Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 29 août 2006

2 [Audience d'appel]

3 [Audience publique]

4 [L'appelant est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.

6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour à tous.

7 Madame la Greffière, pourriez-vous, s'il vous plaît, appeler la cause qui

8 est inscrite à l'ordre du jour de la Chambre d'appel.

9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,

10 Messieurs les Juges. C'est l'affaire IT-98-29-A, le Procureur contre

11 Stanislav Galic.

12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.

13 Je voudrais m'assurer que les interprètes nous entendent et qu'ils peuvent

14 m'entendre.

15 L'INTERPRÈTE : Oui, Monsieur le Président.

16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci.

17 Monsieur Galic, pouvez-vous m'entendre dans le prétoire ?

18 L'APPELANT : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

19 Juges. Oui, je vous entends bien et je reçois l'interprétation dans ma

20 langue. Je vous remercie.

21 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

22 Je voudrais maintenant demander qui représente les parties. Tout d'abord,

23 pour l'Accusation, s'il vous plaît.

24 Mme BRADY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

25 Juges. Helen Brady, pour l'Accusation. Avec moi aujourd'hui, notre commis à

26 l'affaire Kim Fischer et le long de la table, Michelle Jarvis, Mme Shelagh

27 McCall, Mme Anna Kotzeva et

28 M. Mark Ierace, qui a aussi été le premier Substitut dans le procès en

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1 première instance et qui nous rejoint pour cette affaire.

2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

3 Et pour la Défense.

4 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président et

5 Messieurs les Juges. La Défense du général Stanislav Galic est représentée

6 aujourd'hui par Mara Pilipovic et mon co-conseil, Me Piletta-Zanin, ainsi

7 que notre commis à l'affaire, Aleksandar Momirov. Merci.

8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

9 Je voudrais maintenant expliquer comment nous allons procéder. Comme la

10 Greffière l'a annoncé aujourd'hui, nous allons examiner l'affaire le

11 Procureur contre Stanislav Galic. Les charges qui pèsent contre M. Galic

12 ont pour origine encerclement militaire de la ville de Sarajevo à partir de

13 1992 jusqu'en 1994 par des forces serbes en Bosnie.

14 M. Galic, ainsi que le Procureur, ont interjeté appel d'un jugement rendu

15 le 5 décembre 2003, jugement de la Chambre de première instance I, composée

16 du Juge Orie, Juge Président, et les Juges El Mahdi et Nieto-Navia. La

17 Chambre de première instance à la majorité a jugé que M. Galic était

18 coupable d'un acte de violence dont le but essentiel était de répandre la

19 terreur parmi la population civile, violation des lois et coutumes de la

20 guerre, tel qu'énoncé à l'article 51 du protocole additionnel aux

21 conventions de Genève 1949; à l'assassinat en tant que crime contre

22 l'humanité par des tirs isolés; actes inhumains autres qu'assassinat ou

23 crime contre l'humanité par des tirs isolés; assassinat en tant que crime

24 contre l'humanité par bombardement; et actes inhumains autres que meurtre

25 comme un crime contre l'humanité par des bombardements.

26 Du fait qu'elle a conclu à la culpabilité, qu'elle a retenu pour le

27 chef d'accusation 1, la Chambre de première instance a rejeté les chefs

28 d'accusation 4 et 7 concernant des attaques contre les civils telles

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1 qu'énoncées à l'article 51 du protocole I additionnel et de l'article 13

2 du protocole II additionnel aux conventions de Genève de 1949, en tant que

3 violation des lois et coutumes de la guerre. M. Galic a été condamné à une

4 peine unique de 20 ans de prison.

5 Je vais maintenant brièvement résumer les moyens d'appel présentés

6 par M. Galic. M. Galic présente 19 moyens d'appel. Moyens 1 à 3, M. Galic

7 allègue la violation de ses droits à un procès équitable, y compris son

8 droit de témoigner à son procès; une erreur qui aurait été de ne pas

9 récuser le Juge Orie, une erreur alléguée qui aurait été de ne pas faire un

10 transport sur les lieux à Sarajevo. Quant aux moyens 4, 11 et 13, M. Galic

11 allègue des erreurs pour l'utilisation et la présentation des preuves. En

12 ce qui concerne le chef d'accusation 4, M. Galic allègue que l'Accusation

13 n'a pas communiqué à temps les éléments à décharge. Et aux moyens 11 à 13,

14 M. Galic allègue que la Chambre de première instance s'est fourvoyée dans

15 son appréciation des preuves.

16 Aux moyens 5, 7 et 16, M. Galic allègue des erreurs dans les

17 conclusions auxquelles est parvenue la Chambre de première instance pour le

18 reconnaître coupable du crime de terreur. Aux moyens 6 à 18, il allègue des

19 erreurs en ce qui concerne les condamnations de M. Galic en ce qui concerne

20 des meurtres et actes inhumains. En partie, il allègue également des

21 erreurs concernant les conclusions de droit de la Chambre relatives contre

22 des civils et le caractère cumulatif de ces condamnations et la

23 détermination de sa responsabilité pénale.

24 M. Galic allègue également des erreurs dans l'examen par la Chambre

25 de première instance des dommages collatéraux dans la définition du

26 jugement en première instance et dans la façon dont la Chambre de première

27 instance a examiné la prétendue campagne de bombardements et de tirs isolés

28 contre la population civile.

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1 Le moyen numéro 19 concerne son appel contre la sentence qui lui a

2 été imposée.

3 L'Accusation présente un moyen d'appel contre la sentence. Au cours

4 de l'audience, les conseils de l'Appelant pourront faire valoir les moyens

5 d'appel dans l'ordre qui leur paraît le plus souhaitable pour leur exposé.

6 Je note que par l'ordonnance portant calendrier du 14 août 2006, la Chambre

7 d'appel a invité les parties à développer et à amplifier leurs conclusions

8 sur certains points. La Chambre d'appel a pleinement examiné les

9 conclusions des parties présentées par écrit et souhaite entendre les

10 plaidoiries sur les questions qui sont mentionnées à l'ordonnance portant

11 calendrier du 14 août 2006.

12 Je voudrais maintenant rappeler quels sont les critères qui sont

13 applicables aux erreurs de fait et aux erreurs de droit alléguées en appel.

14 L'appel n'est pas un nouveau procès et les appelants ne doivent pas

15 simplement répéter leurs thèses telles que présentées en première instance.

16 Plutôt, conformément aux dispositions de l'article 25 du Statut du

17 Tribunal, les appelants doivent limiter leurs argumentations à des erreurs

18 de droit prétendues qui pourraient invalider la décision ou des erreurs de

19 fait qu'ils allèguent, qui auraient pu occasionner une erreur judiciaire.

20 En outre, il faut rappeler que les appelants ont une obligation de fournir

21 des références précises aux éléments et documents à l'appui de leurs

22 arguments en appel.

23 La présente audience se déroulera conformément à ce qui a été décidé dans

24 l'ordonnance portant calendrier du 14 août 2006. Les conseils de M. Galic

25 présenteront leurs conclusions ce matin jusqu'à 10 heures 55. Après une

26 suspension d'audience de 30 minutes, les conseils de l'Accusation pourront

27 alors commencer à présenter une réponse de 11 heures 25 à midi 25. Il y

28 aura suspension d'audience entre midi 25 et 14 heures 15, puis les conseils

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1 de l'Accusation auront la possibilité de poursuivre leurs réponses de 14

2 heures 15 à 15 heures. Ensuite, nous suivrons ce que dit l'ordonnance

3 portant calendrier. Je ne répèterai pas maintenant les horaires; je

4 voudrais simplement le rappeler aux parties lorsque nous en viendrons à

5 leurs exposés en gardant à l'esprit que l'audience pour l'ensemble de

6 l'appel, y compris l'appel de l'Accusation, devra se terminer à 17 heures

7 20 cet après-midi.

8 Il serait très utile que les parties puissent présenter leurs arguments et

9 leurs conclusions de façon précise et claire. Les Juges peuvent interrompre

10 les parties à tout moment pour leur poser des questions ou poser des

11 questions à la suite des présentations par chaque partie selon ce qui leur

12 paraîtra approprié.

13 Ayant dit ceci, sur la façon dont nous allons procéder aujourd'hui, je

14 voudrais inviter maintenant le conseil de M. Galic de présenter leurs

15 arguments à l'appui de son appel.

16 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Messieurs

17 les Juges.

18 Conformément à ce qui est dit à l'ordonnance portant calendrier, la Défense

19 va faire de son mieux dans le temps qui lui est imparti pour répondre tout

20 d'abord aux questions qui ont été posées à la Défense, en commençant par le

21 jugement et la sentence lorsqu'il est question des incidents de tirs isolés

22 et ceux de bombardements seront analysés séparément. La Défense répondra

23 tout d'abord aux questions 1, 2 et 4 concernant les bombardements. Après

24 quoi, je répondrai à la deuxième question et fournirai l'analyse qui

25 constitue la réponse aux questions 3 et 5.

26 Ainsi, la Défense commencera par la question numéro 1 telle qu'elle

27 figure à l'ordonnance portant calendrier. Cette question sera analysée par

28 mon éminent confrère, Me Piletta-Zanin. Ensuite, en ce qui concerne le

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1 point 2, les incidents de bombardement, une fois qu'ils auront été

2 couverts, je m'exprimerai sur l'autre question qui est celle des incidents

3 des tirs isolés.

4 Avant que mon éminent confrère, Me Piletta-Zanin, ne commence son

5 exposé, ne commence à répondre à la première question, la Défense voudrait

6 faire remarquer que nous nous en tenons à notre position telle qu'elle est

7 exposée lors du procès et dans notre acte d'appel pour répondre au mémoire

8 présenté le bureau du Procureur en appel.

9 En plus de cela, je voudrais également faire remarquer que le général

10 Galic et tous ceux qui étaient ses subordonnés n'ont jamais entrepris de

11 tir contre des installations civiles.

12 Je voudrais maintenant donner la parole à mon confrère, Me Piletta-

13 Zanin, s'il vous plaît.

14 M. PILETTA-ZANIN : Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la

15 Chambre, bonjour également.

16 J'ai très longtemps hésité à venir devant cette Chambre et à exprimer

17 quelle était la position du général Galic et de sa Défense. J'ai, à vrai

18 dire, hésité parce que dans une période où l'on voit qu'il y a des choses

19 qui dépassent les modestes avocats d'une Défense et sans doute beaucoup

20 d'autres juristes, comme des transfèrements dans nos ciels européens et

21 sous nos aéroports européens de détenus aux fins d'être interrogés, lorsque

22 l'on voit que les preuves qu'on donne ne sont jamais considérées lorsqu'il

23 faut qu'elles soient considérées, lorsque l'on voit ce genre de chose, il

24 faut qu'il y ait des gens qui viennent et qui disent ceci n'est pas juste.

25 Si aujourd'hui, Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la Chambre,

26 j'ai souhaité vouloir venir plaider, ce n'est pas pour plaider contre une

27 équipe de l'Accusation, ce n'est pas pour plaider contre un jugement, ce

28 n'est pas pour plaider contre des personnes mais pour plaider pour quelque

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1 chose et ce pourquoi j'aimerais plaider, c'est simplement pour le droit.

2 A titre d'introduction, il y a deux choses très importantes que je veux

3 dire dès le début et je dois les rappeler, et j'entends donner ici pour

4 aider votre Chambre un certains nombres de coordonnées et de références

5 précises. Le premier point que vous avez relevé tout à l'heure, c'est la

6 notion de la nécessaire récusation du Juge Orie. Nous avions, à l'époque,

7 présenté un certain nombre d'arguments et votre Chambre n'avait pas retenu,

8 à la suite d'une certaine décision, les indications que nous avions

9 données. Nous faisons donc référence ici expressément à certains arrêts.

10 J'ai donné déjà la liste en cabine afin que la cabine puisse vérifier ce

11 qu'il en est. Ces arrêts sont, par exemple, les suivants : pour ce qui est

12 du droit européen, nous pourrons noter rapidement Piersack contre Belgique,

13 1er octobre 1982, série A, numéro 51, pages 14, 15 et paragraphe 30; Cubber

14 contre Belgique, 26 juin 1984, série A, 86, page 14, 16, numéro 25 à 30;

15 Hauschildt contre Danemark, 24 mai 1989, série A, numéro 154, pages 21 à

16 22, 46 à 52; également, on pourra citer également les affaires Sahiner

17 contre Turquie; Sranek contre Autriche; Padovani contre Italie; Samari

18 contre France et Fincklay contre Royaume-Uni.

19 Il y a évidemment du droit américain qu'on peut citer. On pourra citer, par

20 exemple, sur cette question de la récusation nécessaire : l'affaire Davis

21 contre Board of Schools for Mobile County; on pourra citer l'affaire Camero

22 contre United States; Berger contre United States; on pourra citer

23 également l'affaire Collins contre Dixie Transport Inc.

24 Si je donne ces sources, Monsieur le Président, Messieurs les Juges de la

25 Chambre, c'est pour la simple raison suivante. Nous savons que dans cette

26 affaire, le général Galic était poursuivi pour les crimes que vous avez

27 résumés d'entrée et pourquoi la Défense vous remercie.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

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1 Mme BRADY : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Je suis

2 désolée d'interrompre mon confrère alors qu'il est au milieu de ses

3 arguments, mais est-ce qu'il y a une liste des sources qui ait été fournie

4 ou un livre, parce que l'Accusation ne l'a pas.

5 M. PILETTA-ZANIN : Je donnerai une copie de tout cela, bien sûr, à

6 l'Accusation.

7 Puis-je continuer ? Puis-je continuer ?

8 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]

9 M. PILETTA-ZANIN : C'est exactement ce que je disais, Monsieur le

10 Président. Je peux donner une copie à l'Accusation dès maintenant.

11 L'INTERPRÈTE : Le Président parle hors micro.

12 M. PILETTA-ZANIN : Monsieur le Président, je pars du principe que le temps

13 étant précieux. Je peux continuer ?

14 Ce que je voulais dire, c'est la chose suivante. Le général Galic a été

15 poursuivi et condamné pour un certain nombre de crimes mais il faut bien

16 retenir ceci. Lorsqu'il a été jugé, il y avait dans l'équipe, en quelque

17 sorte, des trois juges qui devaient le juger, un Président qui s'était déjà

18 prononcé, dans le cadre du crime prima facie, en relation à simplement la

19 confirmation de l'acte d'accusation contre le général Mladic. Lorsqu'il a

20 effectué cela, le Juge président, M. Orie, a très clairement exprimé le

21 fait publiquement en sa qualité que le général Galic était également

22 susceptible d'être poursuivi par conséquent, comme comparse du général

23 Mladic dans le cadre d'une entreprise collective criminelle de génocide.

24 Nous avons un Juge président, qui va juger un homme pour des crimes tels

25 que des meurtres, en tout état des crimes de degré inférieur aux crimes de

26 génocide qui est présenté par l'Accusation et par cette autorité, votre

27 Tribunal, comme le crime le plus important. Voici un Président qui va

28 poursuivre cet homme pour des crimes de degré inférieur, mais qui

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1 publiquement a reconnu qu'il était intervenu dans des actes de génocide.

2 Comment voulez-vous, au sens de la jurisprudence que l'on connaît, comment

3 peut-on, comment pouvons-nous admettre au sens de cette jurisprudence, à la

4 fois sous l'angle objectif et à la fois sous l'angle subjectif, qu'un

5 accusé quel qu'il soit, Galic ou un autre, puisse raisonnablement organiser

6 sa défense face à un Président dont il sait qu'il a déjà considéré sur la

7 base de pièces, qu'au demeurant lui n'a pas, qu'il pourrait être coupable

8 également, prima facie seulement, d'accord, d'un crime de génocide ?

9 Eh bien je vous le dis, je vous l'assure, je mets mes deux mains à couper s'il

10 le faut, toutes les autorités qui pourraient, si cela n'était pas ce

11 Tribunal, ou qui auraient pu être appelées à prononcer sur cela, telle que

12 par exemple la Cour internationale des droits de l'homme à Strasbourg, eh bien

13 toutes admettraient ici un nécessaire et évident cas de récusation. Voilà

14 ce que je voulais dire au titre d'un préambule, et voilà pourquoi il faut

15 que les principes soient respectés et voilà pourquoi j'entendais plaider

16 avant tout pour le droit.

17 Cela étant, Monsieur le Président, j'aimerais maintenant m'intéresser à un

18 autre aspect du dossier, c'est celui de la qualification de l'infraction.

19 J'entends ici viser la qualification du crime dit de terreur qui est, comme

20 chacun le sait, un néologisme, puisque ce Tribunal a dû inventer, outre la

21 décision considérée, une nouvelle terminologie en français, c'est le crime

22 de terrorisation. Bien, nous avons ici, et c'est le deuxième point

23 essentiel, c'est la deuxième grande violation dans cette affaire, nous

24 avons ici un accusé qui est poursuivi pour un crime qui était régulièrement

25 et parfaitement défini par l'Accusation dans le cadre de l'ensemble du

26 processus habituel, c'est-à-dire élaboration d'un acte d'accusation, puis

27 soumission de cet acte au Tribunal, à votre Tribunal, quoique ce soit à un

28 Juge seulement dans le cadre de la procédure de confirmation, il s'agit là

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1 des articles 50 du Règlement de procédure et de preuve et voici que le

2 crime, tel qu'il a été défini et proposé et apporté en jugement, est

3 accepté par ce Tribunal. Ce crime va impliquer de la part de l'Accusation,

4 et j'ai en face de moi Me Ierace donc il ne me contredira pas, il va

5 impliquer au titre d'une condition absolument nécessaire et sine qua non,

6 la réalisation de ce qu'en anglais Me Ierace avait défini comme étant

7 "the actual infliction of terror." La terreur effectivement appliquée à la

8 population civile.

9 Alors ce procès se déroule dans cette optique-là. Ce procès se déroule avec

10 cette idée claire du devoir et de l'obligation principale confirmée par le

11 Tribunal, de l'Accusation, de rapporter preuve de cet "actual infliction,"

12 preuve qui n'a jamais été rapportée, c'est une évidence.

13 Lorsque la cause de l'Accusation se termine, la cause de la Défense

14 démarre; c'est tout à fait normal et logique. La Défense va alors axer

15 l'entier de son propre dossier sur d'autres éléments que ce crime prétendu

16 de terreur simplement parce qu'elle a compris et retenu que la preuve

17 n'étant pas apportée, il est inutile d'y axer cette Défense. Lorsqu'à

18 clôture des débats la Défense a terminé, comme l'Accusation d'ailleurs, son

19 travail ici, on voit que la justice, on voit que les Juges, mais même pas

20 un Tribunal unanime, deux Juges, une majorité, j'allais dire une faible

21 majorité par rapport à l'enjeu des débats, ces Juges vont reconsidérer

22 l'infraction pour dire après 18 mois et sans jamais avoir posé une seule

23 question : Mais nous n'avons rien compris, ni vous, ni nous, ni personne.

24 En fait, ce qu'il fallait c'est autre chose. Cela n'est pas prouvé que la

25 terreur avait été effectivement infligée. C'était simplement de savoir

26 qu'on s'est basé clairement et simplement sur la définition de l'article

27 51. Mais on a empêché la Défense d'axer son dossier sur une telle position

28 et cela c'est une claire évidence. Malheureusement pour le général Galic en

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1 l'état, très perturbante violation des droits essentiels de la Défense.

2 J'aimerais maintenant, Monsieur le Président, m'intéresser à la

3 notion de population civile en relation à la campagne. Je tiens à vérifier

4 le temps qui est à ma disposition et garder présent à l'esprit les deux

5 questions soulevées par votre Chambre, sous point 1 notamment, page 2, de

6 l'ordonnance que vous avez citée tout à l'heure, l'ordonnance du 14 août

7 2006.

8 Vous avez posé une question qui est déterminante. J'y reviendrai

9 d'ailleurs plus tard, mais quant à savoir quelles sont les attaques qui

10 sont considérées par la Défense comme ayant été erronément admises par le

11 Tribunal de première instance comme étant des attaques manifestement

12 illicites, c'est-à-dire impliquant tir sur la population civile et volonté

13 d'y procéder ou d'y avoir procédé, nous allons procéder comme suit. Nous

14 allons examiner, pour ma part, les cinq cas de bombardements dits listés,

15 c'est-à-dire les cinq cas soumis techniquement, au Tribunal de première

16 instance,

17 et je vais également examiner, mais à titre, je dirais d'effet mosaïque, un

18 certain nombre de considérations de la Chambre de première instance, par

19 rapport au jugement, point par point, afin de certifier et de vérifier

20 pourquoi telle attaque retenue comme étant prétendument illicite, ne peut

21 pas l'être.

22 Je ne suis pas les traductions. Est-ce qu'il y a, Monsieur le

23 Président, des problèmes de traduction ou est-ce que tout fonctionne ?

24 Bien, je continue ? Merci.

25 Alors nous savons, Monsieur le Président, ce que sont des biens civils.

26 Même si l'on retenait applicable le protocole additionnel numéro I, on

27 pourrait partir de la définition négative qui est usuellement donnée par

28 les textes, c'est-à-dire que les biens de caractère civil sont ceux qui ne

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1 sont pas des objectifs militaires.

2 Mais à ce sujet, Monsieur le Président, du protocole I et pour aider

3 la Chambre, je tiens à dire que nous savons en tout état que contrairement

4 à ce qu'on a toujours retenu, il semble bien que l'accord du 22 mai 1992,

5 cet accord ne serait peut-être jamais entré en force tout simplement parce

6 que le CICR m'a confirmé que dans leurs archives ils n'avaient jamais reçu,

7 semble-t-il, ils n'avaient pas retrouvé en tout cas l'intégralité des

8 quatre lettres de confirmation qui auraient été nécessaires. Je vois qu'on

9 m'interrompt à nouveau. Je cède le parquet.

10 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui.

11 Mme BRADY : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre à nouveau mais mon

12 confrère entre maintenant dans les éléments de preuve qui ne font pas

13 partie du dossier. C'est quelque chose qui a été traité, je crois dans la

14 deuxième requête supplémentaire concernant les preuves qui ont été

15 rejetées. Je voudrais lui demander de ne pas présenter d'élément concernant

16 cette question.

17 M. PILETTA-ZANIN : Vous savez que les Juges de première instance

18 s'étaient basés sur des lettres qu'ils avaient trouvées et étaient allés

19 chercher au sein de la bibliothèque du Tribunal. Eh bien, vous pourrez faire

20 la même chose, vous n'aurez qu'à aller vérifier dans la bibliothèque du

21 Tribunal où se trouve cette lettre puisque généreusement je l'ai offerte

22 aux fonds publics du bibliothécaire afin que cela puisse rentrer et servir

23 à tout un chacun. Ce n'est pas une pièce mais c'est ouvert, cela se trouve

24 aujourd'hui dans les fonds de la bibliothèque.

25 Puis-je continuer parce que nous perdons du temps. Merci beaucoup.

26 Très bien. Je ne sais plus où j'en suis, je demanderais peut-être un peu de

27 temps supplémentaire à cause des interruptions.

28 Oui, alors ce que je disais c'est que si l'on voulait retenir ce

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1 protocole I applicable, la première chose avant de pouvoir déduire quoi que

2 ce soit en matière d'attaque non légitime, c'est de définir ce que sont les

3 biens civils par opposition aux biens militaires. Sans procéder à cette

4 tâche qui était déterminante, essentielle et qui était vraiment la tâche de

5 la Première instance, rien ne pouvait être dit et même aucune réponse ne

6 pourrait être apportée à la question que vous avez posée sous point 2 de

7 votre ordonnance, c'est-à-dire de savoir si oui ou non des attaques sur

8 cibles prétendument légitimes, donc sur des tirs militaires, seraient de

9 nature telle qu'elles pourraient impliquer une terreur en quelque sorte, si

10 j'ai bien compris l'idée où vous voulez nous conduire, par le biais de

11 l'application du principe de la proportionnalité qui n'aurait pas été

12 respectée. Mais j'y reviendrai plus tard. Si l'on ne procède pas à cet

13 exercice, on ne pourra rien déduire.

14 D'autant qu'il y avait des témoins que j'aimerais pouvoir citer et je

15 vais les citer très rapidement qui avaient déclaré ceci, je cite, par

16 exemple, pour Francis Roy Thomas, 30 mai 2002, transcript 9295, je le

17 cite tel qu'il a été dans son transcript : "…et à moins qu'il n'y ait eu un

18 QG militaire ou que cet endroit se trouvait près de la ligne de front, la

19 plupart des quartiers de Sarajevo étaient qualifiés de résidentiel."

20 Qu'on sache où sont ces quartiers généraux, c'est là que le problème

21 s'est posé dans la pratique. C'est là que je le souligne. Je donne pour

22 assister votre Chambre, les références suivantes de transcript, 4 733, 6

23 149, 6 222, et je citerai tout particulièrement mais toujours à titre

24 d'exemple, 8 668, avec le témoignage de Mole, que je cite : "Vous dites,

25 Monsieur, que le bombardement était indiscriminé, est-ce que vous pourriez

26 nous dire précisément où se trouvait le QG des brigades des bataillons et

27 des compagnies ?"

28 "Réponse : De quel côté ?

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1 "Question : A Sarajevo.

2 "Réponse : Non, je ne peux pas vous le dire," a déclaré ce témoin.

3 Ce témoin était un important gradé des UNMO et il représente

4 l'opinion générale.

5 Ces gens ne savaient pas où se trouvaient les casernes des principaux

6 lieux militaires et même les postes, tels que les postes de commandement.

7 Comment voulez-vous lorsqu'ils voient un bombardement prétendument en

8 ville, qu'ils puissent exclure le fait qu'il ne s'agisse pas d'un

9 bombardement légitime ? Pour eux cela tombait sur un quartier, c'était

10 nécessairement civil. Mais lorsqu'on regarde les faits, ils ne savaient pas

11 où se trouvaient les objectifs légitimes, et même jusqu'aux généraux en

12 charge d'opération. Vous verrez que M. Abdel-Razek, 15 juillet 2002,

13 transcript 11 616 et suivants, avoue ne pas le savoir, ne pas connaître ces

14 lieux. Vous verrez également Fraser, 11 210, 11 220 et 223.

15 Je viens maintenant, Monsieur le Président, au cinq cas dits listés

16 de bombardement. Ces cas listés de bombardement visent essentiellement

17 trois zones géographiques sur dix quartiers de Sarajevo et ne couvrent une

18 période totale que de 15 jours pour les deux premiers tirs considérés,

19 c'est-à-dire, 22 janvier 1994 et 5 février 1994, pour les tirs 3, 4 et 5,

20 et 42 jours, je reviens sur ce que j'ai dit tout à l'heure pour les deux

21 premiers tirs considérés, c'est-à-dire, 1er juin 1993 et 12 juillet 1993. Ce

22 sont les incidents numéro 1 et 2. Sur un total sur 720 jours à peu près,

23 c'est-à-dire deux années, voici que nous avons, seulement une période

24 couverte au titre d'exemple de moins de deux mois. C'est quand même

25 déterminant. D'autant qu'il n'y a aucun tir de cette prétendue campagne

26 présentée en jugement, techniquement s'entend, depuis la prise de

27 pouvoir du général Galic en septembre 1992, et que les tirs de 1994, ces

28 trois tirs qui sont sur une quinzaine de jours, ces tirs correspondent à un

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1 moment, nous le savons, vous le savez, de très grandes crispations

2 militaires, un moment où les Serbes demandaient des accords de paix et où

3 les parties étaient violemment opposées, certains voulant l'intervention de

4 l'OTAN militaire et aérienne et l'obtiendront d'ailleurs ainsi que

5 l'histoire le sait.

6 Dans les trois cas de bombardement listés sur Dobrinja, qui sont ces

7 cas intervenant sur la zone sud de la ville, deux sont de toute évidence

8 des cas qui ne peuvent pas être considérés comme des attaques sur civils.

9 Le premier, c'est-à-dire celui qu'on a appelé erronément la partie

10 football, le premier arrive sur les lignes mêmes et sur des bunkers de

11 l'armée, ce qui aurait dû être considéré comme un objectif légitime. Le

12 second va chercher à centrer, si tant est bien sûr, à chaque fois que

13 l'origine du tir soit prouvée, va chercher à centrer l'entrée ou la sortie;

14 cela dépend du tunnel qu'on a appelé DB. A ce sujet, il est apparu

15 récemment, la Défense fera tout le possible pour produire ces pièces

16 lorsqu'elle le pourra, il est apparu tout récemment que des lettres émanant

17 du pouvoir suprême de Sarajevo à l'époque, de la présidence, établissent

18 que des forces musulmanes avaient créé une fausse entrée du tunnel

19 stratégique de Dobrinja Butmir, au milieu de la population civile dans une

20 zone à 250 mètres, semble-t-il, de la vraie entrée, c'est-à-dire exactement

21 à peu de chose près, là où l'incident considéré, l'incident dit de la ligne

22 d'attente de l'eau, où l'incident considéré donc est intervenu.

23 J'attire votre attention sur ce fait, ce n'est pas ici le système du

24 bouclier humain où l'on prend des civils pour les mettre sur des objectifs,

25 c'est encore un autre système, mais qui est prouvé par des lettres qui

26 seront produites, qui veut que l'on place de faux objectifs, des leurres au

27 sein de la population civile pour en tirer ensuite certaines conséquences.

28 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent à Me Piletta-Zanin de bien vouloir

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1 ralentir. Merci.

2 M. PILETTA-ZANIN : Il y avait à cet égard, et pour reprendre le problème de

3 Dobrinja, une citation que je voulais faire, et on la trouve dans le cadre

4 d'un rapport qui est le "Department of Defense Report to Congress on the

5 conduct of the Persian Gulf War," cité chez Bouvier Sassoli. Cela se lit en

6 page 1 026. Bouvier Sassoli est un ouvrage qui est à ce point connu que je

7 n'ai pas à donner les références. J'espère qu'on ne m'interrompra pas.

8 Je cite : [interprétation] "Dans un effort visant à diminuer les

9 dommages collatéraux civils, la responsabilité de la protection de la

10 population civile dépend de la partie qui contrôle la population civile. La

11 partie qui se défend doit prendre des précautions raisonnables de façon à

12 séparer la population civile des objets de caractères civils pour les

13 distinguer des objectifs militaires et éviter de placer des objectifs

14 militaires au milieu de la population civile."

15 [en français] Il s'agissait du bombardement d'un bunker où des civils

16 avaient trouvé protection, et que le rapport que je cite, bien évidemment,

17 n'a jamais conclu à aucune responsabilité pénale, d'aucun militaire

18 quelconque dans ce tir qui avait fait plusieurs dizaines de victimes

19 civiles, c'est un fait notoire.

20 Or, c'est très exactement, c'est très exactement ce qui se passe pour

21 les deux cas de bombardements de Dobrinja que je cite maintenant, celui de

22 juin et celui de juillet 1993. Puisque comment voulez-vous admettre, à

23 supposer que le tir soit de provenance serbe toujours, comment voulez-vous

24 admettre qu'il soit acceptable qu'en temps de guerre, une autorité qui est

25 censée protéger ses propres civils, puisse autoriser des civils à venir

26 organiser une partie de football sur la ligne de front pratiquement ? Je

27 rappelle que les distances se passent… se discutent en mètres, en dizaines

28 de mètres et non pas en kilomètres, la ligne de front était là, tout à

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1 côté. Il y a là une incohérence absolue, à organiser de telles activités en

2 temps de guerre et à admettre qu'il s'agit là d'un tir sur la population

3 civile.

4 Le même raisonnement vaut pour la queue, la fameuse queue pour la

5 distribution de l'eau, puisque là, on se trouve à nouveau sur un objectif

6 essentiel. Bref, voilà pourquoi ces tirs ne peuvent pas être catégorisés

7 comme tirs sur population civile à supposer, encore, qu'ils soient de

8 provenance serbe.

9 Pour le troisième tir sur Dobrinja, même raisonnement. Nous nous

10 trouvons avec un tir intervenant dans la zone proche ou quasiment proche de

11 la ligne de confrontation. Ce que j'ai dit plus haut vaudra ici.

12 Je saute à pieds joints, en quelque sorte, on passera l'expression

13 sur Alipasino Polje, mais les mêmes informations valent ici, les mêmes

14 commentaires vaudront en tant que sur Alipasino Polje. Nous savons qu'il y

15 avait deux choses. Un : une unité qui abritait des moyens mécaniques et

16 blindés. C'est un fait connu et rapporté par le dossier de preuves. Puis,

17 des unités de police militaire, semble-t-il, qui étaient localisées sur ce

18 secteur.

19 Je reviens maintenant à Markale. Markale est le cinquième des cas de

20 bombardement, des cas qu'on a défini comme étant listés, avec la précision

21 que je reviendrai aussi plus tard sur l'ensemble des autres cas de

22 bombardements intéressant le dossier Galic.

23 Pour Sarajevo, je dois faire deux remarques, tout d'abord. Tout

24 d'abord, c'est l'évidence du nombre, et ensuite la question des fragments.

25 J'aimerais juste savoir si le rythme n'est pas trop rapide pour les

26 traducteurs, auquel cas je le baisserai, mais apparemment c'est le silence,

27 donc pas de protestations.

28 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent à Me Piletta-Zanin de bien vouloir

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1 ralentir, merci.

2 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]

3 M. PILETTA-ZANIN : Je suis dans la même position que vous, Monsieur le

4 Président, pour une fois.

5 Nous continuons, Monsieur le Président. Merci beaucoup. Je reviens donc,

6 par conséquent, sur la question de Markale.

7 L'évidence du nombre est la suivante : combien de tirs avérés sur Sarajevo-

8 Markale ? Combien de tirs dont on peut savoir, démontrer avec certitude,

9 qu'ils auraient été établis et reconnus par les spécialistes, les experts,

10 comme étant des tirs un, ayant frappé le marché, et deux, étant prouvés

11 d'origine ou de provenance serbe. Vous avez beau chercher dans le dossier,

12 vous avez beau chercher dans la presse, vous avez beau chercher partout, on

13 en trouvera pratiquement qu'un seul, et ce un, c'est Markale. Et encore, un

14 tir d'une salve d'un obus, alors que vous trouverez dans le dossier des

15 preuves, des éléments de preuve certains établissant que, pour les tirs de

16 120 millimètres, je pense notamment au Témoin AD que je citerai plus tard, AD,

17 usuellement, les Serbes tiraient deux tirs en salve et en même temps avec

18 deux tubes en parallèle. Deux tirs en même temps qui auraient dû tomber,

19 donc, en même temps sur Markale où apparemment, il n'y en aurait eu qu'un

20 seul.

21 Deuxième chose, les fragments. Cela, c'est le point le plus délicat, cette

22 histoire. Nous savons, et je fais référence à la pièce D60, D61, qui est

23 une copie que nous avions faite de documents transmis par l'Accusation.

24 Nous savons qu'il existe quelque environ 70, 80 fragments de cet obus qui

25 ont été recueillis tous sur site et tous frais, frais, cela veut dire

26 immédiatement après l'explosion, ainsi que le rapporte le dossier. Ces

27 "shrapnels" comme on dit, ces éclats existent puisque l'Accusation a pu les

28 manipuler, les voir, les toucher, les photographier, en faire des

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1 documents, et cetera, et lorsqu'on a demandé production de ces documents

2 matériels, de ces éclats de mortier, miracle ou étonnement, ils avaient

3 disparu. Voici un procès essentiel sur des crimes parmi les plus

4 importants, et voici qu'au moment où la Défense veut exercer ses droits

5 pour vérifier la qualité de ces éclats, savoir si c'était bien un obus ou

6 plusieurs ou quoi que ce soit, on ne le saura jamais, voici que ces

7 éléments disparaissent. Comment est-ce qu'ils disparaissent ? Vous ne le

8 savez pas. Nous ne le saurons pas. Personne ne le saura. Tout ce qu'on nous

9 dit c'est, étonnamment : On est navré, ils se sont perdus. Voici les pièces

10 à conviction les plus importantes qui se sont perdues. Non, pas tout. On a

11 trouvé le stabilisateur. Une seule pièce. Mais avec une seule pièce, on ne

12 peut rien déduire, parce que les examens mécano chimiques qu'on ferait sur

13 la même pièce ne pourraient jamais être en contradiction avec cette même

14 pièce puisqu'il y en a qu'une.

15 Il faut au moins deux éléments pour avoir une contradiction. Or là, on nous

16 a produit qu'un seul élément, le stabilisateur, qui lui ne s'est pas perdu.

17 Alors je trouve singulier, je me dis : à qui est-ce que cela sert ? Est-ce

18 que cela sert la justice ? Est-ce que la justice sert le droit si la

19 justice prononce, à partir d'éléments qu'elle sait avoir existé, mais qu'on

20 ne veut pas lui produire en audience afin de ne pas permettre à une Défense

21 d'exercer ses droits ? Cela, c'est la question que vous pose

22 respectueusement la Défense. Alors la Défense n'y croit pas, bien

23 évidemment. La Défense ne croit pas que ces documents, ces moyens de

24 preuve, ces éléments se soient perdus, et elle pense également que Markale

25 ne peut jamais être retenu comme un élément de preuve dans le cas d'une

26 campagne de terreur.

27 En voici la démonstration. Généralité. Tout d'abord, de nombreux

28 experts, qui sont, comme vous êtes des experts du droit, comme l'Accusation

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1 est un expert du droit, mais eux sont des experts techniques, techniciens,

2 qui se sont penchés sur la question, et ils n'ont jamais pu trouver un

3 accord, alors que ce sont des gens compétents, pour savoir d'où venait cet

4 obus. C'est ensuite assez singulier qu'une Chambre de première instance

5 puisse techniquement prétendre et affirmer en savoir plus que des experts

6 qui, eux-mêmes, ont dit : Nous ne pouvons pas le savoir. Premier point.

7 Deuxième point, il y a des éléments techniques. Ces éléments

8 techniques de la Chambre se basent sur une seule chose, une seule chose,

9 qui est l'angle d'arrivée de l'obus. C'est à partir de l'angle d'arrivée de

10 l'obus qu'on va déterminer la culpabilité du général Galic. J'affirme non

11 seulement c'est un peu, peu, mais j'affirme que c'est totalement

12 insuffisant, et j'aimerais ici pouvoir parvenir à vous le démontrer. C'est

13 pour répondre également à l'une des questions que votre Chambre avait

14 soulevées.

15 Premier point, l'angle d'arrivée de l'obus. Pour en déduire ensuite

16 une trajectoire et une origine de tir, enfin une distance de tir et une

17 origine de tir, va être considérée en application à deux choses : un, une

18 formule dite Sandia Laboratory, et cetera, pas rapport à la pénétration

19 théorique de l'obus dans le sol; et deux, bien évidemment la nature du sol.

20 Ce sont deux prémisses qui sont essentielles aux raisonnements.

21 Mais ces deux prémisses dans la pratique sont fausses pour les

22 raisons suivantes : premier point, la Chambre a totalement omis de

23 considérer dans son scénario la possibilité de l'entrée en cause d'un autre

24 élément qui est le toit ou l'un des toits. Si je dis cela, c'est parce

25 qu'il y a dans le dossier des éléments de preuve, je cite D64, je cite

26 transcript 5 416, notamment une cassette où l'on entend au moment même de

27 l'incident, quelqu'un dire à peu près ceci, et là je cite de mémoire : "Va

28 regarder sur le toit, s'il ne se trouve pas quelques éléments de cet obus.

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1 Va regarder sur le toit".

2 Pourquoi est-ce qu'au moment de cet incident, qui s'est donc déroulé

3 par terre, quelqu'un aurait eu l'idée d'aller voir sur le toit ce qui

4 s'y est passé ? Cela c'est un élément de preuve dans le dossier. Je me dis

5 : est-il possible qu'un obus, au moment où il chute dans un milieu urbain,

6 heurte un toit dans sa chute, heurte un toit dans sa chute ? Et là, il ne

7 faut pas être expert pour comprendre que si l'on heurte un toit dans sa

8 chute, la trajectoire sans exploser, la trajectoire est déviée. Ce

9 mécanisme-là devait être pris en considération ou au moins examiné avant

10 que de pouvoir être exclu. Cela c'est le premier des points.

11 Le deuxième des points qui est important c'est que la Chambre, partant de

12 la formule du Sandia Laboratory n'a jamais, dans la réalité, examiné ce

13 qu'était le degré de résilience, c'est-à-dire, le degré du dureté du sol

14 considéré. On nous dit : c'est un sol de gravier et d'asphalte, très bien,

15 mais nous allons nous promener dans la rue et nous allons regarder dans la

16 rue ce qui se passe, et vous verrez qu'il y a dans cette ville, où je vous

17 parle maintenant, des rues qui sont faites d'asphalte, complètement

18 déformées par le passage des véhicules, et d'autres qui résistent

19 parfaitement. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas les mêmes degrés par rapport

20 aux matériaux et qu'il fallait utiliser concrètement des recherches

21 précises et techniques pour déterminer quel était ce degré de résistance à

22 la pénétration de ce sol en particulier. Si on ne le faisait pas, on se

23 trompait nécessairement. J'y viendrai plus tard.

24 Autre point absolument essentiel. La Chambre de première instance note, à

25 raison tout à fait, que par rapport au cratère, c'est-à-dire au trou laissé

26 par l'obus, ce cratère, je cite le Jugement, page 192, version anglaise à

27 447.

28 Je cite : [interprétation] "…avait été modifié et creusé de nouveau

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1 pour extraire les éclats d'obus."

2 [en français] J'attire votre attention sur la note 1618 de bas de

3 page. La conclusion que la Chambre devait tirer nécessairement quelle est-

4 elle ? C'est celle-ci : ce cratère avait été détruit, c'est-à-dire,

5 recreusé, élargi et modifié structurellement dans son aspect avant que

6 toute mesure ait été effectuée. Alors, vous me direz oui, mais enfin ce

7 n'est pas si important que cela. Je vous dis oui, et j'aimerais qu'on

8 puisse ici me suivre dans cette démonstration. Il y a des éléments de

9 preuve où l'on voit un soldat qui gratte dans ce cratère pour essayer

10 d'extraire ce "tail fin."

11 Eh bien, trois centimètres, Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

12 trois centimètres ce n'est rien, c'est peut-être l'épaisseur du crayon que

13 je tiens en main. Trois centimètres de différence, d'erreur. C'est une

14 pointe de canif, une pointe de couteau. C'est un caillou qu'on fait sauter

15 au fond du cratère, du tunnel même, trois centimètres d'erreur par

16 hypothèse, trois ou quatre centimètres cela va être 33 % de marge d'erreur,

17 voire 45 % de marge d'erreur lorsque l'on considère que le cratère était

18 retenu comme étant, paraît-il, de neuf centimètres de profondeur.

19 Or, si vous avez une erreur due à cette recreuse de trois

20 centimètres, ce qui n'est rien, soit de 33 % ou de 45 %, si on prend quatre

21 centimètres, vous faussez tout votre calcul. Qui va me garantir que lors de

22 cette recreuse du tunnel il n'y a pas eu un incident de cette nature ?

23 Comment pouvons-nous affirmer aujourd'hui que ce cratère est resté tel

24 qu'il était dans sa profondeur ?

25 Il y a un témoignage, un témoignage d'une personne qui est venue et

26 qui dit : oui, c'est bien le même stabilisateur, c'est bien le même "tail

27 fin," parce que lorsque je l'ai pris et que je l'ai remis, je n'ai aucune

28 difficulté à le remettre en place. C'est M. Zecvic qui dit cela, je crois

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1 enfin de mémoire. Je n'ai aucune difficulté à la remettre en place. Bien.

2 Si on n'a aucune difficulté à le remettre en place, cela veut dire quoi ?

3 Cela veut dire justement que ce cratère avait été modifié dans ses aspects,

4 largeur ou profondeur, de telle façon que l'on pouvait le glisser sans

5 aucune difficulté. Cela ne veut pas dire le contraire. C'est justement la

6 preuve de la destruction effective et de l'impossibilité de toute mesure

7 consécutive à cette destruction. Premier point.

8 Deuxième point qui me paraît important. C'est que la Chambre est

9 partie du principe qu'elle pouvait baser son analyse à partir de la formule

10 du laboratoire américain que j'ai cité plus haut. Bien. Cette formule

11 détermine quels sont les degrés de pénétration par rapport au sol, donc les

12 vitesses minimales nécessaires, à partir de la vitesse minimale on en

13 déduit la distance de tir. Cela je dis c'est très bien. Mais je dis la

14 Chambre n'est pas allée aussi loin qu'elle aurait dû si réellement elle

15 voulait obtenir des résultats fiables. Parce que la bonne question à poser,

16 c'est celle-ci :

17 Depuis quand, à partir de quand ces résultats techniques, ces données

18 techniques, ces formules existent-elles et sont-elles accessibles à la

19 collectivité, non pas internationale des Juges ou des avocats mais des

20 experts ? Le Tribunal apporte une réponse mais n'en tire pas les logiques

21 conclusions qui s'imposent. Le Tribunal nous dit, et je fais ici référence

22 à la note de bas de page 1 640, je répète 1 640, en page 195 du Jugement,

23 nous dit que la formule Berezansky est similaire ou analogue dans les

24 résultats qu'elle donne à la formule de laboratoire Sandia, mais qu'elle

25 existe depuis le début du XXe siècle, je dis bien le début du XXe siècle.

26 Alors, la question est maintenant la suivante : on sait qu'il y a une

27 formule qui existe depuis le début du XXe siècle, qui donne des résultats

28 analogues ou similaires, et on sait qu'à Sarajevo, tout particulièrement,

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1 où cette question était déterminante, savoir d'où venait les tirs dans un

2 milieu urbain où les lignes étaient enchevêtrées, on sait que cette formule

3 n'a jamais été utilisée par l'ensemble de la collectivité des experts

4 techniciens balisticiens sur site.

5 Alors pourquoi ? Pourquoi ? Je vais vous le dire. A mon avis, il n'y

6 a qu'une seule réponse. C'est parce que ces formules ne sont pas fiables du

7 tout. Ce sont des formules très théoriques, mais dans la réalité, elles ne

8 sont pas fiables. Si elles étaient fiables, évidemment les techniciens, les

9 balisticiens les auraient utilisées et on aurait su depuis longtemps, on

10 aurait su avec précision d'où venaient les tirs. Si on n'utilise pas ces

11 formules, c'est parce que justement, il n'y a pas de consensus des experts

12 là-dessus. S'il n'y a pas de consensus, c'est pour une raison évidente,

13 cela ne fonctionne pas comme cela dans la réalité pratique du terrain. Je

14 ne vois pas que la Chambre de première instance, qui n'est pas un expert

15 balisticien, puisse en faire plus que ce qu'ont pu faire tous les

16 techniciens à ce sujet.

17 D'autres éléments maintenant par rapport à cet incident de Markale,

18 et ici je vous serai gré de bien vouloir peut-être, quand vous en aurez

19 l'opportunité, vous intéresser au transcript français. Il y a un témoignage

20 qui est un témoignage absolument déterminant qui est un témoignage qui

21 innocente simplement le général Galic. C'est le témoignage de AK-1, qui est

22 cité mais cité partiellement au paragraphe 454 du Jugement. C'est ici qu'à

23 nouveau la majorité n'a fait, en quelque sorte, que son travail à moitié.

24 Je m'explique. Ce témoignage AK, que j'ai entendu à l'époque,

25 lorsqu'il délivrait son témoignage, ce Témoin AK, a dit une chose qui

26 malheureusement ne s'est pas retrouvée dans le transcript anglais. C'est

27 pour cela que je vous prie de bien vouloir aller vérifier sur le transcript

28 français, qui est complet et conforme à ce qu'a dit ce témoin à l'époque

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1 dans sa langue maternelle, et que je suivais en serbo-croate.

2 Je cite le transcript français. Pour ce témoin en date du 15 mars 2002,

3 transcript page 5 453. Par rapport aux tirs du 5 février 1994, le témoin

4 dit ceci, je cite maintenant : "C'est quelque chose qui est passé en

5 survolant au-dessus de nous." 5 453.

6 Un peu plus loin, 5 472 : "J'ai entendu le tir, le bruit du tir."

7 Après, quelque chose comme quelque chose qui tirait au-dessus de la maison.

8 Transcrit du 15 mars 2002, 5 472.

9 Nous avons quoi dans le dossier d'instance ? Nous avons un témoin qui

10 dit : "Ecoutez, j'habite à 500 mètres des lignes serbes, dans une région

11 dont on sait qu'elle est en déclivité. J'ai entendu deux choses, j'ai

12 entendu le tir, qu'elle décrit comme une bouteille qui explose, puis après

13 quelque chose qui est passé au-dessus de ma maison que j'ai entendu,

14 qu'elle décrit en audience comme étant un sifflement. Je crois me souvenir

15 que ce témoin avait fait quelque chose pour la cabine des interprètes comme

16 [indescriptible] pour indiquer ce bruit, ce son de sifflement passant par-

17 dessus la maison.

18 Maintenant, reprenons le raisonnement de la Chambre mais à l'envers,

19 soixante cinq degrés d'arrivée égale, puisque nous sommes en parabolique,

20 plus ou moins 65 degrés de départ. Monsieur le Président, nous sommes très

21 loin en tout cas pour ce qui est de la Défense, de nos souvenirs de

22 collégiens, mais nous savons qu'à l'époque on nous enseignait à --

23 M. LE JUGE POCAR : Monsieur Piletta-Zanin, si vous voulez ralentir un peu,

24 ce serait mieux pour les interprètes. Vous pouvez continuer. Ils ont de la

25 peine à vous suivre.

26 M. PILETTA-ZANIN : Les interprètes savent l'amitié que je leur dois. Je

27 m'exécute, Monsieur le Président.

28 M. LE JUGE POCAR : Merci.

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1 M. PILETTA-ZANIN : Avec mes excuses et mes remerciements.

2 Monsieur le Président, nous savons tous dans nos souvenirs de collégiens ou

3 d'écoliers comment on utilise un compas. Nous prenons l'horizontal, nous

4 mettons un angle de 65 degrés, nous projetons sur l'horizontal une distance

5 de 500 pour les 500 mètres et nous regardons ce que donne le point à la

6 verticale du point 500. A 65 degrés, nous nous trouvons, j'ai fait plus ou

7 moins le calcul, à environ 1 000 mètres d'altitude.

8 Je mets au défi, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je mets au

9 défi chacun d'entre nous d'entendre à un kilomètre un objet qui n'est pas

10 autopropulsé, qui en soi ne produit pas de bruit, qui n'a pas de moteur

11 mais qui vole dans l'air silencieusement. Je mets au défi chacun d'entre

12 nous d'entendre ce bruit. Je ne dis pas que ce témoin a bien menti, bien au

13 contraire, il a dit la vérité. Mais je dis comment pouvons-nous faire pour

14 comprendre ce qu'il a dit ? Comment est-il possible que ce témoin ait

15 entendu voler ? Il le décrit clairement ce bruit. Il y a une possibilité

16 très simple, c'est que l'obus était beaucoup plus bas dans sa trajectoire

17 lorsqu'il a survolé cette maison, et pour qu'il soit beaucoup plus bas dans

18 sa trajectoire avec prétendument un angle de 65 degrés ou un angle aigu, il

19 faut qu'il ait été tiré depuis beaucoup plus près, c'est-à-dire beaucoup en

20 dessous de la distance de 500 mètres qui sépare la maison du témoin de la

21 ligne de conflit. En d'autres termes, le simple fait que ce témoin ait

22 entendu l'obus voler au-dessus de sa maison, cela c'est la preuve

23 indiscutable, à moins qu'on veuille se cacher la face et ne pas voir la

24 preuve, c'est la preuve indiscutable et finale que cet obus a été tiré à

25 partir d'une distance d'où son vol serait audible pour une personne située

26 dans une maison. C'est la preuve que l'obus n'a pas été tiré en deçà des

27 lignes ou à partir des lignes serbes. Or, pour ne pas avoir recherché ce

28 témoignage dans le transcript français, la Chambre a manqué une occasion de

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1 disculper le général Galic. C'est à vous maintenant qu'il appartiendra de

2 le faire.

3 Concernant le fait que l'obus soit parfaitement silencieux, il y a des

4 éléments qui le prouvent très clairement dans le dossier. Je fais référence

5 au transcript 6 228. Dernier point sur l'accident de Markale. On nous dit,

6 qu'en d'autres termes, que cet accident de tir était intentionnel, qu'il y

7 avait une mens rea de la part du général Galic, mais lorsqu'on examine les

8 raisonnements, le pourquoi de ce mens rea, on est extrêmement frappé par la

9 pauvreté, je m'excuse du terme, mais par la pauvreté des arguments mis en

10 avance non pas par la Chambre, mais par sa majorité.

11 Qu'est-ce qu'on nous dit ? En définitive si on regarde bien ce qui se passe,

12 on nous dit que comme un marché est un marché, il est susceptible d'être

13 frappé, et comme il est susceptible d'être frappé, il a été frappé, et

14 comme il a été frappé c'est intentionnellement qu'il a été frappé. C'est un

15 peu résumé de ma part, mais si vous regardez bien le raisonnement de la

16 Chambre, c'est uniquement ce qui se passe. On nous dit simplement que, mon

17 Dieu, le marché attirait du monde, alors c'était une cible intéressante.

18 Mais est-ce que cela veut dire que parce que c'est une cible intéressante

19 je vais nécessairement la détruire ? On nous dit que les Serbes savaient

20 tirer, alors parce qu'ils savaient tirer ils avaient tiré ce jour-là. Puis

21 on nous dit, mon Dieu, que le général Galic avait la volonté de le faire,

22 mais sans qu'on sache pourquoi il avait la volonté de le faire.

23 Par contre, on n'examine jamais les preuves à décharge, notamment celles

24 données par le Témoin AD, qui est un homme qui disait mais dans la règle

25 concernant les 120, on tirait toujours une salve de deux simultanément. Or,

26 sur Markale, que je sache, l'Accusation a toujours affirmé qu'il n'y avait

27 qu'un seul tir d'obus.

28 Alors, mon Dieu, si je devais ici pour une fois faire référence et non pas

Page 83

1 citer, mais faire référence à des modèles historiques plus anciens que la

2 fameuse décision Motumora, qui d'ailleurs ne sera pas de

3 beaucoup d'utilité dans ce débat, je dirais volontiers la chose suivante,

4 navré pour les cabines [latin] "et caeterum censeo Galicem disculpandum

5 esse."

6 Pour revenir sur votre question deux, Monsieur le Président. Vous avez posé

7 la question. Je ne sais pas si les cabines ont saisi, mais je pense que

8 oui, enfin, la Chambre retrouvera.

9 Pour revenir sur votre question deux, de l'ordonnance du 14 août 2006,

10 Monsieur le Président, il y a deux façons d'apporter réponse à votre

11 question. La première, c'est d'examiner très rapidement, paragraphe par

12 paragraphe, pourquoi tel ou tel objet ne peut pas être considéré comme

13 étant une attaque illicite délibérée. La deuxième, c'est le volet

14 statistique.

15 Je commence, Monsieur le Président, très rapidement, par faire la liste des

16 paragraphes que je veux examiner par rapport au Jugement. Pour faciliter la

17 tâche des traducteurs, je vais très, très vite dire quels sont les

18 paragraphes que je vais élaborer ici, et les regarder point par point. Ce

19 sont les paragraphes suivants : 210, 212, 213, 215, 218, 216, 219, 220,

20 222, 229, 231, 234, 244, 292, 322, 325, 328, 329, 368, 370, 414, 417, 435,

21 436 et 562.

22 Monsieur le Président, point 210. Il s'agit là de généralités, sans

23 précision aucune, invérifiables, et en contradiction avec la pièce P3137,

24 qui est le rapport de Mme Tabeau.

25 Point 212, on cite M. le général Briquemont, mais on oublie de citer ce que

26 lui-même a dit, c'est-à-dire qu'il a déclaré ceci, je cite maintenant :

27 [interprétation] "Comment voulez-vous éviter le bombardement de la ville de

28 Sarajevo."

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1 [en français] Paragraphe 213, je cite maintenant sur le texte français du

2 Jugement, je cite : "A plusieurs reprises la Défense a suggéré à des

3 témoins qui avaient travaillé pour l'ONU à Sarajevo que les dommages

4 matériels étaient plus importants sur la ligne de front que dans la ville,

5 ce qui laisserait penser que les pertes enregistrées en ville étaient

6 accidentelles. Le dossier d’instance montre toutefois, que la plupart des

7 tirs d'artillerie frappaient la ville et que les civils et la population

8 civile en tant que tels, des secteurs de Sarajevo tenus par l'ABiH, étaient

9 visés à partir du territoire contrôlé par la RSK."

10 Or, cela est totalement erroné. C'est une grave erreur de fait,

11 Monsieur le Président.

12 Je cite ici, par exemple, les témoins suivants : Mandilovic,

13 7 décembre 2001, transcript 1 054, je cite :

14 [interprétation] "La plupart des tirs ont eu lieu dans la partie sud

15 de la ville."

16 [en français] Transcript 8 526, par rapport à des bombardements

17 arrivant proche des postes de commandement, il dit ceci, je cite :

18 [interprétation] "Dans la plupart des cas, ils étaient assez proches de la

19 ligne de confrontation ou des installations militaires, oui."

20 [en français] Le commandant Henneberry, un témoin qui avait pourtant

21 trouvé bon de s'entretenir avec un autre témoin pour lui rafraîchir la

22 mémoire, dans son calepin il note ceci, je cite 21 mai 2002, transcript 8

23 644 :

24 [interprétation] "Les nouvelles de la BBC disent que les Serbes ont

25 bombardé l'aéroport. Nous avons observé et fait un rapport de cet état

26 depuis le mont Igman, Ilidza. C'était erroné de l'armée."

27 [en français] Tucker, 18 juin 2002, transcript 10 032. Michael Rose,

28 transcript 10 261, qui me dit la chose suivante, je cite :

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1 [interprétation] "La plupart des tirs ont eu lieu près de la ligne de

2 conflit, c'est ainsi."

3 [en français] 1er juillet 2002, transcript 10 941, extrêmement clair,

4 même si en session fermée, et enfin, le général Adrianus Van Baal, un

5 Hollandais, transcript 11 381, question :

6 [interprétation] "Général, je voudrais qu'on se centre sur Sarajevo.

7 Pourriez-vous d'abord confirmer si c'est bien le cas, puisque nous avons eu

8 des témoignages en ce sens, que les plus grandes destructions ont eu lieu

9 dans le secteur de la ligne de démarcation ou de la ligne de confrontation

10 ?"

11 "Réponse : C'est exact."

12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Pourriez-vous ralentir, s'il vous

13 plaît, pour les interprètes ?

14 M. PILETTA-ZANIN : Je m'y emploie.

15 Paragraphe 215, merci. 215 et 218. Par rapport à des bombardements,

16 rien de ce qu'a dit Ashton ne peut et ne devra être retenu. Je rappelle que

17 ce témoin n'est pas crédible. C'est dans toute la collectivité de la presse

18 internationale le seul journaliste freelance international qui n'a jamais

19 été soigné, transféré de Sarajevo à une base militaire américaine en

20 Allemagne, puis soigné dans une clinique privée, puis reçu chez un ami dans

21 une bourgade allemande, sans bourse délier, mais aux frais du gouvernement

22 américain. A l'instar du Juge Nieto-Navia, nous aurons tous compris ce qui

23 se cache là-dessous. Pour ce qui concerne le Juge Nieto-Navia, voir la note

24 de bas de page 24 de son opinion dissidente.

25 216. La Chambre tient ceci du témoignage de M. Mukanovic. Je cite :

26 C'est justement pourquoi il y avait beaucoup plus de civils parmi les

27 blessés arrivant à l'hôpital, et cetera, et cetera.

28 Or, à nouveau, c'est faux. La preuve en est établie par la pièce

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1 P3137, qui est le rapport Tabeau, où l'on sait qu'il y avait une vaste

2 majorité de victimes militaires, et au demeurant des hommes et non pas des

3 civils.

4 Paragraphe 219, page 5 777, référence au Témoin AD, que je citais,

5 mais on oublie de dire, à dessein peut-être, que ce témoin a refusé

6 d'exécuter des ordres illicites de tirs sur civils, ce qui est bien la

7 preuve que des ordres supérieurs avaient été donnés de ne pas tirer sur les

8 civils. A cet égard, je dois rappeler l'existence d'un lapsus calami

9 qu'avait le Tribunal lorsqu'il voulait considérer à décharge les éléments

10 par rapport à la culpabilité du général Galic, où il avait déclaré, je cite

11 de mémoire, qu'il était possible que le général Galic ait donné des ordres,

12 et je cite de mémoire et en anglais.

13 [interprétation] "…de s'abstenir et de ne pas attaquer les civils."

14 [en français] Ce qui en bon français, comme en bon anglais, veut dire

15 s'abstenir de ne pas attaquer des civils, donc de les attaquer. Ce qui est

16 un lapsus calami, assez déterminant par rapport à l'état d'esprit de la

17 Chambre. Je donnerai des références si vous les souhaitez tout à l'heure.

18 Pour ce qui concerne le Témoin AD que j'ai cité, voir à cet endroit

19 le transcript 10755.

20 Paragraphe 220, témoignage de M. Hrvaal, qui n'est pas corroboré.

21 Paragraphe 222, sur le fait que les civils

22 [interprétation] "…quittaient rarement leur appartement."

23 [en français] 216, plus haut.

24 Maintenant, j'examine quartier par quartier. 229, quartier de

25 Grbavica. On nous dit qu'il y avait des routes protégées et que "covered

26 streets," qu'il y avait des voies protégées qu'utilisaient les civils pour

27 voyager dans Sarajevo. On nous dit que les Serbes visaient ces voies, et

28 que par conséquent, leur but était d'attaquer les civils. Personne n'a

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1 jamais examiné si l'armée utilisait également ces voies protégées. A vrai

2 dire, pourquoi l'armée aurait-elle utilisé des voies découvertes pour se

3 faire tirer dessus et non pas des voies protégées pour être protégée ?

4 C'est un non-sens absolu.

5 231. A nouveau, et c'est une règle générale, nous n'avons aucune

6 précision sur les bombardements mentionnés qui nous auraient permis de

7 dire, non, cela c'est en relation à une attaque particulière, cela c'est en

8 relation à une stratégie particulière, et cetera.

9 244. A nouveau, déposition Ashton, et aucune précision sur les

10 bombardements.

11 245. Même observation. On ne sait même pas si le dommage que l'on

12 mentionne dans ce paragraphe avait été fait pendant la période de

13 commandement ou avant la période de commandement. On est en train de tout

14 mélanger.

15 246. Hrasno. Le témoin cite des dates précises, cela est vrai, mais

16 pourquoi est-ce que l'Accusation -- M. Lerace étant là, il pourrait nous

17 répondre à cette question. N'a-t-il pas amené cet exemple précis en

18 jugement au Tribunal pour qu'on l'analyse ?

19 292. Alipasino Polje. Aucune précision sur les bombardements. On cite

20 Nedzarici, mais la Chambre n'indique pas que Nedzarici a été réellement

21 rasée par des bombardements de provenance non-serbe.

22 322, 325. Un balcon détruit, mais on oublie de dire qu'il était sur

23 la ligne de séparation.

24 328, 329. On mentionne des tirs d'Igman et de Butmir. Mais Igman et

25 Butmir, cela n'était pas des positions serbes.

26 Dobrinja, 368, même remarque, notamment pour l'affirmation du

27 personnel des Nations Unies. On ne sait pas si on se réfère à une période

28 antérieure ou non.

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1 369. Un autre balcon touché, mais une autre ligne de confrontation.

2 370. Dobrinja, encore est divisée en deux camps. C'est vrai que cela

3 a été bombardé.

4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je dois vous interrompre. Veuillez

5 ralentir pour les interprètes.

6 M. PILETTA-ZANIN : Monsieur le Président, on voit qu'il y a longtemps que

7 je ne suis pas revenu dans ce palais. Je fais en sorte de ralentir. Merci.

8 370. Dobrinja était en effet la zone la plus combattue, mais à nouveau, on

9 ne mentionne la serbe Nedzarici rasée au sol.

10 374. L'aéroport, on ne mentionne jamais les témoignages clairs, notamment

11 Y, notamment d'autres qui disent qu'en pratique, il y avait peu ou prou de

12 bombardements serbes sur l'aéroport. Brdo, aucun détail pour la Défense,

13 sinon que Brdo est une colline et les crêtes, c'est un objectif militaire

14 en général. Stari Grad, c'est-à-dire, Markale, on mentionne à nouveau que

15 l'endroit aurait reçu des tirs de provenance serbe, mais on cite, par

16 exemple, l'ancienne brasserie sans jamais dire et reconnaître que cette

17 brasserie était reconnue comme étant un atelier de "storage," - je n'ai pas

18 le mot en français - et de production et de réparation d'armements, c'est-

19 à-dire, un objectif légitime. On oublie de dire qu'il y avait là la caserne

20 de Bistrik, la caserne d'un certain commandant Cacak [phon], qui va être

21 assassiné plus tard par les forces musulmanes et qui était un objectif

22 certain.

23 562. Enfin, et c'est le dernier point pour répondre à votre question.

24 On oublie tout simplement de considérer qu'après le 5 février 1994, il n'y

25 a plus de bombardement possible. Un, parce que les tirs se sont arrêtés, et

26 deux, parce que les armes lourdes vont être, par le fait du général Galic

27 qui a exécuté cela dans le cadre de ce qu'on appelle la TEZ, "total

28 exclusion zone," retirées de plus de 20 kilomètres du front de Sarajevo.

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1 Quoi qu'on en dise, plus de campagne de bombardement possible depuis le

2 début de l'année 1994.

3 Monsieur le Président, il y a un second volet que j'aimerais

4 maintenant utiliser, et pour cela j'ai besoin - je pense que cela existe

5 toujours - j'ai besoin du rétroprojecteur et de l'assistance de vos

6 assistants. J'aimerais qu'on pose ce document avec votre autorisation sur

7 le rétroprojecteur. J'en ai un certain nombre, j'ai un certain nombre de

8 documents à votre disposition, et qu'on pourra également distribuer à la

9 partie adverse pour une meilleure lecture.

10 Monsieur le Président, je ne sais pas si nous bénéficierons d'un peu

11 plus de temps, compte tenu du fait que la technique est un peu plus lente

12 de ce que je le pensais.

13 Est-ce qu'on voit maintenant sur l'écran ? Oui, Monsieur le Président.

14 J'aimerais maintenant qu'on se concentre. Il s'agit là d'un document qui

15 émane de l'Accusation. Il s'agit d'une page tirée du rapport de Mme Tabeau.

16 J'aimerais qu'on la voie mieux en totalité. C'est le graphique qui nous

17 intéresse, s'il vous plaît. Au bas de la page, s'il vous plaît.

18 On voit très bien. Pour prendre l'exemple de Stari Grad, et ce n'est qu'un

19 exemple. La zone claire représente - nous regardons les hommes uniquement -

20 pour les femmes, ce n'est pas pertinent pour des raisons de nombres, mais

21 pour les hommes la zone claire représente les civils, la zone foncée

22 représente les militaires. Bien. C'est là que je veux répondre à votre

23 question deux. Nous avons prétendument Stari Grad, un quartier que tout le

24 monde définit comme un quartier exclusivement civil. Nous avons une

25 population militaire de

26 45, 50 000 personnes à Sarajevo, pour une population totale de 340 000

27 personnes. Avec des tirs prétendument indiscriminés, sur un quartier

28 prétendument civil, on arrive à produire quelque chose comme quatre fois

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1 plus de victimes militaires que de victimes civiles. Comme nous avions un

2 rapport de population de un sur sept, sept fois plus de civils que de

3 militaires, pour arriver à quatre fois plus de militaires, en résultat nous

4 devons multiplier par sept cette proportion. Ce qui veut dire que dans un

5 quartier prétendument civil, il y avait 30 fois plus - je ne dis pas 30 %,

6 je dis 30 fois plus de victimes militaires que de victimes civiles. Cela ce

7 sont les chiffres de l'Accusation et pas les nôtres. Comment voulez-vous

8 dans ces conditions affirmer qu'il n'y aurait pas eu de tir sélectif et où

9 il n'y aurait pas eu de respect de la proportion ?

10 Pour terminer - on peut laisser à l'écran - pour terminer j'aimerais

11 revenir sur votre dernière question. Peut-on ou non concevoir que la

12 terreur, si elle existe, et nous avons toujours dit qu'elle n'existe pas,

13 que cette terreur puisse s'être réalisée par des tirs sur des objectifs

14 légitimes, mais d'une telle façon, c'est-à-dire, sans le respect de la

15 proportionnalité de la proportion qu'elle produirait de la terreur ?

16 Je comprends très bien votre volonté de trouver là quelques modifications

17 peut-être au Jugement. J'attire votre attention et je dis ceci : Sarajevo

18 n'est pas le laboratoire qu'il nous faut. Pourquoi ? Parce qu'à Sarajevo

19 nous avons plusieurs, plusieurs et de nombreuses cibles. A Sarajevo, ces

20 cibles sont légitimes, comme par ailleurs dans d'autres villes. Lorsque

21 vous tirez sur ces cibles, par exemple, en ville, ceux qui habitent tout à

22 côté, au premier coup, à la première explosion, vont ressentir - et c'est

23 normal - je parle des civils - vont ressentir de la terreur, la terreur est

24 légitime, elle est logique, elle dépend simplement du fait que lorsque

25 quelqu'un est un civil et qu'une bombe explose, il est effrayé. Lorsqu'il

26 est effrayé, cette terreur est déjà réalisée, et y aurait-il eu par

27 hypothèse non-respect de proportion, on ne peut rien en déduire puisque

28 déjà à Sarajevo il y a terreur provenant de la conduite légitime des

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1 hostilités.

2 En d'autres termes, votre question revient - pour faire un exemple plus

3 simple - à poser la question de savoir si l'on peut assassiner un mort.

4 C'est à cela que cela revient pragmatiquement et en pratique, et la réponse est

5 bien évidemment, non. On ne peut pas créer une terreur illicite par le non-

6 respect possible ou impossible de la proportionnalité. Simplement parce

7 qu'à Sarajevo, si l'on fait le travail qu'on doit faire, c'est-à-dire

8 d'établir les cibles légitimes parsemées dans la ville, et de distinguer,

9 ce qui n'a jamais été fait, les actions légitimes des actions illégitimes,

10 à Sarajevo, la terreur résultait d'actions légitimes. On ne peut pas

11 imaginer pour Sarajevo un autre système que celui-ci.

12 J'en ai terminé, Monsieur le Président. En rappelant ce que j'ai dit, je

13 reviendrai peut-être plus tard sur d'autre chose. Il n'est pas possible de

14 répondre affirmativement à votre question. Merci de votre patience.

15 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Est-ce que vous souhaitez poursuivre,

16 Maître Pilipovic ?

17 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,

18 Messieurs les Juges. La deuxième partie de la question posée à la Défense

19 était que nous répondions au fait quelles étaient ces attaques directes qui

20 ont été mal qualifiées par la Chambre de première instance et qui auraient

21 conduit à des conclusions erronées ? La Défense voudrait faire remarquer

22 qu'il a été établi que dans le cours du conflit, sur le front de Sarajevo,

23 il y avait des actions militaires légitimes. C'est ce que le bureau du

24 Procureur a lui-même reconnu, et le bureau du Procureur était censé faire

25 la distinction entre ceux qui étaient légitimes et ceux qui ne l'étaient

26 pas. Ils ne l'ont pas fait. Ils ont manqué de le faire. Les tableaux

27 d'incidents répertoriés, qui ont été présentés avec le deuxième additif à

28 l'acte d'accusation, où le Procureur a rapporté certains incidents,

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1 d'autres incidents n'ont pas été examinés.

2 La Défense souhaiterait appeler votre attention sur le paragraphe 86, d'un

3 rapport de la commission des Nations Unies où il est dit que pour pouvoir

4 établir si un incident était légitime ou non, ce qu'il faut établir, c'est

5 le moment de l'opération, le site géographique, la position des parties et

6 toutes autres circonstances.

7 Lorsqu'il faut décider s'il y a eu des attaques directes contre des

8 civils et s'il y a eu un crime pour répandre la terreur, la Chambre de

9 première instance n'a pas établi un seul fait en ce qui concerne ces

10 facteurs, tels que le lieu et l'heure de l'action, la position, le

11 déploiement des parties et la qualité des victimes. La Chambre se fonde

12 erronément sur ce qu'on appelle des preuves d'ordre général. La Défense

13 estime que de telles conclusions erronées de la Chambre de première

14 instance, en ce qui concerne les attaques directes contre des civils, se

15 fondent à la fois sur des erreurs de fait et des erreurs de droit, parce

16 que la Chambre de première instance a déduit de telles conclusions sur la

17 base de ce qu'on appelait les éléments de preuve généraux.

18 Nous voudrions appeler l'attention au paragraphe 188 de l'arrêt. Il

19 s'agit des preuves générales où la Chambre elle-même consacre son attention

20 à l'appréciation de certains éléments de preuve, notamment la distance

21 entre la victime et la source vraisemblable des tirs, l'endroit où se

22 trouvaient les victimes, la ligne de confrontation, les opérations de

23 combat qui avaient lieu à ce moment-là, la présence pertinente d'activités

24 militaires et d'installations militaires dans le voisinage, l'apparition

25 des victimes ou à quel point ces victimes étaient visibles et comment elles

26 étaient vêtues, ainsi que la possibilité d'avoir une ligne de visée sans

27 obstacle.

28 La Défense soutient que ce qu'on appelle les incidents qui ne sont

Page 93

1 pas répertoriés, la Chambre n'est pas entrée dans aucun de ces éléments,

2 alors simplement, les témoins de l'Accusation, dans leurs dépositions,

3 n'ont pas fourni un seul élément valable basé qui permettrait d'analyser

4 ces éléments. Ainsi, la Chambre de première instance, lorsqu'elle en vient

5 à des attaques directes contre des civils, est parvenue à une conclusion

6 erronée.

7 Une autre partie du raisonnement au paragraphe 188 du Jugement montre

8 que la Chambre s'est également fourvoyée lorsqu'elle a dit que conformément

9 au droit exposé à la deuxième partie, la partie 2 de ce Jugement, et par

10 équité à l'égard de l'accusé, la Chambre de première instance doit décider

11 si un incident répertorié dans les annexes représente au-delà d'un doute

12 raisonnable, une campagne telle de tirs isolés et de bombardements ou s'il

13 est responsable de croire, ce qui était très important, que la victime a

14 été frappée par des tirs de force de l'ABiH par des balles perdues ou prise

15 pour un combattant. Les forces de l'ABiH prenaient également pour cibles

16 des civils. Donc, nous devons nous demander comment il est possible que la

17 Chambre de première instance puisse arriver à cette conclusion générale

18 qu'il n'y avait pas eu d'attaques directes sur des civils comme faisant

19 partie de la campagne, comme faisant partie d'autres cas, les incidents qui

20 sont répertoriés à l'annexe, lorsque la Chambre de première instance n'a

21 pas procédé à l'analyse d'un seul de ces incidents. La Chambre de première

22 instance a traité de ceci aux paragraphes 582 à 595 du Jugement.

23 En ne parvenant pas à établir les faits en ce qui concerne des

24 incidents non répertoriés, non enregistrés, la Chambre de première

25 instance, à notre avis, a fondé ses conclusions sur des hypothèses, parce

26 que lorsque l'on regarde les incidents qui sont inscrits dans les annexes,

27 en établissant un nombre si faible de ces incidents enregistrés aux

28 annexes, était en fait représentatif de l'ensemble de la campagne. Je

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1 m'excuse.

2 Maintenant, la Défense souhaite analyser les incidents répertoriés.

3 S'agissant de ces incidents, la Défense est d'avis que la Chambre de

4 première instance, s'agissant de ces cas, a analysé les questions que j'ai

5 soulevées dans l'introduction de mon exposé. La Défense estime que la

6 Chambre a mal qualifié ces attaques directes contre les civils dans tous

7 les incidents répertoriés, et a conclu par erreur que ces attaques peuvent

8 être imputées au général Galic. Selon nous, ces attaques ne peuvent être

9 imputées à aucun membre de la RSK, encore moins au général Galic. A l'appui

10 de cet argument, nous renvoyons la Chambre aux preuves concordantes, aux

11 témoignages à décharge et aux nombreux témoins experts qui se sont fondés

12 sur des preuves d'ordre scientifique.

13 Je dois souligner que dans l'acte d'accusation, le bureau du

14 Procureur fait référence à 32 tirs isolés et à six bombardements pendant

15 les 23 mois couverts par l'acte d'accusation. Le premier incident a eu lieu

16 dix mois avant l'arrivée du général Galic au poste de commandement de

17 corps. L'Accusation a ajouté cinq nouveaux incidents, et dans ces nouveaux

18 incidents, l'Accusation a également inclus un incident qui a eu lieu le 13

19 décembre 1992. S'agissant des bombardements, le premier de ces

20 bombardements a eu lieu le 1er juin.

21 La Défense se demande s'agissant de la période qui a précédé le mois

22 de décembre 1992, soit plus de trois mois, ce qu'il en est des dix mois

23 précédant le 1er juin 1993, date à laquelle soi-disant le premier

24 bombardement délibéré de civils aurait eu lieu. Ces dix mois, qui sont

25 censés être symptomatiques de la campagne, et ces trois mois sans tirs

26 isolés contre des civils, donc ces périodes de temps contredisent les

27 conclusions de la majorité de la Chambre, à savoir qu'il existait une

28 campagne d'attaques délibérées contre les civils.

Page 96

1 Le Juge Rodrigues a rendu une décision en octobre 2001 leur refusant

2 la possibilité d'analyser les faits, en disant qu'il ne pouvait s'agir que

3 d'illustration. Cela ne pouvait être fait que pour établir le caractère

4 illicite du comportement de quelqu'un. Ce changement d'attitude indique que

5 l'Accusation, dans ces dix incidents qui ont été retirés, n'a pas pu

6 prouver qu'il y a eu une attaque délibérée menée contre des civils, ce qui

7 confirme la position de la Défense selon laquelle il est impossible de

8 conclure qu'un tel incident était une attaque délibérée de civils, un

9 ciblage délibéré de civils.

10 Donc, le procès s'est ouvert avec 26 cas de tirs isolés et cinq cas

11 de bombardement. Après la fin de la présentation des moyens à charge,

12 lorsque la Défense a demandé l'acquittement du général Galic, aux motifs

13 que le bureau du Procureur n'avait pas prouvé l'existence des crimes

14 reprochés, la Chambre de première instance a acquitté le général Galic

15 s'agissant de trois incidents; les incidents numéro 7, 12 et 19. La Chambre

16 de première instance était d'avis que les preuves produites à propos des

17 incidents 7, 12 et 19 ne suffisaient pas à la convaincre au-delà de tout

18 doute raisonnable que les soldats placés sous la direction et le

19 commandement du général Galic avaient mené une attaque directe contre les

20 civils.

21 Après la présentation des moyens à décharge, la Chambre de première

22 instance a conclu que les cinq incidents ajoutés n'ont pas été prouvés par

23 l'Accusation. Incidents numéro 13, 21, 11, 14 et 26. Donc sur ces 23

24 incidents listés, d'après la position de la Chambre de première instance,

25 l'Accusation n'avait pas prouvé cinq d'entre eux, au total huit, trois ont

26 été mentionnés dans les décisions relatives à l'acquittement, et cinq dont

27 le Jugement à la Chambre de première instance a établi que seulement huit

28 incidents avaient été prouvés.

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1 La majorité des Juges a pensé que dix avaient été prouvés.

2 Le Juge Nieto-Navia, dans son opinion, a estimé que dix n'avaient pas

3 été prouvés.

4 Sans analyser l'opinion du Juge Nieto-Navia, la Défense souhaite

5 souligner que sur 26 incidents à propos desquels des preuves ont été

6 apportées, la majorité des Juges a estimé que huit d'entre eux n'avaient

7 pas été prouvés, et que huit l'avaient été, ce qui revient à dire qu'un

8 tiers des incidents listés ont été prouvés. La majorité des Juges estiment

9 que ces 18 incidents illustrent la campagne et le ciblage délibéré des

10 civils visant à répandre la terreur parmi les civils, alors que le Juge

11 Nieto-Navia n'a pas accepté cette conclusion. Il a estimé que cela n'était

12 pas illustratif d'une campagne, mais qu'il s'agissait d'attaques isolées

13 contre des civils.

14 Par conséquent, les incidents listés ne peuvent pas être

15 représentatifs de la situation générale à Sarajevo. Ils ne peuvent même pas

16 être représentatifs d'une attaque délibérée contre les civils. Nous en

17 parlerons davantage s'agissant de l'analyse des cas de tirs isolés

18 répertoriés.

19 Compte tenu de cette analyse, qui est décrite 188 du Jugement, et en

20 analysant les raisons avancées par la Chambre de première instance, nous en

21 venons à la chose suivante : il est impossible de reconstruire les

22 événements; les témoignages ne concordent pas s'agissant des incidents 16

23 et 2; la possibilité de blesser une victime par ricochet ou par balle

24 perdue - je vous renvoie aux incidents 5, 24, 20, 23 et 4; manque de

25 fiabilité pour ce qui est d'établir l'origine du tir pour les incidents 7,

26 2, 15, 18, et cetera; et manque de fiabilité des informations s'agissant de

27 qualité des victimes, conditions météorologiques, visibilité, distance,

28 possibilité de distinguer si la victime était un soldat ou un civil,

Page 98

1 incidents 10, 20, 27, et 18; proximité d'installation militaire, notamment

2 en présence de soldats, de cantines, de postes de contrôle militaire, et

3 cetera; manque de fiabilité des photographies panoramiques, et endroit où

4 se trouvait la victime alléguée, s'il s'agissait d'un endroit isolé sur les

5 collines, une forêt où on ne s'attendrait pas à trouver à des civils, et

6 cetera.

7 Sur la base de tout cela, la Chambre de première instance a rejeté

8 les incidents 13, 21, 26, 11, et 14 dans sa décision, et dans sa décision

9 du 3 octobre 2002, la Chambre a rajouté les incidents 7, 12, et 19.

10 Compte tenu des raisons que je viens d'évoquer, la Défense va évoquer

11 les raisons qui excluent l'existence d'une attaque directe et délibérée

12 contre des civils pour ce qui est du reste des tirs isolés répertoriés en

13 annexe.

14 Voilà ma réponse à la deuxième partie de la question qui a été posée

15 compte tenu du temps limité qui nous est imparti. Pour ce qui est des neuf

16 éléments mentionnés au paragraphe 188 du Jugement, j'ai également

17 répertorié des incidents qui pourraient relever du point 9. En appliquant

18 ces critères, ces 18 cas ou incidents pouvaient selon la majorité des Juges

19 être rejetés.

20 En appliquant des critères identiques et en appliquant le

21 raisonnement de la majorité des Juges pour un nombre limité d'incidents, la

22 Chambre est parvenue à des conclusions erronées concernant les incidents

23 listés que je viens de mentionner. Mais nous avons fourni une analyse

24 détaillée de tous ces incidents dans notre mémoire d'appel. En s'écartant

25 de ces critères, la Chambre est parvenue à des conclusions erronées quant

26 aux ciblages délibérés de civils.

27 Les attaques dirigées contre des civils, même si elles sont prouvées,

28 ne peuvent pas suffire à établir qu'il y avait un véritable scénario en

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1 place. Car si nous prenons en considération le fait que la ligne de front

2 mesurait plus 27 kilomètres, on ne peut que conclure qu'il s'agissait de

3 cas isolés qui, vu la situation sur le front, ont conduit au fait que des

4 civils ont effectivement été blessés.

5 La Chambre aurait dû respecter le principe in dubio pro reo selon

6 lequel le doute profite à l'accusé. C'est ce que nous avons indiqué au

7 paragraphe 16 de notre mémoire, et c'est ce que le Juge Nieto-Navia a

8 indiqué au paragraphe 10 de son opinion. La majorité devait se pencher sur

9 l'intention, mais rien dans les incidents listés ou non listés n'indiquait

10 l'intention. Sur la base de cela, la Chambre aurait dû rejeter les

11 incidents en question, notamment en se fondant sur le principe in dubio pro

12 reo, qui est un principe fondamental du droit pénal.

13 En s'abstenant de faire cela, la Chambre a commis une erreur en

14 concluant que les civils avaient délibérément été pris pour cible. La

15 Chambre a conclu que ce ciblage délibéré de civils visait à répandre la

16 terreur.

17 Cette intention, qui inclut une attaque délibérée de civils, est

18 quelque chose que l'Accusation ne s'est même pas efforcé de prouver, et en

19 dernière analyse, elle ne l'a pas prouvé. A ce sujet, nous vous renvoyons

20 au rapport de l'expert Kuljic. Comme l'a montré l'analyse de mon confrère

21 Me Piletta-Zanin, il n'y a pas eu de bombardement indiscriminé de civils.

22 Il en va de même des tirs isolés. En effet, lorsqu'on tire avec des armes

23 légères, il ne peut pas y avoir de tirs indiscriminés. A ce sujet, nous

24 vous renvoyons au rapport de Conseil de sécurité de l'ONU, paragraphe 6(B).

25 L'impossibilité d'établir la distance et une ligne de vue dégagée

26 depuis l'endroit d'où vient le tir et l'endroit où se trouve la victime, il

27 est impossible dans de telles circonstances de conclure qu'il y a eu

28 ciblage délibéré de l'objectif ou non. Pendant le procès, il a été prouvé

Page 100

1 que les membres de la RSK ne disposaient pas en leur sein de tireurs

2 embusqués. A ce sujet, en outre, il n'a été établi dans aucun incident qui

3 avait tiré, donc il est impossible de prouver au-delà de tout doute

4 raisonnable qu'un membre du SRK est à l'origine des tirs incriminés. On

5 pourrait faire des suppositions, mais on ne peut pas parvenir à des

6 conclusions de fait ou de droit.

7 En outre, si les Juges de la Chambre s'étaient rendus sur les lieux

8 et avaient vu la configuration du terrain, l'endroit à partir à duquel le

9 tir a été tiré, l'endroit où se trouvait la victime et si la vue était

10 dégagée ou non, si tout cela avait été fait, la Chambre de première

11 instance aurait été en mesure de parvenir à une conclusion quant à la

12 question de savoir s'il y avait intention de tirer sur le civil ou non.

13 La Chambre a commis une erreur, et la majorité des Juges ont commis

14 une erreur en concluant qu'il y avait une campagne délibérée visant à

15 répandre la terreur parmi les civils, car ni les attaques directes ni une

16 telle intention n'a été prouvée.

17 Maintenant, nous souhaiterions répondre à la question numéro 3,

18 concernant la durée pendant laquelle l'hôpital demeure une cible militaire

19 légitime après la fin des activités militaires. La Défense dit qu'il s'agit

20 d'une question hypothétique, et non pas précise, car l'Accusation n'a pas

21 pu établir que le SRK ait attaqué un hôpital quelconque. Nous ne savons pas

22 quand l'hôpital aurait été prise pour cible ni quand des tirs auraient été

23 tirés depuis l'hôpital.

24 La question de l'hôpital est évoquée au paragraphe 509 du Jugement,

25 et les Juges ont conclu à la majorité que le bâtiment de l'hôpital a essuyé

26 des tirs. Il est question d'estimation des dommages contre l'hôpital,

27 évalués par un expert de l'Accusation, M. Harding. Je dois également

28 indiquer qu'il n'y a jamais eu d'attaque sur l'hôpital de Kosevo, seulement

Page 101

1 dans la cour de l'hôpital tenue par des unités de l'ABiH qui disposaient

2 des positions de tir à cet endroit. Les positions de tir se trouvaient dans

3 l'enceinte de l'hôpital, et à chaque fois que l'on ouvrait le tir depuis

4 ces positions, des membres du SRK ripostaient. Dans ces conditions,

5 l'hôpital constituait un objectif militaire légitime.

6 DP-51, un témoin à décharge a expliqué que pendant toute la période

7 au cours de laquelle elle avait travaillé à l'hôpital, il y avait trois

8 positions de chars dans l'enceinte de l'hôpital et trois véhicules de

9 combat.

10 La Défense renvoie également à la protestation versée au dossier sur

11 la cote D-29, protestation envoyée par le général Morillon à Alija

12 Izetbegovic, et dans laquelle il a indiqué que l'on tire aux mortiers

13 depuis l'hôpital de Kosevo. Il s'agit d'une protestation qui a été faite à

14 plusieurs reprises.

15 M. Carswell a déclaré qu'il avait reçu des informations selon

16 lesquelles l'hôpital était utilisé pour tirer des obus et attaquer les

17 forces de la RSK.

18 Je vous renvoie au témoignage du témoin Tucker, aide de camp du

19 général Morillon d'octobre 1992 à mars 1993, où il note que les soldats de

20 l'ABiH ouvraient le tir depuis l'hôpital.

21 Conformément aux conventions de Genève, l'hôpital devient alors une

22 cible légitime pour une durée indéterminée car trois chars et véhicules

23 blindés se trouvaient à cet endroit.

24 La Défense renvoie à la page 144, annexe 6 du rapport de la

25 commission d'expert des Nations Unies, où il est dit que du mois de mai au

26 mois de décembre, soit huit mois avant que le général Galic ne devienne

27 commandant de la RSK, l'hôpital a été pris pour cible au cours de cette

28 période à huit reprises.

Page 102

1 La Défense est d'avis qu'il est impossible de répondre à la question

2 posée par la Chambre d'appel s'agissant de la durée pendant laquelle un

3 hôpital demeure un objectif militaire légitime après la fin des activités

4 militaires menées depuis l'hôpital. Il s'agit de savoir combien de temps

5 doit s'écouler pour que l'on puisse considérer qu'une opération militaire

6 est terminée et pour que la partie adverse soit convaincue qu'il n'y aura

7 plus d'action militaire menée depuis une position donnée. Donc voilà la

8 réponse apportée par la Défense au sujet de la question numéro 5.

9 Pour ce qui est de la réponse que souhaite apporter la Défense à la

10 question de savoir pourquoi nous sommes d'avis que la Chambre a commis une

11 erreur en décidant de ne pas se rendre sur les lieux, nous pensons qu'il

12 aurait été dans l'intérêt de la justice et très utile pour déterminer

13 dûment les faits, que la Chambre de première instance se soit rendue sur

14 les lieux des incidents afin de se rendre compte par elle-même de l'aspect

15 des lieux et de pouvoir déterminer la distance qui sépare l'endroit à

16 partir duquel on a tiré, l'endroit où se trouvait la victime, s'il y avait

17 une vue dégagée ou non. Nous pensons que cela aurait été tout à fait utile

18 que la Chambre se soit rendue sur les lieux après que l'Accusation et la

19 Défense eurent terminé la présentation de leurs moyens. Car ainsi, les

20 Juges auraient pu voir par eux-mêmes ce qu'il en était et auraient pu

21 apprécier dûment les éléments de preuve présentés par les deux parties. La

22 Chambre aurait pu ainsi établir que la RSK ne contrôlait pas les positions

23 élevées situées autour de la ville Sarajevo.

24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre.

25 On m'informe que les bobines sont sur le point de se terminer. Nous devons

26 faire une pause. Vous aurez cinq minutes après cette suspension, car sinon

27 nous n'aurons pas d'enregistrement, c'est malheureux, mais c'est une

28 question technique et j'ai dû prendre cette décision.

Page 103

1 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Merci.

2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous allons suspendre l'audience

3 pendant 30 minutes. Nous reprendrons nos travaux à 11 heures 20.

4 --- L'audience est suspendue à 10 heures 52.

5 --- L'audience est reprise à 11 heures 24.

6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous allons reprendre nos travaux.

7 Maître Pilipovic, il vous restait cinq minutes. Vous avez la parole.

8 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. J'espère que

9 vous ferez preuve de compréhension à l'égard de la Défense compte tenu du

10 fait que nous avons été interrompus. J'espère que vous nous accorderez au

11 moins cinq minutes supplémentaires.

12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] [hors micro] Laissez-moi vous

13 interrompre.

14 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Je parlais du transport sur les lieux de

15 la Chambre à Sarajevo. Nous sommes d'avis que la Chambre aurait pu se

16 rendre compte du fait que Mojmilo, Debelo Brdo, et Velika et Mala, d'une

17 part de Trebovic, Zuca n'étaient pas véritablement contrôlés par le SRK et

18 les Juges auraient pu se rendre compte également du fait que Hrasno Brdo,

19 où le SRK avait des positions, dans les incidents 10, 15, 20 et 27, le SRK

20 n'aurait pas pu prendre pour cible quiconque, depuis ces positions. Nous

21 estimons que la Chambre a commis des erreurs de droit et de fait à ce

22 sujet.

23 S'agissant de l'existence d'une campagne visant à mener des attaques

24 directes contre la population civile, au paragraphe 733 du Jugement, il est

25 manifeste que la Chambre a commis une erreur en concluant à l'existence

26 d'une telle campagne. La majorité des Juges sur la base de ces éléments a

27 décidé qu'il existait une campagne de tirs isolés. La Défense est d'avis

28 que pendant ces deux années, à la lumière des 18 incidents retenus par la

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1 majorité, la fréquence des incidents n'est pas suffisante pour que l'on

2 conclue à l'existence d'une campagne. Je vous renvoie également au

3 paragraphe 208 du Jugement.

4 Là encore, s'agissant de l'intensité, nous avons 18 cas répertoriés

5 en deux ans. Dans la plupart des cas, les victimes sont mortes. Vu le

6 rapport final de l'OTAN concernant ses attaques sur la RFY, pour ce qui est

7 de l'étendue géographique, les 18 incidents qui ont été retenus sur le

8 théâtre des opérations, ligne de front mesurant 237 kilomètres, on ne peut

9 tirer aucune conclusion concernant le fait que l'attaque aurait été

10 généralisée.

11 Pour ce qui est du rapport d'Ewa Tabeau, il a été déterminé que 253

12 personnes ont été tuées dans le cadre de tirs isolés et 1 296 blessées,

13 comme cela paraît au paragraphe 579 du Jugement. Cela ne suffit pas à

14 conclure que l'on a pris délibérément pour cible des civils.

15 S'agissant de savoir s'il y a eu une attaque contre des civils, compte tenu

16 le nombre important d'objets de caractère civil et d'installations qui ont

17 été utilisées à des fins militaires comme le dispensaire, les écoles, et

18 cetera, un nombre important de tranchées ont été creusées en file. Il y

19 avait de nombreuses troupes positionnées sur les lignes de front, et pour

20 ce qui est des civils, je vous renvoie à l'arrêt Blaskic et au rapport

21 final des experts des Nations Unies ainsi qu'au rapport de la commission de

22 l'OTAN concernant les frappes aériennes. La Défense souligne, au sujet du

23 paragraphe 733, la majorité a conclu que le général Galic était tenu

24 responsable au regard de l'article 7(1), en concluant que le général Galic

25 avait donné des instructions et des ordres oraux. C'est faux. Le général

26 Galic ne l'a jamais fait lors des réunions d'information. A ces réunions

27 d'information assistait uniquement le commandement du corps, parfois le

28 commandant de la brigade qui a été présent pendant un mois lorsqu'il était

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1 nécessaire de produire certains rapports.

2 Pour ce qui est des ordres, le commandant du corps donnait toujours des

3 ordres par écrit. Nous insistons sur le fait que le général Galic n'a

4 jamais donné d'instructions oralement et qu'il existait un ordre écrit,

5 interdisant les attaques contre des civils. Nous vous renvoyons au

6 paragraphe 745 du Jugement.

7 La Défense renvoie également aux conclusions de la Chambre d'appel dans

8 l'arrêt Blaskic, dans les paragraphes 435 à 439, où certains critères

9 d'examen ont été énoncés pour l'examen d'un Jugement rendu en première

10 instance. Ces critères s'appliquaient également dans le cas de l'affaire

11 concernant le général Galic.

12 Nous insistons également sur le fait que l'armée de Bosnie-Herzégovine

13 était dans un état de préparation au combat permanent, et ce niveau élevé

14 de préparation au combat visait à effectuer une percée pour se libérer de

15 cet encerclement. Nous vous renvoyons à la déclaration liminaire du

16 Procureur en date du 3 décembre 2001. Nous pensons que toutes les missions

17 de la RSK avaient des objectifs militaires légitimes.

18 Pour ce qui est de la conclusion erronée selon laquelle le général

19 Galic a ordonné des attaques contre les civils, en raison de la série

20 d'attaques menées contre les civils, vu l'intensité et l'étendue de ces

21 attaques, la Défense renvoie à la position adoptée par la Chambre d'appel

22 dans l'affaire Blaskic, paragraphe 512, où il est dit que certains éléments

23 constituant la ligne de conduite délibérée ne suffisent pas à conclure

24 qu'il existait un ordre visant à mener des activités illicites.

25 Au paragraphe 90, annexe 6(B) du rapport de la commission d'experts

26 des Nations Unies, à ce sujet, nous pensons que la seule conclusion

27 possible est que le général Galic ne peut pas être tenu responsable des

28 infractions qui lui sont reprochées au regard de l'article 7(1). Dans la

Page 106

1 décision rendue à la majorité au paragraphe 72 du Jugement, la Chambre a

2 commis une erreur concernant le comportement du général Galic, par rapport

3 à l'existence d'un plan. Nous pensons qu'aucun élément n'a été prouvé au

4 sujet de l'existence d'un plan visant à prendre pour cible des civils. Le

5 fait que le général Galic ait pu agir conformément au procès-verbal de la

6 réunion tenue le 14 mai à Mrkonjic Grad, il est impossible de parvenir à

7 cette conclusion, car les témoins à décharge ont donné leurs points de vue

8 sur ce procès-verbal du 15 mai à Mrkonjic Grad. Donc la Défense a contesté

9 et a réussi à réfuter les points de vue présentés par le témoin expert

10 Donja.

11 Donc, voilà en résumé les arguments de la Défense, et nous pensons

12 que pour ces raisons, la Chambre d'appel doit acquitter le général Galic de

13 tous les crimes qui lui sont reprochés ou doit infirmer le Jugement de la

14 Chambre de première instance dans son intégralité et ordonner un nouveau

15 procès. Si la Chambre d'appel doit déclarer le général Galic responsable,

16 elle doit réduire sa peine.

17 Nous avons présenté tout cela dans notre mémoire d'appel, mais nous

18 souhaitons réitérer nos arguments maintenant.

19 Merci.

20 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

21 Y a-t-il des questions de la part des Juges ?

22 M. LE JUGE GUNEY : Merci, Monsieur le Président.

23 [interprétation] C'est à titre d'éclaircissement, demandez à

24 Me Piletta-Zanin.

25 Dans le cadre du moyen d'appel numéro 2, la récusation d'un Juge, pourriez-

26 vous clarifier la différence entre la fonction d'un Juge qui confirme un

27 acte d'accusation et celle de Juge qui siège en première instance ? Est-ce

28 que le fait de confirmer un acte d'accusation et de siéger ensuite au

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1 procès de cet accusé, d'un acte d'accusation qu'il a confirmé, est-ce que

2 ceci traduirait le fait qu'un Juge serait de parti pris ? Telle est la

3 question.

4 M. PILETTA-ZANIN : Monsieur le Juge, merci pour cette question. Je dois

5 élaborer. M'y autorisez-vous ? Brièvement, merci.

6 La réponse est oui, dans la mesure où la procédure de confirmation, telle

7 qu'on la connaît devant ce Tribunal, implique deux choses : premièrement,

8 la communication d'un dossier de pièces que la Défense n'aura pas, que la

9 Défense ne connaît pas. Deuxième chose, une considération du Juge sur

10 l'existence d'une possible responsabilité de telle ou telle personne sur la

11 base de ce qu'on appelle l'examen du prima facie.

12 Ce que je dis, c'est la chose suivante : si vous avez un Juge, tel que le

13 Président Orie, qui sur la base du prima facie, considère que si les

14 preuves fournies par l'Accusation dans le dossier Mladic ne sont pas

15 renversées par une quelconque défense, il y a des motifs pour aller dans le

16 sens du génocide, et que par conséquent, le génocide serait établi dans

17 cette hypothèse, et si l'on mentionne la participation active du général

18 Galic, cela veut dire que ce Juge a admis, dans cette hypothèse mais

19 officiellement et publiquement, que le général Galic a commis des actes de

20 génocide dans le cadre, donc, de cet examen prima facie.

21 Et je dis oui. C'est cela qui établit en quelque sorte le biais que vous

22 mentionnez tout à l'heure. Pourquoi ? Parce que nous savons que devant

23 toutes les juridictions en général, il faut qu'un accusé puisse,

24 objectivement parlant, considérer sous l'angle subjectif, mais examiné, je

25 répète, objectivement, que le Juge qui va le juger ne sera pas partial.

26 Or, dans cette affaire, comment voulez-vous qu'un accusé qui est poursuivi

27 pour meurtre ou crime contre l'humanité puisse imaginer, même s'il sait que

28 les Juges sont des spécialistes, que le Juge qui va le juger sera impartial

Page 108

1 lorsque celui-ci, sur la base d'un dossier que la Défense ne connaît pas, a

2 déjà a dit : oui, de façon nette et sous l'angle du prima facie, le général

3 Galic a également commis des crimes de génocide. Le crime de génocide étant

4 plus important que celui de meurtre, il est évident que toute possibilité

5 d'acquittement a tenté devant quelconque tribunal que ce soit, et bien,

6 s'effondrait.

7 En cela la réponse est oui, Monsieur le Juge. Merci.

8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

9 Je pense que nous pouvons maintenant donner la parole à l'Accusation pour

10 entendre leurs arguments en réponse à ce qui a été dit. Vous allez disposer

11 en tout d'une heure et quarante cinq minutes. Nous avons un peu de retard

12 dans notre emploi du temps. Vous pourrez commencer maintenant et nous nous

13 interromprons au moment prévu, et nous vous donnerons le temps nécessaire.

14 Mme BRADY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,

15 Messieurs les Juges.

16 Je voudrais simplement à titre de brève introduction, de brève

17 description, montrer comment l'Accusation a l'intention de procéder

18 aujourd'hui, pour répondre de façon préalable à l'appel interjeté par la

19 Défense.

20 Comme vous le savez, l'Accusation a une réponse complète sur ces 19 moyens

21 d'appel qui sont exposés dans notre mémoire en réponse et nous nous en

22 tenons à ces conclusions. Bien entendu, nous sommes disponibles pour

23 répondre à toute question que vous pourriez avoir à nous poser en ce qui

24 concerne l'un quelconque de ces motifs.

25 Aujourd'hui, nos arguments présentés oralement auront essentiellement pour

26 but de se centrer sur une réponse aux domaines sur lesquels l'appelant

27 s'est concentré dans sa plaidoirie d'aujourd'hui, et ceci essentiellement

28 en ce qui concerne deux aspects. Premièrement, les questions et les

Page 109

1 réponses que l'appelant a donné aux questions que vous aviez posées dans

2 l'ordonnance portant calendrier. Deuxièmement, pour répondre aux

3 contestations très nettes sur les faits que la Défense a opposés, par

4 rapport aux incidents précis, qui ont été démontrés et qui ont été

5 considérés comme démontrés, au-delà de tout doute raisonnable par la

6 majorité, ainsi que les conclusions de la majorité en ce qui concerne la

7 campagne elle-même.

8 Le premier orateur va être Mme Michelle Jarvis, qui traitera des questions

9 qui sont évoquées au moyen 7, relatif au crime consistant à répandre la

10 terreur et aux moyens 5 et 16 qui ont trait à la modification des arguments

11 de la Défense, en ce qui concerne la modification des chefs d'accusation.

12 Elle répondra également à vos questions, les questions 1 et 2 posées à

13 l'Accusation et tout en donnant cette réponse, la réponse de la Défense

14 pour la question numéro 2 que vous avez posée à la Défense.

15 Après cela, M. Mark Ierace s'occupera essentiellement des contestations

16 portant sur les faits qui ont été évoqués ce matin en ce qui concerne la

17 campagne, les incidents précis qui étaient évoqués et il regroupera ces

18 arguments en quatre domaines principaux. Premièrement, les arguments de

19 l'appelant en ce qui concerne la décision de la Chambre et de la majorité,

20 notamment l'approche de l'appréciation des preuves. Ceci donc relevant des

21 moyens 11, 15 et 17 de l'appel de la Défense. Deuxièmement, il répondra aux

22 arguments de l'appelant, en ce qui concerne le prétendu manquement par la

23 Chambre, de prendre en considération les principes de distinction et de

24 proportionnalité, et le fait qu'ils allèguent que la Chambre n'a pas

25 examiné comme il convenait, la question des dommages collatéraux. Ceci

26 figurant au moyen numéro 12. Troisièmement, il traitera des contestations

27 portant sur les faits, des arguments de fait aujourd'hui, présentés par

28 l'appelant en ce qui concerne les incidents listés précis, tant pour des

Page 110

1 tirs isolés que pour les bombardements, et sur ce point, il traitera

2 également des arguments présentés en ce qui concerne le fait que les

3 membres de la Chambre n'aient pas voulu faire une visite sur les lieux à

4 Sarajevo. Ceci couvrant les moyens d'appel 17 et 3. Enfin, il traitera de

5 la question concernant les hôpitaux, ce qui est la troisième question que

6 vous avez posée.

7 Puis si nous avons suffisamment de temps pour le faire, j'examinerai les

8 conclusions présentées par l'appelant en ce qui concerne sa reconnaissance

9 de culpabilité pour avoir ordonné ce qui figure aux moyens 10, 18 de façon

10 très brève. Je serai très bref dans ma réponse aussi.

11 Donc voilà la descriptive que je voulais faire et je demande qu'on donne

12 maintenant la parole à Mme Michelle Jarvis. Je vous remercie.

13 Mme JARVIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

14 Juges.

15 Pendant 23 mois, les forces serbes de Bosnie sous le commandement du

16 général Galic ont déclenché une campagne mortelle de guerre psychologique

17 contre la population civile musulmane de Sarajevo au cours de la guerre.

18 Cette guerre psychologique a eu un impact très grave du point de vue

19 matériel, a consisté à bombarder et à tirer. Une campagne qui avait pour

20 but de causer des décès et des blessures à des civils, et était calculée

21 pour terroriser les Musulmans de Bosnie pour les amener à abandonner leur

22 lutte pour Sarajevo.

23 Pour ce rôle, la majorité a reconnu la culpabilité du général Galic

24 pour les crimes de terreur et l'Accusation voudrait faire valoir que la

25 majorité a eu raison dans cette conclusion.

26 A l'appui de cette position, je voudrais examiner cinq aspects

27 juridiques de la façon suivante : premièrement et en réponse à une question

28 que vous avez adressée à l'Accusation, je vais expliquer pourquoi le

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1 Tribunal avait compétence en vertu de l'article 3 du Statut sur les

2 interdictions contenues dans un accord international clairement applicable

3 qui énonce les normes de droit humanitaire et pourquoi la majorité a eu

4 raison de reconnaître la culpabilité du général Galic sur ce point.

5 Deuxièmement, de façon à mettre à jour le mémoire de réponse de

6 l'Accusation, je parlerai à la Chambre très brièvement de l'appui que l'on

7 peut tirer de l'étude du CICR de 2005, pour les questions de crime qui

8 consistent à répandre la terreur, ceci faisant partie du droit

9 international coutumier.

10 Troisièmement, en réponse à une autre question que vous avez posée à

11 l'Accusation, j'expliquerai pourquoi des attaques sans discrimination

12 contre des civils peut être considérées comme faisant partie du crime

13 consistant à répondre de la terreur.

14 Quatrièmement, --

15 M. PILETTA-ZANIN : Monsieur le Président, je suis navré d'interrompre

16 déjà mon éminent confrère, mais je n'ai pas eu de traduction tout à

17 l'heure. Je ne sais pas si c'est un problème avec mes écouteurs, le

18 système, ou s'il y a eu un problème dans les cabines. Il y a eu un blanc

19 dans la traduction en français que je suis parfois. Merci de vérifier.

20 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Est-ce que nous pouvons vérifier, s'il

21 vous plaît, si l'interprétation fonctionne bien.

22 Cela va bien ? Bien.

23 M. PILETTA-ZANIN : Je vous remercie.

24 Mme JARVIS : [interprétation] J'étais en train d'expliquer que ce que je

25 vais examiner maintenant, c'est le rapport entre des attaques directes,

26 indiscriminées, disproportionnées, et j'examinerai la réponse de la Défense

27 aux questions de la Chambre sur ce point.

28 Cinquièmement, j'expliquerai pourquoi il n'y a pas eu d'erreur dans la

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1 décision de la majorité, qui a clarifié les éléments du crime de terreur et

2 à cet égard, en modifiant des éléments proposés par l'Accusation, lors du

3 procès en première instance.

4 Mais avant de --

5 M. PILETTA-ZANIN : Je suis navré d'intervenir mais j'essaie de comprendre

6 ce qui se passe.

7 Je vois ici que l'on parle de crime de torture. A ce que je sache, le

8 général Galic n'a jamais été poursuivi pour crime de torture, alors est-ce que

9 c'est une erreur sur mon propre transcript ou est-ce qu'on dit ici des

10 choses inexistantes ? Je ne suis pas d'accord que l'on cherche à biaiser

11 les débats. Si nous devons parler de terreur, parlons de terreur. Mais

12 n'allons pas rajouter à ce pauvre général Galic un nouveau crime dont

13 personne n'a jamais soutenu qu'il ne l'aurait commis.

14 Je dois intervenir, j'en suis navré, c'est simplement parce que

15 j'essaie de suivre ce qui se passe dans cette salle. Merci.

16 Mme JARVIS : [interprétation] Je présente mes excuses. Je voulais très

17 clairement parler de terreur, du crime qui consiste à répandre de la

18 terreur et non pas de torture. Je présente mes excuses.

19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Veuillez poursuivre.

20 Mme JARVIS : [interprétation] Avant que je passe à l'examen de ces

21 questions juridiques dans un contexte factuel bref. Les questions

22 juridiques en l'espèce sont importantes, parce qu'en raison du contexte

23 factuel dans lequel elles se posent, en raison des expériences subies par

24 des hommes, des femmes et des enfants civils à Sarajevo, lorsque le général

25 Galic commandait les forces de la RSK.

26 Ce qui est arrivé aux civils de Sarajevo était quelque chose de tout

27 à fait distinct et tout à fait indépendant des souffrances et de la

28 détresse qui accompagne inévitablement un conflit armé. Les civils de

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1 Sarajevo, dans les zones contrôlées par l'ABiH, ont, de façon incessante,

2 et on le sait bien, été visés comme objectifs de la RSK qui avait une

3 campagne de bombardement et de tirs isolés. Comme un témoin, un soldat de

4 l'ABiH l'a dit, ceci au paragraphe 586 du Jugement, il se sentait plus sûr

5 sur la ligne de front à Sarajevo qu'ailleurs.

6 Je vous réfère au Jugement, aux paragraphes 584 à 585, conclusions

7 selon lesquelles des civils ont été pris pour cible pendant des obsèques ou

8 lorsqu'ils étaient dans des ambulances ou sur des trams et ils ont été pris

9 pour cible au cours de cessez-le-feu, ils ont été pris pour cible alors

10 qu'ils allaient chercher de l'eau. Ils ont été pris pour cible lorsqu'ils

11 allaient faire des courses sur les places de marché. Des enfants ont été

12 pris pour cible dans des écoles, alors qu'ils jouaient à l'extérieur ou

13 alors qu'ils étaient à bicyclette.

14 Pourquoi est-ce que des civils ont été pris pour cible ? Le siège de

15 Sarajevo a été vu par de nombreux militaires internationaux et d'autres

16 observateurs qui se sont présentés devant la Chambre de première instance,

17 un après l'autre, pour dire exactement ce qu'ils avaient vu. C'étaient là

18 des observateurs neutres et expérimentés qui savaient exactement ce dont

19 ils étaient témoins. Pour tous ces observateurs, qui se sont trouvés pris

20 par le théâtre d'horreur qu'est devenue Sarajevo au cours de la guerre, le

21 caractère délibéré de la terreur qui était infligée était perceptible. Les

22 civils étaient pris pour cible parce que la RSK était en train d'infliger

23 une guerre psychologique sur des civils pour amener l'ennemi à capituler.

24 Je voudrais maintenant présenter à la Chambre de brefs extraits des

25 dépositions de six témoins. Ceci correspond aux pages de compte rendu et

26 aux extraits vidéo que je vais vous présenter aujourd'hui qui ont été

27 collationnés avec des copies qui ont été mises à votre disposition, ainsi

28 que pour la Défense et les Juristes de la Chambre.

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1 Ce n'est qu'un échantillon de ces dépositions que je voudrais

2 maintenant vous présenter en vous demandant de les garder à l'esprit.

3 [Diffusion de cassette vidéo]

4 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

5 "On avait très souvent l'impression que ces personnes, vous savez, il

6 y avait un schéma de ces incidents de tirs isolés lorsque des personnes,

7 vous le savez, il y a quelque chose comme un amusement morbide, assez

8 morbide à cela. Les gens étaient effrayés, vous le savez. Ils attendaient

9 que quelqu'un traverse une rue puis on tirait sur les premières personnes

10 et pas la deuxième, de façon à ce que la personne puisse se retourner,

11 courir en revenant dans le sens inverse, ils tiraient également sur les

12 bidons d'eau lorsqu'ils étaient à un croisement, lorsqu'ils avaient été

13 laissés là par quelqu'un qui s'était enfui, puis essayaient de les toucher.

14 Vous savez, les personnes qui essayaient de reprendre les bidons d'eau. On

15 pouvait voir les balles et les impacts autour du bidon d'eau.

16 "L'impression que nous avons eu était que le but de ces bombardements était

17 essentiellement pour intimider d'abord la population de Sarajevo en

18 général, et de briser leur volonté de résister et deuxièmement de façon à

19 intimider la présidence d'Alija Izetbegovic et briser sa volonté de

20 résister.

21 "Je suis personnellement certain de cela et du fait que c'était pour des

22 raisons psychologiques bien calculées, pour avoir un impact psychologique

23 sur la population locale.

24 "Pourriez-vous nous dire un peu plus en ce qui concerne cet objectif, cet

25 impact psychologique, à votre avis.

26 "Réponse : C'était de terroriser les civils et les forces musulmanes

27 locales pour qu'elles soient à cran à tout moment, pour causer une

28 détresse, un manque de sommeil et un manque de volonté tout

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1 particulièrement, d'effectuer un manque d'appui pour la cause musulmane, si

2 je peux utiliser cette expression, une sorte de réponse psychologique

3 standard au sens de la guerre psychologique. A l'égard des civils, l'impact

4 de l'application des guerres psychologiques fonctionnait. Effectivement,

5 cette population était terrorisée et était à cran.

6 "A mon avis, la suite directe, la suite logique était qu'ils l'utilisaient

7 comme un instrument de terreur contre la partie adverse.

8 "En ce qui concerne la population locale, l'objectif était très clair,

9 c'était de créer un climat de terreur, une atmosphère de terreur au centre

10 de la ville, de faire en sorte que la population soit à cran.

11 "Les objectifs étaient fondamentalement des objectifs civils, de façon à

12 exercer des pressions sur la population."

13 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

14 Mme JARVIS : [interprétation] J'en viendrai, Monsieur le Président,

15 Messieurs les Juges, sur la première question de mon argumentation

16 d'aujourd'hui qui est que la majorité de la Chambre a eu raison de

17 reconnaître la culpabilité du général Galic pour les crimes consistant à

18 répandre la terreur au titre de l'article 3 du Statut, basé sur

19 l'interdiction qui est énoncée dans un accord international qui est

20 clairement applicable.

21 Comme je l'ai dit, la base de cette reconnaissance de culpabilité du

22 général Galic pour le crime consistant à répandre la terreur était plus

23 particulièrement l'accord dans lequel les parties sont entrées, les parties

24 au conflit en Bosnie du 22 mai 1992. La Chambre a constaté qu'il était

25 inutile pour elle de rechercher de façon séparée s'il y avait l'existence

26 du crime de terreur comme faisant partie du droit international coutumier.

27 Vous avez demandé à l'Accusation d'expliquer comme l'article 3 du

28 Statut du Tribunal peut s'étendre à ces accords internationaux à la lumière

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1 des commentaires qui ont été fait par le secrétaire général dans son

2 rapport au Tribunal du Rwanda. En particulier, vous avez relevé dans ce

3 rapport au Tribunal du Rwanda, que le secrétaire général a dit que le

4 Conseil de sécurité avait choisi de prendre une approche plus large en ce

5 qui concerne le choix du droit applicable que celui qui est à la base du

6 Statut pour le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie et inclut dans cela la

7 compétence du Tribunal pour le Rwanda, des instruments internationaux,

8 indépendamment de savoir s'ils faisaient ou non partie du droit

9 international coutumier.

10 Comment l'Accusation peut-elle concilier cette déclaration avec la

11 position énoncée à l'article 3 du Tribunal ? Une réponse brève à cela est

12 que dans la mesure où le secrétaire général a fait une déclaration qui se

13 trouve dans le rapport du CICR, suggérant que la compétence du Tribunal ne

14 s'étend pas à des dispositions conventionnelles de ce genre, n'est pas

15 déterminante parce qu'elle est incompatible avec le libellé très clair du

16 Statut ainsi que les commentaires des états membres du Conseil de sécurité

17 au moment où le Statut a été adopté. Il est incompatible avec l'objet et le

18 but qui sont à la base de la création du Tribunal.

19 La Chambre d'appel est déjà parvenue à des conclusions analogues pour

20 ce qui est de l'appel du jugement en matière de compétence dans l'affaire

21 Tadic et l'appel du jugement Kordic. Je voudrais brièvement traiter de ces

22 questions et je vais donc m'y référer.

23 Mon premier point, c'est le sens très clair de l'article 3 du Statut.

24 C'est le premier pas pour ce qui est de l'interprétation de la portée de

25 l'article 3 de regarder quel est le sens simple des mots qui figurent dans

26 cet article, la lumière du contexte du Statut pris dans son ensemble. Cette

27 approche de l'interprétation statutaire a été confirmée par la Chambre

28 d'appel dans plusieurs arrêts. A titre d'exemple, l'arrêt Tadic, au

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1 paragraphe 282 et l'arrêt Celebici au paragraphe 68.

2 Qu'est-ce que le libellé très simple de l'article 3 révèle ? Comme l'arrêt

3 Tadic le conclut au paragraphe 87, le libellé très clair de l'article 3

4 révèle qu'il recouvre une vaste catégorie d'infractions, en particulier

5 toutes les violations des lois et coutumes de la guerre et que

6 l'énumération qui est donnée à l'article 3 n'est donnée qu'à titre

7 d'exemple et n'est pas exhaustive.

8 Dans le Jugement au paragraphe 113, le Juge dans son opinion

9 individuelle dans l'affaire Tadic a exprimé le point de vue que le sens

10 ordinaire du terme "loi de la guerre" tel qu'il figure dans les

11 dispositions conventionnelles ou d'autres documents écrits et les coutumes

12 de la guerre, sont équivalentes au droit coutumier international tiré de la

13 pratique des états et de l'opinion des auteurs. Certainement le terme de

14 "violation, les droits ou coutumes de la guerre" est une expression

15 raccourcie pour ce qui est de violation des lois de la guerre. Cela doit se

16 comprendre à la fois comme étant droit international coutumier et droit

17 conventionnel. Par exemple, le manuel militaire pour la Grande-Bretagne, on

18 trouve cela dans le livre vert, c'est contenu dans notre livre

19 supplémentaire de source, ce manuel militaire précise que : "Les lois de la

20 guerre consistent en particulier en règles de droits coutumiers qui se sont

21 développées dans la pratique et en partie de règles écrites. Ceci pour dire

22 que s'il s'agit de règles qui ont été expressément convenues par les

23 gouvernements dans les traités internationaux et les conventions

24 internationales."

25 De même l'Encyclopédie des lois internationales publiques du Max

26 Planck Institut publiée sous leurs auspices est également l'un des livres

27 ou des ouvrages qui indique que "les lois de la guerre dérivent tout

28 d'abord de la coutume et des traités."

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1 L'arrêt de la Chambre de Kordic a trouvé un appui pour cette

2 conclusion, selon lequel l'article 3 comprend les interdictions de crimes

3 qui sont inscrits dans les traités, notamment pour ce qui de la

4 signification de l'article 1 du Statut. Au paragraphe 3 de l'arrêt Kordic,

5 la Chambre a souligné que cette jurisprudence du Tribunal s'étend à toutes

6 les violations graves du droit international humanitaire commises dans le

7 territoire de l'ex-Yougoslavie.

8 En résumé, comme premier point, le sens clair de l'article 3 vu dans

9 le contexte du Statut dans son ensemble est suffisamment large pour

10 s'étendre à toute infraction grave ou violation grave des lois ou coutumes

11 de la guerre quelle que soit leur source, qu'il s'agisse de droit

12 conventionnel ou de droit coutumier.

13 Le deuxième point que je voudrais évoquer est que le conseil de

14 Sécurité dans ces actes confirme que les états membres qui ont adopté le

15 Statut avaient l'intention que l'article 3 couvre les accords

16 internationaux.

17 La jurisprudence de ce Tribunal a reconnu qu'en plus du sens très

18 clair du Statut, des déclarations d'interprétation par les états au moment

19 où le Statut a été adopté pourrait servir comme moyens supplémentaires

20 d'interprétation. Même s'il y avait une confusion quelconque en ce qui

21 concerne le sens clair de l'article 3, les commentaires faits par les états

22 membres du conseil de Sécurité lorsqu'ils ont adopté le Statut font qu'il

23 n'y a aucun doute sur le fait que les dispositions constitutionnelles sont

24 applicables lorsque cela est prévu. En fait, les membres du conseil de

25 Sécurité ont eu du mal à dire ceci d'une façon expressément claire.

26 Pourquoi était-il nécessaire que les membres soulignent ce point dans

27 leurs commentaires ? C'était parce que le rapport du secrétaire général du

28 3 mai 1993, dans lequel il avait exposé sa proposition pour le Statut du

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1 Tribunal, disait qu'il devait respecter le principe nullum crimen sine lege

2 du Statut. Ceci devrait s'étendre seulement à des violations des droits

3 humanitaires reconnus en droit coutumier.

4 Quelques semaines après que le secrétaire général ait présenté ce

5 rapport, le conseil de Sécurité s'est réuni pour discuter de ce rapport et

6 a ensuite adopté le Statut. Il y a ensuite eu des déclarations expliquant

7 le vote. Dans ces déclarations, il ressort clairement que les états membres

8 ont compris que l'article 3 incluait les dispositions des traités liant les

9 parties en ex-Yougoslavie.

10 S'agissant en particulier de la déclaration faite par la délégation

11 des Etats-Unis d'Amérique, il se trouve dans les procès verbaux du conseil

12 de Sécurité ce jour-là, qui se trouve dans notre liste de source. La

13 délégation a insisté sur le fait qu'elle souhaitait clarifier pleinement

14 l'interprétation donnée et qui sous-tendait le soutien apporté par son

15 gouvernement pour l'adoption du Statut. Elle a insisté sur le fait que le

16 conseil de Sécurité avait adopté le Statut tel qu'il avait été proposé par

17 le secrétaire général. Dans ce rapport, plusieurs points techniques étaient

18 soulevés quant à l'interprétation donnée par les Etats-Unis. Selon le point

19 de vue de la délégation des Etats-Unis, leur position était partagée par

20 d'autres membres du conseil de Sécurité. Elle a indiqué notamment je cite :

21 "Tout d'abord, il est entendu que les lois ou coutumes de la guerre

22 mentionnées à l'article 3, incluent toutes les obligations faites en

23 application des accords de droit humanitaire en vigueur sur le territoire

24 de l'ex-Yougoslavie à l'époque où les actes ont été commis, y compris

25 l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et les protocoles

26 additionnels de ces conventions de 1977."

27 Aucune délégation n'a contredit les déclarations faites par le

28 gouvernement des Etats-Unis. Deux autres pays, le Royaume-Uni et la France

Page 121

1 ont également fait des déclarations très claires indiquant que l'article 3

2 devrait également s'appliquer aux accords internationaux applicables.

3 La Chambre d'appel a examiné ces déclarations faites par les membres

4 du conseil de Sécurité et en est parvenue à la même conclusion. Je vous

5 renvoie à l'arrêt Tadic relatif à la compétence, paragraphes 75, 88 et 143

6 à l'arrêt Kordic, paragraphe 43.

7 L'Accusation reconnaît qu'il est établi dans la jurisprudence de ce

8 Tribunal, que le rapport du secrétaire général peut être consulté pour ce

9 qui est d'obtenir des éclaircissements concernant l'interprétation à donner

10 au sens du Statut. Toutefois, l'Accusation fait valoir que lorsque les

11 états membres du conseil de Sécurité se sont écartés expressément des

12 commentaires faits par le secrétaire général, leur interprétation doit

13 prévaloir.

14 Dans son rapport concernant le tribunal de Rwanda, il aurait été

15 juste que le secrétaire général indique qu'il avait proposé une approche

16 plus vaste pour ce qui est du tribunal de Rwanda que celle proposer pour le

17 TPY, mais le conseil de Sécurité en l'occurrence n'a pas adopté une

18 approche plus vaste. Le conseil de Sécurité, a adopté la même approche pour

19 l'essentiel en ce qui concerne les deux tribunaux.

20 Toutefois l'Accusation reconnaît que les préoccupations à l'origine

21 de la position du secrétaire général visant à limiter la compétence du

22 Tribunal aux normes inscrites dans le droit coutumier, est valide.

23 L'article 3 ne saurait être interprété d'une manière contraire aux normes

24 de la justice tel que le principe de légalité. Mais comme l'a dit la

25 Chambre d'appel dans l'arrêt Tadic relatif à la compétence et dans l'arrêt

26 Kordic, l'acceptation des dispositions des traités applicables en tant que

27 fondement pour l'application de l'article 3 respecte tout à fait le

28 principe de légalité. La Chambre d'appel a noté au paragraphe 41, de la

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1 décision rendue en appel concernant un appel soulevé par Ojdanic au sujet

2 de l'entreprise criminelle commune, décision en date du 21 mai 2003, le

3 droit écrit est plus accessible à un accusé que le droit international

4 coutumier. Donc, le principe de légalité n'exclut pas le droit écrit.

5 A présent, très brièvement je souhaiterais en venir au fait que le

6 fait d'exclure les dispositions des traités applicables, irait clairement à

7 l'encontre de l'intention du conseil de Sécurité, selon laquelle l'article

8 3 doit être interprété de façon large.

9 La préoccupation fondamentale qui sous-tend les déclarations de

10 quasiment tous les membres du conseil de Sécurité lorsqu'ils ont adopté le

11 Statut était les conséquences catastrophiques qui découleraient du fait

12 d'accorder l'impunité aux personnes qui auraient violé le droit

13 international humanitaire. Ces déclarations sont illustrées dans les procès

14 verbaux qui comme je l'ai dit font partie de notre liste de source.

15 En conclusion, pour ce qui est du champ d'application de l'article 3

16 du Statut, la Chambre d'appel a confirmé à maintes reprises le fait que les

17 dispositions à des traités applicables sont couvertes par l'article 3.

18 S'écarter de ces conclusions nécessiterait des raisons impérieuses.

19 Le commentaire du secrétaire général à propos du Statut du Rwanda, ne

20 fournit pas de raisons impérieuses. La Chambre d'appel, dans l'arrêt Tadic

21 relatif à la compétence et dans l'arrêt Kordic a pleinement pris en compte

22 le point de vue du secrétaire général selon lequel la compétence du

23 Tribunal doit être limité aux normes du droit coutumier. La Chambre d'appel

24 a conclu dans ces deux cas que cette déclaration n'était pas déterminante

25 et que le libellé du Statut et l'interprétation et des commentaires du

26 Conseil de sécurité devait prévaloir. J'en viendrai maintenant à mon

27 deuxième point d'ordre juridique, à savoir la position du droit coutumier

28 sur l'interdiction de la terreur.

Page 123

1 L'INTERPRÈTE : [aucune interprétation]

2 Mme JARVIS : [interprétation] L'Accusation a fait valoir qu'en tout état de

3 cause, le crime de terrorisation fait partie du droit international

4 coutumier. Ceci est évoqué dans le mémoire de l'intimé, présenté par

5 l'Accusation aux paragraphes 7,27 et 6,61. Nous nous en tiendrons à ces

6 arguments et nous ne les réitérerons pas aujourd'hui. Je souhaite

7 simplement informer la Chambre d'un développement récent survenu depuis le

8 début de notre mémoire, à savoir la publication de l'étude de CICR en 2005

9 concernant le droit international coutumier qui étaye encore davantage

10 l'argument de l'Accusation selon lequel le crime de terrorisation est

11 inscrit en droit international coutumier.

12 Conformément à l'approche adoptée par la Chambre d'appel dans l'affaire

13 Hadzihasanovic, je vais parler de la décision d'acquittement à la Chambre

14 d'appel, confirmait la nature coutumière du crime de destruction sans motif

15 non justifié par des nécessités militaires à partir de la pratique des

16 Etats, des manuels militaires et de la législation nationale cités dans

17 l'étude du CICR.

18 L'étude du CICR fait référence à des manuels militaires et à des

19 codes pénaux nationaux qui mentionnent l'interdiction de la terrorisation.

20 Cela figure au volume 1, pages 9 et 10 et nous avons indiqué cela dans

21 notre liste de sources complémentaires. Nous faisons valoir que la pratique

22 des Etats renforce la pratique déjà mentionnée dans le mémoire de l'intimé

23 et appuie davantage la conclusion selon laquelle le crime de terrorisation

24 fait partie du droit international coutumier.

25 Troisièmement, le crime de terrorisation peut être commis par le

26 biais d'attaques indiscriminées dirigées contre les civils. La Chambre

27 d'appel a posé une question à l'Accusation à ce sujet. Vous nous avez

28 demandé de préciser si nous sommes d'avis que les attaques indiscriminées

Page 124

1 peuvent faire partie du crime de terrorisation.

2 Pour répondre en quelques mots, l'Accusation est d'avis que les

3 attaques indiscriminées peuvent faire partie du crime de terrorisation.

4 Nous avons adopté cette position expressément dans notre mémoire de

5 l'intimé, paragraphes 7,81 et 7,82. Nous maintenons cette position dans

6 notre mémoire. Nous fournissons également une justification très brève de

7 notre position au paragraphe 7,82. Nous affirmons que : "l'intention

8 spécifique pour les crimes de terrorisation sera prouvée s'il est établit

9 que la décision d'employer des méthodes indiscriminées a été motivée par

10 l'objectif principal de répandre la terreur."

11 Je vais vous fournir quelques explications plus détaillées au sujet

12 du raisonnement que nous adoptons et au sujet de la jurisprudence sur

13 laquelle nous nous fondons.

14 La majorité a conclu que le général Galic était responsable

15 d'attaques directes et indiscriminées. Au paragraphe 589 du Jugement, la

16 Chambre a conclu que : "les preuves établissent de manière concluante que

17 les tirs constatés à travers la ville de Sarajevo étaient indiscriminés ou

18 directs. Il ne s'agissait pas de tirs à l'occasion desquels les civils

19 auraient été frappés par accident."

20 Une conclusion similaire figure au paragraphe 591.

21 Pourtant, la majorité des juges a déterminé que le but de la campagne

22 était de terroriser les civils. Cette approche était correcte. Il est

23 important de comprendre ce que voulait dire la Chambre lorsqu'elle a

24 constaté que les civils de Sarajevo étaient pris pour cible par des tirs

25 indiscriminés.

26 Sur l'ensemble des incidents répertoriés en annexe, trois des

27 bombardements ont été qualifiés d'indiscriminé : les numéros 1, 3 et 4. Je

28 vais d'abord parler des incidents 3 et 4 ensembles.

Page 125

1 S'agissant du bombardement numéro 3, qui est évoqué aux paragraphes

2 331 et suivants, le Jugement concernait une attaque à l'occasion de

3 laquelle la RSK a tiré trois obus de mortier dans un quartier résidentiel

4 de Sarajevo à Alipasino Polje. Six enfants, qui avaient profité d'une trêve

5 pour jouer dans la rue à l'extérieur de leur appartement ont été tués.

6 D'autres civils, y compris des enfants, ont été blessés.

7 S'agissant du bombardement numéro 4 évoqué aux paragraphes 398 et

8 suivants du Jugement, il s'agissait encore d'une attaque menée avec trois

9 obus de mortier qui ont frappé un quartier résidentiel à Dobrinja. A

10 l'occasion de cet incident, au moins huit civils dont un enfant ont été

11 tués et au moins 18 personnes dont deux enfants ont été blessées. Au cours

12 de cette attaque, un terrain de jeux utilisé par les civils pour échanger

13 de la nourriture et d'autres biens a été frappé.

14 La Chambre de première instance a utilisé la même méthode pour

15 examiner ces deux incidents-là. La Chambre a d'abord établi que la RSK

16 était à l'origine du tir, puis a exclu toute possibilité raisonnable que le

17 tir soit dirigé contre des objectifs militaires légitimes qui se seraient

18 trouvés dans le secteur. Par exemple, la Chambre a noté que les obus

19 successifs tirés au cours de ces attaques ne sont tombés à proximité

20 d'aucune cible militaire alléguée, que les bombardements ont cessé même si

21 aucun dommage n'a été apporté aux objectifs militaires allégués.

22 La Chambre est parvenue à des conclusions semblables pour chacune de

23 ces attaques, à savoir que : "pour le moins, ces tirs étaient indiscriminés

24 et visaient principalement si ce n'est essentiellement, un quartier

25 résidentiel. Ces tirs ont été menés de façon imprudente et ont donné lieu à

26 des cibles civiles."

27 Cette conclusion se trouve aux paragraphes 345 et 410 du Jugement.

28 Qu'entendait la Chambre par les qualificatifs indiscriminés et

Page 126

1 imprudents au sujet de ces attaques ? La Chambre a exclu la possibilité que

2 ces attaques aient été dirigées contre un objectif militaire légitime. La

3 Chambre n'a pas également conclu que les victimes civiles étaient prises

4 pour cible délibérément. Ces attaques ont été qualifiées d'indiscriminées

5 car il s'agissait d'attaques sans but précis, en ce sens que les obus ont

6 été tirés contre des quartiers résidentiels et non pas contre des cibles

7 particulières.

8 Pourquoi la Chambre a-t-elle qualifié ces attaques d'imprudentes ?

9 Car même si les décès ou blessures occasionnées aux civiles n'étaient pas

10 le but délibéré de l'attaque, ces attaques ont été menées en sachant que

11 des pertes civiles probables en résulteraient.

12 Y a-t-il une contradiction inhérente entre le fait de conclure que ces

13 attaques indiscriminées ont été motivées par le but principal de répandre

14 la terreur ? Je dirais que non. La question de savoir si ces attaques

15 indiscriminées ont été menées à bien avec le but principal de répandre la

16 terreur est une question de droit et non pas de fait. En l'occurrence, le

17 dossier de preuves confirme que ce n'est pas la nature indiscriminée de

18 nombre des attaques menées à Sarajevo qui a renforcé la conclusion selon

19 laquelle le but du comportement du SRK était de terrifier la population

20 civile.

21 Pourquoi une organisation militaire tirerait des obus ?

22 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui.

24 M. PILETTA-ZANIN : Veuillez m'excuser, mais selon mon habitude, je contrôle

25 toujours, pour me permettre de mieux travailler par la suite, le transcript

26 français. Le transcript français fait un contresens, je crois, important,

27 en disant qu'il s'agissait d'une question de droit et non pas de fait,

28 alors qu'on vient de dire le contraire. Je dois le signaler à ce moment,

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1 parce qu'après, ce sera trop tard pour le faire. Merci pour les cabines.

2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous en prenons note. Merci.

3 Mme JARVIS : [interprétation] Je remercie mon confrère de la Défense. J'ai

4 bien dit qu'il s'agissait d'une question de fait, et non pas de droit. J'ai

5 également dit que c'est la nature indiscriminée des attaques menées à

6 Sarajevo qui sous-tendait les constatations de la majorité des Juges, selon

7 laquelle le but premier de ces attaques étaient de répandre la terreur.

8 Pourquoi une force militaire tirerait des obus contre un quartier

9 essentiellement résidentiel de Sarajevo sans s'intéresser à la question de

10 savoir où atterriraient les obus et sans s'intéresser à la question de

11 savoir si des civils seraient tués ou blessés, suite à cela ?

12 La raison en est que peu importe qui était touché, le but premier de

13 l'attaque était de terrifier la population civile, et en ce sens, le SRK a

14 réussi.

15 Comme l'a conclu la majorité des Juges au paragraphe 593 du Jugement,

16 l'objectif fondamental de la campagne menée par le SRK n'était pas

17 d'éliminer la population civile, mais de la terroriser, de la terrifier

18 afin d'envoyer un message très clair, à savoir qu'aucun civil à Sarajevo

19 n'était en sécurité où que ce soit, quelle que soit l'heure du jour ou de

20 la nuit. Les attaques indiscriminées étaient une manière particulièrement

21 efficace de parvenir à ce but, comme l'ont confirmé plusieurs témoins. J'ai

22 choisi des extraits de leurs témoignages dans le Jugement, et il y a des

23 extraits que vous pouvez suivre --

24 Je m'excuse, nous avons des problèmes techniques aujourd'hui. J'ai

25 préparé plusieurs diapositives aujourd'hui. Nous n'avons pas pu les

26 diffuser. J'espère que la régie technique nous permettra de régler le

27 problème.

28 En fait, je vois que vous pouvez voir les diapositives que j'ai

Page 128

1 préparées. Excusez-moi de cette interruption.

2 Monsieur Van Lynden, au paragraphe 575 du Jugement, un journaliste

3 néerlandais a déclaré que ces tirs sporadiques ici et là n'avaient aucun

4 but militaire, mais leur effet a été de faire peur à tout le monde, car les

5 gens avaient peur qu'à chaque fois qu'ils sortaient de chez eux, ils

6 étaient en danger. Ils n'étaient jamais en sécurité.

7 Le témoin Henneberry, un observateur militaire des Nations Unies, a

8 déclaré, comme il est repris au paragraphe 569 du Jugement : les

9 bombardements étaient conçus d'une manière telle qu'ils empêchaient les

10 gens d'aller d'un bâtiment à l'autre en courant.

11 Le témoin Harding, autre observateur militaire des Nations Unies, a

12 dit, au paragraphe 570 : les obus, les tirs d'artillerie pouvaient frapper

13 n'importe quel endroit de la ville, quasiment. Cette manière de bombarder

14 permettait une surprise maximum et augmentait les effets psychologiques sur

15 les civils de la ville, avec un minimum d'effort militaire.

16 Le Témoin Y, au paragraphe 571, dit que l'objectif suivi par les

17 forces de la RSK était de faire en sorte que tous les habitants de Sarajevo

18 ressentent que personne n'était protégé ou à l'abri des tirs. Ces tirs

19 n'étaient pas dirigés contre des objectifs militaires, mais visaient plutôt

20 à renforcer le sentiment d'impuissance de la population afin de la

21 désespérer et de causer des dépressions nerveuses.

22 Une analyse similaire a été appliquée pour ce qui est du bombardement

23 numéro 1, l'attaque lors du match de football à Dobrinja, qui, d'après la

24 Chambre, constituait également une attaque indiscriminée. La notion selon

25 laquelle le bombardement ou une campagne de bombardements indiscriminée

26 peut constituer une terrorisation de la population civile est étayée par la

27 résolution de l'assemblée générale concernant la situation en matière de

28 problèmes au Kosovo, résolution adoptée en février 1999. L'assemblée

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1 générale a exprimé de graves préoccupations concernant la terrorisation

2 systématique des Albanais de souche. Comme il ressort de nombreux rapports,

3 il y a eu des attaques indiscriminées, des bombardements généralisés.

4 L'étude du CICR concernant l'application du droit coutumier, volume 1, page

5 11, cite cette résolution comme étant un exemple dans lequel les

6 bombardements indiscriminés et généralisés sont qualifiés de violation de

7 l'interdiction de la terreur ou de la terrorisation.

8 En conclusion, s'agissant des attaques indiscriminées et du crime de

9 terrorisation, il n'y a pas de contradiction inhérente dans le fait de

10 conclure qu'une attaque était indiscriminée dans sa méthode et motivée, par

11 ailleurs, par le but premier et essentiel de répandre la terreur. Le but

12 d'une attaque qui, dans sa méthode, est indiscriminée peut être, si l'effet

13 de l'espèce illustre bien cela, apparemment.

14 Maintenant, je vais passer au quatrième point, à savoir, les

15 relations entre -- enfin, ce qui est des attaques indiscriminées,

16 proportionnées et directes.

17 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Madame Jarvis, il nous reste cinq

18 minutes. A moins que cela ne vous suffise, nous devons suspendre

19 l'audience.

20 Mme JARVIS : [interprétation] Je pense être en mesure de terminer cela en

21 cinq minutes. Ensuite, j'aurai quelques arguments supplémentaires très

22 brefs après la pause.

23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Allez-y.

24 Mme JARVIS : [interprétation] Pour répondre brièvement à cette question, la

25 Chambre de première instance n'a qualifié aucune attaque en l'espèce comme

26 disproportionnée. La Chambre a fait un commentaire en disant que le match

27 de football à Dobrinja, même si cette attaque était dirigée contre des

28 soldats qui jouaient, cette attaque aurait été disproportionnée. Mais le

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1 SRK ne savait pas que les soldats étaient là. Cette attaque, par

2 conséquent, n'aurait pas pu être dirigée contre ces soldats.

3 La Chambre a conclu que l'attaque était indiscriminée.

4 S'agissant des attaques qualifiées d'indiscriminées, la Chambre, en

5 appliquant le droit au fait, a utilisé l'expression "indiscriminée". Elle

6 n'a pas qualifié ces attaques de directes. Je vous renvoie aux conclusions

7 énoncées aux paragraphes 589 et 591. Donc, il n'y a pas d'erreur, ici.

8 La Chambre d'appel a évoqué la question théorique des rapports entre

9 les différents termes utilisés pour décrire les attaques illicites, les

10 attaques directes, les attaques visant des civils, les attaques

11 indiscriminées et les attaques disproportionnées. Je vous renvoie aux

12 conclusions de la Chambre, aux paragraphes 57 et 60 du Jugement, où il est

13 dit, s'agissant du droit applicable, que la Chambre reconnaît que les

14 attaques indiscriminées et disproportionnées peuvent être qualifiées

15 d'attaques directes.

16 D'après l'Accusation, la Chambre de première instance a eu raison dans

17 cette partie de son raisonnement juridique. Les attaques indiscriminées et

18 disproportionnées peuvent revenir au même que des attaques prenant pour

19 cible des civils ou des attaques directes. Les attaques directes incluent

20 toutes les attaques violant le principe de distinction, soit parce que la

21 cible choisie n'est pas seulement militaire, soit parce que l'attaque est

22 menée en se servant de méthodes qui ne permettent pas de faire la

23 distinction entre les objectifs militaires et les civils, comme l'exige le

24 principe de proportionnalité.

25 Par exemple, le fait de prendre délibérément pour cible un civil dans

26 les rues de Sarajevo, il s'agit d'une attaque où, clairement, l'objectif

27 est un civil. Cette attaque, par exemple, viole le principe de distinction

28 et constitue une attaque directe contre un civil. Deuxièmement, le fait de

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1 tirer des "shells" à l'aveugle sur la ville de Sarajevo sans s'intéresser à

2 la cible qui serait touchée.

3 Comme je l'ai déjà expliqué, ce type d'attaque peut être qualifiée

4 d'indiscriminée, car la méthode choisie pour l'attaque ne permet pas de

5 faire la distinction entre des objectifs militaires et civils, comme

6 l'impose, par exemple, l'article 51, paragraphe 4 du protocole I, traitant

7 des attaques indiscriminées. Cela viole le principe selon lequel seuls les

8 objectifs militaires sont légitimes et peuvent faire la cible d'une

9 attaque. La Chambre de première instance aurait dû se servir de ces

10 qualificatifs, s'agissant des faits de l'espèce, et aurait dû appliquer le

11 droit en ce sens.

12 Troisième exemple, lorsqu'un parti, une partie au conflit peut

13 choisir un objectif militaire légitime en conformité avec le principe de

14 distinction, mais choisit, pour neutraliser cet objectif, d'utiliser une

15 méthode qui ne permet pas de faire la distinction entre les objectifs

16 militaires et civils, comme l'impose le principe de proportionnalité.

17 Par exemple, lorsque l'on largue une bombe sur un village afin de

18 prendre pour cible et de frapper un soldat qui est rentré chez lui en

19 permission, donc cette attaque, par exemple, peut être qualifiée

20 d'indiscriminée pour ce qui est de sa méthode. Cette attaque viole le

21 principe de proportionnalité et donc le principe de distinction. Pour

22 suivre, une telle attaque, en sachant que des pertes civiles excessives

23 s'ensuivraient, en regard avec l'objectif militaire, peut être considérée

24 comme une attaque dirigée contre des civils.

25 Les dommages civils collatéraux ne peuvent plus être considérés comme

26 tels si le principe de proportionnalité est violé.

27 Cette approche est confirmée par plusieurs sources. Par exemple,

28 l'étude du CICR concernant l'application du droit international coutumier,

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1 volume 1, page 6 401 [comme interprété], où il est dit que les attaques

2 indiscriminées et disproportionnés peuvent être notamment des attaques

3 contre les civils si l'auteur savait que l'effet de l'attaque -- avait

4 connaissance des conséquences de l'attaque dans le contexte."

5 Je vous renvoie également à la décision de la Cour internationale de

6 Justice concernant l'avis consultatif au sujet des armes nucléaires qui est

7 cité dans le Jugement en note de bas de page 101. S'agissant de

8 l'obligation faite aux Etats de ne pas prendre les civils pour cible lors

9 des attaques, la CIJ a déclaré qu'il ne faut jamais se servir d'armes qui

10 ne peuvent pas faire la distinction entre les cibles militaires et civiles.

11 Un raisonnement similaire a été adopté par le Juge -- L'INTERPRÈTE :

12 Dont l'interprète n'a pas entendu le nom.

13 Mme JARVIS : [interprétation] -- dans son opinion dissidente, paragraphe

14 22. Cela est mentionné dans notre liste de sources supplémentaires.

15 Dans l'article de 1997 qu'elle a rédigé au sujet de l'avis consultatif de

16 la CIJ et mentionné dans notre liste de sources, il est conclu que : "Le

17 raisonnement de la CIJ selon lequel l'interdiction de prendre délibérément

18 pour cible des civils est inscrit à l'article 13 du protocole additionnel

19 II, qui reprend identiquement le libellé de l'article 51, paragraphe 2 du

20 protocole I, signifie automatiquement que les armes ne permettant pas de

21 faire une distinction sont interdites."

22 L'article 13 du protocole II inclut également l'interdiction de cibler les

23 civils lors d'attaque. Il n'est pas fait expressément référence aux

24 attaques indiscriminées ou disproportionnées, s'agissant du point de vue

25 exprimé dans le commentaire du CICR, puisqu'au paragraphe 4 764, il est dit

26 que cela réduit le degré de protection accordée aux civils lors des

27 conflits armés internationaux.

28 Pour conclure, s'agissant de l'application des droits au fait en l'espèce,

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1 la Chambre pense que les affaires indiscriminées contre des civils sont la

2 même chose que des attaques directes. La Chambre en a parlé plus tôt dans

3 ses arguments juridiques.

4 Je peux faire une pause ici et reprendre après la pause.

5 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci.

6 Nous reprendrons à 14 heures 15.

7 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 33.

8 --- L'audience est reprise à 14 heures 17.

9 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour. Nous reprenons nos débats en

10 l'espèce dans le cadre de cette procédure d'appel. Je vais donner la parole

11 au bureau du Procureur qui va poursuivre la présentation de ses arguments

12 dans le cadre de sa réponse. L'Accusation dispose de 45 minutes pour

13 répondre.

14 Je vous donne la parole.

15 Mme JARVIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président et Messieurs les

16 Juges.

17 Vous apprendrez avec satisfaction j'en suis arrivée à la dernière question

18 que je souhaite aborder devant vous aujourd'hui, à savoir que la Chambre de

19 première instance n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a précisé les

20 éléments constitutifs de crime de terreur en modifiant les éléments

21 constitutifs proposés par l'Accusation au procès.

22 Nos arguments sont présentés en détail dans notre mémoire, mais je vais

23 essayer de vous expliquer pourquoi les griefs évoqués par la Défense sont

24 sans fondement. Pour ce faire, j'ai préparé un tableau où je compare les

25 éléments constitutifs de crime de terreur proposés par l'Accusation et ceux

26 qui ont été adoptés par la Chambre de première instance. Cela devrait

27 apparaître à votre écran, sur l'écran.

28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui.

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1 Mme JARVIS : [interprétation] Bien.

2 Vous pouvez constater, en examinant ce tableau, que les éléments proposés

3 par l'Accusation et ceux qui ont été adoptés par la Chambre sont très

4 semblables. La seule différence découle du fait qu'alors le bureau du

5 Procureur a proposé des éléments constitutifs du crime de terreur en se

6 basant sur la totalité de ce crime de terreur, toute son étendue, à la fois

7 les actes et les menaces de violence, la Chambre a décidé de se prononcer

8 sur la base d'une situation beaucoup plus limitée au cours de laquelle les

9 actes de violence ont entraîné des morts et des blessés parmi les civils,

10 comme cela a été le cas en l'espèce.

11 S'agissant de l'élément numéro 1 qui figure dans le tableau, l'Accusation a

12 plaidé les actes ou les menaces de violence, la Chambre de première

13 instance, quant à elle, s'est limitée à tenir compte des actes de violence

14 seuls.

15 Le point 2 est le résultat de la nécessité de prouver qu'il y a eu des

16 attaques illicites. Cela découle de l'article 85 du protocole I, qui

17 précise que, pour qu'il y ait infraction, ces attaques délibérées doivent

18 entraîner la mort ou une atteinte grave à l'intégrité physique ou à la

19 santé. La Chambre a estimé que ceci pouvait être prouvé en montrant qu'il y

20 avait eu des morts et des blessés parmi les civils, et qui n'était pas

21 nécessaire de faire état ou de montrer que la terreur avait effectivement

22 été infligée.

23 Il n'est pas -- lorsque l'on se plaint que la conclusion de la Chambre de

24 première instance peut être justifiée en prouvant les décès de civils ou

25 des blessés parmi les civils, je pense qu'il n'est pas nécessaire de

26 montrer qu'il y a effectivement eu infliction de terreur sur les civils. Ce

27 qui est plus important encore, c'est que l'essence même -- c'est l'essence

28 même du crime de terreur, ce qui justifie l'application de ce terme à ces

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1 attaques illégitimes, avec un objectif essentiel qui est de répandre la

2 terreur. Donc, les éléments constitutifs proposés par l'Accusation et

3 acceptés par la Chambre sont identiques.

4 Pour conclure, lorsque le général Galic commandait les forces de la RSK à

5 Sarajevo, il ne pouvait pas véritablement croire qu'en attaquant des

6 civils, en causant des morts et des blessés parmi les civils afin de les

7 terroriser et les forcer à la capitulation, il était en train de conduire

8 une guerre légitime qui ne pouvait pas faire l'objet de sanctions pénales.

9 Depuis longtemps, tous les états du monde condamnent ce type d'actes de

10 terreur et les parties au conflit en Bosnie ont convenu que ce genre de

11 pratique est tout à fait inacceptable et doit être punie.

12 Ce que l'on peut croire, cependant, ce qui est tout à fait crédible, c'est

13 que le général Galic, en menant à bien cette campagne de terreur, pensait

14 que jamais il ne serait poursuivi pour ce crime, qu'il bénéficierait de la

15 même immunité que celle qui avait longtemps prévalue et empêchée

16 l'application du droit humanitaire dans ce domaine.

17 C'est justement pour cela que le Tribunal pour que nous travaillons

18 actuellement a été mis en place. La Chambre de première instance a à très

19 juste titre qualifié de guerre psychologique menée contre les civils de

20 Sarajevo le crime de terreur qui a été exécuté -- commis par le général

21 Galic et l'a rendu responsable de ses actes.

22 J'en ai terminé de mon intervention et je vais maintenant passer la parole

23 à M. Ierace, qui va traiter des questions de l'application du principe de

24 distinction et de proportionnalité. Il va également se pencher sur les

25 conclusions de la Chambre de première instance et l'évaluation des éléments

26 de preuve. Il pourra également répondre à toutes questions que vous auriez,

27 Messieurs les Juges.

28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci. Je me tourne vers mes collègues.

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1 Est-ce qu'ils ont des questions à vous poser ? Le Juge Meron, oui,

2 apparemment.

3 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Madame Jarvis, avant la pause, vous

4 avez essayé de nous dire qu'il y avait équivalence entre les attaques

5 indiscriminées et disproportionnées d'une part et les attaques directes

6 menées contre les civils. La question que j'ai à vous poser est la suivante

7 : pour établir l'existence du crime de terreur, est-ce qu'il est nécessaire

8 de montrer que les attaques indiscriminées ou disproportionnées contre les

9 civils équivalent à des attaques directes menées contre ces mêmes civils ?

10 Voilà la question que j'ai à vous poser.

11 Mme JARVIS : [interprétation] Ma réponse à votre question est non. Non, il

12 n'est pas nécessaire pour établir qu'il y a eu crime de terreur de montrer

13 que ces deux choses sont équivalentes. Nous, nous disons que sur le plan

14 juridique, il s'agit exactement de la même chose, mais nous disons que si

15 la Chambre ne va pas dans ce sens, cela ne l'empêche pas de conclure que

16 les attaques indiscriminées peuvent constituer des actes constitutifs du

17 crime de terreur.

18 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci.

19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Schomburg, c'est à

20 vous.

21 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. J'ai une question brève et

22 une question un peu plus longue à vous poser.

23 Premièrement, vous avez évoqué toute une série d'attaques dirigées contre

24 les civils. Quel est l'élément qui permet de faire la distinction entre

25 cela, entre ces éléments, parce qu'on a du mal à comprendre que de telles

26 attaques directes soient menées contre ces civils sans que l'objectif soit

27 de semer la terreur parmi ces civils.

28 Deuxièmement, s'agissant de la criminalisation ou l'incrimination de ces

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1 actes, à l'article 50, il est simplement dit que ces actes sont interdits.

2 Dans un très long chapitre du Jugement, on fait référence à un accord; je

3 crois que c'était l'accord du 22 mai. Est-ce que vous pensez qu'il est

4 nécessaire de se référer à cet accord ? Vous avez dit que d'abord, c'est le

5 droit conventionnel qui s'applique, de même que le droit coutumier

6 international, s'agissant de la criminalisation de ce type de comportement,

7 mais n'est-il pas exact que la législation en vigueur dans l'ex-Yougoslavie

8 prévoyait déjà, comme cela est indiqué dans le Jugement, que cet objectif,

9 l'objectif de répandre la terreur parmi les civils, est également considéré

10 comme un crime en Yougoslavie, et que c'est la raison -- que cela indique

11 plutôt -- on le voit, parce que la Yougoslavie a ratifié le protocole

12 additionnel I des conventions de Genève, et on nous dit que cela montre que

13 la Yougoslavie avait appliqué les conventions de Genève et que cet accord

14 qui est cité à moult reprises dans le Jugement nous montre que les

15 participants, les signataires de ce document savaient parfaitement que ce

16 type de comportement était pénalisé, criminalisé dans l'ex-Yougoslavie,

17 qu'ils devaient tenir compte de ce fait, du fait qu'il s'agissait là d'un

18 crime. Vous avez parlé de la juridiction ou de la compétence prévue par le

19 Conseil de sécurité et qui est mentionnée au paragraphe 36. Est-ce qu'il

20 n'y a donc pas la hiérarchie qui apparaît entre le droit conventionnel, le

21 droit international humanitaire, le droit interne, ce qui est souligné au

22 paragraphe 34, où il est dit qu'il ne peut y avoir crime s'il n'y a pas

23 textes juridiques ou, enfin, instruments juridiques qui s'y rapportent.

24 Pour conclure, je voudrais savoir quelle est l'approche que vous adoptez

25 vous-même, à savoir que ce genre de comportement est non seulement interdit

26 mais, en plus, pénalisé, criminalisé ?

27 Mme JARVIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. Je vais répondre

28 tout d'abord, si vous le permettez, à la deuxième question, mais il est

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1 possible que pour la première question, je vous demande des précisions,

2 parce que je ne suis pas bien sûre d'avoir tout à fait compris le sujet que

3 vous souhaitiez que j'aborde.

4 Mais pour ce qui est de votre deuxième question qui, si j'ai bien compris,

5 est de savoir comment nous trouvons notre chemin dans ce labyrinthe de

6 droit coutumier, international, d'accord, de traités, de conventions, et

7 cetera, pour -- en ce qui concerne la criminalisation du crime de terreur,

8 nous estimons, quant à nous, que la Chambre de première instance a adopté

9 une approche tout à fait acceptable. Ils ont d'abord examiné l'accord du 22

10 mai, ils ont estimé que c'était là un accord spécial, qui avait été conclu

11 par les parties au conflit et qui étaient envisagées par l'article 3 des

12 conventions de Genève. La raison pour laquelle il est absolument essentiel

13 de tenir compte de ce document et de ses conséquences, c'est que les

14 parties ont accepté d'appliquer les dispositions du protocole I des

15 conventions de Genève, indépendamment de la classification dudit conflit.

16 Si bien qu'en vertu de l'accord du 22 mai, les parties ont dit très

17 clairement qu'elles étaient décidées à appliquer les règles qui

18 s'appliquent normalement en cas de conflit armé international, quel que

19 soit le statut du conflit qui faisait rage en Bosnie, ce qui a justifié la

20 conclusion de la Chambre de première instance, à savoir qu'il n'était pas

21 nécessaire de caractériser, de qualifier le conflit, puisque ces normes

22 avaient été acceptées.

23 Maintenant, s'agissant de la validité du droit interne et la manière dans

24 laquelle il intervient ici, la Chambre d'appel a noté, bien entendu,

25 qu'elle n'était pas compétente en tant que tel, en matière de droit

26 interne. Dans l'arrêt Ojdanic sur l'entreprise criminelle commune, la

27 Chambre d'appel a déclaré que, même si cela ne constitue pas une source de

28 droit indépendant, le droit interne peut quand même se révéler utile pour

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1 vérifier si on respecte le principe de nullum crimen, parce que cela peut

2 constituer une interdiction, une prohibition particulière dont l'accusé

3 pouvait avoir eu connaissance. Donc, nous estimons que l'accord du 22 mai,

4 en particulier, était absolument essentiel, surtout si on regarde l'article

5 51 du protocole additionnel I. Il était prévu dans cet accord que toute

6 violation de l'accord serait punie conformément au droit interne. Vous avez

7 tout à fait raison, Monsieur le Juge, si on regarde la législation de l'ex-

8 Yougoslavie, elle avait pris des dispositions pour appliquer dans son droit

9 interne le protocole I et pour permettre que de telles infractions soient

10 poursuivies.

11 S'agissant du droit coutumier, nous estimons que la Chambre de première

12 instance a eu raison de conclure qu'elle n'avait pas besoin d'entrer dans

13 cette analyse, puisque l'accord du 22 mai suffisait pour déterminer qu'il y

14 avait interdiction et criminalisation de ce comportement. Même si vous

15 décidiez du contraire, nous estimons que l'interdiction de la terreur fait

16 partie du droit coutumier international. Nous avons fourni dans notre

17 mémoire de nombreux détails à ce sujet. J'en ai également parlé dans mon

18 intervention.

19 A moins que vous ne souhaitiez que je fasse la lumière sur certains sujets

20 de mon intervention, je souhaiterais vous renvoyer à mon mémoire.

21 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je voudrais préciser une chose.

22 Est-ce que vous êtes en train de me dire que cet accord constitue un

23 nouveau texte de droit, disons, qu'il dit la loi ici, qu'il pénalise ce

24 comportement ou qu'il s'agit simplement de la part des parties de

25 reconnaître des textes de loi qui existaient déjà auparavant, des principes

26 de loi qui existaient déjà auparavant ? Pour répéter ma première question,

27 je voulais savoir quelle était la différence entre les attaques menées

28 contre les civils et s'il était possible que de tels impacts soient menés

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1 contre des civils sans avoir pour objectif de répandre la terreur ? Je

2 pense, en particulier, ici, aux dépositions des experts que vous avez

3 rappelées à notre attention ce matin.

4 Mme JARVIS : [interprétation] S'agissant de la question que vous m'avez

5 posé suite à ma réponse, permettez-moi de dire que l'impact de l'accord du

6 22 mai, la conséquence, cela n'a pas été qu'il a dit la loi, parce que,

7 bien entendu, il y avait déjà toute la législation de l'ex-Yougoslavie qui

8 s'appliquait, mais l'impact, l'effet de cet accord, c'est que le droit

9 interne qui existait est devenu applicable qu'en vertu des conventions de

10 Genève. On a fait sortir le droit interne du champ pur du droit interne et

11 c'est devenu un accord international.

12 Maintenant, s'agissant de votre deuxième question, selon nous, toute

13 attaque illégitime contre des civils va forcément entraîner la terreur. Il

14 est clair que, lorsque les rédacteurs du protocole I, article 51, ont

15 décidé d'interdire ce type de comportement, ce n'est pas le genre de

16 terreur qu'ils avaient à l'esprit. C'est la raison pour laquelle ils ont

17 inclus cette nécessité de prouver l'intention spécifique, à savoir que

18 l'objectif doit être de répandre la terreur. Or, nous, nous estimons que

19 cela ne nous gêne pas ici en l'espèce, parce que comme nous l'avons déjà

20 dit, il ne s'agissait pas là de la terreur qui accomplit -- qui accompagne

21 n'importe quel conflit. Comme la majorité l'a indiqué dans son

22 raisonnement, il s'agissait d'une campagne calculée, modulée, dont

23 l'objectif était de semer la terreur.

24 S'agissant du deuxième volet de votre question, vous nous demandez s'il est

25 possible qu'on ait toute une série d'attaques de ce genre dirigée contre

26 les civils sans pour autant que soit établie l'attention spécifique

27 requise.

28 Théoriquement, oui. Théoriquement, oui. Ainsi, par exemple, l'objectif

Page 142

1 principal c'est peut-être de ne pas semer la terreur, mais tout simplement

2 de supprimer toute la population en tuant, en blessant. Dans ces

3 conditions, l'attention spécifique, ce ne serait pas de répandre la terreur

4 parmi la population mais de la supprimer, de la tuer. Or, cela n'a pas été

5 la décision rendue par la majorité des juges. Ils ont déjà déclaré qu'il ne

6 s'agissait pas d'une campagne destinée à annihiler la population, mais que

7 c'était une campagne dont l'objectif était de répandre la terreur.

8 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci de ces précisions.

9 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.

10 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Une petite question à laquelle

11 je suis sûr que vous n'aurez strictement aucun mal à répondre.

12 C'est quelque chose qui me trotte dans la tête. J'aimerais que vous

13 m'aidiez à répondre à cela. Imaginez que deux autres parties belligérantes

14 dans l'ex-Yougoslavie aient conclu un accord donnant au Tribunal compétence

15 en matière de terreur, en assortissant cette décision de l'autre

16 disposition qui ne correspondait pas aux dispositions habituelles.

17 Supposons, par exemple, qu'ils aient dit que, très bien, le Tribunal sera

18 compétent s'agissant des actes de terreur, à condition cependant que la

19 peine maximale encourue ne dépasse pas, mettons, 10 ans d'emprisonnement.

20 Dans ces conditions, je déduis de votre intervention que le Tribunal serait

21 dans une situation bien regrettable, bien malheureuse d'avoir à respecter

22 cet accord en n'étant pas d'accord sur la peine, mais effectivement en

23 pensant lui aussi qu'il s'agissait d'un crime répréhensible. Est-ce que

24 vous pourriez m'aider à répondre à cette question ?

25 Mme JARVIS : [interprétation] Oui. Il y a deux questions importantes qui se

26 posent ici.

27 Premièrement, la compétence du Tribunal reprend le droit conventionnel,

28 ceci pour appliquer le principe de nullum crimen sine lege. Il ne faut pas

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1 que le Tribunal pénalise rétrospectivement des actes qui n'étaient pas

2 considérés comme des actes criminels au moment où ils ont été commis. Or,

3 le Tribunal ne s'est jamais limité, dans le cadre des peines qu'il a

4 prononcées, et la détermination des peines n'a jamais été limitée par le

5 droit interne ou par d'autres dispositions du droit international.

6 Nous avançons que, si effectivement il importe d'examiner cet accord et de

7 voir que le principe de nullum crimen sine lege est respecté, ceci ne

8 limite pas pour autant la capacité du Tribunal à prononcer des peines, les

9 peines qu'il juge justes.

10 Ceci m'amène à mon deuxième point. Dans l'arrêt Kordic, une situation

11 quelque peu semblable s'est posée à la Chambre qui a adopté une approche

12 semblable. La Chambre examinait les conditions qui devaient être remplies

13 pour criminaliser les attaques illicites, avec application des dispositions

14 du protocole I, droit conventionnel. La Chambre a examiné l'article 85, et

15 elle s'est rendue compte qu'il était nécessaire de prouver qu'il y avait eu

16 décès et blessés graves. Mais la Chambre d'appel a décidé de se demander

17 s'il y avait des éléments indiquant que cette exigence du droit

18 international avait été modifiée par le droit coutumier. Nous pensons que

19 la Chambre, à ce moment-là, a décidé qu'il s'agissait de droit

20 conventionnel. S'il existe une norme de droit coutumier plus large, à ce

21 moment-là, c'est celle-là qui doit être appliquée.

22 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Une question connexe. J'aimerais

23 que vous m'aidiez à y répondre. J'imagine que votre point de vue est le

24 suivant, à savoir que même si le Tribunal n'est pas compétent s'agissant de

25 crimes qui relèvent de traités lorsque ces traités ou ces conventions n'ont

26 pas été incorporés, ne sont pas devenus des éléments du droit coutumier

27 international, le crime en question, malgré tout, serait toujours considéré

28 comme un crime, au vu du droit international coutumier. Est-ce que c'est là

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1 votre position ? Si c'est le cas, pouvez-vous me dire quel est l'argument

2 que vous mettriez en avant, le principal argument pour affirmer que le

3 crime de terreur était un crime reconnu par le droit coutumier

4 international au moment des faits qui nous intéressent ?

5 Mme JARVIS : [interprétation] Si vous voulez me permettre de réfléchir un

6 instant à la question, Monsieur le Juge, pour la réponse que je

7 souhaiterais faire à votre question.

8 Je vous remercie, Monsieur le Juge. Pour commencer, je pourrais préciser

9 que la position de l'Accusation est qu'en tout état de cause, le crime

10 consistant à répandre la terreur existe en droit international coutumier.

11 Comme vous l'avez vu dans notre mémoire, nous avons abordé la question

12 d'après un certain nombre d'angles différents, effectivement, la Chambre de

13 première instance l'a fait aussi, et nous disons que ceci est correct,

14 c'est la bonne façon de faire.

15 Mais si je voulais présenter l'argument le plus fort à cet égard, je

16 dirais qu'il y a suffisamment de pratiques des Etats et d'opinio juris,

17 telles que citées dans notre mémoire ainsi qu'en droit international

18 coutumier, pour établir cette norme comme étant bien une norme de droit

19 coutumier.

20 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.

21 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Y a-t-il d'autres

22 questions ? Si tel n'est pas le cas, s'il vous plaît, à ce moment-là,

23 l'Accusation peut poursuivre et présenter ses thèses.

24 M. IERACE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

25 Juges. Je centrerai essentiellement mon intervention d'aujourd'hui pour

26 répondre aux conclusions écrites présentées par la Défense, mais

27 j'incorporerai une réponse à une partie des conclusions qui ont été

28 présentées ce matin.

Page 145

1 Je voudrais indiquer pour les interprètes que d'après ce que j'ai

2 compris, un exemplaire de ma réponse est en train d'être préparé pour les

3 aider.

4 Dans ces conclusions écrites, l'appelant soutient que la Chambre de

5 première instance a abordé l'appréciation des éléments de preuve d'une

6 façon erronée. Je me réfère aux moyens 11, 12, 14, 15 et 17. Le thème

7 prédominant concernant ces moyens est que la majorité aurait consacré

8 insuffisamment d'attention à cela, le Juge Nieto-Navia, dans son opinion

9 individuelle, parle de ces principes de distinction et de proportionnalité,

10 en particulier, à la preuve que la ville était pleine d'objectifs à

11 caractère militaire. En conséquence, dit l'appelant, ce qui semblait, aux

12 témoins cités par l'Accusation, avoir été des attaques contre des civils

13 aurait pu être en réalité des attaques proportionnées dirigées contre des

14 objectifs militaires.

15 Autour de ce thème central, l'appelant a présenté une série

16 d'arguments secondaires. Par exemple, des éléments de preuve selon lesquels

17 la totalité des victimes civiles à Sarajevo pendant la période couverte par

18 l'acte d'accusation n'est pas compatible avec les attaques délibérées

19 contre des habitants et compatible avec les attaques correspondant aux

20 objectifs militaires qui, proportionnellement, par rapport aux civils,

21 étaient considérables. Ceci a été adopté comme point de vue par le Juge

22 Nieto-Navia et répété ce matin par Me Piletta-Zanin.

23 L'appelant soutient que la Chambre de première instance n'a pas

24 examiné cette possibilité, que des victimes civiles étaient inévitables,

25 ceci étant le corollaire de ces attaques; il les cite, par exemple, au

26 moyen 11, au paragraphe 127, que l'Accusation doit prouver que des victimes

27 civiles n'étaient pas le résultat de dommages collatéraux. Le moyen numéro

28 12 concerne la même question. Ainsi que le moyen 14, dans la mesure où il

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1 traite du fait que la Chambre de première instance n'aurait pas défini des

2 zones civiles ou des zones militaires.

3 Dans le moyen 15, la Défense soutient qu'il était nécessaire pour la

4 RSK d'utiliser les mortiers de façon à pouvoir supprimer des objectifs

5 militaires qui leur bouchaient la vue et, par conséquent, que des morts de

6 civils étaient la conséquence inévitable d'une action militaire légitime.

7 Un second thème également émerge de --

8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Excusez-moi, je vois la Défense -

9 -

10 M. PILETTA-ZANIN : Nous n'avons jamais indiqué que nous plaiderions le fait

11 que ces pertes étaient le résultat acceptable d'attaques illicites. Je vois

12 dans le transcript "unlawful attacks". Nous avons dit le contraire. C'est

13 pour clarifier pour qu'après, sur le transcript français quand j'y

14 travaillerai, tout soit clair.

15 Merci, Maître Ierace.

16 M. IERACE : [interprétation] Un deuxième thème se révèle également en ce

17 qui concerne les moyens relatifs à une approche erronée prétendue par la

18 Chambre de première instance quant à l'appréciation des preuves. L'appelant

19 a dit que la Chambre de première instance était passée du général au

20 particulier. Elle a conclu qu'il y avait une campagne visant à prendre pour

21 cible des civils en se basant sur des éléments de preuve généraux

22 concernant les tirs isolés et les bombardements de la ville et en faisant

23 séparément des conclusions en ce qui concerne les incidents répertoriés qui

24 étaient prouvés. C'est ce que dit l'appelant. Ces conclusions sont exposées

25 au moyen 12 de l'appelant et aux paragraphes 117 à 119 et au moyen 17,

26 paragraphe 255. L'appelant soutient que les incidents répertoriés ou listés

27 étaient insuffisants pour prouver qu'il y ait eu une campagne systématique

28 étendue, mais l'ensemble des preuves n'apportait pas la preuve d'incidents

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1 spécifiques ou précis que l'on puisse prouver qu'elle était basée sur la

2 connaissance du fait qu'on connaissait l'emplacement d'objectifs

3 militaires, et ceci n'est pas fiable par conséquent.

4 Ce que l'Accusation soumet et veut faire valoir, c'est que ces deux

5 attaques contre le jugement ne sont pas fondées. La Chambre de première

6 instance a noté la particularisation d'incidents spécifiques dans l'acte

7 d'accusation en disant que c'était une exigence procédurale de la

8 jurisprudence du Tribunal, qui donnait avis, comme il convenait à

9 l'appelant, des critères qu'il devait satisfaire au paragraphe 188 du

10 jugement, et qu'en ne satisfaisant pas à cette procédure, l'Accusation

11 n'aurait pas limité ses thèses à cela. Même en relation des incidents qui

12 n'étaient pas listés, certains incidents particuliers ont été fournis par

13 l'Accusation à la Défense dans le cadre de ses obligations au titre de

14 l'article 65 ter du Règlement. La majorité a compris que ces incidents non

15 listés n'étaient pas censés représenter une unité capable de représenter

16 une campagne systématique et étendue, et c'est la raison pour laquelle la

17 Chambre de première instance, en ce qui concerne ces éléments de preuve, a

18 conduit la majorité à retenir les preuves présentées par l'Accusation pour

19 prouver que ces incidents n'étaient pas des incidents isolés, mais

20 représentaient bien une campagne, au paragraphe 208.

21 L'INTERPRÈTE : L'interprète demande si le conseil pourrait ralentir.

22 M. IERACE : [interprétation] Certainement.

23 La Chambre de première instance a dit que dans la mesure où il était

24 possible et raisonnable de le faire, elle avait apprécié chacun des

25 incidents listés selon ses propres termes, mais aussi avec une référence

26 limitée à d'autres éléments de preuve concernant la situation des civils à

27 Sarajevo, paragraphe 207. Ces poches concernant des incidents listés avec

28 des preuves particulières ont été examinées par la Chambre de première

Page 148

1 instance. "Dans un contexte plus général, les preuves reflétant quel était

2 le grand nombre de témoins en l'espèce, et comment ils les avaient

3 comprises et les expliquaient." Paragraphe 189. Par conséquent, il n'est

4 pas exact de suggérer que la Chambre de première instance ait considéré

5 l'ensemble des éléments de preuve ayant trait aux incidents listés de façon

6 distincte. Enfin, elle a combiné tous les éléments de preuve, y compris

7 ceux qui n'étaient pas listés d'une façon générale, comme elle avait le

8 droit de le faire et comme le bon sens pourrait le dicter.

9 La Chambre de première instance a également examiné les éléments de

10 preuve de différentes perspectives du point de vue géographique et du point

11 de vue temporel - du point de vue du temps et du lieu. Elle a apprécié les

12 éléments de preuve district par district, quartier par quartier autour de

13 Sarajevo, en ce qui concerne les tirs isolés, à la fois ceux qui sont

14 répertoriés et ceux qui ne l'étaient pas, ainsi que les incidents de

15 bombardement et les éléments de preuve concernant la localisation

16 d'objectifs militaires éventuels, de façon très détaillée, en y consacrant

17 quelque 150 pages dans le jugement.

18 La Chambre de première instance a expliqué que cet examen très

19 exhaustif, je cite : "La déposition du témoin, les preuves apportées par le

20 témoin ainsi que les éléments de preuve documentaires ont été choisis,

21 combinés et repris par la Chambre de première instance, conformément à leur

22 pertinence et à la crédibilité de leurs sources, ont une valeur probante en

23 tenant dûment compte du fait que le présent acte d'accusation allègue une

24 conduite illicite et une responsabilité pour cette conduite qui va au-delà

25 de ce qui est mentionné dans les incidents listés." Paragraphe 189.

26 La Chambre de première instance a, à plusieurs reprises, examiné les

27 éléments de preuves à des charges éventuelles, conformément au principe de

28 distinction de proportionnalité, mais a précisé que son approche à ces

Page 149

1 éléments de preuves, aux paragraphes 185 et 191, a dit que : "l'activité de

2 combat qui se poursuivait à l'époque et à l'endroit de l'incident ainsi que

3 la présence proche et pertinente d'activités et d'installations

4 militaires."

5 La majorité a conclu que tout au long de la période couverte par

6 l'acte d'accusation, qu'il se soit agi de civils à l'intérieur des lignes

7 de confrontation, du fait qu'il y avait des résultats district par

8 district. En examinant district par district les incidents non listés et

9 les incidents généraux, ces civils avaient été pris pour cible dans des

10 lieux qui, par la suite, avaient une notoriété locale, comme certains

11 gratte-ciels sur "sniper alley", l'allée des tireurs embusqués, ainsi qu'un

12 clocher au nord-est de Sarajevo, et ainsi de suite. Cette prise pour cible

13 par les forces de la RSK, d'une façon orchestrée, a été démontrée comme

14 répondant aux prescriptions des dirigeants de la RSK.

15 La Chambre de première instance a également considéré que le scénario

16 systématique des tirs tout au long de la période couverte par l'acte

17 d'accusation, notamment la fluctuation et la diminution en victimes civiles

18 et de civils individuellement, les autorités civiles de Sarajevo ont conçu

19 des mesures, des stratégies de protection.

20 Les civils ne pouvaient pas rester de façon permanente à l'intérieur

21 du bâtiment --

22 L'appelant a soumis à la Chambre de première instance en allant au-

23 delà des éléments de preuve ayant trait aux incidents listés, s'est fondé

24 sur un ensemble de dépositions, de témoins dont la crédibilité n'était pas

25 fiable. "Ces dépositions ne contiennent pas un seul élément de données

26 concrètes concernant les incidents." Au paragraphe 255, moyen 17. Comme

27 nous l'avons entendu encore aujourd'hui, ce matin.

28 L'Accusation fait valoir que cette conclusion est contraire à ce que

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1 dit le dossier du procès. Les éléments de preuve soumis à la Chambre de

2 première instance comprenaient le fait qu'il y avait des personnes qui ont

3 déposé concernant la pratique de la RSK en ce qui concerne le bombardement

4 de civils pratiqué délibérément et la prise pour cible des civils tout au

5 long de ces incidents de façon indiscriminée.

6 En ce qui concerne les bombardements, pour utiliser les termes

7 employés par la majorité, le Témoin AD, un soldat de la RSK, a dit dans sa

8 déposition que le commandant de la brigade Ilijas - c'était une des brigade

9 du Corps de Sarajevo-Romanija - a donné des ordres pour qu'une batterie de

10 mortier prenne pour cible des ambulances, une place du marché, des

11 processions pour des obsèques et des cimetières situés plus au nord de la

12 ville.

13 En ce qui concerne les tirs isolés, le Témoin D, également soldat de

14 la RSK, a déposé en disant qu'il avait été avec les tireurs isolés,

15 notamment aux immeubles Grabvica surplombant Sarajevo et également aux

16 positions de la RSK juste au nord de la rue Ozrenska sur la bordure sud de

17 la ville. Il a décrit leurs fusils de tireurs isolés qui avaient des

18 lunettes télescopiques. Ils ont reçu l'ordre de tirer sur tout ce qui

19 bougeait. Ils n'ont pas reçu l'ordre de ne pas prendre les civils pour

20 cible. Paragraphes 236, 237 de l'arrêt, ceci indique que Juges de la

21 Chambre ont accepté ces éléments de preuve.

22 Le Témoin D a vu qu'il y avait des lumières à infrarouge et une

23 mitrailleuse spéciale équipée d'un viseur optique. A partir de cette

24 position, il a vu des artilleurs qui prenaient pour cible des carrefours,

25 et qu'il y a eu des barrières contre les tireurs isolés, il y avait encore

26 la possibilité de tirer sur des personnes qui étaient visibles dans les

27 intervalles entre les barrières.

28 Me Pilipovic a dit encore ce matin qu'il n'y avait aucun élément de preuve

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1 que la RSK avait des tireurs embusqués, malgré la déposition non contredite

2 du Témoin D. On ne lui a pas dit qu'il mentait ou qu'il se trompait. Même

3 l'expert de la Défense en matière de commandement et de contrôle, le

4 général Radinovic, dans son rapport présenté par la Défense, a dit que la

5 RSK avait des tireurs isolés depuis 1993.

6 Ainsi que les initiés, la Chambre de première instance a entendu des

7 correspondants de guerre, des observateurs aguerris de conflits armés.

8 Aernout Van Lynden, un ex-membre du Corps des marines néerlandais a fait la

9 tournée de l'ensemble de la ligne de front avec la permission du général

10 Mladic, accompagné par les officiers de liaison de la RSK, et il a

11 personnellement inspecté des postes avancés où il y avait des tireurs

12 embusqués sur les hauteurs de Grbavica. Il a noté que ces tireurs portaient

13 des uniformes, qu'ils utilisaient des radios de façon à pouvoir procéder à

14 leurs tirs à partir de ces positions.

15 Il a dit que le 5 décembre 1992, il avait observé un bloc d'appartements

16 civils qui a été pris pour cible. Ce jour-là, il a vu le bombardement d'un

17 bloc d'appartements dans Cengic Vila, une partie particulière de Sarajevo.

18 Il a marqué la position de cet immeuble d'appartements avec précision sur

19 une carte. Il a vu comment il était pris pour cible avec des projectiles

20 incendiaires de fort calibre, il a estimé que c'était de 10 à 15

21 centimètres, soit avec une grosse mitrailleuse, soit avec un canon

22 antiaérien. Parce qu'il y avait des projectiles incendiaires, il pouvait

23 facilement les voir et voir d'où ils partaient. Il le savait parce qu'il

24 était sur place. L'équipe qui a filmé cela a pris un certain nombre de

25 séquences, pièce à conviction P3647, que nous allons voir maintenant, comme

26 faisant partie de cette pièce à conviction.

27 [Diffusion de cassette vidéo]

28 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

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1 "Un bloc d'appartements, sa maison a disparu.

2 Quelques secondes après, il y a eu des tirs incendiaires sur ce

3 bâtiment qui ont ricoché sur le mur et dans la rue. Il y a eu incendie sur

4 un objectif purement civil.

5 Comme toujours, les merveilleux pompiers de Sarajevo sont venus avec

6 leurs tuyaux pour lutter contre les flammes. Ils nous disent qu'ils n'ont

7 pas réussi à s'occuper d'un autre incendie aujourd'hui.

8 Le bombardement ici dans le centre de Sarajevo souligne encore une

9 fois l'impotence des efforts internationaux en Bosnie. Des cessez-le-feu et

10 des entretiens politiques qui n'ont conduit à rien et ceci jusqu'à ce que

11 le monde occidental montre qu'il est véritablement engagé à mettre fin à

12 cette guerre. C'était Aernout Van Lynden, SkyNews, Sarajevo."

13 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

14 M. IERACE : [interprétation] Van Lynden témoigne du fait qu'il a

15 personnellement interviewé certaines personnes sur des centaines de civils

16 qui vivaient dans ce bâtiment, il a confirmé qu'il n'y avait aucune

17 occupation militaire d'aucune partie de ce bâtiment, que le feu ne

18 provenait pas de l'immeuble et que ce feu a commencé sans aucun

19 avertissement par les tirs de projectiles incendiaires.

20 Je suis conscient du fait que je n'ai plus que cinq minutes, donc, je vais

21 passer à un autre point que je voudrais vous exposer.

22 Un autre témoin, tout aussi important, était un journaliste photographe

23 norvégien ayant 20 ans d'expérience. Il a témoigné d'une façon convaincante

24 en ce qui concerne un incident non répertorié dans les annexes; par

25 exemple, lorsqu'il était en train de conduire un véhicule le long du

26 boulevard du général Tito en hiver 1993 ou 1994, il a observé une femme

27 d'un certain âge qui avait essuyé un tir qui avait touché la partie

28 inférieure de son corps alors qu'elle essayait de passer à un croisement.

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1 Il a observé, de sa position, des piétons qui essayaient de l'aider. Il a

2 essayé d'utiliser son véhicule blindé de journaliste pour la protéger du

3 côté sud, mais avant qu'il ait pu prendre ces mesures, elle a reçu un

4 projectile dans la tête. Il a ensuite accompagné le transport de son corps

5 jusqu'à la morgue, où il l'a photographiée. Voilà les éléments de preuve

6 qu'il a donnés. P3625. C'est une déposition visuelle convaincante du fait

7 qu'elle a été tuée en tant que victime civile, elle portait un manteau de

8 fourrure et elle avait de longs cheveux.

9 La Chambre de première instance a également entendu 21 membres du personnel

10 militaire de l'ONU qui ont été témoins du conflit sur le terrain au cours

11 des fonctions occupées par l'appelant. Ils avaient leur bureau dans son

12 quartier général. Ils ont expliqué le caractère relativement statique du

13 conflit, et le fait qu'il y avait relativement peu de mouvement sur les

14 lignes, ceci a été accepté par la majorité au paragraphe 589.

15 Ceci est un aspect très important pour comprendre les éléments de preuve en

16 l'espèce. C'était un conflit armé inhabituel à cause de la période très

17 longue couverte par l'acte d'accusation. Il y avait très peu de mouvement

18 pour ce qui était des lignes de front. De temps en temps, il y avait des

19 incidents violents, mais pour la plupart, ils étaient terminés vers la fin

20 de 1992.

21 Ils ont également déposé du fait qu'ils avaient observé des systèmes de

22 roquettes à lanceurs multiples frappant la ville. Carl Harding, le 8

23 décembre 1992, a vu neuf roquettes toucher la partie du centre-ville de

24 Sarajevo. En octobre 1993, il y avait également ce qu'on appelait, selon

25 les experts, des armes antipersonnel qui étaient destinées à créer un

26 territoire, d'une zone importante, de tueries par le shrapnel, qui

27 n'étaient pas destinées à démolir des bâtiments. Son nom était le major

28 Hermer. Ce matin, Me Piletta-Zanin s'est référé au fait que la plupart des

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1 dommages avaient été créés sur les lignes de front. Il se peut que cela ait

2 été le cas. Il y a eu les événements selon lesquels il y a eu également des

3 dommages importants en ville, ainsi que des armes qui visaient des civils.

4 C'étaient des armes antipersonnel plutôt que des armes destinées à

5 endommager des bâtiments.

6 Le fait qu'à l'occasion les Juges aient rejeté, dans certains cas, des

7 incidents listés ont démontré tout le soin qu'ils ont mis à examiner le

8 principe de proportionnalité. Un exemple est le tir isolé numéro 14. Bien

9 que la Chambre de première instance ait conclu que la victime était un

10 civil non armé portant des vêtements civils, engagé dans une activité

11 civile, en ce qui concerne le fait qu'il se soit approché d'un point de

12 contrôle militaire avec une Toyota, qu'il avançait vers la ligne de front

13 au moment où on lui a tiré dessus, il y avait une mauvaise visibilité : "On

14 ne pouvait pas exclure au-delà de tout doute raisonnable qu'il ait été pris

15 pour cible et on ne peut pas considérer que cet incident soit représentant

16 d'une campagne de tirs contre des civils."

17 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, dans les minutes qui me

18 restent, je voudrais respectueusement dire que vous regardiez les photos

19 prises sur 360 degrés qui sont présentées comme éléments de preuve; par

20 exemple, en relation avec l'incident de tir isolé numéro 6, qui va

21 apparaître à l'écran dans un instant. Ceci montre comment il aurait été

22 préférable que la Chambre de première instance puisse avoir une vue, ceci

23 n'était pas absolument nécessaire.

24 Me Pilipovic a dit ce matin que la Chambre de première instance aurait pu

25 voir qu'il y avait une ligne -- qu'on pouvait voir d'où provenait la source

26 des tirs. Ils avaient l'avantage de ces photographies à 360 degrés. Sur la

27 vidéo, la Chambre pourrait voir comme témoin oculaire -- le témoin oculaire

28 a pu confirmer ceci personnellement. On a des éléments de preuve qui

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1 prouvent que la caméra a été placée sur un trépied spécial précisément à

2 cette position, à la hauteur approximative à laquelle la balle est entrée

3 dans le corps, et des photographies 306 degrés de ce genre ont ainsi été

4 créées.

5 L'incident numéro 6 impliquait une femme d'un certain âge qui a été tuée

6 par balle alors qu'elle essayait de prendre de l'eau sur les rives de la

7 Dobrinja. Elle-même et d'autres s'étaient abrités des tirs isolés derrière

8 une passerelle pour piétons. Lorsqu'on retourne la photographie, nous

9 pouvons voir la rivière et la passerelle; dans la distance, le témoin

10 oculaire a pu identifier un bâtiment en particulier d'où provenait le tir

11 suspecté. Il est possible de faire un gros plan sur cette photographie,

12 mais je ne vais pas le faire maintenant à cause du manque de temps. Vous

13 pourrez voir les éléments de preuve en ce qui concerne cet incident, nous

14 avons ces photographies. Ceci va apparaître dans un moment à l'écran, y

15 compris une carte de la zone, mais ceci pouvait être identifié de façon

16 appropriée.

17 Vous avez posé une question en ce qui concerne les tirs par rapport aux

18 hôpitaux. Peut-être devrais-je traiter de cette question très rapidement.

19 Le libellé de la question par le mot "pouvait" "may," contient, de façon

20 appropriée, une nuance, une qualification pour l'hôpital qui ne perd pas

21 nécessairement sa protection simplement parce que des soldats ont tiré à

22 partir de l'hôpital. L'effet du protocole additionnel, il est bien établi

23 que les hôpitaux sont protégés, et l'effet du protocole additionnel I, aux

24 articles 8 et 12, c'est qu'ils sont protégés à tout moment et ils ne

25 devraient pas faire l'objet d'attaque. Une telle attaque constitue une

26 grave violation du protocole additionnel I. Les protocoles additionnels

27 contiennent un avertissement très clair qui doit être donné avec un délai

28 raisonnable pour évacuer. Il faut que le délai soit suffisamment

Page 157

1 raisonnable d'après le commentaire du CICR, de façon à ce que l'on puisse

2 évacuer les blessés et les malades qui seraient présents et les mettre en

3 lieu sûr.

4 L'accord spécial du 22 mai 1992, sur l'application du droit international

5 humanitaire entre les parties au paragraphe 2.2 a précisé que ces hôpitaux

6 ne devaient pas être utilisés pour commettre de tels actes militaires,

7 qu'ils perdraient leur protection seulement "après un avertissement donné

8 dûment et raisonnablement de cesser les activités militaires."

9 Quant au moment où l'attaque doit cesser, compte tenu du fait qu'il ne

10 pouvait procéder, en premier lieu, conformément à ces principes de

11 distinction et de proportionnalité, ces mêmes principes doivent assurément

12 guider le moment auquel ceci doit cesser. En d'autres termes, un hôpital

13 qui perd sa protection par rapport à une attaque cesse d'être un objectif

14 militaire légitime et reprend sa protection au moment où l'attaque ne

15 correspond plus à ces deux principes.

16 Pour appliquer cette situation établie dans les éléments de preuve, la RSK

17 aurait dû cesser son tir de contrebatterie lorsqu'on ne pouvaient plus

18 s'attendre à ce que les mortiers et les servants soient présents, ou

19 lorsque des victimes civiles et des dommages à l'hôpital étaient excessifs

20 par rapport aux attentes pour ce qui était de neutraliser les unités de

21 mortier.

22 Excusez-moi, Monsieur le Président.

23 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Ierace, je voudrais appeler

25 votre attention sur l'horloge, s'il vous plaît.

26 M. IERACE : [interprétation] Excusez-moi, je vais m'arrêter à ce stade.

27 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Y a-t-il des

28 questions des Juges ?

Page 158

1 Le Juge Meron.

2 M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'ai remarqué qu'on n'avait pas

3 véritablement discuté de façon détaillée l'affaire du marché de Markale.

4 M. IERACE : [interprétation] Oui, effectivement, Monsieur le Juge, j'avais

5 l'intention de le faire.

6 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Pourrais-je vous poser une question qui

7 pourrait vous aider à vous concentrer là-dessus ?

8 M. IERACE : [interprétation] Oui.

9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'ai deux questions à vous poser à ce

10 sujet.

11 Vous vous rappellerez que le rapport de la FORPRONU est cité dans le

12 jugement. Ce rapport dit, je le cite : "Il n'était pas possible d'estimer,

13 avec un degré de précision acceptable, l'angle de descente de l'obus qui a

14 frappé le marché de Markale et la FORPRONU, par conséquent, n'a pu conclure

15 que la distance possible d'origine du feu était entre 300 mètres et 5 551

16 mètres."

17 Dans ces circonstances, sur quelle base est-ce qu'une Chambre de première

18 instance raisonnable pouvait-elle conclure que l'angle de descente du

19 projectile n'était pas supérieur à 65 degrés et que, par conséquent, il

20 avait été tiré derrière les lignes serbes ? C'est ma première question, et

21 j'ai encore une question à vous poser.

22 M. IERACE : [interprétation] Monsieur le Juge, il y a peut-être deux

23 éléments, deux groupes de preuve qui ont beaucoup aidé la Chambre de

24 première instance à parvenir à cette conclusion au-delà d'un doute

25 raisonnable. Le premier était ce qu'on pourrait appelé la déposition

26 supplémentaire d'un expert qui était à la disposition de la Chambre de

27 première instance et qui n'était pas à la disposition des experts de l'ONU

28 à ce moment-là en 1994. Je veux me référer plus particulièrement aux

Page 159

1 éléments de preuve donnés par M. Zecevic, expert de l'Accusation, et aux

2 investigations auxquelles il a procédé.

3 Il y a également d'autres éléments, des documents, en plus de lui, qui ont

4 été présentés comme éléments de preuve. Ceci a complété les documents de

5 l'ONU.

6 Deuxièmement, un autre groupe de preuves fondamentales était ce que l'on

7 pourrait appeler les témoins oculaires, peut-être même les témoins

8 auditifs. Il y a eu trois civils qui se trouvaient en place à cet endroit

9 au moment pertinent, ou à proximité de la ligne de confrontation dans la

10 partie en question de Sarajevo. Me Piletta-Zanin a parlé de l'un d'entre

11 eux, AK-1, ce matin. Ce témoin n'est pas la seule source de ces éléments de

12 preuve.

13 Je voudrais plus particulièrement évoquer ce qui a été dit par le témoin P,

14 qui se trouvait à quelques 200 mètres au moment approprié et, également, le

15 fait que le Témoin P ait déposé en disant qu'il avait entendu une explosion

16 qui pouvait correspondre à un tir d'arme lourde venant d'au-delà de cette

17 portée, et étant donné le fait que la RSK occupait la crête, au-delà de la

18 crête signifiait clairement en territoire occupé par la RSK. Peu de temps

19 après cela, le témoin a fait des observations qui correspondaient au fait

20 que l'obus avait explosé à Markale. C'était l'un des trois témoins pour

21 venir compléter le rapport de l'ONU sur ce point.

22 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

23 Ma deuxième question est la suivante : supposons effectivement que l'obus

24 qui a touché le marché de Markale ait été tiré par des forces serbes.

25 Compte tenu de ce qu'a dit le témoin Hamill, qui a été cité par

26 l'Accusation ce matin, l'objectif militaire légitime le plus proche aurait

27 été à 300 mètres. Sur quelle base est-ce qu'une Chambre de première

28 instance raisonnable aurait pu conclure que cet obus avait été délibérément

Page 160

1 tiré vers le marché ?

2 M. IERACE : [interprétation] D'après les preuves nombreuses, il ressort, en

3 raison du caractère inhabituel de ce conflit armé dont j'ai parlé plus tôt,

4 à savoir sa nature statique, des batteries de mortiers ont été en mesure,

5 dans ce contexte de conflit particulier, de parvenir à un degré de

6 précision très important avec leurs tirs. Même le Témoin AD, qui était

7 capitaine d'une batterie de mortiers, a déclaré qu'il était capable de

8 frapper une cible mouvante. M. Ashton, qui s'occupait de l'acheminement des

9 médicaments, a été témoin d'une telle attaque contre un véhicule alors que

10 le véhicule était en circulation le long d'un chemin lorsqu'il a été

11 frappé.

12 Comme l'ont expliqué les experts en mortier, un mortier dispose d'un

13 plateau en dessous qui, s'il est fermement installé, permet une grande

14 précision. Ces mortiers dont disposait la RSK ne devaient pas être

15 déplacés. Car il y avait un déséquilibre en matière d'armes lourdes entre

16 les deux parties, la RSK ne craignait pas que les sites de mortiers soient

17 attaqués par l'ABiH, donc ils sont restés en position pendant deux ans et

18 ont pu être très précis. L'Accusation n'affirme pas que le marché ait été

19 spécifiquement pris pour cible, mais qu'il aurait pu s'agir d'un cas de tir

20 indiscriminé, car il n'y a eu qu'un obus qui a atterri dans cette zone.

21 M. LE JUGE MERON : [interprétation] L'Accusation ne fait pas valoir qu'il

22 s'agissait d'une attaque délibérée ?

23 M. IERACE : [interprétation] L'Accusation pense que la précision des

24 mortiers était telle que le marché aurait pu être délibérément pris pour

25 cible. Mais en tout état de cause, il s'agissait d'un tir indiscriminé.

26 Vous avez mentionné le fait qu'un témoignage a fait état d'une cible

27 militaire se trouvant à quelque 300 mètres de là. L'Accusation tient à

28 faire valoir que cela ne peut pas justifier le tir d'un obus de 120

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1 millimètres, qui est un obus de grand calibre, dans une zone bondée de

2 Sarajevo vers midi, un vendredi. Il est de notoriété publique que ce jour-

3 là était jour de marché, et cet obus a provoqué de nombreuses victimes, par

4 centaines, ce qui témoigne du nombre important de civils qui se trouvaient

5 là à ce moment-là.

6 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Il me semble me souvenir d'un

7 témoignage où il était indiqué qu'une batterie de mortiers expérimentée

8 pouvait avoir une portée de 200 ou 300 mètres dès le premier obus. Il n'y a

9 eu qu'un seul obus tiré.

10 M. IERACE : [interprétation] Je vous renvoie aux témoignages nombreux et

11 aux éléments de preuve nombreux à ce sujet dans le mémoire de l'Accusation

12 et dans les exposés faits par l'Accusation. M. LE JUGE MERON :

13 [interprétation] Merci beaucoup.

14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci.

15 M. IERACE : [interprétation] Merci.

16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous allons maintenant donner la

17 parole à la Défense pour sa réplique. La Défense a 45 minutes pour

18 répliquer.

19 M. PILETTA-ZANIN : Merci. Monsieur le Président, n'est-ce pas que nous

20 avons toujours nos 45 minutes ? Merci. Parfait.

21 Je vais répondre un peu plus lentement pour qu'il n'y ait pas de problème

22 de traduction.

23 Je vais commencer par ce que vient d'indiquer Me Ierace dans le cadre

24 des réponses qu'il vous a apportées, puis j'irai rechercher plus en détail

25 les autres éléments qui nous sont nécessaires.

26 Premier point, on vous dit que cette arme, d'ailleurs on le découvre

27 maintenant, ce tir sur Markale aurait pu être finalement non pas un tir

28 voulu, intentionnel, mais un tir "reckless", et cetera. Puis, on vous dit

Page 162

1 que les Serbes avaient une grande précision dans leurs tirs. Ce qu'on omet

2 de dire, on omet de dire et ceci a été prouvé, que chaque tir de mortier

3 doit être considéré par lui-même. Pourquoi ? Parce que les conditions

4 atmosphériques du jour du tir ne sont jamais celles du lendemain. Bien

5 évidemment, mais jamais celles du jour d'avant ou deux jours en avant, et

6 que tout cela change et que sur une portée théorique - je dis bien

7 théorique - de 5 000 ou de 6 000 mètres, simplement quelques degrés de

8 température ou quelques mètres additionnels de vent en plus, cela vous

9 porte un obus non pas à 200 mètres de la cible, mais peut-être à 500 ou 600

10 mètres. Les experts l'ont dit, le mortier est une arme de zone, elle est

11 définie comme cela. Quant à dire qu'on peut atteindre avec un mortier des

12 véhicules en mouvement, "good luck". Cela, c'est le premier point.

13 Ensuite, je comprends qu'il est impossible, si je suis bien l'Accusation,

14 de tirer en ville avec des armes lourdes sur des objectifs comme des

15 casernes. J'ai compris tout à l'heure aussi, si j'ai bien compris

16 l'Accusation, que tout tir sur des civils implique terreur et il n'y a même

17 plus besoin de faire aucune sorte de distinction. C'est ce qu'on vous a

18 dit, on vous a dit théoriquement, il suffit qu'on veuille éliminer la

19 population de Sarajevo ou d'autre, et voilà qu'on ne se pose plus le

20 problème de la terreur. C'est un peu facile. Tout cela relève de la

21 théorie.

22 Il faut voir le concret. Il faut voir, à Sarajevo, pour cet homme

23 qu'on juge et pas un autre, pas pour M. Mladic ou pour d'autres, il faut

24 voir si, à Sarajevo, oui ou non, les mortiers de 120 millimètres ont fait

25 des dégâts qui ne sont pas admissibles. Je reviens à tout à l'heure sur le

26 graphique qu'on a vu. Ce graphique prouve définitivement qu'il y ait eu 120

27 millimètres, 80 millimètres, 60 millimètres ou d'autres armes, une volonté

28 exprimée par le commandement de respecter les deux principes essentiels,

Page 163

1 distinction et proportionnalité, et dans les chiffres, cela a été le cas.

2 On admet aujourd'hui, pour la première fois, Maître Ierace, je vous en

3 remercie, qu'il est possible qu'il n'y ait pas eu tant de destruction que

4 cela au centre de Sarajevo. C'est la vérité que vous admettez, Maître

5 Ierace, rien de plus. Vous admettez que les destructions sont intervenues

6 principalement sur la ligne, et voilà qui change tout le débat, mais ce,

7 seulement en appel, je le regrette.

8 J'aimerais maintenant revenir, Monsieur le Président, sur les autres

9 réponses qu'il faut apporter. Il y a un certain nombre de réponses qui sont

10 importantes, notamment par rapport à la terreur.

11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Maître Piletta, puis-je vous demander

12 de ralentir un peu --

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- pour les interprètes ?

14 M. PILETTA-ZANIN : Je suis navré, je présente toutes mes excuses à tout le

15 monde.

16 Terreur et tirs sur la population. Il y a une chose que j'aimerais bien

17 dire, préciser et repréciser, c'est que les forces serbes n'avaient pas un

18 plan, parce qu'on n'a jamais vu de plan. Les "goals of the superiors", on

19 ne les a jamais vus, on ne sait pas lesquels ils sont, et comment voulez-

20 vous exécuter quelque chose qu'on n'a même pas pu prouver en Chambre, dans la

21 Cour ? Il y avait effectivement des objectifs. Deux objectifs. Des objectifs

22 de caractère matériel militaire, c'est-à-dire tel objet, telle table, par

23 exemple, tel, et cetera, et cetera, et des objectifs d'ordre stratégique.

24 Le militaire, c'est évident; le stratégique, c'est plus délicat. Quel

25 est l'objectif stratégique à Sarajevo ? Cet objectif, il est légitime. Il

26 est de harceler les 50 000 hommes de troupes à Sarajevo pour faire en sorte

27 qu'ils restent sur le front de Sarajevo et qu'ils n'aillent pas,

28 évidemment, être mis au service d'un autre commandant sur d'autres fronts.

Page 164

1 C'est un objectif légitime.

2 Comment voulez-vous harceler des troupes, des hommes, des militaires, par

3 ailleurs situés en ville, autrement qu'en ouvrant le feu contre eux ? Si

4 ces gens sont situés, non pas tous sur la ligne de front, car cela aurait

5 été beaucoup plus simple, mais un peu partout, que doit faire le commandant

6 ou la stratégie militaire, ou l'organisation militaire ? Elle doit

7 effectivement prendre cet objectif légitime en considération et faire en

8 sorte que les actions qu'elle va entreprendre ne soient pas des actions qui

9 soient des actions qui, en général - je dis bien en général, et c'est là

10 que je veux insister - soient ou fussent des actions qui produisent trop de

11 victimes civiles, car on sait que, malheureusement, le nombre des victimes

12 civiles est une réalité, Mais ces victimes sont inévitables dans des

13 conflits urbains.

14 Posons-nous la question : est-ce que, oui ou non, cet objectif d'harceler

15 les troupes était légitime ? Réponse, oui.

16 Est-ce que dans les chiffres que nous avons, que vous connaissez, que

17 l'Accusation elle-même nous a produits, ces résultats étaient la preuve

18 d'un caractère illicite ? Réponse, non. Réponse, non, et non seulement non,

19 mais ces chiffres étaient trop peu pour qu'on puisse considérer réellement,

20 dans l'ensemble, pas sur une action ou deux, ou trois, mais dans l'ensemble

21 de l'exercice d'une campagne. Je rappelle les chiffres de mémoire : 253

22 victimes par "sniping" attestées selon l'Accusation, rapport pièce P3137,

23 pour quelque 720 ou 730 jours de combat et quelque chose comme 932 ou 939

24 cas de civils par bombardement pour la même durée.

25 Si nous ouvrons nos journaux aujourd'hui ou hier et si nous regardons

26 les sites qu'on connaît, notamment les sites d'Amnesty International qui ne

27 sont pas des partisans de telle ou telle cause, je prends à titre

28 d'exemple, mais il faut bien le voir, je prends le récent conflit libano-

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1 israélien ou israélien-libano sur un mois à peu près, du 12 juillet au 14

2 août, nous avons déjà plus de mille victimes civiles. Je prends un autre

3 site qui est très connu parmi les spécialistes, qui s'appelle le "Iraqi

4 body count", pour la période de trois mois, les trois premiers mois des

5 opérations militaires conjointes de la coalition en Irak, nous avons entre

6 7 000 et 10 000 victimes civiles dans une guerre dite propre.

7 C'est cela qui va nous permettre de voir où est la terreur et s'il y

8 a terreur à Sarajevo.

9 Parce que pour arriver à déterminer la présence d'une terreur, il ne

10 suffit pas de dire toute attaque contre un civil est de la terreur. Ce

11 qu'il faut faire, c'est de déterminer clairement et aussi précisément que

12 possible s'il y a eu des actions à caractère manifestement illégitime,

13 quelles ont été ces actions, dans la mesure où c'est possible, et quel

14 aurait été leur résultat. Ce que je redis par rapport à la terreur, c'est

15 que Sarajevo est l'exemple même du mauvais exemple.

16 Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que lorsqu'on regarde

17 Sarajevo, et je crois que vous venez dans ma direction, maintenant, Maître

18 Ierace, il y avait tellement de cibles légitimes en ville, que toute

19 attaque, je dis même légitime va produire la terreur. Toute attaque

20 légitime à Sarajevo va produire la terreur. Comment voulez-vous que, dans

21 cette situation, on cherche encore à analyser quelle serait la terreur

22 illégitime ?

23 Autrefois, j'ai vu tout à l'heure un tableau que nous a donné Me Ierace ou

24 ses services, où l'on voit la comparaison des éléments retenus à la fois

25 par l'Accusation, et à la fois par, en définitive, la Chambre de première

26 instance. J'aimerais dire ceci : ce n'est pas acceptable. Ce n'est pas

27 acceptable parce qu'en définitive, quand vous regardez ce tableau, il y

28 manque l'essentiel. On pourrait nous le repasser, mais de mémoire, je l'ai.

Page 166

1 L'essentiel, dans la cause de l'Accusation, qui a été perdu sous cet

2 angle-là, c'est une évidence, c'était la preuve que la terreur était

3 effectivement infligée, la terreur illicite; pas la terreur licite, sinon

4 on ne serait pas là. Or, cette affirmation-là, "the actual infliction of

5 terror", Monsieur Ierace, a totalement disparu du tableau des comparaisons.

6 C'est quand même singulier qu'on ose venir nous affirmer que vous ne

7 vouliez plus, si j'ai bien compris, que vous ne vouliez plus, dans votre

8 cause, de cet "actual infliction of terror". Or, la Défense s'est basée sur

9 votre dossier confirmé par le Tribunal pour axer toute sa défense,

10 notamment, sa propre cause à elle et elle est partie du fait que lorsque

11 vous n'aviez pas prouvé - et je rappelle l'importance de l'article 6 CEDH -

12 prouvé le "actual infliction of terror", cela en était fait de ce crime

13 qu’au demeurant nous rappelons être inexistant.

14 J'aimerais maintenant peut-être reprendre une chose qui me paraît

15 importante, c'est en relation à l'article 7, c'est-à-dire le problème de la

16 responsabilité comme découlant du commandement. J'aimerais attirer

17 l'attention de la Chambre sur certaines doctrines, notamment suivies par

18 des pays tels que je les ai notés, ils ne sont pas exhaustifs, mais le

19 Royaume-Uni, la Belgique, le Canada, l'Espagne, l'Italie, la Nouvelle-

20 Zélande et les Pays-Bas. Il s'agit de savoir si l'on doit retenir, par

21 rapport au caractère disproportionné d'une attaque ou par rapport à son

22 caractère de manque de distinction, si l'on doit retenir un cas, deux cas

23 ou si l'on doit prendre l'ensemble de l'attaque.

24 A Sarajevo, qu'avons-nous ? A Sarajevo, nous avons une situation dite de

25 siège, c'est-à-dire une situation de conflit et un commandant pendant cette

26 période, de septembre 1992 à septembre 1994. Ce qu'il faut faire, ce n'est

27 pas regarder le marché de Markale pour voir s'il y a eu un tir

28 intentionnel, mais c'est de voir l'ensemble de la situation et de regarder

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1 si le commandement dans l'ensemble de la situation s'est comporté de façon

2 telle que les normes ne soient pas respectées. Pour y arriver, je le redis,

3 le volet statistique est extrêmement important parce que quelle que soit la

4 réponse qu'on apporte à la réponse de la terreur, et vous disiez qu'il est

5 inacceptable de bombarder la ville avec des mortiers, il faudra qu'on

6 apporte une réponse claire à une question simple. Comment se fait-il

7 qu'avec autant de tirs de mortier, qui sont une arme de zone, on arrive à

8 un résultat qui est, je cite l'expert de l'Accusation, qui est celui de

9 Sarajevo : "La vaste majorité des victimes ont été des hommes en âge de

10 combattre et des hommes incorporés ou dans la TO ou dans l'armée" ?

11 Comment voulez-vous faire croire qu'il peut y avoir terreur lorsque

12 les chiffres et les experts de l'Accusation viennent soutenir que, dans ce

13 contexte fermé d'une guerre urbaine, le résultat, cela a été, dans leur

14 vaste majorité, le texte, je crois, dans la pièce P3137 est "the vast

15 majority" - ce résultat-là a été celui d'une vaste majorité de soldats

16 touchés, contre, par conséquent, une vaste minorité de civils.

17 On a cité tout à l'heure le nouveau document sorti de Henckaerts et

18 Bekker, par rapport à la question du droit coutumier ou non. Il y a un

19 problème que l'on doit examiner par rapport à ce droit, c'est que l'ouvrage

20 en question date de 2005. Effectivement, le commentaire en trois volumes

21 date de 2005. Il ne nous apporte pas de réponse à la question de savoir ce

22 qu'était, outre le droit yougoslave, ce qu'était ce droit international, il

23 y a maintenant plus de 12 ans, c'est-à-dire en 1992 et 1994 pendant

24 l'époque des faits. On nous dit aujourd'hui, c'est comme cela; mais ce

25 n'est pas un document historique, vous devrez établir ce qu'il en était à

26 l'époque. Or, cette question-là a son importance, une importance tout à

27 fait particulière puisque bien évidemment, à l'époque, le général Galic

28 était à mille lieux de pouvoir entrevoir les discussions qu'on a

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1 aujourd'hui sur des sujets qui, par ailleurs, le dépassaient. Il faut

2 chercher à poser les choses dans leur contexte historique, et non pas à les

3 regarder aujourd'hui comme si elles sortaient du néant.

4 Je fais référence à la page 72, où l'on parle d'une stratégie prétendument

5 incapable de discerner. J'ai exposé le contraire tout à l'heure, ceci est à

6 nouveau une erreur.

7 J'aimerais, avant de laisser la parole à mon confrère, conclure sur

8 deux ou trois points très rapidement, parce qu'on cite des témoins, mais on

9 oublie de dire totalement ce qu'ils ont dit. On a beaucoup cité le Témoin

10 AD, je vais citer cela. On vous a dit que AD avait été instruit et qu'il

11 avait exécuté ses ordres de tirer sur des marchés, d'ailleurs hors

12 Sarajevo, et on vous a dit qu'il était instruit de tirer sur des

13 cimetières. Mais ce que l'on ne vous a pas dit et, par conséquent, qu'on

14 cherche à vous cacher en audience.

15 C'est 1 : à côté du marché, tout à côté du marché se trouvait une

16 très forte force de police avec des casernements. Ici, à nouveau, on trouve

17 ce voisinage des cibles, et que dans les cimetières dont il est question,

18 il y avait simplement des tranchées, mais les tranchées de défense qui

19 parcouraient les cimetières et les dalles du cimetière étaient utilisées

20 comme moyen de protection par l'adversaire pour avancer. Dans ces

21 conditions, c'est un peu facile de dire : voici qu'on tirait ou qu'on ne

22 tirait pas sur tel élément. Lorsqu'on donne des citations, on essaie de les

23 faire aussi complètes que possible.

24 Monsieur le Président, je dois conclure cette intervention pour ne

25 pas prendre trop de temps, mais simplement, je rappelle ceci : on ne pourra

26 rien dire par rapport à ce jugement, par rapport à cette cause si l'on ne

27 regarde pas les résultats produits par cette campagne, mais ce, non pas sur

28 un ou deux ou trois éléments, mais sur l'ensemble des éléments. Ces

Page 169

1 résultats, ce sont les chiffres - c'est la vérité - sont largement

2 favorables aux thèses soutenues et développées par la Défense.

3 Je cède la parole à Me Pilipovic. Merci.

4 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les

5 Juges. En réponse aux questions soulevées par mon confrère M. Ierace, je

6 vais d'abord parler de l'incident numéro 6.

7 Tout d'abord, la vue panoramique à 360 degrés ne peut être utilisée comme

8 élément de preuve. La Défense a contesté toutes les photographies de ce

9 genre utilisées par l'Accusation dans le cadre de la présentation de ses

10 moyens au procès.

11 Pourquoi donc ? Je souhaiterais revenir sur la question de la nécessité

12 d'un transport sur les lieux. Notamment à propos de cet incident, si la

13 Chambre de première instance s'était rendue sur les lieux, elle aurait

14 constaté qu'il existe une différence de niveau entre l'endroit où se

15 trouvaient et la victime et le beffroi de l'église orthodoxe, soi-disant à

16 partir d'où le tir aurait été tiré.

17 Lorsque la Défense s'est rendue sur les lieux, et nos experts y sont allés

18 au moins cinq fois, nous avons visité tous les lieux mentionnés dans l'acte

19 d'accusation ainsi que la ligne de démarcation entre les parties

20 belligérantes qui contrôlaient diverses parties de la ville. Sur la base de

21 notre expérience sur place, nous avons pu voir que depuis les toits de

22 l'église orthodoxe, il était impossible de voir l'endroit où se trouvait la

23 victime. Il n'était pas non plus possible de conclure que quiconque se

24 serait trouvé à cet endroit, aurait pu disposer d'une vue dégagée de

25 l'endroit où se trouvait la victime.

26 Il s'agit d'un autre point très important. D'après la Défense, ce

27 fait aurait dû être analysé et pris en considération par la Chambre de

28 première instance. Il fallait également établir s'il existait une ligne de

Page 170

1 vue dégagée entre la victime et l'auteur du tir. Il fallait établir, par

2 ailleurs, s'il y avait un obstacle. Il fallait voir quelle était la

3 distance exacte entre l'origine du tir et l'endroit où se trouvait la

4 victime. Les Juges devaient également voir si la distance permettait au

5 tireur de voir où se trouvait la victime et quelle était la qualité de la

6 victime.

7 D'après la Défense, il s'agissait de critères objectifs qui devaient

8 être établis à propos de chacun des incidents incriminés afin de déterminer

9 si la personne qui a tiré. Dans certains cas, le Procureur a identifié les

10 auteurs du tir, donc il fallait savoir si la personne qui a tiré avait

11 l'intention de tuer ou de blesser la victime.

12 Un autre critère qui n'a pas été établi par la Chambre, c'est le

13 critère subjectif, l'intention, la volonté de la personne qui a pressé la

14 gâchette. Il fallait déterminer si cette personne avait l'intention de

15 blesser ou de tuer la victime ou s'il y avait des raisons inexplicables

16 derrière cela. A ce sujet, la Défense rappelle un point qui a été omis par

17 mon confrère, à savoir l'impact positif que cela aurait eu sur l'affaire si

18 la Chambre s'était rendue sur les lieux.

19 Mon confrère a parlé des hauteurs de Hrasno et a dit que depuis cet

20 endroit, on pouvait voir la partie urbaine de la ville et que c'est depuis

21 ces positions que les membres de la RSK ont tiré sur la population de

22 Sarajevo. Voilà la déduction faite par le bureau du Procureur.

23 La Défense, elle, s'est rendue sur les lieux. Comme je vous l'ai dit, nous

24 y sommes allés au moins cinq fois. Nous avons inspecté les lieux. Si les

25 Juges avaient inspecté les lieux aussi, ils auraient vu que la rue

26 Ozrenska, mentionnée par mon confrère comme étant la rue à partir de

27 laquelle les membres de la RSK ouvraient le feu, cette rue va à l'ouest

28 vers la rue de Mojmilo, qui était contrôlée par l'ABiH. A ce jour, il

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1 existe encore des tranchées qui ont été creusées par l'ABiH. Ceci accrédite

2 notre théorie selon laquelle ce secteur était tenu par l'ABiH.

3 Si la Chambre s'était rendue sur les lieux, elle aurait constaté que

4 depuis cet endroit, il est impossible de voir des lieux à propos desquels

5 l'Accusation affirme que c'est à partir de là que des civils ont été pris

6 pour cible. La Chambre aurait pu constater que les incidents 10, 15, 20 et

7 25 devaient être exclus pour ce qui est de la responsabilité de la RSK.

8 Un autre point que je souhaiterais souligner est le suivant : mon

9 confrère, dans son exposé aujourd'hui a essayé de faire croire aux Juges de

10 la Chambre que des incidents non listés, mentionnés par mon confrère, ont

11 eu lieu et que la Chambre les a appréciés à la lumière des incidents

12 listés.

13 Je dois dire au sujet des incidents non listés, dont l'Accusation

14 affirme qu'ils s'inscrivaient dans la campagne, ces incidents n'ont pas été

15 débattus au procès. Il n'a pas non plus été établi au procès, personne n'a

16 essayé d'établir la manière dont ces incidents auraient eu lieu.

17 L'Accusation n'a apporté aucune preuve à ce sujet. C'est la raison pour

18 laquelle la Défense fait valoir que même si de tels incidents avaient

19 effectivement eu lieu, ils n'auraient pu être que la conséquence

20 d'activités légitimes de la part des forces de la RSK et qu'en aucun cas,

21 ces incidents ne devraient servir à prouver l'existence d'une campagne

22 contre les civils.

23 Il en va de même pour l'incident numéro 6. Nous maintenons notre position

24 précédente selon laquelle si les Juges s'étaient rendus sur les lieux, ils

25 auraient pu établir à propos des autres incidents débattus au procès, que

26 depuis les positions, selon l'Accusation, la RSK a ouvert le feu, il était

27 tout simplement impossible de le faire. Les membres de la RSK n'étaient pas

28 responsables des incidents en question.

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1 S'agissant de ce que mon confrère a dit au sujet de l'hôpital, dans

2 sa réponse, je souhaiterais lire la chose suivante : je vous renvoie au

3 témoignage de D-51, témoin à décharge.

4 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, mon collègue m'indique

5 qu'il est peut-être temps de suspendre l'audience.

6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Non. Pourquoi donc ?

7 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Je vous remercie.

8 S'agissant de la position de l'Accusation et des arguments avancés par mon

9 confrère au sujet de l'hôpital de Kosevo, je souhaiterais dire la chose

10 suivante : dans notre exposé, ce matin, nous avons dit que le témoin de

11 l'Accusation affirmait avoir reçu au moins 25 protestations selon

12 lesquelles l'hôpital a été utilisé pour ouvrir le feu sur les forces de la

13 RSK.

14 Qu'est-ce que la Défense essaie de dire à ce propos ? Bien, c'est que l'on

15 a averti sans cesse les membres de l'ABiH de ne pas ouvrir le feu à partir

16 de l'hôpital. Le Témoin D-51, qui a travaillé sans cesse à l'hôpital à

17 l'époque, a également déclaré que dans l'enceinte de l'hôpital se

18 trouvaient trois chars et trois véhicules de combat. Ce témoin a déclaré

19 que, pendant toute la période où l'ABiH était active depuis l'enceinte de

20 l'hôpital, une partie de l'hôpital a dû être évacuée, car on s'attendait à

21 une riposte de la part de la RSK. Car comme le témoin l'a dit, après cinq

22 ou sept salves de tirs, il y avait toujours une riposte dans le même coin,

23 ce qui signifie que les forces de l'ABiH étaient toujours informées au

24 préalable qu'il y aurait une riposte contre ces positions.

25 Par conséquent, la Défense est d'avis que l'on ne peut pas répondre

26 directement à la question posée par les Juges de la Chambre.

27 Je profite de l'occasion pour répondre à mon confrère et réitérer

28 l'argument selon lequel il y a toujours eu avertissement en temps voulu,

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1 selon lequel il ne fallait pas ouvrir le feu depuis l'enceinte de

2 l'hôpital. Voilà ce qu'il en est de ma réponse concernant la question des

3 tirs depuis l'hôpital de Kosevo.

4 J'ai parlé également de D28, il s'agissait d'une pièce de la Défense, une

5 lettre que nous avons fait verser au dossier au procès.

6 Il y a un autre point que nous souhaiterions soulever dans notre

7 réplique. Dans le rapport final que nous avons mentionné ce matin, certains

8 faits ont été mentionnés et nous souhaiterions les réitérer devant la

9 Chambre d'appel. En 1993, la Commission d'experts des Nations Unies a

10 établi que les forces de l'ABiH concentraient leurs forces en ville. La

11 politique menée était très agressive. Les forces de la RSK ont toujours

12 découvert les positions de tirs. Je vous renvoie au paragraphe 37 de ce

13 rapport et la RSK a toujours ouvert le feu seulement sur des objectifs

14 légitimes et militaires.

15 Il y a un autre point dont je souhaiterais parler. C'est qu'il est

16 nécessaire d'évaluer les choses au cas par cas, pour chaque incident, de

17 façon à pouvoir exclure la possibilité d'erreurs ou de tirs, ou de

18 bombardements aveugles. Nous souscrivons pleinement à la position exprimée

19 par le Juge Nieto-Navia dans son opinion individuelle.

20 Nous souhaitons également redire que l'approche générale adoptée par

21 le bureau du Procureur, lorsqu'il dit que les civils ont régulièrement été

22 pris pour cible lorsqu'ils allaient chercher de l'eau, lorsqu'ils

23 éteignaient des incendies, restaient assis chez eux ou assistaient à des

24 enterrements, là encore, je tiens à souligner qu'il ne s'agit que de

25 généralisations. Au procès, le bureau du Procureur n'a produit aucune

26 preuve accréditant sa théorie selon laquelle des membres de la RSK auraient

27 tiré sur les civils qui allaient chercher de l'eau, éteignaient des

28 incendies ou allaient chercher des lettres comme il est dit à l'incident

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1 numéro 4.

2 Je dois également dire que l'Accusation renvoie aux témoignages des

3 membres de la FORPRONU. A cet égard, je rappelle que leurs témoignages

4 n'étaient que le reflet de leurs opinions et de leurs convictions

5 personnelles. Ces témoins qui ont été mentionnés par l'Accusation, nous en

6 parlons dans notre mémoire d'appel, ces témoins n'ont jamais dit qu'ils

7 étaient témoins oculaires des événements reprochés, qu'ils étaient présents

8 sur les lieux, qu'ils avaient vu les victimes, ils n'ont rien dit de tel.

9 C'est ce qu'a dit mon confrère au sujet du journaliste qui est venu ici

10 témoigner, qui a dit qu'il avait vu une femme, une victime, il s'agit là

11 encore de généralisations. De telles affirmations de caractère général ne

12 peuvent pas servir à étayer des allégations de comportement illicite.

13 Il me faut également dire dans tous les incidents listés, analysés

14 devant cette Chambre, à ce sujet, nous rappelons que ces incidents ne

15 reflètent pas la situation en général qui prévalait à Sarajevo à l'époque.

16 Lorsqu'il s'agit de tous les tirs isolés, répertoriés, il nous faut dire

17 que dans aucun cas, les membres de la RSK, et encore moins le général

18 Galic, n'ont été informés qu'un tel incident était survenu, qui y aurait

19 participé et qui aurait pu être les victimes. Je pense que nul ne conteste

20 et cela a été établi au-delà de tout doute raisonnable par la Chambre de

21 première instance, que les lignes de démarcation entre les parties

22 belligérantes, à savoir le 1er Corps de l'ABiH qui, à partir de sa création

23 jusqu'à la fin de la guerre, disposait d'au moins 30 brigades, chaque

24 brigade comptant entre 4 000 et 5 000 soldats, personne n'a jamais rapporté

25 la preuve que les membres de la RSK avaient été informés des incidents. Il

26 n'a jamais été établi non plus, que ces incidents avaient été provoqués par

27 des personnes qui se trouvaient sur les positions contrôlées par la RSK.

28 Un exemple précis, incident numéro 2. L'Accusation a présenté des

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1 éléments de preuve en citant à comparaître les parents d'une victime qui

2 serait décédée dans l'un des incidents. Hormis les preuves, les témoignages

3 fournis par ces deux témoins, les parents, dont le témoignage n'était pas

4 cohérent, aucune preuve n'a été produite. On n'a même pas montré de carte

5 pour cet incident. M. Karavelic, commandant du 1er Corps, a annoté chaque

6 carte concernant les différents incidents pour indiquer où se trouvaient

7 les lignes de démarcation. Même lui n'a pas été en mesure d'indiquer les

8 positions de la RSK sur ces cartes, y compris la carte concernant

9 l'incident numéro 2. La Défense parle de cet incident dans son mémoire

10 d'appel. Le général Karavelic, à propos de cet incident, a simplement parlé

11 de "no man's land." Si bien qu'il était impossible de déterminer les

12 positions exactes des troupes de la RSK et celles des troupes de l'ABiH. On

13 n'a pas pu déterminer l'endroit d'où on tirait.

14 Pour ce qui est du cimetière et de l'allégation selon laquelle on a

15 ouvert le tir depuis le cimetière, la Défense et l'Accusation ont produit

16 un certain nombre de preuves concernant des incidents spécifiques. Pour

17 être précis, depuis les positions situées au cimetière juif, je vous

18 renvoie à l'incident numéro 24, il est indubitable que les positions de la

19 RSK et celles de l'ABiH se trouvaient dans le secteur du cimetière juif. A

20 propos de l'incident, numéro 24, il n'est pas possible d'exclure la

21 possibilité que dans un secteur où les combats faisaient rage, dans cette

22 partie de la ville, en fait à travers toute la ville, on ne peut pas

23 exclure la possibilité qu'il y ait eu une balle perdue lors d'un échange

24 de tirs.

25 En ce qui concerne l'incident numéro 5, la Défense ainsi que M. le

26 Juge Nieto-Navia affirment qu'il s'agissait d'une blessure accidentelle, en

27 fait, la personne blessée a succombé à ses blessures, elle est morte. Mais

28 la majorité des Juges de la Chambre n'exclut pas la possibilité qu'il

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1 s'agissait d'une blessure par ricochet. La majorité a pris cela en

2 considération mais pas suffisamment.

3 Compte tenu du critère établi par la Chambre et de l'opinion du Juge

4 Nieto-Navia, il n'existe aucune preuve au sujet de cet incident ou d'autres

5 incidents analysés et étudiés par la Défense. Les critères requis en

6 matière de tirs isolés n'ont été remplis. La Défense, par conséquent,

7 soutient que ces incidents ne peuvent pas être considérés comme

8 s'inscrivant dans le cadre d'une campagne, surtout pas en ce qui concerne

9 les incidents non listés que mon confrère essaie d'inclure dans la

10 catégorie des incidents considérés par la Chambre.

11 La Défense va également dire quelques mots au sujet des opinions des

12 experts des Nations Unies. La Chambre de première instance n'a jamais

13 déterminé quelle était la cible militaire pour chaque action militaire.

14 Nous allons dire quelque chose également au sujet des incidents non

15 répertoriés dans les annexes. Nous souhaitons souligner ce point car la

16 partie de la ville qui était contrôlée par les forces de l'ABiH, dans cette

17 partie de la ville, on ne pouvait pas exclure la possibilité de dommages

18 collatéraux pour ce qui est des civils. La Chambre de première instance n'a

19 pas tenu compte de cet élément.

20 Selon la Défense, tous les points soulevés par l'Accusation font

21 l'objet d'une réponse de la part de la Défense.

22 Un instant s'il vous plaît, je dois consulter mon collègue.

23 [Le conseil de la Défense se concerte]

24 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Ceci met

25 un terme à notre réplique. Je pense que nous avons couvert tout ce que nous

26 voulions couvrir.

27 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Maître Pilipovic.

28 Est-ce qu'il y a des questions de la part des Juges ? Bien, je vois que ce

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1 n'est pas le cas.

2 Par conséquent nous en avons terminé avec l'examen de l'appel de la

3 Défense.

4 Nous allons suspendre l'audience et reprendre nos débats après la pause

5 pour examiner l'appel interjeté par l'Accusation.

6 --- L'audience est suspendue à 15 heures 58.

7 --- L'audience est reprise à 16 heures 32.

8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Comme prévu, nous allons maintenant

9 entendre l'appel interjeté par le bureau du Procureur. Je donne la parole à

10 l'Accusation, qui dispose de 20 minutes.

11 Mme BRADY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Merci, Messieurs

12 les Juges.

13 Récemment, la Chambre d'appel a rendu une décision au tribunal du Rwanda,

14 l'arrêt Gacumbitsi, par lequel elle imposait une peine de réclusion à

15 perpétuité en lieu et place de la peine de 30 ans rendue ou décidée par la

16 Chambre de première instance. Je la cite : "La Chambre d'appel a pour

17 prérogative de remplacer une peine imposée par la Chambre de première

18 instance par une autre, lorsque la peine en première instance est

19 incompatible avec les principes régissant l'exercice de la peine au

20 Tribunal."

21 En l'espèce, il importe que vous appliquiez cette prérogative.

22 Manifestement, une peine de 20 ans est inappropriée pour un commandant

23 militaire responsable de 18 000 hommes et ayant à sa disposition un arsenal

24 important, commandant qui a utilisé ses forces pendant deux ans pour

25 ordonner une campagne d'attaques indiscriminées et directes intentionnelles

26 contre des civils dans une ville de 300 000 habitants, campagne conçue pour

27 semer la terreur dans cette population et qui a eu pour résultat la mort de

28 centaines de civils, des blessures graves infligées à plusieurs milliers

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1 d'habitants et le fait de terroriser cette population civile.

2 La majorité a commis une erreur manifeste au moment où elle a pris

3 cette décision, et nous demandons la réclusion à perpétuité pour bien tenir

4 compte de la culpabilité de M. le général Galic. Nos arguments sont

5 présentés dans leur totalité dans notre mémoire en appel, mais aujourd'hui,

6 je vais mettre en exergue les trois raisons les plus importantes qui vont

7 vous montrer que la majorité a commis une erreur en imposant une peine de

8 20 ans.

9 Tout d'abord, cette peine de 20 ans ne rend pas pleinement compte de la

10 gravité des crimes. Deuxièmement, elle ne rend pas bien compte du rôle qu'a

11 joué le général Galic en ordonnant ces crimes. Troisièmement, elle ne tient

12 pas bien compte du poste élevé dont il a abusé pour exécuter ces crimes. Je

13 parle tout d'abord de la gravité du comportement criminel.

14 Les crimes du général Galic comptent parmi les pires crimes dont va

15 connaître ce Tribunal. Vingt ans, ce n'est pas suffisant pour rendre compte

16 de la gravité manifeste de ces crimes. Dans l'affaire Krstic, la Chambre

17 d'appel a imposé une peine de 35 ans au général Krstic pour le rôle qu'il

18 avait joué en aidant et en encourageant à commettre le massacre de

19 plusieurs milliers d'hommes et de garçons à Srebrenica et pour ce qui est

20 du transfert forcé de milliers de personnes de cette région en l'espace

21 d'environ une semaine. Dans l'affaire Stakic, la Chambre d'appel a imposé

22 une peine de 40 ans au maire d'une municipalité, celle de Prijedor, pour le

23 rôle qu'il avait joué dans le fait de participer à une entreprise

24 criminelle commune pour mener une campagne de persécutions, d'assassinats,

25 d'emprisonnement et de transfert forcé de civils pendant quelque sept mois.

26 Intellectuellement, il est généralement facile de comprendre la

27 gravité de crimes d'une telle ampleur lorsqu'ils se produisent en

28 relativement peu de temps. Il y a quelque chose qui ressemble et

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1 s'apparente au caractère instantané de ces crimes, qui ne les rend que plus

2 choquants. Mais lorsqu'une campagne intentionnelle est menée sur une

3 période de quelques années, de deux ans, et qui fait que des centaines de

4 milliers de personnes vivent dans la peur de mourir chaque fois qu'ils

5 s'aventurent dehors pour vaquer aux activités les plus élémentaires de la

6 vie quotidienne et qui provoquent la mort ou des blessures graves à des

7 milliers de personnes supplémentaires, comment peut-on traiter ceci avec

8 indulgence ? Il ne faut pas d'indulgence, ici. Or, la majorité en a fait

9 preuve et elle s'est trompée.

10 Tout d'abord, le crime de la terreur compte parmi certains des crimes de

11 guerre les plus graves relevant de votre compétence. Il y a la gravité qui

12 est associée aux attaques illicites dirigées contre un civil qui provoquent

13 la mort ou des blessures graves, mais outre cela, il y a un élément

14 supplémentaire, à savoir que ces actes de violence sont exécutés dans un

15 but particulièrement odieux, qui est de semer la terreur parmi la

16 population civile.

17 Ajoutons à cela, ici, en l'espèce, que la terreur n'était pas simplement un

18 but poursuivi, mais qu'elle a été réalisée, comme le prouvent les

19 conclusions de la Chambre de première instance aux paragraphes 592 et 764.

20 En fait, la réussite fut telle qu'il est vraiment difficile de trouver les

21 mots justes pour montrer à quel point il y a eu un phénomène de

22 victimisation. Dire que la population civile de Sarajevo, 300 000

23 habitants, a été terrorisée pendant deux ans semble à peine suffisant.

24 En effet, qu'est-ce que ceci signifiait dans la vie pratique de ces

25 habitants ? Pour beaucoup d'entre eux, cela veut dire qu'ils habitaient

26 dans des caves pendant la plus grande partie de la guerre. Pour ceux qui

27 ont eu le malheur de devoir sortir dans la rue, au fond c'était tout le

28 monde qui devait sortir à un moment donné, quel qu'il soit, puisqu'il

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1 fallait vaquer aux besoins les plus élémentaires de la vie quotidienne. Il

2 fallait aller chercher de l'eau pour eux, pour leur famille, du bois pour

3 se chauffer, s'occuper des jardins pour cultiver quelques légumes, pour

4 manger, aller à l'hôpital pour se faire soigner ou assister à un mariage ou

5 aux obsèques de parents ou d'amis. Cela veut dire qu'ils s'exposaient

6 ainsi, se faisant avertir de tireurs embusqués, intentionnels et

7 quotidiens, et qu'il y avait de façon incessante des tirs de mortiers

8 indiscriminés qui étaient dirigés sur eux avec pour conséquence un état de

9 peur permanent.

10 Nous avons entendu auparavant une description particulièrement convaincante

11 fournie par le témoin Henneberry qui a remarqué qu'il y avait souvent des

12 tirs vers le repas du soir sans raison ou, et là je le cite, "pour obliger

13 les gens à courir d'un bâtiment à l'autre." Pour lui, c'était là appliquer

14 les principes de la guerre psychologique sur les civils, et cela a

15 fonctionné, cela a marché parce que, et là je reprends ses termes à lui, et

16 beaucoup de témoins sont venus le dire à la Chambre de première instance,

17 les gens étaient effectivement terrorisés, à cran. Pour les milliers de

18 gens qui ont connu un sort particulièrement malheureux, cela voulait dire

19 qu'ils se sont retrouvés grièvement blessés ou qu'ils ont trouvé la mort.

20 Des gens qui allaient à des réunions sportives, au marché, même des

21 enfants qui jouaient en groupe ont souvent été la cible de mortiers. Les

22 gens qui allaient en ville, en transport public, en transport commun, qui

23 essayaient de franchir un carrefour à bicyclette ou à pied ont été pris

24 pour cible par des tireurs embusqués. Comme M. Ierace vous l'a expliqué

25 dans les arguments qu'il vous a présentés, au fil du temps, les civils ont

26 effectivement tenté de s'ajuster à ces conditions déplorables, et ils y

27 sont quelque part parvenus. Ils ont appris des stratagèmes. Par exemple,

28 ils ont installé des conteneurs et d'autres obstacles pour essayer de se

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1 protéger du tir des tireurs embusqués. Les tireurs ont quand même réussi à

2 contourner ces obstacles en ciblant les victimes lorsqu'elles devaient

3 quitter l'endroit où elles se cachaient ou lorsqu'on les voyait entre deux

4 conteneurs.

5 Laissons de côté la gravité extrême de ces crimes qui se sont produits à

6 Sarajevo pour dire que cette peine de 20 ans ne rend pas bien compte du

7 rôle qu'a joué le général Galic pour ce qui est aussi de sa participation

8 dans ces crimes et aussi l'abus de l'autorité qu'il avait du fait de ses

9 fonctions élevées.

10 Rappelez-vous, la majorité a jugé qu'il avait ordonné ces crimes. Selon

11 nous, la Chambre a commis une erreur en n'accordant pas tout le poids qu'il

12 fallait accorder à la gravité de ce mode de participation de

13 responsabilité, lorsqu'elle l'a condamné uniquement à 20 ans de prison.

14 Nous ne parlons pas du fait de donner l'un ou l'autre ordre, nous parlons

15 du fait que Galic a maintenu, a poursuivi une campagne de cette ampleur

16 quotidiennement pendant la totalité de ses deux ans de commandement. Son

17 intention, l'élément moral, la mens rea, elle s'est répétée et renouvelée

18 de façon hebdomadaire, voire quotidienne, parce qu'elle a reçu des

19 informations sur les effets qu'avait cette campagne d'affaiblissement, de

20 destruction, et en dépit des nombreux éléments de preuve fournis par les

21 témoins des Nations Unies et d'autres témoins à propos des protestations

22 qui avaient été soulevées, c'étaient des protestations régulières venant de

23 ces représentants de la communauté internationale. Au contraire, Galic a

24 simplement modulé de façon cynique le niveau d'attaque de façon à donner

25 l'impression à l'extérieur d'une campagne différente. Se faisant, il a même

26 montré davantage qu'il avait vraiment un degré de contrôle extrême pour ce

27 qui est de la mise en œuvre de cette campagne.

28 Beaucoup d'affaires dont a connu le Tribunal, notamment l'affaire Kordic,

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1 reconnaissent la gravité qu'il y a d'ordonner un ordre et de l'effet qu'a

2 ceci sur la peine infligée. L'année dernière, devant le tribunal du Rwanda,

3 dans l'affaire Semanza, la Chambre d'appel a augmenté la peine donnée pour

4 passer de 15 à 25 ans en relevant, et là, je cite l'arrêt Semanza : "Une

5 peine plus lourde et susceptible d'être imposée à un auteur principal par

6 rapport à un complice dans le génocide et par rapport à un qui ordonne

7 davantage qu'aide à l'extermination."

8 Je voudrais enfin parler du poste très élevé qu'avait le général Galic au

9 moment de commettre ces crimes. La Défense, dans l'appel qu'elle interjette

10 de l'appel, elle ne s'est pas prononcée à ce propos aujourd'hui, mais elle

11 a présenté des arguments, notamment celui-ci, c'est que la majorité a

12 commis une erreur en considérant comme circonstance aggravante le fait

13 qu'il occupait un poste élevé et a manifestement violé le devoir qu'il

14 avait, vu sa position, alors que ceci aurait dû être pris en compte.

15 La majorité n'a pas fait un décompte double de ce facteur et elle ne s'est

16 pas trompée lorsqu'elle a estimé que son poste très élevé était une

17 circonstance aggravante. Comme l'arrêt Blaskic le dit au paragraphe 91,

18 lorsque la responsabilité est évoquée tant pour le 7(1) que pour le 7(3) et

19 lorsque les conditions juridiques sont réunies en ce qui concerne les deux

20 modes de responsabilité, une Chambre ne peut imposer une condamnation qu'à

21 partir du 7(1) et estimer que le poste supérieur de l'accusé est un élément

22 aggravant au moment de fixer la peine.

23 Effectivement, la majorité s'est trompée en donnant trop peu de poids au

24 poste qu'il avait et ne l'a pas considéré suffisamment comme étant un

25 facteur aggravant. Il était commandant de Corps d'armée en tant que tel, il

26 occupait un des postes militaires, l'une des fonctions militaires les plus

27 élevées dans l'armée de la Republika Srpska. Lorsqu'il a pris le

28 commandement en septembre 1992, il a hérité d'une campagne qui existait

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1 déjà et qui visait à cibler les civils. Qu'a-t-il fait en tant que

2 commandant d'une force militaire aussi puissante, puisqu'elle comptait 18

3 000 hommes ? Est-ce qu'il a protesté, est-ce qu'il a pris des mesures pour

4 essayer de minimiser cette campagne ? Non, il ne l'a pas fait. Est-ce qu'il

5 a veillé à ce que ces hommes respectent les limites minimums en matière de

6 conduite de la guerre comme le demande et l'exige le droit international ?

7 Non, au contraire, il a donné des ordres à ses subordonnés afin de

8 poursuivre cette campagne. En bref, il a utilisé son poste très élevé pour

9 abuser des pouvoirs qui lui avaient été conférés, confiés. Ceci ne se

10 reflète pas suffisamment bien dans la peine qui lui a été imposée.

11 En conclusion, une peine de 20 ans ne tient pas suffisamment compte de la

12 nature et de l'ampleur des crimes commis sur les civils de Sarajevo, de la

13 période prolongée au cours de laquelle ces crimes ont été commis. Chaque

14 jour, Galic a renouvelé sa participation criminelle à ces crimes. Il y a

15 aussi l'état de victimisation extrême qui était le résultat de cette

16 campagne intentionnelle, ce poste très élevé qu'il occupait et la gravité

17 qui découle tant du fait qu'il a ordonné cette campagne que du fait qu'il a

18 ordonné de façon à semer la terreur. Ces éléments subjectifs qu'il a

19 présentés ne sont pas tels qu'ils peuvent être considérés comme des

20 circonstances atténuantes. Par conséquent, la seule peine imposée est celle

21 réclusion à perpétuité.

22 Je vous remercie, Monsieur le Président, merci, Messieurs les Juges.

23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci.

24 Y a-t-il des questions de la part du collège des Juges ?

25 En l'absence de questions, je vais donner la parole à la Défense.

26 Elle dispose de 20 minutes pour le faire.

27 M. PILETTA-ZANIN : Merci, Monsieur le Président, merci, Messieurs les

28 Juges. J'ai pris bonne note des observations formulées par mon confrère qui

Page 185

1 vont appeler les commentaires suivants de ma part. Tout d'abord, je dois

2 réitérer ce que j'ai annoncé tout à l'heure, c'est que tout éventuel procès

3 du droit humanitaire international ne doit et ne devrait en aucun cas

4 s'ériger sur les ruines ou les cendres du droit de la personne humaine,

5 notamment du droit de l'Accusation à se défendre dans le cadre d'un procès

6 équitable.

7 On nous a dit un certain nombre de choses. On nous a parlé de la mens rea,

8 et on nous a dit que le grade et les fonctions du commandant Galic

9 faisaient en sorte qu'il devait être puni plus encore que ce qu'à ce stade

10 il l'a été. Nous sommes d'accord, nous sommes d'accord avec l'Accusation

11 que la Chambre s'est trompée, mais elle s'est trompée non pas parce qu'elle

12 a donné une peine de 20 ans, elle s'est trompée parce qu'elle a donné une

13 peine. Ce qu'elle devait faire, c'était acquitter le général Galic. Elle

14 devait le faire en se basant notamment sur la mens rea, parce qu'au lieu de

15 dire ce qu'a fait le général Galic dans le cadre de Sarajevo, sans savoir

16 si telle ou telle attaque précisément procédait comme pour Markale d'une

17 attaque réellement délibérée avec des preuves solides, et non pas

18 contrairement au témoignage que j'ai cité tout à l'heure qui, de manière

19 définitive, rapporte la preuve de la non-culpabilité. Il fallait également

20 voir ce que Galic a fait dans le cas de cette mens rea. On sait qu'il n'y a

21 pas d'ordres écrits. On sait qu'il n'y a pas d'ordres écoutés. Il y avait

22 des transcripts et des écoutes, il n'y en a aucun. Il apparaît qu'il n'a

23 pas ou peu été informé personnellement d'incidents.

24 On a cité le témoin Henneberry. On sait, mais vous avez

25 opportunément oublié de le rappeler, que ce témoin Henneberry souffrait de

26 maux psychiques, qu'il ne savait plus si ce qu'il rêvait était ce qu'il

27 avait vu dans la réalité, et vous trouverez cela simplement en regardant le

28 dossier lors de son audition. On sait que ce témoin Henneberry a tenu un

Page 186

1 précieux carnet de ce qu'il notait à l'époque, et c'est lui, cité tellement

2 de fois, qui aurait dit que Galic agissait sur la base d'un plan.

3 Mais étonnamment, que nous dit Henneberry ? Lorsqu'on ouvre son

4 calepin, on ne trouve aucune trace de cette discussion avec le général

5 Galic, et voici ce que le témoin Henneberry dit : "Mais ne vous inquiétez

6 pas, j'ai écrit aux Nations Unies." Lorsqu'on demande à l'Accusation : mais

7 où sont ces dénonciations faites auprès des Nations Unies ? On ne trouve

8 également strictement rien.

9 A nouveau, si l'on veut exploiter les témoins, d'accord, mais prenons

10 tout, regardons qui sont les témoins, et s'il s'agit de témoins qui ont

11 tenté, peu avant leur audition, de parler et l'ont fait à d'autres témoins,

12 alors à ce moment-là, décrédibilisation.

13 J'aimerais maintenant regarder dans quel cas on n'a pas vu ce que le

14 général Galic a fait qui ne peut rentrer dans le plan prétendu, tel que

15 présenté par l'Accusation.

16 Tout d'abord, prenons le cas des tirs sur l'aéroport. On nous dit :

17 "Vous êtes coupable, car vous avez tiré sur l'aéroport." Mais qu'a fait le

18 général Galic lorsqu'il a compris, lorsqu'il a compris que les pistes de

19 l'aéroport que les Serbes eux-mêmes avaient remises pour des fins

20 humanitaires aux forces des Nations Unies étaient utilisées contrairement

21 aux droits et aux accords par les forces BH ? Est-ce qu'il a tiré sur les

22 gens ? Non. Qu'est-ce qu'il a fait? C'est prouvé, il est allé auprès des

23 responsables des Nations Unies et il leur a dit : "Mais attention, c'est

24 votre responsabilité d'empêcher l'utilisation de cet aéroport qui est remis

25 pour des fins humanitaires et de veiller qu'il n'y ait pas de

26 franchissement des pistes." Voilà quelle est son action. Est-ce que l'on

27 peut admettre qu'une action qui a pour effet d'éviter des cas qui

28 amèneraient des victimes civiles est une action qui justement est la preuve

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1 d'une terreur ou d'actes qui seraient contraires au droit humanitaire

2 international ? Non.

3 Est-ce que le général a voulu garder prisonniers dans Sarajevo tous

4 ces gens pour leur tirer dessus de manière aveugle, comme on a dit ? Non.

5 Le général Galic est celui qui, parmi les premiers, a mis au point, pour

6 Sarajevo, les fameuses routes bleues, ces routes qui devaient permettre à

7 la population de partir sans aucun problème. On sait que c'est la partie

8 adverse qui s'est refusée à mettre au point souvent ces routes, pour

9 justement pouvoir simplement politiser le combat, et à ce jour, il est à

10 craindre que sous cet angle-là, ils aient gagné.

11 Je reviens également sur un autre point qui est très important puisque l'on

12 parle dans le cadre de la mens rea de ces bombardements aveugles, et je me

13 base uniquement, je marche sur les brisés de l'Accusation sur vos

14 déclarations. Vous avez cité le Témoin AD tout à l'heure, mais vous avez

15 oublié d'indiquer que ce propre témoin a déclaré en audience que lorsqu'il

16 a refusé d'exécuter des ordres qu'il savait être illicites, c'est-à-dire

17 qu'il s'était employé à ne suivre d'ordres que licites, son commandant

18 n'avait pas ni puni sérieusement ces troupes-là, ni référé le cas à la

19 hiérarchie militaire.

20 Ce témoignage prouve deux choses. Un, s'il n'y a pas eu de faits ou

21 d'actes référés, il n'y a pas eu connaissance du général Galic. Première

22 chose. Deuxième chose, lorsqu'on lui demande : pourquoi votre commandant

23 n'a pas référé votre désobéissance technique à l'ordre donné à l'autorité

24 du général Galic ? Ce chef de bataillon donne la réponse suivante. Il dit :

25 "C'est probablement, c'est probablement parce que mon commandant craignait

26 d'être sanctionné par le général Galic." Cela, je crois que ce sont des

27 éléments qui sont clairs. Ils émanent de témoins de l'Accusation et jamais

28 de témoins de la Défense.

Page 188

1 Monsieur le Président, j'ai manqué de mettre au point mon chronomètre.

2 Combien de temps me reste-t-il, que je --

3 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] D'après mes calculs, 13 minutes.

4 M. PILETTA-ZANIN : Merci. Treize minutes.

5 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui.

6 M. PILETTA-ZANIN : Merci beaucoup.

7 Nous avons vu ces projets humanitaires. Nous avons vu également la zone

8 d'exclusion totale qui, ainsi que l'avait confirmé, je crois, le général

9 Sibito [phon], à l'époque, je pense que c'est cela, a été mise au point

10 rapidement et dans les délais par le général Galic.

11 Un autre point également : est-ce que l'on n'a jamais vu, est-ce

12 qu'on n'a jamais vu dans ce dossier l'existence d'un plan, que ce soit de

13 façon écrite ou même de façon rapportée, d'un plan militaire ? Il y en a

14 aucun. On a décidé de bâtir les choses à l'envers, peut-être pour être sûr

15 d'atteindre quelqu'un d'autre, mais aucun plan n'a jamais été bâti. Certes,

16 il y a un document que je ne peux plus citer de mémoire, mais qu'on

17 connaît, qui est le compte rendu -- et peut-être qu'on me le trouvera tout

18 à l'heure et qu'on me le glissera sur un papier, le compte rendu d'une

19 réunion politique, à laquelle participait le général Galic. A la fin de

20 cette réunion que l'Accusation a retenue comme étant le document-clé, le

21 seul document-clé écrit prouvant l'existence du plan, et à la fin de ce

22 document, que dit le général Galic qui à l'époque n'était encore, je crois,

23 que lieutenant-colonel ou colonel ? Le général Galic dit la chose suivante

24 : J'ai le texte anglais, mais je vais le citer dans le texte serbe que

25 j'avais vu à l'époque, de mémoire : "Il faut défendre, mais défendre "bez

26 rata", je répète défendre "bez rata", c'est-à-dire --

27 L'INTERPRÈTE : Nous devons nous défendre, mais sans faire la guerre.

28 M. PILETTA-ZANIN : Voilà ce qu'a exprimé le général Galic dans cette pièce

Page 189

1 qu'on me montre à l'instant, qui est une pièce émanant du premier -- du

2 commandement des brigades partisanes. Je vérifie ma citation en serbe,

3 c'est cela : "Da se brane bez rata," ce qui en anglais a été traduit par --

4 L'INTERPRÈTE : En d'autres termes, se défendre sans faire la guerre.

5 M. PILETTA-ZANIN : La pièce est un numéro de référence en tout cas

6 électronique que je peux vous donner maintenant. C'est la référence

7 électronique 00437694, je répète, 00437694. Elle a été produite en date du

8 14 mai 1992, mais ma copie est trop mauvaise pour que je lise le numéro de

9 la pièce. Nous la retrouverons facilement dans le dossier, merci.

10 Voici quels sont les éléments tangibles, écrits, concrets et

11 matérialisables [phon] qui prouveraient l'existence de ce plan. En d'autres

12 termes, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, littéralement rien, ou

13 alors quelque chose qui prouverait que Galic a voulu défendre sans recourir

14 à la guerre, et je crois que je n'avais pas tort de citer tout à l'heure ce

15 que je disais (et)caeterum censeo Galicem discul(pandum esse).

16 [interprétation] "Je pense à nouveau qu’il faut disculper Galic."

17 [en français] -- et assez rapidement, Monsieur le Président, pour

18 dire ceci. Certes, certes, Galic disposait d'une autorité de commandement.

19 On dit aujourd'hui, parce que les témoins disent que lorsqu'il y avait des

20 protestations, Galic intervenait pour faire en sorte que le feu s'arrête.

21 On dit aujourd'hui non pas, tiens, il a essayé d'appliquer ce qu'il devait

22 faire, c'est-à-dire contrôler ses hommes. On dit : non, c'est pire que ça,

23 il a tenté de moduler l'impression d'attente puis de revenir, et cetera.

24 C'est une théorie in extremis inventée par l'Accusation, contraire aux

25 faits.

26 Je vous donne les références de transcripts suivants, notamment Fraser,

27 qu'on a cité; transcript 11 193 à 196, le fameux Henneberry dont on parlait

28 tout à l'heure; transcript 8 572, 8 573, Hamill, cité dans le jugement à

Page 190

1 692, transcript 8 460 et la pièce DP35; le transcript, également, 17 731 et

2 17 502 où l'on voit que ces témoins affirment tous, en général, que lorsque

3 des réunions intervenaient avec le général Galic, celui-ci, que faisait-

4 il ? Il faisait en sorte que cela soit suivi d’effet.

5 Il y a quelque chose également qui est singulier dans la façon dont le

6 Tribunal est intervenu pour déterminer la mens rea de l'accusé. Je fais

7 référence, en page 300 du Jugement, aux considérations que la Chambre a

8 effectivement tenues, en relation à ce Témoin AD, qui disait clairement que

9 son propre chef ne s'était pas plaint parce qu'il craignait d'être

10 réprimandé par l'institution militaire ou le commandant suprême du corps.

11 Lorsque la Chambre doit analyser cela dans les fait, elle déduit, mais sans

12 qu'on sache comment ni pourquoi, que parce que et puisque le Corps de la

13 SRK était parfaitement organisé, ce n'est que sur les ordres du général

14 Galic que tel commandant avait pu tirer. Pas d'autres explications. Mais

15 cela sera tout à fait contraire avec d'autres témoignages, et notamment le

16 témoignage d'un général que je dois citer maintenant de mémoire, mais

17 j'attire votre attention là-dessus. C'était le général Briquemont qui,

18 lorsqu'il est devenu devant cette Chambre, a dit lui-même comme officier

19 supérieur représentant des Nations Unies qu'il ne pouvait pas exclure, et

20 je cite de mémoire toujours, mais en anglais, que des "local chiefs", des

21 commandants locaux distincts et indépendants aient ouvert le feu, avec

22 l'implication que c'était bien sûr sans la connaissance et sans le vouloir

23 du commandant du corps.

24 Je crois que j'en ai terminé pour cet exposé. Je vais juste dire ceci.

25 Simplement, mon confrère va suivre et prendre le flambeau. Merci.

26 Mme PILIPOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les

27 Juges, pour répondre à l'exposé de mon éminent confrère, je voudrais faire

28 remarquer tout d'abord un fait important. La Chambre de première instance

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1 n'a jamais établi qu'il y ait eu une campagne préexistante, ce que soutient

2 le bureau du Procureur, à savoir que le général Galic aurait hérité d'une

3 campagne préexistante, mais aucune affirmation de ce genre n'existe dans le

4 Jugement de la Chambre de première instance. Donc, ceci n'est pas étayé par

5 ce qu'a dit mon confrère.

6 Que voudrais-je faire remarquer également ? C'est le fait que nous

7 nous trouvons -- tout est en fait exprimé dans notre acte d'appel et dans

8 notre réponse. Je voudrais également mentionner les facteurs qui sont à

9 décharge, et j'espère que votre Chambre d'appel en tiendra compte, à savoir

10 la moralité de l'accusé, l'absence de casier judiciaire du général Galic.

11 C'est quelque chose qui est établi par le procès Blaskic ainsi que par le

12 comportement du général Galic dans la période de détention préalable au

13 procès, où il a passé six ans. Il est passé du grade de commandant de corps

14 au grade de colonel du jour au lendemain, si je puis dire. Cette opposition

15 était due aux circonstances et à la gravité de la situation dans un secteur

16 où il y avait des combats de ville et où ces combats étaient extrêmement

17 intenses. Le général Galic a dû, du jour au lendemain, prendre le rôle de

18 commandant et s'est trouvé, donc, dans une situation dans un secteur où les

19 conditions d'exercice du commandement du contrôle était plus que

20 difficiles.

21 Notre expert militaire, M. Radinovic, a parlé des circonstances dans

22 lesquelles le général Galic a eu un rôle extrêmement difficile, qui ont

23 rendu son rôle très difficile. Il y a d'autres facteurs qui, nous

24 l'espérons, aideront la Chambre d'appel à se décider et dont elle tiendra

25 compte.

26 Indépendamment de la gravité des crimes dont il s'agit, il ne

27 convient pas de rendre une sentence telle que proposée par l'Accusation.

28 Un autre facteur à décharge que je voudrais porter à votre attention

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1 pour les circonstances atténuantes, c'est que ce sont les efforts du

2 général Galic tout au long des deux années de commandement pour essayer de

3 concilier les intérêts des deux parties au conflit. Tout au long de ses

4 fonctions, tout au long de son mandat, il s'est efforcé de débander

5 l'information paramilitaire. Le secteur de responsabilité du général Galic

6 était extrêmement complexe et vaste. Ceci était un facteur qui pouvait

7 limiter l'efficacité du commandement et de la chaîne de commandement.

8 Comme circonstance atténuante, je pense qu'il faut prendre en compte

9 également les nécessités d'un combat urbain, d'un combat de rue. Il y avait

10 des combats de rue. Les parties au conflit ont agi contrairement aux

11 dispositions des conventions de Genève et des protocoles de Genève.

12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Je donne

13 maintenant la parole à l'Accusation pour 10 minutes, pour répliquer. Vous

14 avez la parole, Madame Brady.

15 Mme BRADY : [interprétation] Merci, Monsieur le président et Messieurs les

16 juges. Notre appel contre la sentence partait de constations de faits qui

17 ont été constatées par la majorité. La réponse que nous venons d'entendre

18 consiste pour l'essentiel à contester les conclusions de fait de la

19 majorité et constitue une nouvelle tentative pour plaider ce qui aurait dû

20 être plaidé lors de son principal appel. Nous avons répondu à tous ces

21 points dans notre mémoire en réponse et je ne veux pas entrer dans cela

22 maintenant.

23 L'autre domaine qui est parcouru concerne les arguments à l'appui de

24 sa sentence, à l'appel, à savoir qu'il a participé au fait de débander les

25 paramilitaires ou appuyer l'emploi des routes bleues. Là encore, je dois

26 vous faire remarquer, je dois rappeler votre attention sur notre réponse

27 dans le mémoire en réponse pour ce qui est du moyen 19. Il n'est pas

28 nécessaire d'en dire davantage.

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1 Je voudrais ensuite passer la parole à M. Ierace un instant, parce

2 que je pense qu'il y a certaines questions de fait qui ont été évoquées et

3 dont M. Ierace pourra vous entretenir, mais je voudrais brièvement vous

4 parler d'un point de ce qu'il a dit, à savoir le fait qu'il n'y aurait pas

5 eu de mens rea. Ceci n'a pas été constaté, et je voudrais faire remarquer

6 la conclusion de la majorité au paragraphe 745 du jugement. La majorité a

7 estimé que "ce qu'il faut en déduire, c'est une déduction contraignante que

8 le fait de ne pas avoir agi pendant une période d'environ 23 mois, par un

9 commandant de corps qui avait une connaissance substantielle des crimes

10 commis contre des civils par ses subordonnés et qui était régulièrement

11 rappelé à son devoir d'agir, ayant cette connaissance, révèle une intention

12 délibérée d'infliger des actes de violence contre des civils."

13 Il a dit en passant que, pour l'essentiel, personne ne l'avait

14 informé de cela ou qu'il n'était pas suffisamment informé de cela.

15 J'appelle votre attention sur les dizaines de témoins de l'ONU qui ont

16 déposé en affirmant le contraire. Le temps ne nous permet pas maintenant de

17 repasser tout cela en revue, mais je voudrais simplement, à ce stade, vous

18 rappeler la déposition du Témoin W, plus particulièrement en ce qui

19 concerne le compte rendu T9565 à 9566 et T9607 à 9608. Les éléments de

20 preuve ont été présentés à huis clos partiel, de sorte que je serai prudent

21 sur la manière dont je me réfère à cela et je ne parlerai que des détails

22 donnés dans le jugement de première instance, mais s'il soutient qu'il

23 n'avait pas connaissance de cela, alors c'est quelque chose qui lui sera

24 fort difficile à expliquer.

25 En réalité, le Témoin W s'est plaint à Galic, une fois, qu'il y avait

26 eu un point d'eau qui avait été bombardé et qui avait causé de nombreuses

27 victimes parmi les civils. La réponse de Galic qui a tellement choqué le

28 Témoin W, qui était un représentant important de l'ONU, à tel point qu'il a

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1 cessé toute relation avec Galic après cela. Je souhaite -- je cite la

2 déposition du Témoin W, T9566, citée dans le jugement au paragraphe 677. Il

3 a poursuivi : "J'ai toute raison de décrire ceci comme un acte criminel et

4 je ne peux pas continuer à voir un dialogue avec lui dans ces

5 circonstances."

6 C'est seulement pour cela qu'on dit qu'il y avait des dizaines de

7 témoins qui ont déposé et qui ont présenté leurs protestations à Galic de

8 façon très régulière.

9 Je voudrais maintenant demander que l'on puisse donner la parole à M.

10 Ierace pour répondre sur certains points concernant les faits. Je vous

11 remercie.

12 M. IERACE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,

13 Messieurs les Juges.

14 Me Piletta-Zanin a parlé de la déposition du Témoin AD et a suggéré

15 que la référence que j'avais faite à sa déposition était quelque peu

16 incomplète. Plus précisément, Me Piletta-Zanin a dit que la déposition de

17 ce témoin était que les ordres de prendre pour cible des installations

18 civiles, les ambulances et ainsi de suite, provenaient d'un commandant de

19 brigade, mais qu'il pensait probablement qu'ils n'émanaient pas de

20 l'accusé, qu'ils n'émanaient pas de l'appelant. En fait, ceci n'est que de

21 la spéculation. La déposition du témoin est qu'il ne savait pas d'où

22 venaient ces ordres en remontant les grades jusqu'au poste de commandement

23 de brigade. Tout ce qu'il a pu dire au-delà de cela constituait une

24 spéculation.

25 Me Piletta-Zanin a aussi fait allusion à ce que l'on pouvait appeler,

26 en gros, les actes humanitaires pacifiques de l'appelant, à l'appui de sa

27 thèse selon lesquels il n'est pas coupable de ces chefs d'accusation. Il a

28 parlé de la constitution, de la création des routes bleues et du désir de

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1 paix. La création des routes bleues s'est faite dans l'atmosphère

2 postérieure à l'incident du marché de Markale. L'indignation internationale

3 devant ce carnage a été telle que le RSK a fait l'objet de pressions

4 considérables pour accepter que des itinéraires gérés par l'ONU pour l'aide

5 humanitaire destinée à la ville puisse passer. Deuxièmement, la

6 constitution d'une zone totale d'exclusion par rapport aux armes lourdes à

7 une distance de quelque 20 kilomètres de la ville. Il n'y a rien eu de

8 volontaire en ce sens dans le sens que cela a -- ce qu'a fait l'appelant.

9 Il répondait en fait à une pression exercée par la communauté

10 internationale.

11 Dans la même veine, alors il a donné son accord de temps en temps

12 pour des accords contre des tirs isolés. Ils ne valaient même pas le papier

13 sur lesquels ils étaient écrit, comme ceci est démontré par l'incident de

14 tirs isolés numéro 27 dans lequel un enfant, un garçon de 13 ans a été tué

15 d'une fenêtre alors qu'il faisait des courses avec sa famille, cinq ou six

16 enfants étaient en train de jouer à ce moment-là. Où se trouvons-nous

17 indépendamment de cette occasion ? Parce qu'il y avait -- ceci veut dire

18 que des cessez-le-feu contre les tirs isolés ne voulaient rien dire. Cet

19 incident a été prouvé devant la Chambre de première instance.

20 En ce qui concerne le fait de remettre l'aéroport à la RSK, ceci s'est

21 passé à la période couverte par l'acte d'accusation, et là encore, c'est le

22 résultat de la Résolution 762 du conseil de Sécurité de l'ONU, qui a chargé

23 la FORPRONU de protéger l'aéroport. De ces circonstances, à la suite de

24 cette résolution, la RSK a à ce moment-là remis le contrôle de l'aéroport.

25 Me Pilipovic, juste après la suspension de séance a fait référence encore à

26 l'incident numéro 6 de tir isolé et a dit qu'il n'y avait aucune preuve

27 qu'il y ait eu une ligne de tir depuis le beffroi à partir duquel la

28 victime a reçu ce coup de feu. La photographie à 360 degrés démontre le

Page 196

1 contraire, lorsqu'on l'examine en conjoncture avec les photographies

2 marquées, les photographies qui ont été par la suite présentées en ce qui

3 concerne cet incident.

4 Me Piletta-Zanin, s'est encore référé à ce que je comprends être des

5 incidents de victimes civiles comme étant une sorte de l'innocence de

6 l'appelant, mais il n'y a pas de tels éléments de preuve. Ceci reflète,

7 comme la majorité l'a décidé, que différentes mesures contre les tirs

8 isolés, contre les bombardements ont été prises pour protéger la population

9 et qu'il n'y avait pas de barrages constants ayant pour but essentiel de

10 tuer autant de civils que possible. Il n'y a jamais eu -- ceci n'a jamais

11 été la thèse de l'Accusation. Les thèses de l'Accusation étaient que

12 l'intention de l'appelant était de répandre la terreur, d'infliger la

13 terreur. Il n'avait pas besoin, de façon à réaliser ce but, d'essayer de

14 tuer tous les civils qui se trouvaient dans la ville. Effectivement, cela

15 aurait été très difficile pour lui d'agir avec un tel objectif alors qu'il

16 était sous le regard de la communauté internationale, représentée par les

17 observateurs militaires de l'ONU.

18 Merci.

19 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]

20 M. PILETTA-ZANIN : Il y a un problème de traduction. Merci.

21 Je n'entends pas commenter, Monsieur le Président, je n'en ai pas le

22 droit, mais j'entends souligner qu'il y a eu un problème de traduction

23 important. Ce que mon confrère, Me Pilipovic, a dit tout à l'heure en page

24 131, ligne 11, cela n'est évidemment pas que les deux parties au conflit

25 auraient commis des actes contraires aux conventions de Genève, mais que

26 l'ABiH s'était comportée contrairement, non pas au paragraphe, mais à

27 l'article 58 du protocole I, notamment. C'est ce qu'a voulu dire Me

28 Pilipovic, et nous avons un problème de traduction par rapport au texte.

Page 197

1 Merci.

2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Nous prenons note de

3 ce que vous avez dit pour les besoins du compte rendu d'audience.

4 Comme je l'ai dit, ceci met un terme à l'appel interjeté par la Défense et

5 interjeté par l'Accusation. Avant de lever l'audience, M. Galic, s'il le

6 souhaite, peut personnellement s'adresser aux Juges de la Chambre. Il

7 disposera au maximum de 15 minutes pour ce faire.

8 Monsieur Galic, je me tourne vers vous; est-ce que vous souhaitez vous

9 adresser à la Chambre ?

10 L'APPELANT : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

11 j'ai toute confiance en la justice. Je soutiens les arguments avancés par

12 mes conseils dans ce prétoire. J'ai toute confiance pour ce qui est de la

13 décision qui sera prise en l'espèce.

14 Je vous remercie.

15 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Monsieur Galic.

16 L'audience d'aujourd'hui est donc terminée. Nous allons lever l'audience.

17 L'arrêt en l'espèce sera rendu en temps voulu.

18 L'audience est levée.

19 --- L'audience est levée à 17 heures 17.

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