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1 Le vendredi 16 novembre 2012
2 [Jugement en appel]
3 [Audience publique]
4 [Les appelants sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.
6 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Bonjour.
7 Madame la Greffière, veuillez citer le numéro de l'affaire, s'il vous
8 plaît.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur les Juges. Ceci est
10 l'affaire IT-06-90-A, le Procureur contre Ante Gotovina et Mladen Markac.
11 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.
12 Monsieur Gotovina, êtes-vous en mesure de suivre les débats dans une langue
13 que vous comprenez ?
14 L'APPELANT GOTOVINA : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
15 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous rasseoir.
16 Monsieur Markac, même question, est-ce que vous m'attendez, est-ce
17 que vous comprenez ce que je dis ?
18 L'APPELANT MARKAC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, Messieurs
19 les Juges, tout fonctionne bien.
20 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci.
21 Je vais maintenant demander aux parties de se présenter, en commençant par
22 les conseils de la Défense de M. Gotovina.
23 M. KEHOE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Gregory Kehoe,
24 Luka Misetic, Kai Ambos, Guenael Mettraux, et Diana Juricevic pour le
25 général Gotovina.
26 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Maître.
27 Et pour M. Markac.
28 M. MIKULICIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
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1 les Juges. Je suis Goran Mikulicic. Avec moi et à ma gauche M. Kai Ambos,
2 Me Tom Kuzmanovic, M. John Jones, M. Davis Gault.
3 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Maître.
4 Et pour l'Accusation.
5 Mme BRADY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Monsieur le
6 Juge. Helen Brady pour l'Accusation, accompagnée de M. Douglas Stringer, de
7 Mme Ingrid Elliott, de Saeeda Verrall, et de notre commis à l'affaire, M.
8 Colin Nawrot.
9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Ainsi que l'a annoncé, M. le Greffier,
10 l'affaire à l'ordre du jour est le Procureur contre Ante Gotovina et Mladen
11 Markac. Conformément à l'ordonnance portant calendrier du 2 novembre 2012,
12 la Chambre d'appel rend aujourd'hui son arrêt. Conformément à l'usage du
13 Tribunal, je ne donnerai pas lecture du texte de l'arrêt à l'exception de
14 son dispositif, mais je résumerai les questions essentielles du recours et
15 les conclusions principales de la Chambre d'appel. Ce résumé oral ne fait
16 aucunement partie de l'arrêt officiel de la Chambre d'appel, donc seule la
17 version écrite fait autorité, et dont des copies seront mises à la
18 disposition des parties à l'issue de l'audience.
19 Cette affaire concerne les événements survenus pendant la période
20 s'étendant de juillet 1995 au moins jusqu'au 30 septembre 1995 ou vers
21 cette date dans la région de la Krajina en Croatie. Période au cours de
22 laquelle, des dirigeants et représentants des autorités croates ont lancé
23 l'opération Tempête, une action militaire visant à prendre le contrôle du
24 territoire de la région de la Krajina.
25 Durant la période couverte par l'acte d'accusation, Ante Gotovina était
26 lieutenant-général dans l'armée croate, en abrégé la HV; il était le
27 commandant du district militaire de Split; et assurait le commandement
28 opérationnel général de l'opération Tempête dans le sud de la région de la
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1 Krajina. La Chambre de première instance a conclu qu'Ante Gotovina adhérait
2 à l'objectif d'une entreprise criminelle commune, ou ECC en abrégé,
3 consistant à chasser définitivement la population civile serbe de la
4 Krajina et qu'il y a apporté une contribution importante en ordonnant des
5 attaques à l'artillerie illégales sur Knin, Benkovac, et Obrovac, et en ne
6 consentant aucun effort véritable pour prévenir les crimes commis par ses
7 subordonnés contre des civils serbes de la Krajina ou pour enquêter sur ces
8 crimes. La Chambre de première instance a déclaré Ante Gotovina coupable de
9 crime contre l'humanité et de violation des lois ou coutumes de la guerre
10 dans le cadre d'une entreprise criminelle commune de la première et de la
11 troisième catégorie. Il a été condamné à 24 ans d'emprisonnement.
12 Pendant la période couverte par l'acte d'accusation, Mladen Markac était
13 ministre adjoint de l'intérieur et commandant opérationnel de la police
14 spéciale en Croatie. La Chambre de première instance a conclu que Mladen
15 Markac adhérait à l'objectif d'une entreprise criminelle commune,
16 consistant à chasser définitivement la population civile serbe de la
17 Krajina, et qu'il y a apporté une contribution importante en ordonnant une
18 attaque à l'artillerie illégale sur Gracac et en créant un climat
19 d'impunité par son manquement à prévenir les crimes commis par des membres
20 de la police spéciale contre des civils serbes, à enquêter sur ces crimes,
21 ou à les punir. La Chambre de première instance a déclaré Mladen Markac
22 coupable de crime contre l'humanité et de violation des lois ou coutumes de
23 la guerre dans le cadre d'une entreprise criminelle commune de la première
24 et de la troisième catégorie. Il a été condamné à 18 ans d'emprisonnement.
25 La Chambre de première instance a acquitté le troisième accusé, Ivan
26 Cermak, de tous les chefs d'accusation qui avaient été retenus contre lui.
27 Ante Gotovina a présenté quatre moyens d'appel et Mladen Markac huit moyens
28 d'appel. Chacun des deux appelants conteste sa condamnation dans son
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1 intégralité. Mladen Markac conteste également la peine prononcée à son
2 encontre. La Chambre d'appel aborde à présent les arguments des appelants,
3 en commençant par ceux relatifs aux attaques à l'artillerie illégales et à
4 l'existence d'une entreprise criminelle commune.
5 M. Gotovina, dans son premier et troisième moyens d'appel, et M. Markac,
6 par son premier et deuxième moyens d'appel, en partie, soutiennent que les
7 attaques à l'artillerie contre Knin, Benkovac, Obrovac, et Gracac, ou
8 encore les quatre villes n'étaient pas illégales et que puisqu'il n'a pas
9 été conclu que les attaques d'artillerie étaient illégales, la conclusion
10 de la Chambre de première instance relative à l'existence d'une entreprise
11 criminelle commune ne peut pas être confirmée.
12 L'Accusation répond que la Chambre de première instance n'a pas commis
13 d'erreur en concluant que des attaques illégales à l'artillerie avaient eu
14 lieu contre les quatre villes ou que l'entreprise criminelle commune
15 existait.
16 La Chambre d'appel rappelle que la Chambre de première instance a conclu
17 que les appelants faisaient partie d'une entreprise criminelle commune dont
18 l'objectif commun était d'expulser à jamais les civils serbes de la Krajina
19 de force ou sous la menace de la force. Pour conclure, à l'existence d'une
20 entreprise criminelle commune, la Chambre de première instance s'est
21 appuyée sur son évaluation globale de plusieurs conclusions qui se
22 corroborent mutuellement. La Chambre d'appel considère que la pierre
23 angulaire de l'analyse relative à l'existence de l'entreprise criminelle
24 commune était sa conclusion suivant laquelle les attaques illégales à
25 l'artillerie visaient les civils et les objets civils dans les quatre
26 villes susmentionnées, et que ces attaques illégales ont provoqué
27 l'expulsion d'un grand nombre de civils dans la région de la Krajina; les
28 Juges Agius et Pocar en sont en désaccord.
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1 La conclusion de la Chambre de première instance suivant laquelle les
2 attaques à l'artillerie contre les quatre villes étaient illégales s'appuie
3 largement sur l'analyse des sites d'impact individuels à l'intérieur des
4 quatre villes, à laquelle je ferai désormais référence sous le nom
5 d'analyse d'impact. Cette analyse d'impact se fondait sur la conclusion de
6 la Chambre de première instance concernant la marge d'erreur de 200 mètres
7 pour des projectiles d'artillerie tirés sur les quatre villes, j'y ferai
8 désormais référence sous le nom de normes des 200 mètres. Compte tenu de
9 cette marge d'erreur, la Chambre de première instance a conclu que tous les
10 sites d'impact situés à plus de 200 mètres d'une cible qu'elle estimait
11 légitime constituaient des éléments de preuve d'une attaque illégale à
12 l'artillerie. En identifiant les cibles légitimes, la Chambre de première
13 instance a pris en considération en partie sa conclusion suivant laquelle
14 la HV ne pouvait pas identifier des cibles opportunistes, telles que la
15 police qui se déplaçait ou des véhicules militaires, dans les quatre
16 villes.
17 La Chambre d'appel a conclu à l'unanimité que la Chambre de première
18 instance a commis une erreur en délivrant et appliquant la norme des 200
19 mètres. Le jugement ne comporte aucune indication que des éléments de
20 preuve considérés par la Chambre de première instance suggéraient une marge
21 d'erreur de 200 mètres et aucun raisonnement ne figure dans le jugement
22 pour expliquer comment la Chambre de première instance a calculé cette
23 marge d'erreur. La Chambre de première instance a examiné des éléments de
24 preuve présentés par des témoins experts qui ont témoigné que des facteurs
25 tels que la vitesse du vent et la température de l'air auraient pu
26 occasionner des variations de la précision des armes utilisées par la HV
27 contre les quatre villes, et la Chambre de première instance a noté de
28 façon explicite qu'elle n'avait pas reçu suffisamment d'éléments de preuve
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1 pour tirer des conclusions sur ces facteurs eu égard à chacune des quatre
2 villes. Toutefois, dans son analyse d'impact, la Chambre de première
3 instance a appliqué uniformément la norme des 200 mètres à tous les sites
4 d'impact, et ce, dans chacune des quatre villes.
5 Au vu de ces circonstances, la Chambre d'appel conclut à l'unanimité
6 que la Chambre de première instance a commis une erreur en adoptant une
7 marge d'erreur qui n'a pas été liée aux éléments de preuve versés au
8 dossier.
9 En ce qui concerne les cibles opportunistes dans les quatre villes,
10 la Chambre d'appel conclut que la Chambre de première instance n'a pas
11 commis d'erreur en déterminant que la HV n'avait pas la capacité de frapper
12 des cibles opportunistes dans les villes de Benkovac, Gracac, et Obrovac.
13 Cependant, la Chambre d'appel constate que des éléments de preuve relatifs
14 aux cibles opportunistes dans la ville de Knin ont été présentés à la
15 Chambre de première instance, qui ne les a manifestement pas pris en
16 considération. Dans ce contexte, la Chambre d'appel conclut que la Chambre
17 de première instance a commis une erreur en concluant que les attaques
18 contre Knin ne visait pas des cibles opportunistes; MM. les Juges Agius et
19 Pocar étant en désaccord.
20 La Chambre d'appel rappelle qu'alors que la Chambre de première
21 instance a tenu compte d'un certain nombre de facteurs pour évaluer si des
22 obus particuliers visaient des cibles militaires légitimes, la distance
23 entre un site d'impact donné et la cible d'artillerie identifiée la plus
24 proche, était la pierre angulaire et le principe de base de l'analyse
25 d'impact de la Chambre de première instance; les Juges Agius et Pocar étant
26 en désaccord. La Chambre d'appel conclut que les erreurs commises par la
27 Chambre de première instance eu égard à la norme des 200 mètres et les
28 cibles opportunistes sont suffisamment graves pour que les conclusions de
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1 l'analyse d'impact ne soient pas retenues; les Juges Agius et Pocar étant
2 en désaccord. Bien que la Chambre de première instance ait pris en compte
3 des éléments de preuve supplémentaires pour conclure à l'illégalité des
4 attaques contre les quatre villes, la Chambre d'appel conclut que sans
5 l'analyse d'impact, ces autres éléments de preuve ne sont pas suffisants
6 pour étayer une conclusion suivant laquelle les attaques d'artillerie
7 contre les quatre villes étaient illégales; les Juges Agius et Pocar étant
8 en désaccord.
9 Au vu de ce qui précède, la Chambre d'appel conclut qu'aucune Chambre
10 de première instance raisonnable aurait pu conclure au-delà de tout doute
11 raisonnable que les quatre villes ont fait l'objet d'attaque d'artillerie
12 illégale. Par conséquent, la Chambre d'appel fait droit au premier moyen
13 d'appel de M. Gotovina en partie, et en partie au premier moyen d'appel de
14 M. Markac et annule ou infirme la conclusion de la Chambre de première
15 instance suivant laquelle les attaques d'artillerie contre les quatre
16 villes étaient illégales; les Juges Agius et Pocar étant en désaccord.
17 Eu égard à la responsabilité au titre de l'entreprise criminelle
18 commune, la Chambre d'appel observe que la Chambre de première instance a
19 conclu à l'existence d'une entreprise criminelle commune sur la base de son
20 évaluation globale de conclusions qui se corroborent mutuellement, mais la
21 Chambre d'appel considère que les conclusions de la Chambre de première
22 instance relatives à l'objectif principal commun de l'entreprise criminelle
23 commune qui consistait à expulser par la forces les civils de la Krajina
24 s'appuyaient essentiellement sur l'existence d'attaques illégales à
25 l'artillerie contre les civils, les objets civils dans les quatre villes;
26 les Juges Agius et Pocar étant en désaccord. Bien que la Chambre de
27 première instance ait également examiné des éléments de preuve relatifs à
28 la planification et aux suites des attaques à l'artillerie pour étayer sa
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1 conclusion eu égard à l'existence d'une entreprise criminelle commune, elle
2 a explicitement considéré ces éléments de preuve au vu de sa conclusion
3 relative à l'illégalité des attaques contre les quatre villes. De surcroît,
4 la Chambre de première instance n'a pas conclu que l'un ou l'autre des
5 appelants ait été directement impliqué dans l'adoption des politiques
6 discriminatoires de la Croatie.
7 Dans ces conditions, ayant annulé la conclusion de la Chambre de
8 première instance selon laquelle les attaques à l'artillerie sur les quatre
9 villes étaient illégales, la Chambre d'appel est convaincue, les Juges
10 Agius et Pocar étant en désaccord, qu'aucune Chambre de première instance
11 n'aurait pu raisonnablement conclure que la seule interprétation
12 raisonnable des preuves indirectes versées au dossier était l'existence
13 d'une entreprise criminelle commune, dont l'objectif commun consistait à
14 chasser définitivement la population serbe de la Krajina par la force ou la
15 menace de recourir à la force.
16 Compte tenu de ce qui précède, la Chambre d'appel fait droit
17 partiellement aux premier et troisième moyens d'appel de M. Ante Gotovina
18 et aux premier et second moyens d'appel de Mladen Markac et annulent la
19 conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle il existait
20 une entreprise criminelle commune visant à chasser définitivement la
21 population serbe de la Krajina par la force ou la menace de recourir à la
22 force; les Juges Agius et Pocar étant en désaccord. Par conséquent,
23 l'examen des autres présentés par les appelants s'agissant de l'existence
24 d'une entreprise criminelle commune n'a pas lieu d'être. La Chambre d'appel
25 relève que l'ensemble des déclarations de culpabilité prononcées contre les
26 appelants l'ont été au titre de la participation d'une entreprise
27 criminelle commune en tant que mode de responsabilité. Toutes ces
28 déclarations de culpabilité sont par conséquent annulées.
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1 Après avoir infirmé, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, les
2 déclarations de culpabilité prononcées contre les appelants, toutes
3 prononcées pour leur participation à une entreprise criminelle commune, la
4 Chambre d'appel examine à présent les arguments des parties concernant
5 l'opportunité de prononcer des déclarations de culpabilité sur la base
6 d'autres formes de responsabilité. La Chambre d'appel rappelle que dans son
7 ordonnance relative au dépôt d'écritures supplémentaires rendu le 20
8 juillet 2012, elle a considéré que la responsabilité pour aide et
9 encouragement et la responsabilité du supérieur hiérarchique sont les
10 autres formes de responsabilité les plus appropriées aux conclusions de la
11 Chambre de première instance.
12 Les appelants contestent la compétence de la Chambre d'appel pour
13 prononcer des déclarations de culpabilité sur la base d'autres formes de
14 culpabilité et soutiennent qu'en tout état de cause, l'Accusation a renoncé
15 à son droit de demander que des déclarations de culpabilité soient
16 prononcées pour d'autres formes de responsabilité puisqu'elle n'a pas fait
17 appel du jugement.
18 La Chambre d'appel fait observer, le Juge Pocar étant en désaccord,
19 qu'elle a à maintes reprises prononcé des déclarations de culpabilité sur
20 la base d'autres formes de responsabilité. Sur ce point, la Chambre d'appel
21 fait observer qu'en vertu de l'article 25(2) du Statut, et en particulier
22 du pouvoir qui lui confère de réviser les décisions de la Chambre de
23 première instance, elle peut prononcer des déclarations de culpabilité sur
24 la base d'autres formes de responsabilité.
25 La Chambre d'appel, le Juge Pocar étant en désaccord, n'est pas
26 convaincue que les appelants ont présenté des raisons impérieuses
27 justifiant qu'elle s'écarte dans certaines circonstances de la pratique
28 voulant qu'elle prononce des déclarations de culpabilité sur la base
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1 d'autres formes de responsabilité. La Chambre d'appel not,e toutefois,
2 qu'elle ne prononcera pas de déclarations de culpabilité sur la base
3 d'autres formes de responsabilité lorsque cela portera gravement atteinte
4 aux droits de l'appelant à un procès équitable ou amènera la Chambre
5 d'appel à outrepasser ses pouvoirs tels qu'ils sont définis dans le Statut.
6 Pour décider s'il convient de prononcer en l'espèce des déclarations
7 de culpabilité sur la base d'autres formes de responsabilité, la Chambre
8 d'appel examinera les conclusions de la Chambre de première instance et
9 d'autres éléments de preuve versés au dossier de novo. La Chambre d'appel
10 rappelle que dans son analyse, la Chambre de première instance s'est
11 concentrée sur la question de savoir si certaines conclusions étaient
12 suffisantes pour prononcer des déclarations de culpabilité sur la base de
13 la responsabilité découlant de la participation à une entreprise criminelle
14 commune. En conséquence, la Chambre d'appel examinera l'analyse pertinente
15 de la Chambre de première instance, mais ne s'inclinera pas devant celle-
16 ci.
17 Pour ce qui est tout d'abord de la responsabilité des appelants dans
18 les attaques à l'artillerie contre les quatre villes, la Chambre d'appel
19 rappelle qu'elle a infirmé, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, la
20 conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle ces attaques
21 visant les quatre villes, attaques à l'artillerie, étaient illégales. La
22 Chambre d'appel rappelle que la Chambre de première instance a dit que dans
23 le contexte des faits qui lui avaient été présentés, elle ne qualifierait
24 pas d'expulsion le départ de civils de villes et de villages dans le cadre
25 d'attaques légales à l'artillerie, et ne conclurait pas que les personnes
26 impliquées dans des attaques légales à l'artillerie avaient l'intention de
27 déplacer de force des civils. Compte tenu de ces faits, le raisonnement de
28 la Chambre de première instance empêcherait de conclure que les départs des
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1 quatre villes pendant des attaques légales à l'artillerie constituaient une
2 expulsion. Après avoir examiné les éléments de preuve, la Chambre d'appel
3 est d'accord avec l'analyse de la Chambre de première instance et conclut
4 que compte tenu des faits de l'espèce, les départs de civils pendant des
5 attaques légales à l'artillerie ne peuvent être qualifiés d'expulsion.
6 La Chambre d'appel fait en outre observer que puisqu'elle a infirmé
7 la conclusion concernant l'existence d'une entreprise criminelle commune et
8 en l'absence de conclusions au sujet de l'existence d'attaques illégales,
9 le jugement ne renferme aucune autre conclusion express exposant l'état
10 d'esprit requis pour l'expulsion dans lequel les appelants devaient se
11 trouver compte tenu du caractère légal des attaques à l'artillerie. Dans
12 ces circonstances, la Chambre d'appel n'est pas convaincue que les attaques
13 à l'artillerie, dont les appelants étaient responsables, suffisent à
14 établir qu'ils sont coupables au-delà de tout doute raisonnable d'expulsion
15 sur la base de l'une quelconque des autres formes de responsabilité
16 exposées dans l'acte d'accusation.
17 Au sujet de l'éventuelle responsabilité d'Ante Gotovina sur la base
18 d'autres formes de responsabilité fondées sur d'autres conclusions de la
19 Chambre de première instance, la Chambre d'appel rappelle que, outre ses
20 conclusions concernant les attaques à l'artillerie contre les quatre
21 villes, la Chambre de première instance a conclu qu'Ante Gotovina était au
22 courant des crimes qui auraient été en train d'être commis dans les quatre
23 villes avant et après les attaques à l'artillerie, que ses crimes
24 exigeaient l'ouverture d'une enquête, et qu'Ante Gotovina n'a pas donné
25 suite. De plus, la Chambre de première instance a expressément rappelé
26 trois mesures supplémentaires qu'Ante Gotovina aurait pu prendre, à savoir
27 contacter les personnes compétentes pour leur demander de l'aide; prononcer
28 des déclarations publiques; et consacrer les moyens disponibles en vue de
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1 donner suite après ces crimes. La Chambre de première instance a conclu
2 qu'Ante Gotovina n'a pas entrepris des efforts sérieux pour enquêter sur
3 les crimes et pour empêcher de futurs crimes. La Chambre d'appel observe
4 que la Chambre de première instance s'est fondée sur sa conclusion
5 concernant l'illégalité des attaques à l'artillerie pour apprécier la
6 responsabilité d'Ante Gotovina pour d'autres comportements et son
7 manquement à l'obligation d'agir.
8 Cependant, la Chambre d'appel, le Juge Agius étant en désaccord,
9 considère que la description faite par la Chambre de première instance des
10 mesures supplémentaires qu'Ante Gotovina aurait dû prendre était laconique
11 et vague et qu'elle n'a pas dit précisément comment ces mesures auraient pu
12 remédier aux lacunes apparentes d'Ante Gotovina en ce qui concernait la
13 suite à donner aux crimes. La Chambre d'appel rappelle que la Chambre de
14 première instance a expressément examiné des éléments de preuve selon
15 lesquels Ante Gotovina a pris de nombreuses mesures pour prévenir et
16 minimiser les crimes et le désordre général au sein des troupes de la HV
17 placées sous son commandement. La Chambre d'appel rappelle, en outre, que
18 pendant le procès, les experts ont témoigné que M. Gotovina a pris toutes
19 les mesures nécessaires et raisonnables pour maintenir l'ordre parmi ses
20 subordonnés. Dans ce contexte, la Chambre d'appel, le Juge Agius étant en
21 désaccord, considère que les éléments de preuve versés au dossier
22 n'établissent pas au-delà de tout doute raisonnable que le manquement à
23 l'obligation d'agir de la part d'Ante Gotovina était si important qu'il
24 engage une responsabilité pénale au titre de l'aide et de l'encouragement
25 ou de la responsabilité du supérieur hiérarchique.
26 Dans ce contexte, la Chambre d'appel, le Juge Agius étant en désaccord, ne
27 peut trouver aucune autre conclusion de la Chambre de première instance qui
28 permettrait d'établir l'existence de l'élément matériel susceptible de
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1 justifier le prononcé d'une déclaration de culpabilité sur la base d'une
2 autre forme de responsabilité. En conséquence, la Chambre d'appel, le Juge
3 Agius étant en désaccord, ne prononcera pas de déclaration de culpabilité à
4 l'encontre d'Ante Gotovina sur la base d'autres formes de responsabilité.
5 S'agissant de la responsabilité éventuelle de Mladen Markac sur la base
6 d'autres formes de responsabilité, compte tenu des conclusions de la
7 Chambre de première instance qui n'ont pas été infirmées, la Chambre
8 d'appel rappelle que la Chambre de première instance a conclu que Mladen
9 Markac n'a pas ordonné l'ouverture d'une enquête concernant des actes
10 criminels qui auraient été commis par des membres de la police spéciale. La
11 Chambre de première instance a conclu que, par son inaction, Mladen Markac
12 avait créé un climat d'impunité parmi les membres de la police spéciale,
13 climat qu'il a encouragé par la suite, la commission de crimes par celle-
14 ci, y compris des meurtres et des destructions de biens.
15 La Chambre d'appel observe que la Chambre de première instance n'a pas
16 expressément conclu que Mladen Markac avait apporté une contribution
17 importante aux crimes commis par la police spéciale ou qu'il exerçait un
18 contrôle effectif sur celle-ci. De plus, la Chambre d'appel, les Juges
19 Agius et Pocar étant en désaccord, considère que toutes les conclusions de
20 la Chambre de première instance concernant la culpabilité de Mladen Markac
21 ont été tiré à la lumière de sa conclusion concernant les attaques
22 illégales à l'artillerie contre les quatre villes.
23 En conséquence, la Chambre d'appel conclut que la Chambre de première
24 instance n'a tiré aucune conclusion suffisante, de prime abord, pour
25 prononcer des déclarations de culpabilité contre Mladen Markac au titre de
26 l'aide et l'encouragement ou de la responsabilité du supérieur
27 hiérarchique. En l'absence de telles conclusions, et compte tenu des
28 circonstances de l'espèce, la Chambre d'appel, le Juge Agius étant en
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1 désaccord, n'examinera pas les autres conclusions de la Chambre de première
2 instance et les éléments de preuve versés au dossier. Pour ce faire, il
3 faudrait que la Chambre d'appel se livre par trop à un examen des faits et
4 des éléments de preuve. La Chambre d'appel, les Juges Agius et Pocar étant
5 en désaccord, rappelle que l'existence d'une entreprise criminelle commune
6 et d'attaques illégales à l'artillerie sous-tend toutes les conclusions
7 essentielles tirées dans le jugement. Dans ce contexte, toute tentative de
8 faire les déductions requises pour prononcer des déclarations de
9 culpabilité sur la base d'autres formes de responsabilité risquerait de
10 porter gravement atteinte aux droits de Mladen Markac à un procès
11 équitable.
12 Compte tenu de ce qui précède, la Chambre d'appel, le Juge Agius étant en
13 désaccord, ne prononcera pas de déclaration de culpabilité à l'encontre de
14 Mladen Markac sur la base d'autres formes de responsabilité.
15 Je vais à présent donner lecture du dispositif de l'arrêt.
16 Monsieur Gotovina et Monsieur Markac, veuillez vous lever.
17 [Les appelants se lèvent]
18 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Par ces motifs, la Chambre d'appel :
19 En application de l'article 25 du Statut et des articles 117 et 118
20 du Règlement;
21 Ayant examiné les écritures des parties et leurs exposés présentés à
22 l'audience du 14 mai 2012;
23 Siégeant en audience publique;
24 Fait droit, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, au premier moyen
25 d'appel, au troisième moyen d'appel, présentés par Ante Gotovina, en
26 partie;
27 Infirme, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, les
28 déclarations de culpabilité prononcées contre Ante Gotovina pour
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1 persécution, expulsion, assassinat, et actes inhumains, crimes contre
2 l'humanité, et pour pillage de biens publics et privés, destruction sans
3 motif, meurtre, et traitement cruel, violations des lois ou coutumes de la
4 guerre;
5 Et prononce, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord,
6 l'acquittement pour les chefs 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, et 9 de l'acte
7 d'accusation;
8 Rejette, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, les autres
9 moyens d'appel présentés par Ante Gotovina, ceci étant ses objets;
10 Fait droit, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, au premier
11 moyen d'appel et au deuxième moyen d'appel présentés par Mladen Markac, en
12 partie;
13 Infirme, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, les
14 déclarations de culpabilité prononcées contre Mladen Markac pour
15 persécution, expulsion, assassinat, et actes inhumain, crimes contre
16 l'humanité, et pour pillages de biens publics et privés, destruction sans
17 motif, meurtre, et traitement cruel, violations des lois ou coutumes de la
18 guerre;
19 Et prononce, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord,
20 l'acquittement pour les chefs 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, et 9 de l'acte
21 d'accusation;
22 Rejette, les Juges Agius et Pocar étant en désaccord, les autres
23 moyens d'appel présentés par Mladen Markac, ceci étant sans objet;
24 Ordonne, conformément aux articles 99(A) et 107 du Règlement, la
25 libération immédiate d'Ante Gotovina et de Mladen Markac, et enjoint au
26 greffier de prendre les dispositions nécessaires.
27 Le Juge Theodor Meron joint une opinion individuelle.
28 Le Juge Carmel Agius joint une opinion dissidente.
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1 Le Juge Patrick Robinson joint une opinion individuelle.
2 Le Juge Fausto Pocar joint une opinion dissidente.
3 Monsieur Gotovina et Monsieur Markac, vous pouvez vous rasseoir.
4 [Les appelants s'assoient]
5 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Madame la Greffière d'audience, vous
6 pouvez distribuer des exemplaires du prononcé de l'arrêt aux parties.
7 L'audience de la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l'ex-
8 Yougoslavie est levée.
9 --- L'audience est levée à 9 heures 40.
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