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1 Le lundi 30 août 2010
2 [Audience publique]
3 [Réquisitoires]
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 06.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes présentes
7 dans ce prétoire ainsi qu'à l'extérieur du prétoire.
8 Madame la Greffière d'audience, veuillez citer la cause, je vous prie.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.
10 Bonjour à toutes les personnes présentes dans le prétoire. Il s'agit de
11 l'affaire IT-06-90-T, le Procureur contre Ante Gotovina et consorts.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière
13 d'audience.
14 Nous allons donc entendre les réquisitoires ainsi que les plaidoiries en
15 l'espèce.
16 Avant que je ne donne la possibilité à l'Accusation de commencer, j'ai
17 quelques questions que je souhaiterais soulever.
18 Premièrement, j'inviterais les Défenses de Cermak et de Markac à déposer
19 aussi rapidement que possible leurs versions expurgées pour leurs mémoires
20 de clôture; la Défense de Gotovina ayant déjà déposé sa version expurgée et
21 définitive.
22 J'aimerais également vous donner lecture d'une déclaration au nom de la
23 Chambre de première instance eu égard aux questions relatives à la fixation
24 de la peine.
25 La Chambre va maintenant s'intéresser aux idées présentées par les parties
26 eu égard à la fixation des peines.
27 Dans son mémoire de clôture définitif, au paragraphe 589, la Défense de M.
28 Cermak demande à avoir la possibilité de s'adresser à la Chambre de
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1 première instance eu égard à la fixation de peine, au cas où la Chambre
2 devait considérer M. Cermak comme coupable des chefs d'accusation.
3 Nonobstant cette demande, la Défense de M. Cermak évoque la fixation de la
4 peine dans son mémoire de clôture à l'exception de la gravité des
5 infractions et du comportement dans son ensemble.
6 La Défense de M. Markac présente une objection vis-à-vis de la pratique
7 retenue par le Tribunal eu égard au prononcé de la culpabilité de l'accusé
8 et au fait que la peine est indiquée en même temps. Cette objection figure
9 au paragraphe 284 du mémoire de clôture de la Défense de M. Markac. La
10 Défense de M. Markac ne demande aucun recours à cet égard mais présente
11 toutefois ses objections à ce sujet.
12 La première version du Règlement de procédure et de preuve faisait état de
13 culpabilité et de fixation de peine séparée. C'est une pratique qui fut
14 abandonnée en 1998 avec l'adoption de l'article 87(C), qui établissait en
15 quelque sorte une phase de déclaration de culpabilité et de fixation de
16 peine combinée. Cette nouvelle pratique se retrouve également à l'article
17 86(C), qui énonce que les parties doivent également faire état de leur
18 point de vue eu égard à la fixation de la peine dans le mémoire de clôture.
19 La Chambre ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'écarter de cette
20 pratique en l'espèce. Par conséquent, nous ne faisons pas droit à la
21 demande présentée par la Défense de M. Cermak.
22 Au vu de cette décision, si les Défenses de MM. Cermak et Markac souhaitent
23 présenter d'autres idées eu égard à la fixation de la peine, nous aurons la
24 possibilité de le faire lors de leurs plaidoiries respectives.
25 Dans son mémoire de clôture, la Défense de M. Gotovina indique qu'elle
26 choisit de ne rien présenter à propos de la fixation de la peine. Bien que
27 le Chambre suppose que ce point de vue ait été adopté après mûre réflexion,
28 la Chambre ne considère pas ce point de vue comme contraignant et, par
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1 conséquent, la Défense de M. Gotovina aura tout à fait la possibilité de
2 présenter de façon orale ses idées eu égard à la fixation de la peine lors
3 de sa plaidoirie, si elle souhaite le faire, bien entendu.
4 J'en ai terminé avec la déclaration de la Chambre de première instance eu
5 égard aux fixations de la peine par les parties.
6 En dernier lieu, et toujours à propos du réquisitoire et des plaidoiries,
7 je dirais que l'Accusation a six heures pour présenter son réquisitoire.
8 Chaque équipe de la Défense aura deux heures et demie pour présenter sa
9 plaidoirie. Et comme la Chambre l'a déjà indiqué un peu plus tôt, les
10 équipes de la Défense ont toute latitude pour se répartir le temps qui leur
11 a été attribué pour leurs plaidoiries.
12 L'Accusation aura une heure pour la réplique et les équipes de la
13 Défense auront en tout une heure pour les dupliques.
14 Voilà les dispositions pratiques que nous avons prises et que nous
15 indiquons maintenant aux parties.
16 Monsieur Tieger, j'aimerais savoir si l'Accusation est maintenant prête à
17 présenter son réquisitoire ?
18 M. TIEGER : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie.
20 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.
21 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, ainsi que mes confrères
22 de la Défense et toutes les personnes présentes dans le prétoire et dans
23 les cabines qui ont consacré tant d'efforts à cette affaire.
24 J'aimerais dans un premier temps m'exprimer au nom du Procureur, et je vais
25 faire état de l'entreprise criminelle commune, de son objectif commun
26 visant le déplacement par la force des Serbes. Je vous parlerai également
27 des membres de cette entreprise criminelle commune qui, notamment, les
28 généraux Gotovina, Cermak et Markac, ainsi que des moyens utilisés,
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1 notamment les attaques de pilonnages illicites, la destruction et le
2 pillage.
3 M. Russo parlera de façon plus détaillée des attaques d'artillerie, ainsi
4 que de l'expulsion qui s'en est suivie et du transfert par la force des
5 Serbes de Croatie.
6 M. Hedaraly, dans un premier temps, parlera des crimes commis contre les
7 Serbes de Croatie et contre les biens des Serbes de Croatie.
8 Mme Gustafson, M. Carrier, et Mme Mahindaratne, qui nous rejoindra un peu
9 plus tard dans le prétoire, feront état des différentes contributions à
10 l'entreprise criminelle commune ainsi que de la responsabilité pénale
11 individuelle des généraux Gotovina, Cermak et Markac, respectivement.
12 Le 4 août 1995, les forces militaires croates ont commencé l'opération
13 Tempête dont le but était de reprendre le territoire qui avait été placé
14 sous le contrôle des Serbes de Croatie depuis 1991, notamment le secteur
15 sud. Les villes et les villages, notamment Knin, Benkovac, Obrovac et
16 Gracac, ont essuyé des tirs d'artillerie qui ont commencé à 5 heures. Les
17 personnes qui vivaient dans ces endroits, ainsi que les observateurs
18 internationaux qui ont assisté à ces attaques, se sont rendu compte au
19 moment où ces pilonnages ont commencé que les cibles étaient les civils et
20 les zones civiles et que c'étaient les villes et les villages civils à
21 proprement parler qui faisaient l'objet de cette attaque et qu'aucun
22 endroit n'était sûr. Ce qu'ils ne savaient pas par contre, c'était que ces
23 attaques dirigées contre leurs villes et leurs villages étaient un résultat
24 d'un ordre donné par le général Gotovina qui précisait qu'outre les centres
25 de communications et les postes de commandement, les villes elles-mêmes
26 devaient également faire l'objet de pilonnages et de tirs. Et ce que cette
27 population civile absolument terrorisée ne savait pas non plus était que
28 l'ordre avait été donné de pilonner les villes à la suite d'une réunion du
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1 commandant suprême des forces croates, M. Franjo Tudjman, et ses
2 conseillers militaires, qui incluaient notamment les généraux Gotovina,
3 Markac ainsi que le ministre de la Défense M. Susak, qui ont insisté sur
4 l'importance de provoquer la fuite des civils par les pilonnages. Cet
5 objectif a été couronné de succès, et le président Tudjman a été en mesure
6 de dire peu de temps après, en faisant référence au fait que la plupart des
7 Serbes s'étaient enfuis : "Ce que nous venons de créer maintenant est un
8 Etat croate qui durera pendant des siècles."
9 Qui se trouve au paragraphe 2 de la page 467 [comme interprété].
10 Et après la première phase de cette opération qui s'est couronnée par la
11 fuite de la plupart des Serbes, le président Tudjman et les autres
12 responsables croates ont mis en œuvre des mesures et ont, de façon tout à
13 fait intentionnelle, omis de mettre en œuvre d'autres mesures nécessaires
14 afin d'assurer que les Serbes ne reviennent pas en nombre suffisant pour
15 représenter à nouveau une menace démographique. Alors que les foyers et les
16 fermes serbes étaient détruits et pillés par les hommes du général Gotovina
17 et du général Markac, notamment, et que les civils serbes qui étaient
18 restés étaient tués, une véritable atmosphère d'impunité a commencé à
19 prévaloir.
20 Les responsables croates, notamment le général Cermak, qui avait été
21 personnellement mis en place par Tudjman pour gérer la zone de Knin, ont
22 fait en sorte que les enquêtes se retrouvent sur des voies de garage, ont
23 nié les crimes, ont essayé de limiter et de contrôler l'accès de la
24 communauté internationale et des médias, leur ont empêché de faire des
25 reportages, ont collecté des centaines de corps sans pour autant faire en
26 sorte que des enquêtes soient menées à bien et n'ont pas su instituer les
27 mesures préventives ou punitives nécessaires afin de mettre un terme aux
28 crimes qu'ils refusaient d'accepter.
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1 Le président Tudjman ainsi que d'autres responsables ont également érigé
2 autant d'obstacles administratifs pour s'assurer que les Serbes ne
3 reviennent pas en nombre et ont commencé à déployer des efforts pour
4 repeupler les zones dont avaient fuies les Serbes et fait en sorte que ces
5 zones soient repeuplées non pas par des Serbes qui reviendraient, mais par
6 des Croates de souche, pour ainsi cimenter une mutation démographique
7 permanente qui assurerait, comme cela était indiqué par lui, un Etat croate
8 qui durerait pendant des siècles.
9 La Défense a avancé, entre autres choses, que la Croatie n'avait pas de
10 plan ou de politique visant l'expulsion de la population serbe, mais
11 qu'elle avait "plutôt" été la victime de l'agression serbe et qu'elle
12 voulait réintégrer son territoire occupé tel que cela avait été indiqué par
13 le plan Vance.
14 Il faudrait indiquer dans un premier temps que personne n'admet que la
15 Croatie avait un plan ou une politique d'expulsion. Il s'agissait des
16 membres de l'entreprise criminelle commune. Qui plus est, il est absolument
17 évident, cela ne fait l'objet d'aucun litige, que la population croate a
18 souffert des crimes terribles commis par les forces serbes, mais il n'y a
19 aucun conflit entre cette victimisation et le plan d'expulser les Serbes.
20 Ces deux coexistent logiquement et factuellement [phon] d'ailleurs dans un
21 cycle tragique commun à la victimisation. Et le fait que le président
22 Tudjman a accepté le plan Vance à un moment où la Croatie n'avait même pas
23 commencé à mettre sur pied son armée et à un moment où un tiers de son
24 territoire était contrôlé par les Serbes de Krajina ne nous permet pas
25 véritablement de comprendre les préoccupations et objectifs de Tudjman
26 lorsque la Croatie devient une force militaire puissante et lorsque surgit
27 l'occasion, pour utiliser ses propres termes, d'être audacieux et de leur
28 rendre la monnaie de leur pièce. Paragraphe 11, page 461 [comme
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1 interprété].
2 La Défense de M. Gotovina consacre beaucoup de temps dans son mémoire de
3 clôture aux crimes commis par les forces serbes contre les Croates, au
4 soutien que les Serbes de la Krajina ont reçu d'autres Serbes et aux
5 négociations qui ont échoué afin de réintégrer cette même Krajina, et ainsi
6 qu'aux différentes opérations militaires qui ont précédé et suivi
7 l'opération Tempête. Ce long chapitre -- ou plutôt, ce long chapitre a été
8 écrit afin d'étayer l'argument suivant, lequel la fuite des Serbes a été le
9 résultat d'une décision d'évacuation de la RSK, et il est également indiqué
10 que la fuite de dizaines de milliers de Serbes n'a absolument rien à voir
11 avec les attaques et les bombardements illicites.
12 M. Russo abordera cela de façon beaucoup plus détaillée, mais cet
13 argument non seulement fait fi du lien entre la décision d'évacuation et
14 l'attaque -- ou le pilonnage illicite, mais - et c'est encore plus
15 important - fait également fi des éléments de preuve qui ont été apportés
16 et qui ont prouvé que les pilonnages étaient la cause principale de la
17 fuite de nombreuses personnes, notamment des personnes qui n'avaient jamais
18 entendu parler de la décision d'évacuation ou qui s'étaient enfuis avant
19 que la décision ne soit prise ou qui avaient décidé de s'enfuir, parce que
20 du fait de ces bombardements, ou qui étaient convaincus de suivre d'autres
21 qui étaient déjà partis, parce que pour eux le pilonnage indiquait de façon
22 très claire qu'ils n'avaient absolument aucun choix, comme vous le verrez
23 dans les paragraphes 616 à 618, 623 à 624, 626, 629, et 641.
24 Les éléments de contexte font jouer au personnel des Nations Unies le rôle
25 d'ennemis ayant décidé de laminer, de saper la Croatie, et il est suggéré
26 donc que les rapports des Nations Unies ne devraient pas être pris en
27 considération car il ne s'agit que de simple propagande, tel que cela est
28 indiqué au paragraphe 119. Et d'ailleurs, il y a un amalgame qui est fait
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1 entre les décisions des Nations Unies et leurs actions en Bosnie, alors
2 qu'il s'agit de circonstances différentes qui ont déclenché des décisions
3 différentes. Et l'ironie du sort nous permet de voir d'ailleurs que le
4 mémoire de la Défense attaque et critique les Nations Unies pour passivité
5 en Bosnie, ensuite les critiques pour les décisions qu'ils ont prises afin
6 d'avoir un point de vue ferme dans leur cadre de leur mission en Croatie.
7 Qui plus est, il est indiqué que ces décisions étaient sous-tendues de
8 mauvaises motivations. Par exemple, l'opération Présence active, qui est
9 considérée comme un effort pour placer les soldats des Nations Unies dans
10 une situation très périlleuse afin de déclencher, de susciter la
11 condamnation internationale et l'offensive militaire croate. Mais ensuite,
12 une citation est avancée, et elle révèle que les Nations Unies ont
13 considéré que l'autre possibilité qui leur était offerte, à savoir rester
14 dans ces lieux n'était pas véritablement une solution très pratique, ou
15 allait susciter davantage d'action contre le personnel des Nations Unies,
16 et que par conséquent, les Nations Unies ont pris la décision qui, d'après
17 eux, allait diminuer la vraisemblabilité de ces circonstances dont la
18 Défense les accuse d'avoir créées.
19 Par ailleurs, la Défense fait un amalgame des événements qui se sont
20 déroulés dans le secteur sud avant l'opération Tempête. Vous avez, par
21 exemple, la déclaration du général Forand qui, lorsqu'il a indiqué qu'il
22 était au courant qu'une unité vendait du carburant, ce qui s'est arrêté
23 d'ailleurs dès qu'il a appris cela, et on opère un amalgame entre cela et
24 une observation de M. Hill qui a entendu de la part de quelqu'un que dans
25 certains secteurs, du carburant était vendu en grande quantité, et cela est
26 attribué d'ailleurs de façon tout à fait erronée, à l'ONURC du secteur sud.
27 Alun Roberts est condamné, et ces citations fait l'objet de vérifications
28 pour ce genre de transgressions parce qu'il n'a pas, par exemple, placé le
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1 nom RSK entre guillemets, ou parce qu'"il a essayé de décrire les
2 violations des deux parties de l'accord, la responsabilité des Croates
3 ainsi que des Serbes rebelles."
4 Cela fait l'objet de la note en bas de page 92, dans le document D1344.
5 Qui plus est, ils essaient de suggérer que le personnel des Nations Unies
6 faisait preuve de partialité à l'égard des Serbes, et ont fourni des
7 éléments de preuve indiquant que ce point de vue, en fait, n'était pas
8 étayé par les comportements véritables du personnel des Nations Unies que
9 la Chambre a eu la possibilité de rencontrer. Il faut également savoir que
10 dans le droit fil de ces déductions, déductions que je viens de mentionner,
11 l'Accusation a trouvé de nombreuses citations dans les mémoires de la
12 Défense qui n'étaient absolument pas la proposition ou les propositions
13 qu'ils avancent ou qui ne se retrouvent d'ailleurs pas non plus dans les
14 comptes rendus d'audience. Nous ne sommes pas en train de suggérer que cela
15 a été fait de façon intentionnel, mais nous exhortons tout simplement la
16 Chambre à examiner de façon très, très précise toutes citations, qu'elles
17 viennent d'ailleurs de la Défense et de l'Accusation.
18 Il en va de même pour les citations juridiques. Par exemple, la
19 Défense cite Blaskic et indique la Chambre de première instance ne peut pas
20 dégager de déductions négatives à partir de circonstances ou d'éléments de
21 preuve indirects qui présentent des inexactitudes factuels, et cite dans
22 tout son mémoire, notamment afin d'étayer ce point de vue, l'existence
23 d'ordres, d'interdictions qui fait que la Chambre ne peut pas tirer de
24 déductions négatives à propos de la responsabilité des accusés en prenant
25 en considération des facteurs tels que la portée des crimes. Cette
26 interprétation est tout à fait inexacte.
27 Dans l'affaire Blaskic, aucune règle n'a été établie permettant de
28 déterminer que les éléments de preuve indirects ou aucune règle n'a été
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1 établie. Ils se sont contentés tout simplement d'utiliser le critère qui
2 n'indique absolument pas, comme la Défense le suggère, que tout décalage,
3 toute inexactitude factuelle empêche de tirer une conclusion négative. Au
4 contraire, il est demandé à la Chambre de prendre en considération la
5 globalité des éléments de preuve pour voir si une alternative raisonnable
6 peut en être dégagée. Je dirais que dans le contexte des ordres, la Chambre
7 de première instance dans l'affaire Milutinovic a estimé que
8 "l'insuffisance manifeste" d'ordres contre les crimes, au vu de la
9 criminalité généralisée connue pour un accusé est une indication de son
10 intention de partager l'entreprise criminelle commune, et indique qu'il a
11 ainsi de façon considérable, contribué de ce fait à maintenir et à créer
12 d'ailleurs, dans certains cas, le climat d'impunité."
13 Paragraphe 772, 777, 778, et 782 du jugement dans l'affaire
14 Milutinovic.
15 Puis en dernier lieu, je dirais, pour ce qui est des éléments de
16 contexte des mémoires de clôture de la Défense, qu'il est indiqué que la
17 Chambre de première instance ne peut pas conclure que la Croatie avait mené
18 à bien une politique d'expulsion de la population serbe en lançant une
19 guerre inutile et que, par conséquent, la Chambre de première instance ne
20 peut pas en conclure, ne peut pas conclure -- ne peut pas plutôt dégager de
21 conclusions pour ce qui est des objectifs de l'opération Tempête et des
22 événements qui ont suivi cette opération Tempête. La Défense consacre
23 beaucoup d'efforts pour essayer de battre en brèche un argument qui n'a
24 jamais d'ailleurs été présenté. Bien au contraire, l'Accusation a indiqué
25 de façon très claire, dès le début, qu'elle n'avait jamais affirmé que le
26 simple fait que l'opération Tempête avait été menée à bien devrait être
27 considéré comme un élément de preuve indiquant qu'il y avait intention
28 criminelle pour ce qui est des chefs d'accusation dans l'acte d'accusation.
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1 Et comme je l'ai indiqué dans la déclaration liminaire, la décision
2 de la Croatie de mener à bien une opération militaire pour reprendre la
3 Krajina n'est pas le cœur du problème. Ce qui est au cœur du problème en
4 l'espèce, ce sont les efforts tout à fait positifs d'ailleurs, ou plutôt
5 couronnés de succès, qui ont été menés à bien par certains responsables,
6 notamment les trois accusés, afin d'utiliser cette circonstance pour
7 éliminer l'essentiel de la présence serbe en Krajina.
8 Le fait que l'opération Tempête allait être lancée et la confiance,
9 ou le fait que les dirigeants politiques et militaires de la Croatie
10 étaient convaincus que la Krajina allait véritablement être reconquise, au
11 vu des nouvelles prouesses militaires de la Croatie, d'une succession de
12 victoires récentes, sans oublier la certitude du président Tudjman
13 indiquant que Milosevic n'allait pas intervenir avec la VJ, signifie, en
14 fait, qu'il y a eu une possibilité, une possibilité non seulement de
15 réintégrer finalement le territoire croate dans le contexte des frontières
16 qui avaient été reconnues - et c'est ainsi que le président Tudjman l'a vu
17 - mais d'assurer, en fait, l'existence à long terme de cet Etat.
18 Le président Tudjman qui fut le chef militaire et politique de la Croatie,
19 un homme dont la vision était la vision d'une nation croate qui durerait et
20 qui resurgirait des cendres du passé, était absolument convaincu que la
21 multiplicité ou que les pays multiethniques ne pouvaient pas perdurer et
22 que les nations devaient être, du point de vue ethnique aussi homogène que
23 possible. Paragraphe 31 de la page 444. Cela a été absolument irréfutable,
24 et cela a été si irréfutable pour lui qu'il n'a absolument pas essayé de
25 dissimuler ses intentions en se lançant d'ailleurs même dans des discours
26 auprès de dignitaires internationaux à propos de ce danger. Et cela
27 figurant à la page 452.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger, si vous ralentissez le
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1 début de votre lecture, je pense que les interprètes français seront en
2 mesure de vous suivre.
3 M. TIEGER : [interprétation] Dans le contexte de la Croatie, c'était une
4 référence qui était faite aux Serbes que le président Tudjman considérait
5 comme appartenant à une civilisation différente et qui, en fait, ne
6 pouvaient pas vivre avec les Croates. Paragraphe 32 de la page 444, page
7 452. A son avis, la Croatie était la frontière entre l'est et l'ouest. La
8 Croatie faisait office de barrière en quelque sorte empêchant l'incursion
9 orthodoxe provenant de l'est. Alors cette notion suivant laquelle les
10 Serbes appartenaient à une civilisation différente se retrouve également
11 dans les observations de M. Tudjman ou de son chef d'état-major, M.
12 Sarinic, qui indique que les Serbes représentent le cancer de l'estomac de
13 la Croatie; page 444. Ou qu'après l'opération Tempête, les Serbes ne
14 pourraient plus "propager ou faire proliférer le cancer qui avait détruit
15 la Croatie et qui avait empêché le peuple croate de vivre véritablement
16 seul." Ou que les Serbes en Croatie étaient "potentiellement un cheval de
17 Troie." Page 465, paragraphe [comme interprété] 12. Ou une "bombe
18 potentielle placée entre nos mains." Paragraphe [comme interprété] 14 de la
19 page 468.
20 En un mot commençant, M. Tudjman était d'avis que les Serbes étaient
21 beaucoup trop nombreux en Croatie et représentaient de ce fait pour cette
22 raison une menace stratégique. Paragraphe 31 de la page 444. Donc la
23 réponse à ce danger était de les déplacer ailleurs. Le président Tudjman a
24 parlé des transferts de population qui étaient nécessaires pour parvenir à
25 cette homogénéité ethnique. Paragraphe 31 de la page 444. Et à ce sujet, je
26 dirais, que les principaux membres de la direction croate étaient
27 absolument d'accord avec les dirigeants nationaux serbes, et ce, dès le
28 début. En janvier 1992, lors d'une discussion à propos de "solutions
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1 définitives" qui se fondaient sur "l'homogénéité de certaines zones,"
2 paragraphes 4 et 13 de la page 459, le président Tudjman indique au
3 dirigeant serbe de Bosnie, Koljevic, que, et je cite, "là où des problèmes
4 nationaux se posent, ce qui a été le cas pour nous, ils ont été soldés et
5 solutionnés grâce à des échanges." Paragraphe 32 de la page 459. Plus de
6 trois ans et demi plus tard, Sarinic indique à Tudjman ou fait état à
7 Tudjman de deux réunions récentes avec Milosevic, réunions au cours
8 desquelles Sarinic a indiqué à Milosevic que moins il y avait de Serbes en
9 Croatie et moins il y avait de Croates en Serbie, mieux leurs relations
10 s'en porteraient, et a rappelé à Milosevic les profondes mutations
11 démographiques qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, en lui suggérant
12 qu'il n'était pas utile d'utiliser des "mots ronflants" tels que le
13 nettoyage ethnique. Paragraphe 12 de la page 465.
14 Et ainsi, lorsque le président Tudjman s'est réuni à Brioni le 31 juillet
15 avec ses conseillers militaires qui pensaient qu'ils pourraient très
16 facilement venir à bout des quelques Serbes qui étaient très mal
17 ravitaillés, et à écouter les propositions tactiques et logistiques qui ont
18 été faites - je dis donc qu'il a écouté minutieusement leurs propositions
19 logistiques et tactiques - lors de cette réunion le président Tudjman a
20 indiqué, et je cite, "il y a quand même quelque chose qui fait défaut."
21 Paragraphe 10 de la page 461. Et leur a rappelé certains faits.
22 Il les a exhortés à se rappeler du nombre de villages croates et de villes
23 croates qui avaient été détruites, mais leur a dit que cela n'était
24 toujours pas la situation à Knin; paragraphe 461 de la page 10. Mais il a
25 fait remarquer, qu'ils avaient maintenant, et je cite, le "prétexte" pour
26 frapper Knin par des tirs d'artillerie. En sachant que le début de
27 l'offensive déclencherait la panique en quelque sorte, le président Tudjman
28 a indiqué qu'une route de sortie de Knin devait exister parce que, et je
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1 cite, "il était important que ces civils s'en aillent, et que lorsque
2 l'armée les suivra, lorsque les colonnes commenceront à se mettre en
3 marche, les deux événements auront une interface psychologique."
4 Et comme l'a dit le président Tudjman, le moment était venu d'être
5 audacieux.
6 Alors des propositions ont été présentées pour l'utilisation d'opérations
7 psychologiques qui étayaient le fait que les civils devaient sortir, cela
8 afin d'assurer leur fuite, leur départ. Miroslav Tudjman, le fils du
9 président Tudjman et le chef du renseignement secret, et le président
10 Tudjman ont proposé des messages radio indiquant que les civils partaient,
11 en leur disant quelle direction ils devaient emprunter pour que, et je
12 cite, "nous ayons le moins de choses à faire -- ou aussi peu à faire que
13 possible." Page 23, paragraphe 461.
14 Un peu plus tard, le ministre de la Défense, Gojko Susak, suggère le
15 largage de brochures ou de pamphlets, qui susciterait en eux ou leur ferait
16 comprendre, et je cite, "que vous avez réussi, que vous êtes physiquement
17 au-dessus d'eux, que vous larguez ces pamphlets, ce qui va provoquer
18 certainement une réaction." Page 29.
19 Cela afin justement de rasséréner la préoccupation des communautés
20 internationale. Comme l'a indiqué le président Tudjman, et je cite, "Cela
21 leur donne une route de sortie, tout en garantissant de façon absolument
22 manifeste leurs droits, leurs droits civils." Lorsqu'il a dit cela, il a
23 fait suivre cette phrase d'un petit ricanement. Par la suite, Susak a
24 déclaré à quel point il était satisfait des conséquences de la guerre
25 électronique qui a provoqué le départ des Serbes. Pages 4 192 et 4 193.
26 D'ailleurs, cette approche a été reprise lors d'une opération ultérieure en
27 Bosnie, au cours de laquelle la HV, placée sous les ordres du général
28 Gotovina, a largué des pamphlets qui simulaient un ordre donné par l'armée
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1 de la Republika Srpska, indiquant à la population serbe qu'elle devait
2 partir.
3 La Défense a également avancé qu'il n'y avait aucun élément de preuve
4 indiquant que les pamphlets ou les brochures avaient été soit reçus par les
5 civils serbes ou étaient destinés aux civils serbes. Même si cela est
6 exact, il n'empêche que lors de la réunion de Brioni à propos de la façon
7 de provoquer la fuite des civils, cela a été indiqué comme vous l'entendrez
8 de la part de M. Russo.
9 Et comme vous l'entendrez également ultérieurement, le président Tudjman
10 avait indiqué qu'il y avait un décalage entre le fait que les villes et les
11 villages croates avaient été attaqués et que Knin n'avait pas été touchée
12 par cette action audacieuse qu'il avait réclamée. Vous entendrez parler de
13 l'ordre qui a été donné pour faire en sorte que Knin et d'autres villes
14 soient pilonnées et cela a été suivi par cette attaque illicite. M. Russo
15 vous en parlera de façon plus détaillée, mais j'aimerais aborder un autre
16 aspect de l'entreprise commune, les incendies et la destruction.
17 Comme les éléments de preuve l'ont indiqué - et vous l'entendrez davantage
18 de la bouche de M. Hedaraly - la destruction des propriétés serbes a
19 commencé quasiment immédiatement et a perduré pendant toute la période
20 retenue par l'acte d'accusation.
21 La Défense a avancé qu'aucune déclaration expressis verbis avait été faite
22 lors de la réunion de Brioni à propos de l'objectif commun à propos de
23 crimes tels que la destruction aléatoire, les pillages, et qu'aucun élément
24 de preuve n'a permis de déduire qu'un objectif commun existait pour
25 commettre ces crimes. Mais ce qui doit être énoncé ou exprimé à tout moment
26 donné est absolument tributaire du contexte. Il y a certaines choses qu'il
27 n'ait pas besoin de formuler pour qu'elles soient comprises.
28 La Défense, d'ailleurs, a mis en exergue la portée des crimes commis
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1 par les Serbes contre les Croates et le nombre de personnes qui avaient été
2 touchées par ces crimes. Cette prise de conscience représente autant
3 d'information à propos de la discussion visant l'envoi de troupes dans une
4 zone qui symbolise cette victimisation et qui symbolise également le fait
5 qu'en l'absence de mesures préventives dignes de ce nom, il est inévitable
6 que des actes criminels de vengeance aient lieu. Cela a été rappelé par le
7 général Gotovina aux troupes qui étaient passées sous son commandement et
8 qui étaient originaires de cette zone.
9 Mais même si cela n'a pas été prononcé, fait sur le lequel la Défense
10 insiste, la réunion de Brioni a eu lieu immédiatement après les attaques et
11 les pillages de Grahovo par les forces croates. Il faut savoir que
12 pratiquement toutes les unités y ont participé et que "tout Grahovo était
13 en proie aux flammes." Ces crimes étaient connus, et cela se voit dans les
14 ordres qui ont précédé et accompagné l'opération Tempête, et qui sont
15 d'ailleurs soulignés par la Défense elle-même.
16 Donc la Défense reconnaît, même si elle le reconnaît de façon
17 indirecte, que le fait d'incendier et de piller parallèlement au fait qu'il
18 n'y avait pas de mesures de prévention dignes de ce nom, était connu des
19 personnes qui se trouvaient à Brioni alors qu'elles discutaient des départs
20 forcés de la population civile. Mais la Défense avance que c'est justement
21 ces ordres ainsi que les ordres qui ont suivi qui ont contredit toute
22 intention que les crimes se déroulent. Ils avancent que les ordres qui ont
23 été donnés par "toute la direction croate, qu'il s'agisse de la direction
24 civile ou militaire," sont tels qu'il est manifestement absurde de conclure
25 qu'il n'y avait pas d'intention véritable de les mettre en œuvre.
26 L'importance de ces ordres, toutefois, tel que cela a été reconnu par
27 la Chambre dans l'affaire Milutinovic, ne peut pas être comprise de façon
28 abstraite. L'intention qui sous-tend ces ordres doit être évaluée par
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1 rapport à la portée, à la durée et ainsi qu'à la gravité des crimes, par
2 rapport également aux véritables efforts qui ont été faits pour mettre un
3 terme à ces crimes et par rapport aux objectifs de ceux qui donnaient les
4 ordres. Lorsque des ordres sont redonnés à des soldats qui viennent juste
5 de commettre des crimes en toute impunité, lorsque des centaines de corps
6 sont rassemblés et collectés sans pour autant être suivis d'enquêtes,
7 lorsque les crimes sont niés et réfutés, lorsque les arrestations ou les
8 détentions ne sont pas exécutées, lorsque les personnes qui pourraient
9 faire état de ces crimes sont écartées, évincées, voire menacées, lorsque
10 l'on exprime une certaine satisfaction à la suite de ces crimes, en bref
11 lorsque l'on prend en considération la globalité des événements et des
12 éléments de preuve, l'on se rend compte à quel point il n'a pas été essayé
13 véritablement de mettre en œuvre et de punir ces ordres.
14 En tout état de cause, même si les éléments de preuve faisaient défaut pour
15 affirmer que l'objectif commun était de piller et de se livrer à l'incendie
16 volontaire, entre autres, il est tout à fait clair sur la base des attaques
17 citées plus haut et visant les biens serbes, qu'ils - le pillage et les
18 incendies volontaires - étaient des conséquences naturelles et prévisibles
19 de l'effort visant à chasser les Serbes de Krajina, tout comme c'était le
20 cas des meurtres et des actes inhumains commis à l'encontre de civils
21 serbes, ce qui entre dans le cadre du troisième point de l'entreprise
22 criminelle commune. Par conséquent, la question d'une entreprise criminelle
23 commune élargie ne se pose pas.
24 L'ambassadeur Galbraith, qui a rencontré régulièrement les autorités
25 croates, qui recevait des informations en provenance de nombreuses
26 concernant le caractère systématique à grande échelle de la destruction des
27 biens serbes et des crimes perpétrés par les Serbes et qui soulevait
28 constamment ces questions auprès des autorités croates, a déposé que ces
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1 crimes n'auraient pas pu avoir lieu sans l'assentiment des autorités
2 croates. Je cite :
3 "Il s'agissait de crimes graves et systématiques pour lesquels les
4 autorités croates étaient pleinement responsables. Compte tenu de la
5 discipline qui caractérisait l'armée et le fait que les autorités croates
6 en exerçaient le commandement plein et entier et étaient pleinement en
7 mesure de les prévenir, ces crimes ont été commis sur ordre, et la
8 politique menée par l'Etat a consisté à les tolérer, voire à les
9 encourager."
10 Document P444, paragraphe 46.
11 A l'inverse, la Défense insiste pour dire que d'autres représentants de la
12 communauté internationale "ont répété à plusieurs reprises qu'ils ne
13 considéraient pas le pillage et l'incendie volontaire comme faisant partie
14 d'un plan du gouvernement." Mais il est particulièrement révélateur de se
15 pencher brièvement sur la déposition que la Défense cite, notamment la
16 déposition du Témoin
17 PW-AG18.
18 Je souhaiterais maintenant, Madame et Messieurs les Juges, que nous
19 passions très brièvement à huis clos partiel.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous passons à huis clos partiel.
21 M. TIEGER : [aucune interprétation]
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un instant, Monsieur Tieger.
23 M. TIEGER : [interprétation] Excusez-moi.
24 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
25 [Audience à huis clos partiel]
27 (expurgé)
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22 [Audience publique]
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
24 Veuillez poursuivre, Monsieur Tieger.
25 M. TIEGER : [interprétation] Par conséquent, ce témoin n'a pas contredit
26 Galbraith. Il a, au contraire, corroboré ses propos. La différence
27 principale réside en ce que Galbraith a nommé ceux qui recherchaient une
28 approche plus radicale de cette question nationale et qui se trouvaient au
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1 sommet même de l'Etat : Tudjman et Susak, notamment. Cette position est
2 confirmée par un grand nombre des procès-verbaux présidentiels, comme la
3 Chambre a pu le constater.
4 Ceci est également tout à fait en accord avec la déposition du rapporteur
5 spécial, Elizabeth Rehn. Cette dernière a, en effet, indiqué qu'elle
6 n'avait pas le moindre doute quant au fait que les crimes commis par les
7 forces croates l'avaient été en application d'ordres donnés ou dans le
8 cadre d'une approbation tacite; pièce P598, page 8.
9 Quant à l'affirmation consistant à dire que les ordres viendraient démentir
10 les intentions réelles, l'ambassadeur Galbraith s'est vu soumettre cette
11 idée. Après avoir déposé en indiquant qu'il avait été mis au courant
12 d'ordres donnés visant à faire cesser ces crimes, il s'est vu poser la
13 question suivante par la Défense : si des ordres avaient été donnés visant
14 à faire cesser l'incendie volontaire de maisons, dans ce cas, le fait
15 d'autoriser des activités criminelles n'était certainement pas la politique
16 de l'Etat, n'est-ce pas ? Pages 5 077 et 78.
17 Et il a indiqué :
18 "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous venez de dire. J'ai eu
19 suffisamment d'expérience au fil des ans, et notamment pendant la période
20 où j'ai eu à remplir mes fonctions en Croatie et au contact de
21 représentants serbes et croates, j'ai suffisamment d'expérience pour les
22 avoir vus donner des ordres, les avoir entendus dire qu'ils avaient donné
23 des ordres et faire des promesses qu'ils n'avaient absolument pas
24 l'intention de tenir. Je ne crois pas que le gouvernement croate ait fait
25 la moindre tentative sérieuse de placer sous contrôle ces actes de
26 destruction, en tout cas pas avant qu'il ne reste plus rien vers quoi les
27 Serbes auraient pu revenir."
28 Page 5 078 du compte rendu.
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1 La référence que nous avons déjà entendue aux personnes qui se trouvaient
2 au gouvernement croate et qui ne partageaient pas cette approche radicale,
3 mais se trouvaient néanmoins dans l'incapacité ou ne souhaitaient pas faire
4 changer cette situation marquée par l'inaction nous fournit également une
5 indication assez révélatrice quant à l'affirmation de la Défense consistant
6 à dire qu'il serait absurde de suggérer que toute personne ayant émis des
7 ordres l'aurait nécessairement fait sans l'intention que ces ordres soient
8 suivis. Alors que les membres les plus haut placés de la direction étaient
9 dévoués à cet objectif visant à expulser de façon permanente les Serbes, il
10 est extrêmement peu probable que les membres restants auraient pu faire
11 mettre la volonté nécessaire pour contrer cette position et pour contrer
12 efficacement les menées s'y rapportant. Vous vous rappellerez notamment le
13 fait que le chef de l'administration de la police militaire Lausic a
14 expliqué la chose suivante : le fait de maintenir la discipline militaire
15 incombait en tout premier lieu aux commandants. Lausic, pièce P2159,
16 paragraphe 210 [comme interprété]. Et, comme il l'a rappelé à ses collègues
17 avant même le début de l'opération Tempête, si les commandants ne
18 s'acquittaient pas de cette tâche qui était la leur, même un nombre
19 extrêmement important de policiers militaires n'aurait pas suffi à empêcher
20 la commission des crimes; pièce D45, pages du compte rendu 15 257 à 15 258.
21 Lorsque le commandant suprême et le commandant le plus haut placé de la
22 région militaire partagent cet objectif visant à expulser les Serbes de la
23 Krajina, les chances sont bien maigres de voir cette tendance à l'impunité
24 s'inverser.
25 La Défense s'est livrée à des efforts visant à suggérer que les
26 responsabilités en matière de maintien de l'ordre et de respect de la loi,
27 ainsi que de maintien de la discipline d'individus tels que Lausic
28 entreraient dans une sorte de jeu à somme nulle, à savoir, par exemple, si
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1 Lausic avait des responsabilités, Gotovina, Cermak et Markac, quant à eux,
2 n'en auraient pas. Je dois dire que ceci est battu en brèche par les
3 règlements mêmes de la HV, par exemple, pièce P880, articles 9 et 10, page
4 15 214 du compte rendu, ainsi que par la jurisprudence qui reconnaît la
5 responsabilité des supérieurs hiérarchiques pour le comportement de leurs
6 subordonnés, ainsi que par le sens commun. Tout comme Lausic l'a lui-même
7 remarqué, cela reviendrait à se placer dans une situation similaire à celle
8 de parents qui comptent sur la police pour apprendre la discipline à leurs
9 enfants; pièce P2159, paragraphe 210. Mais à ce moment-là, on en est à un
10 stade où il est déjà beaucoup trop tard, même en supposant que la police
11 soit intéressée à agir ainsi et en ait la capacité.
12 Le fossé qui sépare le fait d'émettre un ordre et l'intention de voir cet
13 ordre mis en œuvre de façon pertinente et efficace est illustré plus avant
14 par l'ordre même avancé par la Défense. L'interdiction de Susak du 2 août
15 s'appliquant à "toute forme de comportement incontrôlé;" pièce P409, page
16 3. Comme cela est examiné plus en détail dans le mémoire final de
17 l'Accusation aux paragraphes 16, ainsi que 60 à 69, les intentions réelles
18 de Susak concernant la mise en œuvre de ces interdictions émises le 2 août
19 sont tout à fait claires; au vu de sa réaction face aux résultats obtenus
20 par les incendies volontaires systématiques à Grahovo; au vu de sa
21 déclaration consistant à dire que Grahovo à présent était "ethniquement
22 pure" et que cela constituait l'un des succès de la direction croate; au vu
23 de la façon dont il a ignoré les crimes commis par la HV, même lorsque son
24 intention a été appelée à se porter sur ces crimes par un rapport portant
25 sur la situation dans le territoire est libéré - pièce P2673, page 1 - au
26 vu de ses efforts actifs visant à nier les crimes devant la communauté
27 internationale - pièce P598, pages 5 et 6 - au vu de son rôle dans
28 l'élaboration de stratégies visant à empêcher le retour des Serbes - pièce
Page 29042
1 P466, page 9 - et de son rôle dans les opérations de nature psychologique
2 mentionnées précédemment visant à faire fuir les civils tout en
3 encourageant et en congratulant simultanément les autorités croates.
4 Le mémoire final de l'Accusation fournit une description détaillée des
5 différentes mesures prises par les autorités croates sous la supervision
6 directe des plus hauts représentants du pouvoir afin d'empêcher le retour
7 des Serbes après que la grande majorité d'entre eux aient fui. Cela est
8 disponible dans la pièce P462, page 15, discussion notamment avec le
9 président Tudjman au sujet des biens. Il s'agissait donc de confisquer les
10 biens de ceux qui ne demandaient pas une restitution de leurs biens avant
11 l'expiration d'un délai quasiment impossible à respecter et d'imposer des
12 obstacles bureaucratiques permettant de s'assurer que ces délais ne
13 pourraient pas être respectés. "L'exigence imposée aux propriétaires pour
14 qu'ils réclament la restitution de leurs biens avant le 27 décembre
15 constituait un obstacle pratiquement insurmontable pour la plupart des
16 réfugiés serbes." Pièce P650, page 9. "Les réfugiés serbes de Croatie qui
17 voulaient revenir en Croatie faisaient face à des obstacles bureaucratique
18 quasiment insurmontables."
19 Les autorités croates contrôlaient le robinet du retour et s'assuraient que
20 les Serbes ne reviendraient pas en nombre suffisant pour représenter une
21 menace à l'inversion démographique qu'ils avaient obtenue. Afin de cimenter
22 cette mutation démographique, la direction croate a appliqué une politique
23 consistant à repeupler les zones à majorité précédemment serbe de colons
24 croates de souche, y compris de personnes originaires de la diaspora.
25 Alors, la Défense Gotovina avance que la Croatie n'avait aucune obligation
26 de permettre le retour des Serbes qui, je cite, "avaient choisi de quitter
27 la Croatie pour rejoindre le territoire de l'ennemi," paragraphe 568, et
28 que la Croatie était dans son bon droit d'expulser ces individus. La
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1 Défense cite à l'appui la conclusion de la commission frontalière Erythrée-
2 Ethiopie. La Chambre de première instance a demandé de façon explicite au
3 bureau du Procureur de se pencher sur ces arguments. Cette conclusion était
4 fondée sur les constatations suivantes : premièrement, les expulsions
5 résultaient d'un système fondé sur des critères raisonnables visant à
6 identifier des binationaux considérés comme représentant une menace pour
7 l'Ethiopie en temps de guerre, c'est-à-dire qu'il s'agissait d'expulsions
8 visant des individus en application du critère raisonnable. Deuxièmement,
9 il s'agissait de départs "volontaires," consistant à se rendre sur le
10 territoire de l'ennemi, et cela comprenait des individus qui avaient
11 rejoint la cause de l'Erythrée.
12 La conclusion ne s'applique pas ici. Des considérations individuelles
13 basées sur des critères individuels montrant que quelqu'un représente une
14 menace en termes de sécurité, ne sont pas analogues à l'expulsion forcée ou
15 au transfert forcé en recourant à des pilonnages illégaux, aux pillages ou
16 à incendies volontaires. Et la conclusion concernant l'Erythrée définit ces
17 distinctions de façon spécifique dans son paragraphe numéro 89. De façon
18 similaire, les accusés ne sont pas ici considérés comme responsables
19 pénalement du départ volontaire des civils serbes, donc la question de
20 savoir si un Etat a l'autorisation ou non de leur imposer des obstacles au
21 retour est tout à fait non pertinente.
22 Cependant, la conclusion l'Erythrée nous rappelle également, par
23 ailleurs, ce en quoi ont consisté ces obstacles au retour. Parce qu'il ne
24 fait aucun doute que l'Ethiopie ne souhaitait pas que ces personnes qui
25 avaient quitté son territoire reviennent. Les obstacles au retour étaient
26 conçus afin de rendre permanent le départ des Serbes de la Krajina, et non
27 pas de Serbes, d'individus serbes qu'ils considéraient comme représentant
28 une menace, non pas de Serbes qui seraient partis volontairement, mais tout
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1 simplement d'un très grand nombre de Serbes, quelles que soient leurs
2 qualités ou leurs intentions. Comme Tudjman l'a déclaré le 30 août, je cite
3 : "Si nous laissons 204 personnes revenir ici, demain nous en aurons 1 204,
4 et dans dix jours, 12 000. Pour le moment, nous ne ferons rien." P466, page
5 25, 26. Comme Sarinic l'a dit concernant la Slavonie occidentale, je cite :
6 "C'était très positif pour nous, parce que personne là-bas n'est revenu."
7 Case P466, page 25. De cette façon également, on voit un autre représentant
8 dire à Tudjman, je cite :
9 "Le problème serbe en Slavonie occidentale a été résolu."
10 Le président Tudjman était tellement déterminé à cimenter cette
11 mutation démographique qu'il a rejeté la proposition visant à permettre à
12 des Croates de revenir, Croates qui avaient été expulsés de leurs maisons
13 en Posavina de Bosnie, parce qu'il craignait que le même principe ne
14 s'applique ensuite en Croatie, et que cela permettrait à un grand nombre de
15 Serbes qui avaient fui Knin et la Slavonie occidentale de revenir en
16 Croatie. Comme il l'a dit lui-même, je cite :
17 "Si nous demandons le retour de ces 100 000 Croates de Posavina, dans
18 ce cas-là, les 300 000 Serbes qui ont quitté la Croatie demanderont eux
19 aussi à revenir. Case P469."
20 Donc des Croates innocents, eux aussi, tout comme de nombreux Serbes
21 innocents ont été sacrifiés à la vision d'un Etat croate ethniquement
22 homogène.
23 En bref, l'impossibilité du retour ne concernait pas l'application de
24 critères individualisés ou ne découlait pas de difficultés bureaucratiques.
25 Comme Tudjman l'a dit clairement à Galbraith, les Serbes ne devaient pas se
26 voir permettre de revenir. P445, paragraphe 16. Comme il l'a d'ailleurs dit
27 plus tard également à des dignitaires auxquels il rendait visite --
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les interprètes ont parfois du mal à
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1 vous suivre, Monsieur Tieger, ainsi que les sténotypistes. Je vous prie de
2 bien vouloir en tenir compte.
3 M. TIEGER : [interprétation] Et comme cela est également reflété dans une
4 dépêche contemporaine, je cite :
5 "Loin d'être disposé à s'excuser, Tudjman, hier, a déclaré devant une
6 délégation du congrès qu'il serait impossible pour ces Serbes de revenir
7 sur les territoires où leurs familles avaient vécu pendant des siècles.
8 P447."
9 Tudjman était fier de ce qui avait été obtenu, et il n'allait pas permettre
10 que cela soit défait. Alors, si l'on se penche sur les termes qui sont les
11 siens lors de la célébration annuelle de la fin de l'opération Tempête, je
12 cite :
13 "Les résultats que nous avons obtenus sont d'une importance historique.
14 Nous avons restauré et repris la ville croate de Zvonimir (c'est-à-dire
15 Knin), nous l'avons rendue à la patrie croate aussi pure qu'elle était à
16 l'époque de Zvonimir. P74, page 3."
17 Cet accomplissement dont le président Tudjman était aussi satisfait, à
18 savoir une ville de Knin ethniquement pure, n'était pas un accomplissement
19 uniquement pour lui. C'était également le résultat des actes et des
20 omissions de tout un groupe, y compris les trois accusés qui avaient mis en
21 œuvre l'objectif commun visant à obtenir précisément ce résultat.
22 Je voudrais, Monsieur le Président, me pencher brièvement sur l'une des
23 questions soulevées par la Chambre dans une question adressée aux parties
24 concernant la question de savoir si nous avions affaire ou non à un conflit
25 international.
26 A cet égard, je voudrais relever la chose suivante : la distinction entre
27 un conflit de nature internationale ou non internationale n'est pas
28 pertinente en l'espèce. Aucun crime en application de l'article 2 n'a été
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1 placé dans l'acte d'accusation, si bien que la Chambre de première instance
2 n'est tout simplement pas amenée à faire cette distinction. La seule
3 question pertinente, c'est celle de savoir s'il y avait un conflit armé, et
4 les parties conviennent de cela.
5 Cependant, si la Chambre devait considérer qu'il lui appartient de
6 qualifier le conflit d'international ou de non international, nous
7 souhaitons relever la chose suivante : la Chambre dans Tadic, a relevé
8 qu'un conflit est international si un autre Etat intervient dans ce conflit
9 par l'intermédiaire de ses forces armées, ou si certains participants
10 agissent au nom de l'Etat. Tadic, paragraphe 84. Les éléments de preuve
11 sont extrêmement abondants en ce sens. Je vais simplement citer un certain
12 nombre de catégories. Premièrement, la participation directe des forces
13 extérieures, y compris la JNA et le HVO. Deuxièmement, les opérations
14 militaires à l'extérieur des frontières, en tant que partie de l'effort
15 général visant à écraser les Serbes de Krajina. Troisièmement, la
16 dépendance des dirigeants militaires et politiques de la RSK à l'égard des
17 dirigeants serbes et de la VJ. Quatrièmement, le fait qu'une grande partie
18 des arguments de la Défense présupposait la nature internationale du
19 conflit, y compris dans le besoin d'infliger une défaite finale à la RSK,
20 en s'aventurant en Bosnie bien avant l'opération Tempête, et après cette
21 dernière, tout comme les éléments de preuve détaillés dans les paragraphes
22 44 à 49 du mémoire final de Gotovina le détaillent.
23 Quant à la fin de ce conflit armé, les dispositions légales applicables
24 sont tout à fait claires quant au droit international applicable, à partir
25 du début d'un conflit armé, et au-delà de la fin des hostilités, jusqu'au
26 moment où un accord de paix ou un règlement pacifique est obtenu. Tadic,
27 paragraphe 70. Ce règlement pacifique ne s'est pas produit avant les
28 accords d'Erdut en novembre et l'accord de Dayton en décembre 1995, qui a
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1 mis fin au conflit dans son ensemble. Ce qui figure dans la pièce P451, aux
2 pages XX et XXI.
3 Madame, Messieurs les Juges, merci pour votre attention. M. Russo va
4 maintenant s'adresser à vous concernant la question des pilonnages
5 illégaux, de l'expulsion forcée, des transferts forcés.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger. Je vous
7 remercie, Monsieur Tieger.
8 Monsieur Russo, lorsque vous serez prêt, vous pourrez commencer.
9 M. RUSSO : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour à vous,
10 Madame, Messieurs les Juges de la Chambre, et bonjour à chacun dans le
11 prétoire et autour du prétoire.
12 Je vais parler à présent des attaques d'artillerie illégales qui sont sous-
13 tendues par un certain nombre de chefs d'accusation, des transferts forcés
14 de population, et des actes de déportation qui font partie de la
15 responsabilité individuelle et de la contribution de l'entreprise
16 criminelle commune des généraux Gotovina et Markac.
17 Je commencerai pas expliquer comment les pilonnages ont provoqué la fuite
18 des civils avant de démontrer le caractère illégal de ces pilonnages.
19 La thèse de l'Accusation, pour la résumer, consiste à dire que la
20 réunion de Brioni a permis la mise au point d'un projet criminel destiné à
21 contraindre les civils serbes à fuir la Croatie en les prenant pour cibles
22 grâce à un ensemble de frappes d'artillerie et d'opérations psychologiques.
23 Ce projet a été mis en œuvre avec succès pendant l'opération Tempête par
24 des pilonnages aveugles de la population civile serbe dans ces grands
25 centres d'habitation et par l'usage ambigu de tracts et d'émissions de
26 radio disant aux Serbes qu'ils fuient la Croatie. Les éléments de preuve ne
27 pouvaient pas être plus clairs ou plus cohérents en démontrant que c'est
28 exactement ce qui s'est passé. Tous les arguments évoqués par la Défense
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1 sont soit dépourvus de pertinence, soit contredits par l'ensemble des
2 éléments de preuve.
3 Un exemple, la Défense Gotovina affirme que des évacuations massives
4 et planifiées à l'avance ont été la seule cause de la fuite des civils.
5 La Chambre Milutinovic a reconnu que les réalités de la guerre ne
6 sont pas toujours aussi simples que le laisse penser la Défense, et que le
7 fait que les gens ont quitté leur domicile peut être dû à diverses raisons,
8 y compris des consignes de départ, mais que cela n'absout en aucun cas les
9 accusés vis-à-vis d'un comportement illégal qui a été la première cause de
10 la fuite des civils. Donc la Chambre Milutinovic a reconnu ce fait et le
11 fait que des gens aient donc pu quitter leurs domiciles pour diverses
12 raisons, y compris parce qu'on leur en avait donné instruction, ne permet
13 pas de justifier, d'excuser l'attitude des accusés. Jugement Milutinovic,
14 volume 2, paragraphes 1 175 et 1 176.
15 Mais même s'il y a eu évacuation planifiée à l'avance, ce qui n'est pas
16 corroboré par les faits, ceci serait dépourvu de pertinence, car des
17 victimes civiles en personne ont témoigné en affirmant avoir fui à cause de
18 pilonnages illégaux. La Défense a écarté les éléments de preuve apportés
19 par les témoins sur cette question, mais la Chambre ne le fera pas. Parce
20 que la seule question pertinente qui se pose c'est qu'elle est la raison
21 qui a provoqué la cause, qui a provoqué la fuite des civils.
22 Des civils qui ont été témoins de cette affaire en particulier
23 Dopudj, Ilic, Torbica, et le témoin P54, ont déclaré de façon très précise
24 avoir fui en raison des pilonnages illégaux.
25 D'autres témoins ont déclaré dans leur déposition avoir fui le plus
26 rapidement possible dès que les pilonnages ont commencé ou bien ont évoqué
27 précisément les pilonnages au nombre des raisons qui les ont poussés à
28 fuir. Page 548 [comme interprété], paragraphe 4; P726, page 2; pièce P630,
Page 29049
1 paragraphe 4; et compte rendu d'audience
2 page 2 855.
3 Quant à ceux qui ont fui après le début des pilonnages, on en trouve
4 mention dans notre mémoire final aux paragraphes 615 à 630.
5 Des rapports rédigés à l'époque et émanant de l'armée de Croatie, ainsi que
6 des observateurs internationaux, confirment que les civils ont commencé à
7 fuir leurs villes et villages très peu de temps après le début des
8 pilonnages et en tout état de cause, bien avant la décision d'évacuer. Ceci
9 est confirmé dans le document de l'Accusation. Le fait qu'un nombre aussi
10 important de témoins civils en espèce n'aient jamais entendu parler d'un
11 ordre d'évacuation et encore moins de plan destiné à organiser et à assurer
12 un départ permanent des habitants de leurs résidences ancestrales dans la
13 Krajina démontre encore davantage, si cela était nécessaire, le peu
14 d'importance que l'on doit accorder à la théorie de la Défense, et ceci est
15 une question que la Chambre devra trancher de façon définitive.
16 Monsieur le Président, je vais maintenant demander un passage à huis clos
17 partiel quelques instants pour discuter de certains éléments.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Huis clos partiel, je vous prie.
19 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,
20 Monsieur le Président.
21 [Audience à huis clos partiel]
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22 [Audience publique]
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière.
24 M. RUSSO : [interprétation] Jovan Dopudj a vu des gens qui étaient en train
25 de s'enfuir d'Obrovac à destination des villages environnants dès le début
26 des pilonnages, et a vu que ces pilonnages s'étendaient très rapidement aux
27 villages avoisinants. Pièce 548, paragraphes 3 et 4.
28 A 10 heures du matin, les pilonnages s'étaient répandus jusqu'aux villages
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1 environnant les routes qui relient Obrovac à Benkovac, à savoir Krusevo,
2 Bilisane et Zelengrad, ainsi qu'aux villages situés sur la route qui relie
3 Obrovac à Gracac. A savoir Zaton et Muskovci.
4 Et nous voyons ici la déclaration de M. Dopuc, pièce P548, paragraphe
5 8, où il déclare, je cite :
6 "La façon dont les attaques se sont répandues à partir de la ligne
7 d'Obrovac vers les autres villages, rendait le retour impossible à quelque
8 moment que ce soit. Cela montrait que l'objectif de l'opération était de
9 nettoyer le territoire des Serbes pour les expulser de cette région."
10 Ce dernier commentaire ne peut pas être écarté en tant que simple
11 expression d'une opinion personnelle, parce que ce que les civils pensaient
12 et ressentaient comme étant le résultat direct du pilonnage illégal de
13 leurs villes c'est la cause principale et déterminante de leur fuite.
14 L'expérience terrifiante de voir son domicile attaqué par de l'artillerie
15 ne peut jamais être exagérée ou agrandie d'une quelconque façon, et l'effet
16 terrorisant d'une attaque aveugle est bien établie en espèce.
17 Nous avons vu les témoins les uns après les autres comparaîtrent devant
18 cette Chambre pour nous dire avoir vu la maison de leurs voisins en flammes
19 ainsi que des entreprises en flammes. Ils ont témoigné en parlant des
20 heures de panique et d'incertitude que eux-mêmes et d'autres ont vécu,
21 alors qu'ils cherchaient à s'abriter dans des caves ou qu'ils prenaient la
22 fuite pour sauver leur vie à bord de tracteurs afin d'échapper au pilonnage
23 de leurs villes et de leurs villages. Paragraphes 613 [comme interprété] à
24 630 de notre mémoire final.
25 Andries Dreyer, un responsable de la sécurité des Nations Unies qui a
26 dirigé les efforts destinés à sauver les civils des pilonnages a déclaré
27 dans sa déposition qu'il les avait trouvés dans un état de choc et de
28 panique extrême et qu'il avait été contraint d'en frapper certains en leur
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1 donnant une gifle et d'en transporter d'autres dans ses bras parce qu'ils
2 ne pouvaient pas marcher.
3 Les effets naturels et inévitables d'une telle attaque sur des civils
4 consiste à créer la peur, la panique et l'incertitude, et pas seulement
5 pendant les moments où ils sont en danger immédiat par rapport aux tirs
6 d'artillerie, mais aussi lorsqu'ils se rendent compte que le même sort les
7 attend au moment où les soldats croates qui les attaquaient à l'artillerie
8 sont arrivés dans leurs villes et villages des fusils à la main.
9 Vida Gacesa, habitant de Gracac qui a fui les pilonnages, résume
10 parfaitement toute cette situation dans sa déclaration. Pièce P191 [comme
11 interprété], paragraphe 13 :
12 "Le fait que nous avions été pilonnés toute la journée, le fait que nous
13 étions inquiets de nous retrouver seuls dans le village la nuit et la
14 panique qui avait été créée dans la population ont été les raisons qui nous
15 ont décidés à suivre les autres, même si nous ne savions pas où nous
16 allions."
17 Cet élément de preuve, ainsi que d'autres émanant des victimes en personne,
18 conduit à une seule conclusion raisonnable, à savoir que toutes ces
19 personnes ont pris la fuite pour échapper aux attaques d'artillerie
20 illégales et de grande ampleur qui visaient leurs villes et villages.
21 Je vais maintenant parler des attaques d'artillerie illégales menées par
22 les généraux Gotovina et Markac, dans l'application du plan issu de
23 l'entreprise criminelle commune. Je commencerai par les éléments de preuve
24 montrant que des membres de l'entreprise criminelle commune, ou ECC
25 avaient l'intention de procéder à une attaque illégale contre la population
26 civile serbe. Je discuterai ensuite des méthodes et des moyens qui ont été
27 choisis pour mener à bien cette attaque, qui en démontrent le caractère
28 illégal et l'intention préexistante. Et en conclusion, je terminerai en
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1 revenant sur des éléments de preuve qui montrent que l'attaque était, en
2 fait, dirigée contre la population civile.
3 -- premier point; ou qu'elle était une attaque aveugle, deuxième point; ou
4 qu'elle était une attaque disproportionnée, troisième point.
5 L'Accusation a présenté des éléments de preuve destinés à mettre en
6 évidence les trois aspects d'illégalité de cette attaque et de les mettre
7 en évidence au-delà de tout doute raisonnable. Mais la Chambre n'a besoin
8 que de se pencher sur la question du caractère disproportionné de l'attaque
9 d'artillerie, qui est aisément démontré lorsque l'on constate que les
10 frappes d'artillerie ordonnées par les généraux Gotovina et Markac étaient
11 dirigées contre la population civile, ou étaient en tout cas des actes
12 aveugles, en application du plan criminel commun décidé à Brioni. Dans tous
13 les cas, l'Accusation a établi le caractère illégal de ces attaques
14 d'artillerie.
15 La nature indiscriminée de ces attaques et l'intention qui présidait à ces
16 attaques, à savoir chasser les civils hors de leurs domiciles, sont
17 corroborées par les accusés ainsi que par les co-conspirateurs, et nous en
18 trouverons également la démonstration dans la cohérence remarquable que
19 nous trouvons entre les déclarations et les actes, comme le montrent les
20 rapports de l'époque et comme le montrent les propos des témoins des
21 événements, c'est-à-dire des témoins qui ont vécu ces attaques
22 d'artillerie. C'est donc la seule explication raisonnable de cette
23 cohérence entre les actes et les paroles, à savoir que les accusés ont dit
24 ce qu'ils allaient faire et ont fait ce qu'ils avaient dit.
25 Comme M. Tieger l'a déjà discuté dans son exposé, M. Tudjman a mis au point
26 un plan à la réunion de Brioni qui avait pour but de saisir l'occasion
27 politique pour provoquer la fuite massive des civils à l'aide d'un ensemble
28 d'opérations psychologiques et d'attaques d'artillerie illégales. Les
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1 généraux Gotovina et Markac ont activement participé à ce débat et ont mené
2 à bien ces opérations dans le respect de ce qui avait été décidé. Pièce
3 P461, pages 10 à 15 pour le général Gotovina; pièce P461, pages 18 à 19
4 pour le général Markac, à titre d'exemple.
5 Monsieur le Président, je vais maintenant aborder un nouveau sujet avec
6 plusieurs diapositives, et je vois que l'heure de la pause approche.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, nous approchons de l'heure de
8 la pause. C'est donc un moment opportun pour la faire, et nous interrompons
9 donc l'audience pour la reprendre à 11 heures moins 10.
10 --- L'audience est suspendue à 10 heures 25.
11 --- L'audience est reprise à 10 heures 59.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo, vous pouvez procéder.
13 M. RUSSO : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
14 La Défense Gotovina demande à la Chambre de laisser de côté le sens évident
15 des propos de M. Tudjman et d'autres à Brioni lorsqu'ils ont parlé de faire
16 partir les civils et de remplacer à ce sens manifeste une explication
17 beaucoup plus bénigne qu'aucun témoin n'a corroborée et qui est
18 déraisonnable, étant donné les dépositions directes qui montrent
19 l'intention qui était bien de contraindre les civils au départ. La Défense
20 aimerait que la Chambre admette que toutes ces déclarations ne sont que des
21 actes de reconnaissance indiquant que la fuite des civils aurait été un
22 effet secondaire d'une action militaire légale. La Chambre doit
23 s'interroger en se demandant : Pourquoi autant de planifications et de
24 débats ont dû intervenir pour provoquer un simple effet secondaire ? Pour
25 quelle raison ?
26 Le président Tudjman nous le dit dans la pièce P451, page 15 :
27 "Il est important que ces civils s'en aillent."
28 L'indication expresse venant de sa part selon laquelle ceci était important
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1 signifie qu'il s'agissait bien d'un objectif défini, et pas éventuellement
2 d'un effet secondaire.
3 Aucune autre lecture de ce fait n'est raisonnable, car dans le cas
4 contraire, pourquoi est-ce que l'on aurait planifié de lancer des tracts
5 disant aux civils qu'il fallait qu'ils s'en aillent ? Gojko Susak nous dit
6 pourquoi dans la pièce P461, page 29 : Le largage de tracts "va provoquer
7 quelque chose."
8 Si la fuite des civils n'était qu'un simple effet secondaire, pourquoi est-
9 ce qu'il aurait fallu planifier les axes selon lesquels les civils serbes
10 devaient fuir ? M. Miroslav Tudjman nous dit pourquoi dans la pièce P461,
11 page 23 :
12 "De façon à ce que nous ayons le moins de travail possible."
13 Dans l'ouvrage dont il est l'auteur, le général Gotovina admet avoir
14 utilisé des tracts largués en direction de la population civile. Comme nous
15 le voyons dans la pièce P113, page 456, il affirme même que cette action a
16 été couronnée de succès :
17 "S'il n'y avait pas eu les tracts, ils seraient certainement restés."
18 La Défense Gotovina affirme que le général Gotovina se trompe sur ce point
19 et que des tracts n'ont été utilisés qu'en Bosnie et que l'Accusation n'a
20 présenté aucun témoin ayant déclaré avoir reçu un tract. Mais le récit du
21 général Gotovina est confirmé par le Témoin Marija Vecerina, qui a trouvé
22 l'un de ces tracts dont l'auteur est faussement présenté comme l'armée de
23 la République serbe de Krajina sur le mont Velebit et qui a pris la fuite
24 selon un itinéraire indiqué dans ce tract.
25 Donc il est clair que le plan de Brioni consistait à faire fuir les civils
26 à l'aide d'actions psychologiques et qu'il a été mené à bien avec succès.
27 Passons maintenant à l'emploi de l'artillerie. Les mots utilisés par
28 Tudjman à Brioni étaient clairs et sans ambiguïté. Comme nous le voyons à
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1 la lecture de la pièce P461, page 10, il rappelle à chacun le nombre de
2 villes et de villages croates qui ont été détruits, en regrettant que Knin
3 n'ait pas subi le même sort. Tudjman a pris soin d'éviter les conséquences
4 politiques d'une destruction complète de Knin par l'artillerie qui,
5 d'ailleurs, a été proposée par le général Gotovina. Mais Tudjman a lancé un
6 avertissement à chacun en indiquant qu'il serait peu opportun de recourir à
7 cette méthode, comme nous le voyons dans la pièce P461, page 11, où il
8 propose de "leur donner un avant-goût, ensuite nous nous ferons
9 rembourser."
10 Ce plan qui prévoyait de recourir à une dose mesurée de frappes
11 d'artillerie illégales contre les Serbes était conforme au plan prévoyant
12 d'éviter toute condamnation internationale, mais également aux efforts
13 visant à préserver la population civile dans les centres d'habitation les
14 plus importants par rapport aux destructions de façon à ce que ces zones
15 puissent être rapidement repeuplées par des Croates, et vous entendrez
16 d'autres détails au sujet de ces efforts dans l'exposé de M. Carrier. Donc
17 Tudjman dit clairement qu'il prévoit d'utiliser l'artillerie afin de faire
18 partir les civils serbes et que ceci doit être déguisé pour prendre la
19 forme d'un recours légitime à l'artillerie. Page 461, page 10, il déclare
20 dans cet élément de preuve :
21 "…leur contre-attaque à partir de Knin, et cetera, ceci fournira une bonne
22 justification de cette action, et en conséquence nous aurons le prétexte de
23 frapper, si nous le pouvons, avec de l'artillerie…"
24 Donc il n'y a aucun doute, aucune interprétation fautive possible de ce mot
25 qu'il utilise, le mot "prétexte." La seule explication raisonnable qui
26 justifie d'avoir besoin d'un prétexte consiste en la volonté de déguiser la
27 vérité de ces actes et de ces motifs dans le recours à l'artillerie contre
28 les zones peuplées par des civils.
Page 29057
1 Le 26 juin 1995, à peu près un mois avant la réunion de Brioni, l'état-
2 major principal de l'armée de Croatie émet une directive qui concerne,
3 entre autres, le recours à l'artillerie dans l'opération Tempête. Pièce
4 D956, page 6; nous la voyons à l'écran. La Défense admet que la
5 planification du général Gotovina était régie par cette directive, mais
6 elle ne propose aucun débat, aucune explication pour expliquer pour quelle
7 raison celle-ci s'en est autant écartée. Manquent également à la discussion
8 les horaires, le moment où cet écart a lieu; or, il s'est produit
9 immédiatement après la réunion de Brioni.
10 La directive indique clairement que l'artillerie devrait se concentrer sur
11 la neutralisation de deux cibles uniquement qui sont à l'intérieur de la
12 ville de Knin : premièrement, l'état-major général, qui est l'immeuble du
13 QG de l'armée de la République serbe de Krajina; et deuxièmement, le
14 commandement du 7e Corps qui, à l'époque, se trouvait dans la caserne du
15 nord. Par ailleurs, l'artillerie doit se concentrer sur les postes de
16 commandement des brigades, sur les concentrations des effectifs ennemis,
17 sur l'artillerie et les blindés de l'ennemi, ainsi que sur les dépôts de
18 munitions et de carburant "dans le secteur de Knin et de Benkovac."
19 Mais cette directive est particulièrement importante dans ce qu'elle ne dit
20 pas. Elle ne dit pas que l'artillerie doit être utilisée contre la
21 population civile d'Obrovac, de Gracac ou de Drvar.
22 Immédiatement après la réunion de Brioni, toutefois, le général Gotovina
23 donne ordre à son chef de l'artillerie, qui a assisté à cette réunion, de
24 commencer la sélection des cibles de l'opération Tempête.
25 Comme nous le savons, à la lecture de son ordre d'attaque, ces cibles
26 comprenaient des villes entières qui ne voient même pas leurs noms figurer
27 dans cette directive de l'état-major principal. Ce qui prouve que le plan
28 initial prévoyant d'utiliser l'artillerie a été modifié par le général
Page 29058
1 Gotovina suite à la réunion de Brioni dans le but que des villes entières
2 habitées par des Serbes soient les cibles des tirs d'artillerie. Dans son
3 ordre d'attaque, que nous voyons ici à l'écran, c'est la pièce P1125, en
4 page 14, Gotovina ordonne de façon très claire à son artillerie "de
5 soumettre les villes de Drvar, Knin, Benkovac, Obrovac et Gracac à des tirs
6 d'artillerie."
7 Cet ordre ne correspond pas à la directive de l'état-major général, mais
8 correspond au plan de Brioni destiné à faire partir les civils, car il
9 ordonne sans ambiguïté une attaque directe des populations civiles serbes.
10 En l'absence de tout appui crédible de la part des éléments de preuve, la
11 Défense Gotovina affirme que tout le monde avait connaissance de la
12 signification exacte de cet ordre, qui était de ne tirer que sur des cibles
13 militaires spécifiques à l'intérieur de ces villes. Rien dans l'ordre en
14 tant que tel, ou dans son mode d'exécution, ne permet d'étayer cette
15 conclusion. Aucune référence n'y figure, qu'elle soit sous forme de texte
16 ou sous forme de tableau, ou quelque autre forme, en dehors des détails que
17 l'on trouve au sujet des cibles alléguées à l'intérieur des villes.
18 L'ordre du général Gotovina est détaillé et très précis du point de vue de
19 la mission qui doit être menée à bien, de ceux qui doivent la mener à bien
20 et du moment et des méthodes selon lesquelles il doit être mené à bien. Les
21 détails précis qui figurent dans la façon dont les missions sont assignées
22 dans cet ordre ne permettent pas à la Chambre d'admettre l'explication
23 déraisonnable de la Défense, notamment au vu du fait que cet ordre a
24 effectivement été exécuté.
25 La Défense Gotovina affirme également que l'inclusion de Drvar dans
26 cet ordre ne correspond pas au plan de Brioni visant à expulser les civils
27 du territoire de Croatie. Le général Gotovina répond à cet argument en
28 personne dans son ordre de nomination d'un commandant à Drvar; qui
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1 constitue la pièce D656, page 1, où il explique que Drvar est "un secteur
2 qui est prévu pour l'installation de Croates déplacés."
3 Les efforts visant à repeupler des secteurs en Bosnie occidentale
4 avec des habitants croates sont très manifestes également et bien connus du
5 partisan politique de la Croatie, à savoir les Etats-Unis.
6 Dans la pièce P447, page 1, nous voyons que l'ambassadeur Galbraith
7 des Etats-Unis envoie un télégramme privé et codé au secrétaire d'Etat
8 américain dans lequel il évoque une stratégie destinée à créer un "cordon
9 sanitaire serbe autour des territoires les plus importants pour les
10 Croates… en détruisant des villes serbes en Bosnie occidentale." Et que
11 l'inclusion de Drvar donc correspond tout à fait à ce plan destiné à faire
12 partir les Serbes pour y faire venir des Croates.
13 La Défense laisse penser à tort que tout élément de preuve indiquant que
14 les tirs de l'artillerie de l'armée croate sur l'armée de la Republika
15 Srpska au niveau des fronts ou sur d'autres objectifs militaires ne
16 correspondent pas à la position de l'Accusation selon laquelle Gotovina
17 aurait dit précisément ce qu'il voulait dire dans son ordre d'attaque
18 d'artillerie. Mais le général Gotovina a, en fait, émis deux ordres
19 relatifs à l'utilisation de l'artillerie. Pièce P1125, page 14. Un ordre
20 consistait à tirer sur des objectifs militaires ennemis situés sur les
21 fronts, les postes de commandement, et cetera; et un autre ordre,
22 totalement distinct, ordonnait l'emploi de l'artillerie contre des villes
23 entières. Les deux ordres ont été exécutés.
24 Dans les mêmes rapports, l'armée de Croatie précise également qu'il faut
25 tirer sur des villes entières et prendre pour cibles ces villes ainsi que
26 leurs environs. Je vais vous donner quelques exemples, la pièce P2533, page
27 3, où le rapport du groupe d'artillerie selon lequel il fallait "soumettre
28 Knin à des tirs d'artillerie intenses."
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1 Nous avons également des tirs qui prévoyaient de viser des immeubles
2 d'habitation à Knin, le bureau de poste, le poste de police, et cetera.
3 Pièce P1200, page 2, 134e Régiment de la Garde nationale :
4 "Dans les premières heures, nous n'avons eu aucun soutien du Groupe
5 opérationnel de Zadar en dehors des pilonnages du secteur entier de
6 Benkovac sans supervision, et le message de 5 heures 30 du matin qui se lit
7 comme suit : Est-ce que quelque chose est tombé à Benkovac ?"
8 P71, page 82, le chef de l'artillerie du général Gotovina lui rend compte :
9 "Attaques d'artillerie contre des villes ennemies. Les choses ont été
10 faites à la demande de nos unités."
11 Puis je propose à la Chambre également la lecture des pièces P1277, page 2
12 -- et pièce P2436, page 6, où l'on voit que le Groupe opérationnel de Zadar
13 rend compte de tirs "sur Gracac."
14 Ces éléments de preuve correspondent tout à fait à la lecture évidente de
15 l'ordre du général Gotovina et du plan de Brioni qui consistait à exploiter
16 un prétexte pour recourir à l'artillerie contre des civils. L'ordre du
17 général Gotovina a été transmis de façon pratiquement littérale, ce qui
18 confirme que les mots qui y figuraient étaient faciles à comprendre. Ses
19 subordonnés ont reconnu qu'il pensait ce qu'il disait et ils ont transmis
20 cet ordre sans autre explication ou précision.
21 Nous avons également la pièce D970, page 3, qui vient du chef de
22 l'artillerie de la Région militaire de Split :
23 "Soumettre les villes suivantes à des tirs d'artillerie : Drvar,
24 Knin, Benkovac, Obrovac et Gracac."
25 Puis nous avons également un autre document qui vient du commandement
26 du Groupe opérationnel de Zadar :
27 "Déverser les tirs sur les villes de Benkovac et Obrovac."
28 Et enfin, la pièce P1201, page 4. C'est le chef d'artillerie du
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1 Groupe opérationnel de Zadar qui parle :
2 "Soumettre ces villes à des tirs : Benkovac, Obrovac et Gracac."
3 Le sens très évident de l'ordre du général Gotovina ressort également de la
4 façon dont laquelle cet ordre a été exécuté. Ce qui m'amène à discuter des
5 méthodes et des moyens utilisés dans le cadre de cette attaque, méthodes et
6 moyens qui ont violé le principe de distinction et révélé l'intention de
7 prendre direction pour cible des civils.
8 Comme nous l'avons vu dans l'ordre du général Gotovina et dans les rapports
9 de l'époque envoyés par ses hommes, la méthode utilisée dans cette attaque
10 est en violation du principe de distinction car elle traite des villes
11 entières peuplées de civils comme des cibles. Comme la Chambre d'appel
12 Milosevic l'a reconnu, la nature aveugle d'une attaque est un indice très
13 puissant qui démontre, en fait, que l'attaque est dirigée contre la
14 population civile.
15 Comme je l'ai déjà démontré, cette décision de prendre pour cibles des
16 villes entières en s'écartant de la première directive de l'état-major
17 général eu égard à l'emploi de l'artillerie a été élaborée à la réunion de
18 Brioni en accord avec le plan consistant à chasser les civils. Le rapport
19 de Rajcic adressé au général Gotovina, selon lequel l'attaque était dirigée
20 contre "des villes ennemies," montre que la population civile serbe était,
21 en fait, considérée comme un ennemi et comme la cible de l'attaque.
22 S'agissant des moyens utilisés pour mener à bien cette attaque, les armes
23 choisies par le général Gotovina n'avaient pas capacité à discriminer entre
24 des objectifs militaires et civils étant donné les circonstances et ont
25 constitué donc une violation du principe de distinction. Ceci est
26 particulièrement vrai des lance-roquettes multiples, des salves
27 d'artillerie à partir de déserts et de l'emploi de munitions à
28 fragmentation par le général Gotovina dans son attaque de Knin.
Page 29062
1 L'argument de la Défense Gotovina, pièce 259 [comme interprété],
2 selon lequel le principe de proportionnalité part de l'idée qu'aucune
3 attaque ne peut toucher uniquement les objectifs prévus, omet de
4 reconnaître que le principe de proportionnalité ne s'applique que lorsque
5 l'attaque, ainsi que les méthodes et les moyens utilisés dans le cadre de
6 cette attaque sont effectivement capables de distinguer entre des objets
7 militaires et civils.
8 Le fait de savoir si les armes utilisées par le général Gotovina ont permis
9 de respecter le principe de distinction n'est pas l'analyse principale,
10 contrairement à ce que laisse entendre la Défense, parce que l'article
11 51(4) de l'annexe 1 au protocole de Genève indique clairement qu'il importe
12 de mener une analyse au cas par cas pour aboutir à une telle conclusion. La
13 Chambre doit donc se prononcer sur le fait de savoir si l'emploi de
14 l'artillerie et des roquettes par le général Gotovina dans ces
15 circonstances particulières de l'espèce a permis de respecter le principe
16 de distinction. Lorsqu'elle se prononcera sur ce point, la Chambre doit se
17 pencher sur le fait de savoir si le général Gotovina a tiré sur des cibles
18 ponctuelles dans des quartiers résidentiels situés à 20 à 27 kilomètres de
19 distance, si les armes utilisées étaient destinées à frapper au-delà de ces
20 cibles et si lui était au courant de cela.
21 Dans ces circonstances, les armes qu'il a choisies étaient de nature à
22 frapper aussi bien des cibles militaires que civiles sans distinction, ce
23 qui rend superflue toute analyse de proportionnalité.
24 Dans l'ouvrage dont il est l'auteur, le général Gotovina indique uniquement
25 que des canons de 130-millimètres ont été utilisés contre Knin, mais ce
26 qu'il admet et qui a son importance c'est l'emploi des lance-roquettes
27 multiples. Cette omission très parlante révèle qu'il était au courant du
28 fait que les lance-roquettes multiples qu'il a utilisées à Knin ne
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1 pouvaient pas se justifier.
2 Tous les témoins ayant quelques connaissances d'artillerie en espèce,
3 et en particulier le chef de l'artillerie du général Gotovina, ont déclaré
4 dans leur déposition que les lance-roquettes multiples sont des armes de
5 zone dont l'emploi n'est pas opportun contre des cibles ponctuelles situées
6 dans des quartiers résidentiels.
7 Un parfait exemple de cela c'est l'immeuble du QG de l'armée de la
8 République serbe de Krajina, dont la Défense prétend qu'elle a été l'une
9 des cibles principales des tirs aux lance-roquettes multiples. Pas une
10 seule roquette tirée par les lance-roquettes multiples sur les centaines de
11 tirs qui ont visé Knin n'a touché l'immeuble du QG de la République serbe
12 de Krajina, contrairement aux éléments de preuve indiquant que des tirs de
13 lance-roquettes auraient touché ce bâtiment.
14 Le fait que pas une seule roquette n'ait été capable de toucher sa
15 cible prouve le caractère aveugle des tirs dû à ces armes dans de telles
16 circonstances. Etant donné le manque de précision et l'emploi de grande
17 ampleur de lance-roquettes multiples à Knin, des roquettes ont atterri dans
18 des secteurs situés un peu partout dans la ville, y compris dans des
19 quartiers résidentiels situés non loin de cibles militaires dont il était
20 présumé qu'elles étaient visées.
21 Et si les lance-roquettes multiples ne sont pas capables d'une
22 distinction nécessaire dans de telles circonstances, les éléments de preuve
23 montrent également que l'armée de Croatie a délibérément pris pour cible
24 des quartiers résidentiels à Knin à l'aide de ces lance-roquettes
25 multiples.
26 Un bon exemple en est le plan mené à bien délibérément par le 7e
27 Régiment de la Garde nationale qui visait des quartiers résidentiels dans
28 lesquels se trouvaient en particulier le commandement du secteur sud des
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1 Nations Unies. Le journal personnel du commandant du 7e Groupe d'artillerie
2 montre qu'ils ont tiré à l'aide de lance-roquettes multiples sur des cibles
3 baptisées S-15,
4 S-16 et S-54 sur la carte codée qui porte pour nom "Ivancica".
5 Comme l'ont montré les aides illustrées soumises à la Chambre, nous
6 avons agrandi la partie pertinente de cette carte Ivancica, qui constitue
7 la pièce P2338, et avons identifié et surligné les cercles représentant les
8 cibles S-15, S-16 et S-54.
9 Pour aider la Chambre, j'indique que la cible S-15, qui est le cercle
10 que l'on voit ici, est centrée sur la passerelle d'un chemin de fer qui se
11 trouve au centre-ville de Knin. Le cercle qui se trouve juste en dessous,
12 qui correspond à S-54, est centré approximativement sur le QG de l'armée de
13 la République serbe de Krajina, alors que la S-16, qui est le cercle situé
14 en haut, est centrée sur le quartier résidentiel qui se trouve de l'autre
15 côté de la rue en face de la caserne du nord.
16 Et une autre aide utile, semble-t-il, ce sont ces cercles que nous
17 avons indiqués sur la photographie aérienne de Knin, qui constitue la pièce
18 P62. Nous avons donc fait tourner P62 pour que l'orientation de cette
19 photographie soit la même que celle de la carte Ivancica et nous y avons
20 introduit le secteur montré dans la diapositive précédente --
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce qu'il y aurait un moyen que nous
22 puissions lire correctement la pièce du prétoire électronique montrée à
23 l'écran actuellement ?
24 M. RUSSO : [interprétation] Nous allons faire ce qu'il faut --
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On pourrait peut-être la faire tourner
26 dans le sens des aiguilles d'une montre [comme interprété].
27 M. RUSSO : [interprétation] Oui, c'est ce que j'allais dire à l'instant.
28 Bien que le journal de la 7e Brigade des Gardes ait été soumis à la
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1 Chambre, qui a également entendu des dépositions concernant le fait que le
2 capitaine Geoffrey Hill qui a témoigné et déclaré avoir trouvé deux
3 enveloppes de roquettes sur la pelouse de la maison du général Forand, nous
4 avons également ici un élément de preuve qui montre que la cible S-15
5 correspond au quartier dans lequel Hill a identifié la résidence du général
6 Forand; il s'agit de la pièce P300. Deux petits cercles rouges ont été
7 placés sur ce document identifié par Hill, et nous voyons que S-16 se
8 trouve bien dans le secteur où les roquettes sont tombées.
9 En dehors du fait d'avoir pris directement pour cible des quartiers
10 résidentiels, les éléments de preuve montrent également que des roquettes
11 ont été tirées sur Knin, en dehors de la présence de quelque cible que ce
12 soit pendant la nuit. Le journal de bord du commandant de l'artillerie de
13 la 7e Brigade des Gardes - pièce 2455, page 21 - montre que 40 roquettes
14 ont été tirées "sur Knin" à 1 heure moins 20 du matin, entre le 4 et le 5
15 août. Ceci coïncide avec le moment où les réfugiés serbes se trouvaient
16 hors de leurs domiciles à l'air libre et étaient interrogés dans les locaux
17 du poste de sécurité.
18 Aux pages [comme interprété] 283 et 284 de son mémoire final, la
19 Défense Gotovina affirme que ces roquettes ont été tirées alors que l'armée
20 serbe de Krajina faisait mouvement vers et à l'intérieur de la ville de
21 Knin. Si l'on regarde de près ces éléments de preuve, on constate qu'ils
22 établissent que les déplacements de l'armée de la République serbe de
23 Krajina ont eu lieu cinq à six heures après ces tirs de roquettes sur Knin.
24 Tirer des roquettes sur Knin en plein jour c'est déjà un problème
25 étant donné l'imprécision inhérente à ces armes, mais tirer ces roquettes
26 sur une ville en l'absence de toute cible particulière au milieu de la nuit
27 alors que des centaines de civils essaient de trouver un abri met en
28 évidence quel était l'objectif réel de l'emploi de ces roquettes.
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1 Les éléments de preuve des témoins de ces attaques d'artillerie
2 correspondent tout à fait à la détermination selon laquelle il s'agissait
3 d'attaques aveugles qui sont révélées par la lecture des rapports de
4 l'armée de Croatie. En fait, pas un seul témoin de ces attaques n'a fait un
5 récit qui ne serait que moyennement consistant avec la théorie de la
6 Défense selon laquelle ces attaques d'artilleries étaient précisent et ne
7 visaient que des cibles militaires de grande valeur. Bien au contraire, ces
8 témoins ont déclaré dans leur déposition que des obus sont tombés un peu
9 partout dans les villes sans aucun plan discernable et que les dégâts dans
10 les quartiers résidentiels et l'absence de dégâts au niveau des cibles
11 militaires allégués corroborent leurs récits.
12 La théorie de la Défense Gotovina selon laquelle des témoins des
13 Nations Unies étaient de collusion et qui accuse la Croatie de pilonnage
14 illégal ne rend pas compte du fait que le témoignage de ces témoins des
15 Nations Unies est totalement corroboré par le témoignage d'autres
16 observateurs internationaux ainsi que de civils serbes eu égard à la nature
17 indiscriminée des pilonnages.
18 Dans leur mémoire final, les membres de la Défense Gotovina ne
19 discutent aucun élément de preuve provenant des observateurs militaires des
20 Nations Unies et des civils serbes eu égard aux pilonnages de Benkovac,
21 Obrovac et Gracac. Ces dépositions démontrent qu'il y avait un schéma de
22 tirs indiscriminés et que ces attaques d'artillerie étaient illégales
23 globalement.
24 Ma série de diapositives suivante démontre que les villes ont été prises
25 dans l'ordre indiqué dans l'ordre d'attaque du général Gotovina. Ce que
26 j'ai fait c'est surligner sur les cartes les villes qui constituaient des
27 cibles alléguées identifiées dans l'ordre d'attaque du général Gotovina, et
28 par Rajcic également, ainsi que les zones où des témoins ont identifié des
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1 impacts d'obus. Dans la légende de ces cartes, j'apporte des citations qui
2 appuient ce qui est dit par rapport aux dépositions relatives à ces cartes,
3 et j'ai le plaisir de distribuer des exemplaires de ces éléments illustrés
4 aux Juges de la Chambre ainsi qu'aux conseils de la Défense de façon à ne
5 pas lire chacune des citations pour consignation au compte rendu
6 d'audience.
7 Commençons par Benkovac, la première carte.
8 Nous voyons ici les cibles que la Défense a proposées au départ au témoin
9 de l'Accusation. Elles sont présentes sur des cartes élaborées par la
10 Défense Gotovina, qui n'a cité aucun témoin indiquant que l'armée de
11 Croatie aurait tiré de façon précise sur ces cibles alléguées pendant
12 l'opération Tempête. Lorsque le chef d'artillerie du général Gotovina,
13 Marko Rajcic, est venu témoigner, la Défense ne lui a pas soumis ces
14 cibles, même si dans la déclaration de la Défense il aurait choisi les
15 cibles pour cette opération d'artillerie et était "responsable de la
16 planification, de la coordination et du contrôle de l'emploi de
17 l'artillerie pendant l'opération Tempête."
18 Rajcic n'a identifié qu'une seule cible dans la ville dans la ville
19 Benkovac en tant que telle, le poste de police qui se trouve à l'intérieur
20 de la ville. Les éléments de preuve ont établi qu'il n'y avait pas de cible
21 militaire à Benkovac le 4 août et que le poste de police de Benkovac
22 n'était pas une cible légitime pour un tir d'artillerie à cette date.
23 Toutefois, comme pour toute autre ville figurant dans l'ordre du général
24 Gotovina, une discussion sur le point de savoir si ces cibles identifiées
25 par Rajcic étaient légitimes ou pas est superflue dès lors que l'on tient
26 compte de l'endroit où ces obus sont tombés dans Benkovac. Puis nous voyons
27 ici les secteurs figurant en rouge qui ne peuvent pas raisonnablement
28 s'expliquer, si l'on pense à des tirs d'artillerie, entre guillemets,
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1 précis contre la seule et unique cible existant dans la ville.
2 La ville suivante est celle d'Obrovac. Et nous commencerons encore une fois
3 avec les cibles que la Défense Gotovina a avancé comme étant celles
4 figurant à l'intérieur de la ville. Encore une fois, aucun élément de
5 preuve n'a été avancé permettant d'étayer que la HV ait effectivement visé
6 ces zones particulières pendant l'opération Tempête, et, encore une fois,
7 la Défense Gotovina ne les a pas présentées témoin Rajcic. Ce dernier a, au
8 contraire, identifié des cibles différentes. Lorsque l'on examine les
9 points d'impact des obus, les points d'impact réels, il est possible de
10 voir encore une fois que ces tirs d'obus ne sauraient être expliqués en se
11 référant aux prétendues cibles.
12 Passons à présent à Gracac. Nous avons les cibles prétendues qui y sont
13 portées sur cette carte, cibles avancées par la Défense Gotovina. Rajcic a
14 déposé qu'à l'exception des carrefours :
15 "Il n'y avait aucune cible militaire du type qui aurait pu être pris en
16 compte pour être pris comme cible de tir dans le but d'obtenir tel ou tel
17 avantage militaire."
18 C'est à la page du compte rendu 16 365, lignes 17 à 25.
19 Zdravko Janic, témoin membre des effectifs de la police spéciale, a
20 corroboré ceci en indiquant qu'il n'y avait pas de cibles militaires à
21 l'intérieur de la ville de Gracac même. Ce qui se trouve en page 6 393 et
22 94 du compte rendu d'audience.
23 Cependant, nous voyons où sont effectivement tombés les obus dans la ville
24 de Gracac même, et ces impacts ne se trouvent pas uniquement dans le
25 voisinage immédiat des carrefours.
26 Avant de passer à la ville de Knin, je souhaiterais me pencher sur la
27 question de la contribution du général Markac à l'entreprise criminelle
28 commune et sur la question de sa responsabilité individuelle et séparée
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1 concernant la planification et l'ordre donné de procéder à des tirs
2 d'artillerie illégaux, ordre donné à la police spéciale et concernant
3 Gracac.
4 Concernant le pilonnage de la ville, les éléments de preuve ne font pas de
5 distinction entre les zones ici indiquées en rouge, qui sont attribuées au
6 général Markac, par opposition à celles qui sont attribuées au général
7 Gotovina. Mais cette distinction serait non pertinente, non seulement en
8 raison de leur participation tous deux à l'entreprise criminelle commune,
9 mais également parce qu'ils ont tous les deux ordonné de tirer sur Gracac.
10 Et l'ensemble des obus tirés sur cette ville, à la date du 4 août constitue
11 une attaque illégale du fait de l'absence de toute cible militaire à
12 l'intérieur de la ville de Gracac.
13 Comme nous l'avons avancé dans notre mémoire final, le général Markac est
14 pleinement responsable de tous les crimes qui sont retenus contre lui dans
15 l'acte d'accusation, compte tenu de sa participation à l'ECC
16 également les attaques d'artillerie illégales visant toutes les villes.
17 Cependant, ici, je me concentrerai uniquement sur sa responsabilité dans la
18 planification et l'ordre donné de procéder à l'attaque illégale
19 d'artillerie par la police spéciale contre Gracac.
20 Le général Markac a participé à la réunion de Brioni. La ville de Gracac
21 était dans sa zone de responsabilité, et il a participé à la planification
22 et a donné l'ordre de lancer une attaque d'artillerie contre cette ville
23 conformément au plan criminel élaboré à Brioni. Dans le cadre de
24 l'opération Tempête, les forces de la police spéciale ont été resubordonnés
25 à l'état-major, ce dernier a ordonné au général Markac de coordonner son
26 attaque avec le général Gotovina, ce que Markac a fait. Les éléments de
27 preuve peuvent être retrouvés dans la pièce P1150, pages 37 à 38; P554,
28 page 1; D543, page 2; D1094, page 2; et D1425, page 57.
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1 Le général Markac a également émis l'ordre donné à la police spéciale
2 d'attaquer dans le cadre de l'opération Tempête, ce qui comprend également
3 l'attaque d'artillerie de la police spéciale.
4 En dépit du fait qu'il n'y avait aucune cible militaire à l'intérieur
5 de la ville de Gracac, la ville elle-même a été soumise à des pilonnages
6 sur ordre à la fois de Gotovina et de Markac. Rajcic a essayé de se
7 distancer lui-même et de distancer le général Gotovina de ce pilonnage de
8 Gracac en indiquant dans sa déposition que les canons de 130-millimètres du
9 Groupe d'artillerie et de roquettes numéro 5, qui tenait Gracac à leur
10 portée, avaient été resubordonnés au général Markac et à ses forces de la
11 police spéciale.
12 Cependant, les éléments de preuve démontrent que les canons de 130-
13 millimètres utilisés pour tirer sur Gracac étaient restés sous le contrôle
14 de Gotovina et ont simplement fourni un soutien d'artillerie au général
15 Markac le long de l'axe d'attaque de ce dernier. Dans son analyse de
16 l'opération Tempête, le général Gotovina, ultérieurement, se rappelle que
17 c'est exactement de cette façon que les choses se sont passées. En effet,
18 il écrit avoir ordonné au Groupe d'artillerie et de roquettes numéro 5 de
19 "fournir un soutien constant et ininterrompu aux forces se trouvant sur mon
20 aile gauche et sur votre aile droite." Il se réfère là aux forces de la
21 police spéciale. Ce qui se trouve dans la pièce P1192, page 3.
22 Josip Turkalj, le chef de l'artillerie du général Markac, a également
23 déposé en indiquant qu'il n'avait reçu que le soutien des canons
24 appartenant à l'armée croate dans le cadre de ces tirs dirigés contre
25 Gracac. Il n'a pas indiqué que ces canons aient été resubordonnés à la
26 police spéciale. Ce qui se trouve en pages 13 599 et 13 600 du compte rendu
27 d'audience. Le fait que Gracac ait été pilonnée aussi bien sur ordre de
28 Gotovina que du général Markac est prouvé par les rapports contemporains de
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1 la police spéciale et de la HV. Ces derniers montrent que les premières
2 requêtes de la police spéciale demandant des tirs d'artillerie sur Gracac
3 ne sont pas arrivées avant 9 heures du matin le 4 août. Ce qui est cohérent
4 avec la situation qu'ont connue toutes les autres villes pilonnées par le
5 général Gotovina, le pilonnage de Gracac a commencé à 5 heures du matin et
6 seuls les canons de 130-millimètres du général Gotovina tenaient Gracac à
7 leur portée à ce moment-là. Ce qui figure dans la pièce P553, page 59;
8 P516, paragraphe 20; P2385, page 2; P2436, page 6; ainsi que la carte D971.
9 Je voudrais maintenant passer à Knin. Bien que le pilonnage de toutes les
10 autres villes soit relégué bien loin face à l'ampleur de celui qu'a connu
11 Knin, le schéma employé reste le même. Nous commençons par les cibles
12 identifiées par la Défense. Les 29 cibles prétendues n'ont pas été
13 présentées à Rajcic, que ce soit dans sa déclaration ou pendant sa
14 déposition, en dépit qu'il ait personnellement supervisé le pilonnage de
15 Knin. Rajcic lui-même a identifié seulement 11 cibles à l'intérieur de
16 Knin. La Défense n'a pas abordé la divergence manifeste existant entre la
17 version avancée par la Défense des événements et la déposition du chef de
18 l'artillerie du général Gotovina en personne.
19 Cependant, la question de savoir si les cibles prétendues identifiées par
20 Rajcic ont été prises légitimement pour cibles d'artillerie ou non est
21 superflue, à la lumière des points d'impact réels de ces obus à Knin.
22 Madame et Messieurs les Juges, aucune argutie militaire concernant le
23 centre de gravité, ou le spectre entier de la domination opérationnelle, ou
24 encore la nature du combat air/terre, ou les approches de manœuvre
25 employées, et ni aucune autre doctrine militaire ne saurait justifier les
26 incohérences considérables existant entre les cibles prétendues de
27 l'attaque et les éléments de preuve réels concernant le pilonnage de Knin.
28 Concernant les éléments de preuve accumulés émanant des témoins pertinents
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1 concernant l'attaque d'artillerie visant Knin, il n'est pas étonnant que
2 tous ces témoins aient d'une seule voix fait état du fait que des obus
3 tombaient à travers toute la ville. En effet, comme Andries Dryer l'a noté
4 lorsqu'on lui a demandé d'entourer sur la photo de Knin les zones où il
5 avait pu voir des obus tomber, il a dit :
6 "Ce que j'aurais dû faire, c'est prendre un large feutre et dessiner un
7 large cercle tout autour de Knin pour dire que, C'était là la zone d'impact
8 dans son ensemble, parce que c'était là la zone d'impact réellement. Knin
9 elle-même, dans toutes les directions dans lesquelles j'ai pu me déplacer."
10 Ceci figure en pages 1 740 et 1 741 du compte rendu.
11 La HV a tiré un minimum de 1 000 obus sur Knin pendant une durée de 25
12 heures qu'a duré la campagne d'artillerie. Seul un petit nombre de ces 1
13 000 obus ou davantage ont réellement touché une ou plusieurs des cibles
14 prétendues. Rajcic a identifié seulement trois des "cibles principales et
15 de plus grande valeur" de cette attaque; les quartiers généraux de l'ARSK,
16 les casernes au nord et le bâtiment de la poste.
17 Le nombre de tirs d'artillerie auxquels ces cibles prétendues ont été
18 soumises en 25 heures s'inscrit en faux contre la théorie d'un pilonnage
19 précis avancé par la Défense. Ceci figure dans le document D1425,
20 paragraphe 15. Le quartier général de l'ARSK, qui était celui considéré
21 comme objectif par excellence, selon Rajcic, n'a été touché que par un tir
22 d'obus. Et qui s'est abattu sur le parking de ce bâtiment.
23 Les éléments de preuve ont également démontré que des civils
24 s'étaient réfugiés dans ce bâtiment pendant l'attaque d'artillerie, ce que
25 l'on imagine mal pouvoir cadrer avec la théorie d'une attaque précise et
26 focalisée. Les éléments de preuve correspondants se trouvent dans la pièce
27 P1094, paragraphe 41 [comme interprété].
28 Le bureau de poste n'a été touché par aucun tir d'obus et n'a pas été
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1 endommagé. Aucun des témoins qui ont déposé concernant les dommages
2 infligés par l'artillerie dans le centre-ville de Knin n'a mentionné le
3 moindre dommage infligé au bâtiment de la poste. Le document D389, qui
4 correspond à un rapport de l'ARSK concernant les dommages infligés par les
5 pilonnages au début de la journée du 4 août, ne mentionne aucun dommage
6 infligé au bureau de poste.
7 Les casernes nord ont été touchées par un nombre inconnu mais complètement
8 négligeable de tirs d'artillerie, compte tenu du fait qu'aucun dommage
9 visible n'était constatable, et la HV est entrée directement et a commencé
10 à utiliser ces bâtiments dès le 5 août. Ceci figure dans la pièce P292,
11 page 100; P429, paragraphe 33 [comme interprété]; P84, page 2; P980, page
12 4.
13 Encore une fois, les éléments de preuve montrent que des civils s'étaient
14 réfugiés dans ces casernes.
15 Les Juges de la Chambre se rappelleront que les casernes nord sont un
16 véritable complexe très vaste occupant près de 150 000 mètres carrés et il
17 ne fait aucun doute que ce complexe aurait pu être pris pour cible de façon
18 beaucoup plus précise au moyen des canons de 130 utilisés par le général
19 Gotovina.
20 Même si l'on va au-delà des cibles de plus grande valeur, nous voyons que
21 le même chemin s'applique de façon générale : peu de tirs, peu de dommages
22 sont infligés à l'ensemble des cibles restantes, à l'exception de l'usine
23 Tvik. Les éléments de preuve figurent aux paragraphes 550 à 563 de notre
24 mémoire final.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo, je voudrais simplement
26 vous poser une question pour mieux suivre votre présentation.
27 Concernant le quartier général de l'ARSK et les casernes nord, je ne vous
28 ai pas entendu dire qu'il ne s'agirait pas là de complexes à considérer
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1 comme étant des objectifs militaires. Vous avez indiqué que des civils s'y
2 étaient réfugiés. Alors, cela était peut-être sage, peut-être pas, mais
3 c'est ce qu'ils ont fait. Je veux dire que si j'étais un civil, je ne sais
4 pas si ma première réaction consisterait à chercher refuge au sein d'un
5 bâtiment ou d'un complexe susceptible d'être considéré comme une cible.
6 J'aurais tendance à imaginer que cela entraînerait certains risques.
7 Cependant, je ne comprends pas tout à fait ce que vous voulez dire en
8 disant que, Même s'il fallait considérer ces complexes comme des cibles
9 militaires, des civils s'y sont réfugiés. Je ne comprends pas la substance
10 de ce que vous nous dites là.
11 M. RUSSO : [interprétation] Monsieur le Président, juste une précision, je
12 ne suis pas en train d'essayer de dire que le fait que des civils s'y
13 soient réfugiés puisse changer de quelque façon que ce soit la nature
14 militaire de tel ou tel bâtiment. La raison pour laquelle je me réfère à
15 ceci est que le quartier général de l'ARSK et les casernes nord n'étaient
16 pas tout à fait, contrairement à ce que suggère la Défense, le point focal
17 de l'attaque d'artillerie. Parce que si tel avait été le cas, comme la
18 Défense le suggère, peut-être que les civils ne se seraient pas précipités
19 en direction de ces bâtiments pour s'y réfugier s'ils avaient été la cible
20 de tirs plus nourris.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Je comprends. Vous dites que
22 du simple fait que les civils ont pu voir ces bâtiments soumis à un tir
23 aussi peu nourri, ils auraient pu avoir un doute quant à l'opportunité
24 qu'il y avait pour eux d'aller s'y réfugier ou non, n'est-ce pas ?
25 M. RUSSO : [interprétation] En effet.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
27 M. RUSSO : [interprétation] Le nombre extrêmement faible de tirs
28 d'artillerie ayant visé les cibles prétendues par opposition au nombre
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1 d'obus tombés ailleurs en ville ne peut pas être raisonnablement expliqué.
2 L'argument de la Défense selon lequel la HV ne s'efforçait que de harceler
3 ou de neutraliser ces différentes cibles est tout simplement absurde.
4 Comment ce schéma et cette pratique du pilonnage sont-ils raisonnablement
5 possibles si,
6 comme la Défense l'avance, le général Gotovina a véritablement mené une
7 attaque d'artillerie précise et pertinente en recourant uniquement à des
8 armes appropriées et en procédant à des tirs ciblés. C'est tout simplement
9 impossible. La seule conclusion raisonnable et cohérente avec son ordre
10 explicite est que le général Gotovina a pris directement pour cible la
11 population civile de Knin et la population civile d'autres villes de la
12 Krajina, causant la fuite de la quasi-totalité de la population civile
13 serbe qui essayait tout simplement de survivre. Suite à cette attaque
14 illicite, les quelques Serbes qui n'avaient pas pu ou n'avaient pas voulu
15 quitter leurs domiciles se sont trouvés rapidement confrontés à une vague
16 d'incendies volontaires, de pillages, de meurtres, et de harcèlements du
17 fait des forces croates, et je laisserai M. Hedaraly se pencher sur ce
18 sujet.
19 Je vous remercie, Madame et Messieurs les Juges.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Russo.
21 Monsieur Hedaraly, c'est à vous, mais j'aimerais vous demander de ne pas
22 oublier tous ceux qui vont devoir interpréter vos propos et les transcrire
23 également.
24 M. HEDARALY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
25 Bonjour à vous, ainsi qu'à Madame et Messieurs les Juges.
26 Je commencerai par dire que la fin de l'attaque d'artillerie a marqué le
27 début d'un cauchemar pour les civils serbes, qui étaient essentiellement
28 des personnes invalides, des personnes âgées, et qui sont restées chez eux.
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1 Ils ont fait l'objet de sévices, ont été intimidés, nombreux ont été tués.
2 Ils ont vu des membres des forces croates piller leurs propriétés, leurs
3 biens et détruire leurs maisons.
4 La destruction fut de grande ampleur, et dans de nombreux cas, pour ne pas
5 dire dans la majorité des cas, les forces croates ont pillé les maisons
6 avant de les incendier. La mission d'observation de la communauté
7 européenne, la MOCE, a indiqué à la fin du mois d'août 1995 qu'entre 60 et
8 80 % des maisons avaient été détruites; les observateurs militaires des
9 Nations Unies font état de 73 % des maisons le 13 septembre; et d'autres
10 représentants de la communauté internationale indiquent que le chiffre est
11 plus proche du pourcentage de 80 à 90 % pour ce qui est des villages ayant
12 souffert d'une forme ou d'une autre d'incendies. Les témoins internationaux
13 et les rapports qui ont été présentés régulièrement font état de, et je
14 cite :
15 "La majorité du secteur est en proie aux flammes." Ou encore, "La Krajina
16 est en feu."
17 A titre d'exemple, M. Vanderostyne a témoigné lors de sa déposition que ces
18 incendies se déroulaient sur une très grande échelle et lorsqu'on lui a
19 demandé ce qu'il entendait par une très grande échelle, il a dit à la
20 Chambre de première instance qu'à partir d'une petite colline située entre
21 Gospic et Gracac, il pouvait voir toute la campagne avoisinante en proie
22 aux flammes, et "tout, la moindre ferme, la moindre grange, la moindre
23 dépendance, toutes les maisons de cette partie étaient en proie aux
24 flammes."
25 Comme la Chambre peut le constater dans l'annexe A du mémoire final de
26 clôture du Procureur, cette destruction a commencé dès l'entrée des forces
27 de la HV sur le territoire qui avait été auparavant contrôlé par la RSK, à
28 savoir le 5 août 1995, avec des maisons serbes brûlant ce jour-là dans les
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1 municipalités de Knin, Benkovac, Kistanje, Orlic, et Ervenik. La HV a
2 établi des rapports qui, eux-mêmes, ont confirmé que quasiment
3 immédiatement après l'arrivée des soldats croates ce phénomène de
4 destruction a commencé de façon assez considérable.
5 Le 13 août, le colonel Zelic écrit, et je cite, que :
6 "Un grand nombre d'incendies se sont produits un ou deux jours après
7 l'entrée des unités de la HV dans les villages qui venaient d'être
8 libérés."
9 Et que ces incendies volontaires étaient "la plupart du temps effectués par
10 des membres des régiments de la Garde nationale."
11 Ces forces croates qui sont entrées dans cette zone le 5 août se sont
12 également livrées à un pillage considérable. Par exemple, le Procureur a
13 fait référence dans son paragraphe 659 de son mémoire final de clôture aux
14 biens pillés qui avaient été rassemblés à l'extérieur du camp des Nations
15 Unies. Les témoins internationaux qui ont pu entrer dans Knin ont remarqué
16 que toutes les maisons avaient fait l'objet des fractions et avaient été
17 pillées."
18 Dans son paragraphe 414 de son mémoire de clôture, la Défense de Gotovina
19 avance qu'il s'agissait de fouilles opérées dans le cadre avec une
20 "intention sécuritaire" pour ce qui était de Knin, nous avons au moins un
21 témoin, Erik Hendriks qui, lorsque la question lui a été posée de savoir ce
22 qu'il avait vu à Knin le 7 août, a indiqué qu'il ne s'agissait pas de
23 fouilles au sens littéral du terme.
24 Les forces croates ont continué à piller les biens et les propriétés serbes
25 et à détruire ces maisons. Pour reprendre les propos du coordinateur
26 politique et humanitaire des Nations Unies pour le secteur sud, M. Hussein
27 Al-Alfi, il s'agissait là d'un "rituel quotidien…"
28 Le journal opérationnel de la HV pour la région militaire de Split fait
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1 état de ces problèmes de pillage et des incendies.
2 11 août : "Tout est en train d'être pillé. Le problème c'est le pillage.
3 14 août : "Des plaintes ont été dressées contre l'incendie du village de
4 Benkovac où ne se trouve aucun Chetnik.
5 19 août : "Les incendies représentent un énorme problème. Les journalistes
6 et d'autres pourraient prouver qu'il s'agit d'incendies volontaires."
7 Le 14 août 1995, la MOCE a indiqué, et je cite, que, "la destruction
8 systématique et la mise à feu systématique de grands secteurs dans la
9 partie sud de l'ancien secteur sud se poursuivent.
10 Le 20 août, la police civile des Nations Unies fait référence à une
11 tendance impitoyable d'incendies volontaires, sur une grande échelle,
12 auxquels participent des militaires croates vus sur les lieux en question.
13 Le 22 août, Erik Hendriks observe cette maison à Guglete, cette maison qui
14 est en proie aux flammes, et nous voyons qu'il y a deux membres de la
15 police militaire de la HV en uniforme arborant les insignes du 72e
16 Bataillon, ainsi que trois civils et ceux avec l'appui d'un camion de la
17 compagnie pétrolière croate l'INA qui quitte les lieux en question.
18 Le 24 août, l'administration de la police de Knin répond au ministre
19 adjoint Moric en indiquant que les membres de la HV à bord de véhicules
20 militaires s'en vont avec des biens volés.
21 Le 31 août, l'ONURC fait référence au fait que l'incendie des maisons
22 continue de façon régulière et méthodique et qu'il est difficile de croire
23 que ces activités se produisent sans au moins l'approbation tacite des
24 autorités."
25 Madame, Monsieur les Juges, outre les rapports établis par les observateurs
26 internationaux, il faut savoir que quasiment tous les civils serbes qui
27 sont restés dans leurs villages et qui ont fourni des éléments de preuve à
28 cette Chambre ont décrit comment les soldats sont arrivés dans leurs
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1 villages et y ont soit mis le feu, ont soit pillé le village, ou ont fait
2 les deux. Nous avons Bogdan, Palanka; Vesla Damjanic à Biskupija; Bogdan
3 Dobric à Dobropoljci; Konstantin Drca à Parcici; Milica Djuric à Djurici;
4 Jovan Grubor à Grubori; Rajko Gusa de Bukovic; Milan Ilic de Orahovac;
5 Milica Karanovic de Grubori; Petar Knezevic à Oton Polje; Milan Letunica à
6 Gosic; Smiljana Mirkovic à Polaca; Mirko Ognjenovic à Kakanj; Jovan Popovic
7 à Mokro Polje; Manda Rodic à Strmica; Draginja Urukalo à Biskoupija; Jovan
8 Vujnvoci à Oton Polje; Stevan Zaric à Orlic; Junjga Dragutin à Uzdolje;
9 ainsi que le témoin P --
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Hedaraly, je constate que nous
11 avons un problème pour ce qui est du compte rendu d'audience. En fait, seul
12 le premier nom que vous avez mentionné a été consigné, les autres ne l'ont
13 pas été.
14 Non, il semble que finalement la sténotypiste a réussi à inscrire tous les
15 noms qui étaient, enfin, qui figuraient sur l'écran. Donc visiblement le
16 problème est réglé.
17 Je vous demande de bien vouloir poursuivre.
18 M. HEDARALY : [interprétation] Voilà, il s'agissait donc des 22 noms des
19 personnes qui ont fourni des éléments de preuve à cette Chambre de première
20 instance. Et je dirais qu'à l'exception des témoins qui ont parlé de
21 Grubori, ces incidents et tous les autres incidents se sont déroulés entre
22 le 5 et le 11 août.
23 Comme cela est indiqué dans l'annexe A du mémoire final de clôture du
24 Procureur, les incendies et les pillages se sont poursuivis pendant tout le
25 mois d'août et de septembre avec des rapports établis faisant état de
26 soldats croates qui pillaient à la fin du mois de septembre et qui ont
27 également été vus dans les environs très proches des maisons incendiées.
28 Pour ajouter au rapport, ou plutôt, outre les rapports des représentants de
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1 la communauté internationale et outre les témoignages des civils serbes de
2 la région, nous avons Pero Perkovic, un soldat du 15e Régiment de la Garde
3 nationale, qui a témoigné et expliqué comment il se trouvait dans un camion
4 au bord duquel se trouvait des postes de télévision, ainsi que d'autres
5 biens qui avaient été pillés et pris dans des maisons serbes à Kistanje le
6 6 et le 7 août. J'indiquerais que les références du compte rendu d'audience
7 soit la page 19 534, 19 538 et 19 545 à 46.
8 M. Perkovic a également expliqué quelle était l'atmosphère générale
9 d'impunité qui régnait et prévalait dans cette zone. Tout ce qu'un
10 commandant se bornait à faire lorsqu'il voyait ce type de camion était de
11 vociférer à l'intention des soldats en leur demandant quel type de soldats
12 ils étaient pour se livrer à ce type de pillage. Mais le camion n'a jamais
13 été arrêté, et même passé par deux ou trois postes de contrôle où se
14 trouvaient deux factions, la police militaire et la police civile.
15 Les témoins internationaux, tels que M. Marker Hansen, ont indiqué qu'il
16 avait vu régulièrement et avait lui-même constaté régulièrement que lui,
17 ainsi que sa patrouille, avaient été arrêtés à des postes de contrôle,
18 alors que le véhicule militaire chargé de biens pillés pouvait passer. Page
19 14 927 du compte rendu d'audience.
20 Alors quelques soldats… et parmi ces quelques soldats un de ces soldats a
21 été condamné pour ses actes, il s'agissait en l'occurrence d'actes de
22 pillage dans la vallée du Kosovo le 2 septembre, et il nous a permis de
23 comprendre quelle était l'attitude qui prévalait parmi les forces croates à
24 l'époque. Il s'agissait d'un membre de la 113e Brigade et devant un tribunal
25 militaire, lorsque interrogé, il s'est contenté de répondre que tout le
26 monde pille, alors pourquoi pas lui ? Il s'agit de la page 5 de la pièce
27 P2609.
28 Certains de ces soldats qui ont commis ces crimes semblaient ne pas être
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1 préoccupés par le fait qu'ils pouvaient être observés en train de piller
2 des biens, en train d'incendier des maisons au vu et au su de tout le monde
3 sans pour autant que la présence des représentants de la communauté
4 internationale ne les dérange le moins du monde et sans essayer non plus
5 d'essayer de dissimuler ce qu'ils faisaient.
6 Dans d'autres cas, les soldats croates ont effectué ces crimes et ont
7 même menacé des observateurs internationaux. Nous avons, par exemple, M.
8 Flynn, au paragraphe 20 de la page 26, qui fait référence à des soldats qui
9 menacent une équipe du groupe d'action des droits de l'homme des Nations
10 Unies qui souhaitaient inspecter l'une des maisons qu'ils pouvaient voir en
11 train de brûler depuis la route; ou nous avons l'exemple de M. Berikoff
12 qui, à la page 7 706, a indiqué qu'il avait vu des soldats qui incendiaient
13 des maisons le long de la route Knin-Drnis et qui, ensuite, avaient tiré au
14 dessus de leur tête.
15 Les Serbe étaient essentiellement ciblés par cette destruction. Tel
16 qu'indiqué au paragraphe 646 du mémoire final de clôture et dans les notes
17 en bas de page, il est indiqué que les villes serbes qui ont
18 essentiellement été détruites sont les villes de Kistanje, Djevrske,
19 Cetina, Donji Lapac, qui ont été détruites à plus de 95 %. Donji Lapac, par
20 exemple, qui était serbe à 99 % avant la guerre a été décrit par le
21 ministre Susak comme n'étant plus qu'un simple nom sur une carte, page 53
22 de la pièce P470.
23 Par contre, les villages de Podlapac, Siveric et Bruska qui, d'après les
24 observateurs internationaux étaient essentiellement croates, se sont vu
25 épargner cette destruction. Ont également été épargnée des villes plus
26 importantes pour quelles puissent être repeuplées de personnes déplacées
27 croates, ainsi que des maisons sur lesquelles il avait été indiqué qu'il
28 s'agissait de maisons croates afin qu'elles ne soient pas détruites ou
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1 pillées davantage. Par exemple, un témoin a également déclaré comment il
2 pensait qu'étaient organisées ces activités de pillage et ces incendies, et
3 il a indiqué comment dans les villages où la population était mixte, seules
4 les maisons serbes avaient été incendiées; paragraphe 74 de la pièce P487.
5 L'Accusation a également indiqué dans son mémoire final qu'elle dispose
6 d'éléments de preuve relatifs aux églises qui ont été épargnées et dans
7 certains cas qui ont été gardées justement pour ne pas être détruites et
8 dans certains cas, seules les églises sont épargnées et ne sont pas
9 incendiées. Ce qui indique qu'il y avait un certain niveau d'organisation
10 qui dément la thèse des actes aléatoires et gratuits commis par des
11 individus isolés. Note en bas de page 2 333 du mémoire de clôture de
12 l'Accusation.
13 Les témoins ont souvent indiqué que ces crimes avaient été commis par des
14 soldats croates, qu'ils ont été en mesure d'identifier par leur uniforme.
15 L'Accusation ne remet pas en cause que des civils aient été impliqués aussi
16 dans la commission de crimes et notamment des crimes de pillage au fil du
17 temps. Cependant, la plupart de ces crimes ont été commis par des soldats
18 ou par des civils de concert avec des soldats, et des exemples de cela
19 figurent dans notre mémoire.
20 Même lorsque les témoins n'ont pas identifié une unité militaire
21 particulière, nombreux sont les éléments de preuve montrant que la HV
22 exerçait un contrôle quasiment total sur le territoire dans lequel elle est
23 entrée dès le 5 août. La plupart des observateurs ou des agents
24 internationaux n'ont pas reçu l'autorisation de quitter le
25
26 camp de l'ONU avant la date du 7 août, et ce n'est que plus tard encore
27 qu'ils ont pu partir en patrouille en dehors de Knin. Des postes de
28 contrôle ont été mis en place afin d'empêcher les civils de pénétrer dans
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1 la zone; or, la première arrivée importante en nombre de personnes
2 déplacées croates s'est produite le 15 août, lorsque les laissez-passer
3 n'étaient plus nécessaires.
4 Les références peuvent être trouvées au paragraphe 479 du mémoire final de
5 l'Accusation.
6 La mission de la police civile de l'ONU rapporte, comme d'ailleurs je l'ai
7 déjà cité précédemment, qu'à ce stade il n'y avait personne d'autre qui
8 aurait pu être responsable de cela dans la zone.
9 Certains témoins ont reconnu des unités spécifiques. Un témoin s'est référé
10 spécifiquement à la 4e Brigade des Gardes et aux Pumas, a également fourni
11 l'exemple d'une dizaine de camions militaires appartenant à la 7e Brigade
12 des Gardes et d'une dizaine de camions militaires transportant des biens
13 pillés. Pages 5, 6 et 7 de la pièce P2395.
14 Confrontée à tous ces éléments de preuve indiquant le caractère
15 systématique et organisé de destruction et de pillage commis au grand jour,
16 la Défense Gotovina a pris le parti de se concentrer sur les défauts
17 qu'elle a pu trouver dans la pièce P176, à savoir l'évaluation des dommages
18 subis faite par la Mission des observateurs militaires des Nations Unies.
19 Cette dernière a déterminé que parmi 22 213 maisons, 8 063 avaient été
20 entièrement endommagées, alors que 9 207 l'avaient été partiellement.
21 L'Accusation ne prétend pas que le rapport de la Mission des observateurs
22 des Nations Unies représenterait une source absolument fiable et parfaite
23 concernant les destructions subies, mais qu'il s'agit plutôt d'une parmi de
24 nombreuses sources d'éléments de preuve indiquant la grande échelle à
25 laquelle les destructions ont été commises. Reconnaissant qu'il existe un
26 certain nombre d'incohérences au niveau des chiffres totaux, l'Accusation a
27 procédé comme suit à des fins illustratives et de démonstrations : nous
28 avons écarté les doublons qui se présentaient avec certains villages,
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1 écarté les lignes vides et écarté également les lignes pour lesquelles
2 l'estimation portait sur des destructions antérieures à l'opération
3 Tempête, et nous avons recompté les chiffres --
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Kehoe.
5 M. KEHOE : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Avec le
6 respect que je vous dois, mes excuses à mon confrère, mais il n'y a pas le
7 moindre fondement à voir ceci apparaître maintenant, et à ce nouveau
8 calcul, ce nouveau décompte qui nous est maintenant proposé. Alors,
9 j'hésite à soulever une objection, parce que je sais que la Chambre n'est
10 pas très encline à accepter cela. Mais j'estime qu'il n'y a pas le moindre
11 fondement à présenter maintenant ce type de document et d'estimation.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Laissons l'Accusation continuer à
13 développer sa thèse. Ce n'est pas maintenant que nous allons décider de ce
14 qui est ou non la vérité vraie. Apparemment, de nouveaux calculs ont été
15 effectués par l'Accusation. Voyons simplement si cela permet ou non de
16 mieux comprendre, voire d'alléger certains des défauts qui ont été avancés
17 concernant ce rapport. Simultanément, M. Hedaraly gardera à l'esprit le
18 fait que la Chambre aura peut-être besoin de plus d'information afin de
19 pouvoir vérifier comment ces nouveaux calculs ont été faits, comment
20 certaines lignes ou données ont été retirées, et cetera.
21 M. KEHOE : [interprétation] Juste pour qu'on le voie au compte rendu,
22 Monsieur le Président, au nom de la Défense Gotovina, nous indiquons
23 simplement ne disposer d'aucun moyen de vérifier l'exactitude de ce point.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que j'ai été tout à fait clair,
25 nous aurons besoin d'éléments supplémentaires avant de pouvoir vérifier
26 l'exactitude des éléments qui nous sont présentés par M. Hedaraly. Mais ce
27 dernier pourrait également choisir d'attendre que les Défenses aient
28 présenté leurs propres arguments sur ce point avant de poursuivre sur ce
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1 point.
2 M. KUZMANOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Mes excuses
3 à M. Hedaraly, je souhaite me joindre aux propos de mon confrère, parce que
4 nous n'avons pas eu la possibilité de procéder à des contre-interrogatoires
5 ou des examens supplémentaires concernant tout élément sous-jacent à ce qui
6 nous est maintenant présenté.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce que l'Accusation semble avoir fait
8 c'est d'examiner les éléments de preuve et y avoir réfléchi par rapport aux
9 objections qui ont été soulevées par la Défense concernant les défauts dont
10 serait entaché ce rapport. Si l'Accusation ne fournit pas suffisamment
11 d'explications, bien, non seulement les Défenses, mais également la Chambre
12 ne seront pas en mesure de vérifier l'exactitude des propos de
13 l'Accusation.
14 Donc laissons l'Accusation poursuivre dans cette voie, et nous verrons.
15 Monsieur Hedaraly, est-ce que vous souhaitez brièvement répondre aux
16 préoccupations avancées par Me Kehoe et Kuzmanovic. Si vous souhaitez
17 ajouter quelque chose, allez-y, mais tenez compte du fait que la Chambre a
18 bien compris ce que vous êtes en train de faire, et vous devriez également
19 être bien conscient du fait que si vous présentez de nouveaux chiffres et
20 de nouveaux calculs, il pourrait être difficile pour nous de vérifier ce
21 qu'il en est exactement, et notamment si vos calculs sont exacts. Compte
22 tenu de tout cela, je vous invite à poursuivre maintenant, ou plus tard, si
23 vous le préférez, sur ce point.
24 M. HEDARALY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Mon intention
25 était simplement de montrer que pour ce qui concerne ces chiffres et
26 certaines des objections avancées par la Défense à leur sujet, les écarts
27 ou les défauts qui ont été suggérés par la Défense ne sont pas réellement
28 significatifs. Je ne prétends pas ici verser quoi que ce soit en tant
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1 qu'élément de preuve. Enfin, j'espère que la Chambre aura compris la
2 finalité des éléments que je suis en train de présenter.
3 Il y a également d'autres questions qui ont été soulevées concernant
4 ce rapport, ainsi les incohérences avec le recensement de 1991, mais aussi
5 la méthodologie employée quant à la façon dont les chiffres ont été
6 obtenus, ou encore la question de savoir si toutes les équipes ont bien
7 fait état des dommages préexistant l'opération Tempête. Je ne me pencherai
8 pas sur le détail de tout cela. Je souhaiterais simplement signaler, Madame
9 et Messieurs les Juges, que des éléments de preuve sont disponibles au
10 compte rendu à cet effet, par exemple, la déposition de M. Puhovski, en
11 page 16 121, concernant les chiffres du recensement; la déposition de MM.
12 Marti et Tchernetsky qui ont indiqué tous deux avoir fait état de dommages
13 préexistant à l'opération Tempête, en pages 4 705 et 4 706, ainsi que 3 225
14 du compte rendu d'audience. Et bien que ce rapport et cette estimation ne
15 représentent pas un compte rendu absolument parfait de chaque maison ou
16 chaque bâtiment ayant été détruit après la date du 5 août - et d'ailleurs
17 vous noterez que les cas de Kistanje et Djevrska, qui représentent certains
18 des cas de destruction les mieux documentés, n'ont pas été inclus.
19 En dépit de tout cela, le point principal que je souhaite soulever,
20 Madame et Messieurs les Juges, est le suivant : ce que le rapport de la
21 Mission des observateurs des Nations Unies confirme et corrobore, ce sont
22 tous les autres éléments de preuve que j'ai évoqués au cours de ces
23 quelques minutes. Les éléments de preuve émanant des représentants de la
24 communauté internationale qui ont déclaré que dans presque tous les
25 villages, des maisons ont été détruites, et cela, dans des proportions
26 allant de 60 % à 90 % dans les zones rurales, ainsi que les éléments de
27 preuve émanant de presque tous les civils serbes restés dans leurs maisons
28 et qui ont déposé devant la Chambre de première instance.
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1 Concernant les destructions, la Défense Gotovina cite M. Flynn et son
2 estimation d'au moins 500 maisons qui auraient été détruites au cours des
3 trois semaines s'étendant après l'opération Tempête. M. Flynn lui-même a
4 déclaré, en pages 1 314 à 1 318 du compte rendu d'audience, qu'il
5 s'agissait là d'une estimation se situant véritablement dans le bas de la
6 fourchette. Et il s'agit effectivement d'un chiffre extrêmement bas qui se
7 trouve en porte-à-faux avec l'ensemble des éléments de preuve. Cependant,
8 je rappelle aux Juges de la Chambre que M. Flynn a également indiqué dans
9 sa déposition que les incendies volontaires ont résulté d'une campagne
10 systématique. Pièce P21, paragraphe 11. Et lorsqu'il s'est vu demander
11 d'expliquer cela, il a indiqué que c'était l'échelle à laquelle s'étaient
12 produits les incendies volontaires et le grand nombre d'incendies qui
13 l'avaient avant toute chose conduit à tirer cette conclusion. Le résultat
14 de tout ceci, Madame et Messieurs les Juges, ainsi qu'une organisation
15 internationale l'a relevé, a été que, je cite, "l'incendie volontaire des
16 ressources agricoles des Serbes de la Krajina les a effectivement empêchés
17 de revenir en nombre important;" pièce P2150.
18 En effet, un témoin s'est vu demander pourquoi après un séjour de sept
19 semaines dans le camp des Nations Unies, elle a choisi de se rendre en
20 Serbie plutôt que de revenir à son domicile, et elle a alors répondu en
21 page 16 652 du compte rendu d'audience, je cite :
22 "Comment aurais-je seulement pu revenir dans ma maison alors que notre
23 maison avait été entièrement incendiée ? Nous n'avions plus aucune maison
24 où nous aurions pu revenir."
25 Je relève l'heure, Madame et Messieurs les Juges. Je vais maintenant
26 aborder un autre sujet, donc peut-être que le moment est venu de faire une
27 pause.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En effet, Monsieur Hedaraly.
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1 Nous allons faire une pause et nous reprendrons à 12 heures 45.
2 --- L'audience est suspendue à 12 heures 23.
3 --- L'audience est reprise à 12 heures 51.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Hedaraly, veuillez poursuivre.
5 M. HEDARALY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
6 La criminalité en Krajina après le 4 août est allée au-delà des pillages et
7 destructions des biens des Serbes pour comprendre également le meurtre de
8 centaines de civils serbes. Ces meurtres ont également commencé à se
9 produire dès que les forces croates ont pénétré dans la région, la plupart
10 d'entre eux se produisant dès les premiers jours qui ont suivi la date du 5
11 août.
12 Les meurtres retenus par l'Accusation ont tous été perpétrés contre
13 des civils, y compris des femmes et des personnes âgées, et ont été souvent
14 le résultat de tirs à l'arme à feu. Lorsqu'on se penche sur les éléments de
15 preuve dans leur totalité, ainsi que sur les nombreux éléments de preuve
16 disponibles concernant les meurtres émanant aussi bien de témoins ayant
17 déposé devant la Chambre que de ceux qui ont fourni des dépositions en
18 application des articles 92 bis et 92 quater, un schéma particulier
19 apparaît.
20 Avant de me pencher sur les incidents spécifiques, je voudrais
21 aborder trois facteurs généraux qui rendent visible ce schéma et réfutent
22 la thèse selon laquelle ces meurtres se seraient produits de façon
23 aléatoire.
24 Tout d'abord, il s'agit de la date des meurtres; deuxièmement, de
25 l'âge et du sexe des victimes; et troisièmement, de la cause de la mort.
26 Concernant la date des meurtres, l'Accusation s'est penchée dans son
27 appendice A sur l'ensemble des éléments de preuve disponibles ainsi que
28 dans l'annexe B. L'Accusation est parvenue à la conclusion suivante. Ainsi
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1 qu'on peut le voir sur le transparent suivant, je voudrais insister sur un
2 point méthodologique : en fait, lorsque aucune date exacte de la mort n'est
3 disponible et lorsque seule est disponible la date à laquelle le corps a
4 été levé, l'Accusation s'est fondée sur la simple constatation
5 approximative consistant à dire que plus le corps a été collecté tard, plus
6 il tend à être en état de décomposition avancée. Donc trois catégories
7 apparaissent : si le corps avait été levé avant le 31 août, on considérait
8 que la mort s'était produite trois jours précédemment; si c'était avant le
9 15 août, on considère que la mort s'était produite un jour auparavant; et
10 si le corps était retrouvé avant le 30 septembre, on considérait que la
11 mort s'était produite cinq jours auparavant.
12 Et ceci est appuyé par les éléments de preuve cités dans le mémoire
13 final de l'Accusation, en tout cas je ne l'avance qu'à des fins
14 d'illustration.
15 Lorsque nous nous penchons sur ces éléments de preuve, nous pouvons voir
16 que sur un total de 324 [comme interprété] victimes de meurtre, 182
17 victimes ont trouvé la mort avant la date du 10 août.
18 Si nous incluons les chiffres apparaissant en orange, qui
19 correspondent aux meurtres intervenus avant la date du 15 août, nous voyons
20 qu'il s'agit approximativement des deux tiers, et encore une fois, nous
21 disposons d'une abondance d'éléments de preuve indiquant que l'ensemble de
22 la région était sous le contrôle exclusif des forces croates à ce moment-
23 là.
24 Quant aux victimes, l'ensemble des 324 victimes étaient soit des civils,
25 soit des soldats hors de combat. A l'intérieur de ce groupe, on peut voir
26 que 97 des victimes étaient des femmes, parmi lesquelles 55 étaient âgées
27 de 60 ans ou plus; 87 de ces victimes étaient des hommes âgés de 60 ou
28 plus.
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1 Si j'en donne une représentation graphique, vous noterez que 184 parmi les
2 324 victimes étaient des femmes, y compris les femmes âgées et les hommes
3 âgés.
4 Alors, je relève également que la catégorie des "autres" ici ne comprend
5 pas uniquement les hommes âgés de 60 ans ou moins, mais également tous les
6 hommes pour lesquels aucune date de naissance spécifique n'était
7 disponible.
8 Et puisque l'ensemble de ces victimes étaient soit des civils, soit des
9 soldats hors de combat, la large proportion de femmes et de personnes âgées
10 parmi les victimes suggère que toute personne restée en Krajina était une
11 cible potentielle.
12 Quant à la cause des morts, il n'y a pas de rapport d'autopsie pour toutes
13 les victimes. Dans la plupart des cas, les corps n'ont pas été enterrés
14 dans les cimetières de Knin ou de Gracac, où l'Accusation a procédé à des
15 exhumations. Par conséquent, les éléments de preuve doivent être examinés
16 dans leur globalité, par exemple, la présence de blessures visibles au
17 moment où le corps a été enlevé doit être prise en considération ainsi que
18 lorsqu'il est fait état que le corps portait des marques de brûlures.
19 Dans certains cas, malgré la présence d'un rapport d'autopsie, la cause de
20 la mort est incertaine. Une cause incertaine n'exclut pas nécessairement la
21 possibilité d'une mort violente, et comme la Chambre a déjà noté, dans un
22 échange avec le Dr Clark, en page 14 251 du compte rendu d'audience,
23 d'autres facteurs doivent également être pris en considération.
24 Dans certains cas, la cause de la mort est indéterminée en raison de l'état
25 de décomposition avancé du corps et du fait que les examens médicolégaux se
26 sont produits des années après la date de la mort. Dans le cas de Nikica
27 Panic, victime numéro 124, la tête était manquante et l'examen médicolégal
28 n'a pas été en mesure de déterminer une cause précise de la mort.
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1 Encore une fois, les éléments de preuve doivent être examinés dans leur
2 totalité, y compris les éléments émanant de représentants de la communauté
3 internationale ou de personnes du cru ayant vu le corps, tout comme les
4 éléments de preuve dont la Chambre a été saisis concernant les meurtres et
5 violences infligés aux civils serbes.
6 Ce que nous trouvons dans les rapports d'autopsie cependant est que 81
7 parmi les 324 victimes énumérées par l'Accusation sont décédées d'au moins
8 un tir à la tête. Quatre-vingt-seize autres victimes sont décédées de tirs
9 d'arme à feu ayant touché d'autres parties de leur corps, ce qui représente
10 un total de 177, soit plus de la moitié. Si nous ajoutons les victimes
11 représentées en couleur orange, les 26 qui sont potentiellement décédées de
12 blessures infligées par des armes à feu, nous voyons ces proportions
13 augmentées plus encore. Donc il faut également tenir compte de la catégorie
14 de ceux qui ont été potentiellement tués par des armes à feu.
15 Donc toute affirmation selon laquelle ces meurtres par arme à feu
16 auraient été les suites d'opérations de combat devient encore moins
17 raisonnable si nous nous penchons sur les données disponibles concernant
18 les femmes et les hommes âgés.
19 Nous voyons que plus de la moitié des hommes âgés, représentés en
20 couleur bleue et le bleu plus foncé dans la partie haute, ont été tués par
21 des armes à feu. Si nous y ajoutons les causes probables de la mort par
22 arme à feu, nous atteignons une proportion de 70 %.
23 Quant aux femmes, encore une fois, plus de la moitié d'entre elles
24 ont été tuées par arme à feu.
25 Je voudrais également saisir l'occasion qui m'est donnée pour faire
26 remarquer que l'une de ces femmes qui a été tuée par balle à la tête était
27 Ilinka Crnogorac, numéro de victime 156. Dans son mémoire, la Défense
28 Gotovina fait référence au registre de la police de Knin, page 74, pour
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1 affirmer que cette femme est morte de mort naturelle. Dans le mémoire de la
2 Défense, cette victime figure comme numéro 314, mais son nom apparaît
3 également sur la page du document que je vous présente en ce moment.
4 Donc la police de Knin, dans son registre, affirme à l'entrée 226 que cette
5 femme est morte de mort naturelle. La police croate affirme la même chose
6 aux observateurs militaires européens en leur disant que cette femme de 67
7 ans est morte d'hypotension artérielle, en dépit du fait que ces
8 observateurs internationaux ont trouvé du sang et une douille de balle dans
9 la maison de la victime et que d'autres habitants de la localité lui ont
10 dit que cette femme avait été tuée par des soldats de l'armée croate. Le
11 rapport d'autopsie, qui va maintenant s'afficher sur vos écrans, confirme
12 le récit de ces habitants de la localité et celui des représentants
13 internationaux puisqu'il démontre que cette femme est, en fait, morte d'un
14 tir à bout portant à la tête.
15 Un autre exemple important également cité dans le mémoire final de
16 l'affaire Gotovina concerne la victime numéro 127. Dans ce cas-là, le
17 registre de la police de Knin, en page 70, affirme que la victime est morte
18 de cause naturelle, alors que le Dr Clark déclare dans sa déposition que la
19 victime est morte d'un coup d'arme à feu.
20 Comme je l'ai déjà dit, l'appréciation de ces éléments de preuve dans
21 leur globalité implique également de prendre en compte des éléments très
22 détaillés que les Juges de la Chambre ont obtenu et qui concernent d'autres
23 meurtres. Vous avez reçu les éléments de preuve statistiques qui démontrent
24 que la plupart de ces meurtres ont eu lieu avant le 10 août et que deux
25 tiers d'entre eux se sont produits avant le 15 août. Vous avez également
26 entendu des témoins affirmer que les forces croates ont commencé à tuer des
27 civils dès leur entrée sur le territoire, par exemple, SK 2, 3, 7 et 10,
28 qui ont eu lieu entre le 5 et le 7 août 1995. Vous avez également reçu de
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1 nombreux éléments de preuve qui concernent d'autres meurtres de la bouche
2 de témoins qui ont déposé en application des articles 92 bis et 92 quater
3 du Règlement de procédure et de preuve de ce Tribunal. Ces témoins
4 décrivent, parfois dans le détail, les circonstances du meurtre de membres
5 de leurs familles ou de voisins.
6 S'agissant de certains meurtres bien précis, la Défense a présenté un
7 certain nombre d'arguments, et dans bien des cas, il s'agit de sa propre
8 interprétation de ce qui s'est passé, ou, dans un grand nombre de cas, de
9 ce qui a pu s'être passé, étant donné les conclusions déraisonnables et
10 improbables auxquelles la Défense a abouti. Je n'aurai pas le temps de
11 reprendre tous ces exemples aujourd'hui, mais je me contenterai de quelques
12 exemples destinés à montrer aux Juges de la Chambre pourquoi ceux-ci
13 devraient se montrer très prudents dans l'appréciation de ces éléments de
14 preuve et pourquoi ils devraient analyser avec le plus grand soin tous les
15 éléments de preuve globalement afin de se prononcer.
16 Commençons par un exemple qui a été soumis à la Chambre, à savoir les
17 présumés doublons. On a dit aux Juges de la Chambre que les victimes 48 et
18 79 n'étaient qu'une seule et même victime, et qu'il s'agissait probablement
19 d'un doublon. Ce n'est pas le cas. Les cadavres récupérés l'ont été dans
20 deux lieux différents qui sont séparés par 3 à 5 kilomètres de distance, et
21 les témoins qui ont récupéré l'un des cadavres ont remarqué des traces de
22 balles sur les jambes, ce qui n'est pas le cas sur le corps de l'autre
23 victime.
24 Notes en bas de page 374 et 493.
25 Dans le même ordre d'idées, il est indiqué que les victimes 305 et 306
26 seraient une seule et même personne, alors que les Juges de la Chambre ont
27 entendu les témoins, des observateurs militaires européens, qui ont
28 découvert les cadavres, il s'agit d'Eric Hendriks; et ont également vu des
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1 photographies des corps au nombre de deux. Il en est fait mention dans les
2 notes de bas de page 984 et 985 à l'annexe B.
3 J'ai déjà parlé de ces deux exemples où il était question de mort de cause
4 naturelle.
5 Mais il y a un cas que j'aimerais aborder davantage en détail, il s'agit du
6 meurtre de Jovica Plavsa, au sujet duquel les Juges de la Chambre ont déjà
7 reçu un grand nombre d'éléments de preuve au cours du débat juridique qui a
8 entouré l'admission en tant que pièce au dossier de la déclaration de son
9 père. Ce que Nikola Plavsa a dit dans sa déposition, c'est que son fils
10 avait été emmené menotté par les soldats croates le 5 août. Il a entendu un
11 bruit de coup de feu provenant de la direction dans laquelle on avait
12 emmené son fils et de l'endroit où on a retrouvé le corps de son fils,
13 quelque dix à 15 minutes plus tard. Pièce P2686, page 11. Ce récit est
14 corroboré par le rapport d'autopsie qui parle de la présence d'une paire de
15 menottes encerclant le radius droit.
16 La Défense Gotovina, toutefois, après avoir affirmé que Jovica Plavsa était
17 mort pendant le combat durant le débat juridique entourant le versement au
18 dossier de la déclaration préalable de son père, s'efforce à présent de
19 vous convaincre - mémoire final, pages [comme interprété] 262 à 264 - que
20 la victime a été abattue au moment où la police militaire s'efforçait de
21 lui mettre les menottes étant donné que des soldats en général ne
22 transportent pas des menottes.
23 Etant donné que les menottes ont été trouvées autour d'un des os du
24 bras de la victime, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges,
25 cette conclusion improbable proposée par la Défense n'est pas plausible,
26 pas raisonnable, et ce qui est encore plus important, pas étayée par les
27 éléments de preuve. La seule conclusion raisonnable c'est que la victime a
28 été emmenée menottée, comme l'affirme le père de la victime, et exécutée
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1 par les quatre soldats présents à Golubic dont la présence n'est pas
2 contestée.
3 J'aimerais maintenant rapidement vous citer un autre exemple, le
4 meurtre de Jovanka Mizdrak, numéro 180. Ici, nous avons un témoin qui a dit
5 dans sa déposition que la victime avait été abattue par un soldat de
6 l'armée croate pour avoir refusé de sortir de sa cour. Pièce P2686. Et nous
7 avons également le rapport des observateurs militaires des Nations Unies,
8 pièce P229, qui indique qu'apparemment la victime a déclaré que le soldat
9 de l'armée de Croatie leur avait demandé de se rendre et que Jovanka a
10 refusé de le faire et est partie en courant à l'intérieur de la maison et
11 que le soldat l'a, à ce moment-là, abattue en lui tirant dans le dos.
12 Laissons de côté la raison pour laquelle un soldat de l'armée croate de se
13 rendre le 8 août, selon ce qu'affirme la Défense, mais il n'était pas
14 raisonnable pour un soldat de l'armée de Croatie de tirer sur une femme de
15 50 ans dans le dos, dont la seule faute semble résider dans le fait qu'elle
16 a eu peur à cause de la présence d'un soldat de l'armée de Croatie en arme
17 qui, apparemment, lui a demandé de se rendre.
18 Eu égard aux meurtres visés à l'acte d'accusation, l'Accusation tient
19 compte des instructions de la Chambre et, par conséquent, je ne répéterai
20 pas les arguments contenus dans notre mémoire final. Je me contenterai de
21 quelques commentaires, dont un sera général et deux plus précis. Le
22 commentaire général qui porte sur un aspect allant au-delà des meurtres,
23 c'est la crédibilité des témoins de l'Accusation qui a été mise en cause,
24 et en particulier la crédibilité des témoins que l'on appelle les témoins
25 parlant des crimes. La Chambre connaît bien la mission difficile à laquelle
26 sont confrontés ces témoins, qui sont souvent des témoins âgés, contraints
27 de revivre des incidents traumatiques. Les Juges ont observé ces témoins,
28 leur gestuelle, et ont entendu le récit fait par ces témoins qui, selon
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1 l'Accusation, est un récit véridique concernant ce qu'ils ont vécu et
2 qu'ils tiennent à partager avec les Juges de la Chambre.
3 Dans cet esprit, vous vous rappellerez les questions difficiles qui ont été
4 posées à Milica Djurica au sujet de ce qu'elle avait à dire lorsqu'elle a
5 affirmé qu'elle avait senti l'odeur de la chair carbonisée de son mari, et
6 vous vous rappellerez qu'il a été dit qu'elle était en train de mentir en
7 disant qu'elle avait dû récupérer les restes de son corps de ses propres
8 mains. Vous avez entendu sa réponse. Et vous trouverez ceci à la page 10
9 821 du compte rendu d'audience.
10 Maintenant, s'agissant du meurtre numéro 1 [comme interprété] de l'acte
11 d'accusation, la Défense Gotovina n'a évoqué que les éléments de preuve
12 provenant du Témoin P3, sans évoquer la déposition très puissante, très
13 importante et très convaincante d'un certain nombre d'autres témoins au
14 nombre desquels se trouve le Témoin P67. On trouve toutes ces mentions dans
15 notre mémoire final.
16 Enfin, un mot rapide sur les chefs d'accusation 8 et 9. L'Accusation fait
17 simplement remarquer que la Défense Gotovina, dans certains cas,
18 lorsqu'elle parle du cas de Draginja Urukalo, les Juges se rappelleront
19 cette femme de 70 ans qui a été contrainte par un soldat de l'armée croate
20 de se dénuder, d'enlever ses sous-vêtements, et ceci n'a tout de même pas
21 été pris en compte comme base d'un viol au titre des chefs 8 et 9.
22 Alors, est-ce que la Défense Gotovina considère que contraindre une femme
23 de 70 ans à se déshabiller, c'est un acte sans gravité. De ce point de vue,
24 les choses sont claires sur le plan juridique. Dans l'affaire Haradinaj,
25 qui a été jugée en appel récemment, la Chambre d'appel a estimé qu'il
26 s'agissait manifestement d'un traitement cruel.
27 Si l'on applique ces textes de loi au fait qui concerne Mme Urukalo,
28 la seule conclusion raisonnable c'est que le HVO [comme interprété] l'a
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1 contrainte à se dénuder et à jouer au basket-ball en se rendant coupable
2 d'un traitement cruel.
3 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, ce que j'ai cité
4 aujourd'hui en termes de meurtre, de traitement cruel, de destruction et de
5 pillage ne sont que quelques exemples de ce qui s'est passé dans la Krajina
6 après le 5 août. L'importance des événements, la grande échelle et la
7 régularité de ces crimes font l'objet de nombreux documents et de nombreux
8 témoignages, y compris de victimes qui ont subi les horreurs de ces crimes,
9 et ceci ne peut mener qu'à une seule conclusion raisonnable. Ces crimes ont
10 été en majorité commis par les forces de Croatie contre des civils serbes
11 et des propriétés serbes.
12 Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir entendu nos
13 arguments. Mme Gustafson va maintenant s'occuper de la responsabilité
14 pénale du général Gotovina.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Hedaraly.
16 Madame Gustafson, si vous êtes prête, vous pouvez procéder.
17 Mme GUSTAFSON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Bonjour et
18 merci.
19 M. Russo vous a expliqué à quel point le général Gotovina a participé de
20 façon active à la réunion de Brioni et comment il a mis en œuvre et exécuté
21 le plan qui avait été orchestré lors de cette réunion en commandant une
22 attaque dirigée sur des zones peuplées de civils, et ce, dans la région de
23 la Krajina afin d'en expulser les Serbes de Krajina.
24 Cette attaque, ce bombardement, n'a été que le début de la participation du
25 général Gotovina à l'entreprise criminelle commune. A la suite de cette
26 attaque, alors que les forces du général Gotovina entraient dans les villes
27 et les villages de la Krajina, ils ont participé à une campagne sur une
28 grande échelle de pillage et d'incendies qui ont contraint de nombreux
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1 Serbes qui étaient restés après les bombardements à partir et qui ont
2 surtout empêché le retour de ceux qui s'étaient déjà enfuis. Au vu de
3 l'échelle de cette destruction et de la nature systématique et prolongée de
4 cette destruction, les observateurs internationaux ont conclu que cette
5 campagne avait été exécutée conformément à des ordres du général Gotovina,
6 ou en tout cas avec son approbation silencieuse. Pour ce qui était du
7 général Gotovina, ils avaient tout à fait raison.
8 Le général Gotovina a effectivement créé et entretenu un climat d'impunité
9 et d'inaction officielle, ce qui a encouragé les crimes de ses subordonnés
10 sur lesquels il a fermé les yeux, et il ne faut pas oublier non plus que de
11 façon délibérée il n'a pas pris de mesures qui étaient tout à fait à sa
12 portée pour prévenir ou empêcher les incendies et le pillage.
13 La Défense de M. Gotovina indique dans son mémoire de clôture que la
14 Chambre ne peut pas aboutir à cette conclusion, parce que le général
15 Gotovina a justement donné des ordres qui, a priori, avaient pour but
16 d'empêcher ses subordonnés de piller et d'incendier. M. Tieger a déjà
17 identifié les erreurs juridiques commises à la suite d'un amalgame opéré
18 dans l'affaire Blaskic, ce qui permet à M. Tieger de justifier ce qu'il
19 avance. Il a expliqué que ces ordres devaient être évalués dans le contexte
20 et au vu de la globalité des éléments de preuve. Et il ne faut pas oublier
21 le contexte, car la totalité des éléments de preuve démontre que les ordres
22 du général Gotovina qui ont été menés pour prévenir le pillage et les
23 incendies avaient pour but de dissimuler le fait qu'il acceptait ces
24 crimes, mais il ne s'agissait pas véritablement d'une tentative authentique
25 de prévenir ces crimes.
26 Alors, quel était le contexte de l'époque ? Comme nous l'avons
27 expliqué aux paragraphes 146 et 147 de notre mémoire de clôture, juste
28 avant l'opération Tempête, les subordonnés du général Gotovina ont pillé,
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1 ont incendié à Grahovo, à Glamoc, et ce, de façon tout à fait structurée,
2 même après que la Région militaire de Split leur ait donné l'ordre
3 d'arrêter. Dans ce contexte, les seules mesures véritables de prévention
4 qui auraient pu vraisemblablement aboutir consistaient à identifier et à
5 punir, ou au moins à écarter des activités de combat, les responsables des
6 pillages et des incendies.
7 Le général Gotovina n'a absolument rien fait pour concrétiser ces
8 mesures. Au lieu de cela, il a donné l'ordre à toutes les forces qui
9 avaient participé à l'opération de rester en position et d'attendre de
10 nouveaux ordres. Il a donné des consignes pour assurer la promotion de
11 certains soldats pour qu'ils soient récompensés, ainsi que leurs officiers,
12 et il a donné l'ordre de distribuer un rapport erroné qui portait sur
13 l'utilisation des obus à teneur de phosphore afin de dissimuler les
14 incendies de Grahovo et de Glamoc. Paragraphes 149 à 151 de notre mémoire
15 de clôture.
16 Donc à la veille de l'opération Tempête, le général Gotovina a relayé
17 en quelque sorte ce message à ses subordonnés : Je ne vous punirai pas pour
18 vos crimes et je prendrai des mesures pour que tout soit camouflé. Dans ce
19 contexte, le général Gotovina devait s'attendre à ce que ses subordonnées
20 récidivent et continuent à piller et à brûler dans le sillage de
21 l'opération Tempête, indépendamment de ces ordres qui visaient le
22 contraire. Ses subordonnés l'avaient d'ailleurs déjà fait et n'avaient
23 absolument pas sanctionné. Et pourtant, dans l'ordre d'attaque, ils se
24 contentent de répéter la même consigne, à savoir il faut prévenir les
25 pillages et les incendies qui n'avaient d'ailleurs absolument pas abouti au
26 début.
27 De surcroît, le général Gotovina n'inclut aucune mesure permettant de
28 superviser la mise en œuvre de ces instructions. Il ne prend aucune mesure
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1 pour faire en sorte qu'elles soient mises en œuvre, à l'exception de son
2 ordre visant les commandants des Groupes opérationnels à qui il demande de
3 cantonner le MUP et la police militaire dans les grandes villes, et ce,
4 afin d'assurer la sécurité de ces grandes villes et de leurs bâtiments
5 importants. Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire de clôture, cette
6 consigne, qui est tout à fait conforme à l'objectif commun, a été couronnée
7 de succès étant donné que les grandes villes et les immeubles importants de
8 ces grandes villes ont été quasiment les seules structures qui ont été
9 épargnées dans un contexte de dévastation totale.
10 Hormis cette mesure bien précise, il est absolument manifeste que le
11 général Gotovina s'attendait à ce que ses ordres qui visaient la prévention
12 des incendies et du pillage échouent, et lorsque cela a été le cas, il n'a
13 absolument pas cherché à réagir ou à faire quoi que ce soit à ce sujet.
14 D'ailleurs, il faut savoir que toute incertitude à ce sujet est
15 solutionnée plutôt par la réponse du général Gotovina à la suite de cette
16 vague de pillages et d'incendies effectués en parfaite contravention de ses
17 ordres. Car le 6 août au plus tard, le général Gotovina a fait des
18 observations à la forteresse de Knin, et il y a également des éléments de
19 preuve indépendants compilés sur la situation à l'intérieur de la ville et
20 autour de la ville, et tout cela montre que le général Gotovina était
21 parfaitement informé du fait que ses soi-disant ordres étaient nuls et non
22 avenus.
23 Si le général Gotovina avait véritablement été préoccupé ou avait
24 véritablement voulu mettre un terme à ces crimes et punir les auteurs de
25 ces crimes, à un moment où tous ses commandants subordonnés se trouvaient
26 autour de lui, il aurait pris des mesures immédiates pour savoir pourquoi
27 ses ordres n'étaient pas suivis. Il aurait tenu ses commandants subordonnés
28 responsables de leur échec à mettre en œuvre et à exécuter ses ordres. Il
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1 aurait pris surtout des mesures concrètes, telles que la détention
2 militaire, les sanctions disciplinaires, les arrestations et les couvre-
3 feux pour faire en sorte de maîtriser ses subordonnés et empêcher que
4 d'autres crimes soient connus. Et il aurait surtout pris des mesures pour
5 faire en sorte que ses ordres soient mis en œuvre. Mais le général Gotovina
6 n'a absolument rien fait de cela, soit le 6 août, soit lors des jours et
7 des semaines suivants, en dépit d'une arrivée constante d'information qui
8 lui permettait de comprendre que ses ordres de prévention de crimes
9 continuaient à ne pas être respectés, et ce, sur une grande échelle. Dans
10 ce contexte, il s'est lancé dans des incantations répétées les jours
11 suivants en donnant le même ordre vain qui déjà avait échoué deux fois.
12 Barkovic et Theunens ont tous les deux confirmé que tout parent, enseignant
13 ou toute personne ayant une certaine autorité sait pertinemment - et
14 Gotovina était un commandant particulièrement expérimenté et il devait le
15 savoir - à savoir que : se contenter de répéter un ordre qui n'a pas abouti
16 au départ n'est pas véritablement une mesure efficace. Un commandant qui
17 sait que ses ordres ne sont pas suivis doit prendre des mesures pour savoir
18 où le bât blesse, quels sont les problèmes et pour faire en sorte que ses
19 ordres soient exécutés. Paragraphes 193 à 195 du mémoire de clôture.
20 J'en viens maintenant aux soi-disant mesures de prévention prises par la
21 Défense de Gotovina afin de prouver que général Gotovina a pris de
22 véritables mesures pour prévenir ou punir les crimes en question. L'un de
23 ces documents est l'instruction du général Gotovina du 9 août, qui est
24 référencé en page 95 du journal opérationnel afin de photographier et de
25 prendre des enregistrements vidéo des actes criminels que vous pouvez voir
26 sur le transparent. C'est abordé au paragraphe 753 du mémoire final de
27 Gotovina. Il y a au moins trois raisons pour lesquelles cet ordre ne
28 reflète pas une tentative sincère de punir ou de prévenir les crimes.
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1 Premièrement, le général Gotovina ne donne d'instruction réelle à personne
2 pour ce qui est de la mise en œuvre de ce prétendu ordre. Les éléments de
3 preuve montrent qu'il n'a pas véritablement été exécuté. Paragraphe 175 de
4 notre mémoire final.
5 Deuxièmement, le général Gotovina, ou plutôt, ses subordonnés se livraient
6 déjà à une commission de leurs crimes au vu et au su de tous, et notamment
7 des internationaux, ainsi que de leur propre commandant. Il serait insensé
8 de considérer que de prendre des photographies de soldats qui se livraient
9 déjà à la commission de crimes avec l'assentiment de leurs commandants
10 serait une mesure efficace.
11 Troisièmement, le général Gotovina a fait ce commentaire lors d'une réunion
12 en présence de ses commandants subordonnés. S'il avait sincèrement voulu
13 faire cesser ces crimes, il aurait donné l'ordre à ses commandants de
14 mettre en détention et de sanctionner ceux qui avaient été pris en flagrant
15 délit de pillage et d'incendies volontaires, et non pas de les prendre en
16 photo.
17 Au paragraphe 765 de leur mémoire final, la Défense Gotovina persiste à
18 affirmer que la démobilisation des criminels était une mesure nécessaire et
19 raisonnable au titre de sanction. Elle affirme que l'Accusation n'a proposé
20 aucun élément de preuve étayant sa position consistant à dire le contraire.
21 Mais il revient à la Chambre de déterminer si la démobilisation était ou
22 non, dans les circonstances de l'espèce, une mesure nécessaire et
23 raisonnable, et il est tout à fait approprié pour l'Accusation de soumettre
24 ses propres théories à ce sujet, comme nous l'avons fait dans les
25 paragraphes 236 à 237 de notre mémoire final.
26 La Défense Gotovina affirme également que Lausic aurait décrit la
27 démobilisation comme la mesure la plus sévère disponible pour répondre à
28 d'indiscipline au sein des forces de réserve. C'est là une caractérisation
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1 erronée de la déposition de Lausic. Comme vous pouvez le voir sur le
2 transparent suivant, et au paragraphe 210 de la pièce P2159, Lausic décrit
3 le recours à une menace de démobilisation en tant que moyen pour maintenir
4 la discipline au sein des unités de réserve. Ceci ne vient pas étayer
5 l'affirmation selon laquelle les criminels au sein de la HV pouvaient être
6 punis de façon appropriée en étant simplement démobilisés.
7 Aux paragraphes 771 à 773 de son mémoire final, la Défense Gotovina a
8 affirmé que le général Gotovina, par les mesures prétendues qu'il aurait
9 prises en vue de punir et de prévenir les crimes, aurait obtenu des
10 résultats effectifs et que le général Gotovina croyait en le caractère
11 effectif de ces mesures lorsqu'il a affirmé que :
12 "Il n'y avait aucune preuve que les unités de la HV se soient engagées dans
13 la moindre activité illégale en Croatie après le 18 août."
14 Paragraphe 771.
15 Les annexes du mémoire final de l'Accusation démontrent la fausseté de
16 ceci. De plus, la poursuite de ces activités criminelles a été portée de
17 façon répétée à la connaissance du général Gotovina. Paragraphes 185 à 189
18 du mémoire final de l'Accusation.
19 La Défense Gotovina s'appuie également sur la pièce D1286, le rapport daté
20 du 7 septembre de Budimir et adressé à l'administration de la police
21 militaire, que vous pouvez voir dans le transparent suivant. Dans ce
22 rapport, Budimir affirme que :
23 "Après la période initiale de quatre à cinq jours," tous les cas
24 d'incendies volontaires de maisons avaient été empêchés.
25 La Défense affirme que Budimir aurait transmis cette information au général
26 Gotovina, lui indiquant par la même que les mesures qu'il avait prises en
27 date du 18 août auraient été couronnées de succès. Mais tout d'abord, comme
28 vous pouvez le voir, Budimir ne mentionne que les incendies volontaires et
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1 ne dit absolument rien des pillages, à l'inverse de ce qui est affirmé au
2 paragraphe 772 du mémoire de la Défense.
3 En tout état de cause, la déclaration de Budimir elle-même est absurde.
4 Elle est contredite par un très grand nombre d'éléments de preuve
5 disponibles concernant la poursuite des incendies volontaires bien au-delà
6 des quatre ou cinq jours ayant suivi l'opération Tempête, comme Budimir le
7 savait parfaitement. Par exemple, comme vous pouvez le voir sur le présent
8 transparent, à la date du 18 août, la police militaire a fait état auprès
9 du commandement de la région militaire de Split que "l'incendie volontaire
10 de maisons et le fait de tuer le bétail pouvaient toujours être constatés
11 et se poursuivaient." Pièce P71, page 116.
12 Si Budimir avait fait savoir au général Gotovina ce qui est indiqué dans le
13 rapport daté du 7 septembre du même Budimir, cela aurait dû alerter le
14 général Gotovina en lui indiquant que son propre commandant du Bataillon de
15 Police militaire était disposé à présenter une image aussi manifestement
16 falsifiée de la situation en terme de criminalité.
17 Au paragraphe 591 de son mémoire, la Défense Gotovina énumère toute une
18 série de mesures qui auraient été prises pour prévenir et punir les crimes
19 dans une tentative alléguée de contrer cette conclusion selon laquelle le
20 général Gotovina aurait contribué à l'entreprise criminelle commune par son
21 échec à agir. Je n'ai pas le temps de me pencher sur tout ceci aujourd'hui.
22 Il suffira simplement de dire que les éléments de preuve sous-tendant ces
23 mesures alléguées sont pour le moins remis en question par d'autres
24 éléments de preuve démontrant les larges compétences et pouvoirs dont
25 disposait le général Gotovina en matière de prévention et de sanction et
26 l'exercice qu'il en a fait dans des domaines qui n'ont rien à voir avec
27 l'acte d'accusation, ce qui n'a fait que mettre en valeur davantage l'échec
28 dont a fait preuve le général Gotovina lorsqu'il s'agissait de prendre des
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1 mesures réellement destinées à prévenir les crimes commis par ses
2 subordonnés ou à faire cesser leur commission.
3 Les éléments de preuve, dans leur globalité, démontrent que le général
4 Gotovina avait l'intention que ces crimes soient commis par l'intermédiaire
5 d'actes de pillage et d'incendies volontaires et qu'il a contribué à cet
6 égard à l'objectif commun par son inaction délibérée. Tout au moins, les
7 éléments de preuve démontrent que le général Gotovina était au fait de la
8 commission de ces crimes qui étaient des conséquences prévisibles de
9 l'exécution de l'objectif commun et qu'il a sciemment et volontairement
10 pris le risque d'avoir commis ces crimes dans le cadre de l'exécution de
11 cet objectif.
12 Je vais maintenant me pencher sur l'élément moral pour le crime de meurtre
13 pour ce qui concerne le général Gotovina. Bien que l'Accusation s'applique
14 principalement sur les modes de responsabilité de l'entreprise criminelle
15 commune, l'Accusation retient également différents modes supplémentaires de
16 responsabilité. Bien que l'élément moral applicable pour ces différents
17 modes ne soit pas toujours le même, il est toujours lié au fait d'être au
18 courant, et le critère applicable est celui de la connaissance des
19 éléments, des événements concernés.
20 Je réfère la Chambre aux paragraphes 122 à 129, 199 à 205 de notre
21 mémoire qui se penchent sur les facteurs et les éléments de preuve
22 démontrant que chacun de ces critères est satisfait. Je ne vais pas répéter
23 ce résumé, mais plutôt reprendre certaines des affirmations de la Défense
24 concernant ces facteurs et ces éléments de preuve.
25 Tout d'abord, la connaissance dont avait le général Gotovina,
26 préalablement, l'opération Tempête, par rapport aux crimes de meurtres, et
27 de mauvais traitements. Ensuite, j'examinerai la connaissance qui était la
28 sienne et qui a augmenté à mesure que la situation se développait.
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1 D'une façon générale, la Défense a des éléments d'information séparés
2 et distincts, et elle développe des arguments qui montrent que chacun de
3 ces éléments d'information n'a pas servi à informer le général Gotovina du
4 fait que ses subordonnés étaient en train de commettre un meurtre. Cette
5 démarche était menée à deux égards. D'abord, la Défense applique un critère
6 de connaissance effectif, un critère qui n'est pas nécessaire pour établir
7 l'un quelconque des éléments moraux en cause en l'espèce.
8 Deuxièmement, cette approche traite de façon erronée les éléments de
9 preuve en les considérant de façon ponctuelle, alors qu'il importe de les
10 prendre en compte de façon globale et, par conséquent, elle ne tient pas
11 compte de l'effet cumulatif de ces éléments d'information dont disposait le
12 général Gotovina pour se former une connaissance. Sans perdre de vue cette
13 démarche erronée de façon générale, j'aimerais répondre à quelques-uns des
14 arguments de la Défense au sujet de ces éléments d'information.
15 Le premier concerne les commentaires du général Gotovina à Brioni qui
16 a parlé de la difficulté de tenir ses subordonnés en laisse. Paragraphe 693
17 de notre mémoire en clôture, la Défense s'appuie sur l'utilisation
18 ultérieure par le général Gotovina du terme "laisse" dans un contexte
19 différent, comme étant le seul moyen d'étayer son affirmation selon
20 laquelle ce commentaire portait sur le moral des troupes. Ceci n'a aucun
21 sens. Manifestement, les gens utilisent le même mot dans des contextes
22 différents en voulant parler de choses différentes. La Chambre de première
23 instance devrait interpréter la remarque du général Gotovina dans le même
24 contexte que celui dans lequel ce mot a été prononcé à Brioni. Gotovina a
25 prononcé ces remarques en réponse à des commentaires de Tudjman qui
26 portaient sur la phrase suivante, je cite : "Je vous prie de vous rappeler
27 combien de villages croates et de villes croates ont été détruites, alors
28 que ce n'est toujours pas la situation à Knin, aujourd'hui."
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1 Autre chose qui est affirmée dans ce paragraphe, c'est que la
2 connaissance qu'avait le général Gotovina de l'attitude de ses subordonnés
3 était circonscrite au 3e Bataillon du 126e Régiment, parce que cette unité
4 est celle qu'il avait évoquée à Brioni. Nonobstant la façon dont on
5 interprète ce commentaire particulier, le général Gotovina connaissait
6 l'attitude de vengeance qui existait et qui constituait un phénomène de
7 grande ampleur. La vengeance et la haine étaient les justificatifs qu'il a
8 invoqués devant les représentants internationaux lorsqu'ils l'ont confronté
9 aux crimes qui avaient été commis. Par ailleurs, chacun était au courant du
10 fait que les unités de la Garde nationale étaient constituées de soldats
11 qui avaient été expulsés de Krajina, et qui, par ailleurs, avaient souffert
12 entre les mains de responsables du régime serbe en Krajina. Donc c'est du
13 simple bon sens que de relier ces faits les uns aux autres pour aboutir à
14 la compréhension de cette envie de vengeance et de la nécessité qui en
15 découlait de prendre des mesures supplémentaires pour superviser et
16 contrôler ce qui s'est fait dans le cadre de l'opération Tempête.
17 A cet égard, Mladen Barkovic a dit quelque chose de tout à fait évident
18 lorsqu'il a établi ce rapport, page du compte rendu d'audience 20 175, que
19 vous voyez sur le transparent actuellement. Il a dit dans sa déposition que
20 parce que les membres de cette unité de la Garde nationale possédaient des
21 propriétés dans la région de Krajina qui avait été détruite précédemment,
22 la situation exigeait "un contrôle très strict et très important dans le
23 but de garantir que ces individus n'allaient se livrer à aucun méfait."
24 Et le même rapport logique existe entre les gardes de la Garde nationale,
25 la vengeance et le crime, et il a été mis en exergue par le commandant
26 adjoint de la région militaire de Split chargé des affaires politiques dans
27 son rapport du 13 août, pièce D810, que nous voyons sur cette diapositive.
28 Faisant remarquer que l'incendie volontaire était le plus souvent le fait
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1 des membres de la Garde nationale, il déclare, je cite :
2 "Il est permis de penser que leur motivation reposait sur le désir de
3 vengeance."
4 Cet élément de preuve contredit les affirmations de la Défense que l'on
5 trouve au paragraphe 695 de son mémoire en clôture, selon lequel aucun
6 élément de preuve ne permet de penser que les unités de la Garde nationale
7 nourrissaient une animosité particulière vis-à-vis de la population civile
8 serbe, en dehors de ce que l'on pouvait attendre raisonnablement dans des
9 conditions de guerre. Paragraphe 695.
10 Au paragraphe 693, la Défense fait une autre affirmation erronée selon
11 laquelle le 3e Bataillon du 126e Régiment n'a pas participé à l'opération de
12 Grahovo.
13 Les entrées que l'on trouve en pages 2, 18, 29, 39, 51, et 63 de la pièce
15 Bataillon, ont bel et bien participé à cette opération.
16 Par ailleurs, comme vous le voyez dans cet extrait de la pièce P2665,
17 l'unité en question a participé aux incendies volontaires de maisons à
18 Grahovo, je cite, "de façon organisée." Et cet élément de preuve contredit
19 également l'affirmation de la Défense que l'on trouve au paragraphe 695
20 selon laquelle, je cite, "il n'existe aucun élément de preuve au dossier
21 montrant que cette unité de la Garde nationale dépendant de la région
22 militaire de Split aurait commis un quelconque crime contre les Serbes ou
23 des propriétés serbes à quelque moment antérieur à l'opération Tempête."
24 Au paragraphe 708, nous voyons que la Défense affirme que la connaissance
25 qu'avait le général Gotovina du fait que les biens immobiliers que
26 possédaient ses subordonnés avaient été détruits et pillés ne doit pas
27 constituer un élément d'information préalable au sujet des crimes, des
28 assassinats et des mauvais traitements, selon "le principe fondamental que
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1 la connaissance en question doit être liée à des crimes précis."
2 Cette affirmation n'est pas étayée par la jurisprudence sur laquelle
3 s'appuie la Défense Gotovina. Même si le jugement en appel dans Krnjajic,
4 paragraphe 155, affirme qu'un commandant doit être en possession de
5 suffisamment d'éléments d'information alarmants pour se dire au courant du
6 délit particulier dont il est tenu pour responsable, il n'existe aucun
7 règlement indiquant que des informations alarmantes en nombre suffisant
8 sont le seul critère à respecter pour déclarer qu'un commandant avait
9 effectivement connaissance du fait que ses subordonnés auraient dans le
10 passé commis des actes confinant à une infraction."
11 La jurisprudence est claire, à savoir qu'il importe de savoir si un accusé
12 disposait d'informations préalables suffisamment alarmantes, mais le fait
13 de déterminer si ce nombre d'informations préalables constitue
14 effectivement un avertissement et une mise au courant préliminaire doit
15 être apprécié selon les circonstances précises, au cas par cas, et les
16 facteurs pertinents ne sont pas limités à la connaissance de crimes passés.
17 Par exemple, dans le jugement Celebici, la Chambre d'appel a estimé, au
18 paragraphe 238 de son arrêt, que, je cite :
19 "Un commandant militaire qui a reçu des renseignements indiquant qu'un
20 soldat sous son commandement a un caractère violent ou instable, ou qu'il a
21 bu avant d'être envoyé en mission peut être considéré comme ayant la
22 connaissance requise."
23 Dans le cas qui nous intéresse, un certain nombre d'éléments, y compris
24 mais qui ne se limitent pas à la connaissance effective qu'avait le général
25 Gotovina, que ses subordonnés avaient déjà pillé et incendié des maisons,
26 donc un certain nombre d'éléments sont pertinents pour apprécier la
27 connaissance qu'avait le général Gotovina de la vraisemblance
28 substantielle, ou en tout cas, du risque qu'un crime soit commis dès le
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1 début de l'opération Tempête.
2 Par ailleurs, dans les circonstances précises de l'espèce, la ligne qui
3 sépare les crimes contre les propriétés détenues par des Serbes
4 contre les personnes des Serbes est une ligne ténue. Les éléments de preuve
5 montrent que des soldats ont mis le feu à des maisons massivement en
6 utilisant souvent du carburant ou d'autres moyens pour accélérer la
7 combustion, et qu'à certains moment ils ont mis le feu à des villages
8 entiers en un seul et même temps. Le fait de provoquer des incendies de
9 cette nature est un acte de violence dirigé pas simplement contre les
10 maisons et les villages, mais également contre toute personne suffisamment
11 malchanceuse pour se trouver dans les parages à ce moment-là.
12 Donc, par exemple, lorsqu'il a été dit au commandant de la région militaire
13 de Split le 29 juillet que toutes les unités présentes dans la région sauf
14 deux étaient en train de mettre le feu à des maisons à Grahovo et que, je
15 cite, "tout Grahovo était en flammes," pièce P71, pages 49 et 50, ceci
16 était un signal très clair du mépris total qu'avaient ces unités, au nombre
17 desquelles figuraient les unités dites professionnelles du général
18 Gotovina, pour les vies et la sécurité des civils.
19 En bref, les perspectives qu'avaient les Serbes de Krajina qui n'avaient
20 pas pris la fuite en raison des pilonnages n'étaient guère favorables. Les
21 forces de Gotovina avaient pilonné leurs maisons et leurs villages pendant
22 deux journées entières et se dirigeaient vers eux des milliers de soldats
23 en armes, dont un grand nombre avait manifestement la volonté de commettre
24 des crimes pour lesquels ils ne s'attendaient pas à être punis et avaient
25 la volonté de risquer la vie des Serbes qui, par hasard, se trouveraient
26 sur leur chemin de destruction. Nombre d'entre eux étaient nourris par un
27 désir de vengeance dirigé contre ceux qu'ils considéraient comme
28 responsables de leur expulsion de la Krajina. Le général Gotovina savait
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1 tout cela lorsqu'il a ordonné à ses soldats d'attaquer des villages en
2 Krajina, et aurait dû, par conséquent, prendre en compte la vraisemblance
3 substantielle, ou en tout cas, le risque que certains de ses subordonnés
4 commettent des meurtres et des actes de mauvais traitements contre les
5 Serbes dans ces villes et villages. Et les éléments de preuve montrent que
6 c'est exactement ce qui s'est passé.
7 Monsieur le Président, j'en suis arrivé à un point de mon exposé où il
8 serait opportun de faire une pause si cela ne déplait pas aux Juges.
9 M. MISETIC : [aucune interprétation]
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Misetic.
11 M. MISETIC : [interprétation] La Défense Gotovina fait remarquer un point
12 dont elle a déjà parlé la dernière fois que nous étions dans ce prétoire,
13 je pense, et qui porte sur la diffusion du temps entre les diverses équipes
14 de Défense. Etant donné que l'Accusation va utiliser tout le temps qui lui
15 a été imparti - c'est en tout cas ce qu'on peut constater maintenant - j'ai
16 fait une recherche informatique et l'Accusation n'a pas évoqué un seul des
17 points figurant dans les mémoires de clôture relatifs à deux accusés, ce
18 qui pourrait impliquer que deux tiers de son temps a été consacré à la
19 Défense Gotovina. Donc par conséquent, nous aimerions pouvoir répondre de
20 façon équilibrée du point de vue temps, et nous demandons une heure
21 supplémentaire pour la Défense Gotovina.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je pense que nous avions parlé de
23 trois fois deux heures et demie, dans le cadre d'une réorganisation du
24 temps. La Chambre n'est pas très encline à déterminer le temps imparti aux
25 diverses équipes de Défense, elle préférerait que les parties s'organisent
26 entre elles à leur convenance. Mais nous voyons bien qu'il existe
27 effectivement un problème. Donc si vous vous limitez à une heure, voyons,
28 soyons pratiques.
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1 S'il nous faut une demi-heure pour entendre les arguments relatifs à
2 l'iniquité qu'il y aurait à une répartition inéquitable du temps entre les
3 diverses équipes de Défense, cela nous approchera de deux heures, je
4 voudrais être concret. Je pense que les équipes de la Défense devraient
5 voir d'abord si, sur la base de ce qu'elles savent actuellement, elles
6 pourraient peut-être discuter avec l'Accusation et voir comment un nouvel
7 accord sur le temps pourrait être conclu pour cet après-midi. Si ce n'est
8 pas le cas, la Chambre se penchera sur vos requêtes.
9 M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, un dernier point. Je
10 n'ai pas d'objection à ce que M. Hedaraly utilise les documents qu'il a
11 utilisés pour ce nouveau calcul des chiffres relatifs à l'action des
12 observateurs militaires des Nations Unies. Mais l'objection que nous avons
13 porte sur le fait qu'on conteste l'exactitude de ces documents et leur
14 véracité et, par conséquent, la Défense demande à ce que ces documents
15 soient communiqués pour son usage personnel.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Une offre avait été faite, je
17 crois, que pour la remise de petits papiers dans les cabines, en tout cas,
18 n'est-ce pas, Monsieur Hedaraly ?
19 M. HEDARALY : [interprétation] On parle des tableaux au sujet des
20 assassinats, absolument. Pas de problème. Oui, les deux tableaux seront
21 communiqués.
22 M. KEHOE : [interprétation] Tous les tableaux.
23 M. HEDARALY : [interprétation] Absolument.
24 M. TIEGER : [interprétation] Je pense que la question sera résolue dans le
25 cadre d'une discussion entre nous-mêmes et nos collègues de la Défense.
26 Mais je pense que les Juges de la Chambre consulteront l'Accusation avant
27 de rendre une décision définitive.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous réfléchirons à votre proposition.
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1 Nous allons maintenant suspendre pendant le déjeuner et nous reprendrons à
2 14 heures 15.
3 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 13 heures 47.
4 --- L'audience est reprise à 14 heures 51.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On vient de dire à la Chambre que
6 malheureusement les discussions entre parties n'ont toujours pas abouti en
7 partie, parce que certains membres des équipes de la Défense ne savent
8 toujours pas à quoi s'attendre pour les deux heures à venir.
9 De ce fait, l'audience va se poursuivre. Notre première pause aura
10 lieu vers 4 heures moins 05. Nous reprendrons à 16 heures 20 et nous aurons
11 notre deuxième pause vers 5 heures 25. Je pense qu'à ce moment-là,
12 l'Accusation en aura terminé du temps qui lui est alloué pour la
13 présentation de son réquisitoire. Ils auront eu six heures.
14 La Chambre aimerait donc que la Défense Gotovina prenne la parole dès ce
15 soir, si c'est bien la Défense Gotovina qui compte prendre la parole en
16 premier. Je ne sais pas très bien dans quel ordre vous avez décidé de
17 présenter vos arguments.
18 M. MISETIC : [interprétation] Monsieur le Président, au vu du temps, nous
19 aimerions que les arguments s'arrêtent après la présentation du
20 réquisitoire pour nous laisser le temps un petit peu de nous préparer pour
21 la plaidoirie, étant donné que jusqu'à présent tous les temps
22 supplémentaires utilisés aujourd'hui ont été utilisés par la Défense
23 Gotovina.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, la Chambre n'aimerait pas faire
25 droit à votre requête. Elle aimerait quand même que vous commenciez
26 puisqu'il nous restera quand même une heure après la dernière pause.
27 M. KEHOE : [interprétation] J'aimerais reprendre les commentaires de M.
28 Misetic. Il y a des éléments qui nous ont été présentés pour la première
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1 fois ce matin, il nous faut pouvoir y répondre. Il nous faut avoir un peu
2 de délai pour nous préparer, les regarder, les étudier et en discuter avec
3 nos clients, et donc c'est l'une des raisons supplémentaires pour
4 lesquelles nous aimerions que tout commence demain pour nous.
5 Le greffier vient d'ailleurs de m'avertir pour me dire que nous
6 n'aurions pas ces tableaux avant 19 heures ce soir, tableaux qui viennent
7 de nous être présentés. Donc de façon pratique, nous avons un problème. De
8 toute façon, il faut que nous en discutions entre nous et il faut que nous
9 en discutions avec nos clients demain matin. Il y a quand même des points
10 importants qui doivent être pris en compte. Ce sont des éléments nouveaux
11 qui n'étaient pas dans les mémoires en clôture. C'est pour cela que nous
12 vous demandons la nuit pour nous préparer.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Enfin, 5 plus 3, ça fait 8; mais si vous
14 enlever un des 5, vous allez arriver à 4; et si vous ajouter un 1 à un 3,
15 vous arrivez à 4; ça vous donne toujours 4 plus 4 égal 8. Enfin, tout est
16 dans la présentation des éléments. Si c'était avant le 5 août, c'est en
17 effet avant le 5 août, mais je ne sais pas très bien si cela change quoi
18 que ce soit.
19 De toute façon, l'Accusation a deux heures.
20 Monsieur Tieger, c'est à vous.
21 M. TIEGER : [interprétation] J'ai un point à soulever. Je ne sais pas
22 vraiment ce que nous devons faire, mais la Chambre semble dire que nous
23 avons déjà employé quatre heures, mais d'après les comptes que j'ai, ça
24 serait plutôt trois heures 20.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que c'est trois heures 52. Donc
26 c'est assez précis quand même.
27 Madame Gustafson, c'est à vous.
28 Mme GUSTAFSON : [interprétation] Je vous remercie.
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1 Avant la pause, j'ai présenté un résumé des connaissances qu'avait le
2 général Gotovina de ces dangers --
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît. Ces
4 tableaux, pourquoi est-ce que la Défense doit attendre si longtemps ? Je
5 pense que ces tableaux sont disponibles dans le prétoire électronique.
6 M. TIEGER : [interprétation] Le plus rapidement possible on les remettra à
7 la Défense. Je --
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais si on les affiche à l'écran, cela
9 veut dire qu'ils sont là, ils existent sous format numérique, donc en moins
10 de cinq minutes on devrait pouvoir les afficher sur un autre écran.
11 M. TIEGER : [interprétation] Je vais vérifier s'il y a un obstacle
12 quelconque.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Gustafson, excusez-moi, j'aurais
14 dû poser cette question avant au lieu de vous interrompre.
15 Mme GUSTAFSON : [interprétation] Je vous remercie.
16 Comme nous pouvons le voir dans les preuves présentées dans le mémoire de
17 l'Accusation, le général Gotovina, ou plutôt, ses forces, effectivement,
18 ont tué des dizaines de Serbes dans les premiers jours de l'attaque
19 terrestre.
20 Et les éléments de preuve démontrant l'existence de ces meurtres ont
21 été évidents à Murray Dawes et à Andries Dreyer, qui ont pu quitter la base
22 des Nations Unies et se déplacer dans Knin pendant cette première journée
23 de la tempête, ils l'ont fait avant que ces preuves ne soient dégagées par
24 des activités d'assainissement. Ils ont pu voir des dizaines de cadavres
25 dans les rues de Knin et dans les parages. De nombreux étaient des civils
26 dont les corps portaient des traces de meurtre.
27 Qui plus est, nous avons la description de ces cadavres à la pièce
28 980, page 9, où il est ajouté que Dawes a ressenti :
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1 "Partout dans la ville, l'odeur de la putréfaction qu'il n'a jamais
2 oubliée."
3 Le général Gotovina a eu un entretien avec un interlocuteur le 6 août à
4 Knin. Vous pouvez le voir sur la pièce D792, et d'après cela, nous pouvons
5 comprendre aussi qu'il a dû voir des cadavres le 6 août dans la ville de
6 Knin.
7 Il demande : "Vous avez vu la ville ?"
8 La réponse : "Oui."
9 Et nous avons un autre échange, un endroit où une autre personne dit
10 :
11 "Il y en avait à peu près 150."
12 Et le général Gotovina affirme :
13 "Peu importe quel en est le nombre. Je ne voulais pas que l'on me
14 donne des chiffres."
15 Alors, indépendamment de la manière dont on interprétera la référence
16 que fait le général Gotovina à des chats et des chiens au milieu de la rue,
17 il est tout à fait clair de cet échange que le général Gotovina a pu voir
18 l'état des rues dans Knin le 6 août, et à ce moment-là, ces rues étaient
19 jonchées de cadavres et il a voulu que ce soit nettoyé le plus rapidement
20 possible. Et il ne pouvait pas éviter que l'on ressente l'odeur de la
21 putréfaction à ce moment-là ou que l'on entende des coups de feu depuis le
22 centre-ville de Knin. Et je me réfère au paragraphe 202 de notre mémoire en
23 clôture.
24 En plus de tout ce qui est indiqué que des meurtres ont été commis,
25 la situation générale dans Knin pendant la journée du 6 août était une
26 situation de criminalité généralisée et à grande échelle. Le général
27 Gotovina lui-même, lorsqu'il parle de ses subordonnés, parle de barbares et
28 de vandales. Nous avons la description de Hill de la situation à Knin le 6
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1 août, page 22 de la pièce P292. Vous pouvez voir ici qu'il illustre la
2 nature des crimes qu'a pu observer le général Gotovina :
3 "Les soldats étaient en train de piller partout, absolument partout.
4 Ils étaient en train de boire, de tirer des coups de feu. Il y avait des
5 endroits qui étaient en feu… partout où on se rendait, il y avait des
6 soldats qui étaient en train de voler des voitures. Et toute voiture qui
7 n'était pas détruite ou qui n'avait pas été écrasée par un char ou quoi que
8 ce soit, elle était volée."
9 Même si le général Gotovina n'a pas vu un de ses subordonnés tuer ou
10 maltraiter des Serbes à Knin, l'ensemble des crimes qui ont été commis par
11 les subordonnés à Knin le 6 août l'ont rendu conscient des dangers que ses
12 subordonnés constituaient pour les Serbes de Krajina dans la zone.
13 Au paragraphe 745 de leur mémoire, la Défense Gotovina affirme que :
14 "A la fois les affaires politiques et le SIS ont informé Gotovina du
15 fait que les civils avaient été correctement traités par les forces de la
16 HV."
17 Et ils se reposent sur deux rapports. L'un de ces rapports est la
18 pièce P1134, et vous pouvez voir l'extrait pertinent. Le rapport affirme
19 effectivement que :
20 "Les civils qui ont été trouvés dans la ville ont été correctement
21 traités."
22 Toutefois, il est dit également dans le rapport que les membres de la
23 HV ont démoli des boutiques, qu'ils ont écrasé des voitures par des chars
24 et qu'ils circulaient dans Knin dans des voitures volées, qu'ils étaient en
25 état d'ébriété, qu'ils tiraient des coups de feu et ils menaçaient la vie
26 des gens.
27 Donc le général Gotovina a appris non seulement que ses subordonnés
28 étaient en état d'ébriété et qu'ils tiraient des coups de feu et qu'ils
Page 29118
1 menaçaient la vie des gens, mais aussi que les responsables de la HV
2 n'estimaient pas que ce comportement était un comportement inapproprié vis-
3 à-vis des civils. Si le général Gotovina avait été effectivement préoccupé
4 par la sécurité des Serbes dans cette zone, ce rapport ne l'aurait pas
5 rassuré. Tout au contraire, ce rapport constitue un exemple classique
6 d'information alarmante qui aurait normalement incité le général Gotovina à
7 se renseigner davantage, à déclencher une enquête qu'il a choisi de ne pas
8 faire.
9 Au paragraphe 703, la Défense affirme que la Chambre ne devrait pas
10 se pencher sur les rapports diffusés par les médias parlant de meurtres et
11 de mauvais traitements, que cela ne doit pas être considéré comme étant des
12 éléments de preuve. Ils affirment que l'Accusation n'a pas réussi à fournir
13 ne serait-ce qu'une seule preuve que le général Gotovina a lu les rapports
14 des médias faisant étant de crimes. Les éléments de preuve montrant que le
15 général Gotovina a lu des rapports diffusés par les médias sont tout à fait
16 clairs. Vous pouvez le voir dans l'extrait P407. Le 13 septembre 1995, le
17 général Gotovina écrit à Cervenko, et il dit :
18 "Je voudrais saisir l'occasion pour citer la déclaration qui a été
19 faite aux journalistes par M. Roberts, où il est dit 'L'armée croate est en
20 train d'incendier, de piller et de violer les droits de l'homme.'"
21 Le général Gotovina n'emploie pas ici le terme "meurtre," mais c'est
22 encore un élément d'information de plus qui montre qu'il est au courant de
23 l'existence des meurtres et du mauvais traitement commis par ses
24 subordonnés. Et M. Roberts, en fait, se réfère au meurtre explicitement
25 dans sa déclaration aux médias quelques jours auparavant, le 1er septembre.
26 La pièce P712 le montre tout à fait clairement. C'est un rapport onusien où
27 Alan Roberts est cité en disant que des meurtres, le pillage et l'incendie
28 des maisons se poursuivent, souvent par des membres de l'armée croate.
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1 Ensuite, au paragraphe 710 de leur mémoire, la Défense se penche sur le
2 rapport du général Lausic du 16 septembre, la pièce D567, qui a été envoyée
3 pour information au général Gotovina. Et vous pouvez le voir, il est
4 question ici de meurtres commis par la HV dans la zone libérée. Excusez-moi
5 de cette erreur que nous voyons ici. Elle est due à l'erreur dans la
6 traduction anglaise.
7 La Défense affirme que ce rapport :
8 "Assure tout commandant du fait que la police militaire était en
9 train de prendre toutes les mesures appropriées afin d'empêcher et punir
10 les crimes commis par la HV."
11 Quant à savoir si, oui ou non, les mesures qui sont décrites dans la pièce
12 D567 sont appropriées, ce rapport constitue une information directe fournie
13 au général Gotovina du fait que des meurtres sont commis par la HV dans la
14 Krajina après l'opération Tempête.
15 Qui plus est, ce rapport n'aurait pas pu rassurer le général Gotovina
16 disant que la police militaire était en train d'empêcher des meurtres ou
17 autres crimes commis par la HV. Après avoir déclaré que la police militaire
18 n'était pas capable d'empêcher complètement les crimes, le rapport dit dans
19 la suite que les unités de la HV pourraient "contribuer grandement" afin
20 d'améliorer la situation sur le plan de la sécurité dans la zone libérée,
21 et il propose des mesures qui devraient être prises. La pièce D567, page
22 10.
23 Pour résumer, le général Gotovina sait que ses subordonnés sont sur le
24 point de commettre ou sont en train de commettre un meurtre. Si sa
25 connaissance de ces crimes a été retardée, c'était le résultat de son choix
26 de ne pas prendre des mesures afin d'agir suite à ces informations.
27 Parlons maintenant de la responsabilité de supérieur hiérarchique de
28 Gotovina, et je commencerai par le contrôle effectif. Tout d'abord, je
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1 réponds à la demande de la Chambre, au point 4 de son courriel s'adressant
2 aux parties, demandant de répondre aux arguments de la Défense disant que
3 le général Gotovina n'exerçait pas le contrôle effectif sur la base du fait
4 qu'il y avait plusieurs niveaux de commandement.
5 Premièrement, le simple fait de l'existence de plusieurs niveaux de
6 commandement n'a pas de pertinence quant à la question du contrôle
7 effectif. Comme nous pouvons le voir dans l'arrêt dans l'affaire Oric, au
8 paragraphe 20 :
9 "L'existence de subordonnés intermédiaires n'a pas de pertinence sur
10 le plan juridique. Ce qui est important c'est de savoir si le supérieur
11 hiérarchique a la compétence effective de prévenir ou de punir ses
12 subordonnés."
13 Au paragraphe 626, la Défense Gotovina affirme que l'Accusation doit
14 établir que tout commandant dans la voie hiérarchique est en possession du
15 contrôle effectif sur son commandant subordonné. Donc l'Accusation doit
16 établir que le général Gotovina avait le pouvoir physique d'empêcher ou de
17 punir ses subordonnés d'après la Chambre d'arrêt dans l'affaire Oric.
18 Et pour les mêmes raisons, la Défense affirme que des sous-officiers
19 qui manquaient d'expérience ou le fait que la filière hiérarchique ne le
20 mentionnait pas montre que le général Gotovina n'avait pas le contrôle
21 effectif sur ses soldats, mais la question est de savoir si lui avait la
22 compétence physique d'empêcher et de sanctionner ses subordonnés. Et pour
23 la même raison, la Défense affirme que cela ne prouve pas que le général
24 Gotovina n'avait pas la capacité physique d'empêcher ou de punir ces
25 soldats.
26 Il serait utile de se pencher sur un exemple, la Défense Gotovina
27 fournit un exemple aux paragraphes 641 à 643 de leur mémoire. La Défense
28 Gotovina signale l'extrait de la pièce D984, c'est un rapport du commandant
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1 adjoint chargé du SIS, qui affirme que le commandant de la 134e n'avait pas
2 l'autorité nécessaire lui permettant de mettre en œuvre les ordres qui
3 provenaient du Groupe opérationnel ouest. Au paragraphe 643, il s'appuie
4 sur cet élément de preuve afin d'affirmer que cette unité n'était pas
5 placée sous le contrôle effectif.
6 Mais là, il y a une confusion entre le fait que cette unité a échappé
7 au contrôle et un manque de contrôle effectif. Il s'agit, en fait, de deux
8 questions complètement différentes. La seule question pertinente est de
9 savoir si le général Gotovina avait le pouvoir physique lui permettant
10 d'empêcher ou de punir les membres de la 134e. En tant que général et en
11 tant que commandant de la région militaire, le général Gotovina avait des
12 attributions énormes et variées lui permettant d'empêcher et de punir ces
13 crimes, y compris les mesures qui ne dépendaient pas sur la capacité du
14 commandant de la 134e de mettre en œuvre des ordres. En fait, les ordres du
15 général Gotovina qui ont été donnés montrent qu'il avait à sa disposition
16 des mesures lui permettant d'empêcher et de punir des crimes, crimes dont
17 il a été informé, crimes commis par le 134e Régiment.
18 Par exemple, il aurait pu ordonner au commandant du 134e Régiment ou un
19 autre officier placé sous son commandement d'établir un système de suivi et
20 d'identification des auteurs et de sanctions face à des auteurs, comme il a
21 fait, pièce D655. Il aurait pu ordonner au commandant du Groupe
22 opérationnel ouest de prendre des mesures disciplinaires ou autres afin de
23 le placer en détention, de punir ceux qui commentaient des crimes, comme il
24 l'a fait dans la pièce P1034 [comme interprété]. Il aurait pu ordonner à la
25 police militaire de cette zone de suivre le régiment, comme il a fait dans
26 la pièce P1142. Il aurait pu ordonner à la police militaire d'arrêter les
27 auteurs et de lancer des procédures au pénal, comme il a dit page 7 de la
28 pièce P1013, et page 3, pièce P1126. Il aurait pu mettre sur pied une
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1 commission afin d'enquêter sur les activités du 134e Régiment et lancer des
2 mesures disciplinaires criminelles préventives, comme il a fait dans les
3 pièces P1013 et P1019. Il aurait pu mettre sur pied une force de sécurité
4 afin de sécuriser les villes dans sa zone de responsabilité, comme il l'a
5 fait dans la pièce D773. Il aurait pu créer une unité d'intervention afin
6 de se servir de la force pour restreindre et contrôler le mouvement des
7 membres du 134e, comme il l'a fait dans la pièce P1147 [comme interprété].
8 S'agissant de tous ces ordres, le général Gotovina aurait pu prendre
9 des mesures afin d'assurer le suivi de leur exécution et de leur mise en
10 œuvre, comme il l'a fait dans de nombreux exemples que je viens de citer.
11 Le général Gotovina n'a pris aucune de ces mesures, qu'il s'agisse
12 des crimes commis par des membres du 134e Régiment ou par rapport à tout
13 autre crime reproché à l'acte d'accusation. S'agissant du contrôle
14 effectif, pendant que nous parlons du 134e Régiment, je voudrais faire une
15 petite digression pour voir que le général Gotovina a pris des mesures
16 nécessaires et raisonnables dans cette situation.
17 Ces mesures, on les retrouve aux paragraphes 761 à 762 de leurs
18 mémoires, et il s'agit des mesures suivantes : premièrement, démobiliser
19 les membres de l'unité; deuxièmement, l'ordre du 18 août du colonel Fuzul,
20 là il s'agit de la pièce D650, afin de prendre des mesures pour rétablir la
21 discipline; et au point 3, l'ordre du général Gotovina, pièce D985,
22 constitue une commission afin de "dresser une liste du butin de guerre du
23 134e Régiment de la Garde nationale."
24 J'ai déjà évoqué le fait que la démobilisation n'était pas une mesure de
25 sanction nécessaire et raisonnable. L'ordre du colonel Fuzul reprend nombre
26 d'ordres qui n'ont pas été exécutés au préalable sans aucune mesure
27 permettant d'assurer leur mise en œuvre, donc n'était ni nécessaire ni
28 raisonnable compte tenu des circonstances.
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1 S'agissant de l'ordre portant sur le butin de guerre du général Gotovina,
2 l'Accusation explique aux paragraphes 169 à 173 de son mémoire comment ces
3 ordres n'avaient même pas pour objectif de prévenir ou de punir les crimes,
4 et encore moins ne constituaient-ils des mesures nécessaires et
5 raisonnables. Quoi qu'il en soit, le rapport à la région militaire de Split
6 porte sur les destructions des biens. Donc on ne peut même pas dire que
7 cette commission visant à dresser une liste du butin de guerre constitue
8 une réponse à leur rapport.
9 Parlons maintenant de nouveau du contrôle effectif. Les éléments de preuve
10 montrent que l'ordre portant sur le butin de guerre émis par le général
11 Gotovina était un ordre effectif. L'extrait, page 19 de la pièce D987 du 30
12 octobre 1995, il s'agit du rapport de l'état-major principal, nous permet
13 de le voir. Le rapport affirme que le butin de guerre du 134e Régiment a
14 été entièrement enregistré et, conformément aux ordres du commandement de
15 la région militaire de Split, a été remis aux autres unités.
16 La Défense affirme au paragraphe 640 qu'un grand nombre de soldats
17 mobilisés ont rendu la tâche "extrêmement difficile" au général Gotovina
18 d'exercer son contrôle effectif. Premièrement, il s'agit d'une affirmation
19 théorique, puisque le général Gotovina n'a jamais essayé de déployer les
20 mesures qui étaient raisonnablement à sa disposition.
21 Et deuxièmement, toutes les mesures que j'ai citées ci-dessus
22 s'appliquent également aux réservistes et aux soldats qui ont été récemment
23 mobilisés.
24 Troisièmement, au moment de l'opération Tempête, le général Gotovina
25 n'a jamais fait rapport ou ne s'est jamais plaint à ses supérieurs disant
26 que la mobilisation ou le niveau d'expérience des sous-officiers
27 constituaient des problèmes pour l'exercice du contrôle effectif. A
28 l'opposé, comme nous pouvons le voir à la pièce P1132, nous voyons
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1 l'appréciation du général Gotovina du 15 août. Le général Gotovina constate
2 que les tâches confiées à ses unités ont été menées à bien. Il affirme que
3 la discipline militaire et le moral des combattants étaient exceptionnels,
4 et il déclare que le commandement et le contrôle se déroulent sans entrave.
5 La seule mention qu'il fait des sous-officiers est sa remarque disant
6 que les propositions pour décoration seraient présentées ultérieurement. Et
7 le seul problème qu'il identifie dans son rapport a à voir avec le fait
8 qu'ils manquent d'équipement de transmission. Dans une analyse analogue qui
9 date d'un mois plus tard, pièce P2587, le général Gotovina affirme que le
10 système de commandement et de contrôle fonctionne relativement bien, et là
11 encore, il n'évoque l'existence d'aucun problème eu égard aux sous-
12 officiers à la mobilisation ou manquement à la discipline. Donc la
13 discordance entre la satisfaction dont fait preuve le général Gotovina
14 quant au commandement et contrôle et la discipline militaire dans ces
15 unités et les manquements à la discipline.
16 Ce que l'on trouve dans la pièce D987 et ce que l'on voit dans le
17 rapport du 25 octobre saute aux yeux. Ce rapport affirme qu'il y a une
18 différence au niveau de la discipline dans les missions qui sont menées par
19 rapport au traitement réservé aux biens, à la propriété. Les crimes sur ce
20 plan sont dus au manquement à la discipline et manque de sanctions. On voit
21 très bien qu'il y a une différence en ce qui concerne le niveau de
22 discipline attendu concernant l'exécution des missions par rapport au
23 traitement de la propriété. Il est déclaré que les crimes faits à la
24 propriété proviennent d'une conduite indisciplinée et d'un manque de
25 sanctions et qu'il n'y a pas de surveillance systématique permettant
26 d'analyser ou de proposer des mesures pour éviter ce type d'incidents.
27 Mais en l'espèce, il y a trois facteurs primaires qui montrent bien
28 quel était le contrôle effectif dont disposait le général Gotovina sur ses
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1 subordonnés, y compris les troupes de réserve, la Garde nationale et les
2 unités qui devaient être mobilisées. Tout d'abord, c'est le plus important,
3 le général Gotovina avait l'autorité physique de sanctionner des crimes et
4 de les prévenir, mais il ne l'a pas employée en ce qui concerne les crimes
5 de ses subordonnés.
6 Deuxièmement, d'habitude ses subordonnés suivaient ses ordres et le
7 général Gotovina avait la possibilité de s'assurer qu'ils exécutaient bien
8 ses ordres. On le trouvera d'ailleurs au paragraphe 206 de notre mémoire en
9 clôture.
10 Et troisièmement, le général Gotovina a dit à quel point il était
11 satisfait du contrôle et commandement qu'il exerçait sur ses subordonnés et
12 du niveau de leur discipline militaire.
13 La Défense déclare au paragraphe 637 que le général Gotovina avait
14 bien donné des ordres pour éviter les crimes, mais qu'il a échoué à les
15 mettre en œuvre. Cela montre bien qu'il n'avait pas le contrôle efficace.
16 Mais c'est une affirmation qui se mord la queue. Parce que ce n'est pas
17 parce que le général Gotovina a choisi de ne pas faire quoi que ce soit
18 pour que ses ordres soient mis en œuvre que cela montre qu'il n'avait
19 aucune autorité et aucun contrôle effectif sur ses troupes. Et je fais
20 référence à l'arrêt Strugar paragraphes 257 à 258 qui portent sur les mêmes
21 types de problèmes.
22 Contrairement aux affirmations de la Défense Gotovina aux paragraphes
23 624 et 774 de leur mémoire, quant à savoir si les soi-disant "fonctions
24 normales du général Gotovina comprenaient la surveillance des sanctions
25 militaires imposées par des commandants subalternes" n'a aucune pertinence
26 étant donné que ça ne répond pas à la question des mesures qui étaient
27 raisonnablement à sa disposition. En ce qui concerne sa possibilité
28 matérielle de surveiller ces mesures disciplinaires, il est évident qu'il a
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1 surveillé ces mesures disciplinaires, mais uniquement lorsqu'il voulait en
2 être informé, et cela se voit bien d'ailleurs aux pièces P1013 et P1034.
3 Ensuite, au paragraphe 624, la Défense affirme que Barkovic "a
4 témoigné qu'un commandant doit pouvoir surveiller son propre niveau de
5 commandement et les deux niveaux sous ses ordres," N moins 1 et N moins 2.
6 Et là, à nouveau, cela ne répond pas aux mesures qui sont disponibles
7 raisonnablement, et c'est une déformation des éléments de preuve de
8 Barkovic. Sur cette diapo, vous avez la réponse de Barkovic. A la page 20
9 186 du compte rendu, on lui a demandé de confirmer si un commandant ne doit
10 pas tout simplement redonner un ordre qui n'a pas été exécuté précédemment.
11 Barkovic ne dit pas ici qu'il fallait que le général Gotovina s'assure que
12 les commandants N moins 2 ne commettent aucun crime, mais il dit plutôt
13 qu'il lui fallait prendre les mesures au travers de ces deux niveaux, N
14 moins 1 et N moins 2, pour s'assurer qu'il allait bien au fond des choses
15 et pour s'assurer que des mesures appropriées étaient mises en œuvre.
16 De façon générale, les arguments de la Défense Gotovina sur le
17 contrôle effectif sont nourris d'affirmations sur lesquelles la position et
18 la fonction du général Gotovina l'absolvaient de toute responsabilité en ce
19 qui concerne les crimes commis par ses subordonnés. Par exemple, il déclare
20 que le général Gotovina n'était "pas chargé et encombré de problèmes de
21 sécurité" parce qu'il était occupé à faire la guerre en Bosnie. Paragraphe
22 652. On trouve la même chose au paragraphe 660 jusqu'au paragraphe 662.
23 Mais mis à part le fait que ces conclusions ne sont pas étayées par
24 ni les éléments de preuve ni les textes cités sur lesquels ils se sont soi-
25 disant fondés, ils ont tendance à confondre les arguments à propos des
26 mesures raisonnables dont disposait le général Gotovina avec la question du
27 contrôle efficace quant à savoir si, oui ou non, le général Gotovina avait
28 la possibilité matérielle de prévenir et de punir ses subordonnés. Les
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1 éléments de preuve cités en appui de ces arguments de la Défense ne
2 soutiennent pas la possibilité qu'il avait de prévenir ou de punir a été
3 diminuée ou abrogée au vu des circonstances.
4 J'en ai fini avec mes arguments sur le contrôle effectif. Maintenant, je
5 vais parler du fait que le général Gotovina n'a pas en œuvre les mesures
6 raisonnables et nécessaires qui lui incombaient.
7 Précédemment, lorsque j'ai parlé de l'entreprise criminelle commune,
8 j'ai fait valoir le fait que les ordres soi-disant donnés par le général
9 Gotovina pour prévenir les crimes n'étaient ni nécessaires ni raisonnables
10 vu les circonstances. Et je vais maintenant répondre à certains des
11 arguments soulevés dans les mémoires de la Défense.
12 L'arrêt Oric déclare très clairement au paragraphe 177 que "des
13 mesures 'nécessaires' sont des mesures qui sont appropriées, que le
14 supérieur doit de façon appropriée exécuter pour satisfaire à ses devoirs,
15 en montrant qu'il a véritablement essayé d'éviter ou de punir, et les
16 mesures 'raisonnables' sont celles dont il dispose raisonnablement
17 physiquement…" Et la Chambre a mis l'accent sur le fait qu'il s'agissait du
18 seul critère légal pertinent. La Défense Gotovina a essayé d'appliquer un
19 critère différent au paragraphe 711 de leur mémoire. Ils déclarent aussi à
20 la page 715 de façon tout à fait incorrecte qu'un autre critère juridique
21 s'applique aux commandants opérationnels.
22 Aux paragraphes 746 à 748 de leur mémoire, la Défense Gotovina
23 déclare de façon infondée que le général Gotovina n'était pas obligé de
24 punir les crimes dont la police militaire avait connaissance. Ce qui est
25 basé sur la soi-disant fonction de Gotovina au sein du soi-disant "système
26 croate," ce qui n'a absolument rien à voir de toute façon avec ses
27 fonctions au titre du droit international et de ses devoirs au titre du
28 droit international. De toute façon, le fait qu'il ignore son devoir, même
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1 dans le système croate, qui est qu'il doit absolument assurer que ses
2 subordonnés suivent la discipline, saute aux yeux. Paragraphe 211 de notre
3 mémoire.
4 Ceci d'ailleurs est étayé par l'arrêt Hadzihasanovic. Ils essayent là
5 de faire de conclusions factuelles un principe juridique. De même, aux
6 paragraphes 774 à 783, la Défense déclare que le général Gotovina "a
7 satisfait à ses devoirs en matière de discipline en s'assurant qu'un
8 système existait bien pour traiter des problèmes de discipline et que ce
9 système fonctionnait."
10 Ce qui ne répond absolument pas à la question de savoir si, oui ou
11 non, il a bel et bien pris les mesures qui étaient raisonnablement dans son
12 pouvoir et ça ne démontre pas non plus qu'il a essayé de prévenir ou de
13 punir des crimes au vu des circonstances. De toute façon, cette affirmation
14 se base sur une déformation à la fois des éléments de preuve apportés par
15 Deverell et déformation aussi de l'arrêt Boskoski. Cela ne tient pas en
16 compte non plus les interventions extrêmement précises de Gotovina au sein
17 de ce système disciplinaire lorsqu'il devait traiter de problèmes autres
18 que les crimes dont il est accusé. On le voit bien d'ailleurs aux pièces
19 P1019, P1013 ou P1034. Et marginalement d'ailleurs, je tiens à dire qu'en
20 ce qui concerne la pièce P1013, il a donné ses ordres à la fin août et au
21 début septembre, alors qu'à l'époque la Défense déclare qu'il s'occupait
22 tellement de la guerre en Bosnie qu'il ne pouvait s'encombrer de problèmes
23 de discipline.
24 Aux paragraphes 660 à 662, la Défense Gotovina déclare que le général
25 Gotovina, avec justesse, comptait sur les autres, particulièrement le MP,
26 la police militaire, le SIS et les affaires politiques pour ce qui était de
27 la prévention et de la sanction. Au paragraphe 749, il déclare que dans ses
28 remarques le 6 août dans la réunion à Knin, le général Gotovina avait
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1 satisfait à son besoin de punir les crimes, au moins en partie, en
2 "alertant" ces organes à propos des crimes en cours et en les rappelant que
3 "c'était à eux de s'en occuper et de mettre en œuvre les règlements des
4 forces armées."
5 J'ai déjà parlé de ce qu'on pensait que le général Gotovina aurait pu dire
6 à cette réunion ou aurait pu faire à cette réunion s'il avait vraiment
7 voulu empêcher la commission de crimes, ou au moins les sanctionner. De
8 toute façon, ces affirmations ne sont basées que sur les soi-disant
9 fonctions incombant au général Gotovina au titre de ce système croate.
10 De plus, les affirmations sont basées sur l'interprétation très personnelle
11 qu'avait le général Gotovina de ses propres devoirs par rapport aux devoirs
12 des affaires politiques, de la police militaire et du SIS, ce qu'il a
13 exprimé d'ailleurs lorsqu'il a été filmé après avoir assisté au
14 comportement désastreux de ses subordonnés. Mais son interprétation est
15 complètement fausse. Tout d'abord, elle est contredite par les éléments de
16 preuve montrant que c'était au général Gotovina, même au titre de ce soi-
17 disant système croate, de commander et de contrôler et d'assurer la
18 discipline parmi ses subordonnés. Je vous réfère ici à la pièce P1187,
19 article 5; P1116, article 49; et aussi les références aux notes de pied de
20 pages 651 de notre mémoire.
21 Ensuite, cette interprétation du général Gotovina ignore et néglige
22 totalement le pouvoir qu'avait ce même général sur ses organes pour
23 effectuer ses missions. Au paragraphe 607(G), la Défense de Gotovina
24 affirme que le SIS, les affaires politiques et la police militaire ne se
25 trouvaient pas sous le commandement de Gotovina. Au paragraphe 750, cette
26 même Défense affirme que tout ce qu'il pouvait faire c'était les implorer
27 d'agir.
28 L'Accusation vous a déjà montré par ces moyens de preuve probants que
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1 le général Gotovina exerçait un pouvoir d'autorité de commandement sur la
2 police militaire et avait la capacité de donner des ordres à cette même
3 police d'empêcher et de prévenir ces crimes et de les punir. Paragraphes
4 239 à 269. Je n'y reviendrai pas aujourd'hui.
5 Mais il y a quelque chose que j'innove dans ce qu'affirme la Défense,
6 c'est que le général Gotovina ne commandait pas la sécurité militaire et le
7 renseignement militaire le SIS, la police militaire et les affaires
8 politiques. Apparemment, on dit que Gotovina ne commandait pas des gens qui
9 faisaient partie de son propre état-major. Mais les éléments de preuve
10 prouvent le contraire. Regardez la pièce P1187, article 5; P1113, pages 89
11 à 102; des exemples précis sont fournis dans la pièce D792, pages 3 et 4;
12 dans la pièce P1126; la pièce D201; la pièce D982, première page; D985; et
13 dans la pièce P2349, page 3. De toute façon, le rôle qui revient au SIS et
14 aux affaires politiques est limité. Il se limite au recueil d'informations,
15 de renseignements, à la fourniture de conseils. C'est la raison pour
16 laquelle Theunens a trouvé qu'"il était inhabituel que le général Gotovina
17 rejette la responsabilité sur ces services."
18 Cette planche vous le montre, à la page 12 771 du compte rendu
19 d'audience. Theunens explique que ces services ne disposent pas d'un
20 pouvoir de commandement sur les auteurs présumés, et qu'il revient au
21 commandant opérationnel de se servir des conseils qu'il reçoit des affaires
22 politiques et du SIS pour donner des ordres et veiller à leur exécution.
23 L'assistant en affaires politiques du Groupe opérationnel nord le dit
24 aussi dans son rapport du 10 août, D482. Il relève que les commandants ne
25 prennent pas les mesures nécessaires pour empêcher des cas d'incendies
26 criminels, destruction dans de grandes villes et dans des localités pour
27 élégamment rejeter la responsabilité sur les affaires politiques, le SIS et
28 la police militaire qui, je cite, "n'ont pas l'autorité nécessaire pour
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1 donner des ordres."
2 Je vous présente maintenant le point final dans le cadre de cet
3 examen. S'il faut apporter, certes, la preuve au procès de l'existence de
4 mesures nécessaires raisonnables, je vous renvoie à une liste utile
5 d'éléments pertinents qui sont énoncés dans le jugement de première
6 instance Strugar [phon], paragraphe 378.
7 Mais je pense qu'il y a quelque chose en filigrane de tout le mémoire
8 en clôture de la Défense Gotovina. La Défense dit qu'il était à un échelon
9 trop élevé dans la hiérarchie militaire pour que l'on lui fasse endosser la
10 responsabilité de crimes commis par des soldats qui étaient au plus bas
11 échelon. C'est un thème qui a été évoqué dans le contexte de l'entreprise
12 criminelle commune au paragraphe 601, et qu'on retrouve à nouveau et sans
13 cesse lorsqu'on discute d'une responsabilité du supérieur hiérarchique.
14 Je vous ai déjà parlé des pouvoirs considérables dont il était
15 investi en raison de sa position hiérarchique en matière de punition et de
16 prévention, et que ceci s'exerce partout, quel que soit l'échelon auquel il
17 se trouve. Il n'a pas utilisé les pouvoirs qu'il avait. Le fait qu'il se
18 trouve au sommet de la voie hiérarchique ne veut pas dire qu'il a pour
19 autant satisfait l'obligation qu'il lui revenait de punir et de prévenir en
20 vérifiant qu'il y avait un système qui fonctionnait en matière de
21 discipline militaire et parce qu'il s'attendait à ce que d'autres se
22 chargent d'exécuter ces mesures.
23 Pour ce qui est de l'entreprise criminelle commune, contrairement à
24 ce que semble laisser entendre la Défense au paragraphe 601 de son mémoire,
25 l'arrêt Brdjanin ne soutient pas cette idée qui voudrait que la seule
26 existence d'échelons intermédiaires dans la voie hiérarchique entre un
27 accusé et des auteurs physiques, par exemple, comme dans la HV, ne
28 permettent pas de conclure à la responsabilité en vertu d'une entreprise
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1 criminelle commune. Au contraire, même si l'insuffisance du lien est une
2 affaire de fait qu'il faut prouver dans le cadre d'un procès, la Chambre
3 d'appel a conclu que l'existence de rapports de commandement et de
4 direction suffisent à établir la responsabilité de hauts dirigeants
5 militaires. Il s'agit ici pour rappel des paragraphes 187 et 210 de l'arrêt
6 Martic.
7 Au vu des faits de ce dossier, au paragraphe 600 de son mémoire, la
8 Défense dit ceci : Etant donné que le général Gotovina était le plus haut
9 gradé dans la région militaire de Split, on ne saurait conclure à une
10 recevabilité en vertu de l'entreprise criminelle commune, parce qu'en
11 raison de la distance soi-disant trop grande qui existait entre son
12 omission fautive et la commission des actes criminels. L'argument ici
13 renverse la réalité.
14 Parce que le général Gotovina était un commandant militaire très
15 efficace, hautement respecté. Les éléments de preuve vous l'ont montré. Il
16 exigeait que ses ordres soient exécutés et il y veillait quand c'était dans
17 son intérêt. Il avait le commandement de 30 000 hommes dans une des plus
18 grandes opérations militaires de l'histoire de la Croatie, et dans le cadre
19 -- dans la perspective d'un combat, il a exécuté de façon adroite, et
20 réussi cette opération. Grâce à ses pouvoirs de meneur d'hommes, de
21 commandant, le général Gotovina a créé un climat de commandement dans toute
22 la région militaire. Il a insisté pour que la discipline militaire soit
23 respectée au combat, et ceci, du plus haut échelon jusqu'au plus bas, alors
24 qu'il ignorait la criminalité qui était monnaie courante parmi les soldats
25 lorsqu'elle prenait pour cible les Serbes et leurs biens. Le général
26 Gotovina a permis ce climat d'impunité pour qu'il se propage à tous les
27 échelons de la voie hiérarchique et imprègne la région militaire tout
28 entière. Le fait qu'il n'a pas pris des mesures nécessaires qui étaient
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1 destinées à empêcher ou arrêter les crimes de ses subordonnés, ce n'était
2 pas un élément éloigné du lieu du crime. Au contraire, c'était un facteur
3 qui a contribué de façon essentielle au délitement de la discipline qui a
4 permis que ces crimes soient commis comme si c'était quelque chose
5 d'ordinaire et que ça devienne la règle plutôt que l'exception dans sa
6 région militaire.
7 Merci, Madame, Monsieur les Juges. Je donne maintenant la parole à M.
8 Carrier.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame.
10 Vous avez la parole, Monsieur Carrier.
11 M. CARRIER : [interprétation] Merci. Je vais vous présenter des arguments
12 concernant M. Cermak.
13 En guise de question préliminaire, je réponds aux questions 1 et 8
14 que nous avons reçues de la Chambre de première instance la semaine
15 dernière, et je donne ceci.
16 Première question, en ce qui concerne la note de bas de page 859, nous
17 pouvons confirmer que la Chambre a bel et bien compris que les actes sous-
18 jacents aux crimes des persécutions s'appuient sont ceux sur lesquels
19 compte l'Accusation en ce qui concerne le général Cermak.
20 Et pour ce qui est de la question numéro 8, la phrase contenue au
21 paragraphe 361 du mémoire de l'Accusation, et qui est associée à la note de
22 bas de page 1 263, sachez que dans cette phrase, le mot "and," en anglais,
23 "and," le mot "et" en anglais, "and" qui se trouve entre les mots anglais
24 "investigate" et "crimes" doit être remplacé par le mot "the."
25 Maintenant pour ce qui est de la présentation de mes arguments, je vais
26 principalement parler des trois éléments essentiels de la thèse de
27 l'Accusation contre le général Cermak. Tout d'abord, la nomination du
28 général par le président à l'entreprise criminelle commune et l'autorité
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1 qu'il en a tirée; deuxièmement, le fait que le général Cermak ait négligé
2 de façon intentionnelle ses obligations en tant que commandant de la
3 garnison de Knin qui était de maintenir l'ordre dans sa zone de
4 responsabilité, ce qui était d'ailleurs extrêmement contraire et en
5 contradiction totale avec le fait qu'il ait bien réussi à obtenir des
6 ressources qu'il a utilisées immédiatement pour repeupler les zones
7 libérées, repeupler ces zones avec des Croates de souche qui devaient
8 remplacer à tout jamais les Serbes qui avaient été chassés; troisièmement,
9 l'obstruction intentionnelle faite par le général Cermak -- le fait que le
10 général Cermak ait délibérément empêché la communauté internationale d'agir
11 afin de dissimuler les crimes commis contre les Serbes et pour permettre à
12 ces crimes de se continuer.
13 Mais je vais bien sûr rentrer dans les détails des éléments de preuve
14 contenus dans notre mémoire, mais je vais souligner certains points. Le
15 fait, par exemple, que soi-disant le général Cermak n'aurait été qu'un
16 exécutant et l'admission aussi selon laquelle certains crimes auraient été
17 commis. Tout d'abord, sa nomination.
18 C'est le président Tudjman qui a recruté personnellement le général
19 Cermak au sein de l'entreprise criminelle commune et l'a nommé commandant
20 de la garnison de Knin le 5 août 1995. C'était un homme politique averti et
21 bénéficiant de la confiance de dirigeants, et il a fonctionné sous l'égide
22 et la direction du président Tudjman à Knin. Vous trouverez ça dans notre
23 mémoire paragraphes 289 et 298.
24 La nomination du général Cermak ne peut être comprise autrement
25 qu'une nomination extraordinaire au vu des circonstances qui ont présidé à
26 sa nomination.
27 Le président Tudjman était le commandant suprême des forces croates
28 engagées dans l'opération Tempête. Il allait rapidement apprendre que comme
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1 prévu les Serbes avaient commencé à fuir suite à la campagne de pilonnage
2 illégale.
3 Le 4 août, après avoir reçu un rapport d'avancement sur l'opération
4 "Storm" de la part de son ministre Susak, mais avant que le HV n'ait libéré
5 Knin et avant toute évaluation de dégâts infligés soit à l'infrastructure,
6 soit au service public, le président Tudjman avait décidé personnellement
7 de traiter avec M. Cermak et uniquement avec M. Cermak. On peut le voir
8 d'ailleurs à la pièce D1678, paragraphes 8 et 9 et au mémoire de
9 l'Accusation, paragraphe 295.
10 Dans une conversation téléphonique avec M. Cermak, le président Tudjman lui
11 a révélé où il se trouvait, ce qui était pourtant un secret, et a demandé
12 qu'il le rencontre en face à face. Vous le trouverez à la pièce P2525,
13 pages 9 et 65.
14 Au cours de cette réunion privée le 5 août, le président Tudjman a donné un
15 ordre verbal qui donnait à nouveau des pouvoirs au général Cermak et qui
16 l'envoyait à Knin en tant que commandant de garnison, mais avec le pouvoir
17 supplémentaire qui était celui d'exécuter une mission qui lui avait été
18 confiée par le président.
19 La Défense fait valoir que le général Cermak était plus ou moins un
20 "outsider" politique après avoir quitté la vie politique en 1993. Il
21 déclare que c'est une personne qui avait peu de contacts avec le président
22 Tudjman lorsqu'il était à Knin, qui était revenu à la vie publique en août
23 1995 avec des pouvoirs extrêmement limités en tant que commandant de
24 garnison, et qu'il s'était principalement préoccupé de rétablir les
25 services publics, l'adduction d'eau, le téléphone, l'électricité, et qu'il
26 s'était occupé aussi à servir de relais à la communauté internationale.
27 Vous trouverez cela en mémoire de la Défense, au paragraphe 3, paragraphes
28 77, 78, 116, 136 et 137, et cetera.
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1 Or, ces affirmations ne correspondent pas aux éléments de preuve,
2 surtout lorsqu'on prend en compte les éléments suivants. Tout d'abord, il
3 n'y aurait qu'un homme de confiance qui aurait pu être appelé en audience
4 privée avec le commandant suprême des forces croates. Pendant l'offensive
5 militaire la plus importante de la Croatie, le fait qu'il y ait eu besoin
6 d'un face à face privé entre ces deux alliés de longue date juste après
7 qu'ils aient pu se parler par téléphone et au vu du fait qu'ils ont pu
8 ensuite se rencontrer publiquement le lendemain de la réunion privée,
9 semble suggérer que leur très brève réunion à Zagreb était nécessaire afin
10 de traiter en privé des affaires privées, qui devaient justement rester
11 privées.
12 Deuxièmement, le général Cermak a continué à communiquer avec le président
13 et avec le bureau de la présidence alors qu'il se trouvait à Knin. Parfois,
14 il s'est même rendu à Zagreb pour rencontrer le président. Vous le
15 trouverez la pièce D611 [comme interprété], page 1. Le général Cermak était
16 en contact régulier avec les autres membres de l'entreprise criminelle
17 commune au cours de cette période, y compris le ministre Jarnjak et les
18 généraux Gotovina et Markac. Mémoire de l'Accusation paragraphes 291, 347,
19 367, et 370.
20 Maintenant à l'écran vous avez les pièces P2525, page 23; les pièces P2532,
21 page 42. On lui a demandé s'il pouvait parler avec le président Tudjman
22 après sa nomination, il a répondu, et je cite :
23 "Evidemment je peux parler au président."
24 Il a aussi dit, et je cite :
25 "J'étais plutôt en liaison avec le bureau du président, parce que j'y
26 allais là-bas avec des missions spéciales venant de lui."
27 Ensuite, diapositive suivante, référence à la pièce P2527, page 2. Le
28 statut militaire privilégié du général Cermak se reflète d'ailleurs lors de
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1 sa réunion qu'il a eue avec le général Cervenko le 5 août. On voit
2 d'ailleurs que le chef de l'état-major principal a pris le temps au cours
3 de l'opération Tempête pour rencontrer cet homme qu'il a décrit comme étant
4 "l'homme de confiance du président."
5 Troisièmement, ce poste subalterne de commandant de garnison est assez
6 étrange lorsque l'on pense au poste précédent de M. Cermak, vice-assistant
7 du ministère de la Défense. Il a été ministre de l'Economie aussi,
8 conseiller du président, baron du HDZ, ainsi qu'avec le fait qu'il avait
9 été à nouveau nommé général au sein de l'armée croate.
10 Quatrièmement, la position d'autorité, de pouvoir, le fait qu'il était
11 averti, qu'il était homme de confiance, se montre bien lorsqu'il a présenté
12 et loué le président Tudjman le 26 août à Knin. Il était à côté de lui, à
13 côté de Tudjman, et il a déclaré avoir enfin mis fin au fardeau de
14 l'histoire croate.
15 Dans cette même pièce, la pièce P473, pages 3 à 5, le président
16 Tudjman fait ensuite son discours depuis le train de la liberté dans lequel
17 il rejette toute notion que les Serbes ne dominent à nouveau la région et
18 compare ouvertement d'ailleurs les Serbes à un cancer qui envahit la
19 Croatie et encourage les Croates de souche à coloniser les zones
20 nouvellement libérées.
21 Mais afin de mettre un terme une bonne fois pour toutes à ce fardeau
22 de l'histoire, le président Tudjman avait donné au général Cermak tous
23 pouvoirs et toutes les responsabilité, des pouvoirs et des responsabilités
24 qui allaient bien au-delà de ce qu'aurait normalement un commandant de
25 garnison dans l'appareil militaire. Cette autorité, ces pouvoirs
26 additionnels du général Cermak venaient directement de sa nomination par le
27 président Tudjman. Ils correspondaient justement aux pouvoirs qu'avait le
28 président sur le ministère de la Défense, le ministère de l'Intérieur, et
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1 sur toutes les activités diplomatiques en cours. Voir, par exemple, ce qu'a
2 dit le Témoin Granic page T24647 [comme interprété].
3 Cette combinaison de tous les pouvoirs donnés au général Cermak lui ont
4 permis d'exercer une autorité forte à la fois sur les civils et les
5 militaires sur le terrain après l'opération "Storm," et a permis au général
6 Cermak ensuite d'utiliser sa position en tant que premier point de contact
7 avec les autorités croates afin d'obtenir ou de dévier ou de neutraliser la
8 tension, les réclamations, et les efforts de la communauté internationale
9 qui cherchait à protéger les Serbes en Krajina, et pour s'assurer aussi que
10 l'objectif criminel commun soit exécuté sans intervention des personnels
11 internationaux. Je fais référence ici au mémoire de l'Accusation,
12 paragraphes 333 à 337, et 347 à 370.
13 Le fait que le général Cermak ait été nommé au poste de commandement
14 de garnison de Knin a aussi permis de s'assurer que l'objectif criminel
15 commun qui était de chasser les Serbes à tout jamais de la Krajina serait
16 effectué sur deux fronts : tout d'abord, parce qu'il avait l'intention que
17 ces crimes soient commis sans aucune sanction sur le territoire qu'il
18 contrôlait, ensuite au travers de ses efforts pour installer de façon
19 permanente des Croates de souche dans cette zone.
20 Vous avez ici une diapositive qui fait référence à la pièce P2715. En
21 tant que commandant de garnison, le général Cermak était en charge du
22 maintien de la discipline concernant tout le personnel de la HV dans le
23 territoire couvert par la garnison, territoire qui se trouve en vert sur
24 cette carte que vous avez à l'écran. Le pouvoir officiel du général Cermak
25 en tant que commandant de garnison est défini au mémoire de l'Accusation,
26 paragraphes 299 à 314, et 319 à 323.
27 Au cours de son interview en tant que suspect, le général Cermak a
28 admis qu'en tant que commandant de garnison, il était chargé du maintien de
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1 l'ordre et de la discipline. Vous avez ici une diapositive qui fait
2 référence aux pièces P2532, pages 58 à 59, et P2525, page 55 [comme
3 interprété]. Et je cite le général Cermak :
4 "Quand des militaires sont hébergés quelque part… s'il y a des
5 ordres, et ça peut arriver, alors lui," c'est-à-dire le commandant de
6 garnison, "doit avoir recours aux forces de la police militaire pour
7 rétablir la discipline."
8 Le général Cermak a aussi reconnu sa personnalité responsable de
9 prévenir ou de sanctionner tous les crimes commis par des
10 soldats :
11 "A Knin en tant que telle, je n'ai pas vu de destruction ni de
12 pillage. Si j'avais vu quelque chose de la sorte, je les aurais évités.
13 J'aurais arrêté des gens."
14 Il est évident que le général Cermak a bien vu les crimes commis par
15 les forces croates suite à l'opération "Storm." Il a d'ailleurs reconnu que
16 la situation sur le terrain était chaotique, que c'était une situation
17 d'urgence. Vous le trouverez aux paragraphes 320 et 358 de notre mémoire.
18 Peut-être serait-il bon de faire la pause…
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Tout à fait. Une seconde.
20 [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons maintenant faire la pause.
22 Nous reprendrons à 16 heures 20. Au cours de la pause, je vais essayer
23 d'avoir des informations plus précises à propos du temps déjà pris par
24 l'Accusation.
25 Maître Misetic -- non, je vois que vous vous levez.
26 Nous allons donc reprendre à 16 heures 20.
27 --- L'audience est suspendue à 15 heures 56.
28 --- L'audience est reprise à 16 heures 23.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Carrier, poursuivez, s'il vous
2 plaît.
3 M. CARRIER : [interprétation] Merci.
4 Les membres de l'entreprise criminelle commune voulaient que des crimes
5 soient commis contre les Serbes afin que ceux-ci quittent Knin, quittent la
6 Krajina. Suite à cette intention, le chef de garnison de Knin allait faire
7 l'objet de pression exercée par les représentants de la communauté
8 internationale se trouvant sur place, qui avaient exigé qu'on enquête sur
9 les crimes qui se commettaient dans toute la région du fait des forces
10 croates. Il est devenu dès lors nécessaire de recruter un homme de
11 confiance qui allait occuper ce poste, et le général Cermak a aussitôt
12 remplacé celui qui, au départ, avait été nommé chef de la garnison, à
13 savoir le commandant Gojevic. Mémoire de l'Accusation, paragraphe 300.
14 Et comme prévu, le général Cermak n'a pris aucune mesure
15 disciplinaire directe contre qui que ce soit quand il était chef de
16 garnison, et il n'a entrepris aucune tentative digne de ce nom pour
17 s'acquitter de l'obligation qui lui revenait de réfréner et de combattre
18 les crimes, les faits d'incendies volontaires et de pillages qui étaient le
19 fait des forces croates dans sa zone de responsabilité. Cette inaction a
20 contribué à semer un climat d'impunité parmi les forces croates; une raison
21 de plus pour pousser les derniers Serbes de la région à quitter la Krajina.
22 Mémoire de l'Accusation, paragraphes 356 à 362.
23 Le général Cermak avait la capacité matérielle de contrôler les
24 hommes qui se trouvaient dans sa zone de responsabilité. Il aurait pu se
25 servir de la police militaire et de la police civile qu'il avait sous son
26 contrôle à Knin pour empêcher que ne soient commis des crimes ou pour en
27 punir les auteurs, comme nous le disons dans notre mémoire, aux paragraphes
28 315 à 319, 324 à 332, 338 à 345, 360, 364, 365, 375 et 376.
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1 Au lieu d'utiliser ces forces de police, il a utilisé les forces de
2 police à sa disposition pour faire progresser la cause de l'entreprise
3 criminelle commune. Un exemple, il les a utilisées pour surveiller des
4 usines, des infrastructures, et il les a utilisées pour se mettre à la
5 recherche de véhicules des Nations Unies pour contrôler les déplacements
6 des représentants de la communauté internationale.
7 Le général Cermak a détourné des quantités disproportionnées des
8 effectifs de la police militaire et de la police civile pour accomplir ces
9 objectifs, et de l'avis de son expert, M. Albiston, ceci devait
10 inévitablement avoir pour effet qu'il y avait moins de ressources de police
11 disponibles pour des tâches pourtant plus urgentes. Pièce de la Défense
12 D1776, paragraphe 3.74.
13 Le général Cermak s'est soumis à une audition en qualité de suspect
14 et il a révélé au cours de cette audition qu'il a délibérément omis de
15 s'acquitter de certaines obligations qui allaient de pair avec son poste
16 militaire officiel et qu'il l'a fait sur les instructions du président
17 Tudjman. Regardez cette planche, il est fait référence à la pièce P2525,
18 pages 6 et 13.
19 De l'aveu même du général Cermak :
20 "Je n'ai jamais rien fait de ce que faisaient les autres chefs de
21 garnison… parce que moi, j'étais l'homme de confiance du président Tudjman.
22 Il savait que j'allais faire mon boulot qui était de contribuer à la
23 normalisation."
24 Autre citation : "Dans la garnison, je n'ai jamais fait que ce que me
25 disait de faire le président."
26 En fait, ça voulait dire que le général Cermak a concentré son pouvoir et
27 ses ressources sur la colonisation des zones libérées qu'il a peuplées de
28 Croates de souche, et il a aussi pris des mesures pour empêcher le travail
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1 des représentants de la communauté internationale au lieu de les aider,
2 alors qu'il avait promis à la communauté internationale de faire son
3 travail et de contrôler les soldats qui se trouvaient dans sa zone de
4 responsabilité et commettaient des crimes.
5 Il énumère notamment parmi les missions que lui confiait le président
6 Tudjman, la mission du Povratak, du retour, même s'il préfère à ce titre un
7 euphémisme, celui de "normalisation," pour expliquer ce qu'il fait pour
8 assurer le repeuplement rapide de la zone par des Croates de souche. Pièce
9 1144, paragraphes 4 à 6 [comme interprété].
10 Le général Cermak a été pour beaucoup dans ce processus de normalisation
11 qui a contribué non seulement au déplacement physique des Serbes qui
12 s'étaient enfuis, mais aussi pour créer un environnement hostile aux
13 Serbes, continuant ainsi l'exode forcé et consolidant le fait qu'ils ne
14 reviendraient jamais dans la Krajina. Nous avons présenté le rôle qu'a joué
15 le général Cermak dans ce processus de normalisation, aux paragraphes 289,
16 333 à 337, 346 et aux paragraphes 371 à 382 de notre mémoire.
17 Le général Cermak s'est mis à mobiliser des ressources en vue de la
18 normalisation avant même de quitter Zagreb. Un exemple, le 5 août, il
19 demande à ses associés, le commandant Jonjic, le général de brigade Brkic
20 et le général de brigade Teskeredzic, de mobiliser les éléments de
21 logistique, sanitaires, les équipes de déminage qui doivent être déployés
22 sur Knin. Et d'ailleurs, les rapports d'activités de Jonjic et de Brkic
23 commencent dès le 5 août. Le général Cermak a agi aussitôt, et c'est dans
24 le cadre de la responsabilité qui lui est donnée de surveiller l'opération
25 d'assainissement qui devait effacer les traces de meurtres et d'ouvrir une
26 voie nettoyée, une voie libre au repeuplement par des Croates de souche.
27 Vous allez bientôt voir une planche à l'écran, il s'agit de la pièce P2525,
28 pages 73 et 10. Je cite le général Cermak :
Page 29143
1 "Ceci," c'est assainissement, "ça a été une des premières tâches que j'ai
2 entreprises."
3 Nouvelle citation : "Nous avons aussitôt commencé par des activités
4 d'hygiène et d'assainissement."
5 Même si le général Cermak a confirmé le fait que la protection civile
6 comme la HV avaient contribué à ces actions d'assainissement, il a continué
7 de dire que c'est lui qui était chargé de la coordination du processus et
8 qu'il devait veiller à son exécution.
9 Vous allez même voir une autre planche, la page 74 de la pièce P2527.
10 De nouveau, je cite le général Cermak :
11 "La Défense civile était présente… nous étions tous sur place pour
12 nous aider les uns les autres… il fallait rétablir une situation d'hygiène
13 et une bonne situation sanitaire."
14 Une question :
15 "Mais, bien sûr, vous avez été envoyé par le président. C'est vous
16 qui étiez le plus haut responsable chargé de la coordination et de
17 l'exécution, n'est-ce pas ?"
18 Réponse du général Cermak : "Oui, c'est vrai."
19 Parlons maintenant du rôle qu'a joué le général Cermak eu égard aux
20 représentants de la communauté internationale.
21 Les membres de l'entreprise criminelle commune comprenaient qu'il
22 risquait une condamnation par la communauté internationale en poursuivant
23 ces objectifs qui étaient de chasser les Serbes de la Krajina. Le président
24 Tudjman a compris qu'il fallait aussitôt isoler la communauté
25 internationale sans pourtant l'aliéner. C'est ce qu'il fallait faire en
26 fonction des circonstances d'empêcher et de gérer une intervention
27 internationale ou une condamnation internationale qu'on ne voulait pas et
28 qui pouvait résulter du fait qu'on avait délibérément expulsé les Serbes de
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1 souche et en raison des crimes recherchés et, inévitablement, qui s'en
2 étaient suivis.
3 Les relations avec les représentants de la communauté internationale,
4 ce n'était pas une mince affaire. Il fallait être diplomate pour être à la
5 hauteur. Il fallait aussi quelqu'un qui soit suffisamment haut gradé pour
6 obtenir de la part de ces représentants de la communauté internationale
7 tout le respect voulu et pour pouvoir aussi les apaiser en leur donnant de
8 fausses promesses, mais qui étaient encore empreintes d'un rien de vérité
9 ou de plausibilité pour ne pas montrer les véritables intentions à
10 l'origine des crimes et pour permettre que ces crimes se poursuivent sans
11 diminuer. A Brioni, le ministre de la Défense Susak a dit au président
12 Tudjman qu'il est important d'avoir au moins un homme qui soit en contact
13 avec la communauté internationale, qui soit le lien permanent avec la
14 communauté internationale, pour apaiser les inquiétudes de ces
15 représentants et pour empêcher qu'ils n'interviennent à tout bout de champ.
16 Référence à la pièce P461, page 27. Susak dit ceci :
17 "Il y aurait un autre membre qui serait responsable des relations
18 avec les forces des Nations Unies, ONURC, en Croatie, qui serait en liaison
19 permanente, qui serait en contact avec nous et qui pourrait résoudre les
20 problèmes parce que les choses se passent trop vite. On ne peut pas
21 maintenant commencer à se mettre à les rechercher et à les appeler."
22 Le président Tudjman a fini par choisir le général Cermak à ce poste
23 dont il était question pendant la réunion de Brioni. C'est lui qui l'envoie
24 à Knin où il va devenir le représentant officiel central de la Croatie, qui
25 est attaché à son bureau, qui va le représenter sur le terrain et être
26 responsable des relations sur place avec la communauté internationale.
27 Celle-ci et ses représentants se trouvaient surtout à Knin, et c'est
28 tout naturellement que les médias se sont intéressés à Knin, comme l'ont
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1 fait d'ailleurs les organisations internationales présentes sur le terrain.
2 Ces représentants, et ce fut dit explicitement, allaient avoir comme
3 interlocuteur direct le général Cermak.
4 Voyez la pièce P2526, page 61. Je cite ce que dit le général Cermak :
5 "C'est moi qui avais la responsabilité des contacts avec la
6 communauté internationale. C'est pour ça que ces représentants
7 s'adressaient à moi. L'intention c'est que nous soyons à leur service le
8 plus vite possible et que nous permettions à ces personnes de résoudre les
9 problèmes qu'ils pouvaient rencontrer immédiatement parce qu'ils avaient un
10 seul interlocuteur."
11 Aussitôt, des mesures étaient prises pour veiller à ce que le général
12 Cermak devienne le récipiendaire unique et central et finalement le trou
13 noir dans lequel se perdaient les griefs adressés par la communauté
14 internationale. Un exemple, le fait qu'il soit nommé par le président à ce
15 poste à Knin a fait la une des médias. On y a repris dans ces médias des
16 éléments de ce poste de responsabilité très visible. De plus, les autorités
17 croates et des membres-clés de l'entreprise criminelle commune ont aussitôt
18 été informés qu'il avait été nommé à ce poste à Knin.
19 Le président Tudjman a pris des mesures pour veiller à ce que les
20 représentants de la communauté internationale sachent que c'était lui en
21 personne qui avait dépêché le général Cermak sur le terrain pour qu'il y
22 résolve les problèmes. Mémoire de l'Accusation, paragraphes 297 et 298.
23 Ici, vous avez une planche qui est une référence à la pièce D296,
24 page 20. Je cite ce que dit le président Tudjman :
25 "Dites-leur que c'est moi qui l'ai nommé chef de la garnison de Knin.
26 C'est le général Cermak, un ancien ministre, et c'est un homme sérieux qui
27 pourra résoudre ces problèmes."
28 Aussitôt, le général Cermak prend contact avec les représentants de
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1 la communauté internationale. Il insiste pour avoir des contacts permanents
2 et fréquents avec eux, mais exige aussi que ceux-ci lui fassent état de
3 tout problème qu'ils peuvent rencontrer directement afin qu'ils puissent
4 prendre des mesures.
5 Ici, vous avez une référence à la pièce P2525, page 50, où voici ce
6 que dit le général Cermak :
7 "J'ai demandé à tous ceux que j'ai rencontrés s'ils avaient des
8 informations, qu'ils me les rapportent, parce que j'avais besoin de ces
9 informations de façon à prendre les mesures qu'il fallait pour que les gens
10 agissent."
11 Et les représentants ont fait ce qu'on avait demandé d'eux.
12 Personnellement et régulièrement, ils ont rencontré le général Cermak pour
13 l'informer directement des crimes qui continuaient de se poursuivre, des
14 crimes d'incendies criminels, de pillages, d'assassinats commis contre les
15 Serbes du fait des forces croates.
16 Planche suivante, elle fait référence aux pièce P2526, page 9, et
17 P2525, page 12. Au cours de l'audition à laquelle il s'est soumis en
18 qualité de suspect, il a admis que pendant la période couverte par les
19 faits, tout passait par lui et tout lui arrivait. Il s'agit ici du mémoire
20 de l'Accusation au paragraphe 351, du paragraphe 352 et du paragraphe 355.
21 C'est à dessein que le général Cermak s'est servi de son grade de
22 général, qui était à la hauteur de celui de Gotovina, il s'est servi du
23 fait qu'il avait été un haut commis de l'Etat en Croatie pour attirer et
24 concentrer sur lui l'attention de la communauté internationale. Ce faisant,
25 il permettait d'isoler les griefs éventuellement formulés par eux et
26 d'écarter du regard des médias les haut gradés de l'armée croate et les
27 hauts fonctionnaires du gouvernement.
28 Mais il fallait quelqu'un qui soit la personne de contact qui puisse avoir
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1 des relations avec des représentants de la communauté internationale et
2 d'un niveau suffisamment élevé pour que les représentants sur le terrain ne
3 cherchent pas quelqu'un qui a un grade plus élevé dans l'armée ou dans le
4 gouvernement.
5 Dans le cadre de cette démarche, le général Gotovina a tout de suite essayé
6 de s'isoler du regard des représentants de la communauté internationale
7 pour que ceux-ci se dirigent et s'ils avaient des griefs ou s'ils voulaient
8 rapporter des infractions, des délits ou des crimes, qu'ils se concentrent
9 sur le général Cermak.
10 Celui-ci dit maintenant qu'il n'avait aucune autorité pour remplir
11 les promesses qu'il avait faites aux représentants de la communauté
12 internationale s'il y avait des crimes commis à la suite de l'opération
13 Tempête par les forces Croates.
14 Il nous dit alors que c'était lui l'homme qui a dit aux représentants
15 de la communauté internationale et aux médias que c'était l'homme
16 responsable du respect de l'ordre public dans la zone, qu'il était garant
17 du respect par les forces croates des critères du droit international et
18 que c'était à lui qu'il fallait s'adresser si on avait des plaintes, des
19 griefs suite à des crimes commis par la HV afin que lui puisse aussitôt
20 agir et trouver une solution une fois une protestation formulée.
21 Il est déraisonnable de penser qu'il y aurait eu un concours de
22 circonstance à ce point incroyable que les pouvoirs officieux et officiels
23 qui lui étaient conférés à Knin soient le reflet de ces assurances erronées
24 qu'il avait l'habitude de présenter aux représentants de la communauté
25 internationale à la suite de l'opération Tempête. Un exemple, il avait
26 promis que des enquêtes seraient menées. Il avait promis que des ordres
27 seraient donnés à la police militaire. Il a promis que des mesures
28 disciplinaires seraient prises. Il a promis que des ordres seraient donnés
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1 à la police civile. Et il a promis des arrestations. Quelques exemples de
2 ce qu'il a dit - je le cite, en effet - aux représentants de la communauté
3 internationale. La première référence concerne la pièce P1147 :
4 "J'ai donné un ordre à la police militaire qui va mener une enquête et va
5 tout faire pour découvrir les auteurs de ce méfait."
6 Pièce P1223, page 1 :
7 "J'aimerais vous informer du fait que les services de police civile et de
8 police militaire ont lancé des opérations considérables pour découvrir et
9 punir les auteurs d'actes criminels commis contre la population civile."
10 Pièce P409, page 2 :
11 "J'ai une liste, je l'ai envoyée à la police civile et à la police
12 militaire. C'est très embarrassant… je vais répéter les ordres que j'ai
13 donnés."
14 Pièce P2520 :
15 "J'ai envoyé une requête au commandant compétent pour que soit diligentée
16 une enquête et pour que des mesures disciplinaires soient prises à
17 l'encontre des auteurs."
18 Pièce D618, page 2 :
19 "Je regrette que quelqu'un se soit ainsi comporté. Donnez-moi les
20 informations et je prendrai des mesures. Nous arrêtons ceux qui sont des
21 fouteurs de trouble."
22 Ces termes clairs qu'utilise le général Cermak donnent l'impression - il
23 n'y a pas d'erreur possible - ils donnent l'impression que le général
24 Cermak prend des mesures officielles pour mettre fin aux crimes qui se
25 commettent à la suite de l'opération Tempête.
26 Le général Cermak dit au président Tudjman, en 1999, que les forces
27 croates sont en train de tuer des gens à la suite de l'opération Tempête et
28 que personne ne peut les empêcher. Pièce P1144, page 7. Un tel aveu est à
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1 contraster avec les déclarations que faisait de façon routinière le général
2 Cermak aux représentants de la communauté internationale et aux médias
3 lorsqu'il disait que tout était maîtrisé. Et c'est en contraste aussi avec
4 les promesses qu'il avait faites à cette même communauté internationale en
5 lui disant que des efforts avaient déjà été entrepris pour établir l'ordre,
6 et il avait instauré la discipline dans sa zone de responsabilité. P1099,
7 paragraphes 2, 5 et 6; P719, page 4; et mémoire de l'Accusation, paragraphe
8 353.
9 Ces informations erronées et ces garanties qui n'en étaient pas
10 d'entreprendre des actions officielles suite aux protestations qu'il avait
11 déjà provoquées de la part des représentants de la communauté
12 internationale font que cette confiance qu'on avait en lui était mal
13 placée. En fait, il a empêché, ce faisant, les représentants de chercher
14 d'autres façons de remédier à la situation.
15 Cette dissimulation de sa part a donné un temps précieux pour
16 l'accomplissement de l'entreprise criminelle commune parce
17 qu'effectivement, il y a eu suffisamment de temps pour commettre ces crimes
18 qui ont chassé les Serbes qui restaient en Krajina tout en permettant la
19 réalisation de la deuxième phase de ce processus qui consistait à repeupler
20 la Krajina avec des Croates de souche.
21 De toute évidence, à Knin, la communauté internationale et les médias
22 faisaient confiance au général Cermak. Il a profité de sa position afin
23 d'entraver les activités de la communauté internationale.
24 Le général Cermak affirme qu'il n'a été qu'une courroie de
25 transmission, que c'est par lui que passaient les informations échangées
26 entre les représentants de la communauté internationale et les autorités
27 croates. Son rôle se limitait à cela, à savoir les représentants des
28 autorités croates qui avaient la responsabilité de s'occuper des crimes et
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1 délits et des troubles. Mais cela ne correspond pas à toute une série de
2 fait qui ont déjà été examinés par plus qu'à la lumière des faits qui
3 suivent. Premièrement, le général Cermak a reçu des pouvoirs
4 discrétionnaires très importants de la part du président dans l'exécution
5 de sa tâche, donc dans le cadre du rôle qu'il a joué face au représentant
6 de la communauté internationale et aux représentants des médias. Mémoire de
7 l'Accusation, paragraphes 349, 350, 333 et 334.
8 Pendant l'entretien qui a été mené avec lui en tant que suspect, on a
9 demandé au général Cermak ce que le président lui avait dit d'affirmer à
10 partir du moment où il l'a envoyé à Knin pour négocier avec les
11 représentants internationaux.
12 Nous verrons cela à la pièce P2525, page 32.
13 Le général Cermak a répondu, lorsqu'on lui a posé cette question :
14 "Le président ne m'a dit rien. Il m'a dit : Vas-y et occupe-toi des
15 représentants de la communauté internationale."
16 Le général Cermak a également eu la charge de s'occuper de tous les
17 contacts avec les médias et il était libre de prendre toutes les mesures
18 qu'il jugeait nécessaires à cet égard.
19 Pièce P2525, pages 13, 32, et 33, sur le cliché qui suit.
20 Le général Cermak affirme :
21 "Il m'a dit," à savoir le président, "d'être en contact avec les médias et
22 de faire le nécessaire."
23 Et nouvelle citation : "Jamais personne ne m'a soufflé ce qu'il fallait
24 dire aux médias."
25 Nouvelle citation : "J'étais entièrement libre sur ce plan."
26 Deuxièmement, il y avait déjà un système de communications qui était mis en
27 place, à savoir il y avait un système d'officiers de liaison de l'armée
28 croate qui fonctionnait pleinement depuis le bureau des Nations Unies et
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1 l'Union européenne. Les officiers de liaison constituaient une branche
2 professionnelle du ministère de la Défense, et leur objectif principal
3 était de fonctionner en tant que voie de communications entre la communauté
4 internationale et les autorités croates.
5 En date du 5 août, le ministre de la Défense, Susak, a donné l'ordre au
6 général Gotovina de dépêcher les officiers de liaison à Knin pour
7 collaborer avec le général Cermak, pièce D1688, paragraphe 10. Le général
8 Cermak a délibérément été utilisé en tant que filtre dans ce système
9 d'officiers de liaison afin de faire en sorte que tous les griefs qui
10 porteraient sur les crimes commis par les forces croates seraient canalisés
11 directement vers lui. Par exemple, d'après ce qu'affirment les
12 représentants de la communauté internationale, pièce P147, page 6, et je
13 cite :
14 "Selon l'ordre du ministre de la Défense, seuls les généraux Gotovina
15 et Cermak sont habilités à s'occuper directement des représentants des
16 organisations internationales. Tout autre contact officiel doit passer par
17 le truchement des officiers de liaison de l'armée croate."
18 Troisièmement, le général Cermak n'a jamais dit aux représentants de
19 la communication internationale que ce n'était pas lui qui avait la
20 responsabilité en dernière instance pour s'occuper de leurs préoccupations.
21 Il ne leur a jamais dit d'adresser leurs protestations à qui que ce soit
22 d'autre, en dépit du fait qu'il n'arrivait pas de recevoir des informations
23 d'une activité criminelle qui ne cessait pas.
24 Pièce D618, il s'agit du procès-verbal d'une réunion tenue entre le
25 général Cermak et M. Al-Alfi, ainsi qu'un représentant de Forand, en date
26 du 7 septembre 1995. La Chambre devrait se pencher sur cette pièce. C'était
27 une réunion qui a eu lieu un mois après l'arrivée du général Cermak à Knin,
28 et après qu'il ait reçu d'innombrables comptes rendus de crimes, après
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1 qu'il ait vu la scène de Grubori, et à partir du moment où Forand avait
2 accusé personnellement le général Cermak d'avoir essayé de cacher la
3 perpétration de la purification ethnique par les forces croates.
4 Et pendant cette réunion, le général Cermak a continué de demander
5 qu'on l'informe des crimes. Il a promis des arrestations, il a promis que
6 des mesures de discipline allaient être imposées aux membres de la HV. Il a
7 promis une enquête sur les meurtres rapportés, il a promis des patrouilles
8 de la police. Lorsqu'on a accusé des membres de la HV d'incendier des
9 maisons, il a promis une liberté de circulation, et il n'a pas corrigé Al-
10 Alfi lorsqu'il a dit que la police civile, je cite, "est votre police
11 civile," je cite, "ce sont vos hommes," dans la conversation avec le
12 général Cermak.
13 Quatrièmement, compte tenu du nombre de rapports que le général Cermak a
14 reçu directement des représentants de la communauté internationale, il est
15 révélateur de se dire qu'il n'a jamais laissé de traces écrites qui
16 auraient réfléchi la portée et le volume des crimes commis par les forces
17 croates. Et je vous réfère à la pièce P2532, page 43; pièce 2525, pages 50
18 à 120. Citation :
19 "Je n'ai rien fourni par écrit au président."
20 Nouvelle citation : "Non, il n'y avait pas lieu de le coucher sur papier à
21 Gotovina."
22 Nouvelle citation : "Je ne lui ai écrit aucun rapport à Gotovina, soi-
23 disant."
24 La substance de la responsabilité pénale du général Cermak réside dans le
25 fait que délibérément il n'a pas agi de bonne foi pour répondre aux griefs
26 qui ont été présentés sur les crimes commis contre les Serbes, donc les
27 griefs reçus de la part des représentants de la communauté internationale,
28 paragraphes 356 à 362 du mémoire de l'Accusation.
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1 Et cela a été signalé par le général Forand pendant son contre-
2 interrogatoire par M. Kay. Le problème véritable qui se posait avec le
3 général Cermak - et je vous réfère au compte rendu d'audience page 4 251 :
4 "…Le fait, c'était le fait qu'il y avait des rapports là-dessus, et
5 rien n'a été fait par la suite."
6 Le général Cermak avait le pouvoir discrétionnaire de dire tout ce qu'il
7 jugeait nécessaire à l'adresse des représentants à la communauté
8 internationale et des médias, parce qu'il avait la charge de s'occuper des
9 relations publiques. Cela voulait dire qu'il devait protéger l'image du
10 gouvernement croate, de l'armée croate face à des crimes systématiques à
11 grande échelle, qui étaient commis contre la population serbe. Je vous
12 renvoie au mémoire de l'Accusation, paragraphes 349 et 350.
13 Pièce P2525, page 32, pour le cliché suivant. Le général Cermak a
14 reconnu qu'un de ses objectifs, à Knin, était le suivant, je cite :
15 "…de défendre les intérêts de la Croatie lorsqu'il y avait des
16 articles négatifs et des questions négatives."
17 La Défense Cermak affirme que le général Cermak a reconnu qu'il y a
18 eu des crimes commis par les forces croates et que ce fait est en
19 discordance avec l'allégation qu'il a été membre d'une entreprise
20 criminelle commune. Mais cette affirmation de la Défense induit en erreur,
21 puisque le général Cermak a, certes, reconnu de manière limitée certaines
22 choses, mais en fait, il y a deux raisons à cela.
23 Premièrement, le général Cermak a fait attention à ne pas provoquer
24 une intervention internationale indépendante qui aurait pu mettre fin à des
25 crimes, qui, en fait, avait du succès dans l'expulsion des Serbes qui
26 restaient encore dans la Krajina.
27 Puis le général Cermak n'aurait pas pu raisonnablement nier que les
28 forces croates ont participé à des crimes systématiques suite à l'opération
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1 Tempête, compte tenu de leur participation qui ne faisait aucun doute.
2 Les dénis catégoriques de toute participation par les forces croates,
3 non seulement risquaient de les couper de la communauté internationale et
4 de ternir la crédibilité de la Croatie, mais cela risquait aussi de
5 provoquer une réaction de la communauté internationale qui allait échapper
6 au contrôle par les membres de l'entreprise criminelle commune. Le général
7 Cermak a précisément dit cela au général Tolj qui était à la tête de
8 l'administration politique, lorsqu'il l'a réprimandé pour avoir menti aux
9 médias au sujet de l'absence de toute implication croate aux crimes. La
10 Chambre devrait relever que le général Cermak a offert une excuse identique
11 pour ce qui est des civils en uniforme aux représentants de la communauté
12 internationale, et cela, lorsque cela lui paraissait appropriée. Pièce
13 P372, D56, D151, P1223.
14 Deuxièmement, il est important de savoir que le général Cermak n'a
15 pas reconnu certaines choses, à savoir il a nié les accusations qui
16 auraient directement engagé la responsabilité de l'armée croate, ou du
17 gouvernement croate, dans des crimes systématiques ou à grande échelle
18 perpétrés contre les Serbes en Krajina. Le général Cermak était
19 l'apologiste de l'Etat croate et de l'armée croate, et non pas des soldats
20 de la HV, pris à titre individuel. Il a activement sollicité auprès de la
21 communauté internationale de signaler tout mauvais comportement des membres
22 individuels des forces croates, dans leur participation à la commission de
23 crimes, et cetera, afin de neutraliser ces griefs.
24 Le général Cermak a joué un rôle en tant qu'apologiste du
25 gouvernement, et cela a été confirmé pendant le briefing du général
26 Gotovina, avec ses commandants subordonnés de la HV à Knin, dans la matinée
27 du 6 août. Il s'agit de la pièce D792. Le général Cermak a fait part du
28 mécontentement du général Gotovina au sujet d'une image potentiellement
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1 négative qu'on allait donner de l'armée croate. Référence à la pièce D792,
2 pages 4 à 5.
3 Pendant cette réunion, le général Cermak a relevé qu'Akashi, la
4 FORPRONU, les ambassadeurs américains, français et allemands allaient
5 bientôt arriver à Knin, et il a déclaré ouvertement qu'il avait pour charge
6 de sauver la situation en toute urgence et de mettre les choses dans
7 l'ordre, parce que, je cite :
8 "Il va y avoir du monde, des délégations vont arriver, des ministres,
9 des journalistes, pour voir quelle est l'armée croate, pour voir de quoi
10 est capable l'armée croate."
11 Les preuves montrent que le général Cermak ne s'est préoccupé des
12 relations publiques et que du contrôle de l'image plutôt qu'il n'ait essayé
13 d'exercer un contrôle effectif sur l'armée. Le général Cermak a nié face
14 aux représentants de la communauté internationale et aux médias toute
15 implication possible des échelons plus élevés ou toute implication
16 systématique de l'armée ou de l'Etat croate. Je vous réfère à la pièce
17 P1223. Par exemple, en réponse aux plaintes au sujet des soldats qui
18 auraient commis des crimes face à la Croix-Rouge, il dit :
19 "Les actes que vous avez mentionnés ont été perpétrés par des
20 individus qui essaient de profiter de l'opération militaire brillante afin
21 d'obtenir des gains matériels et afin de satisfaire leurs pulsions
22 meurtrières pathologiques. De tels individus sont des criminels qui
23 enfilent des uniformes de camouflage, et en fait, ainsi, jettent le doute
24 sur l'honnêteté du soldat croate et les politiques appliquées ou menées par
25 la République de Croatie."
26 Pour ce qui est des rapports onusiens disant qu'il y avait des hommes
27 en civil qui ont été retrouvés avec des blessures par balles dans leur
28 nuque, le général Cermak a répondu que c'était des insinuations et des
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1 mensonges qui ternissaient la réputation de l'armée croate et de l'Etat
2 croate. Pièce P2572, page 5; ainsi que P504, pages 3 et 4.
3 La Chambre devrait aussi se pencher sur la réponse défensive et
4 agressive du général Cermak au général Forand lorsque celui-ci accuse que
5 le général Cermak restreint la liberté de mouvement des représentants de
6 communautés internationales afin de dissimuler la purification ethnique
7 menée par les forces croates.
8 Je cite : "Je ne comprends pas comment ceux qui sont placés sous
9 votre commandement sont en mesure de contrôler de manière aussi efficace
10 tout mouvement, et en même temps quasiment un mois après les hostilités,
11 autant de maisons sont toujours incendiées, ce qui chasse les pauvres sans-
12 abri de leurs terres…
13 "Et je vous demande aussi de mettre fin à toute restriction de la
14 liberté de circulation des forces onusiennes. Si vous voulez vraiment
15 mettre fin à la destruction aveugle des biens, alors je vous demande
16 d'accepter le suivi ou l'observation indépendante par des équipes
17 onusiennes. Cela pourrait permettre de combattre le banditisme."
18 Le général Cermak répond, pièce D145, le général Cermak se dit étonné
19 face à ce qu'il appelle des allégations sans fondement du général Forand,
20 et il met au défi le général Forand de produire des preuves, ne serait-ce
21 que d'un cas où les forces croates auraient incendié une maison et auraient
22 chassé les gens de leur foyer, et il met aussi le général Forand en garde,
23 disant qu'il faudrait qu'il fasse attention à ne pas insinuer des choses
24 sans fondement.
25 Pendant le contre-interrogatoire du général Forand, Me Kay a souligné
26 le changement de ton par le général Cermak aux réponses à ses allégations,
27 en impliquant même que le général Cermak n'a peut-être pas rédigé cette
28 lettre. Pages du compte rendu d'audience 4 253 à 4 257.
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1 Puis le fichier suivant se réfère à la pièce P1144, page 4.
2 Toutefois, en 1999, le général Cermak est allé jusqu'à rappeler au
3 président Tudjman les accusations du général Forand de purification
4 ethnique explicitement reconnue, qu'il lui a répondu par écrit en lui
5 disant d'arrêter d'avancer des insinuations et des histoires inventées de
6 toutes pièces. Je vous réfère aussi à la pièce P2525, page 57. Compte tenu
7 des informations qu'avait le général Cermak sur le nombre de maisons qui
8 ont été incendiées par les membres de la HV, sa déclaration selon laquelle
9 il aurait été étonné, lorsqu'il demande des preuves aussi, et son
10 avertissement au général Forand au sujet des accusations sans fondement et
11 des insinuations dénuées de toutes preuves, bien, cela ne correspond pas du
12 tout à l'image qu'il essaie maintenant d'offrir de lui-même de quelqu'un
13 qui n'avait aucun objectif, aucun agenda politique, et qui était un
14 messager sans aucun pouvoir face à la communauté internationale, et qui a
15 reconnu ouvertement la commission des crimes par les forces croates.
16 Le général Cermak ne s'est pas limité à démentir son implication
17 directe dans la dissimulation des crimes commis par les forces croates, par
18 exemple, dans le village de Grubori.
19 Le général Cermak a affirmé au président Tudjman en 1990 [comme
20 interprété] en preuve de loyauté absolue : "Je serai ici quand vous aurez
21 besoin de moi. Quelle qu'en soit la cause, vous pourrez toujours compter
22 sur moi." Donc c'était précisément la raison pour laquelle le président
23 Tudjman a recruté le général Cermak pour participer à l'entreprise
24 criminelle commune et pendant cet entretien, et pendant la conversation qui
25 a suivi. Je vous réfère à la pièce P1144, page 6. Le général Cermak est
26 revenu au rôle qu'il avait joué initialement, à savoir celui d'apologiste
27 de l'entreprise criminelle commune, celui qui a proposé de blanchir les
28 événements lorsqu'il s'est adressé aux médias.
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1 Et je le cite : "Hier, j'ai été appelé par dix ou 15 journalistes, la
2 BBC, et de nombreux journaux locaux. J'ai refusé de faire toute
3 déclaration. Mais si vous pensez qu'il faudrait qu'on commence à en parler
4 haut et fort, qu'il faudrait parler de la relation entre nous, ceux qui
5 nous ont accusés, je pourrais blanchir cela un petit peu."
6 Le président Tudjman n'a pas pu résister à cette proposition, et il a
7 rappelé à Cermak quelle était la ligne droite du parti. Je cite :
8 "Je ne pense pas que vous allez pouvoir éviter de répondre à toutes
9 les questions. Vous devriez dire que les accusations sont sans fondement.
10 Vous pourrez utiliser tous les arguments en vous référant à Knin,
11 mentionner le pilonnage de Zagreb où 100 personnes ont été blessées et
12 plusieurs tuées. Dites-leur que le président leur a demandé, aux Serbes, de
13 rester, mais que leur peuple leur a ordonné de partir, et cetera. Dites
14 aussi que nous avons engagé des procédures contre les auteurs et les crimes
15 qui sont mentionnés par eux."
16 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, j'ai épuisé mon temps.
17 Je voudrais vous renvoyer au jugement dans l'affaire Popovic où il a été
18 constaté que des actes d'un accusé qui a cherché à leurrer les
19 organisations internationales où le leur a été perpétré au profit de
20 l'objectif criminel commun avec l'objectif de détourner l'attention, de
21 saper l'ingérence de la communauté internationale, peut être considéré
22 comme une contribution significative aux objectifs de la responsabilité
23 pénale de l'entreprise criminelle commune, paragraphes 1 815, 1 820, 1 822,
24 et 2 203 dans l'affaire Popovic. Je vous remercie, c'est Mme Mahindaratne
25 qui prendra la parole.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Carrier.
27 Madame Mahindaratne, j'ai l'intention de faire la pause vers 17 heures 30.
28 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] Bonjour, Madame, Monsieur les Juges. Le
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1 général Markac était le vice-ministre de l'Intérieur et le commandant de la
2 police spéciale. Il a joué un rôle-clé dans l'exécution de l'entreprise
3 criminelle commune en tant que commandant des forces de la police spéciale
4 qui ont commis des crimes dans le cadre de l'opération Tempête et des
5 opérations de recherche liées à cette opération militaire. Lorsque nous
6 avons abordé dans notre mémoire en clôture et dans différents arguments le
7 fait que le général Markac ait participé de façon active à la réunion de
8 Brioni, la Défense Markac fait valoir que la totalité des contributions
9 orales du général Markac lors de cette réunion ne correspond qu'à sa
10 déclaration que l'on retrouve à la page 19 du compte rendu Brioni, P461. La
11 Défense Markac fait valoir que dans ce passage, il n'y a aucune suggestion
12 de la part du général Markac d'avoir la moindre intention de participer à
13 l'entreprise criminelle commune. Je fais référence ici aux paragraphes 131
14 et 132 du mémoire Markac. Mais comme détaillé dans notre mémoire en
15 clôture, le plan visant à chasser de façon permanente et par la force les
16 Serbes de la Krajina s'est cristallisé lors de la réunion de Brioni.
17 Ce matin, M. Russo a parlé des détails du plan de Brioni qui visait à
18 utiliser à la fois les opérations psychologiques et des frappes
19 d'artillerie illégales pour déclencher un exode massif des civils. Le
20 général Markac a participé de façon active à cette réunion. Il a accepté le
21 plan et il a discuté de l'application de ses forces qui allaient se
22 coordonner avec le HV dans l'exécution. Il a prédit d'ailleurs le résultat
23 de l'opération dans les termes suivants :
24 "Cela signifie qu'on va les chasser jusque dans une poche ici, et à partir
25 de ce point-là, on pourra partir vers Norac, et on pourra aller vers Lapac,
26 ensuite toute la région sera pratiquement évacuée. Tout marche très bien
27 selon ce plan proposé par M. Gotovina."
28 Vous trouverez cela à la pièce P461, page 19.
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1 La Défense Markac semble aussi n'avoir pas remarqué la contribution
2 orale du général Markac en pages 18, 24 à 25, 31 à 32, et plus
3 particulièrement la discussion entre le président Tudjman, le général
4 Cervenko et le général Markac qu'on trouve aux pages 19 et 20 du compte
5 rendu de la réunion de Brioni.
6 Ici, on voit que le général Markac est d'accord pour mettre à
7 contribution ses subordonnés pour mettre en scène une provocation
8 permettant ensuite de lancer ensuite l'opération, et ce, sur une suggestion
9 du président Tudjman. Vous trouverez cela à la pièce P461, pages 19 à 20.
10 Ensuite, on voit les discussions qui se poursuivent. Le ministre Susak
11 suggère qu'il y ait un effort coordonné entre la HV et les forces de la
12 police spéciale dans la mise en scène de la provocation. Il propose que
13 l'on tire deux obus sur Gospic, une ville croate, si possible "dans un
14 endroit inhabité." C'est toujours la pièce P461, page 30.
15 Comme prévu, cette provocation mise en scène a bel et bien réalisée. Je
16 fais référence ici au rapport des observateurs de la Communauté européenne
17 en date du 2 août 1995. P831, paragraphes 1 et 2, c'est-à-dire le
18 paragraphe 3C du rapport.
19 Le général Markac partageait l'objectif criminel commun qui était de
20 chasser à tout jamais la population serbe de la région de la Krajina, et
21 ce, par le biais des crimes allégués. Ceci est démontré non seulement par
22 la participation active qu'il a eue dans le cadre de la réunion de Brioni,
23 mais aussi par sa conduite ultérieure lors de la mise en œuvre des
24 décisions qui avaient été conclues lors de la réunion de Brioni. Je fais
25 référence ici au paragraphe 384 de notre mémoire en clôture.
26 Comme nous l'avons détaillé dans notre mémoire, le général Markac a
27 contribué de façon importante à l'objectif criminel commun par le biais de
28 plusieurs faits. Tout d'abord, il a planifié l'opération Tempête et les
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1 relations de recherches associées en coordination avec les autres membres
2 de l'entreprise criminelle commune. Il a préparé ses subordonnés à leurs
3 missions. Il a participé à la planification et au lancement d'une attaque
4 d'artillerie illégale contre des villes peuplées de civile, y compris
5 Gracac et Donji Lapac. Il a commandé ses subordonnés lors de l'opération
6 "Storm" et lors des opérations de recherches associées. Il était
7 physiquement présent sur le terrain et a dirigé personnellement ses
8 subordonnés au cours de l'attaque de l'opération "Storm" et a donc
9 participé aux crimes. Il a donné des ordres visant à mener des opérations
10 de recherche suite à l'opération Tempête. Et il a mis en place un climat
11 d'impunité parmi ses subordonnés alors qu'un grand nombre de crimes étaient
12 commis de façon répétée en n'intervenant pas ni pour prévenir les crimes ni
13 pour les sanctionner. Et lorsque les crimes de ses subordonnés ont risqué
14 d'être mis à jour, là il les a étouffés en propageant des informations
15 erronées et en empêchant toute enquête.
16 La Chambre a déjà entendu nos arguments à propos de la contribution
17 de général Markac à l'entreprise criminelle commune et en ce qui concerne
18 sa responsabilité individuelle pénale portant sur la planification et le
19 lancement de l'attaque d'artillerie illégale contre des villes de civils,
20 et je ne vais donc pas en parler.
21 Mais comme l'a dit M. Russo, le général Markac a donné l'ordre à sa
22 police spéciale dans le cadre de l'opération "Storm." Au fur et à mesure
23 que l'opération a eu lieu, le général Markac a continué à donner des ordres
24 à ses forces en leur demandant d'attaquer les territoires détenus
25 préalablement par les Serbes, y compris Gracac, Otric et Donji Lapac. Vous
26 trouverez cela à la pièce P2385, page 7; P614, page 11; P2384, page 2; et
27 P552, paragraphe 34.
28 Le général Markac a personnellement dirigé ses forces sur le territoire
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1 libéré. Il était là physiquement sur le terrain et a dirigé ses
2 subordonnés. Et ici, je fais référence aux éléments de preuve cités à la
3 note de bas de page 1 477 de notre mémoire en clôture.
4 Alors que les forces de la police spéciale se sont emparées du territoire,
5 ils ont détruit tout village, toute ville, tout hameau serbe par lequel ils
6 passaient en pillant systématiquement et en incendiant tous les biens
7 civils. Les civils qui restaient sur place, qui étaient Serbes et qui
8 étaient trouvés, étaient exécutés immédiatement. Les éléments de preuve
9 cités à l'appui des paragraphes 414 à 426 du mémoire de l'Accusation et les
10 annexes montrent bien la dévastation et le carnage que les forces de la
11 police spéciale ont laissé dans leur sillage alors qu'ils se déplaçaient
12 vers le nord de Gracac, vers Oric et Donji Lapac, pour atteindre la
13 frontière de Bosnie-Herzégovine. Pour illustrer ceci, sachez que le 5 août,
14 la police spéciale s'est emparée de Gracac et a commencé à se livrer à des
15 pillages et à la destruction des biens privés. Le 6 août, ils ont pris
16 Otric, et là aussi ils pillaient et détruisaient toutes les propriétés aux
17 alentours et sur la route d'Otric.
18 Le 11 août, il ne restait pratiquement plus rien d'Otric.
19 Le 7 août, la police spéciale s'est emparée de Donji Lapac. En allant
20 de Gracac à Donji Lapac, sur sa route, la police spéciale a détruit [comme
21 interprété] et détruit pratiquement 90 % des maisons et des biens qu'elles
22 ont trouvées le long de la route. Comme l'a déclaré l'adjoint de M. Markac
23 lors d'une réponse à une question posée par la Chambre, il n'y avait pas
24 d'autres forces présentes sur ces axes d'attaques, et la police spéciale
25 faisait partie des premières forces croates à faire route dans cette
26 direction. Vous trouverez cela au compte rendu, page 27 756.
27 La police spéciale est entrée dans Donji Lapac dans l'après-midi du 7 août
28 et ils ont immédiatement commencé à incendier le village. Donji Lapac a été
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1 totalement détruit au cours de cette nuit et a été rendu parfaitement
2 inhabitable; on ne pouvait même plus y cantonner des unités militaires
3 croates. La police spéciale est restée à Donji Lapac jusqu'au 9 août. Ici,
4 je fais référence aux éléments de preuve cités à la note de bas de page 1
5 514 de notre mémoire en clôture. Donc le 26 août, et je l'ai déjà dit, lors
6 d'une réunion entre le président Tudjman, le ministre Susak et les généraux
7 Cervenko, Gotovina et Norac, entre autres, le ministre Susak a fait rapport
8 de la destruction totale de Donji Lapac. Pièce P470, page 53.
9 Lors de cette même réunion, le commandant de la région militaire de Gospic,
10 le général Norac, a attribué les crimes commis à la police spéciale.
11 Toujours pièce P470, page 54.
12 Au paragraphe 422 du mémoire de l'Accusation, nous abordons les
13 éléments de preuve montrant les échanges entre les dirigeants croates et
14 les autorités en ce qui concerne les crimes commis à Donji Lapac. Le
15 général Markac a parlé des crimes commis à Donji Lapac avec son adjoint, M.
16 Sasic. Je fais référence à des éléments de preuve cités aux notes de bas de
17 page 1 530 de notre mémoire en clôture. Mais bien qu'au niveau présidentiel
18 même ceci ait été porté à l'attention du président, la destruction de Donji
19 Lapac n'a jamais fait l'objet de la moindre enquête de la part des
20 autorités croates, ce qui reflète bien le climat d'impunité qui régnait.
21 Quant aux Serbes isolés, traînards, qui restaient malheureusement
22 dans les parages, lorsqu'ils avaient le malheur de rencontrer la police
23 spéciale, ils étaient immédiatement exécutés. L'avalanche de meurtres
24 laissée dans son sillage par la police spéciale sur cet axe d'attaque et
25 dans le cadre de ces opérations de recherche est montrée par le nombre de
26 cadavres de civils retrouvés le long de leur itinéraire dans leur sillage.
27 Ici, je fais référence à l'annexe B de notre mémoire en clôture. Par
28 exemple, à Gracac, où le général Markac a établi son QG le 5 août, et qui
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1 est resté d'ailleurs la base des polices spéciales pendant toute la période
2 de l'Accusation, 53 cadavres de civils ont été récupérés. Je fais ici
3 référence à l'annexe B, pages 22 à 33.
4 Le général Markac a essayé d'exonérer les forces de la police
5 spéciale en ce qui concerne ces crimes en faisant quelques attaques très
6 faibles contre différents éléments de preuve ici et là, mais de façon
7 parcellaire. Et ceci, de toute façon, n'a aucun fondement. Je fais
8 référence ici aux paragraphes 238, 239 et 258 du mémoire de la Défense
9 Markac. L'envergure même de l'avalanche de crimes commis dans les zones où
10 opéraient les polices spéciales est la preuve de la présence des forces de
11 la police spéciale au cours de la commission des crimes. Et les échanges
12 ayant eu lieu avec les autorités croates à propos des crimes qui sont cités
13 au paragraphe 422 de notre mémoire corroborent bien les éléments de preuve
14 que le général Markac essaye fort faiblement de contester.
15 La Chambre a aussi reçu des éléments de preuve photographiques
16 portant sur les crimes effectués par la police spéciale à Gracac. La pièce
17 P324. Comme nous l'abordons dans les paragraphes 414 à 423 de notre
18 mémoire, le général Markac était présent sur les lieux des crimes, lorsque
19 ces crimes ont été commis ou immédiatement après la commission de ces
20 crimes. Comme nous l'avons abordé aux paragraphes 401 à 404 de notre
21 mémoire, le général Markac disposait d'un contrôle effectif sur la police
22 spéciale et sur ces forces de la police spéciale déployées dans le cadre de
23 l'attaque Tempête et dans le cadre aussi des opérations de recherche qui
24 s'en sont suivies. Au cours de l'attaque de l'opération "Storm," il a suivi
25 de près ses forces et a toujours maîtrisé les opérations.
26 Comme nous l'avons démontré aux paragraphes 466 à 468 de notre
27 mémoire, le général Markac n'est pas intervenu ni pour prévenir les crimes
28 commis par ses subordonnés ni pour les punir, bien qu'il ait toujours été
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1 dans les parages. De ce fait, le général Markac, de façon tacite,
2 approuvait et encourageait la commission de crimes par ses subordonnés.
3 Une fois l'attaque menée dans le cadre de l'opération Tempête
4 réalisée, le général Markac a ordonné à ses subordonnés pour qu'ils mènent
5 des opérations de recherche. Les forces de la police spéciale s'y sont
6 employées au cours des mois d'août et de septembre, et cela n'a amené
7 qu'encore d'autres crimes. A la fin août, les crimes commis par la police
8 spéciale étaient en cours depuis des semaines sans que le général Markac ne
9 fasse quoi que ce soit pour soit enquêter, soit sanctionner ces crimes. Il
10 avait donc créé un environnement favorable à des comportements criminels en
11 négligeant de prendre la moindre mesure pour les empêcher ou les
12 sanctionner. Le général Markac a été averti que ses subordonnés étaient
13 sans doute en train de tuer des civils, mais il a continué à les déployer,
14 y compris ceux qu'il savait être parfaitement indisciplinés et très
15 nationalistes, dans des endroits où restaient encore quelques vieux Serbes
16 isolés, et ce, sans prendre aucune précaution. Je fais référence ici à
17 différentes notes de pied de page, la 1 533, 1 544 et 1 545.
18 Il savait donc que des meurtres allaient être certainement être
19 commis dans le cadre de l'exécution de ses ordres.
20 L'unité de Lucko, qui était considérée comme étant une unité de
21 combat d'élites de la police spéciale, a participé à trois de ces
22 opérations de recherche. L'une dans la région de Petrova Gora, les 13 et 14
23 août; la deuxième dans la vallée de Plavno, le 25 août; et la troisième
24 dans les collines de Promina, le 26 août. Ils ont commis des crimes dans le
25 cadre d'au moins deux de ces opérations, et ce, lors de jours consécutifs,
26 ce qui reflète bien que cette activité criminelle était à l'ordre du jour,
27 en tout cas, parmi les subordonnés du général Markac.
28 Je remarque l'heure qui passe, Monsieur le Président. Je vais bientôt
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1 parler des crimes de Grubori. Peut-être vaudrait-il mieux que nous fassions
2 la pause --
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. A part Grubori, de quoi allez-vous
4 parler après la pause ?
5 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] Je vais contrer les arguments de la
6 Défense.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Sur Grubori seulement…
8 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] Non, Grubori et Ramljane.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez besoin de combien de temps
10 environ ?
11 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] J'ai besoin d'au moins 30 à 40 minutes.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Enfin, jusqu'à présent,
13 l'Accusation a utilisé cinq heures et demie sur les six heures qui lui
14 avaient été accordées. Cela ne vous laisse que 30 minutes.
15 [La Chambre de première instance se concerte]
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de faire la pause, essayons de
17 nous organiser.
18 Vous aurez encore une demi-heure après la pause. Vous aurez ainsi les
19 six heures qui avaient été accordées à l'Accusation.
20 Nous avons le choix. Comme le proposaient les avocats de M. Gotovina,
21 ils préféreraient commencer demain. Le temps de nouvelles accusations, mais
22 c'est une autre façon de présenter des éléments de preuve. En tout cas,
23 vous pourrez peut-être dire que ce ne sont pas des éléments de preuve. En
24 tout cas, ils ne sont pas neufs.
25 Et vous avez dit qu'on a consacré davantage d'attention à l'accusé
26 Gotovina qu'aux autres, et c'est pour ça que vous nous demandez plus de
27 temps. Là, si on parle des crimes commis par les forces de la HV, ça ne
28 concerne pas que M. Gotovina. Ça concerne éventuellement les autres accusés
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1 qui sont accusés de participer à une entreprise criminelle commune.
2 Alors, voici ce que propose la Chambre. Dans une certaine mesure, la
3 Chambre est d'accord pour dire qu'effectivement on a accordé du côté de
4 l'Accusation davantage d'attention à l'accusé Gotovina qu'aux autres.
5 Et comme je le disais déjà à plusieurs reprises, nous avons deux
6 options. Nous pourrions recommencer demain en ajustant le temps donné en
7 fonction des accusés. La Chambre s'interrogeait : faudrait-il qu'au lieu
8 d'avoir trois fois 150 minutes - parce que ça fait trois fois deux heures
9 et demie - est-ce qu'il serait préférable d'avoir une demi-heure de plus
10 qui serait donnée tout de suite à la Défense Gotovina, lui donnant 180
11 minutes, alors que les autres auraient chacun 135 minutes. Tout serait
12 bien. Effectivement, il y aurait 180 minutes, puis 135, et enfin 135 -- et
13 si vraiment nous menons l'audience à la baguette demain, nous pourrions
14 avoir suffisamment de temps pour entendre les premiers arguments de la
15 Défense demain pour entendre éventuellement les répliques et les dupliques
16 mercredi matin.
17 Donc on gagnerait une demi-heure si on commençait aujourd'hui, ce qui
18 n'empêcherait pas aux parties de s'entendre sur la répartition du temps
19 donné. On pourrait aussi ne pas commencer aujourd'hui. Mais avec ce
20 programme mis à jour, on pourrait commencer et terminer demain.
21 Je ne vous demande pas de réagir au débotté. Je voudrais d'abord que
22 nous fassions une pause, et nous reprendrions à 18 heures, et qui sait,
23 nous verrons après la pause s'il y a des problèmes qui ont surgi. A moins,
24 Maître Misetic, que vous ne vouliez nous dire qu'une solution est à
25 l'horizon.
26 M. MISETIC : [interprétation] Oui, une autre possibilité c'est de
27 savoir si on peut avoir une demi-heure de 18 heures 30 à 19 heures pour
28 avoir la demi-heure qu'on n'aurait pas, et nous aurions, demain, deux
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1 heures et demie. Donc ce serait équitable pour tous.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais je pense que c'était la
3 première option que j'ai évoquée, que vous commenciez aujourd'hui, puis de
4 voir comment se répartira le temps. Ecoutez, voyez ce que ça va donner.
5 Est-ce que c'est juste pour l'Accusation, une demi-heure en plus dans
6 le cadre des six heures prévues.
7 M. TIEGER : [interprétation] Ecoutez, j'étais au chronomètre. Trois heures
8 32 minutes. Enfin, je ne veux pas ici ergoter, mais --
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ecoutez, j'avais trois heures et 28
10 minutes. Qui va être la victime, ce seront, comme d'habitude, les
11 interprètes et la sténotypiste.
12 Vous dites que voilà, sept ou huit minutes, ça suffira. Je me tourne
13 vers les autres équipes de la Défense. Est-ce que vous seriez d'accord pour
14 avoir deux heures et demie demain, et une demi-heure de plus qui serait
15 donnée aujourd'hui à la Défense Gotovina. Je vois un signe de tête
16 affirmatif de Me Kuzmanovic.
17 M. KAY : [interprétation] Oui. Je serais d'accord pour dire que la Défense
18 Gotovina devrait avoir ce temps supplémentaire. Du moment qu'on ne me prend
19 pas de temps, moi, c'est bon.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors, ce sera cinq ou six minutes.
21 Ecoutez, nous allons faire la pause. Une pause de 20 minutes. Mme
22 Mahindaratne aura 36 minutes de plus. Puis demain, vraiment, veillons au
23 grain, nous allons vraiment travailler au chronomètre. Il faut être tous
24 présents à l'heure prévue, et tout le monde le sera aussi pour éviter toute
25 nouvelle perte de temps.
26 M. TIEGER : [interprétation] Oui, je voudrais intervenir. Je sais que vous
27 avez déjà pris une décision, mais je voulais que soit acté au dossier --
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
Page 29169
1 M. TIEGER : [interprétation] Toutes mes excuses.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre, allez-
3 y.
4 M. TIEGER : [interprétation] Je voudrais notamment relever que lorsque j'ai
5 calculé le temps consacré, par exemple, au pilonnage, ça donne les deux
6 heures et demie qu'on avait données au départ à la Défense Gotovina, ce qui
7 met en exergue que les deux autres équipes de la Défense reçoivent plus de
8 temps. Et finalement, dans le mémoire en clôture, qui est bien plus
9 détaillé, tout le monde a le même temps, et nous, nous avons dû répondre
10 aux trois mémoires, alors que la Défense a eu trois fois plus de mots que
11 nous. Mais enfin, je ne veux pas ici rouvrir ce dossier polémique --
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais qui sait, s'il y a des problèmes,
13 on pourra voir s'il est possible d'accorder dix ou 15 minutes de plus
14 mercredi. Il faudrait que tout un chacun quitte le prétoire à l'issue de la
15 procédure avec le sentiment que l'équité a été respectée. Peut-être aurez-
16 vous un peu de temps, Monsieur Tieger, mercredi matin; ça vous arrangerait
17 ?
18 M. TIEGER : [interprétation] Pour le moment, j'essaie simplement de veiller
19 à ce que ma consoeur n'ait pas à élaguer son exposé. On va voir. Je suppose
20 que vous serez d'accord pour lui donner quelques minutes de plus, elle en a
21 besoin -- mais attendons. Pourquoi ne pas faire la pause et voir --
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Exactement, et on reprendra à 17 heures
23 55. Et que dans le fond, six ou sept minutes sur 13 heures, ce n'est pas
24 grand-chose.
25 --- L'audience est suspendue à 17 heures 39.
26 --- L'audience est reprise à 17 heures 58.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Madame le
28 Substitut. Vous avez encore 36 minutes.
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1 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 Le 25 août, l'unité de Lucko a assassiné cinq civils dans le hameau de
3 Grubori, dont Milos Grubor, qui a été abattu alors qu'il était au lit.
4 Plusieurs bâtiments de ferme ont été incendiés, et des maisons, et à
5 Ramljane, des maisons de civils, le lendemain, ont été détruites.
6 Il y a eu beaucoup d'éléments présentés à propos des crimes de
7 Grubori. Vous avez vu des séquences vidéo et des photographies, aussi. On a
8 beaucoup accordé d'attention à ces massacres dans ce procès. Mais c'est un
9 événement spécial ici qu'on n'a pas suffisamment pris en compte dans le
10 contexte de la série de cette avalanche de crimes commis par les
11 subordonnés du général Markac. Il se fait qu'il y avait une équipe de
12 télévision présente sur les lieux et qui est arrivée sur les lieux peu
13 après que les crimes fussent commis, et qui a saisi sur ces images les
14 conséquences. Si cette équipe n'avait pas été là, peut-être que comme
15 beaucoup de centaines d'autres victimes en Krajina, ces morts auraient été
16 oubliés à tout jamais, ensevelis dans l'anonymat.
17 Et on peut dire qu'il y a eu collusion avec le général Cermak pour ce
18 qui est de ces crimes-là. On a déformé les faits dans des rapports, on a
19 entravé la tenue d'une enquête.
20 La Défense des généraux Cermak et Markac ne conteste pas qu'il y a eu
21 des crimes commis par la police spéciale. Paragraphes 210 et 216 de ce
22 mémoire, et ce qui été dit aussi à la page 28 030 du compte rendu
23 d'audience.
24 Il dit qu'il a été induit en erreur à propos de cet incident par la
25 police spéciale. Il dit que l'information qu'il a fournie à la communauté
26 internationale et aux médias se fondait sur des rapports de la police qui
27 étaient faux. Or, il n'avait aucune raison de penser que ceux-ci étaient
28 faux, à l'époque.
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1 Et à cinq fois au moins, à partir du 26 jusqu'au 31 août, il a
2 affirmé que les destructions et les assassinats de Grubori étaient des
3 conséquences collatérales des combats. Il est repris comme ayant prononcé
4 cela et a donné des détails différents suivant les lieux, suivant l'heure,
5 suivant l'interlocuteur, et il a assuré à tort que ces rapports étaient
6 exacts.
7 Le 26 août, vers 11 heures 30, le général Cermak a donné une première
8 déclaration publique à propos de cet incident à UNTV. Il s'agit de la pièce
9 P504. C'est Richard Luton qui l'interviewe, et il répond ceci :
10 "Oui, je suis au courant de cet incident. Ça s'est passé hier. Au
11 cours de l'opération elle-même, il y a eu des échanges de tirs. Et dans le
12 village de Grubori, une ou deux maisons ont été incendiées dans le cadre de
13 l'opération. Un terroriste serbe a été arrêté et un corps a été trouvé.
14 Nous pensons que c'est le corps d'un soldat de l'armée croate parce qu'il
15 avait, en fait, les mains liées dans le dos à l'aide d'un fil de fer."
16 P504.
17 Le général Cermak affirme que ce rapport erroné du général Markac, produit
18 après l'interview accordée à UNTV, pièce 576, s'est appuyé sur ceci. Il dit
19 que si ces rapports erronés de la police spéciale ont été écrits plus tard,
20 la formation avait été conçue auparavant. Il dit qu'il y avait un rapport
21 faisant état d'un soldat ennemi tué et de quatre civils. Pièce 504, il fait
22 référence au fait qu'un corps a été retrouvé les mains ligotées, et il dit
23 que c'est sans doute un soldat croate.
24 Mais il ne dit pas dans cette interview que quelqu'un d'autre aurait
25 été tué au cours de cet incident, ni combattant, ni civil. Au journaliste
26 qui lui pose la question, il dit qu'il ne sait rien de civils qui ont été
27 tués à Grubori. P504, pages 1 et 2. C'est parce qu'on ne connaît pas tous
28 les détails à l'époque, et que ce rapport, la pièce P576, avait été établi
Page 29172
1 au moment où on avait connaissance de tous les détails, du nombre de
2 personnes décédées et de leur identité. Sinon, ce ne serait pas logique que
3 le général Cermak nie toute connaissance de la mort de ces civils si ce
4 fait est connu.
5 Il fait référence à un cadavre dont les mains sont ligotées et ça,
6 c'est inscrit dans un rapport falsifié de la police spéciale. Paragraphe
7 218 du mémoire Cermak. Et apparemment, c'est une référence aux unités de la
8 police spéciale de la région de Split-Dalmatie et c'est cité par la Défense
9 Cermak.
10 Il dit que ceci apporte la preuve du fait que les informations qu'il
11 a diffusées venaient de la police spéciale, au départ. Effectivement,
12 l'Accusation affirme que le général Cermak et le général Markac
13 communiquaient entre eux à partir du moment où ils ont appris qu'il y a eu
14 des crimes à Grubori et qu'ils se sont mis d'accord avant l'interview
15 accordée à UNTV pour savoir ce qu'on allait dire quant à la cause de
16 l'incident. Ici, il s'agit du paragraphe 434 du mémoire de l'Accusation.
17 En tant que tel, il serait logique que le général Markac transmette des
18 faits dont il a connaissance, faits que pourrait utiliser le général Cermak
19 pour impressionner le public qui l'écoute. Mais contrairement à ce
20 qu'avance la Défense, le général Cermak ne s'est pas appuyé innocemment sur
21 des informations venant de la police spéciale pour faire des déclarations.
22 Il connaissait la vérité et il travaillait en collusion avec le général
23 Markac pour fabriquer toutes ces informations qui étaient fausses. Un
24 exemple, aucun des rapports de la police spéciale cité par le général
25 Cermak à l'appui de son argument au paragraphe 218, alinéa 10, décrit que
26 c'est le corps dont les mains sont ligotées d'un soldat croate, mais ni la
27 police spéciale ni la police civile n'a informé le général Cermak.
28 Apparemment, on soupçonnait que c'était le corps d'un soldat croate. Voyez
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1 la page du compte rendu d'audience 5292.
2 Une fois qu'ils ont compris les conséquences d'avoir trouvé un cadavre avec
3 les mains liées, même si on a pensé que c'était celui d'un combattant, le
4 général Cermak a menti à cette équipe de la télévision UNTV pour qu'on ne
5 rejette par la responsabilité sur les forces croates.
6 Le 26 août au soir, l'officier de liaison du général Cermak, Dondo,
7 lui a fourni un rapport basé sur ce qu'il avait observé en personne à
8 Grubori après une mission d'enquête. Pièce P764. Et il a lu ce rapport au
9 plus tard le 27 août dans la matinée alors qu'il se rendait à Grubori. Et
10 la pièce 764 ne corrobore pas une allégation de combat. Elle indique
11 clairement qu'il y a des signes indiquant qu'il y a crime et, par
12 conséquent, quand il a lu ce rapport et même avant, il savait que ce qu'il
13 avait affirmé à l'équipe de télévision était faux.
14 Le général Cermak affirme qu'en tant que personne qui n'avait jamais servi
15 dans l'armée, il ne savait pas comment interpréter les événements
16 concernant l'état dans lequel se trouvait le village, d'après ce qu'il
17 avait vu lui-même ou d'après ce qu'avait rapporté Dondo. Paragraphe 228 du
18 mémoire Cermak.
19 Mais il ne faut pas être expert pour comprendre la pièce P764. Permettez-
20 moi d'en lire un bref extrait. Dondo fait ainsi rapport au général Cermak :
21 A peu près 25 [comme interprété] maisons et beaucoup de bâtiments de ferme
22 dans le village et il y a 60 habitants avant l'opération.
23 On a trouvé notamment le corps d'une femme âgée née en 1944.
24 A côté du corps de cette femme se trouvait le corps d'un homme âgé de
25 35 à 40 ans, Djuro Karanovic qui apparemment était venu pour faire les
26 foins deux jours plus tôt de Belgrade.
27 Nous avons trouvé le cadavre d'un homme né en 1930 à l'intérieur
28 d'une maison en partie détruite par le feu. Sa femme l'avait apparemment
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1 ramené du pré.
2 A l'intérieur de la maison qui avait brûlé se trouvait un corps
3 carbonisé, apparemment celui d'une dame née en 1905. A l'intérieur d'une
4 maison détruite, à l'étage, se trouvait le corps d'un homme âgé né en 1915,
5 baignant dans son sang, ne présentant pas de blessures visibles et
6 simplement habillé de son caleçon et d'une chemise. Nous avons aussi vu une
7 vache morte et un chien dans la prairie.
8 Donc c'est tout ce que le général devait lire pour savoir ce qui s'était
9 passé.
10 A Grubori même, le général Cermak a vu le lieu des crimes.
11 Rappelez-vous plusieurs témoins sans aucun passé militaire. On dit
12 que ce qu'ils ont vu à Grubori ne venait pas étayer l'idée qu'il y aurait
13 eu des combats. La Chambre a vu des photographies, des séquences vidéo des
14 lieux du crime.
15 Voyez les notes de bas de page 1 549 et 1 659.
16 Le général Cermak affirme maintenant dans son mémoire, alors qu'il est allé
17 sur place, il affirme qu'il n'est pas entré dans le village, qu'il n'est
18 peut-être pas entré dans le village. C'est le paragraphe 228 du mémoire de
19 Cermak qui le dit. Mais c'est tout à fait faux, les preuves le montrent, il
20 est bien entré dans ce village. Vous avez les images filmées par HTV, pièce
21 P2386, qui le montrent, le 27 août, entrer dans le village, se trouver
22 debout près des bâtiments incendiés où il commence à faire sa déclaration
23 en disant : "Nous sommes dans le village de Grubor."
24 A Grubori, après avoir vu les lieux et après avoir lu quelques
25 instants auparavant le rapport de Dondo, le général Cermak affirme ceci, je
26 le cite :
27 "Vous le voyez, il y a eu un échange de tirs. Le village a été incendié. Et
28 pendant l'action proprement dite, trois membres des groupes chetniks et
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1 deux civils ont été tués."
2 Et il continue pour essayer de convaincre son public de l'exactitude de ses
3 dires, je le cite :
4 "Je suis venu en personne dans le village de Grubor pour voir de mes
5 propres yeux tout ce qui s'est passé au cours de l'action… afin qu'on
6 essaie pas une fois de plus de tout mettre sur le dos de la Croatie et
7 qu'ici, ça été un acte d'incendie criminel qui avait eu lieu, ces crimes
8 ont été commis à dessein…"
9 Donc il essaie de convaincre son public de l'exactitude de ce qu'il dit.
10 Quand on compare sa déclaration avec les faux rapports de la police
11 spéciale, les pièces P576 et P563, on voit qu'il a menti de toutes pièces
12 sur les informations concernant l'assassinat de trois soldats ennemis
13 lorsqu'il a vu ces cinq corps à Grubori. Mais après avoir observé l'étendue
14 des destructions - et ça c'était difficile à minimiser puisqu'il était là à
15 Grubori devant une équipe de télévision qui filmait - et à ce moment-là, il
16 a fait un constat précis de l'étendue des dégâts lorsqu'il a dit que le
17 village était en proie aux flammes. Ça, c'est ce qu'on voit à la télévision
18 alors que le général Markac, lui, il parle de trois étables et de deux
19 maisons qui ont été incendiées. Voyez la pièce P576, page 2.
20 Après le 26 [comme interprété], le général Cermak présente trois
21 déclarations à la communauté internationale. Je les saute parce que je
22 manque de temps.
23 Le 29 août, il y a eu une réunion avec le général Forand, et il
24 maintient ces rapports erronés. C'est la pièce P409. Il dit que trois
25 brigands et deux civils ont été tués, mais il minimise les dégâts. De
26 nouveau, il parle de plusieurs étables et de maisons qui ont été
27 incendiées. Le lendemain, en répondant à une demande formulée par le CICR,
28 il répond - et ceci se trouve à la pièce P1222 - il répète ces mêmes
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1 allégations et dit qu'il y a eu combat. Là, on peut dire qu'on a à la pièce
2 P576 ces mêmes détails qui sont confrontés. Ceci montre que le général
3 Markac et le général Cermak avaient synchronisé leur version des faits, à
4 une seule exception, c'est qu'ils savaient qu'il y avait un enregistrement
5 vidéo des dégâts considérables causés à Grubori. Donc à ce moment-là, on a
6 essayé de ne pas minimiser ce qui était vraiment manifeste. On a fait état
7 de l'incendie de plusieurs étables et de maisons. Il a dit qu'il avait été
8 en personne dans la région le lendemain et qu'il s'était convaincu de la
9 véracité des faits.
10 Le lendemain, 31 août, il fait à nouveau un faux rapport à
11 l'admission des Nations Unies en Croatie. Il maintient de nouveau qu'il y a
12 eu des combats, et il donne les mêmes assurances. Il dit qu'en personne, il
13 est allé pour vérifier les faits à Grubori. Ces fausses assurances montrent
14 que le général Cermak voulait que les personnes qui l'entendaient croient
15 ce qu'il disait et transmettent davantage ceci.
16 Je parle des faux rapports du général Markac.
17 Le général Markac fournit trois différentes versions des événements
18 s'agissant des activités de l'unité de Lucko pour la journée du 25 août.
19 Dans son premier rapport, le général le rédige le 26 août, il rend compte
20 que l'unité Lucko n'a pas engagé de combat et qu'il n'y a pas eu de
21 matériel qui a été récupéré par les unités. Pièce P575.
22 Puis lorsqu'il a appris que la communauté internationale a été au
23 courant des crimes commis par ses subordonnés à Grubori, il annule ce
24 rapport, pièce P575, et puis il rédige un deuxième rapport, P576. Mais là,
25 le général Markac dit que l'unité Lucko a engagé le combat et qu'au cours
26 de ce conflit un soldat ennemi a été tué, puis un autre a été arrêté parce
27 qu'il avait utilisé des grenades à main, et qu'il y a eu des bâtiments
28 incendiés, à savoir trois étables et deux maisons, puis quatre civils ont
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1 été tués.
2 Le général Cermak fournit quelques éléments factuels d'information
3 qu'il a reçus de Grubori et il les inclut dans ce faux rapport. Pièce P576.
4 Ainsi, par exemple, il dit qu'il y a quelques identifications des victimes
5 de Grubori, même s'il affirme faussement que Karanovic était un des civils
6 qui a été tué à Grubori, qu'en fait, c'était un combattant, ce qui est
7 faux.
8 Puis en février et mars 1996, la communauté internationale se penche
9 de plus près sur l'accident. Il sait que la communauté internationale
10 possède des éléments de preuve montrant clairement qu'en fait, un crime a
11 été commis. Et le général Markac, à ce moment-là, pond son troisième
12 rapport, la pièce P505.
13 J'attire l'attention des Juges de la Chambre sur la partie surlignée
14 de ce rapport. A la pièce P505, le général Markac maintient que la police a
15 engagé le combat avec un groupe de soldats de l'ARSK, qu'il y a mort d'un
16 soldat ennemi et l'arrestation d'un autre. Mais maintenant, il fournit une
17 allégation tout à fait nouvelle. Il rapporte qu'il y a eu des civils qui
18 ont été exécutés, des maisons qui ont été incendiées par les soldats
19 ennemis avant qu'ils ne prennent la fuite. Le gouvernement croate a
20 considéré que ces allégations étaient peu croyables au point de ne pas
21 l'évoquer dans la réponse à Rehn -- nous avons la lettre de Rehn au
22 ministre des Affaires étrangères, lorsque finalement on reconnaît que les
23 événements de Grubori du 25 août revenaient à la commission d'un crime. La
24 Défense Markac ne se penche pas sur la participation de M. Markac en
25 personne. Excusez-moi. Donc ne parle pas de la participation du général
26 Markac, de la rédaction de faux rapports cités à l'appui aux paragraphes
27 440 jusqu'à 444 et 450 du mémoire de l'Accusation en particulier, à savoir
28 la déposition du témoin Celic. La Défense Markac ne se penche pas sur les
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1 preuves démontrant la participation du général Markac visant à détruire les
2 preuves balistiques citées au paragraphe 453 du mémoire de l'Accusation.
3 Alors, y compris le général Markac, le général Cermak, Sasic, le
4 ministre Jarnjak et le ministre Moric ont collaboré à empêcher une enquête
5 sur les crimes de Grubori. Je me réfère aux éléments en réponse au
6 paragraphe 455.
7 Aux paragraphes 445 à 449 du mémoire de l'Accusation, le général
8 Cermak a joué le rôle principal cherchant à empêcher l'enquête. Dans son
9 mémoire, le général Cermak affirme qu'il souhaitait qu'une enquête sur les
10 lieux soit menée, qu'il a insisté pour que cette enquête soit menée sous
11 les yeux des médias. Je me réfère aux paragraphes 229, 235 et 257 du
12 mémoire Cermak.
13 Je vais rapidement parcourir la suite. La seule conclusion
14 raisonnable qui a été tirée, c'est que les corps des victimes de Grubori
15 ont été enlevés sans qu'il y ait eu une enquête sur place suite à l'accord
16 que le général Cermak a passé avec le ministre Jarnjak. Premièrement, la
17 police de Knin avait l'intention de mener une enquête. Pièce P507, page 27,
18 sous pli scellé. La police de Knin a tenté --
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Mahindaratne, la cabine française
20 signale que vous lisez très rapidement et que votre rythme semble
21 s'accélérer. Donc pourriez-vous, s'il vous plaît --
22 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] Je ferai de mon mieux, Monsieur le
23 Président.
24 La police de Knin a essayé d'obtenir l'aide de la police civile des Nations
25 Unies afin de localiser les corps, mais le général Cermak, à ce moment-là,
26 informe la police qu'il vaudrait mieux attendre. Pièce P487, page 5 [comme
27 interprété], sous pli scellé.
28 Le 26 août, le général Cermak a engagé une dispute entre Sasic et la
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1 police de Knin lorsque Sasic demande que l'on enlève les corps sans qu'il y
2 ait d'enquête sur place, ce qui est contraire aux intentions de la police.
3 Le général Cermak ne prend pas partie pendant cette dispute. Paragraphes
4 438 du mémoire de l'Accusation et 246 du mémoire Cermak.
5 Dans son mémoire, le général Cermak affirme qu'il ne s'oppose pas et
6 ne dit pas non plus qu'il était favorable à une enquête sur les lieux.
7 Paragraphe 235 du mémoire Cermak.
8 En présence du général Cermak, Sasic a téléphoné au ministre Jarnjak
9 et s'est plaint du comportement de la police et -- je vous renvoie au
10 paragraphe 438 du mémoire de l'Accusation et paragraphe 246 du mémoire
11 Cermak.
12 Après la conversation de Sasic, le général Cermak a eu lui-même une
13 conversation par téléphone avec le ministre Jarnjak. Paragraphe 438 du
14 mémoire de l'Accusation et paragraphe 246 du mémoire Cermak. A 20 heures le
15 même soir, Dondo a consigné quelque chose dans le registre de la police de
16 Knin en disant que les victimes ont été tuées pendant l'opération Tempête
17 et en demandant la protection des civils sur place pour enlever de toute
18 urgence les corps. D57, page 61. Le lendemain matin, 27 août, la police de
19 Knin a rencontré le général Cermak pour le briefing du matin. La police
20 s'attendait à ce qu'il y ait un accord de la part de Cermak sur les
21 victimes civiles de Grubori. P503 [comme interprété], page 9, sous pli
22 scellé.
23 Après la réunion, la police a annulé l'enquête sur les lieux qui
24 avait été prévue et a ordonné aux équipes d'assainissement de Grubori
25 d'enlever les corps. Pièce P504 [comme interprété], page 9, sous pli
26 scellé.
27 Le 27 août, Cermak ou un membre de son entourage, en présence de
28 l'équipe de médecine légale, exige que l'on place des armes à côté des
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1 corps afin de donner l'impression qu'il y a eu un combat. Paragraphe 446 du
2 mémoire de l'Accusation.
3 A son arrivée à Grubori, le général Cermak a demandé que les
4 techniciens médicolégaux qui étaient là pour l'assainissement mènent à bien
5 une enquête sur les lieux. Bilobrk refuse en informant le général Cermak
6 qu'il n'était pas autorisé à mener une enquête sur les lieux et que cela
7 exige la présence d'un juge d'instruction, un procureur et la police
8 scientifique et technique. Paragraphe 547 du mémoire de l'Accusation.
9 Lorsque Bilobrk a dit cela au général Cermak, le général Cermak, même
10 s'il ne l'avait pas su avant, savait qu'un juge d'instruction, un procureur
11 et la police scientifique et technique devaient se rendre sur les lieux et
12 qu'ils n'étaient pas présents. Indépendamment de cela, le général Cermak
13 insiste avec sa requête.
14 Le général Cermak essaye à partir de ce moment-là d'obtenir que les
15 techniciens médicolégaux se chargent de l'assainissement, et cetera. Cela
16 est rejeté. Ces éléments reflètent réellement la vérité, à savoir que ce
17 que recherche le général Cermak, ce n'était pas que l'on mène à bien une
18 enquête sur les lieux qui aurait révélé la commission du crime et que cela
19 aurait dû avoir lieu en présence du juge d'instruction, un procureur et la
20 police judiciaire. Son intention était de mettre en scène une enquête à
21 l'intention des médias qui étaient présents.
22 Monsieur le Président, comme je n'ai plus de temps, je vais parler de
23 l'incident de Ramljane.
24 Même s'il savait que l'unité Lucko avait commis des crimes à Grubori, le
25 général Markac a déployé la même unité le lendemain dans une opération dans
26 des localités civiles sans prendre des précautions permettant d'empêcher la
27 commission d'un nouveau crime. Comme cela a été dit par les membres de
28 l'unité, ils ont incendié des maisons appartenant à des civils à Ramljane.
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1 Paragraphes 456 à 465.
2 A Ramljane, le général Markac était présent. Il a vu des maisons en
3 feu. Je vous réfère là aux notes de bas de page
4 1 719 à 1 722.
5 Le général Markac était consterné que les passagers du train de
6 liberté prévu pourraient voir la fumée. Donc c'est en colère qu'il s'est
7 adressé à l'unité, et Franjo Drljo qui était le chef du groupe a reconnu au
8 général Markac qu'il avait incendié des maisons. Je me réfère au
9 témoignage, notes de bas de page 1 723, 1 724, 1 725 et
10 1 726.
11 La Chambre a entendu le témoignage de plusieurs témoins qui ont été
12 témoins de ce dialogue entre le général Markac et Drljo, et je me réfère à
13 la note de bas de page 1 727 de notre mémoire. A Ramljane, Drljo a dit au
14 général Markac qu'il avait tout incendié, tout ce qu'il a pu. Je cite le
15 témoignage, page de compte rendu d'audience
16 28 363.
17 Le général Markac était un policier. Le général Markac et les autres
18 membres de la police spéciale présents à Ramljane, y compris son adjoint
19 Sacic et le chef du département antiterroriste Janic, avaient les
20 attributions leur permettant d'arrêter toute personne suspectée d'avoir
21 commis un crime. Je me réfère au témoignage de Janic, page du compte rendu
22 d'audience 6 101 ainsi que 6 225, au sujet des attributions de la police
23 spéciale.
24 Donc tout ce que Markac avait à faire, c'était d'arrêter Drljo ou
25 d'enjoindre à un de ses subordonnés présents de l'arrêter, lorsqu'il a
26 reconnu avoir commis l'incendie. Toutefois, son manque d'action face aux
27 crimes réitérés, par cela, le général Markac a établi une ambiance de
28 commandement par laquelle il a donné des signaux tout à fait clairs à ses
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1 subordonnés qu'il approuvait les crimes commis.
2 Compte tenu du fait que ces crimes ont été commis en impunité à
3 Grubori la veille, les subordonnés du général Markac n'avaient pas de doute
4 quant aux crimes commis à Ramljane, comme on peut le voir dans la réponse
5 que Drljo fournit au général Markac.
6 A la lumière de tous les éléments de preuve que vous avez entendus
7 sur les crimes commis par les subordonnés du général Markac depuis le début
8 de l'opération, l'implication du général Markac à diriger et à encourager
9 leur comportement sur le terrain pendant l'attaque dans le cadre de
10 l'opération Tempête et son inaction lorsqu'il omet de punir, il est tout à
11 fait évident que le général Markac n'allait pas faire exception dans cette
12 situation-là. Sa seule réponse était de retirer l'unité à Zagreb.
13 Il n'y a pas eu d'autres éléments. Drljo, qui a ouvertement reconnu
14 avoir reconnu commis des crimes au général Markac, est resté membre de
15 l'unité et a rejoint la police spéciale. La Défense Markac n'en parle pas
16 du tout d'ailleurs, et ils ne parlent pas des événements de Ramljane.
17 Et je voudrais répondre aux arguments au sujet de la décision
18 Boskoski.
19 Le général Markac affirme que lorsqu'il a appris la nature grave de
20 l'incident de Grubori, qu'il a décidé d'enquêter. A l'appui de cet
21 argument, il déforme l'importance qu'il faut donner à cette décision
22 Boskoski, laissant entendre que savoir que des subordonnés ont renvoyé la
23 question à d'autres agences compétentes ou à des personnes qui ont
24 diligenté des enquêtes ou des mesures disciplinaires exonèrent un supérieur
25 s'agissant des crimes commis par ses subordonnés. En fait, la décision
26 Boskoski, ici, n'était pas une décision qui excusait. C'était simplement la
27 question de savoir si le supérieur avait rempli ses obligations ou pas. La
28 conclusion du général Markac en droit international coutumier dit qu'un
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1 supérieur peut remplir son devoir en prenant des mesures nécessaires et
2 raisonnables en rendant compte aux autorités compétentes. Mais ceci omet un
3 critère important, parce que c'est en fonction des circonstances de chaque
4 décision, comme l'a dit la Chambre d'appel. Il faut savoir dans quelle
5 mesure qu'un supérieur savait que les autorités appropriées ne
6 fonctionnaient pas bien, ou bien si c'était une pseudo-enquête. Arrêt
7 Boskoski, paragraphe 234.
8 Le fait de soumettre un rapport ne remplit cette condition du
9 supérieur hiérarchique que si ce rapport va en toute probabilité déclencher
10 une enquête ou une action judiciaire au pénale. Arrêt Boskoski, paragraphe
11 231, qui cite l'arrêt Blaskic, paragraphe 72.
12 La déclaration du général Markac, qui dit qu'il ne faut pas véritablement
13 d'enquête, que le rapport aurait dû suffire pour déclencher une enquête,
14 cette déclaration qu'il fait n'est ni logique ni correcte en droit.
15 Dans les faits, ni le général Markac ni ses subordonnés n'ont rendu
16 compte de l'affaire à la police judiciaire ou à la police civile. Et même
17 lorsque la police est saisie de cette question, après avoir reçu un rapport
18 d'une autre source, même dans ce cas-là il n'y a pas eu d'enquête. De plus,
19 celle qui devait avoir lieu, elle a été entravée par le général Markac et
20 le général Cermak, en collusion avec d'autres.
21 Le général Markac a été ministre adjoint de l'Intérieur. Comme il l'a dit
22 au paragraphe 163 de son mémoire, il avait des contacts quotidiens avec le
23 ministre de l'Intérieur. Six mois après l'incident de Grubori et l'incident
24 de Ramljane, son adjoint Sasic a été nommé ministre adjoint chargé de la
25 police judiciaire. Ce qui veut dire que le général Markac était bien placé
26 pour diligenter une enquête judiciaire, s'il l'avait voulu, sans que ceci
27 soit perçu comme étant une affaire où on se mêlait des procédures d'enquête
28 du MUP.
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1 Trois minutes, s'il vous plaît, Monsieur le Président -- ah, apparemment
2 j'en ai quatre.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il vous reste trois minutes. Et je vais
4 vraiment veiller à la chose.
5 Mme MAHINDARATNE : [interprétation] Il semble dire qu'il a pris des mesures
6 raisonnables par rapport aux crimes de Grubori, une fois qu'il a appris
7 qu'ils avaient été commis. Il énumère ces mesures au paragraphe 175, et il
8 est surprenant qu'il inclut son rapport faux pourtant fait au général
9 Cervenko comme étant une mesure raisonnable pour ce qui est des mesures
10 qu'il a prise pour informer ses supérieurs de se qui s'était passé à
11 Grubori. Il dit aussi qu'il a identifié les auteurs soupçonnés du crime
12 dans ses déclarations publiques en déclarant que l'incident avait eu lieu
13 lorsque des unités spéciales du ministère de l'Intérieur croate avaient été
14 soumises à des tirs. Paragraphe 261 du mémoire Cermak. Et sa Défense dit
15 que s'il avait voulu tromper les gens qui l'écoutaient, il aurait dit qu'il
16 ne connaissait pas les soldats. Ces arguments présentés par les deux
17 généraux sont infondés, parce qu'ils déforment les faits s'agissant des
18 morts de Grubori et la destruction de Grubori, et ce sont des conséquences
19 de combat légitime, mais ce faisant, il exclut toute perspective d'enquête
20 judiciaire. S'il faut en croire les rapports, on n'aurait jamais eu un
21 auteur.
22 Je voudrais répondre à votre question dans votre courriel du 26 août,
23 point 2. La conversation confirme que ce que vous comprenez de ce que nous
24 disons dans la note de bas de page 1 403 est tout à fait exact.
25 Je vous remercie, Madame et Messieurs les Juges. Ce sera maintenant M.
26 Tieger qui va prononcer le mot de la fin.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame Mahindaratne.
28 Maître Misetic, c'est à vous et vous avez 25 minutes.
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1 M. TIEGER : [interprétation] Je veux juste que le compte rendu soit
2 correct. Nous avons terminé la présentation de notre réquisitoire et il n'y
3 a pas eu de conclusion de notre part.
4 M. MISETIC : [interprétation] Je remercie M. Tieger de cette clarification.
5 Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger, si j'ai bien compris,
7 sachez que de toute façon, à la fin de toutes ces audiences consacrées aux
8 réquisitoires et aux plaidoiries, vous aurez deux ou trois minutes pour
9 faire vos conclusions.
10 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais Mme Mahindaratne nous avait demandé
12 30 à 35 minutes, mais j'avais oublié vos remarques en conclusion. Vous
13 aurez du temps après les Défenses pour le faire.
14 Maître Misetic, c'est à vous.
15 M. MISETIC : [interprétation] Bonjour.
16 Dans notre déclaration liminaire en mars 2008, nous vous avons parlé du
17 principe du rasoir d'Occam, le fait que toute chose étant égale par
18 ailleurs, les hypothèses les plus simples sont souvent les plus
19 vraisemblables. Nous avions dit que nous allions vous donner une
20 explication simple et évidente des éléments de preuve présentés alors que
21 l'Accusation ne vous offrira rien d'autre à part des théories du complot
22 extrêmement complexe.
23 Après deux ans et demi de procès, nous pouvons dire avec justesse nous
24 avions raison. Nous vous l'avions dit. Le mémoire en clôture du bureau du
25 Procureur et son réquisitoire peuvent être résumés en une seule phrase :
26 Madame, Messieurs les Juges, vous ne pouvez pas en croire vos yeux parce
27 que rien ne correspond à ce que l'on voit.
28 Le mémoire de l'Accusation n'est pas écrit du point de vue de
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1 Procureurs qui ont juré de rechercher la vérité et la justice, quel que
2 soit le résultat de leurs recherches, que ce soit un acquittement ou une
3 condamnation. Ce mémoire est écrit du point de vue de l'avocat du diable.
4 Le rôle de l'avocat du diable dans l'Eglise catholique romaine était de
5 présenter des arguments contre la canonisation d'un candidat, et donc de
6 prendre un angle sceptique par rapport au caractère du candidat, chercher
7 des lacunes dans les preuves et argumenter que toute bonne œuvre attribuée
8 au candidat était, en fait, tromperie. C'est exactement ce que fait
9 l'Accusation ici. Tout comme l'avocat du diable, l'Accusation fait valoir
10 qu'il leur revient d'étudier le général Gotovina d'un point de vue
11 sceptique, de rechercher des lacunes dans les preuves de son innocence et
12 d'argumenter que toute bonne chose qu'il ait fait pour éviter des crimes ou
13 pour les punir n'était que des tromperies. De plus, le mémoire de
14 l'Accusation n'autorise pas la possibilité qu'une seule personne dans la
15 totalité de l'Etat de Croatie ait fait quoi que ce soit de bien, ou ait agi
16 pour de bonnes raisons. C'est bien dommage, l'Accusation, dès le départ de
17 ce procès, a perdu totalement de vue quel était son rôle véritable dans
18 l'administration de la justice.
19 Je vais vous montrer un exemple au paragraphe 7 du mémoire final de
20 l'Accusation qui montre bien quelle est la thèse de l'Accusation :
21 "Tudjman avait reconnu que la communauté internationale, bien qu'elle
22 ne se soit pas vraiment opposée au recours par la Croatie à la force pour
23 reprendre la Krajina, s'opposerait de façon vigoureuse à son nettoyage
24 ethnique. Gardant cela à l'esprit, Tudjman et les autres membres de
25 l'entreprise criminelle commune ont pris des mesures pour chasser les
26 Serbes de Krajina hors de la Croatie d'une façon qui dissimulerait leur
27 véritable intention et qui permettrait ultérieurement aux autorités croates
28 de démentir de façon plausible toute responsabilité dans cet exode de la
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1 population serbe."
2 Voilà leur thèse résumée, démentir de façon plausible. Mais que nous
3 dit l'Accusation dans ce paragraphe ? Qu'il s'agit de nettoyage ethnique
4 invisible.
5 D'après l'Accusation, près de 100 000 personnes ont fait l'objet de
6 nettoyage ethnique, mais ces Croates perfides ont réussi à le faire de
7 façon à ce que personne ne s'en rende compte. Ils disent "démentir de façon
8 plausible" parce qu'ils savent que vous en tant que Juges, si vous comptez
9 sur ce que vous voyez de vos propres yeux, vous vous rendrez compte qu'il
10 est non seulement plausible, mais certes très probable que la Croatie n'a
11 pas fait subir de nettoyage ethnique aux Serbes. Donc le message de
12 l'Accusation est : ne croyez pas vos yeux.
13 Donc il s'agissait de nettoyage ethnique invisible que personne
14 d'autre n'a vu d'ailleurs. Il était tellement invisible que même les Serbes
15 qui, eux-mêmes, sont partis ne savaient pas que le véritable fait qui leur
16 faisait quitter leurs maisons c'est qu'ils étaient terrorisés par les
17 pilonnages. Les éléments de preuve montrent bien que les médias
18 internationaux sont arrivés en Croatie pendant l'opération "Storm," avant
19 et pendant l'opération serbe. Ils se trouvaient à Banja Luka et en Serbie
20 pour interviewer des réfugiés serbes de la Krajina. Or, pas le moindre
21 média international n'a relaté à l'époque que des personnes seraient
22 parties du fait du pilonnage.
23 Il n'y a pas le moindre rapport des médias contemporains, rapport des
24 observateurs des Nations Unies, rapports des ONG, portant sur une seule
25 personne qui aurait dit qu'il avait quitté la Croatie parce qu'il se
26 sentait terrorisé par les pilonnages.
27 Plus de 100 000 personnes se sont enfuies car elles avaient peur des
28 pilonnages, et pourtant les médias à l'époque n'ont pas la moindre
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1 déclaration d'un seul serbe de la Krajina déclarant qu'il se sentait
2 terrorisé par le pilonnage. Comparez cela avec le pilonnage de Sarajevo,
3 vous serez frappé par le manque d'éléments de preuve. Contrairement à
4 Sarajevo, il n'y a pas la moindre personne soit viva voce, soit par rumeur,
5 soit par le biais d'un rapport des médias qui déclare avoir perdu un membre
6 de sa famille dans cette campagne systématique de terreur par le biais du
7 pilonnage des civils. D'ailleurs, un an plus tard, "Human Rights Watch" a
8 publié un rapport sur l'opération Tempête après avoir interviewé des
9 réfugiés venant de la Krajina. Il s'agit de la pièce D183. Or, dans tout le
10 rapport, il n'y a pas la moindre déclaration par un seul réfugié qui ait
11 déclaré avoir quitté sa maison du fait des pilonnages.
12 Quatre ans plus tard, le rapport du comité croate d'Helsinki, lui non
13 plus n'a contenu aucune relation portant sur un Serbe de Krajina qui
14 déclarait avoir quitté la Croatie à cause de la peur des pilonnages.
15 Les renseignements serbes au matin du 4 août ne voyaient pas non plus
16 que le nettoyage ethnique invisible visait les civils. D389. Dans ce
17 document, l'ARSK fait rapport du fait que les attaques d'artillerie se
18 concentrent contre "la caserne nord, le commandement de l'ARSK, l'usine
19 Tvik et le nœud ferroviaire."
20 Malgré le fait que les rapports du renseignement de l'ARSK aient fait
21 rapport bien précisément de son évaluation au matin du 4 août,
22 l'Accusation, hier, a déclaré que les casernes du nord "n'étaient pas
23 vraiment visées, comme le suggère la Défense."
24 L'Accusation semble dire que non seulement vos yeux vous trompent,
25 Messieurs, Madame les Juges, mais aussi les agents du renseignement de
26 l'ARSK ne devaient pas croire leurs yeux.
27 Alun Roberts, lui non plus, n'a pas réussi à voir ce nettoyage
28 ethnique invisible qui terrorisait tout le monde par le biais de
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1 pilonnages, que voit pourtant cette équipe de l'Accusation. Dans les pièces
2 D712 et D1369, il s'agit de rapports des médias venant d'Alun Roberts. Or,
3 Roberts a dit aux médias internationaux qu'après avoir été dans la ville
4 avec le général Forand pour une réunion au QG de l'ARSK, mais avant que
5 Martic ne donne l'ordre d'évacuation, il a
6 dit : Il n'y a pas de panique parmi les civils, et : Tout est plutôt calme,
7 mais les gens dans Knin sont assez inquiets quant à la suite des
8 événements."
9 Lui non plus n'a pas vu ce nettoyage ethnique invisible à l'œuvre.
10 Martic a donné l'ordre d'évacuation, il s'agit de la pièce D137,
11 ordre donné à toute la population civile en Dalmatie et ailleurs. Mais il
12 n'a pas parlé du pilonnage ni en Dalmatie ni dans des parties de la Lika.
13 Il a dit au contraire que le motif de cet ordre était la menace
14 d'encerclement. Donc Martic non plus n'a sans doute pas vu ce nettoyage
15 ethnique invisible à l'œuvre.
16 Mrksic, lui, était sur Radio Belgrade au soir du 4 août. D106 et
17 D713. Et il a dit à Radio Belgrade que l'évacuation était en cours pour
18 éviter que les civils ne se retrouvent encerclés. Lui non plus n'a pas dit
19 que l'armée croate était en train de pilonner les civils et qu'il fallait
20 donc les évacuer. En fait, Mrksic a déclaré devant cette Chambre de
21 première instance qu'il pensait que l'attaque d'artillerie préparatoire au
22 matin du 4 août, qui, en fait, a été l'attaque la plus forte parce qu'au
23 coucher [comme interprété] du soleil il n'y a "plus que des tirs
24 sporadiques d'artillerie," donc cette première attaque était si précise
25 qu'il pensait qu'elle avait été effectuée par des armes guidées par laser.
26 Donc lui non plus il n'a pas remarqué ce nettoyage ethnique invisible en
27 cours, que l'Accusation a pourtant trouvé 11 ans plus tard après la fin de
28 la guerre.
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1 Le 15 août, le chef de la mission de la MOCE en Croatie a déclaré
2 dans son rapport sur l'opération Tempête, document D798, page 3, en parlant
3 des Serbes de Krajina :
4 "Ils semblent partir pour de bon. Les autorités de la Krajina, et
5 plus particulièrement le président Martic, ont encouragé les citoyens au
6 départ en déclarant que les Croates voulaient le territoire sans la
7 population. Dans tout le rapport, on ne mentionne jamais les pilonnages
8 aveugles comme étant la cause possible du départ des Serbes de la Krajina."
9 Les observateurs des Nations Unies et la CIVPOL des Nations Unies ont
10 fait des enquêtes bien précises à cause de ces allégations de pilonnages
11 aveugles, pièces P64 et P228. Ils se sont rendu compte que le pilonnage de
12 Knin s'était "concentré contre les objectifs militaires."
13 Les Croates étaient tellement perfides et tellement bons, Messieurs
14 et Madame les Juges, que ni les observateurs des Nations Unies ni la CIVPOL
15 des Nations Unies ont pu trouver la moindre preuve de pilonnage aveugle,
16 malgré des enquêtes diligentées à cet effet.
17 Galbraith et ses équipes non plus n'ont rien vu. Ni l'AG18. Les
18 Témoins Flynn et Akashi sont venus témoigner pour dire qu'ils s'étaient
19 rendus à Knin le 7 août, qu'ils avaient rencontré le même personnel de
20 l'ONURC sur le témoignage duquel l'Accusation s'appuie pour ses allégations
21 de pilonnage aveugle.
22 Flynn a témoigné pour dire qu'il s'était rendu à Knin, entre autres,
23 pour enquêter sur ces allégations de pilonnage aveugle, et lorsqu'ils sont
24 partis suite à la réunion avec le personnel de l'ONURC le 7 août, ils ne
25 croyaient absolument pas que les Serbes étaient partis du fait d'un
26 pilonnage aveugle. En fait, au compte rendu 1308, Flynn déclare que selon
27 lui l'exode des serbes se faisait de façon ordonnée, qu'il ne s'agit
28 absolument pas d'un exode chaotique avec des gens qui partaient dans toutes
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1 les directions.
2 De plus, Flynn et Akashi, ainsi que les médias internationaux, se
3 sont rendus par hélicoptère de Split à Knin le 7 août, donc cela signifie
4 qu'ils ont bien dû survoler l'essentiel du secteur sud et très certainement
5 la région militaire de Split. Et de leur hélicoptère, ni M. Flynn ni M.
6 Akashi ni les médias internationaux n'ont vu l'"incendie massif" du secteur
7 sud, qui, selon l'Accusation, avait lieu.
8 Souvenez-vous, tous les personnels du secteur sud faisaient rapport à
9 leur patron, leur patron qui était Yasushi Akashi. Donc M. Akashi était là
10 pour étudier ces rapports, évaluer leur crédibilité, ensuite décider avec
11 New-York, avec les Nations Unies à New-York, de l'action à suivre, si ces
12 rapports étaient crédibles. Or, Akashi n'a jamais déclaré au gouvernement
13 croate qu'une campagne d'incendies et de pillages et de meurtres
14 systématique étaie en cours.
15 D'ailleurs, le 9 septembre, Akashi, nous le trouvons à la pièce D1662, a
16 déclaré à Annan qu'il avait dit à Sarinic qu'il ne considérait pas que le
17 gouvernement croate était responsable des crimes en cours. Dans sa
18 déclaration de témoin, dans sa déposition D1646, Akashi a déclaré qu'il ne
19 considérait pas que le gouvernement croate était derrière les incendies, et
20 si ça avait été le cas, il en aurait parlé avec Sarinic. Ça aurait été son
21 obligation d'en parler avec Sarinic, s'il avait su par le biais de rapports
22 que c'était le gouvernement croate qui était derrière cette campagne
23 d'incendies et de pillages.
24 Donc si le patron de tous les effectifs du secteur sud qui recevait ces
25 rapports n'était pas d'accord en fin de compte avec les conclusions de son
26 propre personnel, il n'allait jamais relayer ces allégations à New York.
27 Donc l'Accusation n'arrive pas à expliquer pourquoi cette Chambre de
28 première instance devrait penser qu'ils sont crédibles et qu'il faut
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1 absolument les croire parce que c'est la seule explication raisonnable.
2 Pourtant, l'Accusation insiste sur ce nettoyage ethnique invisible, chasser
3 les Serbes afin de dissimuler les intentions véritables des dirigeants
4 croates. Le secrétaire général, le 23 août, a déposé un rapport identifiant
5 les raisons potentielles expliquant le départ des Serbes et n'a pas
6 mentionné la terreur par pilonnage. Le secrétaire général n'a lui non plus
7 pas remarqué ce nettoyage ethnique en cours dans son rapport au Conseil de
8 sécurité du 23 août 1995; D90.
9 C'est exactement ce qu'on vous avait dit dans le cadre de notre propos
10 liminaire. Nous, on vous offre une explication simple alors qu'eux, de
11 l'autre côté, l'Accusation, ne vous proposent que la théorie compliquée du
12 complot. Donc c'est à vous de décider si finalement "l'hypothèse la plus
13 simple est la plus vraisemblable."
14 Si c'est le cas, vous ne pouvez qu'acquitter l'accusé. Dans notre
15 déclaration liminaire, vous vous rappelez que nous avons cité le Juge
16 Schomburg, qui avait dit, lorsqu'il parlait du modus operandi de
17 l'Accusation, On a quand même l'impression que d'abord on délivre un mandat
18 d'arrêt, ensuite on commence les enquêtes.
19 Lors des propos liminaires, nous ne savions pas à quel point cette
20 observation faite par le Juge Schomburg allait se révéler prophétique.
21 En fait, au bout de trois mois de procès, après le témoignage d'un
22 grand nombre de témoins de pilonnages, le bureau du Procureur a déposé sa
23 requête 54 bis, en recherchant des preuves qui n'existaient pas parce qu'il
24 n'y avait pas de pilonnages aveugles. Ils vous ont dit dans le cadre de
25 leur déclaration liminaire que le pilonnage aveugle était "au cœur même de
26 l'entreprise criminelle commune alléguée". Transcript page 443, lignes 24 à
27 25.
28 Or, au bout de trois mois de procès, ils ont demandé l'aide de la
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1 Chambre pour essayer de trouver des preuves pour étayer cette allégation,
2 parce qu'ils n'avaient rien en main. Et c'est justement parce qu'ils
3 n'avaient rien contre le général Gotovina que l'Accusation a sans cesse dû
4 changer ses allégations, comme un serrurier qui, avec un trousseau de clés,
5 essaie de trouver la bonne clé qui va enfin déverrouiller la porte pour
6 permettre une condamnation. Les allégations qui sont sans cesse modifiées
7 sont évidentes dans le mémoire en clôture de l'Accusation, où l'Accusation,
8 par exemple, ne déclare plus, comme elle le faisait au départ, que
9 "pratiquement dans tous les cas, il n'y avait pas de cible militaire
10 identifiable," ni à Knin ni dans d'autres villes. Vous trouverez ça au
11 paragraphe 31 du mémoire liminaire du bureau du Procureur.
12 Donc ça, c'était la thèse de l'Accusation, et c'était la thèse que
13 nous devions défendre. Mais maintenant, l'Accusation essaie de dire à la
14 Défense Gotovina que nous avons montré quelles étaient les cibles
15 potentielles militaires à Knin, Benkovac, Obrovac, et cetera. Ce n'est
16 qu'en novembre 2008, donc après huit mois de procès, que l'Accusation a
17 présenté un nouveau rapport d'expert au nom de M. Konings et a abandonné la
18 théorie selon laquelle il n'y avait aucune cible militaire dans la Krajina.
19 Puis l'Accusation vous a dit dans son propos liminaire qu'elle allait
20 prouver au-delà de tout doute raisonnable, grâce à l'évaluation des
21 observateurs militaires, que 73 % de toutes les maisons du secteur sud
22 avaient été détruites après l'opération Tempête, à la date du 13 septembre
23 1995. Page du compte rendu 461, lignes 11 à 13.
24 Et dans son mémoire en clôture, l'Accusation n'essaie pas
25 véritablement de répéter ce qu'elle affirmait alors.
26 Aujourd'hui, l'Accusation a essayé de se distancier de l'évaluation
27 faite par les observateurs militaires en disant que "l'Accusation n'affirme
28 pas que ces évaluations des observateurs militaires rendent fidèlement
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1 compte, sans aucune faille possible, de l'étendue des destructions".
2 C'est révélateur dans le contexte des arguments de l'Accusation qui
3 dit que le personnel international du secteur sud et de son QG était digne
4 de foi et n'avait pas de parti pris. L'Accusation ignore le fait que le
5 secteur -- et ce matin, il lui a été commode d'oublier ce qu'avaient fait
6 certains observateurs, par exemple, vendre la mèche aux Serbes de la
7 Krajina quant au début de l'opération Tempête. Et l'Accusation a ignoré les
8 éléments de preuve qui montrent que les forces des Nations Unies en Croatie
9 donnaient des renseignements au commandement de la RSK.
10 Puis l'Accusation affirme maintenant, contrairement à ce que disaient
11 les observateurs militaires, que "les villes plus grandes ont été laissées
12 relativement intactes," paragraphe 157, et que c'est surtout "les zones
13 moins peuplées, les environnements plus ruraux" qui ont subi des dégâts.
14 Paragraphe 89.
15 Voilà donc une théorie que nous présente aujourd'hui l'Accusation.
16 Elle dit qu'on a épargné les villes de taille plus grande afin de coloniser
17 la zone avec des Croates mais qu'en milieu rural on a incendié pour
18 empêcher le retour des Serbes. Mais ce faisant, l'Accusation n'a jamais
19 cherché à expliquer pourquoi les Serbes n'auraient pas pu rentrer dans les
20 plus grandes agglomérations ou pourquoi, en incendiant en milieu rural, ça
21 aurait un effet délétère sur les Serbes mais pas sur les Croates de la
22 région. On vous a dit que des civils serbes, je cite, "avaient été forcés
23 de quitter leurs hameaux, leurs villages où ils habitaient," par des
24 soldats croates, et je cite, "transférés dans des centres de renseignements
25 ou mis en détention pour les empêcher de rentrer chez eux".
26 Page du compte rendu d'audience 465, pages 19 à 23.
27 Dans son mémoire en clôture et dans son réquisitoire, l'Accusation
28 s'écarte de cette affirmation et ne parle plus de centre d'accueil ou de
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1 rassemblement.
2 Aujourd'hui, on vous a dit que des opérations psychologiques, des
3 tracts erronés avaient permis d'encourager les civils serbes à évacuer le
4 secteur sud. Pourtant - et ici, nous avons la pièce 13 - lorsqu'on montre à
5 l'Accusation l'ordre d'évacuation donné par Martic, elle dit exactement le
6 contraire, l'Accusation. Paragraphe 641 du mémoire de l'Accusation.
7 "La diffusion inefficace de ce qu'on trouve ici et qui est repris
8 dans son caractère fluctuel [phon]. Les civils de Krajina ne savaient pas
9 du tout qu'il y avait une décision, qu'il y avait une évacuation organisée
10 et n'en ont pas donc parlé lorsqu'ils ont décrit les circonstances dans
11 lesquelles ces personnes ont pris la fuite. On s'attendrait à ce que des
12 témoins soient au courant de cette décision, si c'était, par exemple, un
13 membre de la police ou un membre du personnel hospitalier, mais il ne l'est
14 pas."
15 Alors, apparemment, les civils ont reçu un tract disant qu'il fallait
16 partir en suivant l'itinéraire prescrit, mais quand on voit l'ordre donné
17 pour évacuer par Martic, rien ne prouve que quiconque eut été au courant
18 d'une évacuation quelle qu'elle soit.
19 Pour faire bref, l'Accusation n'a jamais trouvé la clé qui aurait pu
20 ouvrir la porte menant à la condamnation parce qu'une telle clé, elle
21 n'existe pas, c'est simple. Mais ça ne va manifestement pas empêcher
22 l'Accusation de continuer d'essayer, quelle que soit l'absurdité de
23 l'argument qu'elle cherche à prouver et qu'elle avance.
24 Peut-être qu'on peut parler, avant de suspendre l'audience, de la
25 charge de la preuve.
26 L'Accusation prend presque 400 pages et près de 6 heures à l'audience
27 pour essayer d'y cerner la charge de la preuve. Elle n'y parvient pas. Elle
28 ne dit pas non plus avoir rempli son devoir. Dans l'histoire de ce
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1 Tribunal, est-ce que le parquet a jamais déposé un mémoire en clôture,
2 présenté un réquisitoire sans dire quelle était la charge de la preuve,
3 quelle était la preuve à apporter, et sans l'avoir rapportée ou à chercher
4 à le faire.
5 Mais on n'analyse pas les arguments à charge au regard de cette
6 charge de la preuve. Son mémoire, ses arguments, nous feraient croire qu'on
7 est encore à la phase 98 bis ou, pire encore, que l'Accusation n'a qu'à
8 semer un doute raisonnable dans vos esprits quant à l'innocence du général
9 Gotovina. Au contraire, l'Accusation doit établir la culpabilité au-delà de
10 tout doute raisonnable, et de l'avis de l'arrêt Martic, ça veut dire :
11 "Qu'il n'y a pas d'autre explication raisonnable au vu des éléments
12 de preuve que la culpabilité de l'accusé."
13 Alors, mesuré à l'aune de ces critères exigeants, il est manifeste
14 que l'Accusation ne peut même pas prouver que son interprétation est
15 plausible, a fortiori, encore moins que ce soit la seule explication
16 raisonnable au vu des éléments de preuve.
17 Je pense que le moment se prête bien à la suspension.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Effectivement. Autant recommencer
19 demain.
20 L'audience est levée. Elle reprendra demain, 31 août, à
21 9 heures du matin, dans cette même salle d'audience numéro III
22 L'audience est levée.
23 --- L'audience est levée à 19 heures 02 et reprendra le mardi 31 août, à 9
24 heures 00.
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