LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

AFFAIRE N° IT-04-75-I

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL

CONTRE

GORAN HADZIC

ACTE D’ACCUSATION

Le Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 18 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le « Statut du Tribunal »), accuse :

GORAN HADZIC

de CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ et de VIOLATIONS DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, tels qu’exposés ci-dessous :

L’ACCUSÉ :

1. Goran HADZIC, fils de Branko, est né le 7 septembre 1958 dans la municipalité de Vinkovci, en Croatie. Avant le conflit en Croatie, il était magasinier dans l’entreprise VUPIK, à Pačetin, dans la municipalité de Vukovar, en Croatie.

2. Goran HADZIC était membre de la Ligue des communistes depuis sa jeunesse. Avant 1990, il était Président de la communauté locale de Pacetin. Au printemps 1990, il a été élu conseiller au conseil municipal de Vukovar sous l’étiquette de la Ligue des communistes – Parti des changements démocratiques /Savez Komunista – Stranka za Demokratske Premene/ (le « SK-SDP »). Par la suite, il a rejoint les rangs du Parti démocratique serbe /Srpska Demokratska Stranka/ (le « SDS ») et, le 10 juin 1990, il a été élu Président de la section du SDS de Vukovar. En mars 1991, il était Président de l’Assemblée municipale de Vukovar, membre du Comité central et du Comité exécutif du SDS à Knin, et Vice-Président du Comité régional du SDS pour la Slavonie orientale, la Baranja et le Srem occidental, basé à Pakrac.

3. Avant le 25 juin 1991, Goran HADZIC était l’un des dirigeants du Conseil national serbe (le « SNC »), une instance politique serbe couvrant la Slavonie, la Baranja et le Srem occidental. Les 25 et 26 juin 1991, le SNC est devenu le gouvernement de la « Région autonome serbe /Srpska autonomna oblast/ de la Slavonie, de la Baranja et du Srem occidental » (la « SAO SBSO »). Goran HADZIC est alors devenu Président désigné du Gouvernement de la SAO SBSO autoproclamée et il a exercé les fonctions de président du 25 juin au 25 septembre 1991, date de son investiture, rendue publique par le Journal officiel.

4. Le 26 février 1992, Goran HADZIC a été élu Président de la « République serbe de Krajina /Republika Srpska krajina/ » (la « RSK ») et a occupé ce poste jusqu’en décembre 1993.

RESPONSABILITÉ PÉNALE INDIVIDUELLE

Article 7 1) du Statut du Tribunal

5. Goran HADZIC est individuellement pénalement responsable des crimes sanctionnés par les articles 3 et 5 du Statut du Tribunal et énumérés dans le présent acte d’accusation, crimes qu’il a planifiés, incité à commettre, ordonnés, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer et exécuter. Par le terme « commettre », le Procureur n’entend pas suggérer dans le présent acte d’accusation que l’accusé a matériellement commis les crimes qui lui sont imputés personnellement autres que ceux décrits aux paragraphes 19 et 25 du présent acte d'accusation. Dans le présent acte d’accusation, le terme « commettre » recouvre la participation de Goran HADZIC, en qualité de coauteur, à une entreprise criminelle commune.

6. Cette entreprise criminelle commune avait pour but de chasser à jamais, par des crimes tombant sous le coup des articles 3 et 5 du Statut du Tribunal, la majorité des Croates et autres non-Serbes d’environ un tiers du territoire de la République de Croatie (la « Croatie »), afin d’intégrer celui-ci dans un nouvel État dominé par les Serbes. Cette portion de territoire englobait les régions appelées par les autorités serbes « SAO de Krajina », « SAO de Slavonie occidentale », et « SAO SBSO » (après le 19 décembre 1991, la « SAO de Krajina » a reçu l’appellation de RSK et, le 26 février 1992, la « SAO de Slavonie occidentale » et la « SAO SBSO » ont décidé de leur rattachement à la RSK).

7. Les crimes énumérés dans le présent acte d’accusation s’inscrivaient dans le cadre de l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune et Goran HADZIC avait l’état d’esprit nécessaire pour commettre chacun des crimes. À défaut, les crimes énumérés aux chefs d’accusation 1 à 9 et 12 à 14 étaient la conséquence naturelle et prévisible de la réalisation de l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune, et Goran HADZIC savait que c’était là une conséquence possible de l’exécution de ladite entreprise.

8. L’entreprise criminelle commune susmentionnée a vu le jour le 25 juin 1991 au plus tard et s’est poursuivie au moins jusqu’en décembre 1993. Goran HADZIC a œuvré en son sein à son succès de concert avec plusieurs autres ou par personne interposée. Chaque participant ou coauteur a joué en son sein un rôle qui a largement contribué à la réalisation de son objectif général. Parmi les individus qui ont pris part à cette entreprise criminelle commune se trouvaient Slobodan MILOSEVIC ; Milan MARTIC ; Jovica STANISIC ; Franko SIMATOVIC, alias « Frenki » ; Vojislav Sešelj ; Radovan STOJICIC, alias « Bazda » ; Zeljko RAZNATOVIC, alias « Arkan » ; d’autres membres, connus et inconnus, de l’Armée populaire yougoslave (la « JNA »), de la Défense territoriale serbe locale autoproclamée (la « TO ») de la SAO SBSO, de la TO de Serbie et du Monténégro, des forces de police locales, notamment des forces de police serbes de la SAO SBSO communément désignées comme la « milice de la SAO SBSO » et de la « sûreté nationale serbe » (la « SNB ») de la SAO SBSO, des forces de police de la République de Serbie (le « MUP serbe »), en particulier la sûreté de l’État /Drzavna bezbednost/ (la « DB ») de la République de Serbie ; des membres de groupes paramilitaires monténégrins, serbes de Bosnie et serbes (également connus sous le nom d’unités de volontaires), notamment la Garde volontaire serbe, une unité de volontaires ou de paramilitaires commandée par Zeljko RAZNATOVIC communément appelée « Arkanovci » ou « Tigres d’Arkan », et des volontaires liés au Mouvement tchetnik serbe et/ou au Parti radical serbe (le « SRS ») de Vojislav SESELJ, communément appelés « tchetniks » ou « Sešeljevci », qui, au cours d’opérations militaires, ont été intégrés ou autrement rattachés à la TO de la SAO SBSO, tous opérant sous le commandement de la JNA (collectivement, les « forces serbes ») ; et d’autres personnalités politiques de la République (socialiste) fédérative de Yougoslavie (la « R(S)FY »), de la République de Serbie (la « Serbie »), de la République du Monténégro (le « Monténégro »), ainsi que des hommes politiques serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.

9. Goran HADZIC, agissant seul ou de concert avec d’autres participants à l’entreprise criminelle commune, a pris part à celle-ci de la façon suivante :

a. En sa qualité de Président du Gouvernement de la SAO SBSO et, par la suite, de Président de la RSK, il a favorisé et encouragé l’élaboration et la mise en œuvre des directives gouvernementales de la SAO SBSO, puis de la RSK, visant à réaliser l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune, quand il ne les formulait pas lui-même ou n’y mettait pas lui-même la main. Au cours des années 1991, 1992 et 1993, Goran HADZIC a assisté à des réunions avec les dirigeants de la Serbie et de la R(S)FY et/ou leurs représentants, au cours desquelles étaient définies ces directives, et a exposé leur point de vue dans le cadre des négociations internationales.

b. Il a contribué à l’institution, au soutien et au maintien des organes dirigeants de la SAO SBSO / RSK qui, avec la collaboration de l’armée et de la police, ont réalisé les objectifs assignés à l’entreprise criminelle commune et ont pris part aux crimes visés par le présent acte d’accusation.

c. Il a participé et contribué à la création, à l’organisation, au financement et à la direction de la milice de la SAO SBSO et de la SNB. Ces forces de police ou de sécurité ont été créées et appuyées pour aider, par des crimes tombant sous le coup des articles 3 et 5 du Statut du Tribunal, à la réalisation de l’objectif de l’entreprise criminelle commune.

d. Il a participé et contribué à la création, à l’organisation, au financement et à la direction des forces de la Défense territoriale serbe locale (la « TO ») de la SAO SBSO, y compris de volontaires liés à la Garde volontaire serbe et au Mouvement tchetnik serbe qui ont participé aux crimes décrits dans le présent acte d’accusation. Du 26 juin 1991 au moins jusqu’à décembre 1993 inclus, Goran HADZIC commandait de jure les forces de la TO.

e. Il a personnellement pris part aux crimes commis par ces forces de police et ces forces armées dans les territoires concernés, ainsi qu’il est dit aux paragraphes 19 à 25 du présent acte d’accusation.

f. Il a contribué à apporter le soutien financier, matériel, logistique et politique nécessaire à la prise de pouvoir militaire dans des territoires de la SAO SBSO et au déplacement forcé ultérieur de la population croate et des autres populations non serbes par la TO serbe locale, qui agissait sous les ordres de la JNA, des forces du MUP serbe et de la milice de la SAO SBSO et de la SNB, ou en coordination avec celles-ci.

g. Il a demandé l’aide ou facilité la participation de la JNA et des forces du MUP serbe pour favoriser la réalisation de l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune.

h. Il a encouragé et facilité l’acquisition d’armes et leur distribution aux Serbes vivant en Croatie dans le but de favoriser la réalisation de l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune.

i. Il a ouvertement cautionné et encouragé la création, par la violence, d’un État serbe homogène dans les territoires mentionnés dans le présent acte d’accusation.

10. Goran HADZIC a délibérément et sciemment participé à l’entreprise criminelle commune, partageant l’intention des autres participants à cette entreprise ou prenant une grande part aux crimes commis tout en connaissant l’intention des autres participants. À ce titre, il est individuellement pénalement responsable de ces crimes au regard de l’article 7 1) du Statut du Tribunal, de même qu’il en est responsable, au regard de ce même article, pour les avoir planifiés, avoir incité à les commettre, les avoir ordonnés, matériellement commis ou de toute autre manière avoir aidé et encouragé à les planifier, préparer, exécuter ou commettre.

ALLÉGATIONS GÉNÉRALES :

11. Pendant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, la Croatie était le théâtre d’un conflit armé.

12. L’ensemble des actes et omissions qualifiés de crimes contre l’humanité s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile croate et les autres populations civiles non serbes de vastes portions de la Croatie.

13. Pendant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, Goran HADZIC était tenu de se conformer aux lois ou coutumes régissant la conduite des conflits armés.

ACCUSATIONS :

CHEF 1
(PERSÉCUTIONS)

14. Du 1er août 1991 à la fin juin 1992, Goran HADZIC, agissant seul ou de concert avec les autres membres, connus et inconnus, d’une entreprise criminelle commune, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la persécution des civils croates et autres civils non serbes vivant sur le territoire de la SAO SBSO/RSK.

15. Durant toute cette période, les forces serbes, composées d’unités de la JNA, d’unités de la TO locale serbe, d’unités de la TO venant de Serbie et du Monténégro, dont des paramilitaires ou des volontaires de la Garde volontaire serbe et du Mouvement tchetnik serbe, d’unités de police du MUP serbe et du MUP local, notamment de la milice de la SAO SBSO et de la SNB, et d’unités paramilitaires, ont attaqué des villes, des villages et des hameaux dans les régions mentionnées au paragraphe 6 et en ont pris le contrôle. Après s’être assuré la maîtrise du terrain, les forces serbes, en collaboration avec les autorités locales serbes, dont Goran HADZIC, ont mis en place un système de persécutions destiné à chasser de ces régions les civils croates et les autres civils non serbes.

16. Ces persécutions, à caractère politique, racial ou religieux, ont pris diverses formes :

a. L’extermination ou le meurtre de centaines de civils croates et d’autres civils non serbes, y compris des femmes et des personnes âgées, à Dalj, Dalj Planina, Erdut, Erdut Planina, Klisa, Lovas, Grabovac et Vukovar, en Croatie, ainsi qu’il est indiqué plus en détail aux paragraphes 18 à 29.

b. L’emprisonnement et la détention prolongés et systématiques de centaines de civils croates et d’autres civils non serbes dans des centres de détention à l’intérieur et hors des frontières de la Croatie, ainsi qu’il est indiqué plus en détail aux paragraphes 31 à 33.

c. L’instauration et le maintien de conditions de vie inhumaines pour les détenus civils croates et d’autres détenus civils non serbes dans les centres de détention mentionnés.

d. La torture, les passages à tabac et les meurtres fréquents de détenus civils croates et d’autres civils non serbes dans les centres de détention mentionnés.

e. Le travail forcé prolongé et fréquent imposé aux civils croates et aux autres civils non serbes détenus dans ces centres ou assignés à résidence à Vukovar, Dalj, Lovas, Erdut et Tovarnik. Ces civils ont été ainsi astreints à creuser des tombes, assurer le ravitaillement des forces serbes en munitions, creuser des tranchées, et à effectuer d’autres travaux manuels sur les lignes de front.

f. L’application de mesures restrictives et discriminatoires à l’encontre des civils croates et des autres civils non serbes. Parmi ces mesures, il faut citer les restrictions à la liberté de circulation, la destitution de responsables de l’administration locale et de la police, les licenciements et les perquisitions arbitraires au domicile de ces personnes.

g. Le passage à tabac et la spoliation de civils croates et d’autres civils non serbes.

h. L’arrestation arbitraire, ainsi que la torture et le passage à tabac de civils croates et d’autres civils non serbes, pendant et après leur arrestation.

 

i. L’expulsion ou le transfert forcé de dizaines de milliers de civils croates et d’autres civils non serbes hors des régions énumérées plus haut, notamment l’expulsion vers la Serbie d’au moins 5 000 habitants d’Ilok et de 20 000 habitants de Vukovar, et le transfert forcé à l’intérieur des frontières de la Croatie d’au moins 2 500 habitants d’Erdut, ainsi qu’il est indiqué plus en détail aux paragraphes 35 à 38.

j. La destruction délibérée de maisons, d’autres biens publics et privés, d’établissements culturels, de monuments historiques et de lieux de culte de la population croate et des autres populations civiles non serbes à Vukovar, Erdut, Lovas, Aljmaš, Sarengrad, Bapska et Tovarnik, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 40.

17. Par ces actes et omissions, Goran HADZIC a commis le crime suivant :

Chef 1 : Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 h) et 7 1) du Statut du Tribunal.

CHEFS 2 à 4
(EXTERMINATION et MEURTRE)

18. Du 1er août 1991 à la fin juin 1992, Goran HADZIC, agissant seul ou de concert avec les autres membres, connus et inconnus, d’une entreprise criminelle commune, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter l’extermination, l’assassinat et le meurtre de civils croates et d’autres civils non serbes sur le territoire de la SAO SBSO, ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 19 à 27 du présent acte d’accusation.

19. En septembre et octobre 1991, les forces de la TO serbe locale et la milice de la SAO SBSO ont arrêté des civils croates qu’ils ont incarcérés dans un centre de détention installé dans les locaux de la police à Dalj. Le 21 septembre 1991, Goran HADZIC et Zeljko RAZNATOVIC ont visité le centre de détention et ordonné la mise en liberté de deux des détenus. Juste après cela, des membres de la TO de la SAO SBSO, dirigés par Zeljko RAZNATOVIC, ont tué onze détenus et jeté leurs corps dans un charnier dans le village de Celija. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

20. Le 4 octobre 1991, des membres de la TO de la SAO SBSO, dirigés par Zeljko RAZNATOVIC, ont pénétré dans le centre de détention installé dans les locaux de la police à Dalj et battu, torturé et puis tué vingt-huit détenus civils croates. Les dépouilles ont ensuite été sorties du bâtiment et jetées dans le Danube tout proche. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

21. Le 18 octobre 1991, des membres de la JNA, de la TO de la SAO SBSO et de l’unité de volontaires Dusan Silni ont astreint cinquante civils croates, qui avaient été emprisonnés pour effectuer des travaux dans le bâtiment Zadruga de Lovas, à marcher dans un champ de mines aux abords du village de Lovas, situé à environ 20 kilomètres au sud-ouest de la ville de Vukovar. En route pour le champ de mines, un détenu a été abattu par ces forces serbes. Arrivés sur place, les détenus ont été contraints d’avancer en tâtonnant du pied devant eux pour déminer. Une mine au moins a explosé, et les forces serbes ont ouvert le feu sur les détenus. Vingt et un détenus ont été tués par des mines ou par balle. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

22. Le 9 novembre 1991, des membres de la TO de la SAO SBSO, dirigés par Zeljko RAZNATOVIC, et des membres de la milice de la SAO SBSO ont arrêté à Erdut, Dalj Planina et Erdut Planina des civils d’origine hongroise et croate, qu’ils ont emmenés au centre de formation de la TO d’Erdut, où douze d’entre eux ont été abattus le lendemain. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation. Plusieurs jours plus tard, des membres de la SNB de la SAO SBSO, en collaboration avec des « Tigres d’Arkan », ont arrêté et exécuté trois civils, dont deux membres de la famille des premières victimes hongroises, qui s’étaient enquis du sort de leurs proches. Huit des douze premières victimes ont été enterrées dans le village de Celija et une à Daljski Atar. Les trois autres ont été jetées dans un puits à Borovo. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation. Le 3 juin 1992, des membres de la SNB, en collaboration avec des « Tigres d’Arkan », ont arrêté Marija Senaši (née en 1937), apparentée à l’une des premières victimes hongroises, qui avait continué à s’enquérir du sort de ses proches, puis l’ont assassinée et ont jeté son corps dans un puits abandonné de Dalj Planina.

23. Le 11 novembre 1991, des membres de la TO de la SAO SBSO, placés sous le commandement de Zeljko RAZNATOVIC, ont arrêté sept civils non serbes dans le village de Klisa. Deux des détenus qui avaient des proches serbes ont été libérés. Les cinq autres civils ont été emmenés au centre de formation de la TO d’Erdut. Après avoir été interrogées, les victimes ont été tuées et jetées dans un charnier situé dans le village de Celija. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

24. Le 20 novembre 1991 ou vers cette date, dans le cadre de la campagne générale de persécutions, des forces serbes placées sous le commandement de la JNA, ont, après avoir pris le contrôle de la ville, chassé de l’hôpital de Vukovar environ deux cent soixante-quatre Croates et autres non-Serbes. Les victimes ont été transportées à la caserne de la JNA, puis à la ferme Ovčara, située environ à 5 kilomètres au sud de Vukovar. Là, des forces serbes, composées de soldats de la JNA, de membres de la TO serbe locale, de paramilitaires ou de volontaires et d’autres participants à l’entreprise criminelle commune, ont battu et torturé les victimes pendant des heures. Le soir du 20 novembre 1991, ces soldats serbes ont transporté les victimes par groupes de 10 à 20 personnes jusqu’à un lieu d’exécution reculé, situé entre la ferme Ovčara et Grabovo, où ils les ont abattues. Leurs corps ont été jetés dans un charnier. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

25. Entre le 18 et le 20 novembre 1991, après la fin des opérations militaires à Vukovar et alentour, la JNA, aidée par des forces de la TO serbe locale, des paramilitaires ou des volontaires, et d’autres participants à l’entreprise criminelle commune, a expulsé des milliers d’habitants croates et d’autres habitants non serbes en République de Serbie. Goran HADZIC ayant demandé que soient gardés les non-Serbes soupçonnés d’avoir participé aux opérations militaires, la JNA a transporté, le 20 novembre 1991 ou vers cette date, un grand nombre d’habitants de Vukovar au centre de détention de Dalj. Là, des membres de la TO serbe locale ont sélectionné les personnes soupçonnées d’avoir participé à la défense de Vukovar. Les détenus sélectionnés ont été interrogés, battus et torturés. Au moins trente-cinq d’entre eux ont été exécutés. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

26. Le 10 décembre 1991, des membres de la TO de la SAO SBSO, dirigés par Zeljko RAZNATOVIC, et des membres de la milice de la SAO SBSO ont arrêté cinq villageois non serbes d’Erdut. Les victimes ont été emmenées, puis tuées au centre de formation de la TO d’Erdut. Trois d’entre elles ont ensuite été jetées dans un puits à Daljski Atar. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

27. Du 22 décembre 1991 au 25 décembre 1991, des membres de la TO de la SAO SBSO, dirigés par Zeljko RAZNATOVIC, et des membres de la milice de la SAO SBSO ont arrêté à Erdut sept civils d’origine hongroise et croate qu’ils ont emmenés au centre de formation de la TO d’Erdut. Ils ont été abattus le 26 décembre 1991. Six des dépouilles ont été enterrées à Daljski Atar. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

28. Le 21 février 1992, des membres de la TO de la SAO SBSO, dirigés par Zeljko RAZNATOVIC, et des membres de la milice de la SAO SBSO ont arrêté à Erdut quatre civils non serbes. Toutes les victimes ont été interrogées, puis tuées au centre de formation de la TO d’Erdut. Les dépouilles ont été jetées dans un charnier à Daljski Atar. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

29. Le 4 mai 1992, des membres de la division des opérations spéciales de la DB de la République de Serbie ont arrêté dans le village de Grabovac cinq civils non serbes qu’ils ont emmenés et tués. Leurs corps ont ensuite été enterrés dans le parc de Tikveš. Le nom des victimes figure à l’annexe I du présent acte d’accusation.

30. Par ces actes et omissions, Goran HADZIC a commis les crimes suivants :

Chef 2 : Extermination, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 b) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 3 : Assassinat, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 a) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 4 : Meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) commun des Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par les articles 3 et 7 1) du Statut du Tribunal.

CHEFS 5 à 9
(EMPRISONNEMENT, TORTURE ACTES INHUMAINS et TRAITEMENTS CRUELS)

31. Du 1er août 1991 à la fin juin 1992, Goran HADZIC, agissant seul ou de concert avec les autres membres connus et inconnus d’une entreprise criminelle commune, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la détention ou l’emprisonnement illégal dans des conditions inhumaines de la population civile croate et d’autres populations civiles non serbes sur les territoires susmentionnés.

32. Les forces militaires serbes, composées d’unités de la JNA, de la TO serbe locale et d’unités de volontaires ou de paramilitaires, agissant en collaboration avec des fonctionnaires de la police serbe et de la police locale, ainsi qu’avec les autorités locales serbes et les autorités de Serbie, ont arrêté et détenu des milliers de civils croates et d’autres civils non serbes dans les centres de détention de courte et longue durée suivants :

a. à l’exploitation agricole STAJICEVO en Serbie, gérée par la JNA, qui a accueilli environ mille sept cents détenus.

b. à la caserne militaire de Begejci en Serbie, gérée par la JNA, qui a accueilli environ deux cent soixante détenus.

c. à la caserne militaire de Zrenjanin en Serbie, gérée par la JNA, qui a accueilli des dizaines de détenus.

d. à la prison militaire de Sremska Mitrovica en Serbie, gérée par la JNA, qui a accueilli des centaines de détenus.

e. à la prison militaire de Sid en Serbie, gérée par la JNA, qui a accueilli une centaine de détenus.

f. dans les locaux de la police et dans le hangar situé à côté de la gare ferroviaire de Dalj, SAO SBSO, gérés par la JNA et la TO locale serbe, lesquels ont accueilli des centaines de détenus.

g. dans le centre de formation de la TO d’Erdut, également appelé base militaire d’« Arkan », SAO SBSO, géré par des membres de la TO serbe locale et les « Tigres d’Arkan », qui a accueilli environ cinquante-deux détenus.

h. à la ferme Ovcara, près de Vukovar, en SAO SBSO, gérée par la JNA, qui a accueilli environ trois cents détenus.

i. à l’entrepôt de Velepromet, près de Vukovar, en SAO SBSO, géré par la JNA, qui a accueilli une centaine de détenus.

j. au poste de police d’Opatovac, en SAO SBSO, géré par la JNA, qui a accueilli des dizaines de détenus.

k. dans l’écurie ou l’atelier de Borovo Selo, SAO SBSO, géré par des membres de la milice et de la TO locale serbe, qui a accueilli environ quatre-vingts détenus.

33. Les conditions de vie dans ces centres de détention étaient terribles : les traitements inhumains, le surpeuplement, le manque de nourriture, le travail forcé, le manque de soins médicaux et les violences physiques et psychologiques permanentes, notamment les simulacres d’exécution, la torture, les passages à tabac et les agressions sexuelles, étaient la règle.

34. Par ces actes et omissions, Goran HADZIC a commis les crimes suivants :

Chef 5 : Emprisonnement, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 e) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 6 : Torture, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 f) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 7 : Actes inhumains, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 i) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 8 : Torture, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) commun des Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par les articles 3 et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 9 : Traitement cruel, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) commun des Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par les articles 3 et 7 1) du Statut du Tribunal.

CHEFS D’ACCUSATION 10 ET 11
(EXPULSION, TRANSFERT FORCÉ)

35. Du 1er août 1991 à la fin juin 1992, Goran HADZIC, agissant seul ou de concert avec les autres membres connus ou inconnus d’une entreprise criminelle commune, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter des expulsions ou transferts forcés des populations civiles croates ou des autres populations civiles non serbes sur le territoire de la SAO SBSO.

36. À cet effet, les forces serbes, composées de la milice de la SAO SBSO et de la SBN, placées sous le contrôle de GORAN HADZIC, en coopération avec d’autres forces serbes composées de la JNA, de forces de la TO locale serbe, de forces de la TO de Serbie et du Monténégro et d’unités de paramilitaires ou de volontaires, notamment la Garde volontaire serbe et d’autres unités de police, dont le MUP serbe, ont encerclé des villes, villages, hameaux et leurs environs à prédominance croate et exigé de leurs habitants non serbes qu'ils remettent leurs armes, y compris leurs fusils de chasse pour lesquels ils avaient un permis. Puis les villes, villages, hameaux et leurs environs, y compris ceux dont les habitants avaient obtempéré, ont été attaqués. Le but était d’en chasser la population. Après avoir pris le contrôle des villes, villages, hameaux et de leurs environs, les forces serbes prenaient parfois dans des rafles les civils croates et non serbes restés sur place et les transportaient de force en territoire croate sous contrôle des autorités croates, ou les expulsaient de Croatie, notamment en Serbie et au Monténégro. En d’autres occasions, les forces serbes, en collaboration avec les autorités serbes locales, ont pris des mesures restrictives et discriminatoires à l’encontre de la population non serbe, et ont lancé une campagne de terreur destinée à la chasser du territoire. La majorité des non-Serbes qui restaient a été ensuite expulsée ou transférée de force.

37. Selon les résultats du recensement effectué en 1991, la population croate et non serbe de la SAO SBSO comprenait approximativement :

47 % de Croates (90 454 individus).

L’annexe III donne le détail des chiffres de la population de cette région tels qu’ils ressortent des résultats du recensement de 1991.

38. Pratiquement tous les Croates et autres non-Serbes de cette région ont été transférés de force, expulsés ou tués.

39. Par ces actes et omissions, Goran HADZIC a commis les crimes suivants :

Chef 10 : Expulsion, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 d) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 11 : Actes inhumains (transferts forcés), un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 i) et 7 1) du Statut du Tribunal.

CHEFS D’ACCUSATION 12 À 14
(DESTRUCTION SANS MOTIF, PILLAGE DE BIENS PUBLICS OU PRIVÉS)

40. Du 1er août 1991 à la fin juin 1992, Goran HADZIC, agissant seul ou de concert avec les autres membres connus ou inconnus d’une entreprise criminelle commune, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la destruction sans motif et le pillage de biens publics ou privés appartenant à la population croate ou non serbe, sur le territoire de la SAO SBSO, actes que ne justifiaient pas les exigences militaires. Ont été détruits et pillés intentionnellement et sans motif des maisons et édifices religieux et culturels, dans les villes et villages suivants :

Dalj, Dalj Planina, Celija, Vukovar, Erdut, Erdut Planina, Aljmaš, Lovas, Sarengrad, Bapska et Tovarnik.

41. Par ces actes et omissions, Goran HADZIC a commis les crimes suivants :

Chef 12 : Destruction sans motif de villages ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, sanctionnée par les articles 3 b) et 7 1) du Statut du Tribunal international.

Chef 13 : Destruction ou endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion et à l’enseignement, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, sanctionnée par les articles 3 d) et 7 1) du Statut du Tribunal international.

Chef 14 : Pillage de biens publics ou privés, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, sanctionnée par les articles 3 e) et 7 1) du Statut du Tribunal.

 

Le 21 mai 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Procureur

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Carla Del Ponte

[Sceau du Bureau du Procureur]