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1 Le lundi 22 mars 2004
2 [Audience publique]
3 --- L'audience est ouverte à 14 heures 14.
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur le Greffier, appelez le numéro de
6 l'affaire, s'il vous plaît.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur
8 les Juges, il s'agit de l'affaire IT-01-47-T, le Procureur contre Enver
9 Hadzihasanovic et Amir Kubura.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Je demande aux représentants de l'Accusation de se
11 présenter.
12 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
13 Juges, nous avons pour l'Accusation Ekkehard Withopf, Ruth Karper et Daryl
14 Mundis.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Je demande aux représentants de la Défense de se
16 présenter.
17 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur
18 les Juges, au nom d'Enver Hadzihasanovic, Edna Residovic, conseil
19 principal; et Stéphane Bourgon, co-conseil. Merci.
20 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur
21 les Juges, au nom d'Amir Kubura, Farhudin Ibrisimovic et M. Mulalic,
22 assistant juridique, ainsi que M. Rodney Dixon.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. La Chambre salue toutes les
24 personnes présentes, les représentants de l'Accusation, les avocats, les
25 accusés, ainsi que tout le personnel de cette salle d'audience.
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1 Aujourd'hui, nous sommes dans la salle II, alors qu'il semblerait que la
2 salle I et III soient libres. Malheureusement, on nous a affectés dans
3 cette chambre qui est très bien, mais il aurait mieux valu que nous
4 disposions d'une salle plus importante. D'ailleurs, à cet égard, je
5 constate que la Défense, il y a que cinq places, alors que d'habitude il y
6 a six avocats. Déjà, il y a un avocat qui, malheureusement, ne peut pas
7 être présent, sauf à s'asseoir à côté. Si nous avions notre fameuse
8 maquette, bien entendu, on ne peut pas tenir une audience avec la maquette.
9 Alors, concernant la maquette, est-ce que Monsieur Withopf, vous êtes allé
10 voir la maquette, et quelles sont les observations de l'Accusation sur
11 cette maquette ?
12 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
13 Juges, je n'ai pas encore vu cette maquette, mais l'Accusation est en
14 contact avec la Défense, et c'est une question qui sera réglée rapidement.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Je vous remercie. En tout cas, si nous
16 avions une maquette dans cette salle, elle ne pourrait être que fort
17 réduite.
18 Nous avons au programme de la semaine trois témoins. Je pense que les trois
19 témoins sont là. Ce sont des témoins qui sont des observateurs
20 internationaux, dont leur témoignage, bien entendu, va se révéler fort
21 important et intéressant. La Chambre indique tout de suite qu'elle se
22 réserve, bien entendu, la possibilité de poser des questions d'ordre
23 technique à ces témoins, si les questions utiles et pertinentes n'ont pas
24 été posées tant par l'Accusation que dans le cadre du contre-
25 interrogatoire.
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1 Sans perdre de temps, puisque je sais que le témoignage peut être long,
2 nous allons faire introduire tout de suite le premier témoin.
3 Je vais demander à M. l'Huissier d'aller chercher le premier témoin.
4 A moins que Maître Bourgon veuille intervenir avant l'introduction du
5 témoin. Oui, Maître Bourgon.
6 M. BOURGON : Bonjour, Madame la Juge. Bonjour, Monsieur le Juge. Bonjour,
7 Monsieur le Président. La Défense souhaiterait soulever un point avant le
8 début du témoignage ou à la fin du témoignage. Cela concerne la question
9 des documents en provenance de la mission de Monitoring de l'Union
10 européenne. Monsieur le Président, on peut soit soulever la question tout
11 de suite ou à la fin de l'audience, mais nous voudrions soulever ce point
12 aujourd'hui.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Il vaut mieux que vous le souleviez tout de suite.
14 M. BOURGON : Merci, Monsieur le Président. Alors, nous nous sommes
15 entretenus avec nos confrères de l'Accusation concernant les documents.
16 Pour faire un bref rappel, la question était la suivante, c'est-à-dire, que
17 nous avons reçu une quantité de documents qui proviennent des archives à
18 Sarajevo. Nous avons également reçu une attestation comme quoi ces
19 documents étaient là tout ce qui se trouvait à Sarajevo. Or, il appert que
20 nous avons des documents, qui nous ont été fournis par l'Accusation, que
21 nous n'avons pas trouvés à Sarajevo. Pour cette raison, notre inquiétude de
22 savoir où sont les autres documents, et comment l'Accusation a pu se
23 procurer ces documents.
24 Nous avons identifié un mécanisme, aujourd'hui, qui nous permettrait, à
25 court terme, d'obtenir ces documents. Dans un premier temps, l'Accusation
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1 s'est engagée à nous fournir la liste de tous les documents qu'ils
2 possèdent, qui correspondent aux paramètres identifiés à l'annexe B de
3 notre requête du mois de décembre. Avec cette liste, nous serons en mesure
4 de faire part à l'Accusation des documents qu'ils possèdent que nous
5 n'avons pas, documents qui pourraient nous être remis par la suite.
6 Le processus, tel que discuté entre les parties, fait appel à deux
7 autorisations de la mission de l'Union européenne, une première fois, afin
8 que la poursuite puisse nous divulguer la liste des documents et, la
9 deuxième fois, pour que l'Accusation soit autorisée à nous divulguer
10 lesdits documents en question qui pourraient nous manquer. La raison pour
11 laquelle la Défense souhaite soulever ce point aujourd'hui, c'est que le
12 premier témoin, en provenance de la mission de Monitoring de l'Union
13 européenne, doit témoigner devant cette Chambre vendredi de la semaine
14 prochaine, soit le 29 du mois de mars.
15 Nous croyons, Monsieur le Président, qu'il est important que nous puissions
16 obtenir tous les documents, avec un certain délai, avant que le premier
17 témoin ne soit entendu. Selon nos confrères de l'Accusation, il est
18 possible d'obtenir les deux autorisations et les documents, avec un délai
19 suffisamment raisonnable, pour nous permettre de consulter les documents
20 avant le témoignage de ce témoin pour vendredi le 29. Nous souhaitons
21 simplement soulever la question auprès de la Chambre en espérant que le
22 tout pourra être résolu, afin qu'il n'y ait aucun délai avec le témoignage
23 des personnes en provenance de l'Union européenne. Merci, Monsieur le
24 Président.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Sur ce point, M. Withopf va certainement répondre.
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1 Si jamais il y avait du retard dans les autorisations sollicitées, une
2 solution pratique pourrait être que le témoin prévu le vendredi vienne
3 postérieurement, et pas le vendredi le 29 mars. Ce qui pourrait être une
4 solution également. M. Withopf va certainement nous éclairer.
5 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
6 Juges, je peux tout à fait vous confirmer qu'aujourd'hui, l'Accusation et
7 la Défense ont eu une réunion qui portait sur cette question et ce, par le
8 menu.
9 Les documents, de la mission de Contrôle de la Communauté européenne,
10 émanent de trois sources différentes : tout d'abord, la mission à
11 proprement parler; deuxièmement, la seconde source, le ministère des
12 Affaires étrangères danois; et la troisième source est représentée par un
13 certain nombre de témoins qui ont fourni à l'Accusation, un certain nombre
14 de documents de la MCCE.
15 L'Accusation a été en mesure de trouver une méthode qui permet de résoudre
16 les questions soulevées par la Défense car il s'agit de quelques 10 000
17 documents. La liste afférente à 7 000 de ces documents sur les
18 dix documents peut être fournie assez rapidement. Il s'agit tout simplement
19 d'une question d'ordre technique, et l'Accusation pourra trouver une
20 solution.
21 Ce qui est, par contre, plus complexe, est le problème suivant : est-ce que
22 la MCCE va accorder que soit soulever les restrictions conformément à
23 l'Article 70. Je vais prendre contact avec eux le plus rapidement possible
24 afin d'essayer de régler ce problème, et afin de voir s'ils sont en mesure
25 de déroger aux restrictions de l'Article 70. Le conseil de la Défense
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1 recevra ainsi la liste respective. Bien entendu, des garanties ne peuvent
2 pas être données, mais il semblerait réaliste de dire que la liste pourra
3 être fournie avant que le premier témoin de la MCCE ne soit cité à la barre
4 de ce Tribunal, le premier devant témoigner le jeudi, 1er avril et le
5 vendredi, 2 avril.
6 Ceci étant dit, je saisis cette occasion pour vous dire que nous allons,
7 aujourd'hui, communiquer un certain nombre de documents au titre de
8 l'Article 68, émanant de la collection de la MCCE. A cet égard, la mission
9 de Contrôle de la Communauté européenne a octroyé l'autorisation de
10 communiquer ces documents. Je vous remercie beaucoup.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie, Monsieur Withopf, pour ces
12 précisions. Bien entendu, la Chambre est à l'écoute des parties sur cette
13 question. N'hésitez à faire le point dès que possible et, notamment, s'il y
14 a lieu nous saisir par requête de toute difficulté, étant précisé qu'il
15 convient, bien entendu, que la Défense ait accès pour assurer au mieux la
16 défense des accusés, de l'ensemble des documents qui paraissent pertinents
17 à sa cause.
18 Je vais demander à M. l'Huissier d'introduire le témoin.
19 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Monsieur. Est-ce que vous entendez, traduit
21 en anglais, mes propos ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez été cité, en qualité de témoin, par
24 l'Accusation, et pour ce faire vous devez prêter serment. Avant de prêter
25 serment, je me dois de vous identifier. Pour ce faire, je vous demande de
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1 me donner votre nom et prénom.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Vaughan Kent-Payne.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est votre date de naissance ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis né le 13 octobre 1958.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle ville ou localité ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis né à Beverly, dans le comté du
7 Yorkshire de l'est, en Grande Bretagne.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est votre affectation et grade actuel ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis commandant dans l'armée britannique.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : En 1993, quelle était votre affectation et votre
11 grade à l'époque ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais commandant auprès du 1er Bataillon.
13 J'étais également commandant d'une Compagnie d'infanterie, il s'agit du 1er
14 Bataillon du régiment du Prince de Galles, en 1993.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce que vous avez déjà témoigné devant le
16 juridiction sur les faits qui se sont déroulés en ex-Yougoslavie ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, c'est la première fois.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous devez prêter serment. Je vous
19 demande de lire le texte que l'on vous présente.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
21 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous pouvez vous asseoir.
23 LE TÉMOIN : VAUGHAN KENT-PAYNE [Assermenté]
24 [Le témoin répond par l'interprète]
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Avant de donner la parole aux représentants de
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1 l'Accusation, qui va vous poser des questions. Je vais vous fournir
2 quelques éléments d'informations sur les modalités de cette audience.
3 Vous allez devoir répondre à des questions qui vont vous être posées par le
4 représentant du Procureur. Le représentant du Procureur est assis à votre
5 droite. Dans le cas de l'interrogatoire direct, il va vous poser des
6 questions sur des faits dont vous avez été le témoin visuel en 1993.
7 A la suite des questions qui vous seront posées, dans le cas de la
8 procédure qui nous régi, les avocats des accusés, qui sont situés sur votre
9 gauche, vous poseront des questions dans le cas du contre-interrogatoire.
10 Ces questions seront un peu différentes de celles qui vous seront posées
11 par l'Accusation, dans le mesure où ces questions viseront a éprouver votre
12 crédibilité en qualité de témoin et, par ailleurs, pourront être liées au
13 contexte générale de l'époque, et vous serez amené a répondre à ce type de
14 question.
15 Par ailleurs, les trois Juges, qui sont devant vous, pourront, à toute
16 moment, vous poser des questions. Mais, dans la mesure où vous êtes un
17 témoin qui, à l'époque, était un observateur international, nous pouvons
18 être amenés également à vous poser des questions qui n'auraient pas été
19 posées tant par l'Accusation, que par le Défense, si nous estimons devoir
20 compléter notre information sur les faits dont vous avez été témoin.
21 Dans le cas de cette procédure, écoutez bien les questions qui vont vous
22 été posées. Si la question vous parait compliquée ou nébuleuse, demandez à
23 celui qui vous pose la question de la reformuler. Avant de répondre à la
24 question, réfléchissez, surtout si les questions sont compliquées. Si vous
25 ne comprenez pas le sens d'une question, vous pouvez, à ce moment-là,
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1 demander à celui qui vous la pose de la reformuler afin qu'elle soit bien
2 compréhensible pour vous.
3 Les avocats des accusés vous poseront, comme je l'ai dit toute à l'heure,
4 des questions. Ils s'efforceront de vous poser aussi des questions claires
5 et concises, en évitant de vous poser des questions qui prennent les cinq
6 minutes pour poser la question, pour avoir une réponse en quelques
7 secondes. Les questions, qui vous seront posées, sont sous le contrôle de
8 la Chambre.
9 Je me dois également vous informer de deux autres éléments qui concernent
10 la procédure qui est suivie. Comme vous avez prêté serment de dire toute la
11 vérité, bien entendu, vous ne pouvez pas mentir. Un témoignage fait sous
12 prestation de serment, qui se relève faux témoignage où mensonges, pourrait
13 exposer celui qui a fait ce témoignage à des poursuites du chef de faux
14 témoignage, et les peines qui sont prévues sont les peines d'amendes, voir
15 des peines de prison, voir les deux peines en même temps.
16 Par ailleurs, il y a une autre disposition qu'il ne doit pas s'appliquer à
17 vous. C'est dans le cas de cette procédure très particulière où un témoin
18 sera susceptible par ses réponses de donner des éléments qui pourraient un
19 jour être utilisés à charges contre lui. Alors, dans cette hypothèse,
20 l'Accusé peut refuser de répondre. C'est un droit qui est bien connu dans
21 le droit anglo-saxon. Mais, si la Chambre veut néanmoins le témoin à
22 répondre à la question, la Chambre à se moment-là lui garantie que les
23 éléments de sa réponse ne pourront pas être utilisés un jour contre lui.
24 Voilà, de manière très synthétique, la façon dont va se dérouler cette
25 audience. Je présume que, dans le contact que vous avez eu avec
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1 l'Accusation, on vous avez déjà donné des éléments d'information. Par
2 ailleurs, comme je vois que vous êtes militaire de carrière, vous êtes
3 censé de connaître également la procédure en vigueur devant les tribunaux
4 militaires, et elle peut s'emprunter à la procédure qui est suivie ici,
5 vous ne risquez pas d'être désorienté par cette procédure.
6 Sans perdre de temps, je donne la parole aux représentants de l'Accusation
7 qui va commencer à vous poser des questions.
8 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,
9 Madame, Monsieur les Juges, Madame, Messieurs les membres de la Défense.
10 Interrogatoire principal par M. Mundis :
11 Q. [interprétation] Monsieur le Commandant Kent-Payne, pourriez-vous
12 décrire à l'attention des Juges de la Chambre de première instance votre
13 carrière militaire, et j'entends par cela les différents postes que vous
14 avez eus.
15 R. C'est depuis 1978 que je suis officier et, à l'époque, j'étais
16 commandant de section, je m'occupais de quelques 30 soldats, et j'ai passé
17 des années à ce poste, notamment, avec une mission à Belfast en Irlande du
18 nord. J'ai, ensuite, passé deux autres années au niveau d'un camp
19 d'entraînement pour les jeunes soldats, avant de devenir commandant d'une
20 section de reconnaissance à Berlin.
21 Ensuite, je suis reparti en Irlande du nord pendant deux années, et je
22 suis, ensuite, allé à une école d'entraînement de soldats.
23 En 1990, j'ai participé à un cours d'entraînement de l'armée et, de 1991 à
24 1992, j'ai été le chef d'une brigade et des opérations en Irlande du nord.
25 J'ai passé trois années en tant que commandant d'un Régiment de fusiliers,
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1 notamment, pour ce qui est des Nations Unis en Bosnie en 1993, et j'ai
2 passé six mois en tant qu'officier responsable des opérations. De 1996 à
3 1998 [comme interprété], j'ai été basé au Koweït, avant de repartir à mes
4 fonctions préalables auprès de mon régiment en tant que commandant adjoint
5 en 1999. En 2001, j'ai passé des mois comme responsable des opérations
6 principales d'une brigade multinational à Kosovo et, ensuite, j'ai été
7 pendant six mois observateur dans le cadre d'une mission à Sierra Leone.
8 J'ai passé huit mois comme responsable des Forces britanniques, et nous
9 étions cantonnés à Banja Luka, en Bosnie du nord. Ma dernière fonction a
10 été d'être auprès de l'ECOWAS, basé au Nigeria. Je me suis occupé des
11 opérations de paix au Liberia et en Côte d'ivoire. J'ai assumé mes
12 fonctions actuelles en tant qu'instructeur dans une école de l'armée il y a
13 quelques dix jours.
14 Q. Monsieur le Commandant Kent-Payne, vous avez indiqué que vous avez
15 participé à la mission des Nations Unis en Bosnie en 1993. Seriez-vous en
16 mesure de dire aux Juges à quelle occasion vous êtes trouvé en Bosnie ?
17 R. Il s'agissait du mois de février 1993, il s'agit d'une mission de
18 Reconnaissance pour mon régiment du Prince de Galles, et Régiment
19 d'Yorkshire. Nous avions passés, avec les autres commandants, une semaine à
20 Vitez avec le bataillon précédent, le régiment de Cheshire, afin de nous
21 familiariser avec la zone, ainsi qu'afin de nous familiariser avec les
22 méthodes opérationnelles des missions de Paix des Nations Unis, pour
23 pouvoir superviser et assurer la formation de nos soldats avant le
24 déploiement.
25 Q. Quand avez-vous, pour la première fois, été déployé en Bosnie ?
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1 R. Aux alentours du 15 avril 1993.
2 Q. Quand est-ce que votre unité a été déployée en Bosnie ?
3 R. Les soldats furent déployés grâce à une série de vols sur deux
4 semaines, et nous avons assumés le commandement de la zone opérationnelle
5 le 9 ou 10 mai 1993.
6 Q. Qu'avez-vous fait pendant la période entre le moment que vous avez été
7 déployé en Bosnie le 15 avril 1993 et le moment où votre unité s'est
8 ralliée à vous et vous avez assumé les opérations aux environs du 9 à 10
9 mai ?
10 R. J'ai passé quelques trois semaines à faire partie de la mission de
11 Reconnaissance avec le bataillon précédent. J'ai appris à connaître la
12 région, les méthodes opérationnelles, et j'ai également fait la
13 connaissance, lors de réunions, des commandants qui se trouvaient sur
14 place. Notre unité est arrivée, nous avons pris le temps pour assurer le
15 dernier entraînement avant que ma propre compagnie ne puisse assurer les
16 tours de garde, ainsi que les opérations de contrôle aux environs du 11 mai
17 1993.
18 Q. Vous avez indiqué que vos véhicules sont arrivés. Pourriez-vous dire
19 aux Juges de la Chambre de première instance de quels véhicules disposait
20 votre unité lorsque vous vous trouviez en Bosnie.
21 R. J'étais responsable d'une Compagnie C et il s'agissait, en fait, de
22 véhicules blindés. Ils en avaient quelques 30 dont 14 étaient des véhicules
23 de transport de personnel militaire. Il s'agit de véhicules qui pèsent
24 environ 30 tonnes et qui ont des -- et qui sont des véhicules à chenille
25 avec un canon de 30 millimètres. Nous avions également quatre "tanks"
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1 légers qui pèsent environ dix tonnes et un certain nombre de véhicules
2 armés de mortiers.
3 Q. Pourriez-vous indiquer quelle était la structure de votre unité au
4 moment où vous vous trouviez en Bosnie ?
5 R. Il y avait quatre compagnies d'infanterie connues sous le nom de
6 Compagnie de fusillés avec lettres A, B, C et D. Nous avions également une
7 compagnie de soutien qui disposait de mortiers pour assurer la
8 reconnaissance. Nous avions également une autre compagnie composée
9 d'éléments administratifs et nous avions la Compagnie de soutien, qui était
10 divisée entre les différentes compagnies de fusillés et les escadrons
11 armés. Nous avions quatre sous unités qui étaient composées de quelques 150
12 à 200 soldats.
13 Q. Pendant combien de temps est-ce que votre régiment est resté en
14 Bosnie ?
15 R. L'ensemble du régiment y a été cantonné pendant six mois. Certaines
16 personnes, telles que moi-même, faisaient partie du premier contingent et
17 ont pris le dernier vol, ce qui fait que nous y avons passé un total de
18 sept mois.
19 Q. Vous nous avez parlé de différentes compagnies. Est-ce que cette
20 structure est restée la même pendant toute cette période de temps, mais
21 est-ce qu'il y a eu des difficultés à un moment donné ?
22 R. La structure est restée la même bien que les endroits où se trouvaient
23 les différentes compagnies ont été modifiés. Ma propre compagnie, la
24 Compagnie C, est restée à Vitez pendant la durée de notre mission. Notre
25 Compagnie B est restée à Gornji Vakuf pendant toute la période de temps.
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1 Toutefois, l'escadron des armes plus légères, ainsi que notre Compagnie A,
2 ont fait l'objet d'un échange pendant la période, et ce au niveau de Tuzla
3 en Bosnie du nord.
4 Q. Où se trouvait cantonner à Vitez la Compagnie C ?
5 R. Nous nous trouvions dans une école à Vitez, l'école qui se trouvait à
6 quelques trois kilomètres hors de la ville de Vitez. Il s'agissait d'un
7 établissement d'enseignement primaire qui avait été loué par les Nations
8 Unies auprès des autorités locales et ce pendant toute la durée des
9 opérations des Nations Unies.
10 Q. Vous nous avez dit que la Compagnie A a fait l'objet d'un échange avec
11 la Compagnie des dragons légers. Alors, est-ce que vous pourriez nous dire
12 où est-ce que ces unités ont été déployées.
13 R. Au début, la Compagnie A, ainsi que ma propre compagnie, la Compagnie
14 C, se trouvaient à Vitez. Ensuite, après quelques trois mois, la Compagnie
15 A est allée à Tuzla. Il y a eu un échange avec la Compagnie des dragons
16 légers et ce pendant deux mois. Ensuite, pendant les quatre dernières
17 semaines, il y a eu un autre échange, ce qui fait que la Compagnie A est
18 revenue à -- que la Compagnie des dragons légers est revenue à Tuzla.
19 M. MUNDIS : [interprétation] Est-ce qu'il serait possible au Huissier de
20 baisser le bras du rétroprojecteur, ce qui nous permettrait de pouvoir voir
21 le témoin.
22 Q. Mon commandant, est-ce que vous pourriez dire aux Juges de la Chambre
23 de première instance qui commandait les Compagnies A et B pendant ce
24 déploiement ?
25 R. C'est le commandant Roy Hunter qui commandait la Compagnie A et le
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1 commandant Graham Binns qui commandait la Compagnie B.
2 Q. Pourriez-vous nous dire quelle était la chaîne de commandement depuis
3 votre fonction ?
4 R. Je devais présenter mon rapport au lieutenant-colonel Alistair Duncan.
5 Q. Pourriez-vous nous dire à qui le lieutenant-colonel devait présenter
6 ces rapports ?
7 R. Pendant les quatre à cinq premiers mois, il s'agissait du général Robin
8 Searby et, pendant les six dernières semaines, du général John Reeth.
9 Q. Pourriez-vous nous expliquer quel était le mandat de votre unité
10 pendant votre déploiement en Bosnie ?
11 R. La mission, qui nous avait été octroyée par les Nations Unies, était
12 très claire. Il s'agissait d'escorter les convois d'aide humanitaire.
13 Q. Pendant la période de temps où votre unité a été déployée en Bosnie,
14 est-ce que cette mission a été modifiée ? Est-ce qu'il y a eu une évolution
15 de cette mission ?
16 R. La mission n'a pas, à proprement parler, été modifiée, mais mon
17 commandant, ainsi que le commandant précédent, ont procédé à une analyse du
18 terrain, ce qui fait que nous avons analysé la tâche afin de voir si ce que
19 nous faisions était la meilleure façon de parvenir à notre objectif. Nous
20 nous sommes dits que, si nous voulions que les convois d'aide humanitaire
21 puissent se déplacer, il fallait que la zone soit pacifique. Nous sommes
22 passés de l'accompagnement de convois d'aide humanitaire à une mission de
23 Contrôle de la paix. Bien que notre mandat ne stipule pas que nous devions
24 assurer la paix, nous avons dans la mesure du possible essayé de négocier
25 pour assurer que la zone soit le plus calme possible pour faire en sorte
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1 que les convois humanitaires puissent se déplacer avec une escorte minime.
2 Q. Commandant, pourriez-vous dire à la Chambre, je vous prie, quelles
3 mesures vous avez prises pour vous familiariser avec la zone de
4 responsabilité de votre compagnie ?
5 R. Tout d'abord, les commandants de la compagnie connaissaient la zone.
6 Ils s'y étaient rendus en mission de Reconnaissance et ils avaient informé
7 nos soldats en conséquence. Lorsque nous sommes arrivés dans la zone, la
8 situation avait changé en partie en raison du retrait -- du déplacement des
9 frontières des Nations Unies. Par conséquent, nous nous sommes déplacés
10 dans la zone, les trois premières semaines, avec les soldats du bataillon
11 précédent. Par la suite, nous avons envoyé des patrouilles de soldats et de
12 commandants pour qu'ils apprennent à connaître les villages et les routes
13 qui les desservaient.
14 Q. Pourriez-vous décrire, je vous prie, à l'intention des Juges de la
15 Chambre, quelle était la zone de responsabilité de votre compagnie ?
16 R. En gros, au nord, notre limite était la ligne de front avec les Serbes,
17 dans la zone de Zepce et Maglaj. A l'ouest, la frontière était une fois de
18 plus, la ligne de front avec les Serbes de Bosnie dans la zone de Turbe. Au
19 sud, la frontière était un point imaginaire, un point de référence sur la
20 carte où la Compagnie B de Gornji Vakuf était -- c'était à mi-chemin entre
21 Novi Travnik et Gornji Vakuf. A l'est, la frontière était représentée
22 essentiellement par la route Sarajevo-Zenica.
23 Q. Combien d'hommes environ composait votre compagnie à cette période ?
24 R. Environ 210.
25 Q. Pourriez-vous, je vous prie, décrire brièvement les caractéristiques
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1 géographiques, les villages et les villes qui se trouvaient dans la zone de
2 responsabilité de votre compagnie.
3 R. Comme je l'ai dit, notre bataillon était cantonné dans l'école de
4 Vitez, environ à trois kilomètres de Vitez quant à la partie
5 administrative. Ils se trouvaient dans un garage désaffecté qui se trouvait
6 à environ un kilomètre de Vitez. Les villes principales étaient Zenica, qui
7 se trouvait au nord-est de la zone; Travnik, à l'ouest; Novi Travnik,
8 légèrement plus au sud; et des villes moins importantes : Busovaca,
9 Kiseljak, au sud-est et, bien sûr, Vitez même.
10 Le mont Vlasic qui domine Travnik, tenu à l'époque par les Serbes, et la
11 vallée de la Lasva qui traversaient notre zone est-ouest, étaient les
12 éléments de relief principaux.
13 Il n'y avait que quelques routes dans cette zone. Il n'y avait que trois
14 routes possibles pour arriver à Zenica, et un certain nombre de pistes
15 moins importantes n'étaient pas praticables, ou très difficiles à emprunter
16 en cas de mauvais temps, notamment, pour les véhicules blindés.
17 Q. Quand vous êtes arrivé, fin avril, lorsque votre compagnie vous a
18 rejoint par la suite, quelles étaient les conditions climatiques ?
19 R. Le printemps venait de commencer. La neige avait fondu, et il
20 commençait à faire plutôt chaud. Au mois de février, les routes étaient
21 extrêmement enneigées, ce qui nous a empêché d'effectuer des patrouilles
22 poussées, notamment, sur les petites routes de montagne.
23 Q. Cette neige que vous avez pu observer en février, pendant votre mission
24 de Reconnaissance, a-t-elle affecté, d'une quelconque manière, le travail
25 et les opérations du régiment qui vous a précédé, à savoir, le Régiment du
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1 Cheshire ?
2 R. Oui, cela a affecté leurs fonctions de manière significative. Ils n'ont
3 pu patrouiller que sur les routes principales et immédiatement des deux
4 côtés. Il n'y avait pas de chase-neige. Nous n'en avions pas nous-mêmes. Le
5 Régiment du Cheshire a, d'ailleurs, eu des véhicules accidentés. Ils ont dû
6 limiter leur patrouille au minimum, ce qui a fait que, pour la plupart de
7 cette zone, les plus petits villages n'ont pu être traversés par des
8 patrouilles, en raison de mauvaises conditions météorologiques.
9 Q. Quel effet cette réduction des patrouilles a-t-elle eu sur les
10 informations obtenues ?
11 R. Cela veut dire que la plupart des villages concernés n'ont pas pu être
12 inspectés directement. L'information était indirecte, et des membres des
13 forces des Nations Unies n'ont pas pu se rendre personnellement sur le
14 terrain.
15 Q. Pouvez-vous dire aux Juges de la Chambre, je vous prie, quel type de
16 patrouille vous avez entrepris, une fois que votre compagnie s'est trouvée
17 sur le terrain en Bosnie, au mois de mai 1993 ?
18 R. Voici quelle était notre méthode de fonctionnement. A Vitez, il y avait
19 deux compagnies, la compagnie des gardes; leur mission était d'assurer la
20 garde de notre camp et de son périmètre, avec des positions statiques, une
21 force de réaction rapide, et d'autres hommes.
22 Deuxièmement, la Compagnie de patrouille, qui s'occupait essentiellement
23 d'escorter les convois, qui escortait les commandants locaux lorsqu'ils se
24 rendaient d'un endroit à l'autre, escortait l'acheminement d'aide
25 humanitaire de la part du HCR et d'autres, comme les ONG, le CCR, et
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1 Médecins sans frontières. Par ailleurs, les forces restantes se voyaient
2 assignées des missions par moi-même, le commandant de la compagnie, sur la
3 base de différents besoins, par exemple, acheminer l'aide alimentaire des
4 Nations Unies, se rendre dans tel ou tel village pour déterminer
5 l'emplacement exact de la ligne de front, et cetera.
6 Q. Pourriez-vous, je vous prie, commandant, indiquer à la Chambre où vous
7 avez effectué vos patrouilles à partir de la
8 mi-mai 1993 ?
9 R. Nous nous sommes rendus tout d'abord dans lieux où nous n'avons pas pu
10 nous rendre précédemment, où le Régiment du Cheshire n'avait pu recueillir
11 que peu de renseignements. Nous avons utilisé un système par le biais
12 duquel nous conservions une trace écrite de l'endroit où nous nous étions
13 rendus. Nous pouvions, par le biais des techniques informatiques, voir
14 quels endroits avaient été inspectés, et ce qu'on y avait découvert. Nous
15 avons essayé, en premier lieu, de nous rendre dans les villages où aucun
16 représentant des Nations Unies ne s'était rendu auparavant, pour montrer à
17 la population locale que les Nations Unies ne se bornait pas à patrouiller
18 le long des routes principales, mais était présent dans toute la zone,
19 comme cela avait été décidé entre les Nations Unies et les différentes
20 parties.
21 Q. Vous souvenez-vous de certains de ces villages qui n'avaient pas reçu
22 la visite de membres des Nations Unies avant l'arrivée de votre unité ?
23 R. Tout ce qui se trouvait dans la vallée de la Bila, au nord du village
24 de Han Bila, qui avait été coupé du reste de la zone en raison des
25 conditions météo, tout ce qui se trouvait au sud Kiseljak, et au nord de
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1 Busovaca, dans les collines, ces zones-là essentiellement, n'avaient pas
2 reçu la visite de forces des Nations Unies avant.
3 Q. Commandant Kent-Payne, vous souvenez-vous de la première fois où votre
4 unité s'est rendue dans la vallée de la Bila et dans la zone au nord de Han
5 Bila ?
6 R. Oui. Nous nous y sommes rendus à deux ou trois occasions pour des
7 échanges de prisonniers. Il y avait, en effet, un centre de Détention à cet
8 endroit. Par ailleurs, il y avait également une route de Vitez à Zenica qui
9 passait par là.
10 Mais, vers la mi-mai, autour du 15 mai, j'ai été chargé de patrouiller au
11 nord de Han Bila pour voir quelle était la situation dans différents
12 villages : Suhi Dol, Has [phon] et Rat [phon]. Par ailleurs, étant donné
13 que ces zones étaient proches des lignes serbes du mont Vlasic, le but
14 était de demander à la population locale s'il elle vu des soldats serbes,
15 et quel était l'état sur les lignes de front, selon ces personnes.
16 Q. Pourriez-vous indiquer aux Juges de la Chambre, je vous prie, ce qui
17 s'est passé au moment où vous avez remonté la vallée de la Bila, le 15 mai
18 1993 ?
19 R. Au bas de la vallée de la Bila, du côté de Vitez, il y avait un barrage
20 routier croate, je veux dire croate de Bosnie. Ils ont retiré leurs mines
21 anti-char pour nous laisser passer. Nous avons remonté la vallée en
22 apportant des corrections à notre carte, en améliorant et en
23 approfondissant notre connaissance du terrain, jusqu'au village de Han
24 Bila.
25 Au moment où nous sommes arrivés à ce village, nous avons été arrêtés par
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1 un petit groupe de membres de l'ABiH, qui nous ont indiqué qu'ils ne nous
2 laisseraient pas passer. Il n'y avait pas d'obstacle physique, mais
3 uniquement le fait que nous étions confrontés à des soldats armés.
4 Q. Commandant, si vous me permettez, je vous interromprai un instant pour
5 vous demander la chose suivante : à quel moment de la journée, environ,
6 êtes-vous arrivés à ce barrage routier, où les soldats de l'ABiH se
7 trouvaient ?
8 R. C'était aux environs de 9 heures 45 ou 10 heures du matin.
9 Q. Combien d'hommes environ, et combien de véhicules environ, composaient
10 votre groupe à ce moment-là ?
11 R. Dans ma patrouille, j'avais deux transports de troupes blindés Warrior,
12 avec cinq hommes à bord, chacun : deux soldats à l'arrière, un chauffeur,
13 un tireur et un autre homme. Nous avions également une jeune femme qui nous
14 accompagnait, une interprète locale. C'était sa première mission
15 interprète.
16 Q. Merci. Désolé de vous interrompre, mais pourriez-vous nous dire ce qui
17 est arrivé au moment où vous êtes arrivés à ce barrage routier ?
18 R. Je suis descendu du véhicule accompagné de l'interprète. J'ai expliqué
19 à ces soldats locaux que nous représentions les Nations Unies, qu'ils
20 n'avaient pas le droit de nous intercepter, que nous avions le droit de
21 passer.
22 Les soldats locaux nous ont dit que je devais m'adresser à leur commandant.
23 On nous a fait entrer dans un bâtiment de petite taille, qui se trouvait
24 sur le côté où on m'a fait attendre 10 à 15 minutes. On m'a servi le café.
25 J'étais accompagné de mes sous-officiers qui m'escortaient, ainsi que de
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1 l'interprète.
2 Quinze minutes plus tard, quelqu'un est arrivé, un homme d'une soixantaine
3 d'année. Nous nous sommes entretenus pendant 30 à 40 minutes. Je lui ai
4 expliqué pourquoi nous souhaitions nous rendre dans ces villages. Je lui ai
5 dit que cela serait dans l'intérêt de la population locale. Le but étant de
6 voir quelle était la situation humanitaire, pour faire parvenir de l'aide
7 humanitaire ultérieurement à ces villages; cependant, il n'a pas souhaité
8 nous laisser passer. Au terme de ces 40 minutes, il était clair qu'on ne
9 nous autoriserait pas à aller plus loin. Même si notre mandat,
10 théoriquement, nous accordait ce droit de passage, il ressortait clairement
11 que nous n'allions pas essayer de passer en force car cela ne méritait pas
12 que l'on mette en danger quiconque.
13 Au moment où nous étions sur le point de repartir, un autre homme est
14 arrivé dans la pièce. Il a murmuré quelque chose à l'oreille du commandant
15 local, qui a dit qu'il avait reçu des ordres de ses commandants, qu'on
16 allait nous permettre de passer jusqu'au nord de Han Bila, comme nous
17 l'avions demandé.
18 Q. Désolé de vous interrompre une fois de plus, mais j'aimerais vous poser
19 quelques questions complémentaires. Le commandant local que vous venez de
20 nous décrire, que vous avez rencontré à Han Bila, que portait-il, à ce
21 moment-là ?
22 R. Pour autant que je puisse m'en souvenir, il portait un uniforme de
23 camouflage, un tee-shirt vert et un gilet dans le même tissu. Au début,
24 l'ABiH n'avait pas vraiment de structure hiérarchique ni d'insignes
25 permettant d'identifier les soldats. Véritablement, il était difficile de
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1 distinguer un soldat de l'ABiH d'un soldat du HVO, d'un soldat croate, à
2 part le fait que parfois les soldats du HVO, avaient un insigne avec le
3 damier rouge et blanc sur la manche.
4 Q. Vous nous avez dit que des hommes tenaient ce barrage routier. Que
5 portaient-ils ?
6 R. Ils portaient un mélange de vêtements civils et de vêtements type
7 camouflage. Cela n'était pas inhabituel à l'époque. Chacun portait
8 généralement un vêtement qui indiquait qu'il ne s'agissait pas d'un civil.
9 Ils avaient trois ou quatre armes du type AK-47. Par la suite, j'ai
10 également vu qu'ils avaient des armes anti-char, ainsi qu'un certain nombre
11 de mitrailleuses.
12 Q. Votre interprète, a-t-elle été en mesure de communiquer avec les
13 personnes qui tenaient ce barrage routier et avec le commandant local ?
14 R. Oui. Même si elle n'avait que 18 ou 19 ans, et même si elle n'avait
15 appris l'anglais qu'à l'école, elle a pris de l'assurance à mesure que
16 l'entretien évoluait. C'est la première fois également que j'utilisais les
17 services d'une interprète. Par conséquent, j'ai également appris à parler
18 plus clairement et plus lentement, à ne pas utiliser trop de termes
19 militaires pour lui faciliter la tâche. Oui, effectivement, elle a pu
20 communiquer avec nos interlocuteurs. Elle a pu apprendre d'où ils venaient.
21 Q. D'ailleurs, Monsieur le Témoin, on me fait passer un message en vous
22 demandant de parler plus lentement si vous le pouvez.
23 Ma question en rapport avec cette interprète, était liée davantage à ce qui
24 a été dit par le commandant local et par les soldats qui tenaient le
25 barrage routier. Est-ce qu'elle pouvait comprendre ce qu'ils disaient, et
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1 est-ce qu'ils parlaient la même langue pour autant que vous ayez pu le
2 déterminer ?
3 R. Oui. A ce moment-là, nous avions déjà une certaine connaissance
4 rudimentaire du serbo-croate. Il était clair, qu'à la fois l'interprète et
5 le commandant local parlaient serbo-croate.
6 Q. J'aimerais que nous reprenions là où vous en étiez, au moment où je
7 vous ai interrompu. Pourriez-vous dire à la Chambre, je vous prie, ce qui
8 s'est passé par la suite, après qu'on vous a intercepté à ce barrage
9 routier ?
10 R. Une fois que le commandant local nous a donné l'autorisation d'avancer,
11 je suis revenu vers mon véhicule. J'ai pu observer qu'une foule de
12 personnes nous entouraient, environ 30 à 40 militaires locaux et une
13 centaine de civils qui observaient la scène. Etant donné qu'il était assez
14 inhabituel que ces personnes voient un véhicule des Nations Unies à
15 l'époque, nous représentions une attraction. L'atmosphère était amicale,
16 festive. La plupart de ces personnes, étaient des locaux du village de Han
17 Bila. Nous avons échangé des poignées de main. Nous nous sommes dits au
18 revoir. Nous sommes remontés dans notre véhicule, et nous avons repris
19 notre route vers le nord, le long de la vallée de la Bila.
20 Q. Je ne vous ai pas posé la question précédemment, commandant, mais de
21 quelle couleur étaient vos véhicules ?
22 R. Blanc. A ce moment-là, étant donné que les véhicules venaient
23 directement d'Allemagne, étant donné qu'ils venaient d'être repeints, ils
24 étaient d'un blanc particulièrement éclatant.
25 Q. Vous nous avez dit que vous avez repris votre route vers le nord, le
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1 long de la vallée de la Bila. Jusqu'où êtes-vous remontés vers le nord, ce
2 jour-là ?
3 R. Environ six kilomètres. Nous avions l'intention de nous rendre dans un
4 village du nom de Fazlici, et de prendre sur la gauche, le long d'une piste
5 qui était indiquée sur la carte, pour arriver jusqu'au village de Suhi Dol.
6 Avant d'arriver à Fazlici, nous sommes arrivés à un barrage routier qui
7 était fixe, bien installé, avec une barrière qu'on pouvait remonter. Il y
8 avait également une guérite en dur, alors que la plupart des barrages
9 routiers étaient composés de troncs d'arbres qu'on mettait en travers de la
10 route ou autre, alors que là, c'était un barrage routier en dur.
11 Q. A quel moment êtes-vous arrivés à ce barrage routier près de Fazlici ?
12 R. Autour de midi.
13 Q. Autre question que j'ai oublié de vous poser. A quelle heure avez-vous
14 quitté votre garnison ce matin-là ?
15 R. Tout comme les autres patrouilles, j'imagine que nous sommes partis
16 autour de 9 heures, 9 heures 15.
17 Q. Pourriez-vous dire à la Chambre, je vous prie, ce qui s'est passé au
18 barrage routier près de Fazlici, où vous êtes arrivés vers midi, le 15 mai
19 1993.
20 R. La barrière était baissée. Elle barrait la route. J'ai indiqué du
21 véhicule que je souhaitais qu'on soulève cette barrière. Le soldat de garde
22 a fait non de la tête, car il ne souhaitait pas nous laisser passer. Je
23 suis descendu du véhicule avec mon soldat qui m'escortait et l'interprète.
24 Nous nous sommes entretenus avec le soldat de garde. Il a envoyé quelqu'un
25 chercher son commandant local. Un Musulman bosniaque est arrivé. Il portait
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1 l'uniforme de l'ABiH. Il nous a dit que l'on ne serait pas autorisés à
2 avancer plus au nord sans documents signés par le quartier général du 3e
3 Corps d'armée. Nous savions à l'époque que les libres passages pour les
4 véhicules des Nations Unis avaient été négociés avec les parties au
5 conflit, et qu'on pouvait nous exiger un document de quelque ordre que ce
6 soit. L'objectif étant de reconnaître -- l'objectif de cela était de
7 reconnaître que -- de faire en certes que les commandants du HVO et de
8 l'ABiH contrôlent les endroits où les Nations Unis se rendait. Or, cela
9 n'était pas prévu par l'accord qui avait été signé.
10 Ils refusaient, ils voulaient un document que nous n'avions pas. Nous
11 n'avions pas autorité pour passer en force à travers un barrage routier.
12 Nous ne souhaitions pas créer d'escalade. Par conséquent, nous avons
13 compris que nous n'allions pas pouvoir traverser. Nous avons commencer à
14 parler du temps qu'il faisait du football, et nous avions parlé des Serbes,
15 de l'état de la guerre, et cetera. La situation était amicale.
16 Mais, un moment donné, le groupe des miliciens locaux s'est élargi, il y
17 avait environs 15 à 20 personnes, mais l'ambiance était amicale, et il
18 n'était absolument pas menaçant.
19 Q. Commandant Payne, combien de temps avez-vous passé à ce barrage
20 routier ?
21 R. Environs 30 minutes. J'étais sur le point de le dire : "Merci beaucoup,
22 nous reviendrons un autre jour avec les documents que vous venez de nous
23 demander." A ce moment-là, une fourgonnette Toyota est arrivée très
24 rapidement. Il est sorti un homme qui portait des pantalons de camouflages
25 et un T-shirt vert, ainsi qu'un gilet de camouflage. Il semblait être
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1 originaire d'un pays de la corne de l'Afrique, Ethiopie, Somalie, peut-
2 être. Il ne parlait pas serbe-croate, pour autant que j'ai pu le constater,
3 mais il s'est adressé en criant aux miliciens locaux. Il les menaçait de
4 façon agressive de son AK-47. Les miliciens locaux immédiatement ont pris -
5 - se sont saisis -- s'emparaient de leurs armes, ils ont été armés et s'ont
6 assurés qu'ils étaient chargés. Il a, ensuite, fait des signes pour leur
7 demander de prendre positions sur le côté, ce qui indiquait clairement que
8 la situation était en train de se dégrader.
9 Q. J'ai quelques questions complémentaires. Vous me dites que la situation
10 s'était dégradée, et qu'ils avaient adopté une attitude plus menaçante. Qui
11 était menacé ?
12 R. Moi-même, ainsi que mes véhicules et les hommes qui m'accompagnaient,
13 c'était clair. A ce moment-là, nous étions -- la toit du char était orienté
14 vers l'avant. J'ai fait en certes que nous ne fassions pas de -- qu'il n'y
15 ait de mouvement de la tourelle du char, ce qui aurait pu être interprété
16 de façon agressive. Mais nous avions essayé de montrer que nous n'étions
17 absolument pas -- que nous ne voulons absolument pas les provoquer.
18 Q. Vous avez dites que les tourelles des blindés étaient dirigées vers
19 l'avant. Par rapport au véhicule, où vous trouviez-vous au moment où cette
20 Toyota blanche est arrivée ?
21 R. J'étais une trentaine de mètres devant le Warrior. La procédure en
22 effet était la suivante.
23 Le véhicule ne s'arrêtait pas immédiatement au niveau du barrage routier,
24 mais 30 ou 40 mètres avant, ce qui nous permettait d'avoir une certaine
25 marge de manœuvre si le véhicule devait faire demi-tour ou, au contraire,
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1 avancer parce que le canon du véhicule ne pouvait qu'être dirigé vers le
2 bas. Par conséquent, cela nous permettait d'avoir une certaine marge de
3 manœuvre.
4 Q. Vous avez dit que la personne qui est sorti de cette Toyota blanche
5 venait d'Afrique du nord, ou peut-être un pays de la corne de l'Afrique.
6 Sur quoi vous fondez-vous pour assumer cela ?
7 R. Très clairement, il n'avait pas l'air de Bosnie. Il avait le teint
8 matte, il avait plutôt l'air d'Afrique du nord. Il avait les cheveux noirs
9 et frisés et, très clairement, il était en train de crier dans une langue
10 qui n'était pas du serbe-croate et, d'ailleurs, l'interprète m'a dit
11 qu'elle ne comprenait pas ce qu'il était en train de dire.
12 J'ai su qu'il ne s'agissait pas d'un ressortissant de Bosnie, et j'ai
13 imaginé, d'après ce que j'ai vu à la télévision, qu'il venait certainement
14 d'Afrique, d'Afrique du nord, peut-être de Somalie.
15 Q. Qu'a-t-il fait le moment ou il est sorti de ce véhicule blanc ?
16 R. J'étais en train de le regarder attentivement, étant donné que j'ai vu
17 qu'il y avait une escalade de la situation. Je suis retourné jusqu'à
18 l'arrière de mon véhicule. Un de mes soldats m'a donné un fusil que j'ai
19 armé. Un soldat de ma protection rapprochait. Il portait une mitrailleuse
20 légère. Lui également a armé son arme. Nous sommes, ensuite, retournés à
21 l'avant du véhicule avec l'interprète.
22 Un deuxième homme est arrivé, il était certainement arabe. Il mesurait
23 environs un mètre et 65. Il était légèrement grisonnant, et je l'ai dit en
24 serbe-croate : "Bonjour, comment allez-vous, je me présente, commandant
25 Vaughan." L'interprète, c'était son premier jour de travail, a également
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1 répété ce que je disais, alors que je l'avais dit en serbe-croate et en
2 anglais, ce qui a soumis une certaine confusion.
3 Ensuite, cette homme arabe m'a dit : "Je refuse de serrer la main d'un
4 infidèle, et je refuse de vous parler en présence d'une femme."
5 Etant donné qu'il parlait anglais, et que j'étais en mesure de le
6 comprendre, j'ai dit à l'interprète qu'elle pouvait retourner au véhicule,
7 qui la soulageait.
8 Q. Avez-vous, ensuite, discuté avec ce monsieur qui vous parlait en
9 anglais ?
10 R. Oui, je le parlais, je le demandais si nous pouvions continuer notre
11 route, et traverser ce poste de contrôle pour nous rendre dans les
12 différents villages que j'ai mentionné. J'ai expliqué pourquoi nous étions
13 là, je le rappelais qu'il n'avait pas le droit d'arrêter les Nations Unis,
14 et qu'il n'avait pas le droit d'interférer, et que nous, nous
15 n'interférions pas dans la guerre civile. Nous n'étions là que pour évaluer
16 la situation et écrire un rapport, et pour laisser passer l'aide
17 humanitaire. De toute façon, il était intraitable. Il a dit que nous étions
18 des étrangers de son pays -- dans le pays plutôt et que lui et les autres
19 Musulmans s'occuperaient des Musulmans de Bosnie, et n'avaient pas besoin
20 des Nations Unis, ni de leur présence. Nous avons discuté pendant environs
21 25 ou 30 minutes, et il est devenu de plus en plus évident qu'il n'allait
22 pas nous laisser traverser ce poste de contrôle.
23 Q. A l'époque, au moment où vous parliez avec cet individu, étiez vous en
24 mesure d'écouter, d'entendre ce qui se passait autour de vous ?
25 R. Oui, tout d'abord, alors que nous étions en train de négocier, nous
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1 avons appris à regarder droit dans les yeux, regarder notre interlocuteur
2 droit dans les yeux pour déterminer s'il disait la vérité, s'il était
3 excité ou nerveux, et cetera, pour déterminer son état, si on nous avait
4 appris à veiller à ce que notre garde du corps -- si on voyait qu'on était
5 autour de nous, parce que l'attention du commandant était, bien sûr,
6 concentrée sur le commandant de la partie interlocutrice, à ce moment-là,
7 de plus en plus de gens arrivaient. A un moment, la conversation s'est
8 interrompue, et j'ai regardé. Il y avait une foule d'environ une centaine
9 de personnes, un mélange de miliciens locaux, des gens clairement
10 originaires de Bosnie, environ 30 à 40 étrangers, y compris des personnes à
11 la peau noire, un grand nombre d'Arabes et des personnes de nationalités
12 étrangères. Ils étaient mieux équipés que les miliciens locaux. Ils avaient
13 des armes plus lourdes, notamment, des armes anti-chars. A eux tous, ils
14 portaient des uniformes.
15 Mon attention a été retenue par des personnes qui parlaient anglais, pas
16 seulement anglais, mais un accent du Yorkshire. Tous les soldats de mon
17 bataillon viennent de cette région de l'Angleterre. Ces hommes étaient en
18 train de nous insulter, de nous traiter d'infidèles dans notre propre
19 langue. Je me suis tourné vers la foule, mais je n'ai pas été capable
20 d'identifier la personne qui nous insultait.
21 Q. Pouvez-vous, s'il vous plaît, dire à la Chambre de première instance ce
22 que cette foule de plus de 100 personnes, ce que ces individus portaient ?
23 R. La plupart d'entre eux portaient des uniformes militaires de combat. Au
24 départ, au moment où nous sommes arrivés au poste de contrôle, il y avait
25 un certain nombre de femmes et d'enfants. On les a fait partir à l'arrière.
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1 Ensuite, on leur a dit de quitter la zone, comme si quelque chose allait
2 arriver, et que personne ne voulait qu'ils soient dans la ligne de tir.
3 Les armes que ces hommes portaient étaient toutes de type de l'ex-Union
4 soviétique, c'est-à-dire, des AK-47 et des armes anti-chars de calibre de
5 64 millimètres.
6 Q. Il y a quelques minutes, Monsieur le Commandant, vous avez dit : "Ils
7 étaient mieux équipés que les miliciens locaux." Lorsque vous avez dit
8 "ils", de qui parliez-vous ?
9 R. A ce moment-là, tout ce que je pouvais dire, c'est qu'il y avait pas
10 mal d'étrangers. C'étaient clairement des étrangers. Ils n'étaient pas
11 bosniaques. Pas beaucoup de Bosniaques ont un accent d'Yorkshire. Il y
12 avait clairement quelques Arabes et quelques noirs, peut-être des
13 Africains. Il ne s'agissait pas de la milice bosniaque habituelle.
14 Quand j'ai dit : "Ils étaient 'mieux équipés'," je veux dire qu'un certain
15 nombre des miliciens locaux portaient soit des fusils semi-automatiques de
16 modèles anciens, je dirais, alors que ces étrangers avaient des armes plus
17 modernes du type AK-47, des mitraillettes légères et des armes anti-chars.
18 Q. Monsieur le Commandant, combien de temps au total avez-vous passé à ce
19 poste de contrôle près de Fazlici ?
20 R. Je dirais à peu près une centaine de minutes, voire deux heures au
21 total.
22 Après que j'ai clairement compris que ce monsieur d'origine arabe n'allait
23 pas nous laisser passer, là, il a changé de sujet. Il a commencé à me
24 narguer, à me demander pourquoi je fais partie des Nations Unies. Il a dit
25 que je n'avais rien à faire ici en tant qu'étranger. Il m'a demandé si je
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1 connaissais les cinq piliers de l'Islam. Il a dit que l'Islam était la
2 seule religion, que l'occident était décadent et que les Nations Unies,
3 faisant partie de l'occident, était décadent aussi, qu'elle ne pourrait pas
4 régler le problème de la Bosnie centrale. J'ai écouté ce qu'il a dit
5 pendant une vingtaine de minutes. Tout cela était un petit peu ennuyeux.
6 Ensuite, j'ai remarqué, à ma gauche et à ma droite, que les miliciens
7 locaux s'étaient éparpillés. Ils nous avaient presque complètement
8 encerclés, les étrangers aussi. J'ai jugé que la situation était
9 particulièrement exceptionnellement menaçante. J'ai décidé qu'il était
10 temps de partir, parce que cette escalade allait aboutir au fait que soit
11 nous, ou eux allaient se mettre à tirer, c'était clairement bien au-delà du
12 mandat qui nous avait été confié.
13 J'ai dit à ce monsieur d'origine arabe que : "Nous faisons partie des
14 Nations Unies. Nous sommes là pour des fins pacifiques et nous n'allons
15 faire de mal a personne. Nous ne sommes pas là pour vous menacer." A ce
16 moment-là, l'artilleur de mon véhicule, qui était dans le Warrior, à
17 environ 30 mètres derrière moi, a clairement décidé que la situation était
18 extrêmement menaçante. Il a chargé une munition de type explosive dans le
19 canon. Ce bruit, au moment où il a chargé l'arme était très, très menaçant,
20 cela s'est passé juste au moment où j'ai dit que : "Nous ne sommes pas là
21 pour faire de mal à qui que ce soit." Cet Arabe m'a regardé en soulevant un
22 sourcil, en disant : "Vraiment ?" C'était clairement catastrophique pour
23 nous. A ce moment-là, nous étions tout proche d'avoir à tirer pour que ces
24 personnes s'écartent du chemin.
25 Si bien que je l'ai salué d'une manière la plus polie, je lui ai dit :
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1 "Nous sommes tous les deux des soldats. Si vous ne voulez pas me serrer la
2 main, je vous saluerai à la manière des soldats." Je suis retourné à mon
3 véhicule pour quitter la région.
4 Q. A ce stade, Monsieur le Commandant, combien de soldats de l'ABiH ou de
5 soldats étrangers étaient autour de vos blindés ?
6 R. Je dirais un minimum de 100 et un maximum de 150. Il était très
7 difficile de les compter. C'était une zone relativement limitée
8 géographiquement. Il s'agissait de 100 soldats environ d'origine locale, et
9 peut-être 50 étrangers, au maximum.
10 Q. Avant que vous ne meniez cette patrouille dans la vallée de la Bila,
11 pouvez-vous dire à la Chambre quel genre d'informations vous aviez reçues
12 concernant les combattants étrangers en Bosnie centrale ?
13 R. Nous n'avions aucune information à ce sujet. Personne ne nous en avait
14 parlé. Cela a été surprise totale d'entendre, non seulement quelqu'un avec
15 un accent d'Yorkshire, mais également des soldats arabes et des soldats de
16 couleur, parce que rien -- absolument rien ne nous avait indiqué -- ne nous
17 avait informé qu'il y avait un groupe d'étrangers là-bas.
18 Q. Monsieur le Commandant, après ces événements du 15 mai jusqu'à la fin
19 de mai 1993, avez-vous remarqué, sur le terrain, de quelconques
20 changements, sur le terrain en Bosnie centrale,
21 s'entend ?
22 R. Lorsque nous sommes arrivés, au départ, le Régiment de Cheshire nous
23 avait informé de la situation sur le terrain. A la manière classique des
24 britanniques, nous étions toujours la partie la plus faible. Nous étions
25 convaincus que la partie la plus faible sur le terrain, c'était l'ABiH. Ce
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1 qui a confirmé cette conclusion, c'était le fait que, peu après mon
2 arrivée, j'ai dû aider à déplacer les cadavres du village d'Ahmici, suite
3 au massacre qui s'y était tenu, un massacre dont je suis sûr que vous êtes
4 au courant. A plusieurs postes de contrôle, nous nous rendions auprès des
5 soldats de l'ABiH. Ils étaient toujours courtois et polis, alors que les
6 soldats du HVO étaient tout à fait agressifs avec nous et considéraient les
7 Nations Unies comme un obstacle à leur expansion, Si bien que, pendant la
8 première partie de notre tour de service les quelques premières semaines,
9 nous avions l'impression que l'ABiH était sur la défensive et que les
10 méchants, si je peux me permettre, étaient le HVO et les Croates.
11 Vers la fin de mai, début juin, cette impression a commencé à changer.
12 L'attitude des Croates s'est considérablement adoucie. Ils sont devenus
13 plus coopératifs. Ils ont commencé à nous suggérer que l'ABiH préparait une
14 offensive, qu'ils souhaitaient notre aide pour leur protection. Ils
15 s'inquiétaient tout à fait clairement. Leur attitude vis-à-vis de nous est
16 devenue beaucoup conciliante. Ils nous laissaient traverser les postes de
17 contrôle. Ils sont devenus beaucoup plus aimables.
18 De l'autre côté, l'attitude de l'ABiH est devenue beaucoup plus
19 intransigeante. Nous avions plus de problèmes aux postes de contrôle de
20 l'ABiH. Ils ont commencé à essayer de nous empêcher d'accéder à certains
21 secteurs auxquels nous accédions auparavant sans problème.
22 Q. Monsieur le Commandant, vous nous avez parlé des patrouilles et de la
23 politique concernant l'absence de demande d'autorisation écrite. Quelle
24 était la politique, s'il en avait une, concernant le fait de prévenir les
25 parties à l'avance des missions ou des patrouilles que vous comptiez
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1 mener ?
2 R. Là encore, nous avions pour instruction de ne rien leur dire de nos
3 projets, ni de nos activités. La raison était laquelle que nous ne pouvions
4 pas laisser admettre que les autorités locales ou que la milice locale
5 avait un quelconque contrôle sur les mouvements des Nations Unies en Bosnie
6 centrale, ce qui était contre l'accord de libre passage, de libre
7 circulation. Si la libre circulation nous était refusée, alors cela nous
8 mettait fondamentalement en position de devenir plus agressifs afin
9 d'obtenir le passage pour accomplir notre mission. La politique générale
10 consistait à ne pas demander l'autoriser d'aller dans un quelconque secteur
11 parce que nous n'en n'avions pas besoin en raison des accords qui avaient
12 été conclus entre le haut commandement des Nations Unies et le haut
13 commandement de diverses milices.
14 Q. Vous venez de nous dire que vers la fin du mois de mai et au début de
15 juin, les Croates ont commencé à suggérer que la BiH préparait une
16 offensive. Quelles mesures avez-vous prises à ce moment-là, pour essayer de
17 vérifier si, effectivement, une telle offensive était en train d'être
18 planifiée ?
19 R. J'ai visité un village du nom de Grahovcici - veuillez excuser ma
20 prononciation encore une fois - qui est un village qui se trouve à l'est de
21 Han Bila, qui était une croate enclave fermée de trois côtés par des
22 villages musulmans.
23 Lorsque nous avons visité les villages pour la première fois, les habitants
24 étaient agressifs, et ne voulaient que nous y pénétrions. La deuxième fois,
25 on nous a fait rentrer à l'école, et on nous a fait rencontrer le
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1 commandant local. La troisième fois, on m'a traité comme un vieil ami, un
2 frère perdu de vue depuis longtemps. J'ai dit que j'enverrais l'un de mes
3 officiers pour essayer d'évaluer la situation du village pour la
4 distribution de l'aide alimentaire de l'ONU. La quatrième fois, le
5 commandant local était clairement inquiet. Il m'a dit que certains des
6 villageois musulmans des villages voisins, lui avaient dit qu'il y aurait
7 une attaque, que lui et sa famille devrait quitter le secteur pour éviter
8 tout massacre.
9 Je lui ai demandé comment il pouvait être sûr que ces gens disaient la
10 vérité. Il m'a dit que ces Musulmans du village et les Croates étaient
11 proches depuis des générations. Ce n'était pas parce que les gens étaient
12 de religion différente qu'ils n'étaient pas amis, et qu'ils ne pouvaient
13 pas s'occuper, se protéger les uns les autres.
14 J'ai informé mon commandant de ce qu'on m'avait dit. Il a convoqué une
15 réunion à un endroit qui s'appelle Guca Gora, qui se trouve au nord-est de
16 Travnik, vers le 2 juin 1993.
17 Q. Si je puis vous interrompre. Cette quatrième visite à Grahovcici dont
18 vous venez de nous parler, quel jour avez-vous effectué votre quatrième
19 visite ?
20 R. Je crois qu'il s'agissait du 2 juin 2003, non désolé, il s'agissait de
21 1993.
22 Q. Pour plus de précision, vous avez transmis cette information à votre
23 commandant, qui a convoqué cette réunion à Guca Gora le même jour.
24 R. Non, je crois qu'il s'agissait du lendemain.
25 Q. Vous souvenez-vous quelle était la date prévue pour cette réunion à
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1 Guca Gora ?
2 R. Je me souviens. Je crois qu'il s'agissait du 2 ou du
3 3 juin. Je ne me souviens pas de la date exacte.
4 Q. Pouvez-vous décrire pour la Chambre de première instance cette
5 réunion ?
6 R. Je n'y ai pas participé. Je me trouvais à Guca Gora ce jour-là, et
7 j'assurais la sécurité pour cette réunion. J'ai transporté les commandants
8 croates de Vitez à Guca Gora. La raison pour laquelle nous avons dû assurer
9 leur transport, c'était le fait qu'ils devaient se déplacer à travers un
10 territoire contrôlé par l'ABiH. Ils s'inquiétaient pour leur sécurité, si
11 bien que je les ai transportés dans mes véhicules pour qu'ils puissent
12 assister à la réunion.
13 Lors d'une des pauses, j'ai rencontré certains des délégués, y compris le
14 commandant croate de Grahovcici et le commandant adjoint du 3e Corps de
15 l'ABiH, qui était le colonel Merdan. Nous avons discuté. Il parlait un
16 petit peu anglais. Nous avons parlé de football, du temps qu'il faisait.
17 Ensuite, par le truchement de mon interprète, il a dit qu'ils avaient
18 convenus qu'il n'y aurait pas d'attaque, qu'il avait parlé au commandant
19 croate. Il semblait content qu'il n'y ait pas d'attaque. Il nous a
20 remerciés d'avoir aidé à organiser la réunion. Il a dit qu'il informerait
21 son camp, que tout se passait bien et que les rumeurs n'étaient que cela,
22 des rumeurs.
23 Q. Qu'est-ce qui s'est passé après cette réunion ?
24 R. Après la réunion, nous sommes retournés à notre camp. Le lendemain, je
25 crois qu'il s'agissait du 3 juin 1993, est survenue l'offensive qu'on
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1 appelle l'offensive éclaire de l'ABiH, qui a eu lieu dans la vallée de la
2 Bila. Un certain nombre de villages auparavant détenus par les Croates ont
3 été capturés par la milice de l'ABiH.
4 Q. Vous nous avez dit que, lors de cette réunion à laquelle vous étiez au
5 début de juin 1993, s'est déroulée à Guca Gora, y a-t-il eu d'autres
6 moments où vous vous êtes rendus à la communauté de Guca Gora, en juin
7 1993 ?
8 R. Oui. Au départ de ce que nous avons appelé l'offensive éclair, la
9 première étape a été la capture de villages comme Grahovcici et Brajkovici.
10 Ensuite, les combats se sont étendus au village de Guca Gora. Vers le 7
11 juin, ma compagnie, qui était la compagnie de Surveillance et la Compagnie
12 "A", qui était sous le commandement du commandant Roy Hunter, ont envoyé
13 une patrouille dans le secteur de Guca Gora pour surveiller les combats. La
14 raison pour laquelle nous avons pris cette décision, c'était parce que nous
15 pouvions entendre les combats depuis notre camp. Notre camp n'était qu'à
16 quelques kilomètres. Nous ne souhaitions pas qu'il se produise quoi que ce
17 soit de similaire à ce qui était arrivé à Ahmici, où un massacre s'était
18 déroulé à quelques kilomètres d'une base des Nations Unies. Les Nations
19 Unies, à l'époque, ne savaient pas ce qui s'y passait. Aux yeux de la
20 communauté internationale, on avait jugé que les Nations Unies n'avaient
21 rien fait, si bien que notre politique consistait à enquêter sur chaque
22 maison incendiée, chaque tir. C'est pourquoi nous avons envoyé une
23 patrouille à Guca Gora.
24 Le commandant de patrouille que nous avons envoyé, a dit que des personnes
25 qu'il a identifiées comme étant des étrangers lui avaient tiré dessus.
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1 Lorsque j'ai dit qu'il les a identifiées comme étant des étrangers, j'ai
2 dit cela, parce qu'il a pu, à travers le dispositif de visée du blindé, il
3 a pu les identifier parce que ce dispositif grossissait l'image dix fois.
4 Bien qu'un soldat puisse se trouver à 500 mètres, on peut assez sûrement
5 voir son visage à travers le dispositif de visée du char puisqu'on peut
6 déterminer s'il est blanc, noir ou de quelle origine il vient.
7 Ils ont retourné le feu à partir du monastère de Guca Gora. Ensuite, ils
8 ont regroupé les habitants du village pour les protéger de l'attaque qui se
9 déroulait dans le village.
10 On m'a chargé d'emmener un convoi de camions au village le
11 7 juin pour évacuer les civils; cependant, lorsque nous sommes arrivés à un
12 poste de contrôle de l'ABiH, sur la route de Travnik, avant de tourner vers
13 le village de Mosunj et, ensuite, vers Guca Gora, les militaires nous ont
14 bloqué, nous ont dit que nous ne pouvions pas passer, et que des mines
15 anti-chars avaient été placées sur la route.
16 Aussi, sur la radio, on pouvait suivre ce qui se passait à Guca Gora. On
17 voyait bien que des munitions étaient tirées, qu'il y avait des victimes,
18 surtout sur les soldats de l'ABiH. Il était clair que des camions, qui
19 n'étaient pas blindés, n'avaient rien à faire dans ce secteur, si bien que
20 nous avons reçu l'ordre de prendre le chemin de retour, et nous sommes
21 retournés à l'école de Vitez.
22 Le lendemain matin, l'officier commandant s'est rendu à Guca Gora avec le
23 représentant de l'ONU. Il m'a donné pour instruction de réunir autant de
24 blindés que je pouvais. J'ai pu en réunir 16, et les conduire au poste de
25 contrôle qui se trouvait sur la route de Travnik. Les mines y étaient
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1 encore. Les soldats de l'ABiH ont refusé de nous laisser passer, disant que
2 nous ne pouvions pas passer dans une zone de sécurité.
3 Je leur ai dit que nous avions déjà des soldats à Guca Gora. Ils ont dit
4 qu'il les laisserait sortir, mais qu'il ne me laisserait pas moi entrer
5 dans ce secteur, qu'ils refuseraient de ne laisser aucun Croate monter dans
6 nos véhicules.
7 Je leur ai alors demandé de déplacer encore une fois leurs mines, et ils
8 ont refusé, si bien que nous sommes montés dans notre véhicule. En nous
9 déplaçant très soigneusement, de droite à gauche, avec les chenilles, sur
10 la route goudronnée, nous avons poussé les mines anti-chars. C'était une
11 initiative assez risquée, peut-être stupide, mais c'était le seul moyen de
12 passer à ce poste de contrôle. L'ABiH a décidé que, clairement, nous
13 voulions mener notre mission, alors ils nous ont laissé passer.
14 Une fois que nous sommes arrivés à Guca Gora, il y avait un grand nombre de
15 civils croates, 181 pour être plus précis. Nous avons réussi à les caser
16 tous, dans nos véhicules, et nous avons pris le chemin de retour vers
17 Vitez.
18 Q. Monsieur le Commandant, pour autant que vous vous en souveniez, à quel
19 moment êtes-vous arrivés au monastère Guca Gora, ce jour-là ?
20 R. C'était la fin de la matinée, vers 11 heures.
21 Q. Combien temps, environ, a-t-il fallu pour faire monter tous ces civils
22 dans les véhicules ?
23 R. Cela a pris à peu près deux heures parce que nous ne pouvions charger
24 qu'un véhicule en même temps parce qu'il y avait des tirs, que les civils
25 étaient a l'abri le reste du temps, à l'intérieur du monastère. Nous
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1 gardions un véhicule à la fois devant le monastère, à un endroit où il y
2 avait un grand mur, et d'où nous ne pouvions pas être vus de la plus grande
3 partie du village. C'était l'endroit le plus sûr où nous pouvions embarquer
4 ces personnes.
5 Nous savions aussi que nous devions faire placer au moins 10 à 15 personnes
6 dans chaque véhicule pour être sûr qu'ils étaient tous à l'intérieur de
7 blindés, pour être protégés. Cela a pris pas mal de temps pour que tout le
8 monde tienne à l'intérieur. Nous avons d'abord embarquer les femmes et les
9 enfants, ensuite, les hommes âgés, ensuite, les hommes en âge de combattre.
10 Ceci a pris du temps, puisqu'il fallait les trier.
11 Q. Outre les 181 civils, est-ce que vous avez emmené quelqu'un d'autre du
12 monastère de Guca Gora ?
13 R. L'abbé en charge du monastère a demandé à notre aumônier, qui était un
14 officier, s'il était prêt à aider à déplacer certains des objets religieux
15 du monastère, afin qu'ils soient mis à l'abri. Il a suggéré que la
16 principale église de Vitez serait un bon endroit où emmener ces objets du
17 culte.
18 Notre aumônier a dit qu'on ne pourrait pas emmener beaucoup d'objets. J'ai
19 demandé pourquoi c'était si important. Il m'a dit qu'il s'agissait d'un
20 monastère très, très ancien et d'un site religieux très important pour les
21 Croates, pour la religion catholique.
22 Nous avons emmené quelques statues, quelques objets et une Bible reliée en
23 cuir, qui était placée sur l'autel. L'abbé m'a emmené à la bibliothèque, où
24 il y avait plusieurs milliers d'ouvrages. Il était clairement impossible
25 d'emmener un grand nombre de ces livres, si bien que l'abbé et notre
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1 aumônier ont fermé la porte. Nous sommes partis. Il a été la dernière
2 personne a embarqué à bord de ces véhicules. Lorsque nous sommes partis, il
3 n'y avait plus de Croates dans le village de Guca Gora.
4 Q. Monsieur le Commandant, pouvez-vous dire à la Chambre la condition dans
5 laquelle était le monastère le 8 juin 1993, lorsque vous êtes partis,
6 lorsque vous avez fermé la porte et que vous avez quitté le village ?
7 R. J'étais à l'intérieur du monastère. J'ai passé environ une demi-heure
8 dedans lorsque nous expliquions à la population locale, aux Croates, ce qui
9 allait se passer. Nous leur avions dit comment nous allions mener
10 l'évacuation. Nous leur avons expliqué dans quel ordre nous allions les
11 faire embarquer dans les véhicules.
12 Je me souviens que le monastère était très ancien. Il y avait un certain
13 nombre de bancs en bois et un confessionnal en bois pour le prêtre. Il y
14 avait également un mur, une grande fresque qui m'a frappé, parce que dans
15 une église si clairement ancienne, cette fresque avait probablement été
16 peinte lors des 20 dernières années, était très abstraite et moderne. Il
17 n'y avait pas de dommages, à ce moment-là, dans l'église, sauf qu'elle
18 était sale. Il y avait à peu près 200 personnes dedans.
19 Q. Je vous remercie, Monsieur le Commandant.
20 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je tiens compte de
21 l'heure. Peut-être qu'il est le moment de prendre une pause.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 15 heures 45. Nous reprendrons l'audience à
23 16 heures 10, ce qui permettra au témoin de se reposer.
24 --- L'audience est suspendue à 15 heures 43.
25 --- L'audience est reprise à 16 heures 13.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis, je vous redonne la parole.
2 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
3 Q. Monsieur le Commandant, avant de faire la pause, vous étiez en train de
4 me décrire l'évacuation d'un certain nombre de personnes civiles évacuées
5 de Guca Gora. A d'autres occasions, avez-vous la possibilité de retourner
6 au monastère de Guca Gora ?
7 R. Quelques cinq jours plus tard, le conseiller civil des Nations Unis,
8 conseiller à civil, auprès du commandant conseiller, qui s'appelait Randy
9 Rhodes, m'a demandé de me rendre au village de Maljine, qui se trouve à
10 quelques deux à trois kilomètres de Guca Gora. L'un des officiers de
11 liaison, le capitaine Mark Bower, s'était lui confier une carte, les
12 Croates lui avaient donné une carte. Sur cette carte, nous devions voir les
13 lieux sites d'une atrocité qui venait d'être commis par des soldats de
14 l'ABiH, ou par des soldats étrangers à Maljine. La carte était censée
15 montrer l'endroit où avaient été enterrés les corps. Nous avons
16 l'autorisation d'y aller
17 -- d'aller dans cette zone, mais, le 13 juin 1993, j'ai pris -- j'ai amené
18 à Guca Gora quelques six à huit véhicules blindés, et ceux avec l'intention
19 d'amener Randy Rhodes et Mark Bower au village de Maljine afin de procéder
20 à une première enquête pour détecter des signes de cette atrocité allégée.
21 Q. A quelle heure avez-vous quitté Vitez, où vous étiez cantonné, le 13
22 juin 1993 ?
23 R. Nous sommes partis vers 9 heures du matin. Nous sommes arrivés à Guca
24 Gora vers 9 heures 45, 10 heures.
25 Q. Pouviez-vous indiquer aux Juges ce qui s'est passé lorsque votre convoi
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1 est arrivé près de Guca Gora ?
2 R. Alors que nous arrivions à Guca Gora, nous sommes rendus compte, de
3 façon immédiate, qu'il y avait un grand nombre d'hommes armés autour du
4 monastère. Nous avons, d'ailleurs, été arrêtés par des personnes qui se
5 trouvaient devant nous, à l'extérieure du monastère, et j'ai remarqué qu'il
6 y avait un grand nombre d'étrangers, des personnes que nous savions être
7 des Moudjahiddines, qui se trouvaient aux alentours du monastère. Il y
8 avait des impactes de balles à l'extérieur du monastère, et il y avait une
9 mitraillette. Il y avait quelques 20 à 30 soldats étrangers, et environs 10
10 à 15 personnes du cru, des gens qui avaient la quarantaine, la
11 cinquantaine, et qui étaient de la milice locale de l'ABiH.
12 Q. A cette occasion, avez-vous remarqué s'il y avait une interaction entre
13 ces différentes personnes qui se trouvaient positionnées devant vous sur la
14 route ?
15 R. Oui. Alors, j'ai quitté mon véhicule, je me suis rapproché d'un petit
16 poste de contrôle et là, une étranger, que je n'avais pas vu auparavant,
17 une personne qui semblait être originaire d'Afrique du nord, qui parlait un
18 peu l'anglais, je lui ai indiqué ce qu'était ma mission. Je lui ai dit que
19 je me rendais à Maljine, je lui ai dit que je devais perquisitionner en
20 quelques sortes la zone, et je lui ai dit qu'il valait mieux, en fait,
21 qu'il nous autorise à passer, ce qui prouverait qu'ils n'avaient rien à
22 cacher.
23 Il a refusé d'obtempérer. Il a nous indiqué qu'il fallait que nous
24 rebroussions le chemin. Dans le véhicule, il avait des représentants de la
25 presse. Ils sont sortis du véhicule, et ils ont commencés à filmer, ce qui
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1 a provoqué l'agitation, la nervosité des étrangers qui ne voulaient pas
2 être filmés.
3 Q. Je m'excuse, mais est-ce que vous pourriez indiquer aux Juges de la
4 Chambre de première instance quelle était la tenue vestimentaire de ces
5 étrangers ?
6 R. Une fois de plus, je dirais qu'il s'agissait d'un mélange de tenue
7 civile et d'uniforme. Un certain nombre d'entre eux portaient des bandeaux,
8 ce que l'on appelle dans l'armée britannique des Shemagues. Il s'agit de
9 bandeaux avec des inscriptions en arabe et certains d'entre eux avaient ce
10 que j'appellerais une tenue vestimentaire afghan avec les pantalons
11 bouffons, un gilet, des turbans. Certains avaient -- portaient la barbe
12 longue, certains avaient du henné sur leur barbe, mais tous portaient une
13 tenue vestimentaire militaire, soit le pantalon, soit le haut des tenues
14 vestimentaires, pour indiquer aux personnes qu'ils appartenaient à une
15 organisation militaire.
16 Q. Très bien. Lorsqu'on vous a interrompu, vous étiez en train de nous
17 dire que les représentants de la presse ont commencé à photographier ces
18 personnes. Pourriez-vous poursuivre, je vous prie.
19 R. Oui. Les étrangers ont véritablement montré leur nervosité et pour
20 essayer de désamorcer la situation, j'ai indiqué au caméraman de rentrer
21 dans le véhicule. Je lui ai demandé de ne plus sortir du véhicule.
22 Les combattants qui se trouvaient présents ne semblaient pas être perturbés
23 par la présence des représentants de la presse écrite qui ont continué à
24 écrire ce qui se passait.
25 A un moment donné, lorsque je suis revenu près de mon véhicule et, lorsque
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1 je me suis positionné dans la tourelle pour indiquer aux fusillés ce qui se
2 passait et quelle était la procédure à suivre, j'étais, en fait, au même
3 niveau qu'un espèce de surplomb qui se trouvait à l'extérieur du monastère
4 et un homme m'a parlé avec un accent -- il m'a parlé en anglais avec un
5 très fort accent d'Yorkshire et il m'a demandé de rentrer chez moi. Je lui
6 ai dit : "Je pense que nous venons du même endroit. Pourquoi est-ce que
7 vous ne rentrez pas chez vous également ?" Il a commencé à m'insulter, à me
8 dire. Je lui ai dit : "Écoutez, nous sommes tous des frères d'Yorkshire".
9 Il m'a dit : "Vous n'êtes, de toute façon, pas mon frère," et il a continué
10 à insulter les britanniques et la FORPRONU, en général.
11 A peu près une minute plus tard, j'étais sur le point de sortir du
12 véhicule. L'un des milices local, un homme dans la quarantaine -- ou plutôt
13 il avait environ 50 à 60 ans -- a tiré, de façon tout à fait accidentelle,
14 et il y a eu un coup de feu en direction de mes pieds. Alors, mes soldats
15 ont pensé qu'il s'agissait d'une agression. Ils ont commencé à bouger les
16 tourelles de nos véhicules vers les étrangers qui se trouvaient sur ce
17 surplomb autour du monastère. Nous avons commencé à charger nos armes avec
18 des explosifs et avec des munitions de mitraillettes et, à ce moment-là, le
19 Britannique, qui faisait partie des Moudjahiddines, a demandé à tout le
20 monde de se calmer, ce que la plupart des gens ont dit, l'on fait. La
21 situation a commencé à se calmer.
22 Je me suis rapproché du poste de contrôle. J'ai à nouveau engagé la
23 conversation avec cet homme qui de toute évidence était originaire de
24 l'Afrique du nord. Quelques minutes plus tard, la fourgonnette blanche
25 Toyota est arrivée et en est sorti le même Arabe que j'avais rencontré
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1 trois semaines auparavant à Fazlici. Alors, il s'est rapproché de moi. De
2 toute évidence, il ne m'a pas reconnu. La première fois que je l'avais
3 rencontré, j'avais mon casque, alors que, cette fois-ci, j'avais un béret,
4 j'avais une barbe que je n'avais pas auparavant. Il ne m'a probablement pas
5 reconnu. J'ai voulu lui tendre la main. Une fois de plus, il m'a dit : "Je
6 ne veux pas serrer la main d'un infidèle." J'ai eu la preuve qu'il
7 s'agissait du même homme. Alors, je savais. Il a dit : "Je ne parlerai pas
8 en présence d'une femme." Qu'il s'agisse d'une interprète différente,
9 c'était une femme, je lui ai demandé de rentrer dans le véhicule.
10 Moi-même, ainsi que Randy Rhodes et Mark Bower, nous avons commencé à
11 parler à cet homme pendant 15 à 20 minutes. Nous nous sommes rendus compte
12 que, de toute évidence, il n'allait pas nous laisser passer pour que nous
13 nous rendions à Maljine et il a commencé à nous dire qu'il ne laisserait
14 pas notre véhicule pénétrer dans sa zone de sécurité.
15 Je lui ai dit : "Si vous avez des objections pour ce qui est de mes
16 véhicules, est-ce que vous me donneriez la possibilité, si je n'ai pas
17 d'armes, si mes collègues n'ont pas d'armes, de nous rendre dans le village
18 en question ?" Il était sur la défensive, mais il n'a pas véritablement eu
19 beaucoup de choix. Il a accepté. Il a demandé à ce que les véhicules -- il
20 rappelé la fourgonnette et moi-même, Mark et Randy sommes montés dans ce
21 véhicule. Les seules armes que nous avions étaient nos pistolets qui se
22 trouvaient sous nos vestes.
23 Q. Je m'excuse, Monsieur le Commandant, mais, au moment où vous êtes
24 entrés dans la fourgonnette, quelle heure était-il approximativement ?
25 R. Je pense qu'il était entre 10 heures 45 et 11 heures du matin.
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1 Q. Avant d'entrer dans cette fourgonnette, est-ce que vous avez donné des
2 ordres à votre unité ou à vos soldats, soldats qui sont restés au poste de
3 contrôle avec ces combattants ?
4 R. J'avais, en fait -- je ne me sentais pas très à l'aise parce que, de
5 toute évidence, nous transcendions le mandat qui nous avait été confié,
6 bien que je continuais à penser que ma mission principale consistait à me
7 rendre dans ce village pour faire un état des mines, pour constater s'il y
8 a eu ces atrocités. J'ai indiqué à mon adjoint que nous allions nous
9 absenter pendant une heure et que, si nous n'étions pas revenus dans une
10 heure, qu'il devait forcer le poste de contrôle et essayer de se prendre
11 autant de véhicules que possible pour essayer de nous retrouver à Maljine.
12 D'ailleurs, je lui ai même donné ma bague que j'avais pour qu'il la donne à
13 ma petite amie s'il devait m'arriver quelque chose.
14 Alors, nous sommes ensuite entrés dans la fourgonnette. D'ailleurs, le
15 conducteur a fait marche arrière et a commencé par reconduire en plein --
16 ou à faire marche arrière en plein dans un réverbère ce qui a, en quelque
17 sorte, apaisé en quelque sorte l'atmosphère puisque tout le monde a bien
18 rigolé. Nous sommes partis. En route vers Maljine, j'ai remarqué qu'il y
19 avait un grand nombre ou un certain nombre de slogans arabes écrits sur les
20 murs des bâtiments. A chaque fois que nous passions des groupes de
21 personnes, il y avait un groupe de chefs arabes qui montraient son poing et
22 qui disait : "Allah-U-Ekber". Je dois dire que les gens ont ensuite répété
23 cela et c'est quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant. Cela pour
24 nous, cela c'était un symbole d'intégrisme, mais, en plus, ils ne parlaient
25 pas serbo-croate, mais il s'exprimaient en arabe, ce n'était pas la
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1 situation à laquelle nous étions habitués auparavant.
2 Nous avons passé quelques 35 à 40 minutes à Maljine. Nous ne sommes pas
3 sortis des routes principales parce que nous avions peur de mines anti-
4 personnelles. Nous nous sommes rendus devant les différents bâtiments. Dans
5 deux ou trois de ces bâtiments il y avait des taches de sang sur le sol, il
6 y avait plusieurs porcins morts, il y avait des chiens également. Nous
7 avons supposé qu'ils avaient été tués par les étrangers, mais il n'y a pas
8 de signes d'atrocité. Il était absolument impossible de savoir si le sang
9 était du sang humain ou du sang d'animal.
10 Nous nous sommes rendus compte que la carte, que le capitaine Bower avait,
11 était tout à fait inutile, qu'il n'y avait pas d'échelle sur cette carte,
12 il n'y avait pas -- l'orientation vers le nord n'était pas indiquée, il
13 était absolument impossible de reconnaître les caractéristiques que l'on
14 aurait pu reconnaître dans le village. Très franchement, cette -- nous
15 l'avons fait parce que nous devions le faire. Cela a duré quelques 35 à 45
16 minutes. Ensuite, nous sommes rentrés dans nos véhicules et je peux vous
17 assurer que nous sommes revenus avant l'heure indiquée.
18 Q. Est-ce que vous vous souvenez quelle était l'heure approximative à
19 laquelle vous êtes revenu au poste de contrôle où vous avez laissé vos
20 véhicules blindés et les autres membres de votre Compagnie C ?
21 R. Sans revenir sur ce que j'ai déjà dit, puisque je vous ai dit qu'il y
22 avait une heure qui -- je pense que nous sommes rentrés plus ou moins à une
23 heure après et d'ailleurs mes soldats qui étaient restés à Guca Gora
24 n'avaient pas été en mesure d'exécuter mes ordres pour forcer le poste de
25 contrôle. Ils n'avaient pas dû le faire en fait. Ils n'avaient pas eu à
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1 nous prêter main forte.
2 Q. Lorsque vous êtes repartis vers ce poste de contrôle, qu'avez-vous fait
3 avec les soldats de la Compagnie C ? Où êtes-vous
4 -- où vous êtes-vous rendus ?
5 R. J'ai parlé à Randy Rhodes, qui était très contrarié, et je lui ai dit
6 que nous avions pris beaucoup trop de risques pour nous acquitter de notre
7 mission. Je lui ai dit qu'il nous avait donné ses instructions et que, s'il
8 ne voulait pas que nous le fassions, pourquoi est-ce qu'il nous avait
9 confié cette tâche. Alors. il s'est un peu calmé.
10 Nous avons remercié le commandant local de sa coopération. Nous avons dit
11 que la presse présenterait un rapport de ce qui s'était passé et qu'elle
12 serait en mesure de montrer que l'ABiH ou de pouvoir la présenter de façon
13 positive. Ensuite, nous avons obtenu la permission de déplacer nos
14 véhicules sur la place du village. Nous avons fait demi-tour, et nous
15 sommes revenus à Vitez.
16 Q. Avant la pause, Monsieur, vous nous avez parlé de l'attaque menée
17 contre la zone, notamment contre le village de Grahovcici. Après cette
18 attaque du début du mois de juin, est-ce que vous êtes retournés au village
19 de Grahovcici ?
20 R. Oui. Le lendemain, il s'agissait du 14 juin, l'officier des opérations
21 du bataillon a pris un responsable de terrain des Nations Unies, et l'a
22 amené à Grahovcici, puisqu'il y avait un rapport suivant lequel d'autres
23 atrocités avaient été commises. Par "atrocités" qu'entends-je, des
24 personnes du cru avaient été tuées par les soldats de l'ABiH, et des
25 soldats croates qui s'étaient rendus ou qui avaient été capturés, avaient
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1 été exécutés. Ce qui fait qu'à quelque 9 heures 05 du matin, je suis passé
2 prendre l'agent des Nations Unies ainsi qu'un certain nombre de
3 représentants de la presse, notamment une équipe chargée de filmer et un
4 journaliste représentant la presse écrite. Nous nous sommes rendus vers
5 Zenica, ensuite, par la route qui finalement arrive à Grahovcici. Nous
6 sommes passés, par Cajdras. Nous ne sommes pas passés par la vallée de la
7 Bila, vers Han Bila, puisque les Croates qui craignaient une offensive de
8 l'ABiH par la vallée de la Bila, vers Nova Bila, avaient fortifié leur
9 poste de contrôle. Ils ne souhaitaient pas véritablement nous laisser
10 passer par cette région.
11 Q. Est-ce qu'il y a une raison particulière pour laquelle vous vous êtes
12 rendus à Zenica ce matin-là ?
13 R. Non. Lorsque je vous ai dit "Zenica", ce que je voulais dire, c'est que
14 nous avons utilisé la route de montagne qui contourne Zenica pour nous
15 rendre vers ce poste de contrôle de Cajdras.
16 Q. Combien de véhicules et combien d'hommes ont participé à cette mission.
17 R. Il y avait, deux véhicules blindés, quelques dix soldats, une
18 interprète et quelques représentants de la presse. Il y avait un caméraman
19 également. Je pense qu'il y avait quatre représentants de la presse, un
20 caméraman et deux ou trois journalistes.
21 Q. Seriez-vous en mesure de décrire aux Juges ce qui s'est passé lorsque
22 vous vous rendiez vers Grahovcici le matin du
23 14 juin 1993 ?
24 R. Nous avons été arrêté au carrefour de Cajdras. Il s'agit d'un poste de
25 contrôle de l'ABiH. Il y avait une bûche ou un arbre, enfin un tronc
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1 d'arbre, placé le long de la route. Je suis descendu du véhicule pour
2 parler aux soldats. Ma première impression est, que j'ai remarqué qu'ils
3 étaient très bien habillés. Ils portaient des bérets marron foncé, avec un
4 petit écusson de l'ABiH. Nous avons eu une conversation qui n'a pas été
5 désagréable, quoiqu'ils m'aient indiqué qu'ils n'allaient pas nous laisser
6 passer, parce que nous n'avions pas les documents du commandant du corps.
7 Je leur ai relaté ce que je racontais dans ces cas-là. Ils nous ont dit que
8 nous ne pouvions pas passer par le poste de contrôle.
9 Au moment où nous sommes arrivés au poste de contrôle, il était environ
10 quelque 9 heures 45. Vers 10 heures 30, les soldats de l'ABiH ont renforcé
11 le poste de contrôle par le biais de mines terrestres qui ont été placées
12 sur la route. Ils ont véritablement déployé une mitrailleuse lourde pour
13 insister sur le fait qu'ils n'allaient pas nous laisser passer. Il était
14 évident qu'ils n'allaient pas nous laisser passer. Etant donné que le
15 responsable des Nations Unies me disait qu'il s'agissait d'une tâche très,
16 très importante, j'ai décidé d'aller à Zenica voir au milieu du Quartier
17 général du
18 3e Corps, afin de voir si l'on pouvait, finalement, obtenir l'un de ces
19 mystérieux documents, pour voir si cela, véritablement, leur ferait
20 entendre raison. Nous avons rebroussé chemin. J'ai laissé un des véhicules
21 au niveau du poste de contrôle. J'ai pris l'autre véhicule blindé. Nous
22 avons conduit jusqu'au QG du 3e corps, qui se trouvait d'ailleurs dans un
23 complexe usinier, qui avait été réquisitionné à Zenica.
24 Au niveau du portail, j'ai dit au soldat qui se trouvait là, que je voulais
25 voir le commandant du corps. Il a passé un appel téléphonique, et un jeune
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1 officier est apparu. Il m'a amené, avec l'interprète, en haut, vers un
2 bureau, où l'on m'a introduit dans le bureau du colonel Merdan, le
3 commandant adjoint du corps. Je lui ai relaté ce qui s'était passé au poste
4 de contrôle. Il m'a dit qu'ils auraient dû nous laisser passer. Nous en
5 avons parlé pendant 10 à 15 minutes. Je lui ai dit : "Ecoutez, j'ai
6 vraiment besoin de ce document de la part du commandant du corps, pour être
7 en mesure terminer ma tâche." Ensuite, il m'a amené, par le biais de son
8 bureau, au bureau du commandant du corps. C'est là que j'ai rencontré pour
9 la première fois, le général Hadzihasanovic.
10 Q. Je m'excuse de vous interrompre brièvement, pour le moment. J'aimerais
11 vous poser une question. Quelle heure était-il, grosso modo, lorsque vous
12 êtes arrivé, soit dans le bureau du colonel Merdan, soit dans le bureau du
13 général Hadzihasanovic ?
14 R. Nous avons passé quelques 45 minutes au poste de contrôle. Nous sommes
15 partis vers 10 heures 30 du matin. Nous sommes arrivés au quartier général
16 du corps un quart d'heure plus tard. Je suppose qu'il était 11 heures, 11
17 heures 15 au moment où nous avons été introduits dans le bureau du général.
18 Je me souviens très, très bien de l'heure, et nous nous en sommes rendus
19 compte plus tard, ultérieurement pendant cette journée, l'heure était
20 extrêmement importante. J'ai demandé aux gens combien de temps est-ce que
21 nous avons passé à tel et tel et tel endroit. Je leur ai demandé, parce que
22 je voulais savoir combien de temps avaient duré les différents événements
23 de cette journée.
24 Q. Vous nous avez dit également que c'était la première fois que vous
25 rencontriez le général Hadzihasanovic. Vous souvenez-vous combien de fois,
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1 après cette journée-là, vous avez vu ou parlé au général Hadzihasanovic ?
2 R. J'ai rencontré le général trois ou quatre fois seulement. Les trois
3 premières fois, cela s'est passé au niveau de son quartier général. Je
4 pense qu'il est venu à une réunion dans le mess des officiers à Vitez
5 également. Là, je l'avais rencontré. Il s'agissait d'une occasion qui
6 n'était pas véritablement officielle.
7 Q. Ce jour-là, le 14 juin 1993, combien de temps avez-vous passé, environ,
8 dans le bureau du général Hadzihasanovic ?
9 R. Je dirais quelques 30 minutes. Je me suis présenté. Je lui ai parlé un
10 peu de mes antécédents. Il a d'ailleurs fait la même chose. Je lui ai dit
11 qu'il était étrange que seul le commandant du corps puisse me donner
12 l'autorisation de passer par un poste de contrôle particulier. Je lui ai
13 dit que : "Dans mon armée, cela était fait pas un officier qui n'a pas
14 autant de galons que moi." Il m'a dit : "Il ne faut pas oublier que nous
15 sommes une armée qui a été créée récemment, et qu'il faut attendre un
16 certain temps pour se débarrasser des méthodes de l'armée nationale
17 yougoslave, des méthodes de supervision." Il a dit : "Lorsque la paix
18 prévaudra, nous aurons tout le temps de nous convertir en une armée plus
19 occidentalisée." Pour le moment, c'était la raison pour laquelle il était
20 la seule personne à pouvoir prendre la décision de nous laisser passer par
21 ce poste de contrôle.
22 Q. Pendant cette demi-heure où vous vous êtes trouvé dans le bureau du
23 général Hadzihasanovic, avez-vous remarqué certaines choses dans son
24 bureau ?
25 R. Son bureau était tout à fait comme sont les bureaux d'un officier ayant
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1 une certaine expérience. Il y avait des cartes sur son bureau. Il y avait
2 deux ou trois cartes sur le mur. Bien entendu, ma curiosité a emporté le
3 dessus. Je n'ai pas pu m'empêcher de regarder par-dessus son épaule pour
4 voir les cartes, ou pour essayer d'obtenir quelques informations qui
5 n'auraient pas d'ailleurs été très importantes, mais que j'aurais pu
6 transmettre à nos militaires, une fois de retour à Vitez.
7 Il y avait une carte de la vallée de la Bila, avec des grandes flèches
8 dessinées dessus. C'est exactement la même carte que nous aurions eu au
9 niveau de notre quartier général, lorsqu'il s'agissait de planifier une
10 opération, à savoir, cela montrait l'opération militaire et les commandants
11 ayant moins d'expérience, avaient des cartes plus détaillées. Ils pouvaient
12 établir des cartes plus détaillées à partir de cette carte. C'est ainsi que
13 devait être le bureau d'un général.
14 Q. Vous avez dit aux Juges que vous vous êtes rendu dans ce bureau pour
15 recevoir un laissez-passer qui vous aurait permis de passer par ce poste de
16 contrôle. Est-ce que vous avez reçu ce laissez-passer ?
17 R. Non. Le général a dit qu'il serait ridicule de nous donner ce document,
18 et qu'il serait plus opportun qu'il nous fournisse un policier militaire de
19 l'ABiH, qui devait s'assurer que nous passions par le poste de contrôle de
20 Cajdras et par tous les autres postes de contrôle qui se seraient trouvés
21 sur notre chemin vers Grahovcici. J'ai eu l'impression qu'il voulait
22 s'assurer que nous puissions véritablement passer, grâce à la présence de
23 ce policier militaire.
24 Q. Pour être très clair, Monsieur le Commandant, ce matin, le matin du 14
25 juin 1993, vous n'avez pas reçu ce laissez-passer. Est-ce bien exact ?
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1 R. Tout à fait. Il était environ 11 heures 30 du matin. La générale nous a
2 demandés d'attendre dans une pièce où nous avons attendu. On nous a servi
3 du thé et du café. Je pensais que le policier militaire allait arriver
4 assez rapidement. Il faut savoir qu'une heure, pour ne pas dire une heure
5 et quart, s'est écoulée avant que quelqu'un ne vienne finalement nous dire
6 qu'une voiture nous attendait avec le policier militaire.
7 Il était 12 heures 30, voire 13 heures. Nous avons suivi ce policier
8 militaire dans une auto de la police, qui était un Lada, jusqu'au carrefour
9 Cajdras. A ce moment, il est sorti, il a parlé pendant cinq minutes aux
10 miliciens. Il était assez manifeste qu'il n'était par particulièrement ravi
11 de la situation, mais nous, nous avions rempli notre promesse. Nous nous
12 sommes rendus au QG du corps, Ils n'ont eu d'autre possibilité que de nous
13 laisser passer.
14 Q. Est ce que votre convoi qui était composé de deux véhicules blindés, de
15 la voiture de la police militaire de l'ABiH, a pu se rendre vers
16 Grahovcici ?
17 R. Oui. Nous avons pris la route. Il y a eu deux autres petits postes de
18 contrôle. Nous avons pu passer grâce aux négociations menées à bien de
19 façon positive par le policier militaire, jusqu'au moment où nous sommes
20 arrivés à un autre poste de contrôle, dans un village qui s'appelait Novo
21 Selo. Alors là, nous avons été arrêtés par d'autres soldats qui avaient
22 construit une barricade de fortune sur la route. Ils ont commencés à avoir
23 une discussion assez houleuse avec le policier militaire. Je me suis
24 rapproché pour voir ce qui se passait. Dans un premier temps, ils ont
25 accusés le policier militaire d'être un espion croate. J'ai dit : "Vous
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1 pensez vraiment qu'il est vraisemblable que je sois escorté par un espion
2 croate qui se trouve dans un voiture de police militaire de l'ABiH ?" Ils
3 ont dit : "Nous ne connaissons pas cet homme. Il pourrait être n'importe
4 qui. De toute façon. "
5 Q. Je m'excuse de vous interrompre. Je veux savoir que portaient les
6 soldats qui vous ont arrêtés à Novo Selo ?
7 R. Ils portaient des tenues de camouflage. Il y en avait certains qui
8 portaient des turbans avec des descriptions arabes. Lorsqu'on voyait leur
9 visage, il était évident qu'ils étaient de la Bosnie. Nous avions, parmi
10 nous, les soldats britanniques. Nous avions établi des catégories pour les
11 soldats de l'ABiH. En haut, dans la catégorie supérieure, il y avait la
12 catégorie la plus dangereuse, les Moudjahiddines, les combattants
13 étrangers. La catégorie la plus basse, était la catégorie de personnes avec
14 qui il était le plus facile de traiter, à savoir, les représentants de la
15 milice locale, qui étaient très souvent des hommes d'un certain âge, qui
16 voulaient véritablement être sains et saufs, pour pouvoir rentrer chez eux
17 à la fin des opérations. Il y avait plusieurs unités régulières de l'ABiH.
18 Ce n'était pas très facile de traiter avec eux. Il y avait une organisation
19 qui s'appelait la 7e Brigade musulmane. Il s'agissait de soldats de l'ABiH.
20 Il s'agissait de personnes qui étaient de confession musulmane. Il y en
21 avait de nombreux qui portaient une barbe longue. Certains avaient des
22 tenues vestimentaires arabes ou afghanes. Certains d'entre eux essayaient
23 dans la mesure du possible, de ressembler aux Moudjahiddines étrangers.
24 Nous les appelions les pseudo Moudjahiddines ou les Moudjahiddines de
25 plastique. C'était un terme péjoratif pour décrire la façon dont ils
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1 imitaient les Moudjahiddines. Ils faisaient semblant d'être des Arabes qui
2 portaient la barbe longue, avec des turbans où il y avait des inscriptions
3 arabes, mais ce n'était pas des vrais. Ils étaient Bosniens. Il y avait
4 cinq ou six de ces personnes. De loin, c'étaient les plus agressifs à ce
5 poste de contrôle. Les autres étaient des soldats réguliers, des soldats de
6 la Bosnie, de la 7e Brigade musulmane.
7 Q. D'après votre expérience, d'après les informations que vous avez
8 obtenues à l'époque, lorsque vous avez rencontré ces soldats du poste de
9 contrôle de Novo Selo, est-ce que vous savez à quelles unités ils
10 appartenaient ?
11 R. Tout à fait, parce que je leur ai posé la question. Je leur ai dit :
12 "Ecoutez, vous nous avez déjà laissé passer au poste de contrôle de
13 Cajdras, pourquoi est-ce que vous n'allez pas laisser passer un policier
14 militaire ?" Ils m'ont dit : "C'est parce que nous appartenons à un brigade
15 différente." Je leur ai dit : "A quelle brigade appartenez vous ?" Ils nous
16 ont dit : "La 7e Brigade de montagne." Je leur ai dit : "De quoi ai-je
17 besoin pour avoir l'autorisation de passer à votre poste de contrôle ?" Ils
18 m'ont dit : "Vous devez avoir un document signé par le commandant du
19 corps." Nous en avons parlé pendant 10 à 15 minutes. Je leur ai dit : "Je
20 vais me procurer ce document. Vous allez véritablement avoir des problèmes,
21 parce que je reviendrai en possession de ce document." Ils m'ont regardé
22 avec un air de me dire, il y a aucune façon pour vous d'obtenir ce
23 document.
24 M. MUNDIS : [interprétation] Commandant Kent-Payne, j'imagine que vous avez
25 entendu ce que vient de vous demander l'interprète.
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1 Q. Avez-vous, par conséquent, essayé d'obtenir ce document ?
2 R. Oui. Nous avons rebroussé chemin une fois de plus avec le policier
3 militaire. Nous sommes revenus au quartier général du
4 3e Corps à Zenica. Je suis allé voir le colonel Merdan une fois de plus. Il
5 nous a dit que nous devions attendre, que le général aille finir par signer
6 le document dont nous avions besoin. J'ai demandé à voir le général
7 Hadzihasanovic, parce que je voulais lui dire personnellement quelles
8 étaient nos difficultés, alors que nous ne souhaitions qu'accomplir la
9 mission qui était la nôtre et qui était légitime dans le cadre des Nations
10 Unis.
11 J'ai pu parler environ cinq minutes au général. Il m'a répondu que oui, il
12 allait faire en sorte que nous obtenions ce document. J'imaginais qu'il
13 allait le signer sur place et me le donner. En Bosnie, à l'époque, les
14 choses ne se passaient pas ainsi. Par conséquent, on nous a demandé de
15 patienter dans une pièce. On nous a donné de la vodka, ce qui était
16 inhabituel. Généralement, on nous donnait de la slivovice. On nous à fait
17 attendre pendant une heure 15 environ, avant de nous donner enfin ce
18 document vers
19 16 heures 30 ou 17 heures.
20 Ce document avait été rédigé à la machine à écrire. Il y avait également le
21 nom et la signature du général sur ce document.
22 Q. Commandant, après avoir reçu ce document, qu'avez-vous fait ?
23 R. J'ai pris le document, je suis retourné vers le véhicule, puis nous
24 sommes retourné vers Novi Selo. J'ai montré le document au commandant du
25 poste de contrôle qui avait l'air très déçu que nous aillons pu l'obtenir.
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1 Il ressortait très clairement que c'était bien le nom et la signature qu'il
2 fallait, Il nous a laissé, il n'avait pas le choix.
3 Nous n'étions qu'à un kilomètre de Grahovcici. Il commençait à faire nuit.
4 Il était 18 heures 30, 19 heures. Le travailleur des Nations Unies nous a
5 dit qu'en théorie, il ne devait travailler que jusqu'à 17 heures, que nous
6 devions revenir un autre jour. Je lui ai indiqué qu'il m'avait demandé
7 d'aller dans ce village, que nous devions poursuivre notre mission, étant
8 donné que cela faisait huit ou neuf heures que nous essayions d'aller
9 jusqu'à Grahovcici.
10 Q. Commandant, à quelle distance de votre garnison à Vitez se trouvait
11 Grahovcici ?
12 R. Je ne pourrais vous le dire avec exactitude sans examiner une carte. Je
13 dirais, au maximum, 6 où 7 kilomètres. C'est un endroit qui se trouvait en
14 hauteur dans les collines.
15 Q. Dans des conditions normales, combien de temps mettraient deux Warriors
16 pour se rendre de Vitez jusqu'à Grahovcici ?
17 R. En suivant le chemin que nous avons emprunté, du poste de contrôle de
18 Cajdras jusqu'à Grahovcici, nous aurions dû mettre 20 à 25 minutes.
19 Manifestement, cela nous a pris plusieurs heures pour effectuer ce trajet
20 avec les différents retards et avec l'attente au quartier général.
21 Q. Si je ne m'abuse, vous nous avez dit que c'est entre
22 18 heures 30 et 19 heures que vous êtes arrivés enfin à Grahovcici, le 14
23 juin 1993.
24 R. Nous sommes arrivés au poste de contrôle de Cajdras à
25 10 heures. Jusqu'à la fin de cette mission, cela nous a pris neuf heures
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1 pour pouvoir remonter dans nos véhicules et emmener l'observateur des
2 Nations Unies jusqu'à ce village.
3 Q. Que s'est-il passé au moment où cet observateur des Nations Unies est
4 arrivé au village, où vous avez pu l'y emmener ?
5 R. Comme je vous l'ai dit, la nuit commençait à tomber. Nous n'avions pas
6 énormément de temps. Nous avons passé environ 15 minutes dans le village.
7 Il y avait un certain nombre de porcs et de chiens morts qui se trouvaient
8 dans les parages. Il y avait des traces de sang, mais il n'y avait pas de
9 cadavres ou de signes indiquant que des atrocités auraient pu y être
10 commises.
11 En tant que soldat d'infanterie, j'ai examiné les positions défensives des
12 Croates. On voyait qu'une bataille avait eu lieu. Il y avait plusieurs
13 milliers de douilles vides dans les tranchées. On voyait que des obus de
14 mortier avaient explosés. Il n'y avait pas de civils, il n'y avait pas de
15 signes de présence de soldats de l'ABiH. Pour autant que j'ai pu le
16 constater, aucun bâtiment n'avait été incendié où détruit, à part les
17 dégâts habituellement causés par des combats.
18 Après ce temps que nous avons passé sur place, l'observateur des Nations
19 Unies nous a prié de le ramener. Nous l'avons ramené à Vitez.
20 Q. Commandant Kent-Payne, vous souvenez-vous d'une autre occasion où vous
21 vous êtes rendus dans la zone de Guca Gora ?
22 R. Oui. Les choses se sont passées de la manière suivante. Les postes de
23 contrôle tenus par l'ABiH dans la zone de Guca Gora, ont été enlevés autour
24 du 14 ou du 15 juin. En effet, le HVO, la milice croate, nous avait demandé
25 de nous rendre au village de Pokrajcici, qui se trouve à l'ouest de la
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1 vallée de la Bila. Ils nous ont demandé de participer à un échange de
2 corps. Nous l'avons fait. Nous avons aidé à récupérer des corps de soldats
3 du HVO sur les lignes de front. En échange de cette faveur, j'ai demandé au
4 commandant croate local, de faire en sorte que les véhicules de ma
5 compagnie soient autorisés à parcourir cette ligne de front. En pratique,
6 cela voulait dire que nous pouvions passer de Vitez à Guca Gora, sans
7 passer par des postes de contrôle de l'ABiH. Il ne pouvait pas nous
8 empêcher de pénétrer dans cette zone. Par conséquent, ces postes de
9 contrôle n'avaient plus lieu d'être.
10 Le 16 juin, j'ai emmené une patrouille sur la ligne de front croate à Guca
11 Gora, pour voir si les étrangers se trouvaient encore à proximité du
12 monastère, et voir qu'elle était la situation, si les maisons du village
13 avaient été incendiées ou ce qui s'était passé.
14 Nous sommes arrivés au monastère. Nous nous sommes arrêtés devant. Lorsque
15 j'ai enlevé mes écouteurs radio, j'ai pu entendre qu'on était en train de
16 briser des vitres à l'intérieur du monastère. Je suis sorti du véhicule
17 avec un interprète et mon garde du corps. Je me suis avancé jusqu'à la
18 porte, et je l'ai ouverte. A l'intérieur du monastère, j'ai pu voir une
19 vingtaine ou une trentaine de femmes plutôt âgées qui étaient en train de
20 balayer et de nettoyer le monastère. Le bruit que j'avais entendu, c'était
21 le verre brisé que l'on était en train de balayer et de rassembler.
22 Elles étaient en train de laver le sol également, et d'essayer d'effacer
23 des inscriptions en arabe qui avaient été peintes sur les murs. J'ai
24 regardé autour de moi, et j'ai pu voir clairement que les dégâts et les
25 profanations à l'intérieur du monastère étaient importants. Pour autant que
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1 je puisse m'en souvenir, le confessionnal en bois avait été détruit et
2 incendié. Il y a un certain nombre de stèles qui avaient été détruites. Le
3 reste ayant été maculé d'excréments. On avait essayé également d'effacer
4 des fresques sur les murs et d'inscrire des inscriptions en arabe sur les
5 murs avec des bonbonnes de peinture.
6 On avait essayé également de marteler les fresques sur les murs au moyen de
7 pioches ou autre. J'ai pu constater qu'il y avait eu une profanation
8 importante dans ce lieu de culte. Un policier militaire de l'ABiH est
9 arrivé quelques minutes plus tard. Il nous a dit de quitter l'endroit
10 immédiatement. Je lui ai dit qu'à mes yeux, on essayait de cacher ce qui
11 s'était passé. On essayait d'enlever les traces. Il m'a dit que le quartier
12 général du 3e Corps de Zenica lui avait demandé de demander à ces femmes de
13 redonner un aspect acceptable à l'église suite aux dégâts.
14 Q. Commandant Kent-Payne, vous êtes-vous rendu au monastère de Guca Gora à
15 une date ultérieure, après les événements que vous nous avez décrits le 16
16 juin 1993 ?
17 R. Vers la fin du mois de juin 1993, autour du 30 juin, l'officier chargé
18 des opérations, m'a demandé d'emmener le prêtre de l'église de Vitez avec
19 notre propre aumônier jusqu'au monastère de Guca Gora. En Bosnie, il y
20 avait énormément de rumeurs qui couraient. Les Croates pensaient que les
21 Musulmans de Bosnie avaient complètement détruit le monastère, qu'ils
22 l'avaient incendié et détruit. L'on souhaitait emmener le prêtre au
23 monastère, pour qu'il constate les dégâts, pour qu'il puisse rassurer les
24 fidèles quant aux faits que le monastère n'avait pas été détruit,
25 contrairement à ce que l'on pensait.
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1 Pour ce faire, j'ai reçu des instructions me demandant d'aller au quartier
2 général du 3e Corps de l'ABiH, pour obtenir une autorisation écrite du
3 commandant du 3e Corps, pour que je puisse traverser les différents postes
4 de contrôle jusqu'à Guca Gora. On m'a demandé également de faire cela pour
5 que le policier militaire voie que nous avions une autorisation écrite pour
6 inspecter le monastère.
7 Je n'ai pas vu le général au quartier général du 3e Corps de l'ABiH, mais
8 j'ai vu le commandant adjoint, le colonel Merdan. Je lui ai dit que la
9 profanation du monastère était un acte d'une gravité non négligeable, que
10 nous avons entendu à maintes reprises que c'étaient uniquement le HVO et
11 les Serbes qui détruisaient des lieux de culte ou des édifices religieux,
12 par exemple, la mosquée d'Ahmici et de Bandol ont été complètement
13 détruites par le HVO. Je lui ai dit que s'il autorisait ses troupes et ses
14 hommes à profaner le monastère de Guca Gora, aux yeux de la Communauté
15 internationale, il serait jugé de façon aussi sévère que les deux autres
16 partis. Le HVO et les Croates, quant à eux, ne manqueraient pas d'utiliser
17 ce type d'acte dans leur propagande, pour montrer que ce type de
18 profanation avait eu lieu.
19 Le colonel Merdan m'a dit qu'il ne s'agissait pas de troupes de l'armée
20 régulière qui était les auteurs de ces actes, mais qu'il s'agissait des
21 Moudjahiddines. Je lui ai dit : "Enfin, ils relèvent de votre contrôle. Par
22 conséquent, c'est vous qui êtes responsable." Il m'a répondu par la formule
23 suivante. Il m'a dit : "Vous devez bien comprendre que ces étrangers sont
24 comme le génie à l'intérieur de la lampe d'Aladin. Vous pouvez faire sortir
25 le génie, mais il est très difficile de refaire entrer les étrangers à
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1 l'intérieur de la lampe, et il a dit qu'il devait s'occuper de cette
2 question de faire en sorte que ces étrangers ne se comportent pas de façon
3 contraire aux conventions de Genève.
4 De là, nous sommes partis pour le monastère et, effectivement, on avait
5 essayé de remettre de l'ordre et d'effacer les traces des dégâts. Tout
6 était plus propre, mais les vitraux, vieux de 500 ans, brisés, n'ont pas pu
7 être reconstitués, et on pouvait encore voir les traces des dégâts. Voilà
8 la dernière où je me suis rendu à Guca Gora.
9 Q. Commandant, lorsque le colonel Merdan vous avez parlé du génie de la
10 lampe d'Aladin, comment avez-vous réagi ?
11 R. Je crois qu'il était en train de reconnaître que ces étrangers
12 faisaient partie de son organisation, mais qu'il s'agissait d'éléments
13 indisciplinés qu'il s'efforçait de contrôler, mais qu'il n'était pas sûr du
14 meilleur moyen d'y parvenir à l'époque.
15 Q. Pour ce qui est de l'information que vous reçue et de ce que vous avez
16 pu observer au moment où vous étiez sur le terrain en Bosnie, quelle
17 conclusion avez-vous pu tirer sur les Moudjahiddines, si vous avez tiré des
18 conclusions ?
19 R. Il s'agissait, très clairement, d'éléments fanatiques. Ils voyaient le
20 HVO et même les Nations Unies comme leur ennemis. D'après les éléments que
21 j'ai pu observés dans les alentours de Guca Gora et d'après les anecdotes
22 que j'ai pu entendre d'autres commandants des Nations Unies, je crois que
23 ces étrangers ont été utilisés comme fer de lance de toutes les attaques du
24 3e corps de l'ABiH. Je crois qu'ils faisaient partie de la 7e Brigade
25 musulmane, comme on l'appelait, qui était, une fois de plus, de fer de
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1 lance du 3e Corps. Il ressentait clairement qu'ils étaient indisciplinés,
2 incontrôlés, mais qu'ils agissaient tout de même dans le cadre de
3 l'organisation qu'on connaissait sous le nom de 3e Corps.
4 Q. Pouvez-vous expliquer aux Juges de la Chambre ce que vous entendez par
5 "fer de lance" ?
6 R. Oui. Dans toute attaque, il faut que certains éléments soient le fer de
7 lance de l'attaque, et c'est souvent les étrangers, de la 7e Brigade, qui
8 jouaient ce rôle pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord, les
9 étrangers étaient le mieux équipés et les plus fanatiques. Deuxièmement, il
10 s'agissait d'étrangers.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Bourgon.
12 M. BOURGON : Merci, Monsieur le Président. Les questions soulevées par
13 l'Accusation à ce stade-ci font appel à l'opinion du témoin sur des faits
14 sur lesquels il n'a offert aucun renseignement, aucune information
15 aujourd'hui. La question, Madame la Greffière, Monsieur le Président, du
16 témoignage d'opinion a été soulevée devant cette Chambre à quelques
17 reprises depuis le début du procès. Nous tentons, tant bien que mal, de
18 laisser l'Accusation procéder comme elle l'entend, et nous allons, lors du
19 contre-interrogatoire, faire en sorte de faire valoir sur quoi repose la
20 question de l'opinion. Toutefois, Monsieur le Président, je crois que nous
21 nous aventurerons ici sur un terrain glissant puisque là nous commençons à
22 poser des questions au témoin sur ses connaissances militaires, des
23 connaissances -- des questions qui sont normalement posées à un expert. Or,
24 le témoin qui est devant cette Chambre aujourd'hui n'est pas un expert ou,
25 s'il l'est, il n'a pas été qualifié en tant que tel. Il était sur le
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1 terrain, d'accord, mais si on veut lui poser des questions à savoir qui
2 menait les attaques, encore faudrait-il qu'il nous est dit qu'il a vu des
3 attaques ou qu'il a reçu des informations comme quoi certains éléments,
4 certaines unités, menaient les attaques.
5 Or, en l'occurrence, on a eu un témoignage aujourd'hui, de ce témoin, qui a
6 parlé de quelques incidents précis, un incident devant un point de
7 contrôle, un incident près du monastère à Guca Gora et un autre incident où
8 il visite un village à Grahovcici. Jamais il n'a été question d'attaque si
9 ce n'est de dire qu'il a vu une carte dans le bureau du général, avec des
10 flèches. C'est tout ce que nous avons de ce témoin, et là, le témoin se
11 permet de nous dire qu'il sait qui fait les attaques, comment sont
12 conduites les attaques, quelles unités font partie des attaques, et tout
13 cela sans aucun de fondement, de par son opinion, parce qu'il était un
14 militaire sur le terrain.
15 Nous, Monsieur le Président, nous sommes d'avis que si nous laissons ce
16 témoin faire, il faudra faire de même avec tous les autres témoins. Et si
17 tous les autres témoins font de même, nous allons alors glisser vers le
18 fait que la preuve, qui sera entendue devant cette Chambre, ne pourra pas -
19 - ne sera pas utile à la Chambre pour déterminer la question en litige.
20 Je fais référence aux arguments juridiques que la Défense a déjà soulevés
21 concernant la différence entre le témoignage d'un expert et l'opinion d'un
22 témoin ordinaire. Pour ces raisons, Monsieur le Président, j'aimerais -- la
23 Défense aimerait obtenir une décision de la part de la Chambre concernant
24 le témoignage d'opinion, et nous allons nous y ajuster peu importe quelle
25 sera votre opinion, Monsieur le Président. Merci.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, avant qu'on prenne une décision, quelle est la
2 position de l'Accusation ? Je résume en deux mots : L'Accusation a posé la
3 question au témoin d'indiquer, à son avis, que faisaient ces
4 Moudjahiddines. Lui a répondu : ils étaient des fers de lance. L'Accusation
5 a dit, à ce moment-là -- a indiqué au témoin : qu'est-ce que vous entendez
6 par "fers de lance" ? Lui a répondu que, dans toute armée, il y a toujours
7 des éléments qui sont investis de la mission d'attaque et que, dans le cas
8 de l'espèce, c'étaient des étrangers, c'étaient les Moudjahiddines.
9 Alors, Monsieur Mundis, sur ce témoignage d'opinion que --
10 M. DIXON : [interprétation] Monsieur le Président --
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui. Alors, M. Dixon va en rajoutant également.
12 M. DIXON : [interprétation] Monsieur le Président, si je puis me permettre
13 d'ajouter quelque chose à ce qu'a dit Me Bourgon, avant l'Accusation ne
14 réponde. Nous appuyons ce qui a été dit par Me Bourgon. En effet, la
15 déposition du témoin devrait se limiter à ce qu'il a vu et à ce qu'il a pu
16 voir compte tenu de son expérience. Vous avez déjà rendu des décisions pour
17 des témoins précédents, selon lesquelles ces témoins ne devaient déposer
18 que sur des questions pertinentes et, notamment, des questions liées à ce
19 qu'ils ont vu à l'époque. Dans ce cas précis, nous estimons qu'il faut
20 absolument que la déposition du témoin se limite aux éléments sur lesquels
21 il est en mesure de déposer. Nous ne devons pas permettre à ce témoin de se
22 lancer dans des spéculations ou des extrapolations. Bien entendu, les Juges
23 seront certainement en mesure d'intervenir, en temps opportun, là-dessus et
24 ils nous feront parvenir notre point de vue.
25 Mais quant à la valeur probante, que l'on peut attacher à des opinions
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1 exposées par le témoin ou à des hypothèses, est extrêmement limitée. Nous
2 pensons qu'étant donné le caractère limité de cette valeur probante, nous
3 devrions exclure ce type de déposition en audience publique en raison des
4 effets néfastes pour l'accusé.
5 Nous ne pouvons accepter que le procès se déroule sur la base de rumeurs.
6 Il doit, au contraire, s'appuyer sur des faits établis.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, Monsieur Mundis, quelle est la position de
8 l'Accusation compte tenu des observations de la Défense dont Me Dixon
9 ajoute également que ce qu'il dit, lui, sur les fers de lance ? Ce n'est,
10 en réalité, que ce qu'il a pu entendre d'autres personnes et qu'il ne peut
11 pas témoigner directement sur cette question ?
12 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. L'Accusation
13 demanderait que le témoin ne soit pas présent dans le prétoire, pour que
14 nous puissions répondre à la Défense.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je vais demander à Monsieur l'Huissier de bien
16 vouloir raccompagner, pendant quelques instants, le témoin à la porte de la
17 salle d'audience.
18 Monsieur le Témoin, vous allez quitter la salle pendant quelques minutes.
19 [Le témoin se retire]
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis, vous avez la parole.
21 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
22 Tout d'abord, aux fins du compte rendu d'audience, j'aimerais rappeler que
23 l'Accusation a demandé au témoin quelles étaient ses conclusions sur la
24 base des informations qu'il a reçues et sur la base de ce qu'il a pu
25 observer.
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1 Comme la Défense n'est pas sans l'ignorer, à maintes reprises dans cette
2 affaire, on a estimé que les éléments de preuve par ouï-dire sont
3 recevables, à condition que la source de l'information soit connue de la
4 Chambre. Pour ce qui est de l'aspect ouï-dire, par conséquent, l'Accusation
5 affirme qu'on ne peut interdire à un témoin de tirer des conclusions sur la
6 base de l'ouï-dire, tout comme il peut tirer des conclusions sur la base
7 d'autres renseignements dont il dispose.
8 Le témoin a déposé sur un certain nombre d'événements. On peut
9 raisonnablement en conclure qu'il y avait un certain degré d'interaction
10 entre les combattants étrangers et les membres de l'ABiH, y compris les
11 incidents qui se sont déroulés aux postes de contrôle.
12 Quant à la question qui portait sur certains éléments qui auraient été le
13 fer de lance, cela nous ramenait à la question d'une information qui était
14 à la disposition du témoin sur la base des briefings et sur la base des
15 rapports de renseignement dont il a eu connaissance. Il ne s'agit pas d'un
16 témoin expert. Nous ne l'avons pas cité à comparaître en qualité de témoin
17 expert, et la Défense le sait. Pour un certain nombre de témoins,
18 toutefois, l'Accusation leur a demandé quelles étaient les conclusions
19 qu'ils ont pu y tirer sur la base de ce qu'ils ont pu observer ou sur la
20 base des renseignements dont ils disposaient. L'Accusation affirme qu'il
21 s'agit là de questions qui peuvent tout à fait être posées. Me Dixon a
22 raison de dire que la question du poids à accorder à ce type de témoignage
23 se pose, mais l'Accusation estime qu'il ne s'agit pas d'éléments qui
24 peuvent porter préjudice à l'accusé. Nous nous trouvons, en effet, devant
25 un Tribunal international, devant une Chambre composée de magistrats
Page 4822
1 professionnels, qui sont parfaitement qualifiés pour se prononcer sur la
2 valeur à accorder à ces témoignages.
3 Lorsque vous aurez à délibérer sur le poids à accorder à un tel et tel
4 élément, cela n'entraînera pas des questions sur la recevabilité des
5 éléments. Il s'agit d'éléments qui sont recevables pour l'Accusation. Quant
6 au poids à accorder à tel ou tel aspect, c'est une autre question.
7 L'Accusation estime que c'est au terme du procès, une fois que tous les
8 éléments de preuve auront été exposés à l'intention des Juges, qu'il
9 conviendra de se poser la question du poids à accorder aux différents
10 éléments.
11 C'est notamment le cas dans des cas comme celui-ci, où l'on se base sur des
12 éléments de contexte. Il s'agit d'éléments d'un puzzle qui ne donneront une
13 image plus claire qu'au terme de l'exposé des éléments de preuve dans cette
14 affaire.
15 Nous pensons qu'à ce stade, il convient de se prononcer sur la recevabilité
16 de ce type d'éléments de preuve et non pas du poids à leur accorder. Nous
17 affirmons que ces éléments sont recevables sur la base de la pratique, qui
18 était suivie par cette Chambre de première instance, mais également sur la
19 base de ce que nous a dit le témoin, à savoir, les éléments dont il
20 disposait, les renseignements dont il disposait, les observations qu'il a
21 pu faire, qu'il l'ont amené à tirer ces conclusions.
22 Une fois de plus, Monsieur le Président, je sais que l'Accusation est déjà
23 intervenue dans ce sens à plusieurs reprises, mais nous aimerions demander,
24 une fois de plus, à la Défense, que si elle devait soulever de telles
25 objections à l'avenir, que la Défense demande que l'on fasse sortir le
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1 témoin du prétoire, car nous estimons que ce type d'argument ne doit pas
2 être évoqué en présence du témoin.
3 Je vous remercie.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Mundis.
5 Avant de redonner la parole à Me Bourgon, je tiens à préciser le périmètre
6 du débat. A la page 64, ligne 23, le transcript en fait foi. L'Accusation
7 pose la question suivante au témoin : "Selon les informations que vous avez
8 reçues et les choses que vous avez observées sur le terrain en Bosnie,
9 quelles sont les conclusions, selon vous, que vous pouvez tirer sur les
10 Moudjahiddines ?"
11 Voilà le premier élément de la question. Un, l'information qu'il a; et
12 deux, ce qu'il a pu observer, et que peut-il dire des Moudjahiddines.
13 C'est à ce moment-là, qu'il développe sa réponse qui est à la page 65,
14 ligne 1. Le témoin, de lui-même, évoque la question de fer de lance, en
15 anglais "spearhead", ligne 4 de la page 65. A ce moment-là, l'Accusation
16 demande au témoin : "Qu'entendez-vous par "spearhead", par fer de lance ?"
17 C'est à ce moment-là que lui dit : "Dans une attaque," et là, il répond en
18 termes militaires, "il y a toujours des éléments qui sont de première
19 ligne." Il dit : "C'étaient les étrangers de la 7e Brigade."
20 Etant bien précisé le périmètre, je vous redonne la parole. Nous allons
21 nous retirer pour délibérer pour savoir s'il peut continuer à répondre sur
22 cette question.
23 M. BOURGON : Merci, Monsieur le Président. Je crois que la Chambre a
24 identifié exactement la bonne question, au bon endroit, c'est-à-dire, à la
25 page 64, ligne 23. Nous demandons alors au témoin, sur la base de deux
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1 choses : Tout d'abord, l'information qu'il a reçue; deuxièmement, les
2 choses qu'il a observées; ensuite, on lui demande son opinion, on lui
3 demande de tirer des conclusions au sujet des Moudjahiddines. Dans la
4 réponse du témoin, Monsieur le Président, la Défense est d'avis que la
5 réponse illustre le danger d'admettre ce type de preuve. Dans sa réponse,
6 le témoin nous dit qu'il a pu observer que les Moudjahiddines étaient, à
7 l'égard du HVO et à l'égard des Nations Unies, qu'ils les voyaient comme
8 des ennemis. Le témoin, dans son témoignage aujourd'hui, n'a absolument
9 jamais parlé du HVO et des Moudjahiddines. C'est complètement nouveau.
10 Deuxièmement, les Moudjahiddines traitaient les Nations Unies comme des
11 ennemis. On a parlé de deux incidents aujourd'hui et, en aucun cas, il n'a
12 dit, selon le témoin, qu'il avait été traité comme un ennemi. Il a parlé
13 d'incident où la tension a monté, un incident même, où il y a eu un soldat
14 qui a, accidentellement, tiré un coup de fusil, qui a mené à une escalade,
15 au point tel que le témoin a fait tourner les canons de ces deux véhicules
16 vers les Moudjahiddines. Malgré tout, le témoin a expliqué que, par après,
17 il est monté dans le même véhicule que ces personnes pour se rendre à
18 Maljine et qu'au retour il a dit : "Cela paraîtra bien sur vous, que vous
19 m'ayez emmené à Maljine." Jamais on n'a parlé du fait que les
20 Moudjahiddines traitaient les Nations Unies comme des ennemis. Ce qui est
21 plus important, Monsieur le Président, il dit ensuite : "Sur la base de ce
22 que j'ai vu à Guca Gora et sur la base d'informations, d'anecdotes de la
23 part de différents commandants. Alors, si on regarde dans le témoignage de
24 ce témoin aujourd'hui, qu'est-ce qu'il a vu à Guca Gora ? Il a vu des gens
25 qu'il a qualifiés de Moudjahiddines. Il a vu, à une autre époque, des
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1 écritures en arabe dans l'église, dans la monastère, mais il n'a jamais
2 rien vu du comportement ou de la façon d'attaquer, si attaque il y a eu, de
3 la part des Moudjahiddines ou de l'armée. On n'a aucune information du
4 témoin.
5 Ensuite il nous dit l'anecdote du génie dans la bouteille, lui fait dire
6 que le génie est sorti de la bouteille, mais il n'a pas dit qui avait
7 ouvert le bouchon de la bouteille. Et avec tout ça, sa conclusion c'est que
8 "je crois que la 7e Brigade était le fer de lance, avec les Moudjahiddines,
9 des attaques." Si la Chambre laisse les témoins faire de telles conclusions
10 et de telles opinions sans que ces propos ne fassent partie du témoignage,
11 sans qu'on ait établi une base solide, sans que cela ait fait partie des
12 arguments, des informations fournies par le témoin avant, nous sommes
13 d'avis, Monsieur le Président, que cela pourra plutôt nuire à la Chambre,
14 puisque certains témoins viendront donner des opinions qui seront en faveur
15 des uns, un autre jour en faveur des autres, et qu'au bout de la ligne, on
16 ne pourra pas s'y retrouver.
17 La distinction de base, c'est qu'un témoin de fait vient dire ce qu'il a
18 vu, devant ce tribunal. On permet même à des témoins de parler de ouï-dire,
19 ce qui dans certains autres systèmes n'est pas permis.
20 On accepte beaucoup de choses ici devant ce tribunal, mais de là à
21 permettre à un témoin de fait de donner son opinion, cela risquerait de
22 créer un préjudice aux accusés pour un procès juste et équitable. Merci,
23 Monsieur le Président.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, nous allons nous retirer, mais juste avant de
25 nous retirer, je vais redonner la parole à M. Dixon. Contrairement à ce que
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1 vous indiquez, je voudrais vous signaler qu'à la page 46, lignes 19 et 20,
2 le témoin a fait un rapprochement entre les Moudjahiddines et l'ONU,
3 puisque le Moudjahiddine qui avait l'accent de Yorkshire va insulter les
4 Britanniques et les forces de l'ONU donc il y a déjà ce lien qui existe
5 antérieurement.
6 Monsieur Dixon, et nous allons nous retirer.
7 M. DIXON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. J'ai
8 juste un point à ajouter. Le témoin a seulement mentionné la 7e Brigade à
9 une seule reprise, en fait, une seule fois. Il a dit qu'il aurait été
10 arrêté des membres de cette brigade pendant quelques minutes à un poste de
11 contrôle. C'est la seule fois que cette brigade a été mentionnée.
12 La question suivante concernant cette brigade est celle à laquelle nous
13 nous sommes opposés. Nous disons, tout simplement, qu'il est dangereux de
14 poser ce genre de question parce qu'on accompli là un grand saut sans
15 aucune justification, de notre avis, parce que tout ce qu'il dit est basé
16 sur des hypothèses générales et des extrapolations et sur rien qu'il ait pu
17 voir ou entendre -- rien qu'il ait pu voir ou qu'on lui ait dit. Je
18 demanderais aux Juges d'examiner notre objection à la lumière du témoignage
19 déjà apporté par ce témoin, en particulier au sujet de la 7e Brigade.
20 Vous pouvez très bien me répondre que ce sont des questions que nous
21 pourrons lui poser lors du contre-interrogatoire. Cependant, à notre avis,
22 en raison du gouffre qui existe entre ce que le témoin a effectivement dit
23 lors de son témoignage et les conclusions qu'il est maintenant appelé à
24 tirer, nous en arrivons à dire que nous en sommes au point où cette partie
25 du témoignage devrait être exclus parce qu'elle n'a pas de valeur probante
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1 qu'on pourrait y rattacher, et la Défense ne devrait pas avoir à poser des
2 questions ou à proposer en défense des conclusions -- des arguments
3 relatifs à des conclusions si loin de ce que le témoin a effectivement
4 vécu.
5 Je vous remercie.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis.
7 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie. Très brièvement, je vais
8 dire que la partie du compte rendu de l'audience à la page 64, à laquelle
9 Monsieur le Président a fait référence il y a quelques minutes, et bien, au
10 sujet de ce compte rendu, nous sommes dans la situation suivante : Le
11 témoin a répondu à une question et, lorsque la question suivante a été
12 répondue -- lorsqu'il a été répondu à la question suivante, et bien, M.
13 Bourgon s'est levé pour s'y opposer.
14 Monsieur le Président, je voudrais préciser que ces conclusions [comme
15 interprété] a été la conclusion de cette partie -- de l'interrogatoire
16 principal. Donc, je voudrais juste attirer l'attention de la Chambre sur le
17 fait que ces questions, et bien, elles ont été posées, et lui a répondu.
18 C'était la fin de cette partie de l'interrogatoire. Il ne nous reste que
19 quelques questions à poser au témoin, qui n'ont rien à voir avec ce sujet
20 en particulier. Je vous remercie.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.
22 Comme de toute façon il est 17 heures 25, pour éviter de faire perdre du
23 temps, nous allons nous retirer pour délibérer, et on va considérer qu'on
24 est en pause technique. Nous reprendrons l'audience dans 25 minutes, c'est-
25 à-dire à 17 heures moins 10, ce qui nous permettra d'aller jusqu'à 19
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1 heures.
2 --- L'audience est suspendue à 17 heures 24.
3 --- L'audience est reprise à 17 heures 53.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, l'audience est reprise.
5 La Chambre, qui a délibéré pendant la pause, va rendre sa décision sur la
6 question de savoir si l'Accusation pouvait poser les questions qui ont été
7 évoquées tout à l'heure et s'il fallait rejeter la réponse du témoin au
8 motif que ça serait un témoin de ouï-dire. La Chambre rappelle qu'elle a,
9 dans une décision précédente, indiqué que les témoignages de ouï-dire sont
10 admissibles à la condition que le témoin précise la nature de ses sources
11 et apporte toute clarification concernant l'information dont il a eu
12 connaissance.
13 Il se trouve que, dans le cas de l'espèce, l'intéressé n'a pas pu répondre
14 à cette question de savoir d'où venait ses sources ou connaissances sur le
15 fait que les Moudjahiddines étaient le fer de lance de la 7e Brigade et,
16 par voie de conséquence, du 3e Corps. Et que la Chambre afin de donner, le
17 cas échéant, une valeur probante aux réponses du témoin, va, lorsqu'il va
18 venir tout à l'heure, lui poser personnellement des questions sur les
19 sources qui lui permettent, à lui, d'affirmer que ces Moudjahiddines
20 constituaient le fer de lance. Et nous en tirerons, à ce moment-là, toute
21 conclusion quant à la valeur probante de la réponse.
22 Donc, sans perdre de temps, je vais demander à Monsieur l'Huissier de faire
23 venir le témoin afin que je puisse lui poser les questions.
24 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
25 Questions de la Cour :
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, Monsieur, nous reprenons le fil de
2 l'audience. Il y a eu, tout à l'heure, comme vous l'avez entendu, une
3 objection sur une réponse que vous avez formulée. Afin que la Chambre
4 puisse apprécier la valeur probante de votre réponse, je vais vous poser
5 des questions sur ce qui vous a permis, à vous, de tirer les conclusions
6 quant au fait que ces Moudjahiddines constituaient le fer de lance de la 7e
7 Brigade et, par voie de conséquence, du 3e Corps.
8 Alors, quand vous avez répondu à une question qui était d'ordre générale,
9 spontanément, vous avez parlé de cette notion de fer de lance. Qu'est-ce
10 qui vous permet, en termes militaires et techniques, de dire que ces
11 Moudjahiddines constituaient le fer de lance ? Qu'est-ce qui vous permet de
12 le dire concrètement ? Est-ce que c'est une extrapolation que vous faites
13 ou bien vous vous fondez sur des faits très concrets, des faits de
14 renseignements militaires, des faits liés à une participation à des
15 réunions de travail des commandants de vos unités, à des rapports. Qu'est-
16 ce qui, concrètement, vous permet d'affirmer cela ? Pouvez-vous répondre ?
17 R. Ce que j'ai dit repose sur les réunions, les briefings que notre
18 cellule de renseignement nous fournissait. Après notre première rencontre
19 avec les Moudjahiddines étrangers --
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Effectivement. Vous parlez de cellule de
21 renseignement. Il faut peut-être nous expliquer comment cela fonctionnait,
22 parce que, jusqu'à présent, cela n'a jamais été dit. Vous deviez avoir
23 auprès de vous, une cellule de renseignement. Pouvez-vous décrire ce
24 système de fonctionnement, sauf si cela touche à des problèmes de secret.
25 Sinon, si c'est connu de tout le monde, vous pouvez peut-être nous
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1 expliquer comment ça se passe.
2 R. Normalement, pour autant que l'armée soit concernée, les informations
3 de cette nature, on appelle cela des renseignements, parce que nous
4 travaillons pour les Nations Unies, on appelle cela l'information
5 militaire, ce qui est un terme moins évident, moins courant que le terme de
6 renseignement.
7 Dans chaque unité, il y avait une cellule de renseignement commandée par un
8 capitaine, qui était assisté d'un sergent expérimenté, spécialisé dans le
9 renseignement, qui était professionnellement chargé de réunir du
10 renseignement. Il disposait également de huit à dix soldats qui
11 participaient à la compilation des informations. Leur travail consistait à
12 prendre autant d'informations que possible sur les différentes parties au
13 conflit. Egalement, ils devaient se renseigner sur les personnalités qui
14 commandaient les différentes organisations sur le terrain, la manière dont
15 l'organisation fonctionnait, les armes et les équipements dont elles
16 disposaient, les tactiques utilisées lors des opérations et toute autre
17 information, comme la nature des uniformes, des équipements, des insignes,
18 et cetera.
19 Toutes ces informations étaient réunies par la cellule d'information
20 militaire. Chaque soir, à 18 heures, la hiérarchie du bataillon, y compris
21 moi-même en tant que commandant de compagnie, recevaient de ces
22 informations un briefing, briefing administré par la cellule d'information
23 militaire, qui nous tenait au courant de ce qui avait été découvert par les
24 différents éléments du groupe de bataille, du groupe opérationnel, pendant
25 les dernières 24 heures.
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1 Chaque patrouille que nous envoyions avait également une mission de
2 renseignement militaire. Même lorsque nous escortions un convoi, les
3 officiers du renseignement militaire nous faisaient un briefing, et nous
4 demandaient de trouver certaines informations sur certains villages, les
5 informations dont ils avaient besoin. C'est lors de ces briefings que j'ai
6 reçu des informations sur les Moudjahiddines étrangers. Les officiers
7 d'information militaire nous donnaient ces informations.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez reçu ces informations. En quoi ces
9 renseignements, dont on voit maintenant comment cela a marché, ont pu dire
10 qu'il y avait une force de frappe, disons, les fers de lance ? Comment ces
11 renseignements ont permis de dire que ces Moudjahiddines constituaient le
12 fer de lance du 3e corps ? Est-ce que vous vous rappelez à quel moment cela
13 a été évoqué, et par rapport à quelle situation ou quel fait qui s'est
14 déroulé ?
15 R. Après que j'ai rencontré le Moudjahiddine étranger le 15 mai, c'était là
16 ma première fois que mon bataillon avait entendu parler de ces gens dans
17 notre zone de responsabilité. Ils sont donc devenus une partie de notre
18 mission. Il est devenu impératif pour nous, lors de nos patrouilles, de
19 découvrir autant d'informations que possible. Alors, à chaque fois que nous
20 allions dans un secteur, l'une des questions qu'on nous demandait de poser,
21 était de déterminer ce que ces gens faisaient dans le secteur et quel était
22 leur rôle. Je ne peux que parler de ce que j'ai vécu moi-même. J'ai posé
23 cette question à beaucoup de monde dans des villages, des villages aussi
24 bien croates que musulmans. Ce que m'ont les Musulmans et les Croates, les
25 villageois, ils m'ont dit que c'était là leur rôle.
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1 Ensuite, nous avons transmis cette information à la cellule d'information
2 militaire qui, d'autres patrouilles, avait obtenu d'autres renseignements
3 similaires qui conduisaient à la même conclusion.
4 Lors de réunions, lors de briefings, on nous a donné plusieurs raisons qui
5 expliquaient pourquoi ces soldats accomplissaient ce genre de fonction.
6 L'une de ces raisons, était le fait qu'ils étaient mieux entraînés et
7 qu'ils étaient plus agressifs. La deuxième raison, était le fait qu'ils
8 étaient étrangers, qu'ils pouvaient se permettre peut-être de les perdre.
9 La troisième raison citée, était cette perception de fanatisme accru de
10 leur part, qui était une garantie qui ferait qu'en somme les soldats du HVO
11 préféreraient s'enfuir plutôt que les combattre.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Si je comprends bien, ce n'est qu'uniquement à
13 partir du 15 mai que votre bataillon est sensibilisé à ce problème, qu'à
14 partir du 15 mai, vous essayiez de collecter des renseignements d'ordre
15 divers. Vous avez expliqué que vous, en ayant des contacts avec des Croates
16 ou des Musulmans, vous avez eu ce type d'information. Votre capitaine,
17 assisté de son équipe, du sergent et des huit ou dix militaires, ont
18 également collecté ces informations, et vous les avez réunies pour
19 justement arriver à la conclusion que cela constituait des fers de lance,
20 pour les raisons que vous avez indiquées, à savoir qu'ils étaient mieux
21 entraînés que les autres, qu'ils étaient agressifs, qu'étant étrangers, ils
22 pouvaient mourir au combat, cela ne posait pas de problème pour les locaux,
23 et que ces raisons se suffisaient en elles-mêmes à bien les caractériser.
24 C'est bien votre réponse ?
25 R. C'est exact.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons continuer l'interrogatoire, ceci ayant
2 été dit.
3 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
4 Interrogatoire principal par M. Mundis : [Suite]
5 Q. [interprétation] Monsieur le Commandant, vous nous avez dit, en début
6 d'après-midi, vous nous avez parlé de votre première rencontre avec le
7 général Hadzihasanovic. Vous nous avez dit que, par la suite, vous l'avez
8 revu en deux ou trois autres occasions, également lors d'une rencontre non
9 professionnelle. Est-ce exact ?
10 R. Oui, c'est exact.
11 Q. Mis à part de cette rencontre non professionnelle, je dirais sociale,
12 je veux dire lors de ces deux rencontres professionnelles dont vous nous
13 avez parlées ultérieurement, vous souvenez-vous, approximativement, quel
14 jour, de quel mois vous avez rencontré le général Hadzihasanovic ?
15 R. Je ne m'en souviens pas exactement. Je dirais que c'était lors des deux
16 premiers mois de mon affectation, comme je l'ai rencontré au quartier
17 général du 3e Corps pour lui demander une autorisation écrite de passer par
18 un poste de contrôle. Je l'ai également transporté dans ma voiture, alors
19 qu'il se rendait à une conférence organisée par Alastair Duncan.
20 Q. Au total, combien de fois avez-vous dû aller demander une autorisation
21 écrite de franchir un poste de contrôle ?
22 R. Je suis sûr de deux occasions. L'incident que j'ai décrit, et un autre
23 incident ultérieur, lors duquel on nous a arrêté à un poste de contrôle sur
24 la route de Jelinak. Le commandant de la BiH locale a refusé de nous
25 laisser passer. Ensuite, je suis allé chercher l'autorisation écrite de
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1 franchir ce poste de contrôle, en particulier.
2 Q. Monsieur le commandant, quel a été le résultat de votre démarche lors
3 de cette deuxième démarche auprès du général Hadzihasanovic ?
4 R. Une fois encore, nous avons pu franchir le poste de contrôle pour finir
5 notre mission, mais seulement on nous a arrêtés ultérieurement à un autre
6 poste de contrôle. A ce moment-là, on avait déjà donné notre autorisation,
7 si bien que nous avons dû refaire la même procédure. A ce moment-là, il
8 était déjà trop tard, il commençait à faire nuit. Nous sommes retournés au
9 quartier général du corps.
10 Q. Je vous remercie.
11 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, nous n'avons plus de
12 questions pour le moment.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie, Monsieur Mundis.
14 Sans perdre de temps, je vais me retourner vers la Défense. Il nous reste
15 50 minutes. Je ne sais pas si cela suffira. Peut-être qu'il faudra que cela
16 se poursuive demain, mais c'est la Défense qui est maître du timing. Je lui
17 donne la parole, étant précisé que la Chambre, aura après également,
18 quelques questions d'ordre technique. Vous avez la parole.
19 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
20 Contre-interrogatoire par Mme Residovic :
21 Q. [interprétation] Bonsoir, Monsieur le Commandant Kent-Payne. Je suis
22 Edina Residovic, et je suis le Défenseur du général Hadzihasanovic.
23 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, compte tenu du
24 poste occupé par le commandant à l'époque, la période liée par l'acte
25 d'accusation, qui concerne la Défense du général Hadzihasanovic, je vais
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1 lui poser beaucoup de questions qui ont à voir avec le contexte général de
2 la situation. Après je lui poserai quelques questions sur son témoignage.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Posez-lui toutes les questions que vous voulez, mais
4 posez des questions courtes pour qu'il réponde et pas des questions qui
5 font une demi-page, où le témoin risque d'être désorienté. Dans la mesure
6 du possible, essayez de lui poser des questions étape par étape, afin de
7 faire progresser le champ de vos questions.
8 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie. Je vais suivre vos
9 instructions.
10 Q. Monsieur le Commandant, aujourd'hui vous avez rencontré
11 M. Stéphane Bourgon, qui est le co-conseil du général Hadzihasanovic, est-
12 ce exact ?
13 R. [aucune interprétation]
14 Q. Le 10 mai 2000, vous avez été interrogé par --
15 M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]
16 Mme RESIDOVIC : [interprétation]
17 Q. Monsieur le Commandant, pouvez-vous, s'il vous plaît, répondre à voix
18 haute. Vous avez hoché la tête, mais cela n'apparaît pas sur le compte
19 rendu d'audience. Est-ce exact de dire que vous avez rencontré M. Stéphane
20 Bourgon, le co-conseil du général Hadzihasanovic ?
21 R. Oui, c'est exact.
22 Q. Est-il également exact de dire qu'en mai 2000, vous avez donné une
23 déclaration à un enquêteur du bureau du Procureur, que vous avez signé
24 cette déclaration ?
25 R. Oui, c'est exact également.
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1 Q. Dans cette déclaration, vous avez dit que vous n'aviez mentionné que
2 des choses dont vous étiez au courant, qui étaient vraies pour autant que
3 vous le sachiez, est-ce exact ?
4 R. Oui, c'est exact.
5 Q. En réponse à une question de mon collègue, vous avez dit que vous aviez
6 servi au sein de l'armée britannique depuis 1977.
7 R. Oui, c'est exact.
8 Q. En avril 1993, vous avez été affecté en Bosnie-Herzégovine pour une
9 mission.
10 R. Oui, c'est exact.
11 Q. Vous faisiez partie du Régiment du Prince-de-Galles dans le bataillon
12 britannique de FORPRONU. C'est à ce moment-là que vous êtes arrivé en
13 Bosnie-Herzégovine.
14 R. Oui, c'est exact.
15 Q. Avant de vous rendre là, vous avez passé une courte période en Bosnie
16 centrale, en février 1993, lorsque vous faisiez partie de la mission de
17 reconnaissance.
18 R. Oui. Nous y avons passé à peu près cinq ou six jours, en février 1993,
19 pour une mission de reconnaissance.
20 Q. La mission à laquelle vous participiez en février 1993 était dirigée
21 par des officiers de haut rang du Régiment du Prince-de-Galles. Est-ce
22 exact ?
23 R. Oui, c'est exact.
24 Q. Lorsque vous vous êtes rendu en Bosnie-Herzégovine, vous étiez
25 commandant de l'armée britannique. Est-ce exact ?
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1 R. Oui, c'est exact.
2 Q. Aujourd'hui, vous êtes aussi et toujours commandant de l'armée
3 britannique ?
4 R. Oui.
5 Q. Avant cette mission en Bosnie-Herzégovine, et c'est la conclusion à
6 laquelle nous pouvons aboutir sur la base de votre expérience
7 professionnelle, vous aviez une certaine expérience dans les zones de
8 conflit.
9 R. Oui. Avant d'aller en Bosnie-Herzégovine, mon expérience des zones de
10 conflit se limitait à l'Irlande du Nord.
11 Q. Vous étiez un membre de l'armée régulière à l'époque, n'est-ce pas ?
12 Les groupes armés en Irlande du Nord n'étaient pas du tout perçus comme des
13 groupes amicaux, ils étaient perçus comme une armée ennemie, est-ce exact ?
14 R. Non, ce n'est pas exact. La manière dont le gouvernement britannique a
15 traité le problème du terrorisme, consistait à traiter ces personnes comme
16 des terroristes, et non pas comme des forces armées. Si bien que les
17 conventions de Genève ne s'appliquaient pas. Si un terroriste était arrêté,
18 il était jugé par une juridiction pénale, et non pas par une juridiction
19 militaire. C'est là la principale différence.
20 Q. La différence vient du fait que c'était la première fois que vous vous
21 trouviez dans une région où la guerre faisait rage ?
22 R. C'est exact, effectivement.
23 Q. De même, vous n'aviez pas eu d'expérience dans le cadre des forces de
24 protection des Nations Unies dans les autres pays ?
25 R. C'est également exact.
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1 Q. Pendant votre bref séjour en février et ultérieurement, lorsque vous
2 vous prépariez à aller en Bosnie en avril, vous avez participé à une série
3 de réunions pour obtenir des informations sur la situation qui prévalait en
4 Bosnie-Herzégovine.
5 R. C'est exact. Nous avons eu toute une série de cours de formation qui
6 ont été organisés au niveau de notre base en Allemagne et dans des zones
7 d'entraînement militaire. Lors de ces cours, des spécialistes qui venaient
8 de la Bosnie, qui appartenaient à la communauté internationale, qui
9 appartenaient également au Régiment du Cheshire que nous allions remplacer,
10 sont venus nous donner des cours.
11 Q. A ces cours de formation, vous avez pu recevoir des informations sur la
12 situation sur le terrain. Vous avez également reçu des informations sur vos
13 tâches et les fonctions que vous deviez remplir en Bosnie-Herzégovine. Est-
14 il exact ?
15 R. C'est exact.
16 Q. Et avant ces cours de formation, dans le cadre de vos fonctions dans
17 l'armée Britannique, vous n'avez pas eu la possibilité d'obtenir de plus
18 amples renseignements sur les événements qui se produisaient en Bosnie-
19 Herzégovine. Est-ce bien exact ?
20 R. Non, ce n'est pas exact, car une partie de la formation dont nous avons
21 bénéficié a été assurée par un expert militaire, et il nous a fourni une
22 longue -- de longues explications afférentes à l'histoire de la Bosnie-
23 Herzégovine avant et après la désintégration de l'ex-Yougoslavie et, ce,
24 afin de permettre à toutes les personnes, quel que soit leur grade, de
25 pouvoir s'acquitter de leurs taches et de pouvoir comprendre les différents
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1 tenants et aboutissants du conflit, ainsi que le contexte du conflit.
2 Q. A une question qui vous a été posée par l'Accusation, vous avez indiqué
3 que vous étiez arrivé en Bosnie avant votre compagnie. Vous êtes arrivés en
4 Bosnie aux alentours du 15 avril 1993 ?
5 R. C'est exact.
6 Q. Après l'arrivée de votre compagnie le 6 mai 1993, vous avez remplacé le
7 Régiment de Cheshire, et le Régiment de Cheshire a quitté la Bosnie-
8 Herzégovine le 11 mai 1993.
9 R. Ce n'est pas entièrement exact car, lorsqu'il y a un changement de
10 régiments, tout le monde n'arrive pas le même jour et toutes les personnes
11 du régiment qui part ne partent pas le même jour. Cela s'échelonne sur
12 plusieurs semaines. Ce qui est important, c'est la transmission de pouvoir
13 ou le transmission de commandement d'un régiment à un autre, et cela s'est
14 passé le 11 mai. Mais après le 11 mai, il y avait encore des soldats du
15 Régiment de Cheshire qui sont restés pour trois ou quatre jours, bien que
16 la majorité soit partie. Mais la transmission s'est faite le 11 mai.
17 Q. Merci. Pendant cette transmission de commandement, vos collègues du
18 Régiment de Cheshire vous ont fournis des instructions, des explications, à
19 propos de votre mission, mais vous ont également parlé des événements qui
20 s'étaient déroulés pendant leur séjour et, ce, sur le territoire dont votre
21 régiment était responsable.
22 R. Effectivement, ils nous ont fournis des explications concises des
23 événements qui s'étaient produits pendant leur affectation. Et pendant la
24 période de la transmission de commandement -- et je vous ai déjà dit que
25 cela a pris quelques trois semaines -- ils nous ont emmenés dans les
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1 différentes zones et ils nous ont montré où s'étaient déroulés les
2 incidents, pour nous permettre de mieux comprendre les antécédents, le
3 décor, le contexte ainsi que ce qui s'était passé après les incidents,
4 puisque nous étions le bataillon suivant qui allait s'occuper de cette
5 région.
6 Q. Leur information était extrêmement exhaustive et détaillée, et vous
7 avez ainsi pu poursuivre la mission qui avait été amorcée par le régiment
8 précédent. Est-ce bien exact ?
9 R. Oui, nous avons pu poursuivre cette mission, mais le problème était que
10 les informations qui avaient été obtenues par le Régiment de Cheshire
11 étaient pertinentes pour certaines parties de la région. La majorité des
12 villages, qui se trouvaient hors des sentiers battus, n'avaient pas pu
13 bénéficier de visites du fait de la difficulté d'accès, du fait de
14 l'enneigement ainsi que des conditions climatiques hivernales qui
15 prévalaient. Par conséquence, nous avons commencé à compiler nos
16 informations, mais avec une exigence qui consistait à s'écarter donc des
17 rues principales, afin de savoir ce qui se passait dans les régions les
18 plus inaccessibles de cette zone.
19 Q. Votre mission était une mission du maintien de la paix des Nations
20 Unies et, auparavant, vous aviez obtenu des informations relatives à la
21 mission de la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine. Est-ce bien exact ?
22 R. C'est exact.
23 Q. Compte tenu de l'importance de la mission de la FORPRONU, j'aimerais
24 vous poser quelques questions. Cela nous permettra et permettra à la
25 Chambre de première instance également, de suivre les événements qui
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1 faisaient partie de la mission à laquelle vous avez participé.
2 Vous saviez que le conseil de Sécurité avait établi cette mission en
3 février 1992, et vous saviez que cela se fondait sur une résolution, et que
4 le mandat était que la mission soit active dans les cinq républiques de
5 l'ex-Yougoslavie. Etiez-vous au courant de ces faits ?
6 R. On nous a fournis des renseignements portant sur la résolution du
7 conseil de Sécurité des Nations Unies ainsi que sur le mandat qui était
8 mené à bien par la FORPRONU. C'est tout à fait exact.
9 Q. Le premier mandat était un mandat relatif aux événements dans la
10 république de Croatie. Toutefois, afin d'empêcher une escalade ou afin
11 d'empêcher que la situation en Bosnie-Herzégovine soit exacerbée, les
12 forces de la FORPRONU sont arrivées à Sarajevo au début de 1992. Le saviez-
13 vous ?
14 R. En fait, la façon dont j'ai interprété la mission de la "FORPRONU"
15 était que notre intérêt visait les activités du Bataillon britannique, qui
16 a été déployé dans la région centrale de la Bosnie, vers le mois d'octobre
17 1992. Je savais que le déploiement de la FORPRONU et du quartier général de
18 la FORPRONU était à Sarajevo, mais du fait de la situation relative à la
19 sécurité, ils ont dû, en fait, en partir à un moment donné de 1992. Donc,
20 on nous a fourni des informations sur cette situation et, puis, la majorité
21 des renseignements qui nous ont été transmis étaient des renseignements qui
22 portaient sur cette zone bien précise dans laquelle nous nous trouvions, à
23 savoir la Bosnie centrale et la région de la vallée de la Lasva.
24 Q. Monsieur le Commandant, est-il exact que le mandat principal de la
25 FORPRONU, à partir de 1992, et ce jusqu'à votre arrivée, a été prorogé, et
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1 qu'il y a eu, en fait, un ajout au mandat principal ?
2 R. C'est exact. Comme je vous l'ai dit dans ma déclaration préalable,
3 l'officier qui commandait le Régiment du Cheshire, le lieutenant-colonel
4 Bob Stewart, a effectué une procédure militaire que nous appelons en fait
5 une "analyse de mission," afin de déterminer exactement la nature de cette
6 tâche. Ce que cela signifie, en fait, "l'analyse de mission", ce que cela
7 signifie pour des non initiés, des non militaires, c'est la chose suivante
8 : Le commandant donne une mission -- dans ce cas il s'agit d'escorter des
9 convois d'aide humanitaire -- mais le commandant a la latitude de décider
10 exactement comment il va mener à bien sa mission. Le colonel Stewart, suivi
11 par le colonel Duncan, a décidé que la meilleure méthode consistait à
12 s'assurer que la zone soit aussi pacifique que possible afin d'autoriser
13 les convois d'aide humanitaire à se déplacer librement sans être
14 interrompus ou dérangés par les milices de tout bord, et sans, pour autant,
15 que nous avions besoin d'avoir une forte présence pour ce qui est des
16 escortes.
17 Q. Vous avez répondu à la question que je me proposais de vous poser
18 maintenant. Mais je vous demanderais de faire un pas en arrière en quelque
19 sorte. Le premier mandat de la FORPRONU était d'assurer la sécurité de
20 l'aéroport de Sarajevo, de faire en sorte que l'aide humanitaire puisse
21 être livrée par le biais donc de ce vecteur. Le saviez-vous ?
22 R. Vous me posez des questions auxquelles je ne suis pas -- pour
23 lesquelles je ne suis pas compétent, pour ce qui est des réponses. J'étais
24 commandant d'une compagnie en Bosnie et, bien entendu, mes soucis majeurs
25 étaient de faire en sorte que la mission qui m'avait été confiée -- qui
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1 avait été confiée à notre bataillon soit couronnée de succès. Bien sûr, que
2 nous comprenions dans quel contexte général ait évolué notre bataillon,
3 mais notre mission consistait à escorter les convois d'aide humanitaire
4 dans notre zone d'opération, et les événements qui se déroulaient à
5 Sarajevo n'avaient pas forcément une incidence sur ce que nous faisions
6 dans notre secteur.
7 Q. Monsieur le Commandant, si vous n'êtes pas en mesure de nous fournir
8 des faits à propos du mandat de la FORPRONU, je ne vais pas vous poser ce
9 genre de questions. Mais je voulais savoir si vous saviez que la FORPRONU
10 avait un premier mandat et, puis, qu'il y a eu un deuxième mandat et vous
11 faisiez partie du deuxième mandat de la FORPRONU à la fin de l'année 1992,
12 et ce mandat consistait à fournir -- à faire en sorte que la livraison
13 d'aide humanitaire, par le truchement des convois humanitaires, par le
14 truchement des Nations Unies et de la Croix rouge, soit assurée. Il y avait
15 également la question de l'échange des prisonniers, la libre circulation
16 des populations civiles. Savez-vous qu'à la fin de 1992, les facteurs que
17 je viens de mentionner faisaient partie du mandat de la FORPRONU ?
18 R. Oui. Mais pour nous, Bataillon britannique, le deuxième mandat était
19 notre mandat. C'est le seul mandat qui était valable pour nous. C'est le
20 mandat pour lequel nous avons reçu des instructions, des explications, et
21 c'est ainsi, en ce sens, que nous avons été mis au courant et c'est ainsi
22 que nous avons fourni les instructions à nos soldats.
23 Q. J'en ai terminé avec mes questions portant sur le rôle des Nations
24 Unies et de la FORPRONU en Bosnie. Est-il vrai que, lorsque la FORPRONU
25 s'est vue octroyer le mandat d'escorter des convois d'aide humanitaire, la
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1 FORPRONU continuait à participer à des missions du maintien de la paix.
2 Toutefois, la FORPRONU a obtenu le feu vert pour pouvoir riposter au cas où
3 ils étaient attaqués lors de leur mission.
4 R. C'est exact. Nous avons tous reçu une carte sur les règles
5 d'engagement, comme nous les appelons dans l'armée britannique. Il
6 s'agissait de préciser les circonstances dans lesquelles nous pouvions
7 riposter en tirant des coups de feu si -- contre l'un ou l'autre des
8 parties des belligérantes. Mais s'il y avait une menace pour notre vie et
9 si les forces locales nous tiraient dessus et s'il n'y avait pas d'autre
10 ressort, si nous ne pouvions pas véritablement échapper à la situation,
11 dans ce cas d'espèce, effectivement, nous avions le droit de riposter et de
12 tirer des coups de feu.
13 Q. Le mandat que nous venons de décrire est le mandat qui a été valable
14 pendant tout votre séjour en Bosnie-Herzégovine. Est-ce bien exact ?
15 R. Autant que je sache, le mandat n'a pas subi de modification. Mais
16 lorsque la zone est devenue beaucoup plus pacifique et lorsque nous avons
17 raffiné nos procédures, nous devions beaucoup moins escorter physiquement,
18 en quelque sorte, certains des convois. Mais autant que je sache, mon
19 mandat est, effectivement, resté le même pendant toute notre affectation.
20 Q. Je vous remercie beaucoup. Comme je vous l'ai déjà dit, j'en ai
21 maintenant terminé avec les questions qui étaient relatives à la mission
22 qui vous avait été assignée.
23 Vous nous avez dit que votre régiment était composé de trois compagnies
24 dont deux se trouvaient cantonnées à Vitez et la troisième -- ou, en tout
25 cas, dans une zone tout proche de Vitez.
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1 R. Il y avait en fait quatre compagnies, comme je vous l'ai expliqué. Il y
2 en avait une qui était attachée -- ou affectée au Régiment des Dragons
3 légers. Donc, il y avait en fait quatre compagnies : deux à Vitez, une à
4 Tuzla et la quatrième à Gornji Vakuf.
5 Q. Comme vous l'avez dit lors de l'interrogatoire principal, vous vous
6 êtes trouvé à Vitez -- vous vous trouviez à Vitez. Et pendant tout ce
7 temps, Vitez était placée sous le contrôle du conseil de Défense croate.
8 R. D'après ce que je crois comprendre, cela n'était pas entièrement
9 véridique car, dans le centre de Vitez, il y avait une zone qui était
10 connue sous le nom de Stari Vitez. Il s'agissait en quelque sorte d'une
11 enclave musulmane, enclave donc au sein de cette zone contrôlée par les
12 Croates, et ce pendant toute notre affectation. En dépit des différentes
13 tentatives déployées par le HVO, qui a attaqué et essayé de capturer cette
14 zone de Stari Vitez, ils sont restés dans cette partie pendant toute la
15 durée de notre affectation.
16 Q. A Stari Vitez, la population musulmane vivait auprès de certains
17 soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine, et pendant votre mandat -- dans
18 le cadre de votre mandat, vous avez dû souvent aider la population de Stari
19 Vitez. Est-ce bien exact ?
20 R. C'est tout à fait exact. Nous avons amené des convois d'aide
21 humanitaire à Stari Vitez et nous avons également évacué des personnes qui
22 devaient être hospitalisées de toute urgence. Nous les avons donc amenées
23 vers les -- depuis cette région, vers d'autres hôpitaux.
24 Q. Pendant toute la durée de votre affectation, vous avez assisté à un
25 certain nombre d'obstacles. Vous avez vu un certain nombre d'obstacles qui
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1 ont été -- qui entravaient la FORPRONU et qui étaient -- qui émanaient du
2 HVO et qui ont fait que la FORPRONU n'a pas pu mener à bien son mandat,
3 pour ce qui est de cette zone de Vitez connue sous le nom de Stari Vitez.
4 R. C'est exact. Et en fait, nous avions un officier de liaison dont la
5 tâche était de travailler conjointement avec les forces du HVO et des
6 forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine et, ce, à Vitez, et, ce, afin de
7 nous permettre d'apporter un soutien à l'enclave musulmane de Stari Vitez
8 dans la mesure du possible. Un exemple que je peux vous donner est le
9 suivant : Si nous avions un convoi d'aide humanitaire de trois véhicules et
10 que nous l'amenions à Stari Vitez, en même temps, nous emmenions un autre
11 convoi de trois véhicules dans la partie -- le quartier croate de Vitez. Et
12 ce n'est qu'en utilisant ce genre de tactique que nous avons pu
13 véritablement passer par les postes de contrôle du HVO sans avoir recourt à
14 la force.
15 Q. Il vous était très important d'avoir des routes sans entrave, sans
16 obstacles dans la partie centrale de la Bosnie. Cela était primordial, en
17 fait, pour votre mission.
18 R. Il était important pour nous d'avoir accès à toutes les zones
19 d'opération, ce qui nous permettait non seulement d'escorter les convois
20 d'aide humanitaire, mais également d'escorter les organisations non
21 gouvernementales qui livraient une aide et qui faisaient le constat des
22 différentes régions afin de voir si une aide était requise, qui également,
23 organisait les échanges de prisonniers, livraient des médicaments ou une
24 assistance médicale, ou procédaient à l'évacuation des personnes malades.
25 Q. Dans le cadre de la formation dont vous avez bénéficiez avant votre
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1 arrivée en Bosnie-Herzégovine, et après votre arrivée dans cette région, il
2 vous a été dit que dès le début d'année 1992, toute communication entre le
3 nord de l'état qui se trouvait proche des parties centrales de la Bosnie-
4 Herzégovine, était absolument impossible. Je pense à la communication entre
5 les membres de l'armée, la population civile et même la FORPRONU, parce que
6 pendant cette période, toutes ces zones étaient placées sous le contrôle
7 des forces serbes. Est-ce bien exact ?
8 R. C'est exact.
9 Q. Pour ce qui est des voies d'accès ou des axes routiers principaux dont
10 était tributaire toute la population de la Bosnie-Herzégovine, je pense,
11 par exemple, à l'axe routier depuis la Croatie, qui passe par Banja Luka,
12 Bugojno, Livno, vers Split, la route M-16, et je pense vraiment au second
13 axe routier qui permet d'accéder à Slavonski Brod par Sarajevo, Doboj,
14 Konjic, Mostar, et ce, jusqu'à la frontière vers la Croatie. Il s'agit de
15 deux grands axes routiers qui figurent sur la carte des routes européennes.
16 Est-ce bien exact ?
17 R. C'est exact, bien que lors de notre période d'affectation, la seule
18 route qui était ouverte, était la route qui partait de notre secteur
19 jusqu'à Gornji Vakuf, qui allait vers la Croatie. Les combats auprès de
20 Mostar, étaient tels que l'autre axe routier que vous venez de décrire,
21 avait été fermé. Nous n'avons pas pu utiliser cet axe routier pendant notre
22 période d'affectation.
23 Lorsqu'en février, nous sommes partis pour une mission de reconnaissance,
24 cette route était ouverte. C'est la route que nous avions empruntée pour
25 aller de Vitez à Split. Pendant notre période d'affectation, cette route
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1 était fermée.
2 Q. Lors de l'interrogatoire principal, vous avez décrit la zone où se
3 trouvait votre régiment. Est-il vrai de dire que dans la région de la
4 Bosnie centrale, ces deux axes routiers étaient connectés, l'un avec
5 l'autre ? Bugojno avait une liaison par Donji Vakuf, Travnik et Zenica,
6 avec le carrefour de Lasva; de l'autre côté, par Gornji Vakuf, et Prozor,
7 Bugojno était relié à la deuxième route principale, qui allait vers
8 Jablanica. Est-ce bien exact, Monsieur ?
9 R. Si ma mémoire ne me trompe, je me souviens qu'à un moment de notre
10 période d'affectation, la route de Bugojno a été fermée du fait des
11 combats. Cela n'était pas la zone qui était attribuée à ma compagnie. Je ne
12 suis pas véritablement qualifié pour répondre à cette question, mais je
13 peux tout à fait répondre, ceci étant dit, à des questions que vous
14 souhaiterez me poser à propos de la vallée de Lasva, qui est la zone que je
15 connais.
16 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Etant donné que le témoin a déjà répondu à
17 la plupart de mes questions portant sur les routes, et a confirmé qu'il
18 était essentiel d'assurer la sécurité de ces routes, j'aimerais pouvoir
19 montrer au témoin la carte de la Bosnie-Herzégovine, carte où figurent les
20 principaux axes routiers, ainsi que les différents liens. C'est une carte
21 qui est extraite de la carte express des autoroutes. Il s'agit tout
22 simplement d'une carte qui comporte les grands axes routiers européens.
23 J'aimerais savoir si vous auriez l'amabilité de montrer cette carte au
24 témoin, afin justement que je puisse lui poser des questions
25 supplémentaires.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis.
2 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, j'étais en train
3 de me demander s'il serait possible de me fournir un fondement quant à
4 l'origine de cette carte, le moment où elle a été dressée, et si elle
5 reflète la situation qui prévalait à l'époque. Merci.
6 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, cette carte peut
7 être téléchargée sur Internet. Même aujourd'hui, elle montre quels sont les
8 actes de communication principaux, qui n'ont pas changés ni avant la
9 guerre, ni pendant la guerre, ni après. L'on posera des questions sur un
10 certain nombre d'éléments géographiques. Ces axes n'ont pas subis de
11 modifications dans le temps.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : [aucune interprétation]
13 Mme RESIDOVIC : [interprétation]
14 Q. Commandant, pourriez-vous reconnaître sur cette carte les axes routiers
15 principaux que nous venons d'évoquer à l'instant ?
16 R. Oui. Vous êtes en train de parler de cette route-ci, j'imagine, et de
17 cette autre route ici, les routes qui sont indiquées en vert.
18 Q. Pouvez-vous également reconnaître les axes routiers qui relient ces
19 deux axes principaux, la route de Bugojno qui passe par Travnik et qui va à
20 l'intersection de la Lasva, et la route qui va de Bugojno, en passant par
21 Gornji Vakuf, vers Jablanica ?
22 R. Vous parlez de cette route-ci et de cette autre route-là, qui sont
23 indiquées en bleu sur la carte.
24 Q. Oui. Vous connaissez ces axes routiers, n'est-ce pas ?
25 R. Oui, je les connais. La route de Donji Vakuf à Travnik était fermée,
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1 parce que la ligne de front serbe se trouvait à Turbe, qui doit être par
2 ici sur cette carte. Par conséquent, je ne connais pas cette route-là
3 personnellement, parce que nous n'avons pas pu l'emprunter, étant donné que
4 la ligne de front serbe s'y trouvait.
5 Q. Oui. C'était précisément l'objet de ma question suivante. Vous saviez
6 que de Bugojno à Travnik, il était impossible de passer par Donji Vakuf et
7 Komar, parce que ce territoire était sous le contrôle des forces serbes,
8 n'est ce pas ?
9 R. Oui, c'est exact.
10 Q. Les routes qui passaient par Bugojno jusqu'à Gornji Vakuf, puis par
11 Prozor jusqu'à Jablanica, cette partie-là, était contrôlée par le HVO,
12 n'est-ce pas ?
13 R. Oui, c'est exact.
14 Q. Commandant, est-il exact que ces axes routiers-là qui étaient sous le
15 contrôle du HVO, étaient d'une importance vitale pour toute la zone de la
16 Bosnie centrale, de la Bosnie du Nord et de la Bosnie du Nord-est ?
17 R. Oui, c'est exact, parce que toute cette zone n'est pas praticable par
18 des moyens de communication autre qu'à pieds ou à cheval. Par conséquent,
19 les axes principaux devaient être utilisés pour acheminer l'aide et
20 l'approvisionnement militaire.
21 Q. Est-il exact que la Républika Srpska a pu établir un contact avec la
22 République fédérale de Yougoslavie, quant au HVO, avec la République de
23 Croatie ?
24 R. Non, pas exactement. Une partie de la route de Gornji Vakuf à Novi
25 Travnik était tenue par l'ABiH. Par conséquent, pour emprunter cette route-
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1 là, il fallait qu'il y ait une coopération entre les deux partis. C'était
2 le cas pendant la première partie de notre période sur le terrain, mais pas
3 pendant la deuxième partie de notre période d'affectation. Oui,
4 effectivement, pour la plupart des habitants de la vallée de la Lasva, il
5 était possible d'aller jusqu'à la Croatie en passant par Prozor.
6 Q. Commandant, est-il exact que ces axes routiers principaux se trouvant
7 en Herzégovine et contrôlés par le HVO, ont été utilisés très souvent comme
8 une arme contre l'ABiH ?
9 R. La façon dont nous voyions les choses était la suivante, le HVO
10 utilisait les restrictions à la liberté de circulation, à la liberté de
11 mouvement et à l'acheminement de l'aide humanitaire, comme une arme en
12 quelque sorte, pour affamer l'ABiH en Bosnie centrale. C'est la façon dont
13 j'ai pu comprendre les choses.
14 Q. Est-il exact que cette situation était d'autant plus difficile, qu'en
15 Bosnie centrale en 1992 et en 1993, des dizaines de milliers de réfugiés
16 expulsés de Krajina, chassés de Bosnie orientale, et par la suite de
17 territoires contrôlés par le HVO sont arrivés. Est-ce exact ?
18 R. Un grand nombre de réfugiés se trouvaient dans notre secteur, à la fois
19 dans les zones contrôlées par le HVO et de zones comme Donji Vakuf où des
20 gens avaient été forcés à quitter leur maison, et où des Serbes de Bosnie
21 les ont fait passer par des postes de contrôle à Turbe. Il y avait un grand
22 nombre de réfugiés dans notre secteur, qui venaient à la fois des zones
23 contrôlées par le HVO et par les Serbes. Ils venaient notamment dans les
24 centres pour réfugiés de Travnik et de Zenica.
25 Q. Vous serez certainement d'accord avec moi pour dire, Commandant, que
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1 ces situations, à savoir, le fait que les axes d'approvisionnement et de
2 circulation ont été bloqués et coupés, par ailleurs, le fait que de
3 nombreux réfugiés se trouvaient à cet endroit et que la guerre faisait
4 rage. Ces trois conditions ont constitué des conditions qui rendaient la
5 tâche des commandants de l'ABiH extrêmement difficile. Etes-vous d'accord
6 avec moi pour dire cela ?
7 R. Oui, je suis d'accord. Pour n'importe quel commandant dans une telle
8 situation, la tâche aurait été difficile. Je suis d'accord.
9 Q. Vous vous êtes efforcé de tout faire pour qu'en Bosnie centrale et en
10 Bosnie du Nord, l'hiver suivant ne soit pas aussi difficile que l'hiver
11 précédent, n'est-ce pas ?
12 R. L'acheminement de l'aide humanitaire, et notamment de l'aide
13 alimentaire n'avait rien à faire avec le bataillon britannique. Nous étions
14 le bras militaire en quelque sorte de la FORPRONU. Quant au HCR, c'est lui
15 qui s'occupait de l'acheminement de l'aide alimentaire. C'est le HCR
16 uniquement qui s'est occupé d'acheminer cette aide humanitaire vers la
17 vallée de la Lasva. Nous nous sommes contentés d'escorter les différents
18 convois, ou de garantir leur sécurité, pour que ces convois arrivent à
19 passer. Je ne suis pas bien placé pour parler de la politique du HCR en
20 matière d'aide alimentaire en Bosnie centrale.
21 Q. Je vous remercie. En réponse aux questions de l'interrogatoire
22 principal, vous nous avez dit qu'à certains moments, la collaboration était
23 satisfaisante, à d'autres non, en Bosnie centrale. Vous nous avez dit,
24 notamment que dans un premier temps, l'ABiH était prête à coopérer
25 totalement avec la FORPRONU, n'est-ce pas ?
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1 R. Oui, effectivement.
2 Q. Quand vous êtes arrivé la première fois sur place, dans votre mission
3 d'enquête, puis par la suite au moment où vous êtes revenu le 15 avril,
4 vous avez également obtenu des éléments dans ce sens de la part de vos
5 collègues du Régiment du Cheshire, n'est-ce pas ?
6 R. Oui, c'est exact. J'ai pu le constater moi-même pendant les premières
7 patrouilles avec le Régiment du Cheshire. J'ai pu voir que la coopération
8 était satisfaisante au poste de contrôle de l'ABiH. J'ai pu constater
9 également que dans certains endroits comme Travnik, il y avait des postes
10 de contrôle conjoints, qui étaient tenus à la fois par des soldats du HVO
11 et de l'ABiH.
12 Q. En tant que soldat, vous avez également pu constater qu'à partir du
13 mois de janvier 1993, des attaques importantes du HVO ont pratiquement fait
14 en sorte que la population musulmane a quitté les zones de Kiseljak, Vitez,
15 et ailleurs, et fait en sorte que l'ABiH s'est concentrée autour du mont
16 Vlasic et de la vallée de la Lasva, dans une zone de plus en plus petite.
17 Est-ce exact ?
18 R. Oui, c'est exact.
19 Q. Mon collègue m'indique que parmi les villes que j'ai citées au compte
20 rendu d'audience, ne figure pas Busovaca. Dans la zone en question, il faut
21 également inclure Busovaca d'où le HVO, en réalité, a chassé la population
22 musulmane, bosnienne, n'est-ce pas ?
23 R. Oui. Lors de notre mission de reconnaissance, le commandant de la
24 compagnie m'a informé de la situation, celui qui était présent dans la zone
25 de Busovaca. Il m'a dit que des combats importants avaient eu lieu dans la
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1 vallée de Busovaca, comme nous l'avons appelée. Il m'a dit que le HVO avait
2 lancé toute une série d'attaques pour chasser la population musulmane des
3 villages. Au cours de cette mission de reconnaissance, en février 1993,
4 j'ai pu voir un certain nombre de maisons incendiées, de villages
5 incendiés. On m'a dit que c'était suite à ce nettoyage ethnique, en quelque
6 sorte, du HVO que ces maisons avaient été incendiées.
7 Q. Au moment où vous êtes arrivé, on vous a informé d'un massacre
8 important qui s'était déroulé non loin de l'endroit où était cantonnée
9 votre unité dans le village de Ahmici. Vous l'avez d'ailleurs dit en
10 réponse aux questions de mon collègue, n'est-ce pas ?
11 R. Oui. On nous a informé de façon détaillée du massacre d'Ahmici qui
12 s'est déroulé quelques jours à peine avant notre arrivée en Bosnie
13 centrale. Moi-même ainsi que d'autres membres de cette mission de
14 reconnaissance, avons participé à la récupération des corps de parties
15 excentrées du village, corps qui n'avaient pas été récupérés au moment de
16 la fouille initiale du village d'Ahmici. Par conséquent, je connais bien
17 les événements qui se sont déroulés dans ce village.
18 Q. J'avais encore une seule question à vous poser aujourd'hui, Commandant.
19 Est-ce que d'autres événements, comme les événements qui ont eu lieu à
20 Ahmici, le massacre d'Ahmici, ont compliqué encore davantage la position
21 des commandants militaires dans le rôle qui était le sien, à savoir,
22 empêcher le population de se livrer à des actes de représailles contre la
23 population croate ? Ai-je raison ?
24 R. Là, vous êtes en train de me demander mon point de vue, mon opinion. Je
25 dirais qu'il n'y a aucun prétexte qui peut justifier de telles
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1 représailles. Ce qui ressortait clairement lorsqu'on s'entretenait avec les
2 soldats de l'ABiH aux différents postes de contrôle, au début de notre
3 période d'affectation, c'est que le massacre d'Ahmici ne pouvait être
4 toléré, que ce n'était qu'une question de temps avant que l'on fasse en
5 sorte, que cela ne se produise plus.
6 Q. Vous connaissiez les efforts qui étaient faits par les commandants de
7 l'armée et les ordres qui ont été donnés dans ce sens, pour que cela
8 n'arrive pas.
9 R. Oui, pour autant que je sache, aucun commandant n'aurait donné l'ordre
10 que cela arrive. A ce moment-là, le massacre d'Ahmici faisait encore
11 l'objet d'une enquête. Au début de notre période d'affectation, on ne
12 savait clairement qui étaient les auteurs de ce massacre, et sous les
13 ordres de qui ce massacre était intervenu. Cela n'a été éclairci que dans
14 la suite de l'enquête.
15 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, avant de conclure,
16 j'aurais aimé demander la chose suivante. Etant donné que nous avons
17 utilisé une carte que le témoin a reconnue, j'aurais aimé que cette carte
18 soit versée au dossier comme pièce à conviction de la Défense. Si vous
19 deviez accepter le versement au dossier de cette carte, j'aurais aimé que
20 le témoin y inscrive la date d'aujourd'hui, et qu'il signe cette carte.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est la position de l'Accusation sur la
22 demande de versement de cette carte que l'on peut se procurer sur Internet,
23 qui est tirée d'un guide touristique, qui concerne des routes de la région,
24 quelle est la position de l'Accusation ?
25 M. MUNDIS : [interprétation] Nous n'avons pas d'objection, Monsieur le
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1 Président.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, vous allez sur la carte marquer
3 votre nom, prénom, et la date d'aujourd'hui.
4 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]
5 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, j'avais encore une
6 requête. S'il est possible d'attirer l'attention du témoin sur une chose.
7 En effet, l'Accusation nous a dit que deux autres témoins qui se trouvaient
8 dans le même secteur que ce témoin, au même moment, étaient déjà présents à
9 La Haye. Peut-être serait-il bon de lui rappeler qu'il ne doit pas avoir de
10 contact avec eux, et ne pas parler de sa déposition avec ces deux autres
11 témoins.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais le faire.
13 Présentez le document aux avocats, aux accusés, à l'Accusation, à la
14 Chambre.
15 Monsieur le Greffier va nous donner un numéro définitif.
16 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce DH69.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Cette pièce est versée définitivement sous la
18 numérotation DH69.
19 Est-ce vous aviez quelque chose à rajouter ?
20 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Pour ce qui est de questions à ce témoin,
21 nous n'en avons pas d'autres pour aujourd'hui. Nous poursuivrons demain. M.
22 Bourgon souhaitait évoquer une autre question devant la Chambre, une fois
23 que le témoin aura quitté le prétoire. Merci.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, votre interrogatoire n'est pas terminé.
25 Vous aviez été avisé que s'était susceptible de durer sur deux jours. Vous
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1 revenez demain pour l'audience qui va commencer à
2 9 heures. Essayez d'arriver vers 9 heures moins 10. Comme vous allez rester
3 à La Haye ce soir, vous ne devez avoir aucun contact avec les représentants
4 de l'Accusation ni avec vos collègues qui sont peut-être là. Si jamais vous
5 les rencontrés par hasard, vous changez de trottoir. Vous ne devez pas
6 discuter avec eux, parce que comme vous témoignez sous serment, et que
7 votre témoignage n'est pas fini, il ne faudrait pas que vous puissiez
8 donner des informations aux témoins qui vont venir aussi témoigner. Voilà.
9 Vous restez tout seul. Nous vous retrouvons demain à 9 heures moins 10.
10 Soyez présent à
11 9 heures moins 10. L'audience commencera à 9 heures précise.
12 Je vous remercie. Je demande à Monsieur l'Huissier de bien vouloir vous
13 raccompagner à la porte de la salle d'audience.
14 [Le témoin se retire]
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Comme nous jouons de prolongation, sans perdre
16 de temps, je me tourne vers Me Bourgon.
17 M. BOURGON : Merci, Monsieur le Président. Simplement pour informer la
18 Chambre que de consentement avec l'Accusation au début de la suite du
19 contre-interrogatoire demain, la Défense entend proposer une série de
20 cartes militaires. Il s'agit d'une série de 25 cartes militaires qui sont
21 de différentes tailles, c'est-à-dire, qui sont de différentes
22 représentations géographiques, de 1 pour 25 000, aller à 1 pour 200 000.
23 Nous avons quatre séries de cartes. Nous proposons, Monsieur le Président,
24 de donner une série de cartes à la Chambre, une pour le Greffe, une pour
25 l'Accusation et une pour la Défense, que nous pourrions utilisées. Ces
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1 cartes ne seront pas déposées en preuve, mais pourront être utilisées par
2 toutes les parties, y compris par la Chambre, pour permettre au témoin de
3 nous montrer avec plus de précision les endroits où ils se trouvaient. Nous
4 allons parler avec la cellule technique, qui nous aurons assurés que nous
5 pourrions prendre ces cartes, les mettre sur un tableau derrière, tout près
6 du témoin, et avec la caméra, cela permettra au témoin de pointer
7 directement à des endroits sur la carte, qui pourront être ensuite,
8 retransmis sur chacun de nos écrans. Merci, Monsieur le Président.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Si en plus, nous avions eu la maquette, cela
10 aurait été encore meilleur.
11 M. BOURGON : Monsieur le Président, l'Accusation m'a demandé de préciser la
12 source. Ce seront les cartes officielles de l'armée, initialement de la
13 JNA, qui étaient utilisées à l'époque, qui sont toujours en utilisation
14 aujourd'hui. J'aurai tous les renseignements utiles demain, au moment de
15 présenter ces cartes. Merci.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Il n'y a pas d'objections pour des cartes
17 militaires présentées émanant de l'ABiH ?
18 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
19 Juges, cette question a été évoquée, entre autres. Nous nous avons
20 rencontré nos confrères de la Défense. Nous ne nous opposons pas à ce que
21 ces cartes soient utilisées, dans le sens qui vient d'être indiqué par Me
22 Bourgon.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Je vais lever la séance. J'invite
24 tout le monde à être présent demain à 9 heures.
25 --- L'audience est levée à 19 heures 08 et reprendra le mardi 23 mars 2004.