Affaire n° : IT-01-48-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE III

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
14 janvier 2005

LE PROCUREUR

c/

SEFER HALILOVIC

_____________________________________________

OPINION INDIVIDUELLE CONCORDANTE DU JUGE IAIN BONOMY JOINTE À LA DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE CERTIFICATION EN VUE DE FORMER UN APPEL INTERLOCUTOIRE CONTRE LA « DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS D’AUTORISATION DE MODIFIER L’ACTE D’ACCUSATION »

_____________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Philip Weiner
Mme Sureta Chana
M. David Re

Les Conseils de l’Accusé :

M. Peter Morrissey
M. Guénaël Mettraux

 

1. La Chambre de première instance a conclu à l’unanimité qu’il y avait lieu de rejeter la demande de certification présentée par l’Accusation (la « Demande »). Elle a motivé sa décision par le fait que l’Accusation n’avait pas établi que l’une ou l’autre des conditions posées par l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») était remplie. Si le Juge Kwon a approuvé le rejet de la Demande, ce n’est pas pour le motif avancé par la Chambre, mais parce que celle-ci pouvait refuser de certifier l’appel en usant de son pouvoir d’appréciation. Si j’avais conclu, comme le Juge Kwon, que les conditions posées par l’article 73 B) du Règlement étaient remplies, j’aurais également rejeté la Demande en vertu du pouvoir discrétionnaire qui est reconnu à la Chambre de première instance. C’est pour expliquer ce point de vue que je joins la présente opinion individuelle.

L’article 73 B) du Règlement est rédigé en ces termes :

« Les décisions relatives à toutes les requêtes ne pourront pas faire l’objet d’un appel interlocutoire, à l’exclusion des cas où la Chambre de première instance [peut] certifi[er] l’appel, après avoir vérifié que la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et que son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure. »

2. Avant d’accueillir une demande de certification, une Chambre de première instance doit vérifier que deux conditions sont remplies. La première se présente sous la forme d’une alternative : ou bien a) la question en cause est susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès ou b) elle est susceptible de compromettre sensiblement son issue. L’Accusation s’est appuyée sur la première branche de l’alternative. La deuxième condition est que le règlement immédiat de la question par la Chambre d’appel puisse concrètement faire progresser la procédure. L’article dit clairement que la Chambre de première instance ne « [peut] certifi[er] l’appel » que lorsque les deux conditions sont réunies. En conséquence, la Chambre de première instance peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, certifier ou non l’appel même lorsque les deux conditions sont remplies.

3. Consciente de leur importance, une Chambre de première instance ne refusera pas à la légère de certifier l’appel lorsque ces conditions sont remplies1, et tout particulièrement, comme c’est le cas en l’espèce, lorsque la décision attaquée porte sur une question de droit importante. Lorsqu’une Chambre de première instance refuse de certifier l’appel en usant de son pouvoir d’appréciation, elle doit le faire pour une raison importante. Il en existe une en l’espèce : elle tient au retard qui découlerait immanquablement de la certification de l’appel. Ce retard doit être mesuré à l’aune de la durée de l’instance toute entière.

4. La procédure en l’espèce a commencé en septembre 2001. Pour diverses raisons, il était d’abord prévu que le procès débute en janvier 2004 ; mais, il n’a pu s’ouvrir à cette date. Il est actuellement prévu qu’il débute le 24 janvier 2005. Il serait alors impossible de respecter cette date. Un procès ne devrait pas s’ouvrir lorsque reste ouverte la question du libellé de l’acte d’accusation et que, en particulier, on ne sait pas au juste si, au procès, l’accusé aura ou non à répondre d’un manquement à l’obligation de prévenir des meurtres. La présente Chambre de première instance a vu récemment un appel interlocutoire tranché dans les meilleurs délais après que la Chambre d’appel eut pris des dispositions particulières à cette fin. La procédure a néanmoins duré deux mois. Même si l’appel envisagé était tranché dans les mêmes délais, il est probable que l’ouverture du procès en l’espèce serait sensiblement retardée car un nouveau procès dans une autre affaire s’ouvrirait à sa place. Certes, je reconnais que l’on ignore les conséquences exactes de la certification, mais il me semble avoir fait une analyse raisonnable de ses conséquences probables.

5. Je considérais que tout retard supplémentaire dans le déroulement de la procédure serait excessif et pénaliserait injustement l’accusé. Ayant mis tous les facteurs en balance, j’ai estimé que celui-ci était d’une importance telle qu’il commandait le rejet de la Demande.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Juge
___________
Iain Bonomy

Le 14 janvier 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Voir Le Procureur c/ Strugar, affaire nº IT-01-42-T, Décision relative à la requête de la Défense aux fins de certification, 17 juin 2004, par. 2. Voir aussi Le Procureur c/ Momcilo Krajisnik et Biljana Plavsic, affaire nº IT-00-39 & 40-PT, Décision relative à la requête de Momcilo Krajisnik aux fins de mise en liberté provisoire, 8 octobre 2001 et l’Opinion dissidente du Juge Patrick Robinson qui y est jointe et que j’ai également examinée avec attention.