Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 19 janvier 2004

2 [Audience publique]

3 --- L'audience est ouverte à 14 heures 26.

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]

6 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Affaire numéro IT-01-47-T, le Procureur

7 contre Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura.

8 M. LE JUGE ANTONETTI : Voilà, je vais donc demander aux parties de se

9 présenter.

10 M. WITHOPF : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je comparais

11 pour le Procureur. Je suis Monsieur Withopf. Je comparais avec Daryl

12 Mundis, et nous avons notre substitut d'audience, Mme Kimberly Fleming

13 aujourd'hui, de même que Charlotte Verhaeghe, qui est stagiaire pour le

14 bureau du Procureur.

15 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Je vais donc demander à la Défense de se

16 présenter.

17 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

18 Monsieur les Juges. Le général Hadzihasanovic est représenté par Mme

19 Residovic, par M. Bourgon, mon co-conseil, Mme Milanovic, notre assistante.

20 Aujourd'hui, notre client, M. le général Hadzihasanovic n'assistera pas à

21 la session. Il a pu être libéré de manière provisoire afin d'assister à

22 l'enterrement de son frère. Nous sommes reconnaissants à la Chambre d'avoir

23 pris cette décision. Le général Hadzihasanovic, conformément à la décision

24 rendue, retournera à La Haye demain et assistera à nos travaux dès

25 mercredi.

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1 Le général Hadzihasanovic nous a donné son accord de poursuivre les travaux

2 sans sa présence.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

4 Je vais donc demander à la Défense de M. Kubura de se présenter.

5 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. La

6 Défense de M. Kubura est représentée par M. Rodney Dixon, M. Mulalic, et

7 moi-même, Fahrudin Ibrisimovic.

8 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

9 La Chambre salue toutes les personnes présentes, les représentants de

10 l'Accusation et les représentants de la Défense et l'accusé, M. Kubura.

11 Effectivement, comme tout le monde l'a constaté, l'un des accusés n'est pas

12 présent aujourd'hui, dans la mesure où il a été donc frappé par un décès

13 survenu dans sa famille et sur requête donc de ses avocats pendant le week-

14 end, il a pu, avec l'accord de l'Accusation, être permis donc à l'intéressé

15 de se rendre aux obsèques de son frère. Pris en charge par l'autorité de

16 son pays, il regagnera La Haye dès demain et participera à l'audience de

17 mercredi. Bien entendu, dans le cadre de la requête, la Défense a indiqué

18 qu'elle, en accord avec son client, qu'elle représenterait l'accusé. Donc

19 les débats vont pouvoir se poursuivre en l'absence de l'accusé mais en

20 présence de ses avocats.

21 Nous avons au programme d'aujourd'hui, deux témoins. Je souhaiterais, avant

22 d'introduire les témoins, que l'Accusation nous indique quelle est la durée

23 prévisible d'interrogatoire pour chaque témoin.

24 Monsieur Withopf ou Monsieur Mundis.

25 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, nous considérons que

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1 nous allons terminer l'interrogatoire des deux témoins aujourd'hui. En ce

2 qui concerne le premier témoin, nous pensons que l'interrogatoire principal

3 durera environ 45 minutes. En ce qui concerne le deuxième témoin, à notre

4 avis, l'interrogatoire principal va durer environ une heure, une heure et

5 quart.

6 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais demander à Mme l'Huissière, d'introduire le

7 témoin.

8 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Monsieur. Je vais vous demander si vous

10 entendez la traduction ?

11 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

12 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous allez indiquer à la Chambre quels sont

13 vos prénoms et nom.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis Niko Petrovic de Kakanj. Je suis né le

15 19 avril 1965, à Kakanj.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Quelle est votre profession ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis monteur de chauffage central.

18 M. LE JUGE ANTONETTI : Et quelle est la ville où vous résidez

19 actuellement ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Kakanj.

21 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vous allez lire un texte qui est la

22 prestation de serment du témoin devant la Chambre. Mme la Greffière vous

23 présente le document, et je vous demande de le lire à voix haute.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

25 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

2 LE TÉMOIN: NIKO PETROVIC [Assermenté]

3 [Le témoin répond par l'interprète]

4 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, Monsieur, vous allez répondre à des questions

5 qui vont vous être posées par le ou les représentants de l'Accusation. Ces

6 personnes sont situées à votre droite.

7 Normalement, il nous est indiqué que des questions vont durer pendant une

8 période de trois-quarts d'heures à peu près. Après ces questions, la

9 Défense, qui est située à votre gauche, vous posera, dans le cadre d'un

10 contre-interrogatoire, des questions également et, le cas échéant, les

11 Juges, qui sont devant vous, pourront également vous poser des questions.

12 Nous vous demandons de répondre de la manière la plus complète possible aux

13 questions posées. Si vous ne comprenez pas les questions, demandez à celui

14 qui vous la pose de la reformuler, de la reposer. Evitez de répondre par

15 oui ou par non. Essayez de répondre de manière complète.

16 Dans ces conditions, je donne la parole aux représentants de l'Accusation

17 pour l'interrogatoire principal.

18 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

19 Interrogatoire principal par M. Mundis

20 Q. [interprétation] Témoin, où viviez-vous en 1992 ?

21 R. Je vivais à Kakanj.

22 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, dire aux Juges à quoi ressemblaient les

23 rapports interethniques entre les groupes différents à Kakanj en 1992.

24 R. Les rapports interethniques à Kakanj en 1992 étaient plus tendus que

25 d'habitude puisqu'on a commencé à procéder au partage de la Bosnie, et à la

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1 séparer. Dans les médias, on pouvait lire les propositions d'avoir trois

2 républiques sur le sol de la Bosnie-Herzégovine. La Serbie devait avoir une

3 partie et la Croatie une autre.

4 Q. Monsieur le Témoin, en 1992, où travailliez-vous ?

5 R. En 1992, je travaillais dans la société Velepromet Visoko, à Kakanj. Il

6 s'agissait de notre succursale de Kakanj, et l'entreprise mère était à

7 Visoko.

8 Q. Quel était le travail que vous faisiez en 1992 ?

9 R. En 1992, les commerces ont commencé à faire. A l'époque, je travaillais

10 comme chauffeur. J'aidais le chauffeur qui travaillait dans l'entreprise.

11 Les commerces fermaient à l'époque de plus en plus, parce que la crise

12 était déjà en place. On allait chercher l'argent lorsqu'un commerce

13 fermait, lorsqu'on procédait aux inventaires. La situation était très

14 difficile. L'entreprise était sur le point de faire faillite. Les employés

15 ne recevaient plus de salaire. Je transportais les marchandises qui

16 restaient sur place lorsqu'on fermait certaines succursales.

17 Q. Monsieur le Témoin, vous avez mentionné la situation la veille du

18 conflit. Est-ce que vous vous souvenez à quel moment le conflit a éclaté ?

19 R. Le conflit a éclaté en 1992. Un groupe est entré et a été capturé vers

20 la Croatie. Vers Kraljevo Sutjeska des Moudjahiddines avaient fait leurs

21 apparitions. Le HVO a capturé trois Moudjahiddines et ensuite, nous étions

22 innocents et nous avions l'obligation de travail, mais nous avons néanmoins

23 été arrêtés, alors que nous ne faisions même pas partie de structure

24 militaire, mais puisque nous étions Croates, c'est ce qui nous est arrivés.

25 Ils voulaient faire la même chose sur nous que ce que les leurs avaient

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1 subi. La situation était tendue à l'époque.

2 Q. Monsieur le Témoin, le conflit armée à Kakanj, quand est-ce qu'il a

3 commencé là où vous viviez ?

4 R. Le conflit à Kakanj a commencé en 1993, alors que moi-même j'ai été

5 blessé le 18 mai 1993. Après cela, je suis resté pendant quatre jours et à

6 ce moment-là, j'ai risqué, je suis parti avec ma femme et ma grand-mère

7 chez des paysans. A l'époque c'était risqué. Il n'y avait pas de voitures

8 qui passaient. La situation était très dangereuse. Tout le monde était --

9 s'était retiré chez lui et personne ne sortait à l'extérieur.

10 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, juste une petite

11 correction dans la traduction. A la ligne 13, il est écrit "après que

12 j'était blessé." Mais le témoin a dit "après mes problèmes, après ce que

13 j'ai subi." Donc il s'agit d'une erreur d'interprète. Le témoin a dit

14 "après ce que j'ai subi," et non pas "après que j'étais blessé." Je demande

15 que cette correction soit introduite dans le compte rendu d'audience.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, vous avez entendu la remarque de

17 la Défense. La Défense dans votre langue a compris que vous aviez dit

18 "après ce que j'ai subi," alors que le texte que nous avons en anglais

19 devant nous indique "après que vous ayez été blessé." Donc c'est bien le

20 terme "subi" ou "blessé" que vous avez employé ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] En 1993, ce que j'ai subi, c'est que j'étais

22 arrêté par le MOS. J'étais donc une victime civile des évènements.

23 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous n'avez pas été blessé physiquement. Vous n'avez

24 pas eu de plaies, de blessures physiques, à moins que vous ayez eu des

25 blessures psychologiques ou morales.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Les blessures en existaient -- m'ont été

2 infligés après l'interrogatoire au motel. A ce moment-là, on était quinze

3 au total. Nous avons été arrêtés, et par la suite, j'ai reçu un coup de

4 matraque sur la tête et j'étais couvert de sang. Je peux fournir également

5 des documents médicaux qui prouvent les blessures. J'avais des blessures

6 ouvertes sur le crâne.

7 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, je vais redonner la parole à l'Accusation qui

8 va continuer ses questions. Poursuivez.

9 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

10 Q. Monsieur le Témoin, vous avez mentionné la date du 18 mai 1993. Est-ce

11 que vous pourriez dire au juge de la Chambre si, à ce moment-là, vous étiez

12 soldat dans une quelconque unité ou organisation militaire à la date du 18

13 mai 1993 ?

14 R. Non. Le 18 mai 1993, dans la matinée, j'étais chez moi. La veille je

15 travaillais pour ma succursale. Il fallait de garde dans le cadre du

16 travail que -- du quartier général de l'état major de la Défense

17 territoriale. Ce jour fatidique le 18, j'étais chez moi dans la matinée. Un

18 groupe d'hommes est venu. Ils portaient des bandes vertes autour de leurs

19 têtes. J'avais l'obligation de travail, et je devais être de garde pour la

20 Défense territoriale, mais je n'étais membre d'aucune formation militaire.

21 Q. Monsieur le Témoin, veuillez nous dire, s'il vous plaît, ce que vous

22 voulez dire lorsque vous dites que vous aviez des obligations de le cadre

23 de la Défense territoriale. Qu'est-ce que cela veut dire ?

24 R. La Défense territoriale, ceci portait sur tous les employés, l'état

25 major de crise de la Défense territoriale a donné l'ordre selon lequel il

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1 fallait que les employés, lorsqu'ils ne travaillaient pas, gardent les

2 bâtiments qui appartenaient à notre entreprise.

3 Q. Monsieur le Témoin, quels sont les endroits ou les bâtiments que vous

4 deviez garder ?

5 R. Moi-même et puis les autres employés, nous devions garder la direction

6 là où étaient tous les papiers. C'était surtout cela, donc la direction.

7 Q. La direction de quelle entreprise -- de quelle société ?

8 R. La direction de la succursale de Velepromet de Sretno Kakanj.

9 Q. Monsieur le Témoin, cette organisation, Sretno Kakanj, l'organisation

10 Velepromet, de quoi s'agissait-il ? C'était quoi ?

11 R. C'était la direction. C'est là qu'affluaient tous les fonds recueillis

12 dans les commerces différents qui vendaient les produits électroménagers.

13 C'était cela l'activité principale de Velepromet.

14 Q. Donc, Velepromet était une entreprise, est-ce exact ?

15 R. Oui.

16 Q. Quelle était votre tenue vestimentaire, lorsque vous acquittiez des

17 tâches de garde au sein de cette entreprise ?

18 R. Je portais des vêtements civils. Nous recevions simplement un pistolet

19 que l'on donnait l'un à l'autre, lorsqu'on faisait le travail à celui du

20 portier. Ce même pistolet changeait de main lorsqu'une nouvelle relève

21 arrivait.

22 Q. Monsieur le Témoin, vous nous avez dit tout à l'heure que, le 18 mai

23 1993, un groupe est arrivé. Est-ce que vous pourriez dire aux Juges vers

24 quelle heure vous avez vu ce groupe et où vous vous trouviez à ce moment-

25 là ?

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1 R. Ce groupe de personnes est arrivé à une centaine de mètres par rapport

2 à ma maison en aval de la rivière de Bosna. C'était à environ 150 à 200

3 mètres de l'hôtel Sretno. C'était un groupe de dix personnes. A ce moment-

4 là, j'étais devant ma maison et j'ai vu qu'ils étaient en train d'escorter

5 les gens du voisinage de la maison, qui était devant la mienne et des

6 autres maisons. J'ai vu qu'ils arrêtaient tous ceux dont l'appartenance

7 ethnique n'était pas musulmane, à savoir, ils n'arrêtaient que les

8 orthodoxes et les catholiques, les civils.

9 Q. Est-ce que ce groupe est arrivé jusqu'à votre maison ?

10 R. Oui. Ce groupe est arrivé jusqu'à ma maison. Mon père, qui était un

11 homme civilisé, leur a demandé ce qu'ils voulaient, ce qu'ils cherchaient.

12 Ils ont dit : "Nous ne faisons que surveiller la région." Il leur a proposé

13 de s'asseoir, de prendre un verre, de prendre un café. On était en mai, il

14 faisait chaud dehors et ma mère leur a préparé un café qu'elle a servi à

15 l'extérieur. Mon père m'a envoyé au puit, qui était à une vingtaine de

16 mètre de ma maison. J'ai pris la carafe, je suis allé vers le puit, mais

17 l'un d'eux est allé me voir et il m'a demandé de lui montrer ma carte

18 d'identité. Ils m'ont emmené alors que je portais encore des pantoufles sur

19 mes pieds, mais ils m'ont emmené, soit disant, afin que je fasse une

20 déclaration à l'hôtel Sretno, au motel Sretno de Kakanj.

21 Q. Monsieur le Témoin, vers quelle heure du 18 mai 1993, est-ce qu'ils

22 vous ont emmené ?

23 R. C'était vers midi, midi et demi.

24 Q. Quelle était la distance approximative entre votre maison et le motel

25 Sretno ?

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1 R. La distance entre ma maison et le motel était d'environ 150 à 200

2 mètres. Je vois le motel depuis ma maison encore aujourd'hui.

3 Q. Combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver au motel depuis votre

4 maison ?

5 R. Il m'a fallu environ cinq minutes entre ma maison et le motel puisque

6 j'étais escorté par deux hommes et je marchais devant eux. On a pris un

7 raccourci pour y arriver.

8 Q. Les deux hommes, qui vous ont emmené au motel Sretno, comment étaient-

9 ils vêtus ?

10 R. Ces deux hommes portaient un ruban épais vert autour de leur tête et

11 ils avaient également un ruban un peu plus étroit autour de leurs bras. Ils

12 portaient un uniforme de camouflage.

13 Q. Est-ce qu'ils étaient armés ?

14 R. Ils portaient des armes, des fusils automatiques.

15 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, dire à la Chambre de première instance

16 ce qui est arrivé immédiatement après votre arrivée au motel Sretno, le 18

17 mai 1993 ?

18 R. Oui. Je peux vous le dire avec exactitude. Lorsque je suis arrivé au

19 motel, j'ai subi des choses. Je ne pouvais pas croire que les hommes

20 peuvent être aussi peu humains. Je ne sais pas comment m'exprimer

21 différemment. Lorsqu'ils nous ont fait venir, comme je vous le dis, on

22 était une quinzaine à une personne prêt peut-être, mais je pense que ce

23 n'est pas le nombre qui importe. Ce qui importe, c'est ce qui s'est passé.

24 Il m'est difficile d'exprimer cela. Comment on peut faire subir des choses

25 pareilles aux êtres humains.

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1 On est entré dans le motel Sretno dans le sous-sol. Il y avait une pièce

2 assez large à l'entrée et il y avait une autre pièce un peu plus étroite et

3 c'est là qu'ils nous ont jeté. Lorsqu'ils ont fait cela, il y avait une

4 chaise dans la partie large et nous, on était verrouillé dans la partie

5 plus étroite. Ce qu'ils nous ont dit, c'est que, maintenant, il fallait que

6 l'on vienne vers la chaise pour subir un interrogatoire. J'ai été le

7 premier à répondre. Je me suis levé. J'étais un peu plus costaud que les

8 autres. Je voulais voir ce qu'ils voulaient.

9 Cependant, le pire m'est arrivé. Ils m'ont placé sur la chaise, un homme

10 armé était à côté de moi, l'autre derrière, et il y en avait un autre

11 devant moi. J'étais assis, comme je suis assis là maintenant, et l'homme

12 m'a demandé quel était mon nom. Je lui ai dis que je m'appelais Niko

13 Petrovic. Il m'a dit : "Tu n'es pas celui-là." Je lui ai répondu de

14 nouveau, j'ai dit : "Je suis Niko Petrovic." Il a commencé tout d'abord à

15 placer sa botte militaire sur mes doigts et là, il m'a dit : "Tu es un

16 Oustachi. Je veux voir maintenant comment ton sang d'Oustachi pu." Il était

17 farouche et, tout d'un coup, il a poussé un cri, il a dit : "Qu'attends-tu,

18 il faut le frappé." A ce moment-là, celui qui était sur ma droite, m'a

19 donné un coup de botte sur la tempe. J'ai des documents médicaux qui

20 peuvent prouver cela, donc ici, sur la tempe. Cela fait sortir un bleu

21 immédiatement. Bien sûr, j'ai sursauté à ce moment-là; cependant, l'autre

22 m'a frappé à coups de crosse de fusils ce qui a fait que j'ai retrouvé ma

23 position initiale. A ce moment-là, celui qui était en face, qui avait dit

24 que je n'étais pas Niko Petrovic et qu'il allait voir comment mon sang

25 puait, il m'a donné un coup de pied sur la poitrine. A ce moment-là, il a

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1 dit : "Personne suivante." Ils m'ont poussé à côté de moi et ils ont fait

2 subir à peu près la même chose aux autres, un à un. Est-ce que je peux

3 continuer ?

4 Q. Permettez-moi de vous interrompre un instant. Lorsque vous dites qu'ils

5 ont poursuivi de cette manière, un par un, un après l'autre --

6 R. Je ne comprends pas votre question.

7 Q. Monsieur le Témoin, vous venez de dire : "Qu'ils vous ont reposés à

8 l'endroit où il y avait des détenus et qu'ils ont procédé de cette manière

9 un par un". Qu'entendiez-vous par là ?

10 R. Je souhaitais dire par là que, puisqu'ils étaient trois à cet endroit,

11 ils m'ont ramené à l'intérieur et c'est un autre qu'ils ont fait sortir.

12 Ils ont dit simplement : "Suivant". C'est ainsi qu'ils allaient subir la

13 même chose que ce que j'avais vécu, c'est tout.

14 Q. Monsieur le Témoin, cette chaise où l'on vous a placé, pouvez-vous

15 préciser où se situait cette chaise par rapport à la pièce où vous étiez

16 détenu avec d'autres personnes ?

17 R. Cette chaise était placée exactement au milieu de cette partie plus

18 large de la pièce. De là, les autres personnes pouvaient observer ce qui

19 s'y passait. Ils pouvaient observer ce qui allait leur arriver, à eux

20 aussi.

21 Q. Pendant que vous étiez assis sur cette chaise, pendant qu'on vous

22 interrogeait et que vous avez fait l'objet de mauvais traitements, est-ce

23 qu'il vous a été possible de voir les autres détenus qui se trouvaient dans

24 la pièce dont la porte était verrouillée ?

25 R. Oui, je pouvais les voir, tout à fait.

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1 Q. Témoin, vous nous avez dit qu'il y avait à peu près 15 personnes

2 détenues dans cette pièce avec vous. Vous rappelez-vous des noms de ces

3 détenus ?

4 R. Bien sûr, que je m'en souviens. C'étaient Vucenovic Ljubisa, Marusic

5 Josip, Krkeljas Zeljko, Krkeljas Mladenko, deux frères qui ont dû se donner

6 des gifles, l'un à l'autre. Après la deuxième torture, on nous a forcé à

7 cela. On a dû voir comment un frère maltraitait l'autre, sur ordre d'autres

8 personnes qui observaient cela, des bourreaux.

9 Q. Monsieur le Témoin, je viendrai à cela dans un instant. Avant, je

10 souhaite vous poser quelques questions au sujet de l'interrogatoire. Savez-

11 vous combien d'autres détenus ont subi un interrogatoire comparable au

12 votre ainsi que des mauvais traitements semblables aux vôtres ?

13 R. Je ne sais pas combien d'autres personnes. Je ne sais pas comment

14 entendez-vous cela. Nous tous, tous les 15, on a été maltraités à cet

15 endroit.

16 Q. Lorsqu'on vous a replacé dans la pièce -- dans l'autre pièce, avez-vous

17 pu voir les autres personnes faire l'objet de mauvais traitements ?

18 R. Oui, ils ont tous été maltraités, nous tous, tous les 15.

19 Q. S'il vous plaît, dites à la Chambre de première instance ce que vous

20 avez vu, ce qui est arrivé aux autres hommes qui étaient détenus avec vous

21 dans cette pièce.

22 R. Je peux le dire très précisément. Ce qui leur est arrivé, ce n'était

23 nullement mieux que ce qui m'est arrivé à moi. Quand il y a eu cette

24 première tournée, parce qu'il y en a eu plusieurs, plusieurs passages à

25 tabac, ce n'était qu'un premier. Mais il leur est arrivé la même chose,

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1 autrement dit, c'était en guise d'avertissement pour nous montrer ce qui

2 allait nous arriver.

3 Q. Témoin, vous venez de nous dire que vous avez vu deux frères s'infliger

4 des coups mutuellement. Pouvez-vous nous dire à quel moment cela s'est

5 produit, et quels ont été les circonstances de cet événement ?

6 R. Oui. Je peux vous le dire. Je peux vous dire quelles ont été les

7 circonstances aussi. Il s'est passé à peine une trentaine de minutes depuis

8 le premier passage à tabac, les provocations, les gestes cruels et, après,

9 il en est arrivé davantage. Ils étaient un groupe d'environ dix. Ils

10 étaient armés et, nous, on n'avait rien, rien, innocent totalement. Ils

11 nous ont alignés, ils nous ont fait sortir de cette plus petite pièce dans

12 espace plus large et ils nous ont tournés l'une face à l'autre. Ils nous

13 ont forcés comme on était disposés, l'une face à l'autre, de nous donner

14 des gifles. Un frère a dû gifler son frère. J'ai dû gifler mon premier

15 voisin, ce qui est pénible. J'ai pris mon élan et, la première fois je n'ai

16 pas pu le faire, je n'ai pas pu le gifler. J'ai arrêté mon mouvement de mon

17 bras et ce membre du MOS, appelons-le le MOS, il a, à nouveau, injurié ma

18 mère oustachi, me disant que je devais le frapper et il m'a donné un coup

19 de crosse de fusil dans le dos.

20 C'est ce qui est arrivé à tout, à chacun qui ne voulait pas frapper comme

21 ils l'avaient exigé. On a asséné des gifles, un frère en frère, les voisins

22 entre eux. Ils nous ont dit qu'il fallait des coups les plus forts possible

23 dans l'estomac, les uns aux autres, et j'ai toujours des hématomes, j'ai

24 toujours des séquelles, et on peut le prouver grâce au dossier médical. Je

25 ne suis pas le seul. De sources fiables, je peux dire que l'un de nous 15 a

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1 succombé à cela. C'est tout ce que j'avais à dire pour le moment.

2 Q. Témoin, les personnes qui vous ont placés en détention, quels étaient

3 leurs habits ?

4 R. Comment dire qu'il s'agissait "d'êtres humains". Enfin, mais soyons

5 polis, soyons civilisés.

6 Ils portaient des uniformes de camouflage. La nuit tombée, ils se sont

7 peints le visage, disons que c'était la troisième partie de leur

8 débordement. Comme je l'ai déjà dit dès le début, ils avaient des bandeaux

9 sur la tête. Ils avaient des espèces de torchons verts et aussi des rubans

10 verts sur les bras, tandis que l'armée avait ses propres insignes, l'armée

11 de Bosnie-Herzégovine.

12 Q. Témoin, ces gens qui vous ont placés en détention à cet endroit, ils

13 appartenaient à quelle unité ou à quelle organisation ?

14 R. Ces gens-là, ils étaient membres de ce qui s'appelait Forces armées

15 musulmanes, le MOS.

16 Q. Témoin, vous venez de mentionner la troisième partie, comme vous l'avez

17 dit, du moins l'interprétation anglaise a appelé cela la troisième partie.

18 Alors, qu'entendez-vous lorsque vous dites : "La troisième partie des

19 mauvais traitements que vous avez subis, dans cette journée du 18 mai

20 1993" ?

21 R. Oui, je peux vous le décrire. La troisième partie, cela a été la partie

22 la plus terrible. Ils se sont alignés le long du couloir depuis la petite

23 pièce vers la pièce plus grande, une partie d'entre eux s'est placée à

24 gauche du mur, l'autre partie à droite du mur. L'un d'entre eux, sur ordre

25 de quelqu'un, et il savait très bien qui a donné cet ordre, a dit : "Qui

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1 est le fils de Mijo, qu'il se présente lui-même. Il vaut mieux cela que de

2 se faire sortir par nous." Il a été passé à tabac et il était devenu

3 insensible après ces coups.

4 Par la suite, j'ai fait un pas en avant, mais c'était suffisant. Je ne

5 pouvais plus avancé. J'ai reçu un coup de crosse de fusil dans le dos puis

6 des coups de pied par l'un, un deuxième, un troisième, et cetera. Tout le

7 long, je me suis défendu de mes propres bras dans toute la mesure du

8 possible pour protéger un petit peu ma tête. Ils n'ont pas pu tout de suite

9 m'abattre. J'ai essayé de me rapprocher dans la partie la plus étroite de

10 mes camarades et puis d'une crosse de fusil, de manière brutale, ils m'ont

11 asséné des coups.

12 Je me suis affalé près de la porte de cette petite pièce et, lorsque je

13 suis tombé par terre, j'ai commencé à perdre connaissance. Il y en a un qui

14 a posé son genou sur mon dos et j'ai senti cela, il a pris une matraque et

15 des témoins, d'autres personnes qui étaient présentes dans cette pièce,

16 peuvent le confirmer. Ils ont compté 14 fois qu'il m'a donné des coups de

17 matraque dans la tête. Le sang ciglait d'un mur à l'autre. Il a armé son

18 pistolet et paraît-il, il a dit : "C'est ici que je vais tuer cet

19 Oustachi." Jamais je ne pourrais accepter que l'on me traite ici. J'ai mon

20 nom, mon prénom, voilà.

21 A ce moment-là, au moment où je perdais connaissance, j'ai entendu une voix

22 venue de plus loin et c'était un camarade classe d'école. Je ne sais pas

23 comment il s'est trouvé dans ce groupe de membres du MOS. Il aurait entendu

24 dire que j'étais là. Il aurait entendu auparavant de la bouche de

25 quelqu'un. J'ai entendu sa voix et cela semblait venir de loin, une voix

Page 1573

1 connue. C'était mon camarade de classe, Asim Music, et je considère que cet

2 homme doit être protégé. Il m'a placé à l'intérieur, lui et son collègue,

3 son camarade. Plus tard, ce même MOS les a passé à tabac parce qu'ils ont

4 fermé à clé cette porte et n'en laissait rentré plus personne. Il a dit :

5 "Je ne partirai pas d'ici tant que vous ne serez pas relâchés."

6 Je considère qu'il y a de l'humanité et que cet homme doit être soutenu,

7 lui et son collègue, et, précisément, il y a quelques jours, il a commencé

8 à cracher des morceaux de ses intestins suite à ces coups.

9 Q. Témoin, suite à cette intervention par Asim Music, vous est-il arrivé

10 de subir de mauvais traitements encore une fois, le 18 mai 1993 ?

11 R. Oui, Asim m'a apporté la clé de cette serrure. Il y en a eu quelques-

12 uns qui sont arrivés en criant : "Allah-U-Ekber." De toute manière, ce

13 n'est pas cela qui m'a intéressé, mais ils nous ont forcé à nous donner des

14 coups et on a été obligé de le faire. A chaque fois qu'ils disaient cela,

15 il fallait que nous on réponde aussi. Nous, on ne le faisait pas du moins,

16 pas moi, ce ne sont pas mes salutations. Chacun doit cultiver ce qui lui

17 appartient, celui est propre. Enfin, toujours, est-il que je voulais dire

18 qu'il a fermé cela à clé. Il est reparti. Quelques-uns sont arrivés sur

19 place. Ils ne savaient pas quoi faire. Ils ont pris un morceau de bois et

20 ils nous ont dit de placer nos têtes sur les barreaux parce qu'ils ne

21 pouvaient pas rentrer. Ils nous ont dit de nous placer les uns derrière les

22 autres et que cela allait être notre dessert avant d'aller nous coucher.

23 Cela a été le dernier passage à tabac.

24 Q. Témoin, suite aux coups que vous avez reçus, le 18 mai 1993, comme

25 séquelles ou conséquences, pouvez-vous décrire à la Chambre de première

Page 1574

1 instance les blessures que vous avez subies ?

2 R. Pendant ces passages à tabac, j'ai des plaies ouvertes au niveau du

3 crâne, une blessure de cinq centimètres me semble-t-il sur la tête. Je ne

4 me souviens pas très bien. Toujours, est-il que mon crâne était ouvert. A

5 ce moment-là, j'ai des hématomes au niveau du rein gauche de la tête d'une

6 noix et sur la jambe gauche aussi, de l'os, on peut le voir dans mon

7 dossier médical. Mon dos, il était couvert d'hématomes violets, d'hématomes

8 au niveau de l'abdomen de la tête d'une poignée. C'étaient les premières

9 observations du médecin. Comme il n'a pas pu m'adresser dans un centre

10 hospitalier plus important que j'y sois traité, j'ai été emmené à Haljinici

11 et c'est là que j'ai reçu les premiers soins. J'ai été perfusé. Après, j'ai

12 pris ma femme, ma grand-mère et je suis parti de Kakanj en direction de

13 Kiseljak.

14 Q. Témoin, à quel moment avez-vous été relâché de ce centre de détention

15 dans le sous-sol du motel Sretno ?

16 R. Nous avons été relâché le 19, c'était le lendemain. Le 19, on nous a

17 relâché. Un représentant de l'armée de Bosnie-Herzégovine est arrivé, soi-

18 disant représentant de l'armée de Bosnie-Herzégovine, c'est ce qu'il nous a

19 dit. Il nous a rassemblé à cet endroit et il a fallu qu'on se présente,

20 nous tous, les membres de notre famille, frères, sœurs, où on a travaillé,

21 et cetera. Il a recueilli toutes ces informations et, en disant ce qu'ils

22 nous étaient arrivés, ce n'était pas le fait de l'armée, mais du MOS, les

23 forces armées musulmanes et que nous devions lutter ensemble. Du moins,

24 c'est ce que cet homme disait. Il disait qu'il était de Visoko. Il a dit

25 qu'on devait se battre tous ensemble contre l'agresseur, contre les Serbes

Page 1575

1 qui étaient l'agresseur dans cette région-là. Ils nous ont relâchés vers 12

2 heures 20, entre 12 heures et 13 heures.

3 Q. Témoin, à ce moment-là, au moment où le représentant de l'armée de

4 Bosnie-Herzégovine est arrivé, les blessures, qui vous avaient été

5 infligées, étaient-elles visibles ou avaient-elles été soignées avant ce

6 moment-là ?

7 R. Les blessures étaient visibles, mais il y avait une certaine mise en

8 scène aussi. On disait : "Quelqu'un vous a-t-il frappé ?" Je n'avais pas de

9 miroir pour me voir, pour voir à quoi je ressemblais. Ce que je cherche à

10 dire c'est que jamais personne ne m'a fourni les premiers soins et n'aurait

11 pu le faire. Qui aurait pu me soigner dans ce sous-sol ? C'était un sous-

12 sol d'un motel, même pas d'un hôtel, d'un motel. Il aurait dit que sa

13 voiture allait m'emmener à ma maison et j'ai dit : "Non, c'est par mes

14 propres moyens, en marchant que j'irai chez moi." J'ai traversé le chemin -

15 - la ligne de chemin de fer. Je ne savais pas, en fait, dans quel état

16 j'étais, mais, en marchant sur cette distance de 150, 200 mètres, je voyais

17 que les femmes se cachaient le visage, mettaient les mains devant leurs

18 yeux et je ne comprenais toujours pas.

19 Mais quand je suis arrivé chez moi, c'était difficile.

20 Q. Témoin, peu après votre retour à la maison, vous avez été traité,

21 n'est-ce pas ? Vous avez été soigné comme vous nous l'avez décrit il y a

22 instant, n'est-ce pas ?

23 R. Oui, je suis arrivé chez moi. Mon père s'est caché, il est parti

24 pleurer. Il ne pouvait pas voir cela. Ma mère a commencé à jurer. J'ai dit

25 : "Ne jure pas. Tout ira bien." J'ai demandé à ma femme de m'apporter de

Page 1576

1 l'eau pour que je puisse me laver les cheveux. Je ne savais pas que mon

2 crâne était ouvert. J'ai pris du shampooing et de l'eau. J'ai commencé à

3 m'en mettre dans les cheveux, mais j'ai commencé à saigner, donc j'ai

4 demandé à ma femme d'apporter une serviette.

5 Marinko Marusic et son frère Josip Marusic sont arrivés à ce moment-là.

6 Nous avons pris ma voiture et j'ai conduis jusqu'au dispensaire,

7 indépendamment de l'état où j'étais, et c'est là que j'ai été accueilli par

8 cinq médecins. Ils ne cherchaient pas, à savoir quelle était notre origine

9 et je les remercie de l'avoir fait. Ils m'ont soigné et je suis rentré chez

10 moi.

11 Près du garage, à l'époque, il y avait le Bataillon français à Kakanj avec

12 un interprète. Il est venu voir ce qui s'était passé et ils ont dit qu'ils

13 allaient nous protéger. J'ai simplement ouvert mes vêtements pour montrer

14 mon torse et j'ai dit : "Il n'est pas possible de nous protéger. On est

15 sans protection."

16 Q. Je vous remercie, témoin.

17 M. MUNDIS : [interprétation] L'Accusation n'a plus de questions, pour le

18 moment, à poser à ce témoin, Monsieur le Président.

19 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, un Juge va poser les questions, Monsieur le

20 Témoin.

21 Questions de la Cour :

22 Mme LA JUGE RASOAZANANY : Je voudrais vous poser deux questions. La

23 première : est-ce que ces personnes, qui étaient détenues avec vous et qui

24 ont subi des mauvais traitements, étaient-elles tous des civils ou y avait-

25 il des militaire parmi ces personnes ?

Page 1577

1 La deuxième question est celle-ci : est-ce qu'il y avait des femmes qui

2 étaient détenues avec vous ?

3 R. Pour ce qui est de la première question, que vous m'avez posée, c'était

4 tous des civils.

5 La deuxième question : il n'y avait pas de femmes et il n'y avait que des

6 hommes.

7 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Il nous reste 20 minutes avant la pause.

8 Je vais donner la parole à la Défense pour le contre-interrogatoire.

9 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

10 Contre-interrogatoire par Mme Residovic :

11 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Petrovic. Je suis Edina Residovic.

12 Je représente ici le général Enver Hadzihasanovic et j'ai quelques

13 questions à vous poser.

14 Vous avez dit que vous êtes né à Kakanj, que vous y avez vécu jusqu'en

15 1993, voir même, aujourd'hui ? Est-ce bien exact ?

16 R. Oui, c'est ça.

17 Q. Mon éminent collègue vous a demandé également quelque chose, à quoi

18 vous avez répondu que vous travaillez depuis 1992 en tant que chauffeur

19 dans l'entreprise Velepromet de Visoko dans leur succursale de Kakanj. Est-

20 ce bien cela ?

21 R. Oui.

22 Q. Dites-moi, Monsieur Petrovic, si, pendant cette période-là, fin 1992

23 début 1993, en travaillant en tant que chauffeur, il vous est arrivé de

24 parcourir toute cette zone de Kakanj, Visoko, Kiseljak, Busovaca, Zenica ?

25 R. Oui. J'ai parcouru ce secteur jusqu'à Visoko parce que c'était là le

Page 1578

1 siège de Velepromet, une fois par semaine environ.

2 Q. Avant qu'il ne vous arrive ce que vous venez de relater à la Chambre de

3 première instance, ce qui vous est arrivé, le 18 mai 1993, est-il exact de

4 dire qu'avant cela, il n'y a pas eu de conflit à Kakanj entre l'armée de

5 Bosnie-Herzégovine et le HVO ? C'est bien cela ?

6 R. Il n'y a pas eu de conflit, non.

7 Q. Cependant, à cause des conflits qui ont éclaté pas loin de cet endroit,

8 il y a eu quelques tensions -- il y avait des tensions à Kakanj.

9 R. Oui.

10 Q. En travaillant en tant que chauffeur, mais aussi par la voie des

11 médias, vous avez appris qu'un conflit armé avait éclaté entre l'armée de

12 Bosnie-Herzégovine et le conseil de la Défense croate dans cette zone au

13 sens large du terme, la Bosnie centrale. Est-ce bien cela ?

14 R. Pourriez-vous répéter votre question ?

15 Q. Monsieur Petrovic, vous avez dit qu'en travaillant, vous vous rendiez à

16 Visoko et à d'autres endroits ?

17 R. Oui.

18 Q. Alors, j'aimerais savoir, pendant que vous travailliez, est-ce que vous

19 avez eu l'occasion d'apprendre qu'au début de l'année 1993, dans les

20 localités voisines, Busovaca, Kiseljak, Vitez, il y a eu un conflit armé ou

21 des conflits armés qui ont éclaté entre l'armée de Bosnie-Herzégovine et le

22 HVO ?

23 R. A ce moment-là, cela ne s'est pas produit. C'est après le 18 mai. C'est

24 seulement, à peu près, après un mois, que les conflits ont éclaté entre le

25 HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine. A ce moment-là, pendant cette

Page 1579

1 période-là, il n'y avait pas de conflit pendant que je circulais, mais les

2 tensions étaient plus importantes, accrues. On voyait des indications ou

3 des messages de délimitations à côté de la route.

4 Q. Vous avez dit que vous n'étiez membre d'aucune formation militaire,

5 mais que vous faisiez l'objet d'une astreinte, d'une obligation de travail

6 dans votre entreprise, au début de l'année 1993 ?

7 R. C'est cela.

8 Q. S'il vous plait, dites-moi, si, après cela et ce avant la guerre, vous

9 avez rejoint une unité armée.

10 R. Je suis devenu membre d'une unité armée en 1993, après la chute de

11 Fojnica. J'ai un dossier médical aussi. Je me suis rendu à des examens

12 médicaux et, une dizaine de jours plus tard, je devais me présenter de

13 nouveau au médecin à l'hôpital de guerre; cependant, je n'ai pas pu le

14 faire puisque l'armée avait pris le contrôle de Fojnica -- s'était emparé

15 de Fojnica et la partie supérieure de Fojnica, vers Dusina. On m'a engagé

16 de force puisque, dans les avis médicaux, on m'avait dit que je devais me

17 reposer. Le HVO m'a forcé à prendre l'arme.

18 Q. Vous avez été membre du HVO, à partir de ce moment-là jusqu'à la fin de

19 la guerre, depuis le milieu de l'année 1993.

20 R. Oui.

21 Q. Votre QG principal du HVO se trouvait à Grude, c'est bien cela ?

22 R. Je ne le sais pas car j'étais à Fojnica, et cela appartenait à Kisljak.

23 Q. Très bien. Vous avez dit qu'il y a eu un certain nombre de tensions à

24 Kakanj également. S'il vous plaît, dites-moi s'il est exact qu'à l'époque à

25 Kakanj, il y avait une Brigade du HVO qui avait été basée d'abord au

Page 1580

1 centre-ville et, à partir du mois d'avril 1993, ce QG a été déplacé à cinq

2 kilomètres à l'est de Kakanj, dans le village de Haljinici. Est-ce exact ?

3 R. Oui.

4 Q. Fin avril, début mai, il vous a été possible de voir qu'une partie de

5 la population croate se repliait de Kakanj, vers Vares et Busovaca. Est-ce

6 exact ?

7 R. J'ai quitté Kakanj après ce que j'ai subi quatre jours plus tard. Pour

8 ce qui est de la suite des événements, je ne sais pas.

9 Q. Est-il exact qu'au début de l'année 1993, un certain nombre, pas de mal

10 de réfugiés ont commencé à arriver à Kakanj du secteur de Busovaca,

11 Kiseljak, Vitez ? Est-ce exact ?

12 R. Non. Les réfugiés, dans la période que vous venez d'évoquer, venaient,

13 dans la majorité des cas, d'Ilijas.

14 Q. Quant ils vous ont emmenés dans le motel Sretno, est-il exact que,

15 pendant toute la durée de ces horribles événements que vous avez vécus, les

16 gens, qui vous ont fait subir ces sévices, portaient des peintures sur le

17 visage ? Ceci est-il exact ?

18 R. Oui.

19 Q. Je vais maintenant répéter ce que vous avez déjà dit, à savoir qu'un de

20 vos camarades d'école est arrivé. Il sortait de ce groupe et c'est lui qui

21 a empêché que les mauvais traitements à votre encontre se poursuivent,

22 n'est-ce pas ? Ceci est-il exact ?

23 R. Oui.

24 Q. Dès l'arrivée des membres de l'armée, vous avez été libéré après une

25 courte discussion.

Page 1581

1 R. Oui.

2 Q. Comme vous l'avez dit, vous avez, à ce moment-là, reçu des soins

3 d'urgence à l'hôpital de Kakanj, et il a été constaté, à cette occasion,

4 que vous aviez une plaie ouverte sur la tête, d'une longueur de cinq

5 centimètres, dont la profondeur allait jusqu'à l'os, n'est-ce pas ?

6 R. Oui.

7 Q. A ce moment-là, vous n'aviez pas de fracture de crâne, n'est-ce pas ?

8 R. La plaie était recousue.

9 Q. Ce même jour, le jour où vous avez été examiné à l'hôpital de Kakanj,

10 vous avez été transféré à Haljinici, dans l'hôpital du HVO, où l'on vous a

11 dispensé d'autres médicaments, n'est-ce pas ?

12 R. Oui.

13 Q. Le lendemain, à bord d'une ambulance du HVO et accompagné de votre

14 famille, vous avez été transféré à Fojnica, où vous avez continué à vous

15 rendre dans l'hôpital de guerre du HVO pour y recevoir des soins médicaux,

16 n'est-ce pas ?

17 R. Non. Accompagné de mon épouse et de ma grand-mère, j'ai été emmené à

18 bord de ma voiture personnelle.

19 Q. A partir de 1997, vous avez commencé à éprouver un certain nombre de

20 problèmes et vous avez entamé des soins auprès d'un neuropsychiatre, n'est-

21 ce pas ?

22 R. Oui.

23 Q. Merci beaucoup, je n'ai plus de questions à poser à ce témoin.

24 M. LE JUGE ANTONETTI : La Défense de M. Kubura voudrais poser des

25 questions.

Page 1582

1 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je n'ai que

2 quelques questions à poser à ce témoin.

3 Contre-interrogatoire par M. Ibrisimovic :

4 Q. [interprétation] Pouvez-vous, Monsieur, confirmer aux Juges de cette

5 Chambre de première instance, comme vous l'avez dit aujourd'hui au cours de

6 votre déposition, que vous êtes resté dans les locaux du motel Kakanj

7 pendant un peu moins de 24 heures.

8 R. Oui, j'y suis resté 24 heures.

9 Q. Le lendemain, à votre sortie du motel Sretno, et c'est ce que vous avez

10 dit en réponse aux questions par ma consoeur, on vous a emmené au centre

11 médical où vous avez reçu des soins, n'est-ce pas ?

12 R. Oui.

13 Q. Vous avez dit que les soins, qui vous ont été dispensés, étaient de

14 bonne qualité et que cinq médecins se sont même occupés de vous.

15 R. Oui.

16 Q. On ne vous a pas hospitalisé au centre médical ?

17 R. Non. Je n'ai pas été hospitalisé au centre médical pour une raison bien

18 précise, à savoir que le médecin chef n'avait pas la possibilité de me

19 faire transférer dans un centre médical de qualité supérieure pour des

20 soins complémentaires.

21 Q. C'est bien le Dr. Spasojevic qui a signé votre dossier -- votre sortie

22 de l'hôpital, n'est-ce pas ?

23 R. Oui.

24 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Nous allons proposer à la Chambre ce

25 document, en tant que pièce à conviction, et nous faisons valoir que nous

Page 1583

1 avons reçu ce document de l'Accusation.

2 Q. Est-ce bien le certificat de sortie du centre médical que vous avez

3 reçu ce jour-là, après avoir reçu des soins ?

4 R. Il y a les documents que j'ai reçus des médecins.

5 Q. Mais vous l'avez reçu après votre sorti du motel Sretno, n'est-ce pas ?

6 R. Oui, après ma sortie du motel Sretno.

7 Q. Dans ce document le Dr Spasojevic constate que vous ne souffrez que de

8 blessures légères, n'est-ce pas ?

9 R. Oui, mais il est écrit dans ce document qu'il est impossible de

10 transférer le patient dans un hôpital de meilleure qualité pour des examens

11 complémentaires.

12 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] La Défense propose, Monsieur le

13 Président, de verser ce document au dossier car le témoin a parler d'un

14 fracture du crâne, alors que dans ce certificat médical, il est dit quelque

15 chose de tout à fait différente, qui est contradictoire avec la déclaration

16 du témoin, donc nous aimerions -- nous veillerons à ce qu'un nombre

17 suffisant d'exemplaires soient distribués en B/C/S et en anglais.

18 Non, pas d'autres questions.

19 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, vous allez, sur ce document,

20 marquer votre nom, prénom, et signer le document et marquer la date.

21 Marquez votre nom, prénom, la date d'aujourd'hui, nous sommes le 19 janvier

22 2004.

23 Il y a le document en B/C/S avec la traduction en anglais, je présume. Oui,

24 c'est bien ça.

25 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Oui.

Page 1584

1 [La Chambre de la première instance et la Greffière se concertent]

2 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, l'Accusation, c'est un document qui provient de

3 l'Accusation. Les observations sur le document ?

4 M. MUNDIS : [interprétation] Pas d'objection, Monsieur le Président.

5 M. LE JUGE ANTONETTI : Pas d'objection. Présentez ce document à M. Kabura.

6 Bien, les défenseurs vont le voir. Mme la Greffière, donnez-moi un numéro

7 définitif, mais B/C/S dans la mesure où --

8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agira de la

9 pièce DK3, pour la version en B/C/S, et DK3(E), pour la version en anglais.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

11 Questions de la Cour :

12 M. LE JUGE ANTONETTI : Avant de donner la parole à l'Accusation pour le

13 contre-interrogatoire, Monsieur le Témoin, les juges, qui sont devant vous,

14 ont suivi avec attention tant les questions de l'Accusation, que les

15 questions de la Défense. Il apparaît, d'après ce que vous avez dit,

16 notamment, à la suite d'une question de la Défense, que, depuis 1997, vous

17 avez des troubles de nature neurologiques. Est-ce que, selon vous, ces

18 troubles, depuis 1997, sont liés aux évènements qui se sont déroulés au

19 motel Sretno ?

20 R. Ceci est décrit dans des documents médicaux de 1993 et, avant cette

21 date, je n'avais souffert d'aucune maladie.

22 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vous avez entendu la question, qui vous a

23 indiqué que, lorsque vous avez été vu par des médecins, ceux-ci ont relevé,

24 d'après le document, que vous aviez des blessures de natures

25 superficielles, mais que vous, vous dites qu'il devait y avoir un examen

Page 1585

1 complémentaire, c'est bien ça, qui n'a pas eu lieu ?

2 R. Cela n'a pas eu lieu parce qu'il s'agissait d'un centre médical local,

3 et je répète que le médecin responsable n'a pas pu me transférer ailleurs.

4 Compte tenu de la situation, il n'a pas pu me faire transférer dans un

5 centre médical plus important pour des examens complémentaires. Mais, en

6 dehors de ces constations, un certain nombre de documents ont été établis

7 qui sont tous en conséquence de ce qui s'est passé ce jour-là, c'est-à-

8 dire, le 18 mai.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce que l'Accusation, à la suite des questions

10 posées par la Défense, veut-elle reposer quelques questions au témoin ? Si

11 c'est le cas, je vous demanderais d'accélérer.

12 M. MUNDIS : [interprétation] Nous n'avons pas de questions supplémentaires,

13 Monsieur le Président.

14 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, Monsieur le Témoin, votre interrogatoire est

15 terminé, dans la mesure où l'Accusation vous a posé des questions, dans le

16 laps de temps qu'elle avait prévu, et la Défense vous a posé d'autres

17 questions. Vous avez répondu aux questions, également, des Juges. Nous

18 vous remercions d'être venu à La Haye et nous vous souhaitons un bon voyage

19 de retour. Je vais demander à Madame l'Huissière, de vous raccompagner à la

20 porte de la salle d'audience. Merci, Monsieur.

21 [Le témoin se retire]

22 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 15 heures 45. Nous allons interrompre donc

23 l'audience pendant une durée de 25 minutes et nous reprendrons, donc

24 l'audience à 6 heures 10 pour l'audition du second témoin qui était prévu

25 ce jour.

Page 1586

1 --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.

2 --- L'audience est reprise à 16 heures 12.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, Mme l'Huissière va introduire le second

4 témoin, et nous reprenons nos travaux.

5 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

6 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Bonjour, Monsieur. Est-ce que vous entendez la

7 traduction ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je l'entends.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous allez me donner votre nom et prénom.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Marinko Marusic.

11 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est votre date de naissance ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Le 5 juin 1960.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : A quel endroit ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] A Kiseljak.

15 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est votre profession ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai un diplôme de foresterie, ingénieur en

17 foresterie.

18 M. LE JUGE ANTONETTI : Et que faites-vous actuellement ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Et bien, pour le moment, j'ai quelques

20 affaires dans le secteur privé à Kakanj.

21 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Quelle est votre ville de résidence ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour le moment, j'habite à Kakanj.

23 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Mme l'Huissière, qui est à côté de

24 vous, va vous donner un texte que je vous demande de lire. C'est votre

25 prestation de serment.

Page 1587

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

2 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

5 LE TÉMOIN : MARINKO MARUSIC [Assermenté]

6 [Le témoin répond par l'interprète]

7 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous venez de prêter serment. Vous allez avoir à

8 répondre à des questions qui vont peut-être posées par l'Accusation, qui

9 est située à votre droite. Il a été prévu, normalement, une durée d'une

10 heure trois quarts de questions. A la fin des questions qui vous seront

11 posées, la Défense des accusés, qui est située à votre gauche, vous posera

12 également des questions. Le cas échéant, les Juges qui sont devant vous,

13 vous poseront des questions.

14 Vous devez donc répondre aux questions de manière précise. Evitez de

15 répondre par oui ou par non. Vous pouvez développer vos réponses. Si vous

16 ne comprenez pas une question, vous demandez à celui qui vous la pose de la

17 reposer de nouveau. Je vais donc laisser la parole à l'Accusation qui va

18 procéder donc à l'interrogatoire principal.

19 M. WITHOPF : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.

20 Interrogatoire principal par M. Withopf :

21 Q. [interprétation] Monsieur Marusic, pourriez-vous, je vous prie, dire

22 aux Juges de cette Chambre si vous avez, à un moment quelconque, servi dans

23 les rangs d'une armée ?

24 R. Je n'ai jamais servi dans les rangs d'aucune armée.

25 Q. Pouvez-vous, je vous prie, nous dire pour quelle raison vous ne l'avez

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1 pas fait ?

2 R. Je n'ai pas servi des les rangs de l'armée parce que lorsque j'étais

3 enfant, je me suis blessé à l'œil gauche, et donc, j'ai une vision

4 insuffisante à l'œil gauche.

5 Q. En mai 1993, Monsieur Marusic, où habitiez-vous ?

6 R. En mai 1993, je vivais à Kakanj.

7 Q. Pouvez-vous, je vous prie, nous dire depuis quel moment, depuis quelle

8 date en mai 1993, vous vous êtes installé à Kakanj ?

9 R. Et bien voilà, je travaillais à Travnik et j'y ai travaillé jusqu'en

10 1992. Mais quand la guerre a commencé en Bosnie, donc en 1992, je crois que

11 c'était au mois de juin ou au mois de juillet, je me suis installé à Kakanj

12 car j'ai donné à l'un de mes amis, l'appartement dans lequel j'habitais à

13 Travnik. Et pour ma part, je suis allé à Kakanj car je pensais que c'était

14 un endroit plus sûr.

15 Q. Mais avant cette date, y a-t-il eu un moment où vous avez également

16 habité à Kakanj ?

17 R. Oui. En 1964, je me suis installé à Kakanj ou j'ai passé toute mon

18 enfance, école primaire, lycée. Ensuite, j'ai fait mes études à Sarajevo,

19 mais j'allais très souvent à Kakanj. Donc finalement, j'ai vécu à Kakanj

20 jusqu'en 1986.

21 Q. Quelle était la répartition ethnique de la population de Kakanj au

22 début de 1993 ?

23 R. En 1993, dans la population qui habitait à Kakanj, on trouvait des

24 représentants de tous les groupes ethniques avec une majorité de Bosniens,

25 de Serbes et de Croates.

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1 Q. Comment décririez-vous les rapports qui unissaient les Musulmans et les

2 Croates au début de 1993 à Kakanj ?

3 R. Les rapports entre ces deux peuples étaient ce que l'on peut qualifier

4 de bons. Mais la politique a fait en sorte que jour après jour les rapports

5 entre ces deux peuples se dégradent, et tout cela a fini par déboucher sur

6 des expulsions.

7 Q. Est-il arrivé à un moment en 1993 où les rapports entre les deux

8 populations se sont dégradés ?

9 R. Oui. Ces rapports se sont gâtés de façon définitive le 18 mai 1993,

10 date à laquelle d'ailleurs le conflit a commencé entre les Croates et les

11 Musulmans si l'on peut s'exprimer ainsi.

12 Q. Le 18 mai 1993, que faisiez-vous ?

13 R. Le 18 mai 1993, j'étais dans la maison familiale tout à fait

14 normalement et puis, je suis sorti. Je m'occupais de mon fils. Il avait

15 trois ans, à peu près. Il est né en 1990.

16 Q. Est-il arrivé un moment, le 18 mai 1993, où vous avez été arrêté ?

17 R. Oui. Ce jour-là, le 18 mai 1993, des formations militaires composés

18 d'hommes en uniforme ont fait irruption dans notre localité. Ces hommes

19 savaient exactement pour chaque maison de notre localité si elle était

20 habitée par un Croate ou par un Serbe. Ils ont commencé à aller d'une porte

21 à l'autre et ils nous ont regroupé. Et moi, ils m'ont trouvé dans la rue et

22 j'ai été pris également.

23 Q. Pourriez-vous, je vous prie, nous donner quelques détails

24 supplémentaires au sujet de ces formations militaires qui sont entrées dans

25 votre localité ?

Page 1590

1 R. Oui. Il s'agissait d'unités qui étaient stationnées dans le motel. Ce

2 motel se trouvait dans un secteur qui faisait partie de notre communauté

3 locale selon la dénomination consacrée. Et ces formations, nous les

4 appelions les forces armées musulmanes correspondant au sigle MOS. Ces

5 hommes portaient un uniforme. Ils avaient des bandeaux verts autour de la

6 tête et ils portaient également des brassards verts sur le bras. Sur

7 certains de ces brassards étaient inscrits le mot "Police."

8 Q. Monsieur Marusic, vous venez de dire que ces unités étaient stationnées

9 dans le motel. Pouvez-vous nous dire de quel motel vous parlez en

10 particulier ?

11 R. Oui. Il s'agit du motel qui se trouve tout près de la gare ferroviaire

12 de Kakanj. Il est de couleur noir parce que c'est le symbole de la ville de

13 Kakanj. Il a la forme d'un morceau de charbon parce que Kakanj se trouve

14 dans une région minière.

15 Q. Y a-t-il un nom particulier, Monsieur Marusic, qui désigne ce motel ?

16 R. Une désignation pour le motel ? Et bien, nous, nous l'appelions "le

17 motel". Aujourd'hui, le mot "motel" est inscrit sur le bâtiment. Je ne sais

18 pas s'il existe des catégories différentes pour ce type de bâtiment, pour

19 ce type d'installation, mais je sais qu'à l'époque c'était un motel. En

20 tout cas, c'est comme cela qu'on l'appelait.

21 M. WITHOPF : [interprétation] Peut-on montrer au témoin la pièce à

22 conviction de l'Accusation P10, je vous prie.

23 Je crois comprendre que le rétroprojecteur ne fonctionne pas, c'est bien

24 cela ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] En effet.

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1 M. WITHOPF : [interprétation] Peut-on placer cette photographie sur le

2 rétroprojecteur, je vous prie.

3 Est-ce que j'ai bien compris ? Est-ce que le rétroprojecteur ne fonctionne

4 pas, c'est bien cela ?

5 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, apparemment, il ne fonctionne pas. Alors, à ce

6 moment-là, il faudra utiliser le document -- photo, à moins que vous ayez

7 une copie du document.

8 M. WITHOPF : [interprétation] J'avais l'intention d'utiliser le système

9 informatique Sanction, mais on vient de m'apprendre que le système ne

10 fonctionne pas aujourd'hui. Donc le témoin a sous les yeux cette

11 photographie, et nous travaillerons dans ces conditions.

12 Q. Monsieur Marusic, pouvez-vous nous dire ce que vous voyez sur la

13 photographie qui vient d'être placée sous vos yeux.

14 R. Sur cette photographie, je vois le motel, c'est-à-dire ce bâtiment où

15 on nous a emmenés et passés à tabac. Je ne sais pas si vous le voyez vous-

16 même, mais devant l'hôtel, on distingue un parking, et ma maison se trouve

17 derrière le motel, à 200 mètres environ.

18 Q. Revenons, si vous voulez bien, à ces unités militaires qui ont procédé

19 à votre arrestation. A votre connaissance, ces unités étaient-elles bien

20 stationnées, logées, dans les locaux du motel que nous voyons sur cette

21 photographie ?

22 R. Oui, ces unités étaient dans ce bâtiment.

23 Q. Vous avez décrit les personnes qui vous ont arrêtaient en tant que

24 personnes qui portaient des uniformes. Est-ce que vous avez reconnu des

25 insignes militaires sur ces uniformes ?

Page 1592

1 R. Oui. Ils portaient des uniformes typiques pour leurs unités. Ils

2 portaient des rubans verts autour de leur tête et de leur bras. Ils avaient

3 deux sabres croisés sur leur ceinture, et il y était également écrit

4 "Forces armées musulmanes," ce que l'on appelait en abréviation, MOS.

5 Q. Monsieur le Témoin, est-ce que vous vous souvenez s'il y avait autre

6 chose sur cet insigne ?

7 R. Si mes souvenirs sont bons, puisque les choses se sont passées il y a

8 11 ans, il s'agissait de deux sabres croisés. Je pense qu'il y avait

9 également le dessin du territoire de la Bosnie-Herzégovine, et puis, il

10 était écrit "Forces armées musulmanes". Je pense que le fond était en vert,

11 le territoire.

12 Q. Lorsque vous avez été arrêté le 18 mai 1993, est-ce que l'on vous a dit

13 quoi que ce soit au moment de votre arrestation ?

14 R. Non. Au moment de l'arrestation, ils ne nous ont rien dit, mais ils

15 savaient très bien qui il fallait arrêter. Ils ne nous ont pas permis de

16 parler. Je portais des pantoufles de femme, puisque j'avais été dehors avec

17 mon fils. L'homme qui m'a arrêté ne m'a même pas permis de rentrer à la

18 maison pour chercher mes pièces d'identité, ni même au moins de chausser

19 des pantoufles plus appropriées ou des chaussures. Mais il a pointé son

20 fusil semi-automatique sur moi et il m'a donné l'ordre d'avancer devant

21 lui.

22 Q. Où le soldat vous a-t-il donné l'ordre de marcher ?

23 R. Il a pointé son fusil sur moi et il m'a donné l'ordre d'avancer vers le

24 motel. Nous n'avons pas pris la route habituelle. Il m'a emmené à travers

25 les cours d'autres maisons. C'était un chemin raccourci, ce qui a fait que

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1 nous devions sauter au-dessus de certaines clôtures de maisons.

2 Q. Nous sommes en train de parler du 18 mai 1993. A quelle heure de la

3 journée avez-vous reçu l'ordre de marcher au motel Sretno?

4 R. C'était dans l'après-midi, vers 17 heures.

5 Q. Avant d'arriver au motel Sretno, est-ce que vous avez appris si

6 d'autres personnes avaient été arrêtées également ?

7 R. Oui. Je savais. Nous avons reçu une information selon laquelle des

8 unités qui échappaient à tout contrôle avançaient et qu'ils arrêtaient les

9 Croates. Peu avant mon arrestation, mon frère avait déjà été emmené, de

10 même qu'un ami, Ljubisa Vucenovic.

11 Q. Pouviez-vous, s'il vous plaît, informer les Juges du nom et prénom de

12 votre frère ?

13 R. Josip Marusic, né en 1965.

14 Q. Lorsque vous êtes arrivé au motel Sretno, que vous est-il arrivé ?

15 R. Je souhaite simplement ajouter quelque chose concernant la situation

16 pendant laquelle je traversais mon quartier avec eux. Il y avait des gens

17 qui ont protesté verbalement, qui ont dit : "Pourquoi emmenez-vous ces

18 jeunes hommes ? Ils ne sont coupables de rien." Cependant, celui qui avait

19 son fusil pointé sur moi a répondu : "Arrêtez de dire ça, sinon je vais

20 vous remplir de plomb". C'est ce que je souhaitais ajouter.

21 Q. Très bien. Lorsque vous êtes arrivé au motel Sretno, que vous est-il

22 arrivé ?

23 R. Lorsque je suis arrivé au motel, il y avait déjà sept, huit personnes

24 arrêtées qui s'y trouvaient sur place d'après mon estimation. Et moi, je

25 pensais que j'allais subir un interrogatoire, que j'allais être amené dans

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1 un bureau quelque part. Je me disais que j'étais originaire de Kakanj, que

2 je connaissais beaucoup de gens là-bas, que c'est là que j'y avais terminé

3 le lycée avec certaines personnes qui étaient maintenant au pouvoir et que

4 certaines de ces personnes qui étaient au pouvoir avaient été mes

5 professeurs à l'époque, mes enseignants.

6 Je me disais que je n'avais pas de raison d'avoir peur, que j'allais subir

7 un interrogatoire et que nous allions être relâchés ensuite. Cependant, ils

8 nous ont emmené au sous-sol du motel. Je pense que c'est là que se trouvait

9 la chaudière. Au bout de dix à quinze minutes, ils ont commencé à me

10 frapper immédiatement.

11 Q. Vous avez dit que lorsque vous êtes arrivé au motel Sretno, il y avait

12 déjà cinq ou huit personnes qui étaient détenues. Est-ce qu'ils étaient

13 tous des hommes ou bien est-ce qu'il y avait également des femmes ?

14 R. Ils étaient tous des hommes.

15 Q. Pourriez-vous informer la Chambre de première instance de

16 l'appartenance ethnique de ces hommes dans la mesure dans laquelle vous

17 pouviez le savoir ?

18 R. Oui, je le sais avec exactitude. A la fin, lorsque tout le monde a été

19 emmené, on était 16. Sur ces seize personnes détenues, on était 12 Croates

20 et 4 Orthodoxes, Serbes orthodoxes.

21 Q. Ces 16 Croates et Serbes, étaient-ils des civils ou bien étaient-ils

22 membres d'une quelconque armée ?

23 R. Sur ces 16 personnes, donc nous qui étions détenus, nous étions tous

24 des civils sauf une personne qui portait en partie un uniforme. Il portait

25 le pantalon de camouflage. Je sais qu'il s'appelait Lovro. Je ne connais

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1 pas son nom de famille puisqu'il était réfugié à Kakanj. Je pense que

2 c'était le seul qui était membre du conseil de la Défense croate.

3 Q. Est-ce que vous pourriez fournir à la Chambre les noms des autres

4 détenus dans la mesure dans laquelle vous vous en souvenez ?

5 R. Oui. Je connais beaucoup de noms puisqu'il s'agissait de mes voisins.

6 Donc, il y avait moi, Marinko Marusic; mon frère, Josip Marusic, Niko

7 Petrovic, qui était déjà ici; ensuite, Zeljko Krkeljas, son frère Mladenko

8 Krkeljas, Radovan Blazenovic; ensuite Nenad Bogelja de Catici. Il y avait

9 aussi les réfugiés d'Ilijas qui étaient venus. Je ne connais que leur

10 prénom. Je sais qu'il y avait un certain Drago. C'est ça.

11 Q. Vers quelle heure le 18 mai 1993 étiez-vous au nombre de 16 détenus

12 comme vous venez de le dire ?

13 R. Le groupe s'élargissait rapidement jusqu'au nombre de 16. Après moi,

14 ils ont fait venir Niko Petrovic qui a déposé, puis ensuite, Nenad Bogelja.

15 Je ne peux pas vous dire avec certitude mais je pense qu'au bout d'une

16 heure, d'une heure et demie, nous étions au nombre de 16.

17 Q. Ces 16 détenus, est-ce qu'ils ont été tous installés dans la même

18 pièce ?

19 R. Oui.

20 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, décrire les dimensions de la pièce ?

21 R. Il s'agissait d'une pièce mais la partie gauche était séparée par des

22 barreaux. Et nous, nous étions installés dans la partie derrière les

23 barreaux dont la surface était d'environ 30 mètres carrés.

24 Q. Qu'en est-il de la lumière dans cette pièce dans laquelle vous étiez

25 détenu ?

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1 R. Il n'y avait pas de lumière dans cette pièce. La pièce était humide et

2 le sol était en béton, je pense, et il était mouillé. Il était assez sale

3 et pas droit.

4 Q. Pourriez-vous informer les Juges de ce qui vous est arrivé après que

5 vous avez été emmené dans cette pièce de détention ?

6 R. Oui, comme je l'ai dit, ils m'ont fait entrer dans cette pièce. Je

7 pensais que nous allions partir ailleurs depuis cette pièce. Cependant, au

8 bout de cinq à dix minutes, ils m'ont fait sortir et sans aucun

9 avertissement ni question, ils ont commencé à me frapper. J'ai essayé

10 simplement de demander pourquoi ils me battaient, pourquoi ils nous avaient

11 arrêté. Car, à ce moment-là, je leur ai dit, moi, je me sens bosniaque et

12 c'est d'ailleurs à cause de cela que j'étais resté chez moi.

13 Cependant, l'un des membres de ces unités a proféré un juron contre ma mère

14 en disant qu'ils étaient en train de créer la "dzamahirija" et qu'il n'y

15 avait pas de Bosnie. A ce moment-là, ils ont commencé à me battre. A chaque

16 fois que je disais quelque chose, je finissais par être encore plus frappé.

17 C'est ce que les autres, que l'on a fait sortir après moi, m'ont dit

18 également. Après cela, jusqu'au milieu de la nuit, nous nous taisions et

19 nous subissions le passage à tabac sans rien dire.

20 Q. Afin de clarifier les choses, Monsieur Marusic, dites-nous, s'il vous

21 plaît, ce que veux dire le mot "dzamahirija"

22 R. Je ne suis pas sûr de la traduction exacte mais je pense que ce membre,

23 celui qui me passait à tabac à ce moment-là, il voulait dire qu'il

24 appartenait à l'unité qui était en train de constituer un état musulman.

25 Q. Pourriez-vous décrire aux Juges quels objets ont été utilisés dans ce

Page 1597

1 passage à tabac à votre encontre ?

2 R. Ils utilisaient de nombreux objets pour nous battre. Il y avait le

3 bâton en bois; ensuite, des crosses de fusils; ensuite, un fer en forme, un

4 crochet de fer en forme de "S"; ensuite le pied d'une chaise en métal qui

5 était fait en barres de fer, en forme rectangulaire. Ensuite, ils portaient

6 des bottes. Ils nous donnaient des coups de pied avec leurs bottes et puis

7 des coups de poings. Ils avaient également une chaîne, mais comme il leur

8 était difficile de manier la chaîne, ils l'ont laissée de côté.

9 Q. Ceux qui vous passaient à tabac, étaient-ils des civils ou des

10 soldats ?

11 R. C'étaient des soldats.

12 Q. Avez-vous vu des insignes militaires sur leurs uniformes ?

13 R. J'ai remarqué qu'ils portaient des uniformes, des uniformes militaires.

14 Ils portaient cet insigne du MOS sur leur ceinture.

15 Q. S'agissait-il des mêmes insignes que ceux que vous avez décrit lorsque

16 vous avez parlé du soldat qui vous avait effectivement arrêté ce jour-là ?

17 R. Oui, et ce que j'avais oublié de dire c'était qu'ils avaient tous des

18 barbes longues.

19 Q. Ces soldats aux barbes longues, étaient-ils des soldats locaux ou des

20 étrangers ?

21 R. C'étaient des locaux.

22 Q. A combien de reprises avez-vous été passé au tabac au cours de cette

23 nuit ?

24 R. Concrètement parlant, j'ai été passé a tabac quatre fois. On nous

25 faisait sortir un à un, ce qui fait que nous avons été passés à tabac tous

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1 à peu près le même nombre de fois.

2 Q. Vous avez reçu des coups dans quelle partie de votre corps ?

3 R. Ils nous frappaient partout sur le corps. Je suppose que c'étaient des

4 gens qui avaient déjà la maîtrise des arts martiaux, car ils savaient très

5 exactement quels étaient les points qu'ils allaient frapper. Moi,

6 personnellement, c'était surtout dans la région du foie, du cœur, sur le

7 dos aussi, et la tête.

8 Q. Est-ce qu'ils vous ont également frappé sur la tête ?

9 R. Oui.

10 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je pense qu'il y a

11 une erreur de traduction, ligne 10. Il est écrit qu'il a été frappé dans la

12 région du foie, sur le dos et la tête, mais il y est écrit également les

13 parties génitales. Et le témoin --

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas dit cela.

15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. On va donc, concernant la ligne 10, reposer la

16 question au témoin afin qu'il précise exactement les parties de son corps

17 qui ont été frappées, dans la mesure où il y a eu la contestation.

18 Il faut reprendre, Monsieur Withopf, à partir de la ligne 7, 8, 9, 10, afin

19 qu'il précise.

20 M. WITHOPF : [interprétation]

21 Q. Monsieur Marusic, vous nous avez dit que vous avez été frappé dans la

22 région du foie, du dos, votre cœur et la tête. Y a-t-il d'autres parties de

23 votre corps qu'ils ont frappées ?

24 R. Oui. En ce qui me concerne, j'ai reçu le plus de blessures dans la

25 région du foie et le dos. J'ai eu plusieurs ecchymoses. En ce qui concerne

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1 d'autres détenus, lorsque j'ai vu les photos, j'ai pu constater que souvent

2 ils étaient blessés dans leurs bras ou jambes. Ils ont reçu ces blessures

3 en essayant de se protéger des coups qui leur étaient assénés.

4 Q. Est-ce que vous vous souvenez d'autres passages à tabac, des passages à

5 tabac qui ont infligés par d'autres personnes que ces gardes ?

6 R. Non.

7 Q. Est-ce que les détenus ont reçu les ordres de se battre mutuellement ?

8 R. Oui. J'étais passé à tabac quatre fois, comme je l'ai dit. Et

9 concrètement parlant, en ce qui me concerne, ils me forçaient à me battre

10 mutuellement avec le témoin qui a déposé avant, Nikola Petrovic. Ceci s'est

11 fait à deux reprises. La première fois, nous avons dû nous battre à coups

12 de poing, et à chaque fois qu'ils considéraient que le coup n'était pas

13 suffisamment violent, celui que je donnais ou que je recevais. A ce moment-

14 là, ils commençaient à nous battre, soit moi soit lui. Par conséquent, nous

15 avons dû nous battre tous les deux et nous donner des gifles mutuellement.

16 Ça c'était la première fois.

17 La deuxième fois, on a donné l'ordre que Nikola s'allonge par terre et que

18 moi, je lui donne des coups de pieds dans la région des reins. Moi, j'ai

19 essayé d'éviter de lui donner des coups sur les côtes et les reins. J'ai

20 commencé à lui donner des coups de pieds plutôt au niveau des hanches, mais

21 ils n'ont pas aimé cela. J'ai dû m'allonger et l'un de ces membres a sauté

22 sur moi. J'étais allongé à même le sol, et il a sauté sur ma cage

23 thoracique et il m'a donné plusieurs coups de pied en me disant, "Tu vois

24 comment il faut frapper". Et ensuite, il a frappé Nikola à ma place

25 plusieurs fois.

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1 Q. Au cours de cette nuit, est-ce que vous avez reçu l'ordre de la part de

2 ceux qui vous frappaient de crier quelque chose ?

3 R. Oui, nous devions crier des mots "Allah-U-Ekber" lorsque eux, ils

4 disaient "Tekbir." Donc, il disait "Tekbir," et nous, on disait "Allah-U-

5 Ekber." Nous avons dû répéter cela de nombreuses fois, peut-être 100 fois.

6 Q. Pourriez-vous informer la Chambre si tous les 16 détenus ont été passés

7 à tabac ?

8 R. Oui. Nous avons tous été passés à tabac.

9 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, informer la Chambre de la question de

10 savoir si tous les 16 détenus ont été passés à tabac dans la même mesure

11 que vous ?

12 R. Nous avons tous été passés à tabac. Je pense que nous avons été passés

13 à tabac dans une mesure plus ou moins identique.

14 Q. Pourriez-vous nous dire, Monsieur Marusic, quelque chose au sujet des

15 blessures qui ont été la conséquence de ce passage à tabac en ce qui vous

16 concerne, vous, personnellement ?

17 R. En ce qui concerne mes blessures, lorsque je suis rentré chez moi, en

18 fait, on m'a porté parce que je ne pouvais pas marcher. Mon dos était

19 complètement noir, bleu foncé. Il n'était pas possible de mettre le doigt

20 sur un point qui ne soit pas noir. J'avais plus ou moins perdu

21 connaissance. J'ai appris, par la suite, que mes yeux avaient été gonflés.

22 D'après les premiers résultats médicaux, mon foie était élargi. J'avais des

23 ecchymoses sous les côtes, à droite et à gauche. La sédimentation était

24 élevée. C'est en ce qui me concerne. Puis, j'avais une blessure dans la

25 partie gauche de ma tête. Ça, c'est en ce qui concerne mes blessures, à

Page 1601

1 moi.

2 Q. Que pouvez-vous nous dire au sujet des blessures subies par d'autres

3 détenus, des blessures subies lors de ces passages à tabac ?

4 R. Je sais quelles ont été les blessures des personnes que j'ai revues peu

5 après cet événement. Pour ce qui est de M. Nikola Petrovic, lui aussi, il a

6 reçu des blessures graves, ce jeune homme qui est venu peu avant moi, peut-

7 être. Donc, il a eu des blessures au niveau de la tête. Il me semble qu'on

8 a dû lui recoudre la tête, qu'il y a eu sept points et qu'il doit encore

9 suivre un traitement chez le neuropsychiatre. Il me semble que pour ce qui

10 est de cet aspect-là, sa situation n'est nullement rose.

11 Et il a eu les mêmes blessures dans le dos. Nous avions tous un dos bleu,

12 nous tous, les bras. Et il y avait pas mal aussi de blessures des jambes.

13 Alors, pour ce qui est de mon frère, il a eu une fracture de l'os du bras

14 gauche ou droit - je ne suis sûr - du bras gauche plutôt - et il a eu un

15 plâtre par la suite. Je sais pour Bogelja Nenad, lui aussi, il a eu des

16 blessures graves. Je me rappelle à l'instant qu'il lui ont demandé de

17 l'argent, qu'ils ont voulu qu'il leur apporte de l'argent, qu'il leur a

18 prié de l'épargner, d'aller prendre tout l'argent qu'il avait car il leur a

19 demandé de l'épargner parce qu'il avait deux enfants. Cependant, cela ne

20 l'a nullement aidé.

21 Et de manière générale, toutes les blessures ont été graves.

22 Q. Monsieur Marusic, avez-vous encore des séquelles de ces blessures que

23 vous avez subies et qui étaient le résultat des passages à tabac ?

24 R. Oui. J'ai des problèmes. J'ai des séquelles. Tout d'abord, pour ce qui

25 est de mon foie, encore aujourd'hui, lors de chacun des examens, j'ai mon

Page 1602

1 foie enflé ou élargi. J'ai encore une sédimentation élevée. Je ne suis pas

2 allé chez le médecin. J'ai aussi quelques problèmes psychologiques. Je

3 pleure facilement dès que je vois, par exemple, un film, les scènes des

4 enfants, là, je suis plutôt instable.

5 Q. A quel moment pendant cette nuit du 18 au 19 mai 1993, ces passages à

6 tabac se sont-ils arrêtés ?

7 R. Les passages à tabac ont cessé vers le lendemain matin, vers 4 heures

8 du matin. Et ceci ne se serait pas arrêté, je crois, si comme on le dit, le

9 destin ne nous avait sauvé, "sadaka" [phon] on appelle cela chez nous.

10 Alors, le garde n'avait plus de cigarettes. Il est allé se chercher des

11 cigarettes. Il a fermé à clé, la grille derrière laquelle on se trouvait.

12 Donc, vers 4 heures du matin, ces gars sont arrivés comme d'habitude,

13 probablement, pour nous frapper de nouveau. Mais ce que j'ai vu, à ce

14 moment-là, c'est qu'ils portaient des couteaux cette fois-ci. Cependant,

15 ils n'ont pas pu rentré parce que la grille était fermée à clé. Alors, ils

16 ont demandé où est le garde. On avait peur. On leur a dit qu'il était parti

17 se chercher des cigarettes. Je crois que c'est surtout cela qui nous a

18 sauvé, car sinon, enfin moi en premier lieu et puis cinq ou six autres

19 gars, on n'aurait pas pu supporter un nouveau passage à tabac

20 supplémentaire.

21 Q. Avez-vous subi un interrogatoire à un moment quelconque au motel

22 Sretno ?

23 R. Oui. Cela a été la nuit la plus longue. On attendait avec beaucoup

24 d'impatience, l'aube. Et le lendemain matin, il nous ont fait subir un

25 interrogatoire.

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1 Q. Ceux qui vous ont interrogé, était-ce les mêmes personnes qui vous

2 avaient passé à tabac ?

3 R. Quant à moi, j'ai été interrogé par un monsieur qui portait des

4 vêtements civils. Il ne portait pas d'uniforme. Je ne connais pas son nom.

5 Il avait des cheveux foncés. Il était plutôt fort, d'un physique agréable.

6 A côté de lui se tenait un membre du MOS qui avait une barbe. Quant à ce

7 membre du MOS qui est arrivé le matin, c'est quelqu'un que je connaissais.

8 Je ne me suis pas rappelé l'homme sur le champ. Je connais bien son nom et

9 son prénom car on a travaillé ensemble à Travnik. Ce gars, comment dire, ce

10 membre du MOS, puisque j'avais été son chef, le matin il m'a aidé pour que

11 je puisse laver

12 mon visage. En fait, c'est lui qui m'a lavé, qui m'a un peu nettoyé et il a

13 proposé de m'emmener -- de m'emporter pratiquement chez moi. C'est

14 uniquement dans la voiture, puisque je ne le reconnaissais pas qu'il s'est

15 présenté, en disant : "Mais tu sais, tu connais mon nom, tu sais que je

16 travaillais dans ton équipe." Voilà, c'est cela.

17 Q. Cette personne, qui se tenait à côté de l'homme en civile, comment avez

18 vous pu en arriver à la conclusion que cet homme était un membre du MOS, à

19 l'époque ?

20 R. Je le savais d'après l'uniforme qu'il portait. Il avait une barbe

21 longue, et le signe, qui nous permettait l'identification, était la

22 ceinture. C'était plutôt évident, d'après la ceinture, qu'il appartenait à

23 une Unité du MOS.

24 Q. En plus de l'homme en civile et l'homme en uniforme du MOS, y avait

25 d'autre personne présente pendant cet interrogatoire ?

Page 1604

1 R. A ce moment-là, il n'y avait personne d'autre. Pendant qu'ils m'ont

2 interrogé, il n'y avait que ces deux hommes-là. Mais, le matin, quand, ils

3 nous ont relâchés quand ils ont alignés les Croates, je ne me souviens pas

4 s'il y avait quelqu'un d'autre en plus.

5 Q. Sur quoi en -- apportait leur interrogatoire ?

6 R. Ce membre du MOS, que j'ai mentionné, avec qui j'avais travaillé, qui

7 m'a emmené à la maison, il se tenait de côté, il était debout, il n'ouvrait

8 pas la bouche. Seul cet homme, qui était assis et qui, à mon avis, tenait

9 le compte rendu, nous posait des questions. Il demandait d'où on était,

10 comment on s'appelait, où on travaillait, si on était membre d'une Unité

11 armée, quelle quel soit. Il nous demandait aussi quel était notre travail,

12 à ce moment-là, à Kakanj. C'était cela pour l'essentiel, ces questions

13 d'ordre général.

14 Q. Pendant cette journée-là, avez vous fini par être relâchés ?

15 R. J'ai été peut-être le premier à être relâché, pour ce qui est du groupe

16 entier, puisque ce jeune homme me connaissait et il ma aider moi et mon

17 frère. Je lui ai dit que mon frère était détenu là. En fait, tout d'abord,

18 il ma dit, en tête à tête, si j'avais su que tu étais là,

19 vraisemblablement, rien ne te serait arrivé. Je me suis abaissé à lui, en

20 le priant et en lui disant : écoute, si je suis coupable, tous les autres

21 sont coupables, ou plutôt il n'y a aucun qui soit coupable, tout cela est

22 des civiles. Je lui ai demandé s'il pouvait également aider mon frère

23 puisque déjà, à ce moment-là, je me suis senti en sécurité. Il m'a demandé

24 d'identifier mon frère et je lui ai dit que c'était un jeune homme qui

25 portait une chemise à carreaux. Je lui ai dit : demande lui -- il m'a dit :

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1 "Demande-lui de sortir pour que je sache du quel il s'agit." Le matin,

2 après l'interrogatoire, il m'a aidé à rincer mon visage et il m'a fait

3 sortir du motel. Là-haut il y avait déjà des gens qui étaient installés et

4 j'ai été libéré, je ne peux dire exactement, je croix vers huit heures,

5 peut-être, du matin. Autour du motel c'étaient installés des membres du MOS

6 sur le gazon, là où il y a un parking. Pour l'essentiel, ils m'ont

7 injurié, à cause de mon appartenance ethnique, et ils criaient aussi à

8 Allah-U-Ekber.

9 Lui, il m'a dit de me taire, de ne pas réagir, et il m'a fait passer

10 jusqu'à la voiture. Je croix que c'était une jeep. Il m'a emmené chez moi,

11 à ma maison. Naturellement, je l'ai remercié, je lui ai proposé d'entrer.

12 Il m'a dit qu'il avait honte et qu'il n'y avait pas lieu de faire cela.

13 Q. Au moment de votre interrogatoire, vos blessures étaient-elles

14 visibles ?

15 R. Oui.

16 Q. Savez-vous si les autres détenus ont été interrogés eux aussi ?

17 R. Oui. Je ne sais pas ce qui s'est passé sur le plan militaire à Kakanj.

18 Ils m'ont interrogé aussi, mon frère. Je ne sais pas combien d'autres

19 personnes ont été interrogées, mais ce que je sais, c'est que tous les

20 Croates ont été relâchés ce matin-là plutôt que les Serbes.

21 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

22 M. WITHOPF : [interprétation]

23 Q. Monsieur Marusic, pendant votre déposition aujourd'hui, à plusieurs

24 reprises, vous avez parlé de -- vous avez évoqué plutôt Niko Petrovic, en

25 disant que c'est la personne, qui a déposé aujourd'hui avant vous. Avez-

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1 vous récemment parlé à M. Niko Petrovic au sujet de votre déposition ici

2 devant ce Tribunal ?

3 R. Avec Niko ? Alors, je vais vous le dire, non, non, pas jusqu'au moment

4 où, moi aussi, j'ai été cité, en tant que témoin pour venir déposer. Nous

5 sommes deux personnes assez différentes. Je suppose que cette déposition-là

6 assez perturbée, il se même plaigne à moi, en me disant qu'il ne pouvait

7 pas dormir depuis qu'il a été cité comme témoin; cependant, jusqu'à dernier

8 moment, je ne lui ai pas dit que j'allais déposer, moi aussi, précisément à

9 cause de cela car je crois qu'il n'y a plus rien à ajouter. On peut en

10 parler, bien sur, et, finalement, on n'a rien à dire de substantiel.

11 Q. Je vous remercie, Monsieur Marusic.

12 M. WITHOPF : [interprétation] L'Accusation n'a plus de questions pour le

13 moment, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Juges.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

15 Questions de la Cour :

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, avant de donner la question à la

17 Défense pour le contre-interrogatoire, je voudrais que vous m'indiquez qui

18 était la personne, qui vous a libéré et qui vous a réaccompagné chez vous

19 et à qui vous l'avez invité à venir, mais elle n'a pas voulue ? C'est qui

20 cette personne, quelqu'un que vous deviez connaître ?

21 R. Oui. C'était Dervic Ismet. Il travaillait à l'usine des chaises ou

22 plutôt des meubles, dans la localité de Turbe, près de Travnik. J'avais

23 été son chef. Il a travaillé dans mon équipe sur une machine --

24 L'INTERPRÈTE : L'interprète ne connaît pas le nom de machine.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je sais que s'était un homme bien. Je sais

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1 qu'il était porteur d'une ceinture noire, au [imperceptible] et il vivait

2 dans le village Bijelo Buce.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : Mais, comme il était sur les lieux de votre

4 détention, quelles fonctions avait-il ? Il était civil ou militaire ?

5 Quelles fonctions, à votre connaissance, exerçait-il ?

6 R. Il portait un uniforme, donc il était un militaire. Je ne sais pas

7 exactement quel était son niveau ou son grade ou ses fonctions, mais je

8 suppose qu'il pouvait être garde du corps de la personne qui nous a

9 interrogé.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : A votre connaissance, de ce que vous avez vu, sa

11 fonction était une fonction élevée ou subalterne ?

12 R. Je crois que c'était un subalterne.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien.

14 Je vais donc donner la parole à la Défense pour le contre-interrogatoire.

15 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

16 Contre-interrogatoire par Mme Residovic :

17 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Marusic.

18 R. Bonjour.

19 Q. Je suis Edina Residovic et je représente ici le général Hadzihasanovic.

20 Je vous demanderais de répondre à quelques-unes de mes questions.

21 R. Oui.

22 Q. Vous avez dit que vous êtes revenu à Kakanj en 1992, que c'était parce

23 que vous considériez que c'était un endroit où vous étiez plus en sécurité.

24 Est-ce exact ?

25 R. Oui.

Page 1608

1 Q. Pendant votre séjour à Kakanj, avant les événements que vous avez

2 décrits aujourd'hui à la Chambre, vous n'étiez membre d'aucune unité

3 militaire, n'est-ce pas ?

4 R. Je n'ai pas été membre d'une quelconque formation militaire, c'est

5 exact.

6 Q. Mais vous savez qu'il y avait là des Unités de l'armée de Bosnie-

7 Herzégovine et du HVO, n'est-ce pas ?

8 R. Oui.

9 Q. Jusqu'au mois d'avril 1993, une Brigade du HVO était basée au centre de

10 la ville, de la ville de Kakanj avant de se déplacer vers l'est, à cinq

11 kilomètres à peu près, vers la localité qui s'appelait Haljinici. Est-ce

12 exact ?

13 R. Oui.

14 Q. Au début de l'année 1993, vous aviez la possibilité de suivre les

15 médias. Est-ce exact ?

16 R. Oui, c'est exact.

17 Q. Vous avez appris que, même si à Kakanj la situation était relativement

18 calme, qu'il y avait eu des conflits armés entre l'armée de Bosnie-

19 Herzégovine et le HVO, n'est-ce pas ?

20 R. Oui.

21 Q. Dès le mois de janvier 1993, ces conflits se sont déroulés au niveau de

22 Kiseljak et de Busovaca, puis en avril, à Vitez, à Ahmici et à d'autres

23 endroits en Bosnie centrale. Est-ce bien exact ?

24 R. Oui.

25 Q. Sans aucun doute, ces informations ont accru des tensions et les

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1 craintes pour qu'il y ait des mesures de représailles à l'encontre des

2 individus qui étaient membres d'autres groupes ethniques, n'est-ce pas, à

3 Kakanj ?

4 R. Oui.

5 Q. Avant cet événement, et à cause de ces tensions, un certain nombre de

6 Croates se sont mis à quitter Kakanj; cependant, vous ne l'avez pas fait,

7 vous, ni les membres de votre famille, n'est-ce pas ?

8 R. C'est cela.

9 Q. Pendant cette même période, le HVO s'est adressé à la population croate

10 en lui demandant de se replier vers Vares et Busovaca, mais, comme vous

11 l'avez dit, vous vous sentiez bosniaque et vous estimiez que vous deviez

12 rester chez vous. Est-ce exact ?

13 R. Oui. Excusez-moi, juste cette précision. Je n'ai pas été invité à me

14 retirer, me replier puisque je n'avais jamais été membre d'une formation

15 armée quelle qu'elle soit, et c'est aussi à cause de mon sentiment

16 d'appartenance que je suis resté chez moi.

17 Q. Mais vous saviez qu'il y avait des personnes qui ont bien reçu ce genre

18 d'invitation ou d'appel.

19 R. Je ne sais pas s'il y a eu des gens qui l'ont reçu. Je dois dire que,

20 moi, je n'en ai pas reçu.

21 Q. Comme vous l'avez dit, ce jour-là, le 18 mai vers 18 heures, quelques

22 soldats sont venus vous chercher. Ils sont venus devant votre maison et ils

23 vous ont emmené au motel Sretno. C'est bien cela ?

24 R. Oui.

25 Q. Pour ce qui est de ces soldats, il était possible de voir qu'ils

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1 étaient plutôt frustrés, est-ce exact ?

2 R. Je ne sais pas exactement ce que signifie exactement le terme

3 "frustré". J'ai employé plutôt un autre terme, un terme plus adéquat. Je ne

4 pense pas que c'était de la frustration. A mes yeux, ils étaient peut-être

5 plutôt drogués, dirais-je.

6 Q. Lorsqu'ils vous ont exposé à ces mauvais traitements ou ces tortures,

7 dans le sous-sol du motel Sretno, vous avez dit que l'un d'entre eux a dit

8 que cela deviendrait un dzamahirija.

9 R. Oui.

10 Q. Pendant votre déposition, vous avez donné une déclaration aux

11 enquêteurs de ce Tribunal. Est-ce bien cela ? Aux représentants du bureau

12 du Procureur.

13 R. Oui.

14 Q. Vous avez dit que ce que vous a dit ce soldat, que vous n'en avez pas

15 fait mention parce que vous n'y avez pas pensé à ce moment-là. Vous ne vous

16 êtes pas souvenu de cela.

17 R. Je ne sais pas si j'ai donné une déclaration avant, cela je ne sais

18 pas, mais cette affirmation est exacte, ce que je viens de dire. Il y a

19 bien d'autres détails, toute une flopée de détails que je n'avais pas

20 mentionnés au Tribunal parce que je considérais que cela était suffisant.

21 Mais il est tout à fait exact de dire que c'est ce qui m'a été dit à ma

22 question.

23 Q. L'un des soldats vous a également dit que tu croyais qu'Ahmici se

24 passerait sans vengeance. C'est exact ?

25 R. C'est exact.

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1 Q. A ce moment-là, vous saviez qu'un mois avant votre arrestation, il y a

2 eu un massacre commis dans la localité d'Ahmici. C'est cela ?

3 R. Oui.

4 Q. Ce massacre a été commis à l'encontre de la population musulmane.

5 R. Oui.

6 Q. Vers 4 heures du matin, le lendemain, autrement dit, le 19 mai, d'après

7 vous, vous avez été enfermé à clé dans cette partie de la cave -- du sous-

8 sol, et vous avez dit que cela vous a tous sauvé de nouveaux mauvais

9 traitements. Est-ce bien cela ?

10 R. C'est exact.

11 Q. Une fois que ce soldat, qui vous a fermé à clé, est parti chercher des

12 cigarettes, après ce moment-là, aucun des détenus -- aucun de vous, qui se

13 trouvait dans cette cellule, ne s'est trouvé exposé à de nouveaux mauvais

14 traitements, de la part de ce groupe de soldats qui s'étaient livrés à cela

15 pendant l'autre partie de la nuit. C'est bien cela ?

16 R. Oui.

17 Q. Les individus, qui vous ont interrogés tôt le matin, et vous avez dit

18 que l'une de ces personnes était en civil et que l'un d'entre eux

19 s'appelait Dervic Ismet, ces individus n'étaient pas présents dans la cave

20 pendant la nuit. C'est bien cela ?

21 R. C'est cela, ils n'étaient pas dans la cave.

22 Q. Pendant cet interrogatoire, on ne vous a fait subir aucune forme de

23 mauvais traitements, n'est-ce pas ?

24 R. C'est cela.

25 Q. Immédiatement après cette interrogatoire ou plutôt peu après la fin de

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1 cet interrogatoire --

2 R. Oui.

3 Q. -- ce soldat vous a emmené chez vous et il a utilisé sa voiture, c'est

4 bien cela ?

5 R. Oui.

6 Q. S'il vous plaît, dites-moi, si après cela vous êtes resté à Kakanj ?

7 R. Après cela, je suis resté à Kakanj.

8 Q. Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions à vous poser.

9 R. Je vous remercie, moi aussi.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce que la Défense de M. Kubura a des questions ?

11 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, nous n'avons pas

12 de questions à poser ce témoin.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : Si la Défense n'a plus de questions, je me retourne

14 donc vers l'Accusation.

15 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

16 Juge, l'Accusation n'a plus de questions à poser.

17 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, la Chambre vous remercie d'être

18 venu à La Haye pour répondre aux questions, tant de l'Accusation que de la

19 Défense. Vous avez donc répondu à toutes les questions. Nous vous

20 remercions pour ce témoignage et nous vous souhaitons bon voyage de retour.

21 Mme l'Huissière va donc va raccompagner à la porte de l'audience.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie pour ma part, Monsieur le

23 Président, Madame, Monsieur les Juge. Merci.

24 [Le témoin se retire]

25 M. LE JUGE ANTONETTI : Si, en l'état, nous n'avons plus de questions,

Page 1613

1 observations, de part et d'autres, nous reprendrons donc l'audience demain

2 à 9 heures puisqu'il est prévu, cette semaine, des audiences du matin à

3 moins que M. Withopf veuille intervenir.

4 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, l'Accusation aimerait

5 aborder un certain nombre de questions liées au calendrier prévu pour cette

6 semaine car ces questions ont un rapport direct avec des mesures de

7 protection. J'aimerais m'adresser à vous sur ces questions à huis clos

8 partiel.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons faire un huis clos si c'est

10 possible.

11 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

12 [Audience à huis clos partiel]

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13 Pages 1614 – 1624 expurgées. Huis clos partiel.

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14 --- L'audience est levée à 18 heures 25 et reprendra le mardi 20 janvier

15 2004, à 9 heures 00.

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