il s'agissait de
6 la ville la plus cosmopolite de l'ex-Yougoslavie.
7 Question: Et quand était-il des rapports existant entre les membres du
8 conseil municipal; nous parlons donc de la vie politique? Quand était-il
9 fin 1990-début 1991?
10 Réponse: Au sein du conseil municipal ou du parlement municipal, comme on
11 l'appelait, il y avait 120 députés élus, conseillés représentant
12 différents partis; il y avait 7 partis représentés. Les rapports entre les
13 différents conseillers étaient excellents.
14 Nous étions membres du conseil municipal et, en tant que tels, nous
15 cherchions à créer une atmosphère pluripartite. Il y avait la possibilité
16 de manifester son appartenance à des partis sociaux-démocrates, libéraux,
17 écologistes; toutes sortes d'idées politiques étaient représentées. Je ne
18 parle pas des trois partis nationaux qui avaient également leurs
19 représentants au sein de l'assemblée; aucun de ces trois partis
20 nationalistes n'avait d'ailleurs une majorité. Le parti auquel
21 j'appartenais avait le plus grand nombre de députés, je parle du SDA, qui
22 avait 32% des sièges.
23 Question: Vous faites référence à trois partis nationalistes. Qu'est-ce
24 que cela veut dire exactement? Est-ce que ces partis représentaient
25 différents groupes ethniques?
Page 611
1 Réponse: Oui. La plupart des membres, disons la quasi-totalité du parti
2 serbe de l'Action démocratique étaient Serbes. Tous ceux qui appartenaient
3 à l'Union démocratique croate étaient des Croates et la majorité des
4 membres du parti de l'Action démocratique étaient des Musulmans ou des
5 Bosniens.
6 Pour ce qui est des autres parties, eh bien, il s'agissait de partis
7 pluriethnique. Il n'y avait pas un groupe ethnique qui dominait par
8 rapport à autres au sein de ces autres partis politiques.
9 Question: Est-ce que ces partis auxquels vous avez fait référence étaient
10 mieux connus sous certains acronymes, et, si c'est le cas, pouvez-vous
11 nous donner les "initiales" –entre guillemets- de ces partis?
12 Réponse: Tous les partis ont un sigle. Et les trois parties les plus
13 importants étaient le SDA, donc le parti de l'Action démocratique; le HDZ,
14 l'Union démocratique croate; et le SDS, le parti démocratique serbe à la
15 tête duquel on trouvait Radovan Karadzic.
16 Question: Dans le cadre de votre carrière politique, avez-vous occupé des
17 postes publics? Est-ce que vous avez occupé ce type de postes pendant le
18 début des années 90 jusqu'en 1944-1995?
19 Réponse: Effectivement. J'étais membre de l'assemblée municipale, j'ai
20 occupé ce poste à partir des élections de 1990 jusqu'en 1994, date à
21 laquelle j'ai été nommé maire de la ville de Sarajevo. J'ai occupé ce
22 poste jusqu'en 1996.
23 Question: Monsieur Kupusovic, revenons-en à la situation qui prévalait à
24 Sarajevo avant la guerre.
25 Quels étaient les symboles de Sarajevo, quels étaient les aspects de la
Page 612
1 ville dont ses habitants étaient les plus fiers et dont ils tiraient
2 orgueil?
3 Réponse: Tous les habitants de Sarajevo étaient alors, et sont aujourd'hui
4 encore, très fiers du centre historique. Dans ce centre historique de 400
5 mètres carrés environ, il y a la vieille église orthodoxe; il y a
6 également la plus grande mosquée des Balkans, il y a la cathédrale
7 catholique et la vieille synagogue juive.
8 Par ailleurs, les habitants de Sarajevo sont particulièrement fiers des
9 structures qui ont été mises en place juste avant l'ouverture des jeux
10 olympiques d'hivers. Ces installations y ont transformé la ville. La ville
11 avait pris un certain aspect dans les années 50 et 60; elle avait connu
12 une certaine croissance sous le socialisme et le communisme, mais à partir
13 de la construction de ces installations elle est devenue une ville
14 européenne moderne grâce à ses bâtiments, grâce également à l'installation
15 de grandes infrastructures -approvisionnement d'eau, en électricité et en
16 gaz-, les structures qui ont été construites en 1980 ont vraiment donné un
17 coup de pouce à la ville. Et cela a bien sûr été construit en vue
18 d'accueillir les Jeux Olympiques.
19 Question: Pourriez-vous nous parler également du transport public à
20 Sarajevo?
21 Réponse: Eh bien, à l'époque, outre le tram qui a été construit au XIXe
22 siècle -d'ailleurs les premiers trams à circuler dans l'Empire Austro-
23 Hongrois étaient les trams de Sarajevo-, eh bien, outre ces trams il y
24 avait également des bus, il y avait également des bus qui permettaient
25 d'assurer le transport vers tous les quartiers de la ville; c'était un
Page 613
1 système de transport public qui fonctionnait particulièrement bien: qui a
2 très bien fonctionné pendant les Jeux Olympiques et qui a parfaitement
3 bien fonctionné jusqu'en 1992.
4 Question: Je vous remercie.
5 Pourriez-vous nous dire où vous résidiez au début de l'année 1992?
6 Réponse: J'avais mon domicile dans le quartier de Dobrinje qui est à
7 proximité de l'aéroport de Sarajevo.
8 Question: Avez-vous toujours habité dans ce quartier?
9 Réponse: Non. C'est un quartier résidentiel qui, au départ, avait été
10 construit pour accueillir les journalistes, les athlètes qui ont participé
11 aux Jeux Olympiques. Moi, j'ai emménagé en 1983.
12 Question: Pouvez-vous nous dire où vous habitiez au mois d'avril 1992? A
13 Dobrinje?
14 Réponse: Oui, au début du mois d'avril, j'habitais à Dobrinje. Donc juste
15 à côté de l'aéroport de Sarajevo.
16 Question: Monsieur Kupusovic, quel a été l'effet des événements qui se
17 sont produits en ex-Yougoslavie sur l'état d'esprit et sur la vie
18 quotidienne des habitants de Sarajevo, à la fin 1991?
19 Réponse: Lorsqu'il y a eu, eh bien, scission et démantèlement des
20 structures, des structures de l'ex-République socialiste fédérale de
21 Yougoslavie, d'abord avec le départ de la Slovénie puis de la Croatie, eh
22 bien, la grande majorité de la population de Bosnie-Herzégovine et la
23 grande majorité de la population de Sarajevo ont pensé qu'une solution
24 pacifique serait trouvée à cette crise qui venait d'éclater. Personne ne
25 pensait que la guerre qui avait éclaté en Croatie pouvait s'étendre à la
Page 614
1 Bosnie-Herzégovine et à Sarajevo.
2 D'ailleurs, le 1er janvier 1992, un accord de paix a été signé à Sarajevo,
3 accord de paix intervenant entre le "croupion" de la Yougoslavie -comme on
4 l'appelait à l'époque- et la Croatie.
5 D'après cet accord, il devait y avoir fin des conflits qui avaient ravagé,
6 à l'époque, Vukovar, Dubrovnik et d'autres villes encore. Nous pensions
7 que rien de tel ne pouvait se passer à Sarajevo.
8 Avant ces événements, après ces événements, les citoyens de Sarajevo
9 étaient en faveur de la paix, en faveur d'un règlement pacifique de la
10 crise; ils n'étaient pas du tout en faveur de ce qui s'est en fait passé
11 par la suite.
12 Question: Face à une telle situation, est-ce que les rapports amicaux qui
13 prévalaient jusqu'en 1992 ont changé? Est-ce que des changements se sont
14 fait jour au tout début de 1992?
15 Réponse: Non, cela n'a pas beaucoup changé. Toutefois, après la tenue du
16 référendum, le 29 de février et le 1er mars 1992, les citoyens ont dû
17 préciser s'ils souhaitaient demeurer au sein du "croupion" de Yougoslavie
18 -donc avec la Serbie-, ou déclarer s'ils souhaitaient que la Bosnie-
19 Herzégovine devienne indépendante.
20 A ce moment-là, certains membres du SDS ont établi les premiers points de
21 contrôle à Sarajevo pour manifester leur rejet des résultats du
22 référendum. Vous savez sans doute que le référendum a eu pour résultat la
23 reconnaissance et l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine.
24 Par la suite, lorsque la Bosnie-Herzégovine a été officiellement reconnue
25 comme Etat indépendant par l'Union européenne, il y a eu de nouvelles
Page 615
1 barricades qui ont été élevées dans la nuit du 5 au 6 avril. Mais nos
2 collègues, membres de l'assemblée municipale, qui étaient donc pour
3 certains d'entre eux membres du SDS, ont déclaré qu'ils n'avaient rien à
4 voir avec ces barricades et ces événements. Ils ont déclaré qu'ils n'y
5 avaient pas pris part, ils ont déclaré que c'étaient des groupes qui
6 échappaient à leur contrôle qui s'étaient livrés à ces actes.
7 Question: Avez-vous pu établir l'objectif visé par la construction de ces
8 barricades?
9 Réponse: Eh bien, d'après ce qu'ont dit les Présidents et vice-Présidents
10 du SDS, il était de faire état du désaccord du SDS en tant que parti. Ils
11 voulaient que l'on sache que le SDS, tel que représenté dans l'ensemble de
12 la Bosnie-Herzégovine, était contre les résultats du référendum.
13 Ces barricades sont demeurées en place pendant quelques heures, donc il y
14 a eu limitation de la liberté de mouvements. Il y a eu quelques échanges
15 de coups de feu, mais nous ne pouvions guère établir l'objectif visé par
16 tout cela. Nous ne pouvions y voir qu'une espèce de test mené par les
17 personnes qui étaient prêtes à se livrer à ce type d'activité.
18 Question: Quel était l'état d'esprit de la majeure partie de la population
19 pendant que tous ces événements avaient lieu?
20 Réponse: La population a décidé de s'organiser de façon pacifique pour
21 démanteler les barricades, et c'est biens ce qui s'est passé. Cela s'est
22 passé une première fois en mars, une deuxième fois en avril. De grands
23 groupes de citoyens -hommes, femmes, enfants-, se sont rendus sur les
24 lieux des barricades; certaines personnes se sont approchées de ceux qui
25 tenaient les barricades et qui portaient des uniformes de camouflage, des
Page 616
1 bas sur leur visage, des casquettes, et on fait en sorte que les
2 barricades soient démantelées.
3 De la même façon, le 5 avril, une énorme foule de citoyens venant de
4 Sarajevo, mais d'autres endroits de la Bosnie, ont organisé une marche
5 pacifique contre ceux qui avaient érigé ces barricades et ont essayé de
6 les convaincre de les retirer. Il y a eu quelques échanges de feux, mais
7 sporadiques.
8 Question: Monsieur Kupusovic, y avait-il, avant la guerre, une entité
9 militaire basée à Sarajevo?
10 Réponse: La JNA occupait un certain nombre de casernes à Sarajevo avant la
11 guerre. Elle disposait également d'un certain nombre d'installations dans
12 les faubourgs de la ville. Mais la seule force militaire en présence à
13 Sarajevo avant la guerre était la JNA.
14 Question: Pouvez-vous nous dire exactement où se trouvaient les locaux de
15 la JNA à Sarajevo?
16 Réponse: La caserne la plus importante était la caserne du Maréchal Tito
17 qui se trouvait au cœur même de la ville.
18 Réponse: C'est un ensemble de bâtiments très importants.
19 Par ailleurs, dans le quartier historique de la ville et dans des
20 quartiers plus modernes, il y avait des casernes de taille plus
21 restreinte, il y avait des installations qui permettaient aux soldats de
22 suivre leur formation, de se livrer à des exercices d'entraînement.
23 Question: De façon générale, quelles étaient les activités auxquelles se
24 livraient les soldats membres de la JNA qui se trouvaient dans la ville
25 avant la guerre?
Page 617
1 Réponse: Lorsque la JNA s'est retirée de la Croatie et de la Slovénie, une
2 grande partie des troupes et des équipements sont arrivés en Bosnie-
3 Herzégovine. Et une majeure partie de ces équipements et membres sont
4 arrivés à Sarajevo.
5 Le nombre de patrouilles a augmenté de façon très nette, ils
6 patrouillaient en ville dans des véhicules transporteurs de troupes, se
7 déplaçaient à bord d'autres véhicules, et bien sûr cela a eu un effet
8 négatif sur l'état d'esprit des citoyens qui voyaient une manifestation
9 d'un certain pouvoir militaire.
10 Question: Je vous interromps, si vous le permettez.
11 Avant cette période de temps, quelles étaient les activités de la JNA au
12 sein de la ville. Aviez-vous l'habitude de les voir dans les quartiers de
13 la ville?
14 Réponse: Avant 1990, les forces militaires se trouvaient au sein de la
15 ville, autour de la ville, mais les rapports avec les représentants des
16 forces militaires étaient excellents. Il y avait des sociétés culturelles
17 et des associations artistiques amateurs, les soldats se rendaient dans
18 les cafés, dans les boutiques, dans les instituts culturels dès qu'ils
19 avaient un peu de temps à eux. Et les rapports entre la population civile
20 et les soldats étaient tout à fait amicaux.
21 Question: Quelle était l'attitude de la population à l'égard des soldats
22 de la JNA? Et de quelle façon la population réagissait-elle à la présence
23 de la JNA et à ce qu'elle représentait?
24 Réponse: Avant que la guerre n'éclate en Croatie, la population de
25 Sarajevo y était tout à fait favorable. Mais, après la guerre en Slovénie
Page 618
1 et en Croatie, eh bien, le comportement de la population est devenu plus
2 neutre. Les gens disaient: "Bien sûr, il s'agit de notre armée mais elle
3 s'est livrée à certains actes qui ne recueillent pas notre accord".
4 Par conséquent, cette armée nous semblait être trop serbe. Beaucoup de
5 Slovènes, beaucoup de Croates avaient quitté les rangs de l'armée; il ne
6 s'agissait donc plus de l'armée de tous les peuples de Yougoslavie.
7 Mais, tout de même, on considérait qu'il s'agissait encore d'une force
8 armée neutre qui ne s'attacherait à défendre l'ordre constitutionnel et la
9 paix en Bosnie-Herzégovine.
10 Question: Merci.
11 Vous avez dit, il y a quelques minutes, qu'après les troubles en Croatie
12 vous avez constaté que la JNA avait augmenté le nombre de ses hommes et de
13 ses armes au voisinage de Sarajevo. Pourriez-vous nous en dire un peu, je
14 vous prie, au sujet de ce que vous avez vu dans le cadre du retour de ces
15 hommes de la JNA en ville?
16 Réponse: C'était un fait bien connu que le nombre des hommes et des armes
17 utilisés en Croatie avaient en grande partie été transférés en Bosnie-
18 Herzégovine. Et, à Sarajevo, on a pu le voir d'ailleurs à la télévision et
19 des rumeurs ont couru à ce sujet, à savoir au sujet de l'augmentation du
20 nombre des forces de la JNA aux environs de Sarajevo. Le commandant de la
21 JNA a fait savoir qu'il s'agissait de manœuvres régulières dans les
22 environs de Sarajevo; suite à quoi certains habitants de la ville se sont
23 dit effrayés, car ils ne voyaient pas très bien de quoi la JNA pouvait
24 avoir à se protéger en positionnant des armes lourdes autour de Sarajevo.
25 Moi, j'habitais à Dobrinja et il y avait un carrefour non de loin là où
Page 619
1 j'ai pu constater que la partie de la route en question avait été fermée
2 aux civils. Et puis, en même temps, des transports de troupes, des chars,
3 des canons ont été installés dans le lac de retenue de Mojmilo qui est de
4 l'autre côté de la ville, de sorte qu'on pouvait constater la présence de
5 l'armée un peu partout, et on ne voyait pas très bien contre quoi l'armée
6 devait protéger les habitants de la ville.
7 Question: Vous avez parlé du lac de retenue de Mojmilo. Pouvez-vous
8 expliquer aux Juges de quel endroit vous parlez exactement? Pouvez-vous
9 nous donner plus de détails à ce sujet?
10 Réponse: Le lac de retenue de Mojmilo est le plus grand lac de retenue de
11 Sarajevo. C'est là que l'eau est pompée pour être ensuite distribuée dans
12 des postes d'adduction d'eau plus petits, et ce sont ces postes qui
13 alimentent la ville en eau. Mojmilo est une colline qui surplombe
14 l'aéroport dans la partie nouvellement construite de la ville et qui
15 surplombe également Dobrinja, tout près de l'aéroport.
16 Question: Vous avez dit que des canons avaient été installés à cet
17 endroit. Pouvez-vous nous dire de quels canons il s'agissait exactement?
18 Pouvez-vous décrire ces canons?
19 Réponse: Non, je ne suis pas spécialiste des canons. Ce sont des canons
20 avec un tube droit, mais je ne peux pas vous en dire plus.
21 Question: Merci. Cela suffira.
22 Vous avez parlé d'autres événements survenus aux environs du début avril.
23 Y a-t-il eu un événement significatif, le 6 avril 1992 à Sarajevo?
24 Réponse: Le 6 avril est la fête de la libération de Sarajevo à la fin de
25 la Deuxième Guerre mondiale. C'est donc une fête qui est devenue la fête
Page 620
1 de la ville. Il y avait donc une cérémonie organisée au niveau de la
2 municipalité de la ville, mais cette cérémonie n'a pas eu lieu, car dans
3 la nuit du 5 au 6 avril des barrages ont été érigés. Ce qui a fait qu'une
4 partie seulement des gens qui devaient participer à cette cérémonie ont pu
5 se réunir en se frayant un chemin.
6 Moi, je suis arrivé en taxi jusqu'à un barrage, j'ai franchi le barrage à
7 pied. Puis, j'ai pris un autre taxi jusqu'au deuxième barrage et, en
8 franchissant le deuxième barrage, j'ai réussi à atteindre la mairie. Cela
9 ne m'a pas posé de problème particulier, mais je n'ai pas pu utiliser ma
10 voiture personnelle. Et, par ailleurs, il y avait au niveau des barrages
11 des gens qui portaient un masque et dont on ne connaissait pas très bien
12 le rôle.
13 Question: Vous dites que ces personnes portaient un masque. Auriez-vous pu
14 les reconnaître d'une autre façon? Est-ce que vous auriez pu savoir d'une
15 autre façon qui ils représentaient?
16 Réponse: Non, ils avaient des espèces de chaussettes placées sur la tête,
17 ils n'étaient pas en tenue militaire. Donc ils ne représentaient pas, ne
18 ressemblaient pas à des soldats ni à des policiers. Ils étaient armés et
19 ils tenaient ces barrages; ils n'empêchaient pas les gens de passer à
20 pied, mais on ne peut pas franchir cet obstacle en véhicule.
21 Mais nous savions que c'étaient des membres du SDS, parce que, à la
22 télévision, nous avions vu des images montrant les négociations entre le
23 président Izetbegovic et Karadzic qui était le Président du parti serbe.
24 Pour ce qui est de l'évacuation de ces barrages, le médiateur c'était le
25 représentant des Nations Unies à Sarajevo. C'est ce qui s'est passé en
Page 621
1 fait le lendemain. Les barrages ont été enlevés et il y a eu négociation
2 de paix, et on avait dit qu'il n'y aurait plus jamais de barrages.
3 Question: Et donc, après cela, après cet incident et après que les
4 barrages aient été enlevés, comment se présentait la situation en ville?
5 Réponse: Pendant tout le mois d'avril, la situation est restée tendue. Au
6 niveau… des efforts ont été faits par la police aussi pour trouver une
7 solution, mais il y a eu des tirs sporadiques en ville. Il y a eu des
8 incidents qui ont insufflé la peur et qui ont vraiment apeuré les gens.
9 Mais tout a continué de fonctionner: les transports publics, les services
10 d'utilité publique ont continué à fonctionner. Les gens allaient à leur
11 travail. Nous avions pour devise de dire que, en travaillant, nous
12 luttions pour la paix, parce que c'était de cette façon-là qu'on pouvait
13 enrayer le risque de la guerre.
14 Question: Vous avez évoqué plusieurs incidents, des tirs. Est-ce que vous
15 pourriez donner aux Juges de cette Chambre des faits relatifs à ces
16 incidents?
17 Réponse: Lorsqu'il y a eu ce grand rassemblement pour la paix devant
18 l'assemblée de la République socialiste, ou plutôt, de la République de
19 Bosnie-Herzégovine -c'est comme cela qu'on l'appelait déjà à l'époque-, le
20 conseil exécutif, le gouvernement de Bosnie-Herzégovine… En fait, il y a
21 eu des tirs tirés depuis le Holiday Inn, un hôtel tout proche, et qui ont
22 arrêté le rassemblement; il y a eu plusieurs blessés parmi la foule.
23 Plus tard, lorsque des manifestants pour la paix se sont mis en route en
24 direction de l'école de police, c'est à ce moment-là qu'on a eu la
25 première perte civile. Cela s'est passé sur le pont, de l'autre côté de
Page 622
1 l'assemblée, quand on va vers ce quartier de la ville où se trouve l'école
2 de police. Pendant tout ce mois, il y a eu quelques jours paisibles suivis
3 de jours marqués par des tirs sporadiques, venant des plus petites
4 casernes éparpillées dans la ville. En fait, les tirs étaient le fait de
5 personnes que nous ne connaissions pas.
6 Question: Vous parlez de cette première perte civile, cette personne
7 abattue sur un pont. Est-ce que vous pouvez nous donner davantage de
8 détails? Avez-vous des informations sur l'identité de cette personne?
9 Réponse: Oui, c'était une étudiante de Sarajevo. Elle était originaire de
10 Dubrovnik, elle étudiait à Sarajevo. Elle s'appelait Suada Omerovic, c'est
11 elle qui a été la première victime de la guerre à Sarajevo. Et
12 aujourd'hui, ce pont porte son nom.
13 Question: Est-ce que cet événement a beaucoup marqué les gens à l'époque?
14 Est-ce qu'il a été très significatif?
15 Réponse: Tout à fait. Parce que c'était une jeune fille qui étudiait à
16 Sarajevo, elle voulait la paix. Et, d'une certaine façon, les gens se sont
17 sentis obligés de faire quelque chose du fait de sa mort. Ils se sont dit
18 que ces morts pouvaient se multiplier si les gens n'abandonnaient pas
19 leurs armes, n'essayaient pas de trouver une solution pacifique à toutes
20 ces méprises, à tous ces malentendus en ex-Yougoslavie.
21 Question: Est-ce que quelqu'un a établi, a découvert dans quelles
22 circonstances elle avait été abattue, d'où provenaient ces tirs, qui était
23 l'auteur de ces tirs?
24 Réponse: La police a établi que ces tirs avaient été tirés par les gardes
25 du Corps de Radovan Karadzic. C'est du moins ce qui a été publié dans les
Page 623
1 journaux. Moi, je n'ai pas de connaissance personnelle bien évidemment.
2 Question: Bien sûr. Mais est-ce que vous avez des informations quant au
3 lieu, aux coordonnées de ces gardes du corps de Karadzic au moment de ces
4 tirs? Savez-vous où ils se trouvaient?
5 Réponse: Ils se trouvaient sur deux étages de l'hôtel Holiday Inn, ainsi
6 que dans d'autres bâtiments proches. Mais c'est là que se trouvait aussi
7 le siège du SDS. Après les rassemblements, après ces événements, ils ont
8 déménagé à Pale.
9 Question: Donc, après cet événement du 6 avril, comment les choses ont-
10 elles évolué dans la ville? Je parle ici du climat qui régnait, de
11 l'atmosphère générale? Est-ce qu'elle était calme ou est-ce que l'on
12 sentait comme ça une montée des tensions?
13 Réponse: Eh bien, oui, effectivement, la tension augmentait. En effet, de
14 plus en plus de soldats commençaient à se déplacer en ville, et les
15 citoyens ont essayé de vaquer à leur vie habituelle, ont tenté de
16 s'opposer à la militarisation de la ville, à ces activités militaires de
17 leur façon. Ils ont trouvé que cela n'avait pas de sens, que cela ne
18 faisait qu'augmenter le risque d'incidents. Il y a eu des incidents
19 pendant tout le mois d'avril: des tirs, des gens blessés, même quelquefois
20 des tués.
21 M. Blaxill (interprétation): Et, dans la ville de Sarajevo, que faisaient
22 les effectifs de la JNA pendant qu'il y avait ces événements, ces
23 incidents? Est-ce qu'ils ont participé ou pas?
24 M. Kupusovic (interprétation): Eh bien, les éléments de la JNA ont joué un
25 rôle de médiateur un peu neutre, essayaient de séparer -comme ils le
Page 624
1 disait- les parties opposées. Mais il n'y avait pas de partis opposés, en
2 fait il n'y avait que le SDS. Les garçons, les jeunes hommes qui faisaient
3 partie de la milice du SDS; et puis il y avait les soldats de la JNA.
4 Il y avait aussi des groupes de jeunes hommes à Sarajevo. C'étaient des
5 citoyens qui patrouillaient les rues, mais sans avoir d'arme. Ils se
6 trouvaient aux entrées d'immeubles résidentiels; ils essayaient de
7 prévenir les crimes, ils essayaient d'éviter qu'il y ait des soldats
8 ivres, des soldats de réserve qui se livraient à des exactions en ville.
9 Ce qui veut dire qu'il y a eu une recrudescence de l'attention.
10 Et, à un niveau politique plus élevé, on ne cessait de changer d'avis
11 quant à la façon de maintenir de façon pacifique la Yougoslavie, ou encore
12 sur la façon de parvenir à un nouvel accord politique afin que la totalité
13 du territoire de l'ex-Yougoslavie se transforme en communauté pacifique
14 d'Etats fédéraux ou de confédérations.
15 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, je voulais faire une
16 petite pause d'environ 20 minutes. Est-ce que le moment se prête bien?
17 M. Blaxill (interprétation): Maintenant ou plus tard, peu importe.
18 M. le Président (interprétation): Fort bien. Courte pause. Nous
19 reprendrons à 6 heures moins 10.
20 (L'audience, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 52.)
21 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, veuillez poursuivre,
22 mais bien sûr, il faut d'abord que le témoin revienne dans le prétoire.
23 M. Bl axill (interprétation): Oui, oui, dès qu'il sera arrivé, je
24 poursuivrai.
25 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)
Page 625
1 Monsieur Kupusovic, avant la pause nous parlions des activités de la JNA à
2 l'époque, c'est-à-dire au début du mois d'avril. Est-ce que vous pourriez
3 cependant nous parler d'événements qui se seraient produits peu de temps
4 auparavant du côté de l'aéroport de Sarajevo?
5 M. Kupusovic (interprétation)): La JNA s'est emparée de l'aéroport, de
6 l'administration civile de l'aéroport, en a pris le contrôle dès le mois
7 de mars. En avril, la JNA avait le plein contrôle de l'aéroport et aussi
8 de la circulation du trafic aérien.
9 Question: Est-ce que le trafic aérien à l'aéroport inclut aussi des
10 transports civils où est-ce que c'étaient uniquement des transports
11 militaires à l'époque?
12 Réponse: Il y avait prépondérance de la circulation militaire. Moi,
13 j'habitais tout près, je voyais le décollage et l'atterrissage d'avions
14 mais il y avait aussi atterrissages d'appareils civils.
15 Question: Nous traversons le mois d'avril. Il y a ces événements autour du
16 6, mais comment est-ce que ce mois s'est poursuivi dans la ville?
17 Y a-t-il eu d'autres événements?
18 Réponse: Je ne sais pas exactement à quoi vous pensez. Je vous ai déjà
19 parlé de la reconnaissance, de la tension, des efforts déployés par les
20 civils, par les citoyens pour garder une vie normale en ville.
21 Question: Effectivement, ma question n'était pas très précise. Je vais la
22 préciser. Est-ce qu'après cela, la JNA a eu une participation plus
23 militaire avec d'autres groupes, je pense à d'éventuels conflits qui
24 auraient éclaté au cours du mois d'avril dans la ville?
25 Réponse: Il y a eu plusieurs exercices comme les ont qualifiés des
Page 626
1 commandants militaires de la JNA: des exercices qui se sont déroulés en
2 ville et autour de la ville, ce qui a accru les peurs de la population et
3 augmenté les tensions.
4 Question: Est-ce que la JNA a participé à des incidents où il y a eu des
5 tirs à un moment donné?
6 Réponse: Il y a eu des incidents de tirs. Je vous en ai déjà parlé, mais
7 moi, je ne savais pas, pas plus que d'autres d'ailleurs, qui en étaient
8 les auteurs.
9 Je me rappelle d'une déclaration faite par le général Kukanjac.
10 Il était commandant de la garnison pour la zone de Sarajevo et il a dit
11 que quand les habitants disaient que c'était la JNA qui tirait, lui
12 affirmait que la JNA était une force qui ne voulait pas écraser ne serait-
13 ce qu'une fourmi, qu'elle voulait maintenir la paix mais pourtant, il y
14 avait sans arrêt des exercices militaires, des mouvements militaires, de
15 plus en plus de tension.
16 Question: Est-ce qu'à un moment donné, il y a eu un affrontement ouvert
17 entre des gens qui se trouvaient tout près de la caserne de Tito, ceci au
18 mois d'avril?
19 Réponse: Oui, il y a eu des incidents devant la caserne mais ce n'était
20 pas vraiment une confrontation. C'était simplement la même chose que ce
21 qu'il se passait à Capljina ou à Mostar où là, il y avait même plus
22 d'effectifs qu'à Sarajevo, enfin toute proportion gardée.
23 Question: A l'époque, comment avaient évolué les rapports entre les
24 délégués de l'assemblée de la ville? Est-ce que les débats restaient aussi
25 harmonieux que ce que vous avez décrit précédemment ou est-ce que cela
Page 627
1 avait changé?
2 Réponse: Non, il n'y a pas eu de changement particulier. Nous nous
3 rencontrions, nous avions des réunions. A l'époque, j'étais déjà président
4 du club des députés de mon parti.
5 Et ces présidents se sont retrouvés, se sont rencontrés dans la volonté
6 d'apaiser les tensions, pour aussi maintenir le fonctionnement des organes
7 de la ville. Le président du SDS, du club ou du groupe de députés du SDS,
8 a participé aussi à ces réunions. Il s'appelait Bozo Popara et c'est lui
9 qui était le président du SDS de Karadzic. Lui, Popara, il était président
10 du SDS pour la ville de Sarajevo.
11 Question: Vous nous avez décrit, du fait qu'il y avait de plus en plus de
12 tension, des problèmes mais est-ce qu'il y avait eu des mouvements de
13 population, des déplacements de population à ce moment-là, nous sommes
14 toujours au mois d'avril?
15 Réponse: Oui. Une partie de la population -on parle ici peut-être de
16 quelques milliers, tout ceci au mois de mars, d'avril- était partie dans
17 des avions de la JNA et d'autres façons aussi. Ils avaient quitté la
18 ville. C'était surtout des membres de famille d'officiers de la JNA qui
19 habitaient en ville, mais ceci concernait aussi d'autres habitants.
20 Question: Et est-ce qu'il y a eu un groupe ethnique particulier dont les
21 membres sont partis en plus grand nombre que d'autres groupes?
22 Réponse: C'est bien possible. Etant donné que la plupart des officiers
23 étaient serbes, il se peut qu'il y ait eu plus de Serbes qui ont quitté la
24 ville, mais c'était vrai aussi d'autres personnes, des Croates et des
25 Musulmans. Ils envoyaient leurs femmes, leurs petits-enfants ailleurs, que
Page 628
1 ce soit sur la Côte Adriatique ou ailleurs se disant que ces personnes
2 resteraient éloignées pendant un mois ou deux en attendant que la
3 situation se calme. C'est ce que tout le monde m'a dit à l'époque, c'est
4 ce que m'ont dit ceux qui avaient envoyé leur famille à la Côte, en
5 Croatie ou en Allemagne; c'est ce qu'ils m'ont raconté.
6 Question: Nous sommes maintenant vers la mi-avril. Est-ce que l'assemblée
7 municipale a pris des mesures particulières, disons vers le 19 avril?
8 Réponse: L'assemblée n'a pas pu avoir de réunion le 6 avril à cause des
9 barrages dont nous avons parlé. De ce fait, un nombre limité de personnes,
10 de dirigeants de partis qui avaient des suppléants à l'assemblée ou qui
11 avaient des députés à l'assemblée, se sont rencontrés pour essayer de
12 trouver une solution dans la ville, pour essayer de retrouver la paix et
13 voir comment la situation allait évoluer.
14 Le 17 avril, une déclaration a été signée et publiée dans les journaux
15 locaux, déclarations des Présidents des groupes de députés, selon
16 laquelle, ce qu'ils voulaient faire, c'était préserver les biens de
17 Sarajevo ou…
18 M. Blaxill (interprétation): Excusez-moi, je voudrais vous montrer un
19 document. Excusez-moi de vous avoir interrompu.
20 Monsieur l'huissier, est-ce que vous voulez bien présenter ce document?
21 M. le Président (interprétation): Ceci me permet, Monsieur Blaxill, de
22 vous faire une proposition s'agissant de la présentation du document, du
23 versement.
24 M. Blaxill (interprétation): Excusez-moi, je n'ai pas l'intention de
25 demander le versement de ce document qui, en fait, est très bref et qui
Page 629
1 suit de près ce que dit ce témoin. Je vais lui demander de lire ceci pour
2 le compte rendu d'audience sans en demander le versement. Ceci étant,
3 c'est un document qui est préparé pour vous aider, Messieurs les Juges, et
4 pour aider la partie adverse, et qui a été présenté en français et en
5 anglais, pour vous aider.
6 M. le Président (interprétation): Est-ce que, Maître Pilipovic, vous avez
7 reçu une copie ou Me Piletta-Zanin?
8 M. Piletta-Zanin: Je crois que nous n'avons pas reçu de document. Je vous
9 remercie, Monsieur le Président, mais nous étions convenus, je crois, la
10 dernière fois, de surveiller de très près les problèmes de traduction. Or,
11 je saisis cette brève interruption pour indiquer que je crois avoir
12 entendu le témoin dire, tout à l'heure "malovice(?)", ce que je traduirais
13 comme étant "un peu moins", et qui n'apparaît pas en tant que tel dans la
14 transcription anglaise du texte. C'est un des problèmes de traduction que
15 nous devrons voir: comment réagir lorsque des déclarations qui sont faites
16 dans une langue n'apparaissent pas nécessairement exactement dans une
17 autre langue?
18 Cela dit, je ne crois pas que nous ayons reçu ces documents. Je ne le
19 crois pas, mais je ne sais pas très bien à quoi on fait référence, par
20 conséquent…
21 M. le Président (interprétation): Concentrons-nous d'abord sur ce
22 document, si vous le voulez bien, pour le moment. Si vous rencontrez
23 d'autres difficultés en matière de traduction, Maître, nous allons aborder
24 ces questions-là plus tard pour essayer d'y trouver une solution -dans la
25 mesure du possible.
Page 630
1 Mais s'agissant de ce document, Monsieur Blaxill, je crois comprendre que
2 nous n'avons pas de copie, pas plus que la défense, mais que nous allons
3 avoir une copie maintenant.
4 M. Blaxill (interprétation): Ce n'est pas tout à fait le cas. Nous avons
5 des copies destinées à être distribuées, qui ont été déposées ce matin.
6 Mais Mme Pilipovic avait reçu celui-ci le 26 novembre, je pense qu'on le
7 lui a remis; c'est un collègue qui le lui a remis, ce document.
8 M. le Président (interprétation): Excusez-moi, Monsieur Blaxill, juste
9 avant le début de l'audience, j'ai reçu copie. Vous en avez une, Maître
10 Pilipovic? Oui, je crois que c'est un document qui dit en anglais
11 "déclaration des représentants des parties". C'est bien de celui-là qu'on
12 parle?
13 M. Blaxill (interprétation): Tout à fait.
14 M. le Président (interprétation): Et la défense en dispose aussi?
15 M. Blaxill (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Président,
16 permettez-moi une remarque: pour ce qui est de ce commentaire de
17 traduction, que ce soit résolu parce que cela va être lu par le témoin, ce
18 sera interprété par nos interprètes, donc ce sera consigné au compte rendu
19 d'audience aussi bien en anglais qu'en français.
20 Est-ce que l'on peut remettre ce document au témoin?
21 Monsieur le Témoin, veuillez examiner ce document. Est-ce que vous le
22 reconnaissez, pouvez-vous nous dire ce qu'il représente?
23 M. Kupusovic (interprétation): Il s'agit bien du document que j'ai évoqué,
24 document qui a été publié dans les journaux. Il s'agit d'une déclaration
25 des représentants des partis parlementaires devant l'assemblée municipale
Page 631
1 de Sarajevo.
2 Question: Ayez l'obligeance nous lire ce document.
3 Réponse: Bien sûr. Le document portait le titre suivant: "La ville est
4 indivisible".
5 Et le texte se lit comme suit: "A l'occasion d'une réunion de l'assemblée
6 municipale de Sarajevo, qui s'est déroulée le 19 avril 1992, réunion à
7 laquelle assistaient des représentants de tous les partis parlementaires,
8 dont les délégués qui constituent ladite assemblée, et qui était présidée
9 par le Président de l'assemblée municipale, Muhamed Kresevljakovic; le
10 communiqué conjoint ci-après a été adopté et signé.
11 Aucune personne représentant la ville, la République ou l'Europe n'a le
12 droit de négocier la division de Sarajevo au nom de ses habitants.
13 La ville de Sarajevo, avec plus de cinq siècles d'Histoire marquée par la
14 coexistence d'une communauté pluriculturelle, pluriconfessionnelle et
15 plurinationale est indivisible.
16 Un concept de la ville moderne des populations civiles en Europe est
17 défendu à Sarajevo. Sarajevo est la capitale de la République de Bosnie-
18 Herzégovine où tous les droits de l'homme et toutes les libertés sont
19 respectés, et de ce fait, nous affirmons que personne n'a le droit de
20 mettre en danger les vies, la paix et les biens des résidents, ou son
21 héritage culturel et historique ainsi que ces ressources naturelles.
22 Les signataires de ce document sont: Miodrag Jankovic, Alliance des forces
23 réformatrices; Bozidar Popara, parti démocratique serbe; Tarik Kupusovic,
24 parti d'action démocratique, SDA; Anto Zelic, parti démocratique croate,
25 HDIZ; Slobodan Primorac, SDP, parti du changement démocratique socialiste;
Page 632
1 Esad Afgan, MBO, organistion des Musulmans de Bosnie; Nijaz Nurkovic,
2 libéraux; Ibrahim Spahic, DSS, parti démocratique des socialistes; et
3 Muhamed Kresevljakovic, maire de Sarajevo." (Fin de citation.)
4 Donc tous les Présidents des partis au niveau municipal ont signé ce
5 document, y compris Bozidar Popara et moi-même qui, à l'époque, présidait
6 le groupe parlementaire du SDA. J'ai signé ce document.
7 Question: Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il y a effectivement
8 un petit point de traduction qui se pose à ce stade.
9 Vous avez parlé de "l'Alliance des forces réformatrices". Or, sur le
10 texte, il apparaît que c'est Miodrag Jankovic qui préside ce parti. Mais
11 moi, on m'a dit qu'il présidait le parti radical serbe. Alors, est-ce que
12 c'est une seule et même chose, ou y a-t-il une erreur qui s'est glissée
13 quelque part?
14 Réponse: L'alliance des forces réformatrices est un parti qui a commencé
15 18… ou qui a vu le jour 18 mois après la période dont nous parlons
16 maintenant.
17 Question: Ce document est rédigé en quel alphabet, et dans quel alphabet
18 a-t-il été publié?
19 Réponse: Il est écrit en cyrillique, l'écriture cyrillique.
20 Question: Est-ce que le fait qu'il a été publié en cyrillique a une
21 importance particulière?
22 Réponse: Non. Les quotidiens étaient publiés un jour en cyrillique et un
23 jour en alphabet latin. Donc c'était une répartition équitable entre les
24 deux alphabets. Nous avions les moyens techniques de publier dans les deux
25 alphabets, et nous voulions absolument protéger cette égalité
Page 633
1 d'utilisation des deux alphabets, cyrillique et latin. C'est une
2 coïncidence que ce document ait été publié en cyrillique.
3 Question: Nous avons parlé des incidents violents qui s'étaient produits
4 au mois d'avril. Est-ce qu'il est arrivé un moment où la situation a
5 changé? Où la situation a vraiment passé le cap de la violence? Est-ce
6 qu'il y a eu multiplication des incidents violents, des incidents de tirs?
7 Réponse: En avril, la situation était très tendue. Et le 2 mai, eh bien,
8 les choses ont explosé.
9 Question: Vous dites que la situation a véritablement explosé.
10 Qu'entendez-vous par là?
11 Réponse: Une colonne constituée de véhicules transporteurs de troupes et
12 de tanks s'est dirigée vers le siège de la présidence de Bosnie-
13 Herzégovine.
14 Parallèlement, le centre militaire qui se trouvait dans le centre de
15 Sarajevo, à côté du bâtiment de la présidence, a été évacué. Des tirs ont
16 pu être entendus.
17 Il y a donc eu explosion, c'est bien ce que je disais: on a mis le feu a
18 des trams, il y a eu des meurtres, et c'est à ce moment-là que la guerre a
19 vraiment éclaté à Sarajevo.
20 Voilà un petit peu quelle a été l'épopée de la ville.
21 Question: Monsieur Kupusovic, ces véhicules transporteurs de troupes, ces
22 tanks, à qui appartenaient-ils?
23 Réponse: Ils appartenaient à la JNA.
24 Question: Vous dites qu'ils se dirigeaient vers le siège de la présidence,
25 mais où ces véhicules se sont-ils rendus en fin de compte?
Page 634
1 Réponse: Ils ont été interceptés au niveau du pont qui se trouve en face
2 de l'assemblée municipale. L'assemblée qui se trouve elle-même juste à
3 côté du siège de la présidence. Les véhicules ont été interceptés par les
4 gardes de la présidence et les gardes de l'assemblée municipale. Il
5 s'agissait donc d'unités de la police régulière. Il y a eu des
6 affrontements.
7 Puisque des négociations étaient en cours au même moment à Lisbonne,
8 négociations portant sur la mise en oeuvre du résultat du référendum, eh
9 bien, on a pensé à ce moment-là qu'il s'agissait d'une tentative de coup
10 d'état.
11 Question: Après que ces véhicules transporteurs de troupes, que ces tanks
12 ont été interceptés par des gardes à ce point précis de la ville, que
13 s'est-il passé: est-ce que les véhicules sont restés sur place, est-ce
14 qu'ils se sont retirés? Qu'est-il advenu de cette colonne de véhicules?
15 Réponse: Un certain nombre de véhicules ont été détruits, les autres sont
16 repartis mais je le répète, parallèlement un certain nombre de trams ont
17 été incendiés, des voitures également. Il y a eu des échanges de coups de
18 feu en ville. La situation était très perturbée, il y a eu des émeutes et
19 cela a vraiment marqué le début de la guerre à Sarajevo.
20 Question: Pourriez-vous nous dire, Monsieur, quels étaient les autres
21 individus qui ont pris part à ces incidents, à ces émeutes dont vous
22 parlez? Est-ce que des groupes ont pris une part active à tout cela?
23 Réponse: Il y avait donc les unités de police, les unités de police de
24 réserve qui protégeaient le bâtiment de la présidence qui symbolisait la
25 Bosnie-Herzégovine et sa souveraineté. Il y avait également des groupes de
Page 635
1 jeunes gens organisés qui apportaient leur aide à ces troupes de police.
2 Ces groupes s'appelaient eux-mêmes "bosna".
3 Question: Vous dites que ces groupes s'appelaient les groupes "bosna".
4 Est-ce qu'ils représentaient un parti politique en particulier,
5 représentaient-ils un groupe ethnique particulier?
6 Réponse: Non, il s'agissait de jeunes hommes, habitants de Sarajevo, qui
7 estimaient que la situation était grave. Ils étaient constitués en
8 plusieurs groupes, ils étaient plusieurs centaines et ils apportaient leur
9 aide aux officiers de police; ils essayaient de les aider à maintenir
10 l'ordre, la stabilité à Sarajevo en mars, en avril, mais ils étaient en
11 civil. Ils agissaient en tant que citoyens, citoyens qui joignaient leurs
12 forces à celles des forces de police de réserve.
13 Question: Que s'est-il ensuite produit dans la ville?
14 Réponse: La ville a été bombardée.
15 Peu de temps après, la Vjetnitza(?) a été incendiée, la bibliothèque de
16 l'université, la gare, la poste, un certain nombre de bâtiments clés de la
17 ville ont été lourdement bombardés et pilonnés.
18 Question: Pourriez-vous nous donner la date approximative du début de ces
19 pilonnages et bombardements?
20 Réponse: Cela s'est produit le 2 ou 3 mai, et la situation est restée la
21 même pendant environ deux ou trois semaines.
22 Il y avait bien sûr des interruptions, mais un jour sur deux; nous
23 subissions des chocs terribles. Le gymnase olympique a été détruit,
24 beaucoup d'immeubles ont été endommagés, la gare a été détruite, et cette
25 situation, -je le répète-, a duré pendant toutes les semaines et les mois
Page 636
1 qui ont suivi.
2 Question: Je vais vous poser quelques questions plus détaillées sur ces
3 événements.
4 Lorsque les premiers obus sont tombés sur la ville, est-ce que vous
5 pourriez nous préciser les quartiers de la ville qui ont été atteints?
6 Pouvez-vous nous dire un petit peu de quelle façon les choses se
7 présentaient?
8 Réponse: Les bâtiments que j'ai cités se trouvent dans différents
9 quartiers de la ville. On ne peut pas dire que c'est une partie
10 particulière de la ville qui a été ciblée. Les bâtiments touchés étaient
11 tous des symboles de la ville. Cela c'est très clair. C'étaient des
12 bâtiments qui étaient essentiels au fonctionnement de la ville puisque
13 nous parlons de la poste, du gymnase, de la gare.
14 Question: Est-ce qu'à l'époque ces bâtiments ont été les seuls à être
15 touchés, ou bien est-ce que d'autres immeubles ont également été pilonnés?
16 Réponse: Non, plusieurs immeubles ont été atteints. Il y avait beaucoup
17 d'immeubles à plusieurs étages. Il y avait des appartements qui
18 flambaient. Le quartier de la ville où j'avais résidé jusqu'alors,
19 Dobrinja, jusqu'à côté de l'aéroport, le quartier donc où se trouvait la
20 JNA, est un quartier où la moitié des appartements ont été incendiés. J'ai
21 appris cela d'un voisin qui se trouvait là au moment des faits. Cela s'est
22 passé le 2 mai.
23 Moi, je me trouvais justement en centre ville. J'étais dans l'appartement
24 de mes beaux-parents. Vingt jours plus tard, les lignes téléphoniques ont
25 été coupées parce que le bâtiment de la poste a été incendié; on ne
Page 637
1 pouvait donc plus utiliser les téléphones.
2 Question: Monsieur Kupusovic, vous avez expliqué que vous aviez pendant un
3 temps habité le quartier de Dobrinja. Est-ce que vous avez vous pu
4 retourner chez vous à cette époque?
5 Réponse: Non. A 11 heures 15, lorsque les émeutes ont commencé aux
6 alentours du bâtiment de la présidence, moi, je me trouvais dans la rue.
7 Et, lorsque j'ai entendu les premiers coups de feu, je me trouvais avec
8 mes enfants. Donc je suis reparti vers l'appartement de mes beaux-parents.
9 Et, au lieu de prendre le tramway pour aller à Dobrinja où nous pensions
10 nous rendre, nous sommes allés chez mes beaux-parents. Nous avons passé
11 les deux mois et demi qui ont suivi dans l'appartement de mes beaux-
12 parents, parce que nous ne pouvions plus nous rende à Dobrinja; le tramway
13 ne le desservait plus.
14 Lorsque j'ai appelé ma voisine à Dobrinje, nous avons appris que nous
15 n'avions plus d'endroit où nous rendre parce que l'appartement avait été
16 incendié. Il apparaissait, par ailleurs, qu'il n'y avait plus de transport
17 public, tout était bloqué; il était absolument impossible de se déplacer
18 dans la ville: depuis la caserne du Maréchal Tito, des coups de feu
19 étaient tirés dans toutes les directions.
20 Question: Qui occupait la caserne du Maréchal Tito à ce moment-là?
21 Réponse: La JNA.
22 Question: Vous dites que des coups de feu ont été tirés. Pourriez-vous
23 préciser de quels types de coups de feu il s'agissait? C'étaient des coups
24 tirés avec quelle arme: des petites armes à feu ou, au contraire, était-ce
25 des coups d'armes plus lourdes qui étaient tirés?
Page 638
1 Réponse: Eh bien, c'étaient des coups de fusil, d'armes légères. Et puis,
2 il y avait également le Zolja, un lance-roquette à main qui était utilisé.
3 C'est ce type d'arme qui était utilisée pour détruire les appartements.
4 Question: Pouvez-vous nous décrire un petit peu le type de quartier qui
5 était visé par ces tirs, qui provenaient des baraques du maréchal Tito?
6 Réponse: Tous les quartiers de la ville étaient visés, tous les quartiers
7 de la ville qui pouvaient être atteints depuis les casernes évidemment.
8 Mais les tirs étaient tirés dans toutes les directions.
9 Question: Ces tirs, quel a été l'impact de ces tirs sur la capacité de la
10 population de Sarajevo à se déplacer dans la ville, et à mener sa vie
11 quotidienne?
12 Réponse: Je le répète, la caserne se trouve au centre-ville; il s'agit
13 d'un ensemble de bâtiments assez importants. Les tirs provenaient de la
14 caserne, donc il n'y avait aucune communication possible entre les deux
15 parties de la ville, les parties qui se trouvaient de part et d'autre des
16 casernes.
17 Question: Quand vous dites des "parties de la ville qui se trouvaient de
18 part et d'autre de la caserne", vous faites référence aux parties Nord et
19 Sud de la ville ou aux partie Est et Ouest?
20 Réponse: Au Nord et au Sud et à l'Est et à l'Ouest, parce que les axes
21 routiers principaux se trouvent de part et d'autre de la caserne, ces axes
22 ne pouvaient plus être empruntés. Et puis, pour ce qui est des directions
23 Nord et Sud, eh bien, on ne pouvait pas non plus s'y déplacer, parce que
24 c'étaient également des zones qui étaient visées par les tireurs de la
25 caserne.
Page 639
1 Question: Est-ce que des personnes ont été blessées, tuées par ces tirs
2 qui provenaient de ces casernes?
3 Réponse: Oui. La télévision fonctionnait encore, il y avait de
4 l'électricité. A de nombreuses reprises, nous avons vu des images qui
5 montraient des femmes, des enfants, des hommes se faire blesser ou se
6 faire tuer. Nous avons entendu des reportages sur ce type d'incident, des
7 individus qui se trouvaient dans la ligne de mire de ceux qui tiraient, de
8 ces soldats sans doute qui tiraient depuis la caserne.
9 Question: Pouvez-vous nous répéter, une fois encore, combien de temps
10 cette situation a duré?
11 Réponse: Cela s'est prolongé pendant plusieurs semaines, jusqu'à ce qu'un
12 accord soit passé selon lequel la JNA devait se retirer vers la Serbie,
13 donc ce qui restait de la Yougoslavie; un accord a été passé pour que la
14 caserne soit évacuée. Cela a dû se produire un mois et demi environ après
15 le début des incidents.
16 Question: Est-ce que des groupes d'individus se sont regroupés de façon
17 officielle, dirais-je, pour combattre la JNA, pour faire opposition à ses
18 activités?
19 Réponse: Dans les ex-Républiques socialistes de la Yougoslavie, il
20 existait ce que l'on appelait la Défense territoriale, qui était une
21 organisation locale de la République. Et, au début du mois de mai -mais
22 officiellement à la mi-mai-, la Défense territoriale a été mobilisée. Et
23 la Défense territoriale, aux côtés des forces de police de réserve, des
24 forces de police d'active et des groupes de jeunes hommes dont j'ai parlé
25 plus tard qui, par la suite, sont devenus des forces de l'armée de Bosnie-
Page 640
1 Herzégovine, voilà un petit peu la force qui s'est constituée pour faire
2 opposition à la JNA. Ce sont ces forces qui ont essayé de protéger la
3 ville, de protéger les civils de ces attaques.
4 Question: Pendant toute cette période de temps où la JNA occupait la
5 caserne, où les tirs étaient tirés depuis la caserne, que se passait-il?
6 Est-ce que la ville était pilonnée, bombardée?
7 Réponse: Oui, elle était bombardée depuis des positions occupées aux
8 alentours de Sarajevo. Mais il y avait également des bombardements qui
9 provenaient de la caserne qui, je le répète, se trouvait dans la ville.
10 Question: Mais, pour autant que vous le sachiez, est-ce que des obus sont
11 jamais tombés sur les casernes de la JNA à cette époque?
12 Réponse: Je n'ai pas connaissance d'un incident où un obus serait tombé
13 sur la caserne. Mais, ce qui est certain, c'est que ces jeunes hommes de
14 la police ne disposaient pas d'armes avec lesquelles ils auraient pu
15 pilonner la caserne. Il n'y avait pas d'armes lourdes qui se trouvaient
16 entre les mains de ces jeunes hommes.
17 Question: Est-ce que vous vous souvenez si certains des obus provenant de
18 l'extérieur de la ville ont atteint la caserne de Tito?
19 Réponse: Mais c'était la même armée qui se trouvait à l'intérieur de la
20 caserne et autour de la ville.
21 Question: Je vais poser la question de façon différente: avez-vous eu
22 l'occasion d'observer, personnellement, la caserne de Tito pendant cette
23 période de temps, ou bien, est-ce que vous ne vous rendiez pas dans ce
24 quartier en particulier?
25 Réponse: Je ne me rendais pas dans les quartiers avoisinants, la caserne,
Page 641
1 il était très difficile d'atteindre ces quartiers. Mais, depuis
2 l'appartement qui se trouvait derrière le Holiday Inn, nous pouvions
3 apercevoir les murs de la caserne. En fait, on pouvait y voir la caserne
4 depuis à peu près n'importe quel quartier de la ville, parce que c'était
5 un ensemble de bâtiments très importants.
6 Question: Donc, depuis ces points d'observation, est-ce que vous avez pu
7 remarquer si des dégâts étaient infligés à la caserne, notamment au cours
8 du mois de mai? Avez-vous le souvenir d'avoir fait de telles observations?
9 Réponse: Non, je n'ai rien vu de ce genre.
10 Question: Vous nous avez décrit les conditions qui prévalaient dans la
11 ville. Comment est-ce que l'assemblée municipale fonctionnait pendant
12 toute cette période?
13 Réponse: L'assemblée municipale n'avait pas pu se réunir depuis le mois
14 d'avril. Jamais le quorum ne pouvait être atteint. Nous ne pouvions donc
15 pas prendre de décision.
16 La législation en vigueur prévoyait qu'il fallait que la présidence de la
17 ville prenne en main le fonctionnement de l'assemblée municipale. Et il y
18 avait donc le maire, le premier adjoint et le commandant de la défense
19 civile, ainsi que le chef de la police municipale qui se retrouvaient donc
20 au sein de la présidence. La présidence a commencé à exercer ses fonctions
21 au mois de juin parce que, au mois de mai, il n'était toujours pas
22 possible de se déplacer; la situation était très dangereuse.
23 A partir du début du mois de juin jusqu'en janvier ou février 1994, c'est
24 la présidence de la ville qui a assumé les fonctions de l'assemblée
25 municipale, parce que la présidence était la plus haute manifestation de
Page 642
1 l'autorité civile en ville.
2 Question: Un petit peu plus tard nous reviendrons dans le détail sur ce
3 que vous venez de dire. Mais je voudrais vous poser pour l'instant la
4 question suivante: apparteniez-vous, vous-même, à la présidence?
5 Réponse: Oui.
6 Question: Je vous remercie.
7 Donc ce changement intervient dans le cadre de l'administration civile,
8 c'est une chose. Mais vous avez également fait référence à une période de
9 temps pendant laquelle la JNA a évacué la caserne de Tito. Est-ce que vous
10 pouvez nous donner les circonstances qui ont finalement abouti à cette
11 évacuation? Et pouvez-vous nous dire où la JNA s'est rendue?
12 Réponse: Eh bien, quand la Bosnie-Herzégovine a été reçue au sein des
13 Nations Unies en temps qu'Etat souverain, à l'issue de pourparlers menés
14 par des responsables politiques de haut niveau, il a été convenu que la
15 JNA allait quitter la Bosnie-Herzégovine et donc Sarajevo également, et
16 plus précisément la caserne du maréchal Tito.
17 La JNA est donc partie sous contrôle des Nations Unies. Elle était censée
18 laisser derrière elle les armes lourdes qui devaient être utilisées par
19 l'armée de Bosnie-Herzégovine, et ne partir qu'avec des armes légères.
20 Au moment du départ de la JNA, une partie de cette armée est restée à
21 Grbavica, qui est un quartier qui se trouve de l'autre côté de la rivière.
22 Et comme je l'ai déjà dit, la télévision fonctionnait à l'époque. On
23 regardait aussi bien sur la télévision de Belgrade et de Zagreb.
24 Et les jeunes gens qui faisaient leur service militaire à la JNA sont
25 effectivement partis pour Belgrade, donc rentrés au sein de leur famille.
Page 643
1 Mais il était tout à fait évident que la majorité des hommes de la JNA -je
2 parle des soldats et des officiers, mais aussi des armements- sont restés
3 à Sarajevo pour devenir l'armée des Serbes de Karadzic et, plus tard,
4 l'armée de la Republika Srpska, VRS.
5 Question: Donc, à cette époque-là, y a-t-il eu des endroits ou des zones
6 dans la ville qui ont été créés et dont on aurait pu dire que ces zones,
7 ou ces endroits, répondaient au nom de "fronts étant occupés par des
8 soldats"?
9 Réponse: Eh bien, en avril et en mai, donc tout à fait au début, il n'y
10 avait pas encore de lignes constituées, de fronts constitués. On ne
11 pouvait pas utiliser ce terme. Mais les quartiers urbanisés, les endroits
12 où les gens habitaient ont commencé à être gardés par des patrouilles de
13 la police de réserve et des unités de la Défense territoriale composées
14 donc, entre autres, de volontaires qui patrouillaient pour défendre les
15 maisons et les appartements dans lesquels ils habitaient.
16 Et puis, je ne me rappelle plus exactement la date, mais, à un certain
17 moment, l'état de guerre a été déclaré. L'armée de Bosnie-Herzégovine a
18 été créée officiellement et la mobilisation générale a été déclarée, ce
19 qui, pour la ville de Sarajevo, signifiait que l'armée était
20 officiellement chargée de défendre la ville. Et c'est seulement à
21 l'automne, c'est-à-dire depuis le mois de septembre et octobre, que l'on
22 peut parler de création de lignes de front, à savoir depuis le moment où
23 des tranchées ont commencé à être creusées dans certaines parties de la
24 ville, ces tranchées étant considérées comme des moyens de défense.
25 Question: Merci.
Page 644
1 Donc, au mois de mai, la situation que vous décrivez n'a manifestement pas
2 débouché sur un affrontement ouvert. Vous avez parlé également de
3 mobilisation. Quand cette mobilisation a-t-elle eu lieu? Quand a-t-elle
4 été déclarée dans le but de mettre en action la force de défense?
5 Réponse: La présidence de la Bosnie-Herzégovine a décrété la mobilisation
6 et demandé aux jeunes gens en âge de combattre de se faire connaître
7 auprès des instances responsables de la mobilisation. C'est de cette façon
8 que l'organisation de l'armée a commencé. Et le premier commandant de
9 l'armée a été, en fait, le commandant de la Défense territoriale qui,
10 encore à l'époque de l'ex-Yougoslavie, donc à l'époque où la JNA
11 contrôlait la ville pratiquement sur le plan militaire, était le
12 commandant de la Défense territoriale. Il avait déclaré sa fidélité aux
13 autorités de la Bosnie-Herzégovine devenue souveraine, et par la suite, il
14 a été remplacé à son poste.
15 Cette mobilisation s'est effectuée quartier par quartier, ou municipalité
16 par municipalité, mais, en fait, elle se résumait à avoir des jeunes gens
17 se faire connaître, car à à cette époque-là, il y avait encore très peu
18 d'armement et très peu d'uniformes; le potentiel militaire utilisable par
19 ces nouvelles unités n'existait pratiquement pas encore à l'époque.
20 Quant à l'arsenal contenant les armes et l'équipement militaire, en
21 périphérie de la ville, la JNA a déplacé tout cela dans la nuit, donc a
22 emporté tout cela ailleurs, et ces équipements ne pouvaient plus servir à
23 l'armée régulière de la Bosnie-Herzégovine. Cela s'est passé à Faletici.
24 Question: La présidence de votre ville a-t-elle joué un rôle quelconque du
25 point de vue militaire, dans la défense de votre ville?
Page 645
1 M. Kupusovic (interprétation): (Inaudible.)
2 M. Blaxill (interprétation): Vous avez dit que, dans cette période, la
3 ville a subi des pilonnages. Pouvez-vous nous dire si ces pilonnages ont
4 entraîné des pertes humaines?
5 Excusez-moi, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vois au compte
6 rendu d'audience en anglais que ma dernière question au sujet du rôle
7 éventuel de la présidence n'a pas reçu de réponse.
8 M. le Président (interprétation): Je crois comprendre que la réponse à la
9 question a été: pas d'interprétation. Mais j'ai cru entendre néanmoins une
10 réponse prononcée par le témoin.
11 M. Blaxill (interprétation): J'ai cru que le témoin avait dit "non".
12 M. le Président (interprétation): C'est une réponse très courte, elle a
13 peut-être été manquée.
14 M. Blaxill (interprétation): Puis-je reposer la question?
15 M. le Président (interprétation): Je vous en prie.
16 M. Blaxill (interprétation): Monsieur, je vous ai demandé si la présidence
17 de votre ville a joué un rôle quelconque du point de vue militaire dans la
18 défense de la ville. Pouvez-vous répondre à nouveau pour que votre réponse
19 soit consignée au compte rendu d'audience.
20 M. Kupusovic (interprétation): Non, elle n'a joué aucun rôle du point de
21 vue militaire dans la défense de la ville.
22 Question: Merci beaucoup.
23 Il y a à peine un instant, Monsieur Kupusovic, je vous ai demandé s'il y
24 avait eu des pertes humaines suite aux pilonnages subie par la ville,
25 pilonnages qui ont commencé à ce moment-là et se sont poursuivis
Page 646
1 sporadiquement jusqu'au mois de mai 1992. Pouvez-vous nous dire si vous
2 avez une quelconque information à ce sujet?
3 Réponse: Oui, il y a eu des pertes nombreuses. Nous avons entendu très
4 souvent la sirène des ambulances qui transportaient les blessés. En
5 moyenne, il y avait 10 à 15 personnes qui tombaient chaque jour.
6 Question: Vous rappelez-vous, ou bien savez-vous si ces victimes étaient
7 des civils ou des personnes engagées dans des activités hostiles de
8 quelque nature que ce soit?
9 Réponse: C'étaient des civils. Bien entendu, il y avait ici ou là aussi
10 des représentants de la police ou des autres groupes qui défendaient la
11 ville. Question: Connaissez-vous, Monsieur Kupusovic, le rapport entre ces
12 deux groupes? Lequel de ces deux groupes, des civils ou des représentants
13 de la police, ont subi les pertes les plus importantes?
14 Réponse: 95% de ces victimes étaient des civils, le reste revenant aux
15 forces de police et aux autres groupes chargés de la défense de la ville.
16 Question: Parmi ces victimes, n'y a-t-il eu que des victimes des
17 pilonnages subie par la ville, ou bien y a-t-il eu d'autres moyens par
18 lesquels ces personnes ont été tuées?
19 Réponse: Les tirs étaient nombreux en provenance d'armes d'infanterie,
20 d'armes légères que la population a commencé à désigner sous le nom de
21 "fusils de tireurs embusqués". Ces fusils de tireurs embusqués ont fait de
22 nombreuses victimes dans les rues ou aux carrefours parmi les civils; des
23 gens étaient tués et blessés.
24 Question: Mais alors, les gens qui se trouvaient à un carrefour par
25 exemple, ou ailleurs dans la ville, qu'ont-ils commencé à faire pour
Page 647
1 essayer de se défendre contre ces coups de feu qu'ils désignaient sous le
2 nom de "coups de feu de tireurs embusqués"?
3 Réponse: Dès le début, après le 2 mai, la majorité de la population s'est
4 abritée dans les caves en craignant de sortir dans les rues. Mais il
5 fallait néanmoins sortir de temps en temps pour aller acheter du pain ou
6 faire quelque chose, rencontrer des amis ou rendre visite à un blessé par
7 exemple.
8 Et donc, pour franchir ces carrefours, il fallait en faire le tour; à
9 moins de marcher dans une rue plus étroite que les autres où le danger
10 était moins important. Ou alors, on traversait l'endroit en question avec
11 le risque d'être touché s'il n'y avait pas d'autre issue. Et cela arrivait
12 aussi lorsu'on voulait traverser quelques fois une rue.
13 Question: J'aimerais vous interroger plus en détail au sujet de la nature
14 de ces tirs. Ceci était-il le cas de gens qui étaient très proches de ceux
15 qu'on aurait pu appeler des "groupes militaires"? Ou bien, ces personnes
16 étaient-elles frappées d'une façon différente, à partir d'une distance
17 plus éloignée ou par des gens qu'ils ne pouvaient pas voir?
18 Réponse: Les gens qui circulaient dans les rues étaient, pour l'essentiel,
19 des civils. Et les coups de feu venaient du Mont Trebevic, aux environs de
20 Sarajevo, depuis la forêt ou depuis d'autres endroits périphériques de la
21 ville.
22 Et, pour ma part, à la mi-mai, j'ai passé une demi-heure avec ma fille à
23 attendre avant de traverser pour passer de l'autre côté de la rue. Je
24 n'arrêtais pas de me dire: "Est-ce que je rentre à la maison ou est-ce que
25 je traverse?". A un certain moment, les coups de feu ont cessé à l'endroit
Page 648
1 où nous étions; donc nous avons traversé la rue en courant. Et, au retour,
2 nous avons cherché un itinéraire de contournement.
3 Mon épouse, bien sûr, était très fâchée que j'ai ainsi mis en danger ma
4 vie à moi et la vie de ma fille. Mais, plus tard, elle a fait exactement
5 la même chose, elle aussi, car il était impossible de passer toute sa vie
6 dans la cave en attendant que la situation trouve une solution.
7 Il fallait bien s'organiser au niveau de la famille, il fallait organiser
8 notre existence malgré ces dangers d'être blessés par un tireur embusqué
9 ou par un obus.
10 Question: Donc, Monsieur Kupusovic, ce genre de chose se passait-elle
11 régulièrement? Je veux parler des coups de feu tirés par les tireurs
12 embusqués.
13 Réponse: C'était assez imprévisible en fait. Il arrivait que, pendant
14 quelques heures, le calme règne. Après quoi, les coups de feu
15 recommençaient puis s'arrêtaient de nouveau. Donc, c'était très
16 irrégulier, tout à fait irrégulier, sans qu'il existe la moindre raison
17 manifeste justifiant le début des coups de feu ou la fin des coups de feu.
18 Question: Vous venez de nous parler d'une expérience personnelle que vous
19 avez vécue en rapport avec ces tireurs embusqués. Pouvez-vous nous dire,
20 je vous prie, où, vous-même et votre fille, avez pris ce risque en
21 traversant la rue?
22 Réponse: C'était entre Skenderija et le centre de santé, au centre de la
23 ville, un endroit qui est assez ouvert en direction de Trebevic.
24 Question: Pouvez-vous nous dire ce qui vous permet de dire d'où
25 provenaient les coups de feu à partir de l'endroit où vous vous trouviez?
Page 649
1 Réponse: C'était tout à fait évident, parce qu'il y avait des arbres très
2 hauts à cet endroit-là, et on voyait bien une balle par exemple qui
3 arrivait, qui traversait le feuillage et qui frappait l'asphalte ou une
4 personne. C'était tout à fait visible; on voyait que les coups de feu
5 étaient tirés à partir de la colline, en fait, à partir du mont qui se
6 trouve à une centaine de mètres derrière Skenderija.
7 Question: Je crois vous avoir entendu dire que, très logiquement, il y
8 avait d'autres endroits ou la même chose se produisait. Quelle était la
9 caractéristique des endroits où ces coups de feu ont eu lieu? En d'autres
10 termes, y avait-il quelque chose de particulier dans tel ou tel secteur
11 qui rendait ce secteur plus vulnérable aux coups de feu des tireurs
12 embusqués?
13 Réponse: Au centre ville, les rues sont plus larges et traversent assez
14 souvent toute la ville. Donc elles sont ouvertes par rapport aux environs
15 de la ville. Et c'est là que, tout particulièrement, les coups de feu de
16 tireurs embusqués se produisaient. Ces rues étaient très dangereuses à
17 traverser, les gens essayaient d'en faire le tour, de les contourner. On
18 peut dire la même chose des rues qui se trouvent le long des deux rives de
19 la Miljacka, puisque, à ces endroits-là, il n'y avait pas la protection de
20 ces bâtiments, la rue n'ayant qu'une seule rangée de bâtiments. Là aussi
21 il était dangereux de traverser mais, dans les rues plus étroites ainsi
22 que dans les rues plus denses en bâtiments, la situation était plus sûre.
23 Donc, pendant quelques semaines, les gens ont passé leur temps à se
24 transmettre des informations au sujet des rues qu'ils considéraient comme
25 plus dangereuses et des rues qu'ils considéraient comme moins dangereuses.
Page 650
1 Quant à moi, j'ai parlé surtout des rues du centre ville dans les rues
2 entourant l'assemblée municipale, l'hôtel Holiday In, la caserne. Quand la
3 caserne a été occupée, elle était de nouveau vulnérable mais, cette fois-
4 ci, les coups de feu étaient tirés par la partie adverse; c'est-à-dire par
5 les Serbes de Karadzic, autrement dit l'armée de la Republika Srpska.
6 Contre la caserne.
7 Question: La présidence de la ville avait-elle une quelconque
8 responsabilité dans le sens de la sécurité publique ou de prendre des
9 mesures destinées à assurer la sécurité des habitants de Sarajevo, de la
10 population, à cette époque?
11 Réponse: S'agissant des services publics, la présidence avait compétence
12 exclusive, donc elle avait la responsabilité exclusive également. Mais
13 s'agissant d'assurer la sécurité en rapport avec les tireurs embusqués,
14 les obus, la présidence n'avait aucune responsabilité directe, mais elle
15 était chargée de la sécurité des habitants dans le sens où elle était
16 censée améliorer les possibilités de communication ou, en d'autres termes,
17 permettre, dans la mesure du possible, la circulation des gens compte tenu
18 des circonstances.
19 Question: La présidence dont vous étiez membre a-t-elle eu un rôle
20 quelconque dans ces conditions, s'agissant de contacter d'autres personnes
21 pour discuter de la défense des citoyens contre les coups de feu de
22 tireurs embusqués?
23 Réponse: La défense civile relevait du conseil de la République, d'après
24 les textes qui ont présidé à sa création.
25 Donc, le commandant venait de l'état-major de la République, mais la
Page 651
1 défense civile de la ville était commandée par un membre de la présidence
2 municipale. Et elle se faisait selon les instructions de cette présidence
3 municipale, en rapport avec la nécessité de contribuer au maintien de
4 l'infrastructure de la ville.
5 Question: Dans votre souvenir, cette protection civile a-t-elle fait quoi
6 que ce soit pour défendre les civils contre les coups de feu des tireurs
7 embusqués?
8 Réponse: Oui. Au début, les organisations locales chargées de la
9 protection civile ont établi des barrages constitués de containers ou de
10 camions et de tramways ou d'autobus incendiés, parce qu'il y avait parfois
11 des incendies; donc on mettait tous ces véhicules les uns sur les autres,
12 et cela était fait à l'initiative de ces organisations locales pour
13 faciliter la circulation des habitants.
14 Plus tard, la ville s'est organisée et la protection civile a accumulé des
15 containers de grande taille, qui venaient des wagons paralysés sur les
16 voies de chemin de fer de Sarajevo pour fournir une meilleure protection
17 contre les tirs de tireurs embusqués et les armes légères. Bien entendu,
18 des machines ont dû être utilisées pour placer ces containers les uns sur
19 les autres. On ne pouvait pas le faire à la main.
20 Donc des grues ont été proposées par des entreprises recrutées à cette fin
21 pour placer les containers les uns sur les autres, et ce travail a été
22 fait de nuit.
23 Question: Quelles mesures ont commencé à être prises à Sarajevo,
24 s'agissant d'organiser des barrages organisés contre les tirs de tireurs
25 embusqués?
Page 652
1 Réponse: Ceci a commencé au mois de mai. Je parle de la protection
2 organisée par la population sur sa propre initiative.
3 Plus tard, cette protection, cette défense a été organisée par la
4 présidence de la ville et a impliqué la protection civile, ainsi que les
5 entreprises qui pouvaient apporter une aide en déplaçant ces gros
6 containers par exemple.
7 Question: Vous avez utilisé l'expression "sur l'initiative de la
8 population". Que voulez-vous dire par là? Parlez-vous d'une action au
9 niveau communal, local, des habitants d'un quartier par exemple?
10 Réponse: Oui, Sarajevo était organisée et divisée en 120 communautés
11 locales. Il s'agissait d'organisations locales, donc faisant partie de la
12 municipalité et de son pouvoir municipal. Il y avait quelques rues, ou
13 quelques immeubles qui étaient regroupés. Et les habitants logeant dans
14 ces rues ou dans ces immeubles constituaient une communauté locale. Il y
15 avait un petit centre administratif et un employé, une secrétaire par
16 exemple, ou d'autres personnes décidaient de se rassembler et d'organiser
17 le placement de plusieurs containers les uns sur les autres au bout d'une
18 rue qu'ils avaient choisie afin de réduire le risque par rapport aux
19 tireurs embusqués.
20 Donc il s'agissait d'organisations spontanées individuelles qui n'étaient
21 commandées par aucun organisme ou aucune personne officielle. C'était
22 quelque chose qui se faisait au niveau local, la population essayait de se
23 défendre.
24 Question: Vous avez dit ensuite que les autorités se sont engagées dans ce
25 travail. Quels étaient les critères appliqués pour choisir les endroits où
Page 653
1 ces barrages étaient érigés, car la demande devait être très importante?
2 Mais quel était le critère qui présidait au choix où un barrage se créait?
3 Réponse: Au début du mois de juin, quand la présidence s'est occupée de
4 cela, et jusqu'à ce que le bureau du maire donc s'engage dans ce travail
5 -parce que le maire était informé de l'identité des gens qui avaient été
6 blessés ou tués par des tireurs embusqués-, donc connaissant ces éléments
7 de façon générale, il avait une vague idée où le danger était plus
8 important. Et si, à un carrefour particulier par exemple, il y avait déjà
9 eu pas mal de blessés et de tués, eh bien, on décidait de créer à cet
10 endroit, d'ériger à cet endroit un barrage de défense passive. Cela
11 impliquait un très gros travail. Il fallait mobiliser des camions, trouver
12 des containers, les déplacer de façon à créer un endroit qui serait un peu
13 plus sûr par rapport aux tireurs embusqués.
14 Ainsi, au carrefour dont je parlais tout à l'heure, où je me suis trouvé
15 moi-même et où j'ai vécu ce que j'ai dit tout à l'heure, deux étages de
16 containers ont été placés l'un sur l'autre pour organiser la défense,
17 parce que c'était un endroit où pas mal d'habitants avaient déjà été
18 blessés ou tués. Et on était au centre ville où beaucoup de gens
19 circulaient.
20 Question: Pourrez-vous nous parler d'autres lieux importants où très tôt
21 des barrages ont été érigés, mis à part cet endroit où il y a eu cet
22 incident?
23 Ce carrefour où vous avez vécu cet incident?
24 M. Kupusovic (interprétation): Il y a eu des barrages anti-tireurs
25 embusqués devant le bâtiment Energo Invest là où il y avait une avenue
Page 654
1 assez large, et peu à peu, dans toutes les rues qui étaient exposées, qui
2 étaient proches de ces lignes, au pourtour de la ville, là où il avait des
3 tirs. On a vu Novi Grad, il y en avait un sur la route principale qui
4 allait Ilidza, mais aussi dans la vieille ville, à Bascarsija qui le vieux
5 centre de la ville; là il y a une grande place où il avait plusieurs
6 rangées de barrage anti-tireurs embusqués.
7 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, est-ce que le moment
8 se prête bien à une pause? Nous devons terminer à 19 heures à moins que
9 vous n'ayez une toute petite question à poser à ce témoin.
10 M. Blaxill (interprétation): C'est la raison pour laquelle nous avions un
11 petit conciliabule.
12 M. le Président (interprétation): C'est bien ce que je pensais.
13 M. Blaxill (interprétation): J'ai d'autres questions à poser, mais je
14 pense que le moment se prête bien à une pose.
15 M. le Président (interprétation): Je vous remercie Monsieur Blaxill. La
16 Chambre de première instance a l'intention une fois l'interrogatoire
17 principal, le contre-interrogatoire et l'interrogatoire supplémentaire
18 terminés de procéder à une courte conférence de mise en état pour voir
19 s'il y a des problèmes, si on peut les régler.
20 Je ne sais pas si ce sera possible dès demain, ou si ce sera plutôt après
21 demain, mais nous reprendrons nos travaux à 14 heures 15 demain.
22 (L'audience est levée à 19 heures.)
23
24
25