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1 Le jeudi 13 janvier 2005
2 [Audience publique]
3 --- L'audience est ouverte à 14 heures 18.
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, pouvez-vous appeler s'il vous
6 plaît, le numéro de l'affaire.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Affaire numéro IT-01-47-T, le Procureur
8 contre Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. Je vais demander aux
10 avocats de l'Accusation d'abord de se présenter.
11 M. MUNDIS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
12 Monsieur les Juges, et tous qui se trouvent dans le prétoire. Pour
13 l'Accusation, Stefan Waespi et Daryl Mundis, aidé aujourd'hui par notre
14 commis à l'affaire, Janet Stewart.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Je demande aux avocats des accusés de bien vouloir
16 se présenter.
17 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,
18 Madame, Monsieur les Juges. Pour le général Enver Hadzihasanovic, Edina
19 Residovic, conseil; Me Bourgon, co-conseil; et notre assistant juridique.
20 Je vous remercie.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : L'autre équipe de la Défense.
22 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
23 Monsieur les Juges. Pour le compte de M. Kubura, Fahrudin Ibrisimovic et
24 Nermin Mulalic, assistant juridique.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre, en ce jeudi 13 janvier, salue toutes les
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1 personnes présentes. Je salue les représentants du Procureur, les avocats,
2 je salue les accusés, je salue également toutes les personnes ici
3 présentes, ainsi que les personnes à l'extérieur qui nous aident dans notre
4 tâche.
5 Nous devons procéder à la poursuite de l'audition du témoin qui a commencé
6 à déposer hier, et la Défense a 15 questions, c'est ce qu'elle nous a dit,
7 j'avais cru hier, 15 minutes, mais, en réalité, c'est 15 questions. Je vais
8 demander à M. l'Huissier de chercher le témoin.
9 D'ailleurs, Monsieur le Greffier, il serait peut-être utile que lorsqu'un
10 témoin témoigne sur une journée, quand on reprend l'audience qu'il soit
11 déjà présent, comme cela on gagnera déjà quelques minutes.
12 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Monsieur. Je vais d'abord vérifier, au
14 point technique, si l'audition marche.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je vous entends très bien.
16 LE TÉMOIN: SUAD MENZIL [Reprise]
17 [Le témoin répond par l'interprète]
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, la Chambre vous salue et je vais sans perdre
19 de temps, donner la parole aux avocats.
20 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Bonjour,
21 Monsieur Menzil.
22 Interrogatoire principal par M. Residovic : [Suite]
23 Q. [interprétation] Hier, vous disiez que vous aviez rendu visite à des
24 civils qui avaient été placés dans un gymnase, à l'école de Mehurici, et
25 vous aviez fait tout ce que vous aviez pu pour assurer que les conditions
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1 dans lesquelles ils se trouvaient soient meilleures que possible, vous
2 aviez aussi pris certaines mesures sanitaires pour empêcher la propagation
3 de maladie. Est-ce que vous rappelez avoir dit cela ?
4 R. Oui. Bien sûr.
5 Q. Pourriez-vous, maintenant, me dire si vous avez reçu des hommes blessés
6 ce jour-là, en fonction des combats, compte des combats. Est-ce que vous
7 vous souvenez combien de personnes ? Combien y a-t-il eu de blessés et de
8 morts dans votre clinique, s'il y en a eu ?
9 R. Oui, hier, je disais que j'ai rendu visite à ces civils dans le gymnase
10 dans un temps assez bref parce que les combats faisaient rage, et qu'il y
11 avait des blessés qui y arrivaient continuellement. Ce jour-là, 69 blessés
12 ont été traités qui, pour la plupart, étaient grièvement blessés. Il y
13 avait de nombreuses blessures qui étaient causées par des mines
14 antipersonnelles, et des blessures qui résultaient dues à ces autres armes.
15 Mais je n'ai pas passé tant de temps là-bas. J'ai surtout passé du temps au
16 centre de Réception, outre le moment où je suis allé là-bas, donc
17 indépendamment des 69 blessés, neuf personnes qui avaient été tuées, ont
18 été portées au centre de Réception.
19 Q. Monsieur Menzil, ce jour-là -- cette nuit-là, avez-vous reçu des
20 membres du HVO qui étaient blessés ?
21 R. Vers la fin de la journée, lorsque les combats se sont fait moins
22 intenses, je suppose qu'il était 8 heures du soir, deux membres du HVO en
23 uniforme m'ont été amenés par des membres de l'ABiH. Je ne suis pas sûr de
24 savoir qui ils étaient, mais j'ai pu voir que c'étaient des membres de
25 l'ABiH. Comme à l'époque, j'étais en train de traiter un de nos blessés, à
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1 ce moment-là, lorsque ces deux membres du HVO ont été amenés, l'un d'entre
2 eux était très grièvement blessé, donc j'ai reporté les soins portés à nos
3 propres blessés -- à notre blessé parce que ce membre du HVO, l'un des
4 membres du HVO, était si grièvement blessé. Nous l'avons traité. Nous lui
5 avons apporté les soins que nous pouvions, ce qui était possible, à ce
6 moment-là, une perfusion goûte à goûte. En ce qui concerne le deuxième
7 membre du HVO qui était blessé, ses blessures étaient moins graves. Il
8 était plus légèrement blessé.
9 Lorsque j'ai vu combien grièvement était blessé l'autre membre du HVO, je
10 suis allé à l'hôpital de Zenica avec une escorte pour l'y conduire. La
11 route de Mehurici-Zenica, qui était bloquée, avait été débloquée, à ce
12 moment-là, de sorte qu'il était plus facile de parvenir à l'hôpital. J'ai
13 remarqué que le blessé dont je vous ai parlé avait été frappé par plusieurs
14 balles dans la partie frontale et périphérique de son corps. Il était
15 également nécessaire de mettre des points de suture pour arrêter
16 l'hémorragie. Bien qu'il ait réussi à communiquer, il était conscient, et
17 on pouvait voir qu'il était très effrayé, déprimé, donc je l'ai escorté
18 personnellement. Je l'ai remis aux soins de Mme le Dr Ana à l'hôpital de
19 Zenica. Elle se trouvait à Kotor Varos. Comme ce blessé a dit qu'il
20 souhaitait que l'on prévienne un religieux, un membre du clergé, de l'état
21 dans lequel il se trouvait, j'ai suggéré qu'Ana se mette en rapport avec un
22 membre du clergé de l'hôpital de Zenica, et c'est ce qu'elle a fait en ma
23 présence. Je pense que le nom de la personne était Zoran Darko. Je n'en
24 suis pas sûr toutefois. C'était un jeune homme d'environ 19 ans.
25 Q. Je vous remercie, Monsieur Menzil. Pourriez-vous maintenant dire,
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1 lorsque vous êtes revenu le jour suivant, ou par la suite, avez-vous
2 remarqué qu'en plus des civils qui se trouvaient dans le gymnase, avez-vous
3 remarqué qu'il y avait des membres du HVO qui y étaient détenus ?
4 R. Oui. Après la fin des combats ce jour-là, nous, en tant que membres du
5 commandement, puisque j'étais membre du bataillon de commandement en tant
6 qu'officier du service de Santé, service médical, nous avons fait le point
7 sur la situation et j'ai vu ce qui s'était passé ce jour-là. Nous avons
8 rendu compte concernant nos attributions respectives, lors de ce briefing,
9 à cette réunion qui a eu lieu dans la soirée vers minuit. J'ai appris qu'un
10 certain groupe de membres du HVO se trouvaient quelque part à Mehurici, et
11 le jour suivant, j'ai appris quel était le lieu exact.
12 Q. Monsieur Menzil, est-ce que vous leur avez rendu visite, et dans quel
13 état se trouvaient-ils ?
14 R. Puisque c'étaient des membres du HVO, bien sûr, le commandant du
15 bataillon a fait cette suggestion et c'était donc mon devoir d'aller voir
16 dans quel état se trouvaient ces personnes. Elles se trouvaient dans une
17 pièce. Je ne suis pas de Mehurici, je suis de Kotor Varos, donc je ne sais
18 pas à quel usage servait cette pièce, mais elle n'était pas une pièce très
19 confortable. Cela étant, à ce moment-là, c'était la pièce la plus
20 appropriée qu'ils aient pu fournir pour héberger les personnes en question.
21 Mais, disons, pour la partie ennemie, celle-ci était pour la protection
22 physique et matérielle parce que ce secteur pouvait être protégé des
23 extrémistes qui pourraient risquer d'entrer de force et de menacer ces
24 gens.
25 Q. Monsieur Menzil, dites-moi qui assurait la sécurité des personnes qui
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1 se trouvaient dans le gymnase et qui était chargé de la sécurité des
2 détenus du HVO.
3 R. Les membres du MUP civil assuraient la sécurité pour ceux qui se
4 trouvaient dans l'entrée, dans le gymnase, et dans cette pièce.
5 Q. Je vous présente mes excuses. Je vous ai posé deux questions, en fait.
6 Lorsque vous avez visité les membres du HVO, dans quel état se trouvaient-
7 ils, du point de vue de leur santé ? Est-ce que vous avez dû les soigner,
8 ou plutôt, est-ce qu'ils se sont plaints de mauvais traitement de la part
9 de ceux qui les gardaient ?
10 R. La première fois que je les ai visités, c'était le jour suivant, après
11 leur mise en détention. La première fois que je les ai vus, c'était pour
12 savoir dans quel état physique, ils se trouvaient. Je voulais voir s'il y
13 avait des blessés, s'il était nécessaire d'évacuer, ou plus exactement de
14 transférer certains d'entre eux à l'hôpital compte tenu de l'état physique
15 dans lequel ils se trouvaient, à ce moment-là. Ils semblaient déprimés,
16 effrayés. Lorsque je leur ai parlé et lorsque je les observais, je n'ai pas
17 remarqué de blessés parmi eux. Mais l'un d'entre eux s'est plaint d'avoir
18 une tension artérielle élevée et a dit qu'il recevait des soins, mais qu'à
19 ce moment précis, il n'avait pas de médicament. J'ai mentionné le problème
20 à un docteur qui se trouvait là, un médecin, le Dr Ribic, et nous avons
21 réussi à fournir à cet homme un traitement.
22 (expurgée)
23 (expurgée)
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16 Q. Docteur, dites-moi, est-ce que la Croix Rouge internationale est venue
17 visiter les personnes, qui se trouvaient dans ce gymnase, et les membres du
18 HVO, au cours de cette période ?
19 R. Oui. Quelques jours plus tard, la Croix Rouge internationale est
20 arrivée. Je ne sais pas s'il est nécessaire de dire qu'il y avait eu un
21 incident mineur qui avait mis aux prises des Arabes lorsque la Croix Rouge
22 internationale est arrivée, ils ont essayé de prendre les pavillons qu'il y
23 avait sur les véhicules et de supprimer ou faire disparaître les marques de
24 la Croix Rouge internationale. Mais les membres de la Croix Rouge
25 internationale ont effectivement rendu visite à ceux qui se trouvaient dans
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1 le gymnase et ils ont également rendu visite aux membres du HVO détenus.
2 Ils leur ont parlé et quant à savoir ce qu'ils leur ont dit, je n'en sais
3 rien, mais la Croix Rouge leur a bien rendu visite.
4 Q. Quant à ma dernière question --
5 (expurgée)
6 (expurgée)
7 (expurgée)
8 (expurgée)
9 (expurgée)
10 (expurgée)
11 (expurgée)
12 Q. Enfin, Monsieur Menzil, si vous regardez les conditions qui existaient
13 en juin 1993, est-ce que vous diriez que vous avez fait absolument tout ce
14 que vous pouviez pour protéger les gens qui se trouvaient dans le gymnase
15 et est-ce que vous avez fait la même chose pour les membres du HVO qui
16 étaient détenus ? Est-ce que vous avez fait tout ce que vous pouviez, à
17 l'époque ?
18 R. Je pense que j'ai déjà parlé de cela, mais, lorsque je regarde ce qui
19 était la situation avec du recul, et ce qui était la situation à l'époque,
20 je pense que nous avons fait tout ce que nous pouvions du point de vue
21 notamment des soins médicaux apportés. Compte tenu des conditions qui
22 existaient à l'époque, je ne crois pas que nous n'aurions pu faire quoi que
23 ce soit de plus pour l'un quelconque d'entre eux. Je ne crois pas que nous
24 aurions pu leur assurer des conditions meilleures. Je ne vois pas ce que
25 nous aurions pu faire d'autre, outre ce que j'ai déjà mentionné. Peut-être
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1 aie-je oublié de mentionner le fait que les gens qui se trouvaient dans le
2 gymnase ont reçu des lits, aucun d'entre eux n'ont eu à dormir par terre.
3 On leur a fourni des lits. Certains des soldats aussi leur ont prêté leurs
4 sacs de couchage. Je devrais également mentionner le fait qu'on leur a
5 donné à manger, on leur a assuré les conditions sanitaires nécessaires, ou
6 du point de vue médical, ou du point de vue hygiénique, pour des articles
7 tels que du savon, de la lessive, de l'eau chaude. Donc, en ce qui concerne
8 les autres membres, dont on a parlé, je crois qu'il y en avait à peu près
9 15. On a fait tout ce qu'on a pu pour leur fournir les conditions décentes
10 pour les traiter conformément aux codes de conduite militaire.
11 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.
12 Monsieur le Président, ceci conclut mon interrogatoire de ce témoin.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie.
14 Est-ce que les autres avocats ont des questions ?
15 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, pour le moment,
16 nous n'avons pas de questions à poser à ce témoin.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors je me tourne vers l'Accusation pour le contre-
18 interrogatoire.
19 M. WAESPI : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
20 Pour commencer, nous souhaiterions faire distribuer deux documents que
21 j'utiliserais peut-être, mais ce n'est pas sûr, au cours du contre-
22 interrogatoire. J'en ai simplement pour votre commodité, Monsieur le
23 Président, Madame et Monsieur les Juges.
24 Le premier est un exemplaire d'une carte dont pourra se servir le témoin
25 pour nous montrer où il se trouvait, et le deuxième est un document dont je
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1 pourrais éventuellement parler à un moment donné.
2 Contre-interrogatoire par M. Waespi :
3 Q. [interprétation] Bonjour, Docteur.
4 R. Bonjour.
5 Q. Je voudrais simplement éclaircir certains points correspondant à ce que
6 vous avez dit, hier et aujourd'hui, afin que nous puissions mieux
7 comprendre un peu mieux ce qui s'est passé au cours de ces journées. C'est
8 vraiment des questions d'éclaircissement sur ce que vous avez dit.
9 Je voudrais commencer tout d'abord par ce dont vous nous avez parlé
10 maintenant, à savoir, la détention de ces personnes du HVO, d'un côté, et
11 les femmes et les enfants, dans l'autre endroit, dans le gymnase. Je crois
12 que les incidents se sont produits après le 8 juin 1993; est-ce que c'est
13 exact ?
14 R. Non. Les incidents, eux-mêmes, ont été précédés par les éléments de
15 cette situation particulière dont j'ai parlé hier. Cette situation est
16 arrivée à son point le plus intense, vers la fin du mois d'avril et il y a
17 eu comme une escalade vers la fin du mois de mai. Il y a eu, à ce moment-
18 là, des barrages de route et de provocations fréquentes. A la fin de cela,
19 il y a eu blocus d'un hameau, d'un lieu appelé Velika Bukovica, où se
20 trouvaient tous les civils. A plusieurs reprises, ils ont envoyé un
21 messager à l'unité à laquelle j'appartenais pour demander notre aide. Ils
22 voulaient de l'aide, ils appelaient à l'aide. Il y avait même certains
23 comptes rendus très alarmants concernant le fait que des personnes auraient
24 été tuées et brûlées. Lorsque vous parlez des "incidents", que voulez-vous
25 dire, Monsieur ? Que voulez-vous entendre par après le 8 ? Auxquels
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1 incidents, voulez-vous vous référer ?
2 Q. Je veux parler de la détention de ces personnes, les femmes et enfants
3 dans le gymnase, et les soldats du HVO dans cette pièce dont vous avez
4 parlée. Ces détentions ont eu lieu après les événements le 8 juin 1993,
5 n'est-ce pas ?
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Je subodore de ce que va dire la Défense, mais je
7 vous donne la parole.
8 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Mon éminent confrère est en train
9 d'employer le mot "détenus", où il dit que ces personnes étaient détenues.
10 Pour autant que je puisse m'en souvenir, cette personne n'a jamais parlé du
11 fait que ces civils étaient détenus. On a dit qu'ils étaient installés,
12 logés et hébergés dans le gymnase.
13 M. WAESPI : [interprétation] Bon ceci va bien, quelque soit les mots que
14 vous vouliez employer pour décrire le fait de faire entrer des gens dans
15 une pièce, les attirer dans une pièce. Nous pouvons utiliser le mot "loger"
16 ou "héberger". D'accord.
17 Q. Mais je voudrais commencer par parler de la date. Quand est-ce que
18 cette suite d'événements a-t-elle commencé ? Elle a commencé le 8 juin
19 1993, n'est-ce pas ? C'est à ce moment-là que ces gens ont été réunis et
20 installés dans ces deux endroits, n'est-ce
21 pas ?
22 R. C'est exact.
23 Q. Merci. Vous avez dit, me semble-t-il, qu'il y a eu une réunion qui
24 s'est tenue, ce jour-là, au commandement du bataillon. Je suppose que vous
25 étiez présent à cette réunion ?
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1 R. Oui. Mais c'était tard, vers minuit, une fois que tous les événements
2 étaient terminés, à l'issue de ces opérations de combat en -- donc, les
3 combats, tels qu'ils se sont déroulés.
4 Q. Qui était présent à cette réunion, en plus de vous ?
5 R. Il y avait les autres membres du commandement. Naturellement, il y
6 avait deux commandant du bataillon, les autres membres du commandement, je
7 n'arrive pas à me rappeler exactement de tous les noms, de toutes les
8 personnes, mais en somme, il y avait tous ceux qui étaient membres du
9 commandement du bataillon.
10 Q. A ce moment-là, le nom de ce bataillon était le
11 1er Bataillon de Siprage ou était-ce une partie de la 306e Brigade ?
12 R. Non, non, non. Comme je l'ai dit hier, le Détachement de Siprage a
13 existé jusqu'au 22 décembre et le 25 décembre. Il est devenu le 1er
14 Bataillon de la 306e Brigade de Montagne.
15 Q. A quel moment est-ce qu'il y a eu une transformation à la 27e Brigade ?
16 R. Le 15 août 1993.
17 Q. Ce soir-là, pendant la réunion du commandement du bataillon, qui était
18 commandant du bataillon présent à la réunion ?
19 R. Vous m'avez déjà posé la question au sujet des présents, c'était M.
20 Mirza Lubenovic, le commandant du bataillon.
21 Q. Alors, pouvez-vous nous dire ce qui a fait l'objet des discussions
22 pendant cette réunion, si vous vous en souvenez ?
23 R. En gros, on a parlé de -- je ne sais pas quels sont les termes que je
24 devrais utiliser. Bien entendu, on a parlé de la situation de ce jour-là,
25 la situation dans laquelle s'est trouvé le bataillon. On a parlé de nos
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1 pertes, de la situation telle qu'elle a été par la suite. Ce qu'a connu le
2 bataillon, on a mentionné également des civils et des prisonniers, des
3 prisonniers du HVO qui étaient amis, à ce moment-là. Pour ma part, j'ai
4 mentionné ces deux membres du HVO blessés qui m'avaient été apportés tard.
5 En compagnie de l'un de ces blessés plus graves, et comme je l'ai déjà dit,
6 avec l'aval du commandant du bataillon, j'en ai déjà parlé, je les ai
7 escortés à l'hôpital.
8 Q. Pour ce qui est de ces soldats du HVO, qui a suggéré ou qui a décidé
9 que ces hommes devaient être placés dans cette pièce ? Qui a pris cette
10 décision ?
11 R. Cela, je ne le sais pas; cependant, si on analyse la situation telle
12 qu'elle se présentait réellement, compte tenu de la situation dans laquelle
13 on était, tout à chacun qui avait le droit de prendre des décision, tout à
14 chacun doté d'esprit raisonnable aurait suggéré l'endroit où on les a
15 effectivement placés, que ce soit des membres du HVO ou des civils. Compte
16 tenu de l'état où ils étaient, compte tenu de leur nombre, il n'y avait
17 tout simplement pas d'endroit plus approprié pour y loger autant de
18 personnes.
19 Q. Encore une fois, qui a pris la décision, si vous le savez ?
20 R. Je ne le sais pas, vraiment, je ne sais pas qui a décidé de cet
21 hébergement pour les uns et pour les autres. Mais, encore une fois, je vous
22 fais part de mon opinion. J'estime que la décision a été la bonne, compte
23 tenu du moment et compte tenu des circonstances qui étaient les nôtres.
24 Q. A présent, vous parlez des membres du HVO qui ont été placés dans cette
25 pièce ou des civils qui ont été placés dans le gymnase ou est-ce que ce
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1 sont deux événements distincts pour vous ? On parle de cette soirée-là.
2 Est-ce que vous avez abordé à la fois le cas des HVO et des civils, ou l'un
3 seulement de ces deux groupes de personnes ?
4 R. Je ne vous parle pas des décisions, je vous fais part de mon opinion.
5 Je n'ai pas participé aux discussions et je n'ai pas pris la décision.
6 Mais, lorsque j'en parle, je parle de ces deux cas et, encore une fois, je
7 souligne, je parle en replaçant tout cela dans le contexte, dans la
8 situation telle qu'elle était, compte tenu des capacités matérielles,
9 techniques, que nous avions, et aussi, notre capacité de les sécuriser,
10 d'assurer la sécurité de ces gens, des uns comme des autres.
11 Q. Il y avait combien de personnes, combien de femmes, combien d'enfants
12 qui ont été placés dans ce gymnase ? Vous vous rappelez leur nombre ?
13 R. Je ne sais pas le nombre exact, à peu près, entre 250 et 300 personnes.
14 Je pense que c'était cela leur nombre au gymnase.
15 Q. Le gymnase, il était situé où, par rapport au commandement du
16 bataillon ?
17 R. C'était dans le même bâtiment. Seulement, c'est le bâtiment de l'école.
18 Le commandement du bataillon avait ses bureaux devant et le gymnase, comme
19 dans le cas de tous les gymnases d'écoles, il était un petit peu de côté.
20 Pour l'essentiel, c'était le même bâtiment, si c'est cela que vous me
21 demandez. C'était dans l'école
22 Q. Je vais que vous avez dit que c'était la bonne décision, compte tenu de
23 la situation, compte tenu des difficultés, mais n'était-ce pas dangereux de
24 placer autant de personnes dans un même espace où se trouvait le
25 commandement du bataillon ?
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1 R. Je ne sais pas si c'était dangereux de placer autant de personnes là où
2 travaillait le commandement du bataillon qui, d'une certaine manière, les a
3 protégés, a tenté de les protéger, de la sécuriser, et ainsi de suite. Je
4 me place d'un point de vue pratique, humain et, en fin de compte, aussi, je
5 vous parle par rapport à ce que j'ai déjà dit. Nous, en tant que membres du
6 bataillon, qui pouvions faire quelque chose, à ce moment-là, nous avons
7 entrepris toutes les mesures possibles, voire même plus que ce que nous ne
8 le pouvions, plus que le maximum, pour aider de la manière la plus adéquate
9 ces gens, pour qu'ils n'aient pas la sensation d'être des prisonniers au
10 sens classique du terme, ce qu'ils n'étaient pas, mais qu'ils s'étaient
11 trouvés là compte tenu de ce concours de circonstances. En tant qu'aide, de
12 leur assurer la sécurité, de les aider, ils étaient protégés aussi par la
13 police civile. Le bataillon et le commandement du bataillon ont joué le
14 rôle que je vous ai déjà mentionné dans tout cela.
15 Q. Vous estimez qu'il était de votre devoir de protéger ces civils ?
16 R. Naturellement, c'est ce que j'ai fait.
17 Q. Je vais vous interroger à présent au sujet des membres du HVO. Il me
18 semble que vous avez dit que le deuxième jour, après qu'ils aient été pris
19 en charge ou installés, même s'il me semble que vous avez employé le terme
20 "détenus", il y a un instant. Donc, qui vous a dit de vous rendre dans
21 cette pièce ?
22 R. C'est le commandant du bataillon qui me l'a dit. Il s'agissait des
23 membres d'une formation militaire et d'autre part. J'étais la personne la
24 plus responsable au sein des services sanitaires et l'unité, et c'était
25 tout à fait naturel et logique que j'aille les voir et que je vois ce que
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1 c'est leur position suite à cela, et de les présenter à mon commandant au
2 sujet de leur état général. Peut-être j'employais le terme "détention",
3 peut-être était-ce un lapsus, mais je n'ai pas vu de situation où on
4 pourrait parler de prisonnier au sens classique du terme.
5 Q. Mais si l'un d'entre ces soldats aurait souhaité partir, est-ce qu'il
6 aurait pu le faire ?
7 R. Où voulez-vous qu'il parte ?
8 Q. A l'endroit de son choix, quel qu'il soit, qu'il aurait retrouvé ses
9 forces.
10 R. Cela probablement est-ce un souhait qu'ils auraient communiqué à la
11 Croix Rouge internationale qui, enfin de compte, a répondu à ce désir. Ils
12 en auraient parlé aux commissions chargées des échanges. Au moment de ces
13 événements dont nous parlons, pendant ces premiers jours, je ne vois où ils
14 auraient pu souhaiter partir.
15 Q. Je suis certain que vous connaissez le mandat du CICR, n'est-ce pas ?
16 R. Je le sais certainement.
17 Q. En situation normale, que font-ils ? Pourquoi se sont-ils rendus dans
18 votre zone ce jour-là ? Quel est leur mandat, leur mission ?
19 R. Avant tout, ils doivent aider à résoudre les situations qui se
20 présentent. Ils doivent aider les gens dans des moments où ils se
21 retrouvent impuissants. Ils doivent les aider pour résoudre le problème des
22 prisonniers de guerre, ou plutôt des détenus, à leur prise en charge par la
23 suite. C'est un rôle exclusivement humanitaire.
24 Q. Vous ne seriez pas d'accord avec moi pour dire la raison pour laquelle
25 ils sont venus chez vous -- excusez-moi. Vous vouliez poursuivre ?
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1 R. Non.
2 Q. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire si le CICR est venu dans votre
3 zone. C'était en fait pour vérifier ce qui était advenu de ces gens et pour
4 s'acquitter de leur rôle, ce que vous avez qualifié de rôle exclusif.
5 Seriez-vous d'accord avec moi ?
6 R. Je suis d'accord.
7 Q. Je voudrais en terminer avec cette partie là de mon interrogatoire.
8 Vous avez parlé de deux soldats du HVO qui vous ont été amenés par des
9 soldats de l'ABiH, pour que vous leur apportiez des soins. Vous avez
10 mentionné le nom d'un de ces soldats, et je pense que vous avez réussi à le
11 transférer à l'hôpital de Zenica. Vous rappelez-vous le nom de la deuxième
12 personne, du deuxième soldat ?
13 R. Je ne peux pas vraiment me souvenir de cela. Ce jour-là il y avait
14 beaucoup de blessés, mais je dois dire que j'ai par ailleurs une bonne
15 mémoire. Croyez-moi, ce jour-là, il y a eu un grand nombre, 69 blessés.
16 Cela a été une journée difficile, épouvante, et je ne suis pas certain si
17 le prénom de celui qui est allé à Zenica, est Zoran ou Darko. Je sais que
18 c'est un jeune homme qui était grièvement blessé. Je vous ai un peu décrit
19 toutes ces blessures. J'ai estimé qu'il était naturel que compte tenu de
20 son état, je l'escorte en route. J'ai tenté de lui parler. Lui, il voulait
21 seulement que l'on prenne contact d'une manière ou d'une autre avec l'un
22 des dignitaires ou des membres du clergé pour l'aider, pour qu'il puisse
23 continuer à recevoir des soins en Croatie quelque part. Je ne sais pas. Je
24 ne suis pas tout à fait sûr.
25 Pour ce qui est du second qui était plus légèrement blessé, réellement, je
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1 me suis posé la question où il valait mieux le placer. Est-ce que c'était
2 plutôt au dispensaire de mon unité à l'école, où il y avait déjà un certain
3 nombre de blessés, vu qu'au moins on en avait trop par rapport à nos
4 capacités, et compte tenu de ce que c'était, cet endroit. J'ai préféré le
5 placer dans la salle (expurgée)
6 (expurgée)
7 (expurgée)
8 M. WAESPI : [interprétation]
9 Q. Pouvez-vous me dire quel est le nom de l'hôpital de Zenica où vous avez
10 raccompagné ce malade ?
11 R. Aujourd'hui, le nom de cet hôpital est l'hôpital Cantonal. C'est le
12 seul hôpital de Zenica. Je pense qu'à l'époque cela s'appelait le centre
13 des cliniques de Zenica. C'est le seul hôpital de Zenica.
14 Q. Le Dr Ana, c'est son prénom ou son nom de famille, le docteur qui est
15 là --
16 R. Non, c'est son prénom. Elle est originaire de Kotor Varos. C'est par
17 hasard que je l'ai croisé et que je lui ai demandé d'aider.
18 Q. Tout en parlant du 8 juin 1993, comme auparavant, je voudrais
19 maintenant me concentrer sur ce que vous avez dit dans votre déposition
20 hier. Vous nous avez dit qu'à un moment donné avant le
21 8 juin, le commandant de votre bataillon vous a demandé de vous préparer
22 pour de possibles opérations de combat; est-ce exact ?
23 R. Oui, c'est exact. Aujourd'hui dans ma déposition, je l'ai mentionné.
24 J'ai dit qu'en plus de ces provocations régulières dont j'ai parlé des
25 barrages sur les routes, même des tirs sur un des bâtiments, plus un jour
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1 avant le 8 juin, on recevait des appels alarmants de Velika Bukovica. Me
2 semble t-il. De ce secteur là, où déjà d'une certaine manière pour la
3 population musulmane qui vivait là, il y avait besoin de l'aide parce
4 qu'ils ont été attaqués. Ils étaient attaqués, provoqués. Voire même, comme
5 je l'ai dit aujourd'hui, il y a eu des plaintes disant que jusqu'à 18
6 personnes étaient déjà tuées. Conformément à cela, je suppose que le
7 commandant de mon unité a estimé qu'il y avait une possibilité réelle que
8 le conflit se déclenche et que, compte tenu de la situation, on s'y
9 prépare. D'ailleurs, c'était la guerre, et à ce moment-là on était déployé
10 sur les lignes face aux Chetniks, sur le mont Vlasic, face à l'autre
11 partie, par exemple. C'était le cas pour une partie de mon unité. C'était
12 logique. Il fallait qu'on se tienne prêt, que l'on soit mobile et que l'on
13 soit prêt à agir pour d'éventuelles opérations de guerre.
14 Q. Il me semble que vous avez dit que le 8 juin 1993, à
15 4 heures 15 du matin, vous avez reçu le premier blessé, et que l'ordre de
16 vous préparer, l'ordre émanant de votre commandant de bataillon, vous
17 l'avez reçu la veille ?
18 R. L'ordre est arrivé quelques jours avant. Je l'ai déjà dit, ce n'était
19 pas un ordre classique par écrit, mais il consistait à dire qu'il fallait
20 qu'on se tienne prêt pour agir à tout moment. Je m'y suis conformé.
21 Q. Il me semble, comme vous l'avez déjà dit dans votre déposition, vous et
22 votre collègue, le Dr Ribo, vous vous êtes préparés, en tenant prêt deux
23 centres pour recevoir des patients; est-ce exact ?
24 R. Je vais vous corriger. C'est le Dr Ribic, et non pas le
25 Dr Ribo. Oui, c'est exact. Compte tenu de la situation, en analysant celle-
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1 ci et en analysant la qualité du terrain qu'on devrait couvrir, dans la
2 perspective de l'escalade des opérations, il était clair qu'un dispensaire
3 ne pouvait pas répondre au besoin potentiel en nombre de blessés. On a
4 décidé de créer deux centres qui se trouvaient à proximité, et tout
5 simplement pour être le plus efficace et le plus transparent dans l'aide
6 qu'on allait apporter aux blessés.
7 Q. C'est deux centres de réceptions, ils étaient où ? Où étaient-ils
8 situés ?
9 R. A Mehurici. Concrètement ?
10 Q. Oui.
11 R. Entre les deux, c'était -- ils étaient à Mehurici. Mehurici est une
12 petite localité, un petit village. Il y avait un dispensaire qui était au
13 centre, disons. En face il y avait ce deuxième centre où on allait recevoir
14 les patients. C'était au rez-de-chaussée d'un bâtiment.
15 Q. D'où est venu ce premier blessé que vous avez reçu à
16 4 heures et le quart de la matinée ?
17 R. C'était un membre de l'armée, de la 306e Brigade de Montagne. Il a été
18 blessé, je ne sais pas exactement sur quelle ligne, quel axe, mais il
19 n'avait pas la jambe droite, ou gauche, je ne me souviens plus, à partir du
20 genou. En l'espace de peut-être une demi-heure, on en a reçu un deuxième
21 qui avait, lui aussi, été blessé par une mine antipersonnel.
22 Q. Ce jour-là, le 8 juin 1993, il y a des informations disant que plus de
23 24 personnes ont été tuées ce jour-là. Parmi eux, il se peut qu'il y ait eu
24 des civils. Est-ce que vous le saviez ?
25 R. Hélas, comme je le disais, enfin, si j'emploie le terme "hélas," c'est
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1 parce qu'il y a eu des victimes. Je ne l'ai appris que le lendemain ou un
2 ou deux jours plus tard. Ce que j'ai appris, c'est que cet incident s'était
3 produit avec des membres du HVO qui s'étaient faits prisonniers, mais je ne
4 l'ai appris que deux jours plus tard. Peut-être quelques jours encore plus
5 tard, j'ai appris que mes deux blessés qui m'avaient été amenés plus tard,
6 qu'ils s'étaient trouvés parmi eux. Là où il y a eu cette exécution par
7 fusillade, enfin je ne sais pas comment le qualifier, ils en ont été
8 victimes.
9 Q. Est-ce qu'on vous a demandé de venir voir les corps ?
10 R. Non, jamais personne ne me l'a demandé. Moi, c'est par hasard que je
11 l'ai appris. En fait, on devinait ce qui a pu se passer, mais jamais
12 officiellement on m'a demandé d'aller voir ces corps, et je ne les ai pas
13 vus d'ailleurs.
14 Q. Qui vous en a parlé plus tard ? Vous vous rappelez cela ?
15 R. Comme je vous dis, on supposait. Je ne peux pas me souvenir exactement
16 de la personne qui me l'a dit, qu'ils ont été tués, mais il y avait cette
17 supposition qu'il est possible qu'ils aient perdu la vie. L'un des soldats
18 me l'a dit, mais je ne me souviens pas exactement qui.
19 Q. Lorsque vous parlez de suppositions portant sur leur mort, de quoi nous
20 parlez-vous exactement, de genre de suppositions ?
21 R. Je n'en ai pas, mais à ce moment-là, j'ai entendu dire qu'on supposait
22 que les personnes qui avaient été faits prisonniers ont disparu, et qu'on
23 supposait que le pire s'était produit. Je n'ai pas de suppositions. J'ai
24 entendu des suppositions de la part d'autres personnes.
25 Q. Je sais que la question peut sembler banale, mais est-ce que vous
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1 croyez que c'est quelque chose de grave que plus de
2 20 personnes soient tuées à proximité immédiate de l'endroit où vous vous
3 trouviez ? Est-ce que vous en avez parlé avec le commandant du bataillon au
4 sein du commandement du bataillon ?
5 R. Ecoutez. Le commandant du bataillon n'est pas tenu de parler de ce
6 sujet-là avec quelqu'un de mon niveau. Il n'avait pas cette obligation-là à
7 ce moment-là. Je n'ai jamais parlé avec lui à ce sujet-là. Il y avait des
8 services, des organes qui étaient tenus de faire des enquêtes, de vérifier
9 des suppositions, des informations. Je suppose que c'est avec eux qu'il en
10 a parlé. Il n'en a pas parlé avec moi personnellement. Encore une fois,
11 j'en ai entendu parler par hasard. On avait parlé de prisonniers, mais il
12 n'a pas parlé avec moi des suppositions portant sur le sort de ces gens.
13 Q. Avez-vous entendu parler des survivants de cet incident, de ce
14 massacre, si je peux l'appeler ainsi ?
15 R. Je vous l'ai déjà dit. Quelques jours plus tard peut-être, peut-être
16 même un mois après ces événements, j'ai appris que deux prisonniers qui
17 m'avaient été amenés ce jour-là, des membres du HVO, que ces deux hommes
18 ont survécus. Très franchement, très honnêtement, je dois reconnaître
19 aujourd'hui que, surtout pour celui qui était blessé grave, j'ai pensé
20 qu'il s'était passé quelque chose de grave. Il avait plusieurs blessures,
21 des orifices d'entrée et de sortie de balles. Comme il était dans un état
22 grave, je n'ai pas voulu le fatiguer. Après, j'ai appris que ces deux
23 blessés, mes blessés, qu'ils avaient été présents, qu'ils avaient fait
24 l'objet de cet incident qui s'était produit.
25 Q. Berislav Marijanovic, est-ce que cela pourrait être le nom de l'une de
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1 ces deux personnes ? Ce serait un Croate de Paklarevo, né en 1962. Est-ce
2 que cela pourrait être l'un de ces deux ?
3 R. Je ne connais pas exactement son nom. Je ne sais pas s'il s'appelait
4 Berislav. Pour le premier, il me semble que son nom était Zoran ou Darko.
5 Pour le deuxième, je ne sais vraiment pas le nom de cet homme. On a estimé
6 que c'était un blessé léger. On lui a apporté des soins. Je vous ai déjà
7 dit, compte tenu de la situation, on l'a placé dans la salle où se
8 trouvaient tous les autres civils.
9 Q. Vous venez de dire que quelque chose de particulier était arrivé à cet
10 homme et vous avez parlé de plusieurs orifices d'entrée et de sortie. Est-
11 ce que vous pouvez nous dire avec un peu plus de détails ce que vous avez
12 vu ?
13 R. J'ai vu une blessure particulière qui peut être provoquée uniquement
14 par une arme automatique, par une rafale, d'après ce que je sais. Donc, il
15 y avait plusieurs blessures et la blessure la plus critique était celle qui
16 se trouvait du côté droit par rapport aux cotes et, en même temps, sa main
17 a été blessée. Il s'agissait là d'une personne vraiment, grièvement
18 blessée, mais je ne peux pas vous dire le nombre exact de ses blessures,
19 mais de toute façon il y en avait plusieurs, ce qui me faisait comprendre
20 qu'il avait été touché par plusieurs balles.
21 Q. Pourquoi, en tant que docteur, vous avez trouvé cela particulier ?
22 Pourquoi est-ce que ceci vous a frappé ?
23 R. Tout d'abord, ce qui m'a frappé, c'était le fait qu'on nous avait fait
24 venir très tard. Si vous parlez de l'arrivée de ces membres des forces
25 croates. Aussi, je considérais qu'il était logique que ce type de blessure
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1 ait pu être provoqué par une rafale. Il ne s'agissait certainement pas de
2 balles tirées par un tireur embusqué, mais il était évident que quelqu'un
3 avait tout simplement tiré une rafale sur cet homme, à partir d'une
4 distance très restreinte. D'ailleurs, sa situation psychologique indiquait
5 que son état était particulier. Il ne s'agissait pas d'une personne blessée
6 dans le sens classique du terme. Il s'agissait de quelqu'un de traumatiser,
7 qui est resté traumatisé, et qui avait du mal à communiquer, alors que
8 d'habitude les personnes blessées subissent d'abord un traumatisme, mais,
9 une fois arrivé chez lui, ils sont déjà un peu plus calme.
10 Q. Donc, vous dites qu'on avait ouvert le feu sur cette personne d'une
11 petite distance. Est-ce que ceci vous pousserait à conclure qu'il ne
12 s'agissait pas d'une action qu faisait partie des activités de combat
13 normal, par exemple. S'agissait-il, là, de l'évaluation que vous avez faite
14 à l'époque ?
15 R. Oui, exactement.
16 Q. Peut-être, vous avez déjà répondu, mais veuillez me redire. Est-ce que
17 vous avez parlé de cela avec votre commandant ? Est-ce que vous avez parlé
18 de ce soldat blessé ?
19 R. Oui, bien sûr. Je lui ai dit, il y a un rapport. J'ai déjà dit que,
20 lors de la réunion, vers minuit, j'ai parlé de nos personnes blessées et
21 aussi de ces autres blessés, ces membres des forces croates, et également
22 j'avais demandé une escorte, on m'a demandé de les escorter à Zenica à
23 cause de leurs blessures. Mais je n'ai pas tiré de conclusions quant à la
24 question de savoir où ils avaient été blessés, ni de quelle manière ils
25 avaient été blessés. Tout simplement, j'ai établi la nature de leurs
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1 blessures.
2 Q. Est-ce que vous vous souvenez quelle a été la réponse du commandant au
3 moment où vous lui avez dit cela au cours de cette réunion qui a eu lieu,
4 tard dans la nuit ?
5 R. Je ne sais pas ce qui s'est passé par la suite et quelles mesures ont
6 été prises par la suite. Je considérais que je m'étais acquitté de ma
7 partie du devoir et de ma responsabilité. Après je n'essayais pas d'obtenir
8 des informations concernant ces personnes. Beaucoup plus tard, disons, un
9 mois plus tard, un ami m'a raconté qu'il s'agissait là d'un jeune homme qui
10 avait, malheureusement, subi une exécution et qu'il avait participé à cette
11 exécution.
12 Q. Je vais terminer pour ce qui est de cette question-là. Peut-être vous
13 avez déjà répondu encore une fois. La police militaire, ou la police
14 civile, ou la police de l'Etat ne vous a jamais demandé de leur donner un
15 récit concernant les événements qui se sont déroulés le 8 juin 1993, en ce
16 qui concerne les soldats que vous avez soignés ?
17 R. Non.
18 Q. Très bien. Je souhaite que l'on revienne au 24 avril 1993. Vous avez
19 dit que l'on vous a appelé afin que vous vous occupiez des personnes
20 blessées parmi vos soldats et, après, vous avez dit qu'en dehors de
21 Mehurici, près de Mehurici, vous avez vu un Arabe qui avait été blessé ?
22 R. Oui.
23 Q. Je sais que ceci s'est passé il y a longtemps et je sais que vous avez
24 dit que les blessures étaient complexes. Mais est-ce que vous pouvez nous
25 dire quelque chose de plus précis au sujet de cette blessure, par exemple,
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1 ce qui les avaient provoquées ?
2 R. Visiblement, il s'agissait des blessures provoquées par des balles,
3 mais, à ce moment-là, ces deux Arabes qui étaient avec lui, et lui aussi,
4 donc le troisième, ils étaient tous armés.
5 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire à quel endroit ceci a eu lieu par
6 rapport à Mehurici, cet endroit où vous avez rencontré ces Arabes ?
7 R. C'est à la sortie même du village, il y a un pont là-bas qui continue
8 vers Pilake [phon], et c'est de l'autre côté du pont qu'ils m'ont arrêté.
9 Peut-être, il s'agissait d'un manque de chance de ma part.
10 Q. Au fond c'est à Mehurici que vous êtes tombé sur ces Arabes ?
11 R. C'était à la sortie même du hameau de Mehurici. Ce n'était pas
12 directement dans le village, mais à la sortie sur la route qui mène vers
13 Travnik et Zenica.
14 Q. Peut-être, vous aurez besoin d'un peu de temps, mais il serait peut-
15 être utile si vous pourriez vous pencher sur la carte et nous dire si vous
16 pouvez entourer d'un cercle cet emplacement - et je pense que ceci n'est
17 pas contesté - j'ai marqué Mehurici en jaune. Est-ce que vous pourriez
18 encercler l'endroit où se trouvait cet Arabe ?
19 R. Excusez-moi. J'essaie de trouver mes repères. Dans cette partie-là,
20 dans cette partie ici.
21 Q. Veuillez dessiner un grand cercle autour de l'endroit où vous avez
22 rencontré ces Arabes ?
23 R. J'essaie de le faire, mais je ne vois pas la route principale ici qui
24 traverse la région autour de Mehurici. Cela devrait être par ici, si je ne
25 me trompe par rapport à la carte.
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1 [Le témoin s'exécute]
2 Q. Le témoin vient de montrer.
3 Est-ce que vous pourriez encercler le point que vous avez indiqué ?
4 R. [Le témoin s'exécute]
5 Je ne garantie à 100 %. Je suppose que c'est ainsi.
6 Q. Merci beaucoup. Je pense que ceci suffit. Le cercle se trouve entre le
7 village de Poljanice et Fazlici, au sud de Mehurici. Je vous remercie,
8 Docteur.
9 Poursuivons. Tout d'abord, brièvement, s'agissant de ce document, le
10 document que vous avez trouvé sur cet Arabe qui disait que c'était un
11 employé d'une organisation internationale d'Egypte, et la signature a été
12 celle du ministre, je crois, des Affaires intérieures de la Croatie. Est-ce
13 que vous avez vu d'autres documents de ce type pendant que vous étiez dans
14 cette région-là, ou s'agissait-il de la seule fois où ceci vous est
15 arrivé ?
16 R. Je n'ai pas vu d'autres documents de ce type. C'est par hasard que j'ai
17 eu ce document. Car j'ai demandé à l'autre Arabe, celui qui parlait la
18 langue serbo-croate, de m'aider à prendre les coordonnés de cette personne
19 et donc il m'a montré ce document. Par la suite, je n'ai plus jamais revu
20 ce genre de documents auprès de qui que ce soit. Mais là, j'ai pu voir
21 qu'il était écrit qu'en tant qu'employé d'une organisation humanitaire, il
22 fallait lui permettre de se déplacer librement à travers le territoire de
23 la Croatie et le territoire contrôlé par le HVO.
24 M. WAESPI : [interprétation] Monsieur le Président, je sais que l'heure de
25 la pause est presque arrivée. Je sais qu'il me reste seulement quelques
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1 minutes, mais j'ai besoin de couvrir plusieurs sujets. Peut-être nous
2 pourrions nous organiser mieux pendant la pause. Je crois qu'il nous reste
3 encore dix minutes. On nous le confirme. Cela dit, je peux poursuivre, si
4 vous le souhaitez.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Poursuivez pendant les dix minutes, et on fera la
6 pause à 16 heures moins 20.
7 M. WAESPI : [interprétation]
8 Q. Monsieur le Témoin, je continue pour ce qui est de la date du 24 avril
9 1993. Ce soir-là, je pense, l'émir est arrivé plus tard dans la soirée,
10 mais, avant cela, vous nous avez dit que vous étiez assis ensemble et que :
11 "Six d'entre vous avez suggéré d'aller dans le camp," pour traiter de la
12 libération de ces personnes qui étaient détenues ou hébergées. Vous nous
13 avez dit que vous étiez : "Six à suggérer d'aller au camp." Est-ce que vous
14 pouvez nous dire de qui il s'agissait ?
15 R. Non, je n'ai pas dit que nous étions six à faire cela, mais j'ai
16 mentionné les noms. J'ai dit qu'il y avait moi, le commandant, M. Ribo, et
17 les personnes qui y étaient, mais je n'ai pas dit quel était le nombre de
18 personnes qui l'ont fait. Je ne faisais pas le compte à ce moment-là
19 certainement. Mais, à ce moment-là, à un moment donné, notre groupe a
20 décidé au moins de se rendre sur place, d'aller au camp, qu'ils ont délogé
21 après mon arrivée, à un endroit qui s'appelle Poljanice, puisque j'ai
22 appris, par la suite, c'est là que se trouvait leur camp. Vraiment, nous
23 avions décidé de nous rendre sur place pour voir ce que nous pouvions faire
24 pour aider ces gens-là.
25 Q. Est-ce que vous étiez déjà allé au camp ?
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1 R. Non. Non, non.
2 Q. Pourquoi avez-vous suggéré d'aller au camp ?
3 R. Parce que c'était la seule solution. Ils emmenaient les gens et ils ne
4 venaient pas vers nous, et les gens dont les parents ont été emmenés,
5 certains voisins. D'ailleurs, moi-même, j'étais frappé parce que j'avais
6 soigné une femme blessée. Nous ne savions pas quoi faire et nous avons
7 considéré que la meilleure solution était d'aller sur place car tous les
8 Arabes ne revenaient plus. On ne les voyait plus. Ils ont emmené ces civils
9 là-bas, et on ne voyait plus. Surtout, nous avons appris qu'ils traitaient
10 ces personnes de manière humiliante. Certaines personnes étaient
11 enchaînées, et cetera.
12 Q. Vous et Ribo, ce soir-là, vous vous trouviez au commandement du
13 bataillon ?
14 R. Oui, oui.
15 Q. Je pense que Ramadan est parti et, après, il est revenu avec l'émir,
16 comme vous l'avez décrit.
17 R. Ramadan, il est venu d'abord, d'une certaine manière. C'était grâce à
18 l'un des hommes locaux qu'il le connaissait. Pendant un certain temps, on
19 essayait de le persuader. Il refusait cela au début. Il disait que ceci ne
20 le concernait pas. Mais nous avons réussi à le convaincre, donc il est
21 parti et il est revenu avec l'émir. A ce moment-là, quand ils sont venus,
22 nous les autres, nous n'avons plus participé aux discussions. Pour ce qui
23 est du reste des négociations, elles étaient menées entièrement par le
24 commandant du bataillon.
25 Q. Vous avez dit que l'émir est venu et qu'il a été escorté par des
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1 membres armés. Combien de membres armés escortaient l'émir ?
2 R. Vous savez, c'était déjà la nuit. Mais je pense qu'à chaque fois, il y
3 avait deux ou trois personnes dans l'escorte de l'émir. Ils sont venus dans
4 un véhicule tout terrain, quelque chose comme cela. De toute façon, il
5 était escorté par deux ou trois personnes armées qui étaient arabes elles
6 aussi.
7 Q. Avez-vous vu cet émir avant ce soir ou après, ou s'agissait-il de
8 l'unique occasion lors de laquelle vous l'avez rencontré ?
9 R. Je l'ai voyais au passage, y compris cet émir. Ils traversaient
10 Mehurici dans leur véhicule et ailleurs. Puis, je vous ai déjà dit qu'ils
11 avaient des locaux qu'ils avaient gardés à l'étage. Cet émir venait de
12 temps en temps. Je ne savais pas que c'était l'émir, mais parfois il venait
13 dans ces locaux à l'étage. Je ne sais pas ce qu'il faisait là-bas. Je le
14 voyais avant et par la suite aussi, mais toujours de passage, jamais
15 directement.
16 Q. Pour ce qui est de ces locaux, de ce bureau dont ils disposaient, vous
17 avez dit, hier, qu'après le départ des Arabes, ils ont gardé ce bureau
18 pendant encore quelque temps.
19 R. Oui, c'est justement de cela que je suis en train de parler. Je vous ai
20 dit que l'émir venait de temps en temps. Donc, ils ont gardé ce bureau
21 pendant un certain temps, à l'étage de l'école; c'est vrai.
22 Q. Est-ce que vous vous souvenez pendant combien de temps ils ont continué
23 à utiliser ces locaux ?
24 R. Je ne sais pas avec exactitude. Peut-être que c'était jusqu'au moment
25 de la création de la 27e Brigade, donc jusqu'à l'été. C'est possible. Mais
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1 il s'agissait d'un bureau, et je ne sais pas à quoi il servait. Mis à part
2 ce bureau-là, le reste de l'étage était également inaccessible pour nous,
3 les membres de l'ABiH. Aucun membre de l'ABiH n'y allait, jusqu'au moment
4 de la création de la 27e Brigade.
5 Q. Justement, à quel moment êtes-vous parti de la région de Mehurici vous-
6 même ?
7 R. Quand je suis parti ? Le 18 mars 1996. Le commandement de ma brigade
8 auparavant de mon bataillon s'y trouvait, donc je devais y être souvent,
9 jusqu'au temps que le démantèlement de la Brigade de guerre.
10 Q. Donc, pendant tout ce temps, vous êtes resté à Mehurici, en tant que
11 médecin.
12 R. Non, à Mehurici se trouvait le commandement mais compte tenu de
13 l'intensité des opérations de combat qui ont suivi, je passais le moins de
14 temps à Mehurici. J'étais toujours en déplacement. Comme les autres membres
15 de mon unité, nous étions dans des parties différentes de la Bosnie-
16 Herzégovine en fonction des besoins. Mais c'est là que nous avions notre
17 commandement et le secteur administratif de l'unité.
18 Q. Je souhaite revenir à la réunion avec l'émir. Est-ce que vous vous
19 souvenez quel était son nom, par hasard ?
20 R. Je ne suis pas sûr. Je pense que celui dont nous sommes en train de
21 parler, en ce moment, il s'appelle Wahiudin, mais je ne suis pas sûr. Comme
22 je communiquais très peu avec eux, j'avais ces deux situations où, en
23 raison de mon étique professionnelle, je ne pouvais répandre de venir en
24 aide aux personnes blessées, mais j'ai essayé de garder mes distances par
25 rapport à eux au maximum. Je pense qu'il s'appelait Wahiudin et, par la
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1 suite, un médecin, Abu Haris, je pense qu'il s'appelait, qui était médecin,
2 c'est lui qui est devenu le nouvel émir.
3 Q. S'agit-il du Dr Abu Haris ?
4 R. Oui, c'est ce que j'ai entendu. On m'a dit que leur dirigeant était Abu
5 Haris.
6 Q. Lorsque vous dites que, par la suite, il est venu, c'était à quel
7 moment ? Vous voulez dire plus tard ce soir-là ?
8 R. Moi aussi, cela me rendait perplexe souvent. A certains moments, par
9 exemple, en juin, juillet, août, tout était hermétiquement fermé, il
10 n'était pas possible de se déplacer. Tout d'un coup, ils faisaient leur
11 apparition. Je le dis parce que je les croisais, par ci par là, de temps en
12 temps. Je ne sais pas très exactement à quel moment il est arrivé, mais
13 c'était peut-être vers la mi-juillet ou juin, je ne suis pas sûr, je ne
14 peux le dire avec exactitude. Mais, de toute façon, ils apparaissaient.
15 Q. Mais ce soir-là, la personne qui est venue avec ces personnes armées,
16 suite à l'initiative de Ramadan, la personne qui a parlé avec votre
17 commandement de bataillon, n'était pas le Dr Abu Haris, à vous avis ?
18 R. D'après mes connaissances, il s'appelait Wahiudin.
19 Q. Est-ce que vous pouvez nous décrire son aspect physique ?
20 R. Oui. Il s'agissait là d'un exemple classique d'un membre expérimenté de
21 guérilla, il avait des cicatrices, je pense qu'un œil lui manquait, il
22 avait des cicatrices très marquantes. Donc, visiblement, c'est quelqu'un
23 qui avait déjà une longue expérience de guérilla. D'après ce que j'ai pu
24 remarquer et aussi d'après la manière, dont il se comportait, qui était
25 très arrogante et il refusait les propositions de notre commandant. Donc,
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1 il s'agissait d'une personne vraiment difficile d'après ce que j'ai pu
2 voir. Par la suite, ils sont restés seuls à discuter.
3 Q. Est-ce que vous savez d'où il venait ?
4 R. Je ne sais pas.
5 Q. Quel était son âge ?
6 R. Je ne peux faire que des suppositions, compte tenu du fait qu'ils
7 appartenaient à un autre groupe où il est difficile d'évaluer l'âge, mais
8 je pense qu'il avait une trentaine, peut-être quarante ans. Je ne peux pas
9 le dire avec exactitude.
10 R. Est-ce qu'il portait une barbe, moustache ?
11 R. Ils avaient tous une barbe. Tout ceux que je rencontrais.
12 Q. Vous nous avez parlé des Arabes que vous avez vus. Je crois que l'une
13 des personnes que vous avez mentionnée venait d'Egypte et je crois que vous
14 nous avez dit que Ramadan était de Syrie ?
15 R. Oui, Syrie.
16 Q. Est-ce que vous vous souvenez de quels autres pays arabes venaient ces
17 personnes qui étaient dans votre région ?
18 R. Je ne me souviens pas. J'ai parlé des Arabes dont j'étais sûr, sur la
19 base des documents, mais Ramadan, en fait, il ne m'a pas montré de
20 documents. Il m'a dit quels étaient leurs pays d'origine. Mais, en ce qui
21 concerne la personne blessée, j'ai vu le document qui le concernait.
22 Ramadan m'a dit qu'il venait de Syrie, mais je ne sais pas, pour ce qui est
23 des autres, quels étaient leurs pays d'origine. Vraiment, je ne le sais
24 pas.
25 Q. Combien d'Arabes avez-vous soignés pendant que vous y étiez ?
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1 S'agissait-il de la seule fois où vous avez soigné ces Arabes, les Arabes
2 que vous avez rencontré ou est-ce que vous avez cela à d'autres reprises
3 aussi ?
4 R. Je l'ai déjà expliqué, il y avait le cas de ce Ramadan et de cet Arabe
5 blessé. Par la suite, ils avaient leur propre médecin. Comme je l'ai déjà
6 dit, le Dr Abu Haris est venu, mais même s'ils n'en avaient pas, vous
7 savez, après ce qui s'est passé à Miletici, pour moi, ils étaient des
8 chiens de guerre. Je faisais tout pour les éviter de guerre, non pas à
9 cause de la peur. Je ne voulais rien à voir avec eux et la plupart de
10 membres de mon unité se comportaient également, donc je ne suis plus
11 intervenu auprès d'eux. Il y a eu ces deux situations, concernant les
12 Arabes, et rien d'autre par la suite.
13 M. WAESPI : [interprétation] Monsieur le Président, il me reste encore deux
14 questions. J'aurais besoin peut-être de deux ou trois minutes. Est-ce que
15 vous souhaitez que je les pose maintenant ou que l'on procède à une pause ?
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Maintenant.
17 M. WAESPI : [interprétation] Merci beaucoup. Avec votre permission, je
18 souhaite montrer au témoin une troisième pièce à conviction, compte tenu de
19 quelque chose que le témoin a dit. C'est un document qui a été versé au
20 dossier préalablement, il s'agit du document DH128/6 -- 182, DH. Peut-être,
21 nous pourrions placer l'image -- la photographie sur le rétroprojecteur.
22 Mais, tout d'abord, est-ce que ceci est acceptable, du point de vue de la
23 Chambre, que l'on montre cela puisque je n'avais pas annoncé cela
24 préalablement ? Merci.
25 Q. Est-ce que vous pourriez examiner cette photographie, s'il vous plaît,
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1 Monsieur le Témoin, et surtout les personnes qui sont devant cette
2 camionnette. Est-ce que vous reconnaissez qui que ce soit sur cette
3 photographie ?
4 R. Je ne suis pas sûr de reconnaître qui que ce soit. Peut-être celui-ci
5 pourrait être Wahiudin, la personne qui a un béret vert et un œil, un bande
6 sur l'œil, mais je ne suis pas sûr.
7 Q. Merci beaucoup. Vous avez dit qu'après Miletici, vous avez considéré
8 que ces gens-là étaient et je suppose que vous avez parlé des Arabes, vous
9 avez dit que vous les considériez comme des "chiens de la guerre". Est-ce
10 que vous pouvez nous dire ce que vous vouliez dire par là.
11 R. Ce que je voulais dire, c'est que, d'après ce que je sais, d'après ce
12 que j'ai lu dans les livres, concernant la guerre conventionnelle et non
13 conventionnelle, et sur la base de leur comportement et de leur manque de
14 respect par rapport aux autres, vous savez que le cheikh, cet homme était
15 la personne qui avait tout le pouvoir et la seule personne à laquelle ils
16 obéissaient. Vous savez, lorsque je les voyais, il était déjà évident
17 qu'ils appartenaient à un autre type d'unité militaire, donc surtout après
18 ce qui s'est passé à Miletici, je considère qu'il s'agissait là des soldats
19 non responsables, non disciplinés. Pour ce qui est de l'hiérarchie, ils
20 étaient tous subordonnés à un seul homme, et il n'y avait pas une
21 discipline qui régnait, ni une obéissance.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : On a une photo de meilleure qualité, alors il va
23 peut-être pouvoir mieux voir.
24 M. WAESPI : [interprétation] Merci.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Voici une photo en couleur. Peut-être vous pourriez
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1 la montrer au témoin pour lui aider.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, cette photo ne m'est
3 pas plus utile que l'autre car la personne pour laquelle je suppose que
4 c'est celle dont j'ai parlé, est tournée dans l'autre sens, donc ceci ne me
5 permet pas de dire avec exactitude que c'est lui car la cicatrice est de
6 l'autre côté de son visage, mais je suppose, compte tenu de ce foulard
7 qu'il portait, le foulard à la Yasser Arafat, le foulard traditionnel.
8 M. WAESPI : [interprétation]
9 Q. Merci beaucoup, Monsieur le Témoin, je vous remercie. J'apprécie ce que
10 vous avez fait en tant que médecin, pendant cette période extrêmement
11 difficile, et je vous remercie.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 3 heures 50. Nous allons nous interrompre
14 jusqu'à 16 heures 20, et nous reprendrons l'audience avec les questions
15 supplémentaires des défenseurs.
16 --- L'audience est suspendue à 15 heures 48.
17 --- La pause est terminée à 16 heures 24.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Après cette reprise, je vais demander à la
19 Défense si elle a des questions supplémentaires.
20 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
21 Nous n'avons pas d'autres questions à poser.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je me tourne vers les avocats. M. IBRISIMOVIC
23 : [interprétation] Monsieur le Président, nous n'avons pas de questions,
24 non plus.
25 M. WAESPI : [interprétation] Juste avant que le témoin ne soit autorisé à
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1 quitter le prétoire, je ne sais pas si vous avez des questions à poser
2 vous-même, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, mais est-ce
3 que l'on pourrait faire signer cette pièce à conviction ?
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Juste quelques petites questions à vous poser.
5 Questions de la Cour :
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Tout d'abord, je voudrais clarifier un petit point.
7 Est-ce que qu'au jour d'aujourd'hui, vous avez votre diplôme de docteur en
8 médecine ou pas ?
9 R. Non. J'ai encore quelques examens à passer.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous êtes dans un statut d'officier affecté
11 dans un service sanitaire de l'armée actuellement ?
12 R. C'est exact.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, vous avez constaté, tout à l'heure, à un
14 moment donné, que l'Accusation vous a parlé de détenus. La Défense s'est
15 levée pour faire une objection. Je vais essayer d'être clair. Les Juges ont
16 à trancher sur des points qui sont dans un acte d'accusation. Dans l'acte
17 d'accusation, il est fait état sur Mehurici de mauvais traitement, tant
18 dans l'école que dans la forge de Mehurici. Etant précisé que, dans l'acte
19 d'accusation et dans les témoignages qui ont suivi l'acte d'accusation, des
20 témoins, tant de l'Accusation que certains témoins de la Défense, il y
21 aurait des personnes qui auraient été placées dans la forge et dans
22 l'école. Vous, qui vous êtes occupé de ces personnes, la question que nous
23 avons, nous, à trancher, les Juges, est de savoir si ces personnes ont subi
24 des mauvais traitements. Vous étiez présent. Vous vous êtes occupé de ces
25 personnes. Vous êtes un témoin des faits. Vous avez été cité par la
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1 Défense, à l'appui de la thèse de la Défense. Concernant le point des
2 mauvais traitements, que pouvez-vous nous dire ?
3 R. Monsieur le Président, devant vous et devant les autres Juges,
4 j'affirme, en prenant toute la responsabilité que tout ce que j'ai vu là-
5 bas, tout ce dont j'ai été témoin là-bas n'était pas de mauvais traitement.
6 Il n'y a pas eu de traitement inhumain ou de traitement qui aurait pu
7 mettre les gens en danger, leur causer des risques. Ceci n'a eu lieu ni
8 dans l'école, ni à la forge, comme on l'a appelé. Il n'y a pas eu de
9 torture, il n'y a pas eu de mauvais traitement. Les gens n'ont pas subi de
10 privation quelle qu'elle soit. Dans ma déposition, j'ai mentionné pas mal
11 de choses disant à quel point nous nous sommes efforcés d'améliorer la
12 situation de ces gens au moment en question. Je sais très bien ce que sont
13 les prisons et ce qu'est la torture, et ce que sont des humiliations, parce
14 qu'à un moment donné de ma vie j'ai subi moi-même de mauvais traitement de
15 la part de l'agresseur serbe et chetnik. C'est la raison pour laquelle je
16 voudrais insister sur le fait que ces personnes à propos desquelles vous me
17 questionnez, les deux groupes en questions, ont été traités avec beaucoup
18 de tolérance et d'humanité, d'une façon tout à fait convenable du point de
19 vue militaire. Ces personnes qui se trouvaient dans le gymnase ont été
20 soignées. C'était la protection civile qui s'est occupée d'eux, et nous
21 avons seulement fourni un soutien logistique, dans les conditions que j'ai
22 déjà décrites, à savoir, en leur donnant à manger et les autres soins
23 possibles.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Un témoin qui a déposé nous a dit il y avait grosso
25 modo 25 enfants. Est-ce que, dans votre mémoire, vous vous souvenez avoir
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1 vu, à l'école de Mehurici, des enfants ? Notamment, je crois quand même
2 qu'il y avait un enfant d'un très bas âge qui avait quelques semaines. Est-
3 ce que vous vous souvenez de la présence des enfants ? Ces enfants, ont-ils
4 fait l'objet de votre part une attention particulière ?
5 R. Je me rappelle qu'au début de ma déposition, lorsqu'on m'a posé des
6 questions concernant l'arrivée de ces personnes, j'ai dit que j'avais
7 remarqué des enfants dans le groupe, et j'ai suggéré au commandant que nos
8 réserves alimentaires puissent être utilisées et remises à la protection
9 civile pour les enfants et pour les personnes âgées. Les enfants ont reçu,
10 trois fois par jour, du lait et d'autres aliments exclusivement destinés
11 aux enfants en bas âge, et il n'y a eu aucune occurrence de maladie ou
12 d'issue fatale concernant les enfants.
13 D'après ce que je me souviens, il y a une personne âgée qui est décédée.
14 Mais cet homme est décédé parce qu'il était très frêle, fragile et âgé. Je
15 pense que les conditions ont contribué à sa mort, mais en tous les cas, il
16 est mort de mort naturelle.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Une dernière question. L'Accusation vous a interrogé
18 à un moment donné sur la question des deux personnes qui avaient été
19 gravement blessées, que vous avez soignées, et que par ailleurs vous avez
20 appris ultérieurement qu'ils faisaient partie d'un groupe de personnes dont
21 certaines avaient été - je reprends vos termes - avaient été fusillées, ou
22 avaient été tuées par balle. Les personnes que vous avez soignées vous
23 aviez dit au départ que l'un avait une jambe en très mauvais état, et vous
24 aviez parlé, semble-t-il, qu'elle aurait pu être victime d'une mine
25 antipersonnel. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire comme précision là-
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1 dessus, parce que si on est blessé par balle, cela ne vient pas d'une mine
2 antipersonnel.
3 R. Monsieur le Président, vous parlez ici des personnes blessées qui
4 étaient membres de l'ABiH, qui faisaient partie des premiers arrivants
5 après avoir été blessés. C'était vers 4 heures et quart du matin.
6 Toutefois, si vous voulez vous référer aux membres du HVO que j'ai traités,
7 que j'ai soignés et qui avaient été grièvement blessés, aucun de ceux-là
8 n'a été blessé par une mine antipersonnel. Tous deux avaient des blessures
9 causées par l'arme à feu. L'un d'entre eux était grièvement blessé, et
10 l'autre était légèrement blessé. Les membres de l'ABiH qui sont arrivés
11 parmi les premiers dans la matinée, avaient tous deux soufferts des
12 conséquences d'avoir mis le pied sur une mine antipersonnel et avaient
13 perdus les jambes à la suite de cela. Je vous prie de m'excuser si je
14 corrige ce point. Desquels des deux hommes voulez-vous parler ? Est-ce que
15 vous parlez des membres de l'ABiH ou des membres du HVO ?
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Là, vous avez bien fait la distinction. Vous nous
17 avez bien dit que les membres de l'ABiH avaient été, eux, blessés par une
18 mine antipersonnel. Cela c'est très précis maintenant. Quand vous vous êtes
19 occupé des blessés, vous aviez une blouse blanche ou vous vous occupiez
20 d'eux en tenue militaire ? Quel était votre équipement ?
21 R. Au centre de tri, dans l'installation pour les patients qui venaient de
22 l'extérieur, aux entrées, je portais une blouse blanche avec des insignes
23 de la Croix Rouge. J'insistais sur cela, ainsi que pour tout mon personnel;
24 les paramédicaux et le reste de mon personnel. J'insistais pour qu'ils
25 portent les insignes de la Croix Rouge et des badges ou des marques de la
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1 Croix Rouge.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Le deux soldats du HVO, vous dites l'un a été
3 gravement blessé, et l'autre légèrement blessé. Voyant que vous étiez un
4 médecin, enfin puisque vous aviez une apparence de médecin avec une blouse
5 blanche, est-ce qu'ils se sont entretenus avec vous des circonstances dans
6 lesquelles ils ont été blessés, ou ils n'ont rien dit ? Est-ce que vous
7 vous souvenez de cet épisode ?
8 R. Je me souviens que j'ai déjà parlé de la question. Etant donné le
9 nombre de blessés qui sont arrivés ce jour-là, le soldat légèrement blessé
10 du HVO, une fois qu'il a reçu les premiers soins, a été envoyé, pour des
11 raisons pratiques, au gymnase. Nous avions une clinique pour les patients
12 qui venaient de l'extérieur, mais il y avait vraiment trop de monde. La
13 situation était ainsi à ce moment-là. C'est pour cela que nous avons envoyé
14 ceux qui étaient légèrement blessés au gymnase. C'est pour cela je n'ai pas
15 beaucoup communiqué avec lui. J'ai simplement regardé son dossier, et je
16 lui ai envoyé au gymnase.
17 L'autre, comme je l'ai déjà dit, outre le fait qu'il avait été
18 grièvement blessé, était très effrayé. Il était dans un état de choc
19 psychologique, tandis que je l'ai escorté à Zenica. Il m'a seulement
20 demandé si je pourrais le mettre en rapport avec un prêtre. Cela a été sa
21 demande, la seule chose qu'il m'ait dite. Je suppose qu'il pensait qu'un
22 prêtre pourrait lui prêter assistance au cours des transports par la suite.
23 Les membres du HVO étaient envoyés en Croatie, à Split, et en d'autres
24 lieux.
25 Je n'avais pas beaucoup communiqué avec lui, mais j'ai supposé
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1 quelque chose de précis dû arriver, étant donné la nature de ses blessures
2 qui semblaient comme une explosion de feu à laquelle il aurait été exposé.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Il semblerait qu'il ne vous a rien dit sur les
4 circonstances dans lesquelles il a été blessé. Il ne vous a donc rien dit.
5 Il vous a demandé un prêtre, c'est tout ?
6 R. Oui, pendant le transport, alors que nous l'escortions vers l'hôpital.
7 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin. J'ai deux
8 ou trois petites questions à vous poser en ce qui concerne les membres du
9 HVO qui ont été dans un lieu autre que le gymnase. Vous avez appelé cette
10 salle par la suite -- quelqu'un l'a appelé la forge. C'est de cet endroit
11 que je veux parler.
12 Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, vous avez dit avoir une
13 suspension de séance, que cette pièce n'était pas très confortable. Est-ce
14 que ceci correspond bien à vos souvenirs ?
15 R. Oui, c'est toujours mon avis. Toutefois, étant donné la situation et
16 les circonstances à l'époque, la meilleure solution fut été de lui envoyer.
17 A l'évidence, nous parlons des personnes, nous parlons des installations,
18 et si vous disposez d'une salle qui fait quatre mètres par cinq et qui
19 contient 30 à 40 personnes, évidemment ce n'est pas très confortable. Il
20 n'y avait pas toutes les installations. Si vous voulez, ce n'était pas une
21 pièce conçue pour avoir tant de personnes. Voilà ce que je veux dire pour
22 ce qui est du confort.
23 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Je voulais vous demander combien de
24 personnes se trouvaient dans cette pièce ? Combien d'espace ? Vous avez
25 déjà, en fait, répondu à la question que je voulais poser. Aussi, vous --
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1 R. Je n'ai pas répondu. J'ai dit qu'il y avait un groupe de personnes,
2 environ 15 personnes.
3 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Ce que vous avez dit en premier, a été
4 traduit comme parlant de 30 ou 40 personnes, et par la suite l'interprète a
5 corrigé ceci en parlant de 15 personnes. Pourriez-vous, s'il vous plaît, me
6 dire combien il y avait de personnes dans cette salle. Je ne suis plus au
7 clair maintenant de cela.
8 R. Non, ce n'est pas de 30 à 40. Ce n'est pas cela que j'ai dit. Il y
9 avait 10 à 15 personnes dans cette salle, au moment où je m'y suis rendu
10 dans cette salle lorsque j'y suis entré.
11 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Je vous remercie. J'ai compris
12 également que vous y alliez tous les jours pour vous occuper d'un patient,
13 d'un malade qui avait une tension artérielle élevée, c'est bien cela ?
14 R. (expurgée)
15 (expurgée), c'était mon devoir du
16 point de déontologique de continuer à voir comment allait cette personne de
17 façon à éviter toute complication. Nous ne voulions pas que cela s'empire.
18 M. LE JUGE SWART : [interprétation] … pendant trois ou quatre semaines,
19 peut-être davantage. Je ne sais pas. Est-ce que vous pourriez me dire
20 combien de temps elles ont été dans cet endroit ?
21 R. Je ne sais pas exactement. Je sais qu'on les y a gardés quelque peu
22 plus longtemps que ceux qui se trouvaient dans le gymnase. Je ne peux pas
23 être absolument sûr de combien de temps de plus ou en plus.
24 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Est-ce qu'ils ont essayé d'avoir avec
25 vous les conversations, ou est-ce que vous y allez simplement pour vérifier
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1 comment ils allaient ? Pourriez-vous me dire quelque chose de vos contacts
2 avec le groupe.
3 R. Je les considérais comme des patients, des malades, mais je les
4 considérais aussi comme des êtres humains, comme des personnes. Je leur ai
5 parlé effectivement. Je ne sais pas si je dispose de temps pour vous parler
6 d'une récompense que j'ai reçue, en remerciement d'une de ces personnes.
7 Ceci a eu lieu en 1995. Je leur parlais. J'ai essayé de communiquer avec
8 eux parce que je me rendais compte de leur situation. Je comprenais ce
9 qu'ils éprouvaient, parce que je mettais trouver dans la même situation.
10 Même si je n'avais pas connu cette situation en aval, je trouvais qu'il
11 était normal d'aider ces personnes, tout au moins avec de bonnes paroles
12 pour les calmer. Je pensais qu'il était normal du point de vue moral d'agir
13 ainsi.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Pouvez-vous nous dire qui vous a récompensé. Vous
15 avez le nom de la personne qui vous a remercié de s'être occupé de lui
16 pendant cette période ?
17 R. Le nom de la personne est Veso. C'est son surnom. Son premier nom était
18 probablement Veselko. Ma famille avait été expulsée de Kotor Varos. Ma mère
19 et ma femme ont vécu en Croatie jusqu'en 1995. Lorsque je me suis rendu en
20 Croatie en 1995 pour les ramener, le car s'est arrêté avant Split et une
21 personne s'est approchée dans un restaurant et m'a demandé si je me
22 souvenais d'elle. J'ai dit que oui. Il m'a pris dans sa voiture pour
23 m'emmener à Zabok, où se trouvait ma famille. Il m'a dit que si jamais
24 j'avais besoin de quoi que ce soit, je pouvais lui faire confiance. Il m'a
25 même offert de l'argent. C'était pour moi une satisfaction particulière.
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1 C'était quelque chose, une expérience particulière pour moi.
2 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Voici ma dernière
3 question : est-ce qu'ils vous ont parlé de leur condition, de leur état, au
4 point de vue physique. Est-ce que c'est un sujet de conversation vous avez
5 eu avec eux ?
6 R. Oui, bien sûr. Je leur ai demandé s'ils avaient des problèmes
7 particuliers, si quelqu'un les avait frappés. J'ai essayé de voir de mes
8 propres yeux, pour voir s'ils avaient des ecchymoses sur le corps, ou
9 d'autres signes de mauvais traitement. Ce que je pourrais voir en les
10 examinant c'est qu'ils n'avaient pas reçu de coups, mais qu'ils étaient
11 déprimés, dans un état de dépression comme le serait toute autre personne
12 qui serait dans la situation.
13 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Je vous remercie de vos réponses.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
15 M. WAESPI : [interprétation] Quelques questions, Monsieur le Président.
16 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Waespi :
17 Q. [interprétation] J'ai une certaine curiosité sur certains points,
18 Monsieur le Témoin : pourriez-vous me dire ce qui vous a amené à leur
19 demander s'ils avaient subi des coups ?
20 R. J'ai peut-être utilisé cette expression à tort. Je leur ai demandé
21 quelle était l'attitude de la police civile à leur égard, parce que la
22 police civile était chargée d'assurer leur sécurité. Je leur ai également
23 demandé s'il y avait eu qui que ce soit qui avait essayé de s'approcher
24 d'eux de façon à leur porter des coups. C'était un temps de guerre, et on
25 devait supposer que telle ou telle chose pouvait se produire. En fin de
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1 compte, ma tâche était de me rendre compte si leur condition physique
2 complète, enfin, s'ils avaient subi des mauvais traitements quels qu'ils
3 soient. C'était ma tâche, en tant que -- d'informer mon commandant
4 supérieur si j'avais remarqué quoi que ce soit d'inhabituel sur le corps de
5 ces personnes.
6 Q. En réponse à la question posée par M. le Juge Swart, vous avez dit que
7 les gens qui se trouvaient dans la forge ont été gardés un peu plus
8 longtemps que ceux qui se trouvaient au gymnase. Donc, je vais vous poser
9 d'abord la question suivante : combien de temps est-ce que les gens ont été
10 gardés dans le gymnase ?
11 R. Je crois que M. le Président m'a posé la question. Ah non, vous venez
12 de me parler du gymnase. Je vous prie de m'excuser. Je crois que cela a été
13 entre dix et 14 jours. Je n'en suis pas absolument certain, mais je pense
14 qu'ils y sont restés une dizaine de jours environ. Je ne peux pas vraiment
15 être plus précis.
16 Q. Est-ce que vous vous souvenez : au cours de ces 10 à 14 jours, combien
17 de temps vous, personnellement, pas quelqu'un d'autre, mais vous-même, vous
18 vous êtes rendu au gymnase pour avoir des contacts avec ces personnes ?
19 R. Je vous ai déjà dit, qu'immédiatement après leur arrivée, j'ai informé
20 le médecin, la femme médecin qui était là, je lui ai parlé de ces
21 personnes, et il y avait également une infirmière. Donc, toute
22 communication que j'ai eue par la suite était avec le médecin. Je lui avais
23 dit que, si elle avait besoin de quoi que ce soit, si elle faisait savoir
24 qu'il y avait quelque chose dont elle pourrait avoir besoin et qui soit de
25 notre compétence, à ce moment-là, je pourrais l'aider. Sinon, je n'ai pas
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1 ressenti la nécessité d'entrer dans le gymnase. Toutefois, si j'apprenais
2 quelque chose qui me paraissait important, c'était cette femme médecin qui
3 me le disait. C'était elle qui se trouvait avec eux.
4 Q. Juste pour être bien au clair : combien de fois, au cours de ces dix à
5 14 jours, est-ce que vous êtes personnellement allé dans le gymnase ?
6 R. Je ne sais pas exactement, peut-être quatre ou cinq fois, en personne.
7 J'étais toujours accompagné de cette dame médecin. Je ne suis jamais entré
8 seul dans le gymnase. Je n'y suis jamais rentré tout seul. S'il y avait une
9 nécessité pour moi de m'y trouver, j'entrais dans le gymnase avec cette
10 dame médecin, et à ce moment-là, nous pouvions examiner les gens ensemble.
11 Q. Chaque fois lors de ces quatre à cinq visites, en gros, si vous vous en
12 souvenez, combien de temps êtes-vous resté dans le gymnase ?
13 R. Est-ce que c'est important vraiment ? Je ne peux pas être précis.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : La réponse vous sert. Ce serait dommage d'empêcher
15 la réponse. Continuez.
16 R. Je ne sais pas exactement, cela dépendait des fois. Je suis peut-être
17 resté quelques minutes à chaque fois, pas plus de dix minutes, dans tous
18 les cas.
19 M. WAESPI : [interprétation]
20 Q. Je voudrais maintenant parler de la forge. Dans ces dix à 14 jours,
21 combien de fois êtes-vous entré dans la forge ?
22 R. Comment, qu'entendez-vous par là, combien de reprises ? Si j'ai entré
23 pendant tout ce temps-là, pendant le temps où ils y sont restés ? Peut-être
24 cinq ou six fois. Ceci, à cause de cet homme qui avait une tension élevée,
25 pour contrôler son état. Mais là aussi, je n'y suis jamais allé tout seul.
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1 J'étais toujours escorté par un policier civil ou par quelqu'un chargé de
2 la sécurité. J'étais toujours avec quelqu'un.
3 Q. Pourquoi est-ce que cette personne devrait garantir la sécurité ?
4 R. Non, ce n'était pas de la sécurité qu'il s'agissait. Je ne pensais pas
5 qu'il était nécessaire d'avoir quelqu'un chargé de la sécurité. Mais tout
6 simplement parce que cette personne assumait la responsabilité devant
7 quelqu'un, et j'étais quelqu'un chargé des questions de santé pour apporter
8 des soins médicaux. Je ne voulais donc pas être amené à faire autre chose,
9 quelque chose qui ne relevait pas de mon travail. C'était naturel.
10 M. WAESPI : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors je me tourne vers les Défenseurs pour les
12 questions à poser à la suite des questions que les Juges ont posé et des
13 questions posées par l'Accusation.
14 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
15 Nouvel interrogatoire par Mme Residovic :
16 Q. [interprétation] Monsieur Menzil, vous avez examiné ce membre du HVO
17 qui était grièvement blessé. Vous lui avez procuré des soins. Par la suite,
18 vous nous avez dit que vous vous êtes adressé à votre commandant pour avoir
19 une autorisation de sa part pour que vous puissiez l'escorter à Zenica.
20 J'aimerais savoir, s'il vous plaît, ce que vous avez expliqué, à ce moment-
21 là, à votre commandant. Quelles sont les raisons que vous avez invoquées,
22 les raisons pour lesquelles vous vouliez suivre ce patient ?
23 R. Je lui ai dit tout d'abord qu'il s'agissait d'un blessé
24 particulièrement grave, qu'il était indispensable de l'accompagner. Je lui
25 ai expliqué qu'il s'agissait d'un membre du HVO qui nous a été amené, et
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1 qu'il avait besoin de recevoir d'autres soins à l'hôpital, que c'était
2 uniquement à l'hôpital qu'on pouvait le soigner compte tenu de son état.
3 Q. Monsieur Menzil, vous, en tant que chargé des questions de santé, est-
4 ce que vous étiez tenu de présenter à votre commandant les raisons pour
5 lesquelles vous souhaitiez accompagner un patient, qu'il soit membre de
6 l'armée ou du HVO ? Est-ce que vous deviez présenter des raisons médicales
7 qui vous incitaient à cela ?
8 R. Oui, bien entendu, il y avait des raisons médicales, mais je vous en ai
9 déjà parlé hier. J'en ai parlé à la Chambre. J'ai dit que j'étais contraint
10 par deux serments. Il y avait le serment d'Hippocrate d'une part, mais
11 aussi, j'étais membre de l'ABiH. En cette qualité-là, je devais informer
12 mon commandant, je devais obtenir son aval. Je devais lui présenter mon
13 appréciation de l'état du blessé. Je devais lui expliquer pour quelle
14 raison je voulais l'accompagner.
15 Q. Vous nous avez parlé de minuit. Vous avez dit que vous êtes retourné de
16 Zenica vers minuit et que vous avez assisté, à ce moment-là, à la réunion
17 du commandement. En tant que chef de cette équipe, est-ce que vous étiez
18 tenu de fournir des informations de nature médicale au commandant, aux
19 membres du commandement, au sujet de ce qui s'était passé pendant la
20 journée écoulée ?
21 R. Oui, naturellement. C'est ce que j'ai fait, je l'ai dit. Je les ai
22 informés des faits, de la situation telle qu'elle s'était présentée pendant
23 la journée passée et de tout ce qui était indispensable.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : L'Accusation se lève. Je vous donne la parole.
25 M. WAESPI : [interprétation] Une observation qui découle du contre-
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1 interrogatoire. La Défense avait opté pour la possibilité de ne pas poser
2 de questions supplémentaires, de questions après les questions des Juges,
3 au sujet de cette conversation qui s'est tenue à minuit.
4 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Mais j'ai pensé que les Juges ont posé des
5 questions au sujet des blessures, blessures infligées à ce membre du HVO.
6 C'est la raison pour laquelle j'ai posé la question. Il ne me reste
7 d'ailleurs qu'une seule question à poser.
8 Q. Vous avez dit que vous êtes allé, à plusieurs reprises, en la compagnie
9 de cette dame médecin, dans cette salle. Je voudrais savoir si, à un moment
10 quelconque, cette femme médecin vous a dit qu'un problème s'était posé dû
11 aux mauvais traitements des enfants, des personnes âgées ou d'autres
12 personnes qui s'y trouvaient ?
13 R. Non.
14 Q. Je vous remercie.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : [interprétation] Les autres Défenseurs.
16 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Pas de questions, Monsieur le Président.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, votre audition à La Haye vient de se
18 terminer. Vous avez répondu à l'ensemble des questions qui vous ont été
19 posées par la Défense, par l'Accusation. Il va y avoir à signer le papier.
20 Alors, juste avant de demander à M. l'Huissier de vous raccompagner, je
21 vous demande, sur le document concernant la carte, de bien marquer votre
22 nom et la date d'aujourd'hui, pour authentifier le document.
23 Votre nom et la date. Nous sommes le 13 janvier 2005.
24 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, on va montrer le document à l'Accusation, aux
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1 Défenseurs, aux accusés, aux Juges.
2 Bien. Alors, nous remettons ce document à M. le Greffier. Je suppose que
3 l'Accusation veut le verser. Il n'y a pas d'objection de la part de la
4 Défense. Monsieur le Greffier, un numéro.
5 M. LE GREFFIER : Merci, Monsieur le Président. Cette carte, datée de ce
6 jour, 13 janvier 2005, et signée par le témoin, est donc versée à la cote
7 P949 -- 40. Merci, Monsieur le Président.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Alors, Monsieur, vous venez d'assister à une
9 phase procédurale qui concerne l'admissibilité d'un document auquel vous
10 avez contribué en apposant votre nom et la date d'aujourd'hui. Au nom de la
11 Chambre, je vous remercie d'être venu à La Haye, d'avoir témoigné, d'avoir
12 répondu à toutes les questions. Nous vous souhaitons un bon voyage de
13 retour et nous formulons nos meilleurs vœux afin que vous obteniez votre
14 diplôme de médecin. Je vais donc demander à M. l'Huissier de bien vouloir
15 vous raccompagner à la porte de la salle d'audience.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
17 [Le témoin se retire]
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, je me tourne vers la Défense pour le nouveau
19 témoin. Le témoin est-il à disposition de la Chambre ?
20 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Oui, le témoin suivant attend pour entrer
21 dans le prétoire.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : On me signale qu'il y a une erreur dans le
23 transcript. C'est 940 et pas 949. C'est P940. Il faut être très précis.
24 Votre interrogatoire est prévu pour une durée approximative de… ?
25 Mme RESIDOVIC : [interprétation] J'ai prévu 45 minutes, mais cela dépendra
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1 des réponses du témoin.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.
3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Monsieur. Je vais d'abord vérifier que vous
5 entendez bien la traduction de mes propos dans votre langue. Si c'est le
6 cas, dites, la traduction fonctionne parfaitement.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous entends correctement.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, vous avez été cité comme témoin par la
9 Défense, et en vu de recevoir votre prestation de serment, je me dois de
10 vous identifier. Pour ce faire, je vous demande de me donner votre nom,
11 votre prénom, votre date de naissance et votre lieu de naissance.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Sreto Tomasevic, né le 14 avril 1939, à Zenica
13 en Bosnie-Herzégovine.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Exercez-vous, Monsieur, aujourd'hui, une activité
15 professionnelle ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je travaille.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous travaillez dans quel secteur et en quelle
18 qualité ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis professeur à l'université.
20 Aujourd'hui, je suis ministre adjoint dans le canton de Zenica, dans le
21 ministère de l'Education, de l'Education physique.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Ministre adjoint, c'est une fonction politique ou
23 une fonction administrative ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est une fonction de nature politique, mais
25 j'y suis en qualité d'expert. Je ne suis membre d'aucun parti politique.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : En 1992, 1993, à l'époque, aviez-vous une fonction ?
2 Si oui, laquelle ? En quel lieu ? Auprès de quelle entité ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] A l'époque, il n'y avait pas d'entité en
4 Bosnie-Herzégovine -- en République de Bosnie-Herzégovine. A l'époque,
5 j'étais doyen à la faculté de métallurgie de l'université de Sarajevo, si
6 c'est bien à ma carrière civile que vous faites référence.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Y avait-il un volant militaire en 1992, 1993, ou
8 pas ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai été membre de l'ABiH.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Mais dans quelle unité, dans quelle affectation ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais, à partir du 1er juin, membre de la 1ere
12 Brigade de Zenica qui, par la suite, est devenue la 303e Brigade de
13 Montagne.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Avez-vous témoigné devant une juridiction
15 internationale ou nationale sur les faits qui se sont déroulés en Bosnie-
16 Herzégovine en 1992-93, ou c'est la première fois que vous venez déposer ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous demande de bien vouloir lire le serment.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
20 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
21 LE TÉMOIN: SRETO TOMASEVIC [Assermenté]
22 [Le témoin répond par l'interprète]
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, Monsieur, avant de donner la parole aux
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1 avocats des accusés, qui vont vous poser des questions, je vais vous
2 fournir quelques éléments d'explication sur la façon dont va se dérouler
3 cette audience. Je vois que vous suivez le transcript en anglais, donc je
4 présume que vous connaissez l'anglais, mais, indépendamment de cela, nous
5 sommes dans une procédure accusatoire qui fait qu'un témoin fait l'objet
6 d'un interrogatoire principal par la partie qui l'a cité. En l'espèce, cela
7 va être les avocats, qui se trouvent à votre gauche, que vous avez
8 certainement dû rencontrer dans la phase préparatoire à votre venue à La
9 Haye.
10 A l'issue de cette période de questions, qui va, en principe, prendre 45
11 minutes, c'est une approximation qui nous a été donnée, vous aurez à
12 répondre à des questions qui vont vous être posées par les représentants du
13 Procureur, qui vous poseront des questions dans le cadre d'un contre-
14 interrogatoire. En principe, le contre-interrogatoire a la même durée que
15 les questions posées par la Défense.
16 A l'issue de cette phase, les Défenseurs pourront vous poser des questions
17 supplémentaires en connexion avec les questions et les réponses que vous
18 avez données à l'Accusation.
19 Après quoi, les Juges qui sont devant vous, bien que le Règlement de
20 Procédure les autorise à intervenir à tout moment, les Juges pourront,
21 s'ils l'estiment utile, vous poser également des questions. Parce que les
22 Juges sont saisis d'un acte d'accusation et doivent apprécier les éléments
23 de fait qui sont rapportés par les témoins et doivent, notamment, vérifier
24 la crédibilité des dires du témoin, ce qui amène les Juges à poser des
25 questions qui peuvent être de nature très diverses.
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1 Une fois que les Juges vous ont posé ces questions, la parole est donnée à
2 nouveau à l'Accusation et à la Défense, dans le cadre de ce qu'on peut
3 appeler le procès équitable, pour permettre aux uns et aux autres de
4 revenir refaire préciser les réponses que vous avez apportées aux questions
5 des Juges, de telle sorte que la Défense a, dans cette procédure, toujours
6 la parole en dernier, et donc est à même, à ce moment-là, à poser des
7 questions au témoin qu'elle estime nécessaire pour sa défense.
8 Voilà donc, de manière très générale, comment va se dérouler cette
9 audience.
10 Je me dois d'appeler votre attention sur deux points. Le premier c'est que
11 vous avez prêté serment de dire toute la vérité, ce qui exclut tout faux
12 témoignage car vous savez qu'un faux témoignage est une infraction. Comme
13 vous venez de prêter serment, vous êtes maintenant le témoin de la justice.
14 Vous allez changer de statut. Vous n'êtes plus là pour témoigner pour l'un
15 ou pour l'autre, vous êtes là pour la justice, donc vous êtes témoin de la
16 justice, ce qui fait qu'il n'y a pu pas y avoir de faux témoignage.
17 Puis, un deuxième élément qui est purement théorique, lorsque vous répondez
18 à une question, si vous estimez que la question et la réponse qui en
19 découle pouvaient, le cas échéant, constituer un jour dans le futur des
20 éléments susceptibles à constituer une incrimination contre vous, à ce
21 moment-là, vous pouvez dire : Je ne tiens pas à répondre à cette question.
22 Alors, dans cette hypothèse, qui est vraiment exceptionnelle et que nous
23 n'avons pas encore vue, la Chambre peut demander au témoin de répondre.
24 Mais la Chambre lui garantit, à ce moment-là, une immunité. Dans le système
25 "common-law" américain, l'immunité est accordée par l'Accusation, mais,
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1 dans notre règlement à nous, l'immunité est accordée, à ce moment-là, par
2 la Chambre. Mais c'est une hypothèse très exceptionnelle.
3 Enfin, si des questions vous paraissent compliquées, demandez à celui qui
4 vous les pose de les formuler car, comme vous le savez, nous sommes dans
5 une procédure essentiellement orale, et ce qui importe, cela va être vos
6 réponses apportées aux questions. Par ailleurs, il se pourrait que la
7 Défense ou l'Accusation voire, le cas échéant, les Juges, vous présentent
8 des documents qui ne peuvent être qu'en lien direct avec les questions ou
9 les réponses, afin de recevoir votre point de vue sur le document.
10 Voilà, de manière très générale, l'architecture générale du témoignage qui
11 va être recueilli. La Défense va rajouter une autre recommandation, mais je
12 leur laisse bien volontiers la parole.
13 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
14 Interrogatoire principal par Mme Residovic :
15 Q. [interprétation] Bonsoir, Monsieur Tomasevic. Comme vient de vous le
16 dire le Président de la Chambre de première instance, je vais vous demander
17 de faire une pause après avoir entendu ma question pour qu'on puisse
18 traduire cette question. Je vais vous demander de me répondre par la suite.
19 Comme M. le Président vient de vous en avertir, vos réponses sont très
20 importantes. Les Juges vous écoutent, et il est important que notre
21 conversation puisse être traduite dans sa totalité. M'avez-vous bien
22 compris ?
23 R. Oui.
24 Q. Merci. A une question qui vous a été posée par le Président, vous avez
25 dit que vous étiez un universitaire, que vous étiez professeur à la faculté
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1 de Métallurgie de Zenica. Que pouvez-vous nous dire de votre parcours
2 professionnel ? Où avez-vous été formé et quand ?
3 R. L'école primaire, l'école secondaire, la faculté, j'ai fait tout cela à
4 Zenica. Le troisième cycle, ma thèse de troisième cycle, je l'ai soutenue
5 également à la faculté de Zenica.
6 Q. Monsieur le Professeur, dites-moi : avant la guerre, avez-vous servi
7 dans les rangs d'une armée et aviez-vous un grade ?
8 R. Comme tous les jeunes hommes de l'ex-Yougoslavie, je devais faire mon
9 service obligatoire. Je l'ai fait de 1960 à 1961, à l'école des officiers
10 de réserves de Bileca. Puis, j'ai été déclaré inapte, de manière durable,
11 au service militaire, et au moment où ceci s'est produit, j'avais le grade
12 du capitaine de première classe.
13 Q. Dites-nous : vous avez la citoyenneté de quel Etat, et qu'êtes-vous
14 d'appartenance nationale ?
15 R. Je suis citoyen de Bosnie-Herzégovine, et d'appartenance nationale, je
16 fais partie de ce groupe de citoyens de Bosnie-Herzégovine qui ne se
17 déclare ni Serbe, ni Croate, ni Bosnien, mais comme des Bosniaques.
18 Q. Je vous remercie. Monsieur le Professeur, vous avez déjà dit que vous
19 avez rejoint l'ABiH dès le début de la guerre. Brièvement, pourriez-vous
20 nous dire à quel moment l'avez-vous fait et quelle est l'unité que vous
21 avez rejoint. Dites-nous aussi pour quelle raison vous l'avez fait. Pour
22 quelle raison avez-vous rejoint l'ABiH, c'est-à-dire, à l'époque, la
23 Défense territoriale. On me signale, mes collègues me signalent un problème
24 de traduction en ligne 8. Il est dit ici "Bosniaque". Je ne sais pas si on
25 peut le faire autrement. Le témoin s'est déclaré comme ne faisant partie
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1 d'aucune catégorie ethnique, mais de ce citoyenneté de son Etat de Bosnie.
2 Le témoin ajoute autre, il y avait la catégorie autre. Vous vous déclariez
3 comme citoyen de Bosnie-Herzégovine. Aujourd'hui, c'est une question de
4 terminologie. Le terme employé par le témoin recouvre les trois peuples qui
5 vivent en Bosnie-Herzégovine. Je vous remercie. Excusez-moi de cette
6 digression. Donc, je ne vous ai pas permis de répondre -- de dire pour
7 quelle raison vous avez rejoint l'ABiH, et ceci malgré vous avez été
8 déclaré inapte de manière durable au service.
9 R. Je vais vous répondre très brièvement. Le 6 avril, sous pression
10 exercée par mes étudiants, je me suis rendu à ce qu'on a appelé l'assemblée
11 populaire de Sarajevo. Nous savons, très bien, nous tous, ce qui s'y est
12 passé. Nous avons tous été exposés aux tirs des tireurs isolés de l'hôtel
13 Holiday Inn. Des tirs des membres des forces paramilitaires serbes, et à
14 mon retour à Zenica, je me suis présenté en tant que volontaire au bureau
15 militaire, en disant que je voulais mettre à la disposition la défense de
16 Bosnie-Herzégovine toute mon expérience et mes connaissances d'officier de
17 réserve.
18 Q. Si je vous ai bien compris, lorsque vous avez répondu à la question
19 posée par le Président de la Chambre, vous avez dit que vous étiez tout
20 d'abord membre de la 1ère Brigade de Zenica, et que par la suite c'était
21 devenu un 303e Brigade de l'ABiH ?
22 R. Oui.
23 Q. Dites-moi : quelles ont été vos fonctions ? Quelle a été votre poste
24 dans la 303e Brigade ?
25 R. Dans la 303e Brigade, j'ai été membre de l'état-major de cette brigade,
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1 chargée de la formation et des opérations puisque c'était ma spécialité,
2 c'était dans cela que je m'étais spécialisé à l'école des officiers de
3 réserve. Pendant les exercices militaires, je me suis formé dans ce
4 domaine-là.
5 Q. Quelle était la composition ethnique de votre Brigade, la 303e ?
6 R. Pour aller au plus court, ceci correspondait à la composition ethnique
7 de la ville de Zenica. Il y avait une majorité de Bosniens, mais il y avait
8 aussi des Serbes, des Croates et des autres.
9 Q. Pouvez-vous me dire jusqu'à quel moment vous êtes resté dans les rangs
10 de l'ABiH et y avez-vous obtenu un grade ?
11 R. Dans l'armée, j'y suis resté jusqu'à fin novembre 1994, et j'ai été
12 démobilisé sur demande de l'université parce que j'étais devenu recteur
13 adjoint de l'université. Pour ce qui est de mon grade, mon grade repris de
14 l'ex-JNA a été traduit, donc j'avais obtenu un grade au-dessus de celui du
15 capitaine.
16 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai quelques
17 documents à distribuer. Je voudrais le faire immédiatement pour qu'on
18 puisse procéder plus facilement par la suite, poser des questions en
19 présentant ces documents.
20 Q. Monsieur le Professeur, en 1992 et aussi en 1993, avec votre unité,
21 avez-vous pris part aux opérations de combat ? Si oui, dites-nous où. Quels
22 sont les endroits où votre unité a combattu ?
23 R. La 1ère Brigade de Zenica s'est appelée première parce qu'elle a été
24 constituée sur décision de la présidence de Bosnie-Herzégovine le 18 mai
25 1992. Cela a été la première brigade mobile qui n'avait pas d'attaches
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1 territoriales. Nous avons participé à la défense et à la libération tout
2 d'abord du secteur de Visoko, ensuite sur besoins. Cela a été dans le
3 secteur de Vares, puis dans les alentours de Zenica, vers Busovaca, Vitez,
4 et enfin vers le champ de bataille de Zepce, lorsque les opérations ont
5 commencé à s'étendre.
6 Q. Vous avez dit que votre brigade était une brigade multiethnique. Par
7 conséquent, j'aimerais savoir : quelle était l'attitude qu'on réservait à
8 l'égard des membres de tous les peuples qui composaient votre brigade ?
9 R. Les membres de l'ABiH, indépendamment de leur appartenance ethnique,
10 religieuse ou leur sexe, se voyaient traiter d'une manière tout à fait
11 égale, que ce soit de la part du commandement, ou entre eux. Il n'y avait
12 pas de ségrégation ou d'attitude de supériorité réservée à qui que ce soit
13 parmi les soldats de la 303e Brigade.
14 Q. Monsieur le Professeur, pouvez-vous me dire de manière générale quelle
15 a été la situation, à ce moment-là, à Zenica, ainsi que dans les zones où a
16 combattu votre brigade ?
17 R. Au début de la guerre, en avril, en mai, alors que je n'étais pas
18 encore membre de la Défense territoriale, il y a eu quelques bastions de
19 groupes qui n'étaient pas très importants, pas de grande taille, qui
20 avaient opté pour une collaboration avec l'agresseur. Mais à la campagne,
21 soit ces gens se sont rendus, soit ils ont été brisés, et au moment où je
22 suis devenu membre de la Défense territoriale, Zenica était une ville assez
23 calme. Elle ne subissait pas d'attaques directes de la part de l'agresseur,
24 mais nous avions des missions constantes. Nous devions aider les régions
25 frontalières du territoire libre de Bosnie-Herzégovine, et en particulier
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1 vers Ilijas et Sarajevo, le long de cet axe-là.
2 Q. Monsieur le Professeur, votre unité qui a combattu à plusieurs
3 endroits, quel est l'équipement qu'elle avait ? Aviez-vous aussi
4 suffisamment de personnel formé, suffisamment de munitions et d'armes pour
5 des missions de combat aussi importantes ?
6 R. Au début, les actions ont été menées, planifiées par des officiers de
7 réserve, puis avec le temps il y a eu des officiers de carrière bosniens
8 pour la plupart, qui ont pris en mains cela et c'était des gens qui avaient
9 été auparavant membres de l'armée populaire yougoslave.
10 Alors, pour ce qui est de l'équipement, nous n'avions ni vêtements, ni
11 chaussures, ni armes, pas même d'armes d'infanterie, mis à part les
12 individus qui s'étaient procurés cela par leur propre moyen. Comment est-ce
13 qu'on s'est armé ? Pendant les conflits, et en particulier avant que la JNA
14 ne quitte ces casernes, on a pu se procurer un certain nombre d'armes à
15 feu, à canon long, et même quelques pièces d'artillerie.
16 Q. Monsieur le Professeur, vous nous avez dit que dans votre brigade, il y
17 avait pas mal de Musulmans de Bosnie, et qu'ils étaient la population
18 majoritaire de la ville de Zenica, mais il y avait aussi d'autres membres.
19 Vous-même, vous n'étiez pas un Bosnien. Alors comment est-ce qu'on vous
20 traitait ? Quelle est l'attitude qu'on vous réservait ? Est-ce que vous
21 avez pu remarqué, à un moment donné, qu'on vous a maltraité ?
22 R. Je voudrais dire qu'il y avait deux assistants du commandant au sein de
23 la 1ère Brigade, en fait, ces postes n'existaient pas dans l'organigramme
24 formellement, mais ces deux, un Serbe et un Croate, et nous n'étions pas
25 fait objet de pression quelle qu'elle soit parce que nous n'appartenions
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1 pas au même groupe. Nous nous sentions tous avant tout, étant que citoyens
2 de Bosnie-Herzégovine, et nous avons opté pour la Défense de la
3 Bosnie-Herzégovine face à l'agresseur.
4 Q. Monsieur le Professeur, pour autant que vous le sachiez, est-ce qu'il y
5 a eu création d'autres Unités militaires à Zenica ? Ou pour être plus
6 concret, à Zenica, en plus de l'ABiH, est-ce qu'il y avait aussi des unités
7 du conseil croate de la Défense ? Si oui, est-ce que vous savez quelle
8 était la composition de ces unités ? Savez-vous quand cette unité a-t-elle
9 été formée ?
10 R. Ce que j'en sais, ce n'est pas un peu détaillé. Mais j'ai par exemple
11 ici le document numéro 1, où il est souligné, il est question d'un homme,
12 c'est quelqu'un que je connais, c'est un collègue qui a travaillé à
13 l'institut Dominik Sakic, c'est son nom. Il était commandant de la Brigade
14 du HVO, qui portait le nom d'un criminel de guerre de la Seconde guerre
15 mondiale, Jure Francetic, pour ce qui est de la composition de cette
16 brigade, je n'avais pas d'information là-dessus, je dois dire que je ne me
17 suis pas particulièrement intéressé à cela car, début juin déjà, en tant
18 que volontaire, je m'étais présenté à l'ABiH et, bien entendu puisque
19 j'étais sur le terrain, je ne pouvais pas suivre les événements qui se
20 produisaient dans la ville même.
21 Q. Très bien. Monsieur le Professeur, je vais vous demander maintenant
22 d'examiner les documents au numéro 3 et 5. Est-ce que vous vous souvenez de
23 cet événement. Est-ce que vous avez eu l'occasion de commenter les
24 conséquences de ces événements à Zenica ?
25 R. Bien entendu, c'est quelque chose dont je m'en souviens. Tous les
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1 citoyens de Zenica, qui vivaient à ce moment-là dans la ville, se
2 souviennent. On a diffusé cela à la radio et à la télévision, c'était la
3 prise de parole de M. Dario Kordic, qui est très bien connu de ce Tribunal.
4 L'un de ces portes paroles était malheureusement l'un de mes collègues de
5 la faculté, de l'institut, Ivica Bosnjak, avec qui j'ai travaillé pendant
6 longtemps. On a même travaillé ensemble sur les mêmes travaux de recherche.
7 Mais il a décidé de se mettre au service de l'Herceg-Bosna, et de M.
8 Kordic. Je l'ai croisé à une occasion dans le hall de la faculté, il était
9 en uniforme, en uniforme du HVO. J'étais en uniforme de l'ABiH, je lui ai
10 demandé qui a été le parent de cette brigade. Est-ce qu'ils étaient
11 conscients du fait qu'ils ont envoyé le message le plus atroce qui puisse
12 être aux autres citoyens de Bosnie-Herzégovine, ceux qui ne sont pas
13 Croates, qui ne sont pas catholiques. Lorsqu'ils ont choisi Jure Francetic,
14 il m'a dit que d'après eux, Jure Francetic était un héro du peuple croate
15 qui avait donné sa vie à l'Etat indépendant de Croatie, dans lequel j'ai
16 vécu et pas lui.
17 Q. Que signifiait pour vous ce message ? Pour les personnes que vous avez
18 mentionnées lors de votre entretien avec votre collègue de travail ? Quel a
19 été l'impact sur vous et vos concitoyens de cela pendant qu'ils vivaient
20 et agissaient ?
21 R. Jure Francetic était à la tête d'une brigade de condamnés qui faisait
22 peur à la fois aux Serbes et aux Musulmans pendant la Deuxième guerre
23 mondiale. Tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui, étaient punis par
24 lui à coup de couteau simplement. Partout où l'unité de Jure Francetic
25 passait, on disait que l'herbe ne poussait plus. Donc tous ceux qui ne
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1 souhaitaient pas le démantèlement de la Bosnie-Herzégovine, qui
2 souhaitaient préserver la Bosnie-Herzégovine, d'après lui allaient être
3 égorgés un jour.
4 Q. Monsieur, dites-moi : est-ce que vous avez pu observer quelque chose au
5 sujet du rapport des membres du HVO envers les Croates qui n'étaient pas du
6 même avis envers les intellectuels, et d'autres individus qui venaient en
7 Bosnie-Herzégovine et à Zenica, afin de faire connaître la vérité et non
8 pas le mensonge ?
9 R. Je dois dire que malgré tous ces incidents mentionnés, la plus grande
10 partie des Serbes, des Croates, et des Musulmans ou Bosniaques, comme on
11 dit aujourd'hui, sont restés en Bosnie-Herzégovine et souhaitaient que cela
12 soit en Etat indépendant et souverain, bénéficiant d'une continuité de
13 plusieurs siècles. A ma faculté, plusieurs professeurs croates ont continué
14 à travailler sans aucun problème. C'était le cas des professeurs serbes
15 également, les étudiants étaient des citoyens de la Bosnie-Herzégovine, il
16 s'agissait d'un groupe multinational, pendant toute la guerre. Mais, à
17 Zenica, la propagande était forte et, notamment, la machine de mensonge de
18 l'Herceg-Bosna, à la tête de laquelle se trouvait Smiljko Sagolj, qui
19 répandait toute une série de mensonge dans le but de provoquer de riposte.
20 Pendant un mois, nous étions totalement encerclés, même les oiseaux ne
21 pouvaient pas voler au-dessus de la ville et passer l'encerclement imposé à
22 la fois par le HVO et par les membres des forces paramilitaires serbes qui
23 sont venus vers cette partie de la Bosnie centrale.
24 Q. Merci. Je souhaite simplement indiquer qu'à la page 56, ligne 19, vous
25 avez parlé de Jure Francetic, et le témoin a dit qu'à la fois, les Serbes,
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1 les Croates et les Musulmans étaient effrayés par cette brigade, mais le
2 mot "Musulmans" manque dans le transcript en anglais. Donc veuillez
3 corriger cela.
4 Vous venez de nous parler de cette horrible propagande, dont le but était
5 de semer la haine. Mis à part cela, je souhaite vous demander d'examiner le
6 numéro 1 et de lire, il s'agit du document de la Défense 0878.
7 Veuillez lire les deux premiers paragraphes de ce document.
8 R. Mon exemplaire n'est pas de bonne qualité, mais je vais essayer de
9 reconstruire les textes, je suppose qu'il est écrit : "A cause du massacre
10 du peuple croate à Zenica, et de l'écrasement des femmes et des enfants par
11 les chars. A cause de l'agression des forces Moudjahiddines à Zenica, nous
12 proposons : Effectuer de manière organisée l'évacuation de la population
13 croate de Zenica qui souhaite partir dans la région de Cajdras. Dans la
14 région de Cajdras, organiser une défense circulaire."
15 Q. Merci. Puisque vous avez passé un certain temps à Zenica, puisque vous
16 y étiez pendant toute la guerre, dites-moi est-ce que n'a jamais eu lieu à
17 Zenica, les choses qui sont mentionnées dans ce document ?
18 R. Ce genre de choses n'a jamais été effectué nulle part dans le
19 territoire contrôlé par l'ABiH. Ceci aurait été inconcevable d'ailleurs
20 également.
21 Q. Professeur, je vais vous demander maintenant d'examiner le document
22 numéro 2 et lire, notamment, les paragraphes 1, 2 et 3. Il s'agit du
23 document 0891.
24 R. "L'agression brutale est en cours, menée par les forces musulmanes
25 extrémistes, à l'encontre du peuple croate, dans le but de --"
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous n'avons pas de traduction donc la lecture va
2 combler le manque de traduction.
3 Alors, Professeur, lisez comme vient de vous le demander la Défense.
4 Mme RESIDOVIC : [interprétation]
5 Q. Je vous demanderais, dans ce cas-là, de nous lire également d'où émane
6 ce document, donc veuillez lire l'entête du document, à qui le document a
7 été adressé, et les trois premiers paragraphes, y compris le paragraphe 1.
8 R. La date du document est celle du 19 avril 1993, adressé à tous les
9 soldats et commandants du HVO, tous les présidents du HVO, et au peuple
10 croate de la Bosnie centrale : "L'agression la plus brutale des forces
11 musulmanes extrémistes est en cours à l'encontre du peuple croate, et ce
12 dans le but de nettoyer ces régions et de massacrer les Croates. Suite à
13 l'accord Halimovic/Mladic, cette espace, l'espace croate, fait l'objet de
14 tentatives d'être entraînée dans une nouvelle Yougoslavie, tout en
15 détruisant entièrement les Croates. Encore une fois, ils souhaitent nous
16 expulser et nous chasser de nos foyers. A Zenica, des centaines de civils
17 ont été égorgés et tués. Ceux qui n'ont pas été tués sont arrêtés et
18 emmenés dans la mine. A Zenica, les Moudjahiddines islamistes
19 ensanglantés," puis il y a une partie du texte qui n'est pas
20 compréhensible. La phrase se termine par "à la surface."
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Maintenant, nous avons la traduction anglaise, grâce
22 à M. le Greffier, donc on a mis la traduction sous le rétroprojecteur.
23 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci beaucoup. Je vais demander que l'on
24 place la traduction sur le rétroprojecteur.
25 Q. Dans ce cas-là, Monsieur le Professeur, vous ne devez pas continuer la
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1 lecture, juste lire cela pour vous-même, et dites-moi la chose suivante :
2 est-ce que cette lettre, qui a été envoyée par le HVO à tous les soldats, à
3 tous les commandants, à tous les présidents du HVO, donc à toute la
4 population croate, reflète les événements qui se sont réellement déroulés à
5 Zenica ou ailleurs sur le territoire dans lequel vous avez participé dans
6 le cadre des opérations de combat en tant que membre de l'ABiH ?
7 R. Je peux dire, en toute certitude, qu'il s'agit là des absurdités. Tout
8 d'abord parce que, moi, en tant que personne originaire de Zenica même, je
9 connais personnellement un grand nombre de Croates. Il s'agit de mes amis,
10 des personnes avec lesquelles j'allais au travail, des personnes avec
11 lesquelles je faisais du sport, des collègues de travail. A l'exception de
12 ceux qui avaient rejoint les rangs du HVO, y compris après les événements
13 que l'on connaît, qui se sont déroulés en avril 1993, qui ont quitté
14 Zenica, vraiment, personne n'avait aucun problème, et même ne manquait même
15 pas un cheveu de la tête.
16 Q. Monsieur le Professeur, dans le dernier paragraphe, il est question
17 également de l'attitude envers les églises. Dites-moi, s'il vous plaît :
18 quelle a été l'attitude de l'ABiH et des organes civils envers les édifices
19 religieux, des officiers religieux et de liberté religieuse à Zenica et sur
20 le territoire sur lequel vous avez servi ?
21 R. A Zenica, avant la guerre, il existait quatre églises catholiques, une
22 église orthodoxe, et un certain nombre de mosquées. L'ABiH, dans laquelle
23 j'ai servi - et je suis fier de le dire - respectait les religions, compte
24 tenu de sa structure multinationale et compte tenu du fait qu'elle
25 défendait l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine et protégeait toutes les
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1 religions et tous les édifices, quelque soit leur origine. Il n'y a pas eu
2 d'attaque à l'encontre d'édifices religieux dans la ville. Dans certaines
3 zones rurales, il y a eu des incendies malencontreux de certaines petites
4 églises, mais ceci a eu lieu seulement suite à l'arrivée des réfugiés qui
5 avaient fui les régions qui avaient été victimes des attaques, soit du HVO,
6 soit de l'armée qui avait effectué l'agression contre la Bosnie-
7 Herzégovine, autrement dit la JNA.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 17 heures 45. Nous sommes obligés de faire
9 une pause pour des raisons techniques. Nous reprendrons l'audience à 18
10 heures 10.
11 --- L'audience est suspendue à 17 heures 44.
12 --- L'audience est reprise à 18 heures 08.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience étant reprise, je redonne la parole à la
14 Défense.
15 Mme RESIDOVIC : [interprétation]
16 Q. Monsieur le Professeur, vous, en tant que citoyen de Zenica et membre
17 de l'ABiH en été 1993, est-ce que vous avez pu observer non seulement que
18 l'on gardait les édifices religieux de Zenica, mais que la ville de Zenica
19 a fait une contribution importante afin que l'église la plus importante de
20 Zenica soit rénovée ?
21 R. Oui. Afin de répondre à la propagande qui présentait la situation de
22 cette ville d'une manière tout à fait incorrecte et inappropriée, l'idée
23 émanant de l'évêque de l'église de Sainte Ilija a été acceptée, l'idée de
24 rénover le monument consacré à la Vierge Marie.
25 Q. Réexaminez le document numéro 4 et veuillez me dire si ce document
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1 porte sur l'événement auquel vous venez de faire référence.
2 R. Nous avons ici un document. Il s'agit de la télécopie de la publication
3 Nova Nasa Rijec. Je reconnais ce document intitulé : "Les prêtres ne
4 peuvent pas créer de miracles." Je reconnais la signature qui existe sur ce
5 document. Il s'agissait d'une invitation émanant du clergé, de même que du
6 président de la municipalité de Zenica et d'autres organes. Le 15 août, qui
7 est la fête de l'Ascension en Bosnie, il a été décidé de marquer cet
8 événement en inaugurant le monument consacré à la Vierge Marie et à Jésus.
9 Q. Monsieur le Témoin, veuillez examiner le texte qui figure à la page
10 suivante. Il s'agit du document de la Défense DH98. Veuillez me dire si ce
11 document explique tout ce qui s'est passé à Zenica ce jour-là.
12 R. J'ai lu rapidement ce document. Je vois que l'on peut lire ici le nom
13 du frère Stipan Radic qui était le prêtre de la paroisse, puis d'autres
14 noms sont mentionnés, notamment le nom d'un sculpteur, Ante Kajinic, qui
15 est maintenant le doyen de l'académie des Arts à Siroki Brijeg. Ensuite,
16 d'autres noms également, dont M. Radovan Marusic, un artiste renommé. Puis
17 ici il est question de la célébration de la fête de l'Ascension et des
18 personnalités qui ont participé à cet événement, notamment le mufti de
19 Zenica. Cette personne, je le connais personnellement. Ensuite, le feu
20 Miroslav Drincic, qui était prêtre de l'église orthodoxe de Zenica. Je
21 souhaite informer la Chambre de première instance du fait qu'il s'agissait
22 là de l'unique prêtre orthodoxe qui n'avait pas abandonné son église et ses
23 croyants pendant la guerre. Il est resté sur place pendant toute la guerre
24 et il exerçait ses fonctions sans que qui que ce soit lui pose problème et
25 avec le soutien des autorités locales.
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1 Q. Professeur, compte tenu de cette situation tragique dont vous nous avez
2 parlée, compte tenu des victimes qui existaient au sein de toutes les
3 populations et, notamment, le peuple musulman, notamment, après les
4 événements d'Ahmici. Dites-moi, s'il vous
5 plaît : est-ce que l'ABiH a fait preuve de représailles, ou est-ce qu'elle
6 a tout fait afin d'empêcher ce type de représailles et de revanchismes ?
7 R. L'ABiH faisait tout pour éviter l'esprit de représailles, mais, en même
8 temps, il ne fallait pas déployer des efforts puisque les citoyens de
9 Zenica n'y songeaient même pas.
10 Q. Professeur, je souhaite vous poser la question suivante : est-ce que
11 vous avez entendu parler, ou est-ce que vous avez participé aux événements
12 relatifs au convoie de Tuzla ? Si oui, de quelle manière pourriez-vous
13 caractériser cet événement du point de vue de cette propagande et de
14 l'attitude de l'ABiH envers les membres du peuple croate ?
15 R. Avant de répondre, je souhaite souligner que malgré tous ces efforts du
16 HVO et des dirigeants de la Bosnie-Herzégovine, un certain nombre de
17 Croates ont continué à faire partie de l'ABiH jusqu'à la fin de la guerre,
18 y compris, mon unité. Ils ne souhaitaient quitter le rang de l'ABiH, malgré
19 les menaces, et parmi eux, se trouvait mon co-citoyen, par exemple, et un
20 ami, c'est Dragutin Ivan Cicak, un juriste qui a fondé l'institut
21 indépendant chargé de l'Enquête des crimes et de l'Aide des victimes des
22 crimes.
23 S'agissant du convoie de Tuzla, dont le but était d'acheminer les biens du
24 basin de Tuzla en Croatie pour pouvoir se procurer des denrées nécessaires
25 à Tuzla, afin de permettre à Tuzla de survivre et de se défendre de
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1 l'agresseur, le concours des circonstances a voulu que je me retrouve au
2 poste de commandement de ma brigade à ce moment-là, qui, à ce moment-là,
3 était à Vjetrenice. Il s'agit d'un col entre Zenica et Vitez. Avant le
4 retour attendu de ce convoi, après le calvaire qu'il a vécu dans la Bosnie
5 centrale, nous avons reçu l'ordre du 3e Corps d'armée d'organiser l'accueil
6 du reste du convoi. Il a été demandé à la police militaire de ma brigade
7 d'enregistrer tous les camions et tous les autres véhicules qui faisaient
8 partie de ces convois et qui venaient de la direction de Vitez.
9 Même aujourd'hui, il m'est difficile de me rappeler le désespoir des
10 personnes qui venaient de Vitez vers Zenica, leur impossibilité de croire
11 qu'ils avaient survécu. Ils s'agenouillaient et embrassaient la terre, et
12 aussi leur conviction que, parce qu'ils n'arrivaient pas à croire qu'ils
13 allaient tous, quelle que soit leur origine ethnique, qu'il s'agisse des
14 chauffeurs ou d'autres personnes qui faisaient partie du convoi, allaient
15 être accueillis, aidés, soignés et allaient pouvoir poursuivre leur chemin
16 vers Tuzla. Sur la base de ce qu'ils me disaient, j'ai pu comprendre que le
17 HVO les avaient arrêtés à Vitez, avaient arrêté les Croates qui faisaient
18 partie du convoi, qui étaient membres -- qui constituaient environ 40 % de
19 ces personnes. Ils les ont avertis du fait que, si jamais ils arrivaient
20 jusqu'au territoire placé sous le contrôle de l'ABiH, qu'ils allaient être
21 liquidés.
22 Une délégation constituée de quatre membres est arrivée dans un véhicule
23 privé afin de vérifier ces allégations. Je les ai accueillis, je leur ai
24 offert un café. Je leur ai montré le hameau de Cajdras, qui était à
25 proximité, dominé par une église qui n'était nullement endommagée. Je leur
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1 ai montré ma carte de visite d'avant la guerre, et je leur ai dit : Moi,
2 non plus, je ne suis pas musulman. Alors que me voilà ici, je vous
3 accueille, en tant que Bosniaque, souhaitant vous aider dans la mesure du
4 possible.
5 Q. Merci beaucoup, Monsieur le Professeur. Pour finir, encore une
6 question. Puisque vous êtes un citoyen de Zenica et vous êtes une
7 personnalité de premier plan de Zenica, et vous êtes Bosniaque, dites-moi,
8 est-ce que l'ABiH et tous les organes de Zenica ont réussi à préserver
9 Zenica de toutes ces attaques visant à transformer cette ville ? Est-ce que
10 Zenica a pu continuer à exister en tant que ville multiethnique constituée
11 de tous les peuples ?
12 R. Le Zenica aujourd'hui, oui. Mais je dois avouer, à regret, que la
13 composition ethnique de Zenica, par rapport à la situation d'avant la
14 guerre, a changé, notamment, en raison de cette propagande agressive.
15 L'explication se trouve, en partie, dans le fait que Zenica est une ville
16 qui avait 18 000 habitants au début de la Deuxième guerre mondiale, et à la
17 fin de la Deuxième guerre mondiale avait 12 000 habitants. Alors qu'en
18 1990, cette ville comptait 90 000 personnes. Une grande partie de la
19 population de Zenica était constituée des personnes qui avaient immigré des
20 autres parties de l'ex-Yougoslavie, y compris de la Slovénie. Beaucoup de
21 ces personnes, au début de la guerre, avaient de la famille ailleurs et
22 avaient peur de la guerre, de la famine, de la détérioration de la
23 situation. En raison de cela, ils quittaient, petit à petit, ce territoire
24 dans des convois organisés.
25 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci. Monsieur le Président, je n'ai plus
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1 de questions pour ce témoin. Je vous remercie, Monsieur le Professeur.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. L'Accusation a une précision ? Il n'y a plus
3 de questions alors.
4 M. NEUNER : [interprétation] Nous souhaitions procéder à la correction.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est la correction que vous souhaitez ?
6 M. NEUNER : [interprétation] Ce que les interprètes ont dit, à savoir qu'il
7 s'agit du nombre de 150 000 personnes qui habitaient à Zenica.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.
9 La Défense a terminé. Je vais demander aux autres avocats s'ils veulent
10 poser des questions.
11 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Nous
12 n'avons pas de questions pour ce témoin.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Je me tourne vers l'Accusation pour le contre-
14 interrogatoire.
15 Contre-interrogatoire par M. Neuner :
16 Q. [interprétation] Bonjour, Professeur. Je m'appelle Matthias Neuner. Je
17 comparais ici au nom de l'Accusation. Je vais vous poser quelques
18 questions. Si vous ne comprenez pas une quelconque de mes questions,
19 veuillez me demander de la répéter, et je vais essayer de le faire. Je peux
20 très bien reformuler mes questions si besoin en est.
21 Certains documents ont été préparés et ils vont vous être montrés, mais
22 compte tenu du temps limité dont nous disposons, étant donné l'heure et le
23 fait que le contre-interrogatoire a maintenant été réduit, il est probable
24 que nous n'aurons pas besoin de beaucoup de documents.
25 Je voudrais tout d'abord poser quelques questions pour avoir des
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1 éclaircissements. Vous avez déjà dit dans votre déposition que vous étiez
2 dans la 1ere Brigade de Zenica. Quand est-ce que cette unité a-t-elle évoluée
3 pour devenir la 303e Brigade de Montagne ? Pouvez-vous donner une date ?
4 R. Lorsque le corps d'armée a été établi, lorsque le 3e Corps d'armée a
5 été établi, toutes les brigades ont reçu un nouveau nom. Trois ont eu le
6 premier chiffre. Cela indiquait qu'elles appartenaient au corps. L'autre
7 nombre que je crois avoir indiqué, c'était la 3e Brigade dans le corps.
8 Ceci a eu lieu le 1er décembre 1992.
9 Q. A partir du 1er décembre 1992, quel poste aviez-vous au sein de cette
10 brigade, s'il vous plaît ?
11 R. Pendant deux ou trois mois, une période assez brève, j'ai été le chef
12 de l'état-major de brigade.
13 Q. Je comprends qu'en janvier 1993, vous aviez comme poste chef d'état-
14 major de la 303e Brigade de Montagne ? En tant que tel, est-ce que vous
15 avez mis au courant des opérations qui se déroulaient en janvier 1993 et
16 que cette brigade a effectué sur le terrain ?
17 R. Après la création de la brigade, nous devions avoir trois bataillons et
18 des unités rattachées, à peu près 105 000 hommes. En janvier 1993, je me
19 suis trouvé avec la partie de l'unité qui se trouvait dans le secteur plus
20 vaste de Visoko, dans la région dite de Kalupi. Je ne pouvais surveiller la
21 situation que dans cette région.
22 Q. Si vous dites que vous ne pouviez surveiller la situation que dans
23 cette région, voulez-vous, s'il vous plaît, préciser ce que vous voulez
24 dire par "cette région". Est-ce que vous voulez dire les alentours
25 immédiats de Visoko, ou est-ce que ceci va plus loin ? Est-ce que cela
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1 s'étend, par exemple, vers Zenica ?
2 R. Non. Ce territoire va depuis la rivière de Fojnica, vers le hameau de
3 Crkvice. C'est en face de l'endroit qui s'appelle Cekrcici et Ilijas.
4 Q. Je vous remercie beaucoup. Je vous pose des questions parce que dans
5 l'acte d'accusation, il est question d'un incident qui fait état de la
6 région plus vaste de Lasva, et je voulais savoir si votre secteur de
7 responsabilité comprenait aussi cette région plus vaste de la Lasva ?
8 R. Non. Pas à ce moment-là.
9 Q. Juste pour avoir des éclaircissements : Bien que votre zone de
10 responsabilité pour la 303e Brigade de Montagne n'ait pas eu trait à la
11 région plus vaste de Lasva, avec-vous entendu dire quoi que ce soit lorsque
12 vous étiez dans ces fonctions en janvier 1993, concernant un incident à
13 Dusina ?
14 R. Pas le jour où l'incident s'est produit, mais le
15 17 janvier je suis retourné à Zenica avec mon unité. C'était pour prendre
16 du repos, pour récupérer, et je suppose que cet incident, c'était le fait
17 que cinq ou six Croates ont été tués. J'ai vu des certificats de décès
18 affichés sur des murs ou sur des faire-part. On pouvait les voir en ville.
19 Q. Je voudrais vous demander un éclaircissement. Dans le compte rendu, on
20 lit le 17 janvier. Est-ce que vous voulez effectivement parler de cette
21 date ou à une date ultérieur, s'il vous plaît ?
22 R. Le 17 janvier 1993. Je me rappelle cette date parce que j'étais
23 responsable. J'étais sensé retirer mes deux bataillons, le
24 1er et le 3e bataillon, c'est-à-dire, à peu près un millier d'hommes. Ce
25 retrait était très spectaculaire. Nous étions en train de nous retirer d'un
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1 territoire qui était constamment bombardé, qui recevait plus d'obus des
2 membres de l'armée de la Republika Srpska et des formations paramilitaires
3 de Serbie. J'ai organisé le retrait tout au long de la journée, et c'est
4 seulement sous le couvert de l'obscurité à la nuit, après avoir éteint les
5 lumières du car, que nous nous sommes retirés avec les combattants et le
6 matériel technique. Ceci est quelque chose que l'on ne peut pas oublier.
7 Q. Je vous remercie, Monsieur. En fait, je voulais vous parler pour un
8 stade plus tard de 1993, d'un incident qui s'est déroulé plus tard; le 25,
9 26 janvier. Je vais maintenant vous montrer un document concernant cet
10 incident juste pour vous rafraîchir la mémoire.
11 M. NEUNER : [interprétation] Avec l'aide, Monsieur l'Huissier, est-ce que
12 l'on pourrait, s'il vous plaît, faire distribuer ce document ? Il s'agit du
13 document P128.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : [en anglais] Just a moment, please.
15 [en français] La Défense.
16 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, pour commencer, je
17 ne crois que les questions qui sont posées par mon confrère découlent de
18 l'une quelconque des questions qui ont été posées au témoin par la Défense.
19 Je ne sais s'il y a lieu de rafraîchir, pour ce qui est de la mémoire du
20 témoin. Le témoin a déjà déposé sur les points qu'il connaissait bien. Je
21 crois qu'il a dit tout ce qu'il avait à dire, et je ne vois pas quelle est
22 l'utilité de rafraîchir la mémoire du témoin dans la situation présente.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Que dites-vous, l'Accusation, sur ce
24 rafraîchissement de mémoire ? Etant précisé que dans l'acte d'accusation,
25 il est fait mention de la 303e Brigade à Dusina. Il faut peut-être
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1 éclaircir ce problème parce que jusqu'à présent, jamais la question n'est
2 venue, et on a le chef de l'état-major de la 303e, donc, à lui de dire --
3 La question est la suivante -- enfin, je la reprends au nom de la Chambre.
4 Dans l'acte d'accusation, il est fait mention de la présence de la 303e
5 Brigade le 25 janvier, 26 janvier à Dusina. L'Accusation vous présente un
6 document, en date du 25 janvier, où il est fait mention que la 303e
7 compagnie doit renforcée le secteur Zenica-Lasva, et notamment, il est
8 mention de villages Merdani et Dusina. En qualité de chef d'état-major,
9 qu'est-ce que vous pouvez nous dire ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, ceci est la toute
11 première fois que je vois ce document. Je sais quelque chose concernant
12 l'événement proprement dit.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : C'est la première fois que vous voyez ce document
14 qui ne peut vous servir. La question essentielle : est-ce qu'à votre
15 connaissance, des éléments de votre unité étaient présents dans la région ?
16 Autant que vous vous en souvenez, parce que cela remonte à très longtemps
17 et ce n'est peut-être pas évident, à cette date, si vous n'étiez pas là, où
18 étiez-vous ?
19 R. Monsieur le Président, je me trouvais au commandement de la 303e
20 Brigade, et comme je l'ai dit, j'étais en permission. Parce qu'après avoir
21 été sur le terrain pendant 15 à 20 jours dans des conditions qui n'étaient
22 nullement civilisées, il était de coutume de faire en sorte que les
23 combattants et leurs commandants puissent aller récupérer, prendre un bain,
24 voir un médecin, et cetera.
25 Pour autant qu'il s'agit de cet événement, si je peux vous le décrire, je
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1 me trouvais au commandement de la brigade. J'étais dans mon bureau lorsque
2 le téléphone a sonné. M. Ivica Santic, qui se trouvait à l'appareil, à
3 l'autre bout, Ivica Santic, président de la municipalité de Vitez, j'ai été
4 très surpris, cela m'a fait un choc lorsqu'il s'est présenté, parce que je
5 ne pouvais pas comprendre comment il avait pu obtenir mon numéro de
6 téléphone, numéro de poste. C'était un ami d'école. C'était quelqu'un avec
7 qui j'avais fait du sport pendant nombreuses années. Lui m'a informé du
8 fait, qu'à partir de la direction de Merdani, le village de Merdani, vers
9 le carrefour de Kaonik, des membres de l'ABiH seraient en train d'entrer en
10 action. Mais comme je dis, seraient. Là encore, ils auraient été utilisés -
11 - ils seraient en train d'être utilisés comme boucliers humains -- ils
12 utilisaient, comme boucliers humains, des Croates capturés localement.
13 J'ai exprimé des doutes que j'avais à M. Santic lors de cette conversation
14 téléphonique, parce qu'à aucun moment jusqu'alors, oui, par la suite, à
15 aucun moment, l'ABiH n'avait utilisé ses propres citoyens comme boucliers
16 humains quelque soit leur nationalité. J'ai informé le chef de la sécurité
17 du 3e Corps de tout ce que je savais de l'événement.
18 Voilà ce que je sais en ce qui concerne cette question.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Cet appel téléphonique, c'est le 25 janvier, le 26
20 janvier ? C'est quelle date ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas la date exacte, mais c'était à
22 la fin de janvier.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Le 25 ou 26 janvier, vous étiez en permission ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. C'était une permission de façon à
25 récupérer sur le plan physique et psychologique. C'était nécessaire pour
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1 tous ceux qui s'étaient trouvés sur le champ de bataille et dans des
2 conditions difficiles.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : L'Accusation.
4 M. NEUNER : [interprétation]
5 Q. Nous voudrions simplement savoir ceci : vous avez été informé du fait
6 que des boucliers humains avaient été, de sorte, pris. Mais avez-vous été
7 informé c'est par quelles unités, par quelles unités ABiH, que ces
8 boucliers humains avaient été pris ?
9 R. Non, en l'occurrence, il n'y avait pas de boucliers humains. Je suppose
10 que c'était de la propagande du HVO et que M. Ivica Santic, qui est venu à
11 ce Tribunal, qui a été relâché parce qu'on a estimé qu'il n'avait participé
12 à aucun crime dans la vallée de la rivière Lasva.
13 Q. Je voudrais simplement vous lire un bref passage qui n'a pas trait à
14 cet incident dont nous venons de parler tout de suite. Mais je voudrais
15 simplement vous lire un petit passage de compte rendu. C'est un témoin du
16 nom de Hasan Barucija, qui a dit cela dans sa déposition. Il s'agit d'une
17 déposition faite le 26 novembre 2004, à la page 12 460 et 12 461. On lui a
18 demandé à propos de la 3e ou la 4e Brigade, qui était arrivée le 25 janvier.
19 Il est dit, et je cite : "Lorsque cette unité est arrivée, je suppose que
20 le commandement du corps, on nous a dit de nous rendre au point de
21 rassemblement, où nous étions, et qu'on nous prêterait deux ou trois hommes
22 pour les aider à les emmener à Merdani. Quand ils sont arrivés, nous leur
23 avons demandé qui ils étaient, et ils ont dit qu'ils étaient des membres du
24 Bataillon du Train, qui faisait partie de la 303e Brigade de Montagne.
25 C'était la compagnie chargée des questions de trains de rails, qui avait un
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1 bataillon elle-même et qui faisait partie de cette brigade."
2 Ayant juste entendu ceci, pourriez-vous expliquer pour la Chambre ce que
3 c'était que cette compagnie qui s'occupait des questions de métallurgie en
4 fait ?
5 R. Bien, c'était celle qui s'occupait de la métallurgie.
6 Q. Mais dans quel bataillon se trouvait cette compagnie métallurgique ?
7 Dans quel bataillon de la 3e Brigade fonctionnait-elle ou travaillait-
8 elle ?
9 R. La personne que vous nommez -- que vous venez de mentionner, je ne sais
10 pas qui c'est, en tous les cas, je ne m'en souviens pas. Mais il est vrai
11 que le 1er Bataillon de la 303e Brigade était appelé familièrement le
12 Bataillon métallurgique parce qu'il avait été formé au commencement de
13 l'agression autour de la Bosnie-Herzégovine et qu'il était constitué
14 essentiellement d'ouvriers appartenant à l'industrie métallurgique.
15 Q. Est-ce que c'était au quartier général de ce 1er Bataillon à Zenica ?
16 R. Je ne comprends pas la question. Pourriez-vous la répéter, s'il vous
17 plaît.
18 Q. Cette compagnie de la métallurgie ou ce 1er Bataillon dont vous veniez
19 de parler, où est-ce qu'elle était stationnée ? Où est-ce qu'elle avait son
20 PC ? Je vous demande où était son quartier général ?
21 R. C'était le 3e Bataillon, et le commandement de la brigade était situé à
22 différents endroits. Depuis 1992 jusqu'à 2005, le Bataillon métallurgique
23 de la 3e avait son commandement, son poste de commandement, dans des locaux
24 auxiliaires, des locaux auxiliaires de l'un des bâtiments administratifs de
25 l'industrie métallurgique à Zenica.
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1 Q. Vous venez juste donc de parler de locaux d'industrie métallurgique et
2 du bâtiment de l'administration de ceci à Zenica, l'industrie
3 métallurgique. A partir de ce point-là, quelle est la distance par rapport
4 au quartier général du 3e Corps, s'il vous plaît ? Combien de kilomètres ou
5 de mètres, s'il vous plaît ?
6 R. Si je m'en souviens bien, c'est de 50 à 100 mètres de distance.
7 Q. J'aurais besoin de l'aide de l'Huissier, s'il vous plaît. Je voudrais
8 vous présenter la pièce P253. C'est un document qui porte la date du 28
9 janvier 1993. C'est un document dont le destinataire est la 303e Brigade de
10 Montagne.
11 Ma première question est de savoir si vous avez déjà eu l'occasion de voir
12 ce document ?
13 R. C'est la première fois que je vois ce document. Pour ce qui est de ces
14 activités, réellement, je n'en sais rien. Je tiens à souligner qu'entre le
15 20 et le 25 janvier, j'ai cédé mon poste à un autre homme, mon poste de
16 chef d'état-major, parce que j'étais en train de me préparer pour partir à
17 un colloque international sur les matériaux dans le domaine des chemins de
18 fer, plutôt un congrès mondial qui devait se tenir à Lyon fin avril, début
19 mai 1993. J'avais été annoncé comme intervenant lors de ce colloque --
20 congrès.
21 Q. A quel moment avez-vous quitté le bataillon, ou plutôt, à quel moment
22 avez-vous quitté ce poste d'état-major de la 303e Brigade, et à quel moment
23 êtes-vous revenu, ou êtes-vous jamais revenu ? C'est ma question suivante.
24 R. Entre le 20 et le 25 janvier, j'ai remis mes fonctions au chef d'état-
25 major qui allait être mon successeur. Après les préparatifs faits, vers la
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1 fin du mois de février, j'ai quitté le pays. Je suis parti à l'étranger et
2 je suis revenu le 1er avril 1993. Fin avril, je suis redevenu un participant
3 aux travaux de l'état-major de la brigade, mais cette fois-ci, je n'étais
4 que membre de l'état-major chargé des opérations et de la formation.
5 Q. Qui était le chef de l'état-major pendant la période du 20 au 25 ?
6 Pouvez-vous nous le préciser, s'il vous plaît ? Qui était le chef d'état-
7 major de la 303e Brigade ? A qui avez-vous remis vos fonctions ?
8 R. M. Muhamed Begovic [phon].
9 Q. Avant votre départ, puisque vous étiez chef d'état-major, est-ce que
10 quelqu'un vous a posé des questions au sujet de Dusina ? Je me réfère à
11 l'incident de Dusina du 26 janvier 1993. Est-ce que quelqu'un vous a jamais
12 posé des questions eu égard à cet incident ?
13 R. Non, jamais personne.
14 Q. Il ressort de vos réponses que vous êtes revenu en Bosnie-Herzégovine
15 le 1er avril, après votre déplacement à l'étranger, et qu'à partir de ce
16 moment-là, vous étiez chargé des opérations. J'aimerais savoir si ces
17 opérations concernaient aussi des opérations menées par des chars.
18 R. Si je vous ai bien compris, vous aimeriez savoir si, dans le cadre des
19 opérations menées par la 303e Brigade, il y avait aussi un appui char.
20 Q. Oui, c'est exact. J'aimerais savoir si, pour autant que vous le
21 sachiez, un char ou des chars ont été utilisés. Vous étiez chargé des
22 opérations. Est-ce qu'à partir de la date du 1er avril 1993, donc à partir
23 du moment où vous en étiez responsable, on a utilisé des chars ?
24 R. Je vais vous dire la chose suivante : la première fois où j'ai vu un
25 char porter des insignes de l'ABiH, cela a été sur le champ de bataille de
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1 Zepa, et c'était à la mi-juin 1993. L'ABiH n'avait ni char, ni avion, ni
2 hélicoptère, ni d'autre moyen servant à mener des combats dans des armées
3 hautement sophistiquées. Nous, on avait des fusils, ou tout au plus, des
4 fusils mitrailleurs.
5 Q. Tout simplement pour préciser cela. Vous dites, dans votre déposition,
6 que jusqu'au mois de juin 1993, l'ABiH n'avait pas en sa possession de
7 chars, et que, par conséquent, vous n'auriez pas pu vous en servir dans le
8 cadre de vos opérations, des opérations de la 303e Brigade de Montagne ?
9 R. Monsieur le Procureur, si vous avez bien suivi, et si on m'a bien
10 traduit, j'ai dit que, moi-même, je n'ai pas vu de chars jusqu'à ce moment-
11 là. Quant à savoir si elle en avait et où, cela, je ne le savais pas.
12 Q. Est-ce qu'il y avait, parmi vos collègues, l'un d'entre eux qui était
13 aussi responsable des opérations comme vous, au même chef que vous, ou vous
14 étiez la personne la plus haut placée chargée de toutes les opérations,
15 celles de la 303e Brigade de Montagne ?
16 R. La 303e Brigade de Montagne avait plusieurs officiers de réserve du
17 même genre que moi, qui étaient chargés de planifier les opérations, de
18 préparer des ordres portant sur les opérations à mener. Donc, on avait un
19 groupe d'hommes chargés des opérations et de la formation. Je n'étais pas
20 le seul. C'est le chef d'état-major qui était le chef de ce groupe. D'après
21 ses fonctions, c'est lui qui en était le chef.
22 M. NEUNER : [interprétation] J'aurais besoin de l'aide de l'Huissier. Je
23 voudrais présenter au témoin la pièce P345. C'est un ordre qui porte la
24 date du 16 avril 1993. Il est envoyé au commandant de la 303e Brigade de
25 Montagne.
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1 Q. Avez-vous jamais eu l'occasion de voir ce document ?
2 R. Non. C'est la première fois que je le vois, et je vois qu'au point 2,
3 il est question d'un char T55, avec 0.5 lotissement de combat, mais, moi-
4 même, je n'ai jamais vu sur le terrain ce char, le char qui est mentionné
5 ici.
6 Q. Je vous prie de vous reporter au point 1. Est-ce que vous pouvez nous
7 dire quel était l'axe le long duquel devait se déplacer ce char ? Parce
8 qu'on y voit un axe, un itinéraire qui est mentionné au milieu du
9 paragraphe qui précède, au point 1. Est-ce que vous pouvez nous dire d'où
10 il part et quelle est la ville d'où il doit partir ?
11 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, encore une fois, je
12 réagis parce que les questions n'ont aucun lien, ni avec les questions de
13 la Défense, ni avec l'acte d'accusation cette fois-ci. J'ai bien peur qu'il
14 ne s'agisse là de quelque chose qui sort du cadre du contre-interrogatoire.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : C'est effectivement la question que je me posais.
16 L'Accusation veut poser les questions à quelle fin, pour démontrer quoi ?
17 Car les questions posées à la Défense n'ont absolument pas abordées ce
18 problème. La 303e apparaît dans Dusina, mais il a donné son explication et
19 va s'étendre enfin du mois d'avril. Voilà pourquoi l'Accusation veut
20 interroger le témoin sur le fait que le char serait parti de Zenica, serait
21 passé par Drivusa, vers Obla Glava. Vous devez avoir une raison mais on ne
22 la connaît pas. Alors pour vous autorisez, expliquez-nous, pour voir la
23 pertinence et l'utilité, sinon on perd du temps.
24 M. NEUNER : [interprétation] La pertinence relève de la pièce de la Défense
25 DH891, qui a été présentée au témoin il y a un petit moment, et où il est
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1 question d'une attaque qui est menée entre autre dans la ville de Zenica.
2 L'Accusation estime que des détails contenus dans la pièce DH891 vont au-
3 delà des faits, mais il y a une partie de cette pièce où il est mentionné
4 un char -- un char qui serait sorti de Zenica, lors de cette attaque. Ceci
5 établit une sorte de lien entre les deux documents. Nous avons ici un
6 document du 16 avril 1993, c'est la pièce P345, et la pièce de la Défense,
7 la pièce DH891, date de trois jours plus tard, à savoir le 19 avril.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, l'Accusation nous dit, voilà la Défense
9 dans la pièce 891 produit un document signé Basic [phon], où il aurait fait
10 état d'un char. L'Accusation nous dit, j'ai un document de trois jours plus
11 tard mentionnant le char. Alors --
12 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, tout d'abord le
13 document qui a été montré par la Défense fait état de la propagande. La
14 propagande sur laquelle j'ai attirée l'attention du témoin, et ceci n'est
15 pas contesté, enfin ceci n'a rien à voir avec ce document.
16 Un deuxième point, le document montré par le Procureur, en ce paragraphe 2,
17 montre qu'il s'agit d'un char T55 de la 301e Brigade mécanique. Un autre
18 point, le Procureur le sait grâce à des dépositions de tous ces témoins qui
19 sont venus déposer ici que le 16, l'armée a riposté par une conter attaque
20 après le terrible crime d'Ahmici. Tous l'ont dit. L'armée a remporté des
21 succès considérables et comme sont venus nous le dire les représentants de
22 la communauté internationale, c'était admirable de voir comment les
23 commandants parvenaient à retenir leur armée, à la ramener aux positions
24 initiales. Si l'on a suivi la présentation des preuves devant cette
25 Chambre, je ne vois absolument aucun lien entre cette question et les
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1 questions qui avaient été posées par la Défense, précédemment.
2 Premièrement, il ne s'agit pas de la brigade du témoin. Deuxièmement, il ne
3 s'agit d'aucun lien entre ces deux documents.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans le document qui est présenté au témoin par
5 l'Accusation, il est bien mentionné 303e Brigade, pas de 301e. C'est marqué
6 303.
7 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Au point 2, il est dit en tant que parti
8 de la colonne, il y aura un char T55 avec un demi jeu de la 301e Brigade
9 mécanisée qui sera envoyée, et cetera, au combat parce que c'est la seule
10 brigade qui avait ce char, cet ancien char.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Mais si vous continuez en anglais, il est indiqué
12 que l'utilisation de ce char relève exclusivement de l'ordre du commandant
13 de la 303e. Donc ce fameux char de la 301e est mis à la disposition de la
14 303e. C'est ce qui est dit à la phrase suivante. Bon, de toute façon,
15 d'après ce qu'on a cru comprendre, l'Accusation nous dit, la Défense
16 produit un document faisant état de propagande parce que l'on parle d'un
17 char, et non accusation, bien, je démontre que ce n'est pas tant de
18 propagande puisque j'ai un document qui parle d'un char. Voilà. Mais ce
19 n'est pas cela qui va faire avancer le débat. Est-ce que vous voulez
20 continuer ? Parce que je regarde l'heure, on a déjà dépassé et on peut
21 encore un petit peu dépasser, mais pas trop. Alors est-ce que l'Accusation
22 veut continuer ?
23 M. NEUNER : [interprétation] J'en aurais pour deux minutes.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Allez-y.
25 M. NEUNER : [interprétation]
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1 Q. Monsieur le Professeur, avez-vous jamais travaillé pour le journal
2 Patriotique ?
3 R. J'ai été collaborateur du journal Patriotique. J'étais un
4 correspondant, un collaborateur externe et, comme j'étais un intellectuel,
5 quelqu'un qui connaissait assez bien la situation politique, la situation
6 de guerre, j'ai été un membre du corps éditorial de ce journal pendant la
7 guerre.
8 Q. A quel moment avez-vous travaillé pour eux ?
9 R. Je n'ai pas travaillé pour le journal Patriotique. J'étais leur
10 collaborateur extérieur. Lorsque j'éprouvais le besoin d'expliquer une
11 situation ou un sujet de certaines dates importantes quand c'était la mort
12 d'un de nos grands écrivains, Miroslav Krleza. Ce sont à ces moments-là que
13 j'écrivais.
14 Q. Est-ce que vous vous souvenez à quel moment vous avez rédigé votre
15 premier article pour ce journal ? A quel moment ?
16 R. Je ne me suis pas préparé pour ce genre de questions. C'était vraiment
17 il y a longtemps. A la maison, j'ai des documents. J'ai archivé tous mes
18 articles publiés pendant la guerre et pas seulement dans le journal
19 Patriotique d'ailleurs, mais, ailleurs. Mais je ne peux pas vous citer la
20 date exacte.
21 Q. Deux questions pour en terminer. Il y avait des civils et des
22 militaires à la fois qui écrivaient pour le journal Patriotique, ou c'était
23 exclusivement des militaires ?
24 R. Pour autant que je le sache, parmi les collaborateurs, il y avait tous
25 ceux qui éprouvaient le besoin de réagir publiquement, de faire part de
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1 leurs opinions, de leurs réactions, qui étaient d'actualité et, bien
2 entendu, il y a à la fois des civils et des militaires.
3 Q. Qui finançait ce journal, pour autant que vous vous en souveniez ?
4 R. C'était le journal d'information du 3e Corps d'armée.
5 Q. En conclusion, pour quelle raison, est-ce qu'on a créé -- est-ce qu'on
6 a lancé ce journal ?
7 R. Avant tout, il y avait le besoin de s'adresser aux membres du 3e Corps
8 d'armée, de les informer des événements qui étaient d'actualité. Ensuite,
9 il fallait les informer des succès remportés dans des missions de guerre.
10 Il fallait pouvoir exprimer ces critiques portant sur des événements
11 indésirables ou des cas indésirables qui se produisaient parfois, du moins
12 c'est comme cela. Je concevais moi-même le rôle que devait jouer ce journal
13 militaire.
14 M. NEUNER : [interprétation] Je vous remercie, je n'ai plus de questions.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'Accusation est terminé, je pense que la
16 Défense a terminé, les Juges n'ont pas de questions.
17 Monsieur le Professeur, votre témoignage vient de se terminer. Nous avons
18 dépassé le temps, mais nous voulions vous éviter de revenir demain. Nous
19 vous remercions pour votre contribution à la manifestation de la vérité.
20 Vous avez répondu à l'ensemble des questions que les uns et les autres se
21 posaient ou pouvaient se poser. Nous vous remercions. Nous formulons nos
22 meilleurs vœux pour le retour dans votre pays et, bien entendu, nous vous
23 disons également que nous vous souhaitons une bonne continuation dans votre
24 activité d'enseignement. Je vais demander à M. l'Huissier, de bien vouloir
25 accompagner le témoin.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
2 [Le témoin se retire]
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. En quelques secondes, je me tourne vers la
4 Défense pour le programme de demain.
5 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président. Hélas, nous n'avons
6 pas pu commencer à garder la position du témoin suivant aujourd'hui, mais
7 nous avons deux témoins pour demain. Je m'attends à ce qu'aucun d'entre eux
8 ne soit plus long que le témoin qu'on vient d'entendre. Donc, dans tous les
9 cas, on devrait en terminer avec la déposition d'un témoin et --
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Que le deuxième témoin reste jusqu'à lundi. Bien.
11 Vous aviez prévu pour le premier témoin combien de minutes ?
12 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Comme je vous l'ai déjà annoncé, à peu
13 près 45 minutes. Pas plus que cela.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Bien.
15 Vous vouliez intervenir ?
16 M. NEUNER : [interprétation] Il y avait deux documents de la part de la
17 Défense.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. La Défense, vous vouliez demander le versement
19 des documents ?
20 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Nous demandons
21 le versement de la pièce 0891 et 0534 qui ont été présentées à ce témoin,
22 qu'elles soient versées au dossier comme pièces à conviction de la Défense.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'Accusation, sur ces deux documents, pas
24 d'objections ?
25 M. NEUNER : [interprétation] Pas d'objection.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Pas d'objection.
2 Monsieur le Greffier, deux numéros.
3 M. LE GREFFIER : Merci, Monsieur le Président. Ces deux documents avaient
4 déjà été soumis pour identification. Ils sont versés au dossier, de façon
5 définitive, sous les références
6 suivantes :
7 Le DH891; et une version anglaise, DH891-E.
8 Le DH534; avec sa version anglaise, DH534-E.
9 Merci, Monsieur le Président.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie, Monsieur le Greffier.
11 L'audience de ce jour étant terminé à moins que Maître Bourgon veuille
12 intervenir.
13 M. BOURGON : Rapidement, Monsieur le Président. Seulement pour informer la
14 Chambre que nous allons commencer demain matin dès le début avec une
15 requête orale pour modifier notre liste de documents et présenter six
16 nouveaux documents qui n'ont jamais été sur notre liste. Je crois que la
17 requête ne sera pas contestée pas l'Accusation. Merci, Monsieur le
18 Président.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Je présume que vous avez communiqué avec
20 l'Accusation. Très bien. Je vous invite donc à revenir pour l'audience qui
21 débutera demain à 9 heures.
22 --- L'audience est levée à 19 heures 10 et reprendra le vendredi 14 janvier
23 2005, à 9 heures.
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