I. RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
- Ramush Haradinaj (l’« Accusé ») et deux co-accusés,
Idriz Balaj et Lahi Brahimaj, sont visés par le
même acte d’accusation, confirmé le 4 mars 2005 et
initialement placé sous scellés. Le 9 mars 2005,
l’Accusé, alors Premier Ministre du Kosovo en
exercice depuis 2004, se livre volontairement et est
transféré le même jour au Quartier
pénitentiaire des Nations Unies. Le 10 mars 2005, l’acte
d’accusation est rendu
public. Le 14 mars 2005, lors de sa comparution initiale,
l’Accusé a plaidé non
coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre
lui1.
- La Chambre de première instance II du Tribunal
international chargé de poursuivre
les personnes présumées responsables de violations
graves du droit international humanitaire commises
sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal
») est aujourd’hui saisie de la demande de mise en
liberté provisoire de Ramush
Haradinaj (Defence Motion on Behalf of Ramush Haradinaj
for Provisional Release
) (la « Requête »), déposée le 21 avril 2005 par
le conseil de l’Accusé (la
« Défense ») en application de l’article 65 du Règlement
de procédure et de preuve
du Tribunal (le « Règlement »).
- Le 5 mai 2005, le Bureau du Procureur (l’« Accusation »)
a déposé une réponse
(Prosecution’s Response to Defence Motion on Behalf
of Ramush Haradinaj for Provisional Release) (la « Réponse »)
par laquelle il demande le rejet de la Requête. Le
12 mai 2005, la Défense a demandé l’autorisation de
répondre à la Réponse en application
de l’article 126 bis du Règlement et déposé une
réplique (Defence’s Reply
to Prosecution’s Response to Defence Motion on Behalf
of Ramush Haradinaj for Provisional Release) (la « Réplique »).
Le 17 mai 2005, la Chambre de première instance
a fait droit à la demande et accueilli la Réplique2.
Le 24 mai 2005, les parties ainsi qu’un représentant
de la Mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo (la « MINUK »)
ont été entendus par la Chambre
de première instance lors d’une audience3.
- L’Accusé, qui serait un ancien commandant de l’Armée
de libération du Kosovo
(l’« ALK »), doit répondre, sur le fondement de l’article 7 1)
du Statut du Tribunal (le « Statut »)4,
de 17 chefs d’accusation
de crimes contre l’humanité, en application de l’article 5
du Statut, et de 20 chefs de violations des lois ou
coutumes de la guerre, en application de l’article 3
du Statut. Tous les crimes reprochés dans l’acte d’accusation
auraient été commis entre
le 1er mars et le 30 septembre 1998 sur le territoire
du Kosovo en ex-Yougoslavie.
II. ARGUMENTS DES PARTIES
A. Conclusions
- À l’appui de sa Requête, la Défense fait valoir :
a) que l’Accusé a immédiatement démissionné de son
poste de Premier Ministre du Kosovo lorsqu’il a été informé de
sa mise en accusation et qu’il s’est livré volontairement
et sans retard au Tribunal ;
b) que l’autorité légitime chargée de l’administration
du Kosovo, la MINUK, a accepté
de fournir les garanties nécessaires au respect de
toute condition que la Chambre de première instance
pourra poser à la mise en liberté provisoire de l’Accusé ;
c) que l’Accusé a déjà été mis en liberté provisoire
au Kosovo pendant trois jours pour raisons humanitaires
et qu’il a, à cette occasion, pleinement respecté l’ensemble
des conditions qui lui avaient été imposées5
;
d) que l’Accusé s’est engagé par écrit auprès de la
Chambre de première instance à
se représenter au procès, à ne faire pression d’aucune
manière sur les victimes
et les témoins et à respecter pleinement toutes les
conditions que la Chambre de première instance pourra
poser ;
e) qu’il n’y a pas eu de pressions exercées par l’Accusé sur
les témoins dès lors que
tout portait à croire qu’il serait mis en accusation,
soit depuis le mois de novembre 2004, et qu’il n’est
pas établi que l’Accusé mettrait concrètement en
danger quiconque ;
f) que l’Accusé jouit d’une exceptionnelle réputation
personnelle et politique confirmée
par un certain nombre de personnalités politiques,
militaires et diplomatiques internationales qui toutes
sont d’avis que l’Accusé observerait toutes les conditions
posées par
la Chambre de première instance6 ;
g) que, compte tenu des circonstances de la reddition
de l’Accusé, la mise en liberté
provisoire de l’Accusé ne devrait pas poser de problèmes
de sécurité au Kosovo et
que son retour y ferait au contraire avancer le processus
de transition7.
- L’Accusation s’oppose à la Requête au motif que
les conditions de la mise en liberté provisoire
ne sont pas réunies. En premier lieu, l’Accusation
avance que la Chambre de première instance ne peut,
sur la foi des éléments de preuve produits, être convaincue que la MINUK est, dans les faits,
en mesure de procéder à l’arrestation
de l’Accusé si la nécessité s’en fait sentir. À cet égard,
l’Accusation renvoie
en particulier à l’affaire Limaj, dans laquelle
la demande de mise en liberté
provisoire de l’accusé avait été rejetée. Dans cette
affaire, la MINUK avait refusé
de fournir des garanties au motif, d’une part, qu’elle
disposait de ressources limitées
et d’autre part que, « SéCtant donné la situation géographique
du Kosovo, S…C et
l’assistance dont bénéficierait une personne dans la
situation de M. Limaj si elle cherchait à éviter l’arrestation,
il serait relativement facile de quitter le Kosovo
pour un pays voisin »8.
L’Accusation
fait valoir que la Chambre de première instance devrait
tirer la même conclusion
en l’espèce, au motif que les facteurs ayant motivé le
refus de la MINUK de fournir lesdites garanties sont
toujours d’actualité. A fortiori, soutient l’Accusation, dans la mesure où l’Accusé en l’espèce disposerait
d’une assistance plus grande
encore que Fatmir Limaj. L’Accusation rappelle que
l’Accusé occupait un poste élevé
dans la hiérarchie, que les accusations portées contre
lui sont très graves et qu’à
ce titre il est passible d’une lourde peine de prison.
Quant à la précédente mise
en liberté provisoire accordée à l’Accusé pour une
durée de trois jours, l’Accusation
rappelle que l’Accusé était placé sous la surveillance
constante soit de la MINUK soit du personnel du Tribunal9.
- En second lieu, l’Accusation soutient que, s’il
est mis en liberté provisoire, l’Accusé mettra en danger les victimes et les témoins.
Tout en admettant ne pas
être en possession d’éléments d’information prouvant
que des témoins en l’espèce
ont été victimes d’intimidations exercées par l’Accusé,
l’Accusation cite de nombreux
exemples montrant que le Kosovo reste une région particulièrement
dangereuse pour les témoins entendus dans une procédure
pénale et avance que la mise en liberté
provisoire de l’Accusé aura un effet négatif sur l’idée
que se fait le public de la sécurité des témoins éventuels10.
L’Accusation tire également argument d’une infraction
au Règlement portant régime
de détention du Quartier pénitentiaire des Nations
Unies commise par l’Accusé11.
- L’Accusation présente deux autres conclusions
qui sont suspendues à la décision
que prendra la Chambre de première instance. Si la
Requête est rejetée, l’Accusation
s’engage expressément à déployer toutes les ressources
nécessaires pour accélérer
la phase préalable au procès12.
Si la demande de mise en liberté de l’Accusé est accueillie,
l’Accusation demandera, en application de l’article 65 E) du Règlement, un
sursis à son exécution afin
de pouvoir interjeter appel de la décision13.
- Dans la Réplique, la Défense réaffirme qu’il y
a lieu de croire que l’Accusé
se livrerait de nouveau volontairement au Tribunal
et que la MINUK serait tout à
fait en mesure d’assurer la comparution de l’Accusé au
Tribunal14.
La Défense ajoute que l’Accusation n’a pas rapporté la
preuve de l’existence d’un
lien entre l’Accusé et les cas de pression ou d’intimidation
dont ont été victimes
des témoins et se borne à invoquer l’idée que s’en
fait le public, argument insuffisant. La Défense fait
observer que l’Accusé a au contraire toujours fait
montre de sa volonté de permettre aux témoins de sortir
de leur silence sans craindre les intimidations et
de déposer devant le Tribunal15.
Au reste, la Défense ne s’oppose pas à la demande
de mesures de protection de témoins
avant le procès présentée par l’Accusation, et ce,
malgré la « nature générale de
ces allégations »16.
- Le 17 mai 2005, la Chambre de première instance
a reçu un rapport écrit confidentiel
de la MINUK porté par la suite à la connaissance des
deux parties. La MINUK y indique qu’elle est investie
des pleins pouvoirs de police au Kosovo et, partant,
qu’elle
est en mesure de fournir des garanties précises quant à l’Accusé,
si la Chambre de première instance en fait la demande17.
La MINUK fait d’autre part remarquer que depuis 2003, époque à laquelle
elle a refusé
de fournir des garanties dans l’affaire Limaj,
ses pouvoirs de police ont
été considérablement renforcés, notamment par l’augmentation
des effectifs du Service de police du Kosovo (SPK)
ainsi que par d’autres mesures telles que l’instauration
d’un cadre juridique global et la mobilisation de
nouvelles ressources techniques
18.
B. Exposés
- À l’audience, la Défense a fait valoir que « tout
militait » en faveur de la
mise en liberté provisoire de l’Accusé19.
Aux arguments présentés dans ses conclusions, la Défense
a ajouté que la perspective
de commencer le procès de l’Accusé avant 2007 était
lointaine et que, quand bien même l’Accusation mobiliserait
toutes les ressources à sa disposition pour accélérer
la mise en état du procès, la Défense aurait de toute
façon besoin de beaucoup de
temps pour s’y préparer20.
La Défense
a clarifié sa Requête en précisant que l’Accusé demandait à être
mis en liberté
provisoire à Pristina/Prishtinë, mais qu’il souhaitait
en outre pouvoir se déplacer
directement entre Pristina/Prishtinë et son lieu de
résidence dans le Kosovo occidental
21. Au terme de l’audience,
l’Accusé
s’est adressé en personne à la Chambre de première
instance pour réaffirmer son
engagement à se représenter et à ne pas faire pression
sur les victimes ou les témoins
22.
- L’Accusation a pour sa part maintenu que la Requête
devait être rejetée. Elle
a prié la Chambre de première instance de bien vouloir
examiner les limites de l’aptitude
de la MINUK à fournir des garanties quant à sa propre
capacité de procéder à l’incarcération
de l’Accusé s’il ne respectait pas une des conditions
qui lui sont imposées, au
motif, tout d’abord, qu’on ne peut pas savoir si le
mandat de la MINUK et, partant, sa capacité d’incarcérer
l’Accusé, restera identique durant toute la période
de liberté provisoire ; au motif, ensuite, que ces
garanties ne seront pas reprises ou assurées dans
la même mesure par les institutions nationales qui
seront, selon toute probabilité, chargées d’incarcérer
l’Accusé, en l’occurrence le Corps de protection
du Kosovo (CPK) et le SPK, dont les liens passés avec
l’Accusé sont étroits. L’Accusation
a, en outre, présenté des pièces supplémentaires montrant
que la sécurité reste
une source de préoccupation permanente pour les témoins
au Kosovo23.
- À l’audience, la MINUK était représentée en la
personne de l’Adjoint principal
du Représentant spécial du Secrétaire général, M. Larry
Rossin. Ce dernier a déclaré
que la MINUK était non seulement disposée à fournir à la
Chambre de première instance
des garanties à la mesure de l’importance de l’Accusé,
mais était également tenue
de coopérer pleinement avec le Tribunal24.
L’Adjoint principal a confirmé que les capacités de
la MINUK s’étaient substantiellement
renforcées ces dernières années et a précisé que « le
niveau général de sécurité
au Kosovo SétaitC bon » et que le « niveau général
de la criminalité et de la violence
SétaitC bas »25. M. Rossin
a expliqué
que le CPK n’était pas chargé de tâches de sécurité au
Kosovo et que le SPK était
actuellement placé sous le commandement et l’autorité du
Commissaire de police de la MINUK26.
Toutefois, s’agissant
de l’hypothèse de l’ouverture du procès en 2007, M. Rossin
n’a pas su dire si le
mandat de la MINUK resterait identique pendant toute
la durée de mise en liberté
provisoire de l’Accusé. Il a en revanche assuré la
Chambre de première instance
que les institutions appelées à succéder à la MINUK
respecteraient les principes de l’État de droit et
de la transparence de l’État27.
Conclusions déposées après l’audience
- À l’audience, l’Accusation a demandé l’autorisation
de déposer des conclusions
supplémentaires portant sur des éléments d’information
obtenus quelques heures à
peine avant l’ouverture de l’audience28.
La Chambre de première instance a non seulement fait
droit à cette demande, mais
a également autorisé la Défense à répondre aux arguments
présentés dans ces conclusions
ainsi qu’à toutes les nouvelles questions soulevées
par l’Accusation lors de l’audience
29.
- Le 25 mai 2005, l’Accusation a déposé, à titre
confidentiel, des conclusions supplémentaires relatives à des éléments
d’information nouveaux intéressant la demande
de mise en liberté provisoire de l’Accusé (Prosecution’s
Submission of New Information Relevant to Ramush Haradinaj’s
Application for Provisional Release) (les « conclusions
supplémentaires de l’Accusation »), dans lesquelles
il est fait état d’une apparente
tentative d’assassinat perpétrée récemment au Kosovo
contre un témoin protégé dans
le cadre d’une autre affaire devant le Tribunal. Tout
en concédant que l’identité
des suspects n’a pas encore été établie et qu’il est
prématuré de faire le rapprochement
entre la tentative d’assassinat présumée et l’intervention
de la victime dans la procédure devant le Tribunal,
l’Accusation prie malgré tout la Chambre de première
instance, dans l’hypothèse où elle envisagerait de
faire droit à la Requête, de
bien vouloir surseoir à l’exécution de sa décision
pendant un délai raisonnable,
le temps que la MINUK achève l’enquête préliminaire
ouverte sur cette affaire et remette ses conclusions à la
Chambre de première instance30.
Revenant sur une question posée à l’audience, l’Accusation
admet que la détention
d’un accusé avant le procès n’empêche pas nécessairement
l’intimidation des témoins, mais maintient que sa mise en liberté provisoire
saperait la confiance des témoins
dans le Tribunal et doit, à ce titre, faire l’objet
d’un examen soigneux31.
Faute de quoi, et même si le représentant de la MINUK
soutient le contraire, l’Accusation
persiste à penser que les inquiétudes pour la sécurité des
témoins au Kosovo sont
extrêmement vives32.
- Le 25 mai 2005 également, la Défense a déposé, à titre
confidentiel, une réplique
supplémentaire (Defence’s Confidential Further Reply
in Respect of the Application for Provisional Release
of Ramush Haradinaj) (les « Conclusions supplémentaires
de la Défense »). La Défense y souligne que ni l’existence
d’un lien entre la tentative
d’assassinat présumée et un procès devant le Tribunal,
ni la preuve d’une quelconque
implication de l’Accusé n’ont été établies et fait
valoir, par conséquent, que cette
affaire ne saurait avoir une influence en l’espèce.
Il s’ensuit que la Défense s’oppose
à la demande de sursis de l’Accusation33.
En outre, faisant observer que l’Accusation n’a pas
choisi au hasard les extraits de documents qu’elle
a produits à l’audience consacrée à la présence internationale
de sécurité au Kosovo, la Défense présente à son
tour des documents qui pointent vers une autre conclusion34.
La Défense
précise également que, s’il est libéré, l’Accusé demande
l’autorisation d’intervenir
dans les affaires politiques et de pouvoir se déplacer
librement sur l’ensemble
du territoire du Kosovo, mais qu’il s’engage à ne parler
en aucune manière de son
procès devant le Tribunal35.
La Défense
s’oppose aussi à la demande par laquelle l’Accusation
prie la Chambre de première
instance de surseoir à l’exécution d’une décision de
mise en liberté provisoire
de l’Accusé36.
- Le 26 mai 2005, la Chambre de première instance
a demandé à la MINUK de lui
faire savoir si les éléments d’information présentés
dans les conclusions supplémentaires
infléchissaient la position exprimée à l’audience sur
la Requête37.
- Dans sa réponse du 27 mai 2005, la MINUK conclut,
après avoir passé en revue
toutes les conclusions supplémentaires, que sa position
n’est pas remise en cause
et réaffirme qu’elle est en mesure de s’acquitter de
toutes les obligations que la Chambre de première
instance pourrait imposer38.
III. LE DROIT
- L’article 21 du Statut du Tribunal intitulé « Les
droits de l’accusé » dispose, en ses passages pertinents, que :
1. Tous sont égaux devant le Tribunal
international.
[...]
3. Toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce
que sa culpabilité ait
été établie conformément aux dispositions du présent
statut.
[...]
- L’article 65 du Règlement régissant la mise en
liberté provisoire dispose,
en ses passages pertinents, que :
Une fois détenu, l’accusé ne peut être mis en liberté que
sur ordonnance d’une Chambre.
La mise en liberté provisoire ne peut être ordonnée
par la Chambre de première instance
qu’après avoir donné au pays hôte, et au pays où l’accusé demande à être
libéré
la possibilité d’être entendus, et pour autant que
Sla ChambreC ait la certitude que l’accusé comparaîtra
et, s’il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin
ou toute autre personne.
La Chambre de première instance peut subordonner la
mise en liberté provisoire de
l’accusé aux conditions qu’elle juge appropriées, y
compris la mise en place d’un
cautionnement et, le cas échéant, l’observation de
conditions nécessaires pour garantir
la présence de l’accusé au procès et la protection
d’autrui.
[...]
Le Procureur peut demander à ce que la Chambre de première
instance sursoie à l’exécution
de sa décision de libérer un accusé au motif qu’il
a l’intention d’interjeter appel
de la décision ; il présente cette demande en même
temps qu’il dépose sa réponse
à la requête initiale de l’accusé aux fins de mise
en liberté provisoire.
[...]
- L’article 65 du Règlement doit être lu à la lumière
de l’article 21 3) du Statut
39. Il incombe à l’accusé d’apporter
la preuve que, s’il est libéré, il se présentera au
procès et ne mettra pas en danger
une victime, un témoin ou toute autre personne40.
Pour décider si elle est convaincue que, s’il est
libéré, un accusé se représentera, une chambre de première instance n’est pas tenue
de passer en revue tous les éléments
qu’elle peut prendre en considération41,
il lui suffit d’indiquer tous les éléments pertinents
dont elle a tenu compte dans sa décision, autrement
dit de motiver celle-ci42.
- Pour déterminer si l’accusé peut être mis en liberté provisoire,
la Chambre de première instance doit prendre en
compte les circonstances propres à l’affaire. S’agissant du risque de non-comparution de l’accusé,
les Chambres de première
instance ont souvent accordé un grand poids aux garanties
fournies par l’État ou
l’entité où l’accusé demande à être libéré43.
Quant à l’appréciation du risque de mise en danger
d’une victime, d’un témoin ou
de toute autre personne si l’accusé est libéré, les
autres Chambres de première
instance ont, par le passé, notamment pris en compte
les éléments donnant à penser
que l’accusé a entravé le cours de la justice depuis
la confirmation de l’acte d’accusation
établi à son encontre44.
L’appréciation
du danger que pourrait présenter l’accusé ne peut se
faire in abstracto.
Un danger précis doit être mis en évidence45.
- La Chambre d’appel a estimé qu’il convenait de
prendre tout particulièrement
en compte, avant de décider d’accorder ou non une mise
en liberté provisoire, les
autres facteurs suivants :
a. La gravité des crimes reprochés à l’accusé ;
b. La longueur de la peine d’emprisonnement encourue
par l’accusé ;
c. Les circonstances de la reddition de l’accusé ;
d. Le degré de coopération des autorités de l’État
où l’accusé demande à être
libéré
;
e. Les garanties offertes par ces autorités et, le
cas échéant,
par l’accusé lui-même
;
f. Dans le cas d’une infraction aux conditions de mise
en liberté provisoire, la probabilité
que les autorités compétentes procéderont à l’arrestation
de l’accusé s’il refuse
de se livrer ;
g. Le degré de coopération de l’accusé avec l’Accusation46.
- S’agissant de la gravité des crimes reprochés,
la Chambre de première instance
doit indiquer précisément la lourdeur de la peine qu’encourt
l’accusé s’il est déclaré
coupable et apprécier le risque de fuite qui en découle47.
La Chambre de première instance observe que la Cour
européenne des droits de l’homme
a estimé que « la gravité des accusations portées ne
suffit pas à motiver la durée
prolongée de la détention provisoire »48.
La Chambre de première instance convient également
que l’argument de la lourdeur
de la peine ne peut pas être invoqué in abstracto contre
l’accusé dans la
mesure où tous les accusés poursuivis devant le Tribunal
encourent une peine lourde s’ils sont reconnus coupables49.
- Pour ce qui est des garanties gouvernementales,
la Chambre d’appel a considéré
que le « poids à accorder aux garanties fournies par
un gouvernement peut dépendre, dans une large mesure, de la situation personnelle
du requérant, notamment en
raison des fonctions qu’il exerçait avant son arrestation »50.
Selon la Chambre d’appel, la Chambre de première instance
doit apprécier cette situation
non seulement telle qu’elle est au moment où elle se
prononce sur l’élargissement, mais également et dans la mesure où elle peut le
prévoir, telle qu’elle sera au
moment où le procès s’ouvrira et où l’accusé devra
se représenter51.
Dès lors que la Chambre de première instance se fonde
sur les garanties, « SlCa
place d’un accusé dans la hiérarchie et ses conséquences
sur le poids à accorder
aux garanties fournies par un gouvernement sont effectivement
des éléments importants
que la Chambre de première instance devrait normalement
prendre en considération
dans la mesure où elle pourraient avoir une incidence
importance sur la bonne volonté
d’un État et son empressement à arrêter cette personne
si elle refuse de se livrer
»52. La Chambre de première
instance a en outre conscience que, faute de moyens
de coercition propres, le Tribunal dépend
totalement de l’autorité et des pouvoirs dont disposent
les États et autres organismes
pour assurer l’arrestation des fugitifs53.
- La Chambre de première instance fait remarquer
que, en application de la résolution
1244 adoptée le 10 juin 1999 par le Conseil de sécurité,
la MINUK est l’autorité
chargée, en coordination avec la KFOR (les forces de
l’OTAN au Kosovo) d’assurer
la sécurité publique et la surveillance des frontières
et qu’elle est dotée des
moyens nécessaires à cet effet54.
Par conséquent, la Chambre de première instance entend
tenir compte des garanties fournies par la MINUK.
- La Chambre de première instance reste libre de
refuser de libérer un accusé
quand bien même les deux conditions fixées à l’article 65
du Règlement se trouveraient
réunies55. Il s’ensuit
que les conditions expressément énoncées à l’article 65 B)
ne sauraient être interprétées comme ayant
pour objet de dresser la liste exhaustive des raisons
pour lesquelles une demande de mise en liberté doit être
rejetée dans un cas donné56.
- Dans ce qui suit, la Chambre de première instance
examinera les facteurs pertinents applicables à la
demande de mise en liberté provisoire. Elle attachera
une attention toute particulière aux circonstances
de l’espèce et appréciera si l’intérêt public, nonobstant la présomption d’innocence, l’emporte
sur la nécessité du respect du
droit de l’accusé à la liberté de sa personne57.
IV. EXAMEN
A. S’il est libéré, l’Accusé se représentera-t-il à son
procès ?
Les accusations portées contre l’Accusé
- Tout en sachant que la culpabilité de l’Accusé est
une question devant être
examinée au fond et tranchée au procès, la Chambre
de première instance note que
l’Accusé doit répondre de 37 chefs d’accusation et
notamment de persécutions, un
crime contre l’humanité et une violation des lois ou
coutumes de la guerre. Ainsi, s’il est déclaré coupable,
l’Accusé encourt une lourde peine d’emprisonnement.
Sans perdre de vue que ce facteur ne suffit pas en
soi à justifier une période prolongée
de détention avant le procès58,
la Chambre de première instance entend néanmoins tenir
compte du fait que la lourdeur de la peine encourue
risque d’inciter l’Accusé à s’enfuir. Aussi la Chambre
de première
instance a-t-elle également pris en considération les
conclusions des parties sur la question de savoir
quand l’affaire sera en état d’être jugée. Or, comme
la Défense
l’a fait remarquer à l’audience, il est improbable
que le procès de l’Accusé commence
avant 200759, une prévision
que l’Accusation
n’a pas contestée à l’audience60.
Vu les droits de l’accusé et la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de
l’homme en la matière évoquée plus haut61,
la Chambre de première instance estime donc que ce
facteur mérite d’être pris en
compte avant de se prononcer sur cette question.
Les circonstances de la reddition volontaire de
l’Accusé
- Lorsqu’il s’est livré au Tribunal, l’Accusé était
un dirigeant politique. Le 3 décembre 2004, il avait été élu
premier ministre du Kosovo par l’Assemblée du
Kosovo. Il est par ailleurs président de l’Alliance
pour l’avenir du Kosovo, l’un
des principaux partis politiques.
- Le 8 mars 2005, l’Accusé a appris qu’un acte d’accusation,
initialement placé
sous scellés, avait été dressé contre lui. À peine
quelques heures plus tard, l’Accusé
a annoncé sa démission de ses fonctions de premier
ministre et sa reddition volontaire au Tribunal. Lors
d’une conférence de presse ultérieure, l’Accusé a expliqué sa
décision dans les termes suivants :
Je suis appelé aujourd’hui à faire un autre sacrifice
que je n’aurais jamais cru
devoir consentir. On vient de m’apprendre que le Tribunal
de La Haye avait établi
un acte d’accusation contre moi. Avant tout, je tiens à proclamer
devant vous que je suis innocent des crimes qui me
sont reprochés. Je le proclame parce que c’est
devant mon peuple que je suis responsable et à lui
que je dois rendre des comptes avant toute chose.
[...] J’ai déclaré, par le passé, avoir toujours œuvré en
faveur de l’avènement d’une société démocratique digne
de figurer dans le concert des nations modernes. Par
définition, cet objectif passe par la coopération avec
la justice internationale, aussi injuste puisse-t-elle être
sur le moment. Dans cette affaire, je suis blessé,
je suis profondément touché. J’ai le sentiment qu’on
m’écarte
de mon travail à un moment où j’investis toute mon énergie
pour mon pays, mais il me faut l’accepter pour le
bien de ce pays, pour le bien de nous tous. [...]
C’est la raison pour laquelle j’assume ce fardeau.
Et je vous demande de l’accepter. Je vous demande à tous d’accepter ce qui est presque
impossible, mais faites-le pour l’honneur de votre
pays et de votre nation. Je vous demande de penser à l’intérêt
général du pays62.
- Le lendemain, l’Accusé a quitté le Kosovo pour
se rendre au Tribunal. La situation, sur le plan
de la sécurité, est restée calme dans toutes les
régions du Kosovo
63.
- La Chambre de première instance ne conteste pas,
bien au contraire, le caractère
exemplaire des circonstances de la reddition de l’Accusé qui
contrastent, ce qui est là tout à son honneur, avec
l’attitude d’autres personnes de même rang qui ont
été mises en accusation par le Tribunal. La Chambre
de première instance est particulièrement
sensible au fait que l’Accusé soit déterminé à se soumettre à la
justice internationale et qu’il ait appelé publiquement
les Kosovars à accepter sa mise en accusation.
Cette observation étant faite, la Chambre de première
instance estime d’un autre
côté que le poids à accorder au caractère volontaire
de la reddition de l’Accusé
en l’espèce ne devrait pas être trop différent de celui
qui a été accordé dans toutes
les autres affaires où l’accusé a pris la décision
d’abandonner sa famille, ses
amis et son travail pour se livrer volontairement au
Tribunal.
La personnalité de l’Accusé
- Un grand nombre de références certifiant l’intégrité personnelle
et professionnelle de l’Accusé, dont les déclarations
du Représentant spécial du Secrétaire général
au Kosovo (le « RSSG »), Søren Jessen-Petersen, de
l’ancien commandant de la Force
du Kosovo (la « KFOR »), le général Klaus Reinhardt,
et du Président du Kosovo,
Ibrahim Rugova64, ont été portées
à la connaissance de la Chambre de première instance.
Søren Jessen-Petersen présente
l’Accusé comme un « homme d’action, de conviction et
de vision » et salue « la dignité
et la maturité » dont il a fait preuve en décidant
de se constituer prisonnier65.
Le général Reinhardt, commandant de la KFOR d’octobre
1999 au printemps 2000, a décrit l’Accusé comme « un
homme en qui Sil aC une confiance sans réserve et
dont SilC sollicitaiStC l’avis activement » et comme « un
homme politique aux qualités
exceptionnelles qui sera l’un des artisans de la réconciliation
des différentes
minorités ethniques du Kosovo »66.
La Chambre de première instance accordera toute l’importance
qu’il convient à chacune
de ces références.
- La Chambre de première instance constate également
que l’Accusé a réaffirmé
son intention de revenir à la vie publique après son
procès67.
Ce facteur compte pour savoir si l’Accusé a des raisons
de prendre la fuite.
L’engagement de l’Accusé
- Il est noté que l’Accusé s’est engagé à respecter
pleinement toutes les ordonnances que la Chambre
de première instance rendra68.
Les garanties offertes par la MINUK
- Il va sans dire que la MINUK, étant l’autorité chargée
de l’administration
civile intérimaire du Kosovo et étant investie à ce
titre du pouvoir de police, apportera sa pleine coopération
et son assistance pour toute question en lien avec
les affaires portées devant le Tribunal. En l’espèce,
la MINUK s’est déclarée prête
et disposée, ce dont la Chambre de première instance
est absolument convaincue,
à appréhender l’Accusé, si la nécessité s’en fait sentir.
- Néanmoins, l’Accusation fait valoir que la Chambre
de première instance devrait
examiner les limites qui entravent, dans les faits,
la capacité pour la MINUK
d’arrêter l’Accusé s’il tente de prendre la fuite69,
et rappelle à cet égard les raisons invoquées par
la MINUK pour refuser de fournir des garanties dans
l’affaire Limaj et les facteurs sous-jacents
qui, selon l’Accusation, seraient inchangés : les
frontières et la géographie du Kosovo, les
ressources de police dont dispose la MINUK et le réseau
de soutien dont pourrait bénéficier l’Accusé70. À l’audience, l’Accusation a remis une série de rapports présentés
par le Secrétaire général
des Nations Unies au Conseil de sécurité sur la présence
internationale de sécurité
au Kosovo ainsi que d’autres documents qui, selon l’Accusation,
corroborent la thèse
que les capacités pratiques de la MINUK à cet égard
sont limitées71.
- En premier lieu, la Chambre de première instance
tient à faire remarquer que, même si elle ne veut pas et ne peut pas établir de
comparaison entre la présente
espèce et l’affaire Limaj s’agissant de la gravité des
crimes reprochés ou
des autres circonstances relatives aux accusés, les
deux affaires diffèrent fondamentalement
quant à la situation de la MINUK. Alors que, dans l’affaire Limaj,
la MINUK avait clairement fait comprendre qu’elle n’était
pas en mesure de fournir
les garanties nécessaires à l’éventuelle mise en liberté provisoire
d’un ou de plusieurs
des accusés, dans l’affaire Haradinaj au contraire,
la MINUK a bien fait comprendre qu’elle était tout à fait
disposée à fournir toutes les garanties
nécessaires à la mise en liberté provisoire de l’Accusé.
La Chambre de première
instance constate en second lieu que, nonobstant les éléments
de preuve présentés
par l’Accusation à l’audience et dont il a déjà été fait
mention, la MINUK a réaffirmé, après avoir été invitée par la présente Chambre de
première instance à se prononcer
sur ces pièces, qu’elle était en mesure de fournir
toutes les garanties nécessaires.
- Aussi la Chambre de première instance n’est-elle
pas convaincue par l’argument
de l’Accusation selon lequel la situation relative à la
capacité pour la MINUK d’appréhender
les fugitifs reste inchangée aujourd’hui. Au contraire,
les éléments de preuve dont
dispose la Chambre de première instance sont suffisants
pour établir que les ressources
de la MINUK ont depuis été considérablement renforcées72.
Naturellement, on ne peut jamais être absolument certain
que l’entité fournissant
les garanties sera en mesure de les honorer et les
ressources de la MINUK sont d’une
certaine façon limitées comme le sont du reste celles
des États. Toutefois, au vu
des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la
Chambre de première instance
n’a besoin d’être convaincue que d’une chose : que
la MINUK soit capable d’assurer
la comparution de l’Accusé devant le Tribunal.
- La Chambre de première instance est par ailleurs
attentive au fait que, et c’est là une différence
fondamentale, c’est la MINUK, organisme international
placé
sous la responsabilité des Nations Unies, qui fournit
les garanties, et non le gouvernement dont l’Accusé a été le
premier ministre, ce qui leur aurait donné moins de
poids.
- D’autre part, à l’audience, l’Accusation a douté que
la MINUK soit à même d’exercer
son contrôle pendant une période prolongée de détention
provisoire en raison d’un
éventuel aménagement de son mandat à l’avenir, perspective
que la MINUK n’a pas
pu écarter73. La Chambre
de première
instance relève qu’il est possible que le mandat de
la MINUK change au cours des années à venir et qu’un
tel changement ait des conséquences pour l’autorité et
les capacités dont celle-ci disposerait pour appréhender
l’Accusé. Constatant cependant
que rien n’annonce un tel changement dans un proche
avenir, la Chambre de première
instance estime que les garanties que la MINUK fournirait
en l’espèce gardent toute
leur validité. Cela étant posé, la Chambre de première
instance surseoit à statuer
sur le dispositif défini dans la présente Décision,
si besoin est.
- Compte tenu de ce qui précède, la Chambre de première
instance est convaincue que l’Accusé se représentera à son
procès s’il est libéré.
B. S’il est libéré, l’Accusé mettra-t-il
en danger une victime, un témoin
ou toute autre personne ?
Situation générale des témoins
- L’Accusation a multiplié les exemples prouvant
que les manœuvres d’intimidation
à l’encontre des témoins au Kosovo, et même les atteintes à leur
vie, étaient un
problème récurrent. La Chambre de première instance
prend ces éléments très au sérieux, d’autant qu’elle a bien conscience que les cas rapportés
ne constituent sans doute qu’une fraction des cas
effectifs74.
D’un autre côté, la Chambre de première instance prend
note d’une amélioration à
cet égard75.
- Dans ces conditions, la Chambre de première instance
ne juge pas utile de s’attarder
plus longtemps sur les conclusions présentées par les
deux parties à propos des
conditions générales de la sécurité et du niveau général
de la criminalité au Kosovo. La Chambre de première instance a soigneusement examiné les
conclusions supplémentaires
remises par l’Accusation après l’audience et note que
cette dernière trouve la situation
alarmante à cet égard. La Chambre de première instance
n’est cependant pas en mesure
d’accorder la même importance à ces conclusions étant
donné que, d’une part, les
allégations qui y sont avancées ne sont pas suffisamment étayées
et que, d’autre
part, la MINUK, ainsi qu’il a déjà été indiqué, n’a
pas jugé, après avoir été consultée
à ce propos, qu’il y avait lieu de revoir sa position
quant aux garanties nécessaires
qu’elle est en mesure de fournir dans le cadre de la
présente espèce.
Effet sur les témoins de la mise en liberté provisoire
de l’Accusé
- Dans les conclusions que l’Accusation a remises à la
Chambre de première instance, il n’est ni établi ni même allégué que l’Accusé puisse être
impliqué dans l’un
des cas d’intimidation de témoins mentionnés. L’argumentation
principale de l’Accusation
part de l’hypothèse, d’une part, que les responsables
de ces actes auraient un même
intérêt à intimider les témoins en l’espèce et, d’autre
part, que la mise en liberté
provisoire de l’Accusé aurait un effet négatif sur
l’idée que se fait le public
de la sécurité des témoins éventuels76.
- La Chambre de première instance ne voit pas en
quoi le premier argument de l’Accusation démontre
que la présence de l’Accusé au Kosovo aurait un effet
négatif
sur la sécurité des témoins ou inciterait les auteurs
des précédents actes à s’en
prendre à ces derniers. Quant au deuxième argument,
la Chambre de première instance
admet que l’idée que se fait le public de la sécurité des
témoins peut influer de
façon décisive, compte tenu des conditions qui règnent
au Kosovo, sur la propension de ces derniers à déposer.
Néanmoins, constatant qu’il n’a pas été établi que
l’Accusé
mettrait concrètement en danger quiconque, y compris
les victimes et les témoins, la Chambre de première instance n’est pas convaincue
que le risque d’un effet
négatif sur l’idée que se fait le public de la sécurité des
témoins potentiels suffise
à justifier le rejet de la mise en liberté provisoire.
Ainsi que l’a déclaré la
Chambre de première instance dans l’affaire Prlic, « même
si l’Accusé conserve
une influence, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il
va en user de manière illicite »77.
- En l’espèce, la Chambre de première instance constate
que rien, dans les éléments
de preuve présentés, n’indique que l’Accusé a entravé ou
entravera le cours de la justice78.
L’Accusé s’est également
engagé à n’avoir aucun contact avec les témoins éventuels
et à n’exercer aucune
pression, directe ou indirecte, sur eux79.
Mesures de protection
- En outre, la Chambre de première instance a récemment
décidé d’accorder une
série de mesures de protection à des témoins pendant
la phase préalable au procès. Ainsi, vingt-sept témoins potentiels se sont vu attribuer
un pseudonyme et l’Accusation
a été autorisée à ne pas communiquer à la Défense l’identité des
intéressés jusqu’à
trente jours avant le commencement du procès80.
La Chambre de première instance estime que ces mesures
contribuent à la sécurité
des témoins et constituent une garantie supplémentaire
de la protection des témoins
éventuels préoccupés par la mise en liberté provisoire
de l’Accusé.
- Compte tenu de ce qui précède, la Chambre de première
instance est, sur cette question-là aussi, convaincue
que rien n’indique que l’Accusé ne mettra pas en
danger une victime, un témoin ou toute autre personne
s’il est libéré.
V. CONCLUSION
- Au vu des preuves qu’a produites l’Accusé, comme
il y était tenu, et en particulier
de sa reddition volontaire, des garanties offertes
par la MINUK et de ses propres engagements, et à la
lumière en outre des considérations qui précèdent,
la Chambre de première instance conclut que, s’il
est libéré, l’Accusé se représentera à son
procès et que rien n’indique qu’il mettra en danger
une victime, un témoin ou toute
autre personne.
- Pour les raisons qui précèdent, la Chambre de
première instance fait droit,
sous certaines conditions, à la demande de mise en
liberté provisoire.
VI. DISPOSITIF
- Par ces motifs, et en application de l’article 65
du Règlement, la Chambre
de première instance ACCUEILLE la demande de
mise en liberté provisoire et
ORDONNE CE QUI SUIT :
1. L’Accusé sera transporté à un aéroport des Pays-Bas
par les autorités néerlandaises
;
2. À l’aéroport, l’Accusé sera provisoirement confié à la
garde d’un représentant
de la MINUK qui aura été préalablement nommé à cet
effet et qui accompagnera l’Accusé
durant le reste de son trajet jusqu’au Kosovo ;
3. L’Accusé restera sur le territoire du Kosovo pendant
toute la durée de la mise
en liberté provisoire et, plus précisément, dans les
limites des municipalités de
Pristina/Prishtinë ou de Glodjane/Gllogjan, et il communiquera
son adresse à ces
deux endroits à la MINUK et au Greffier du Tribunal
avant sa mise en liberté provisoire
;
4. Au retour, l’Accusé sera accompagné par le même
représentant de la MINUK qui
remettra l’Accusé à la garde des autorités néerlandaises à l’aéroport
de Schiphol
à une date et une heure que la Chambre de première
instance fixera par ordonnance, et les autorités néerlandaises
assureront son transport jusqu’au Quartier pénitentiaire
des Nations Unies à La Haye ;
5. Durant la première période de quatre-vingt-dix (90)
jours, l’Accusé ne sera pas
autorisé à faire d’apparitions en public ou à participer
d’aucune manière à des
activités politiques publiques. L’Accusé sera néanmoins
autorisé à reprendre des
activités administratives ou organisationnelles à titre
de président de l’Alliance
pour l’Avenir du Kosovo, sous réserve que ces activités
ne rentrent pas en conflit avec les autres conditions
fixées dans la présente Décision. Passé cette période
de quatre-vingt-dix (90) jours et si la Défense en
fait la demande, la Chambre de première instance
réexaminera cette condition à la lumière de l’expérience
acquise et après audition de l’Accusation et de la
MINUK.
6. Pendant la période de liberté provisoire, l’Accusé observera
les conditions énoncées
ci-dessous, que la MINUK veillera à faire respecter
:
a) il restera sur le territoire des municipalités de
Pristina/Prishtinë ou
de Glodjane /Gllogjan ;
b) il informera la MINUK au moins 24 heures à l’avance
de ses déplacements entre Pristina
/Prishtinë et Glodjane/Gllogjan et de la durée envisagée
de ses séjours dans l’une
et l’autre de ces deux municipalités ;
c) il remettra son passeport à la MINUK qui en assurera
la garde ;
d) il se présentera toutes les semaines à la MINUK à une
heure et un lieu d’affectation
local désignés par la MINUK ;
e) il consentira à ce que la MINUK vérifie sa présence
et à ce que la MINUK ou toute
personne désignée par le Greffier du Tribunal lui rende
de temps à autre des visites
impromptues,
f) il n’aura aucun contact avec ses deux coaccusés
en l’espèce ;
g) il n’aura aucun contact avec des victimes ou des
témoins éventuels,
n’exercera aucune
pression sur eux et ne tentera en rien d’entraver le
cours ou la bonne administration de la justice ;
h) il ne parlera de son procès à personne d’autre (médias
compris) que son conseil
; il ne fera aucune déclaration et ne s’associera à aucune
déclaration, publique
ou autre, relative à la présence espèce ou à une autre
affaire portée devant le
Tribunal ou à des procès similaires en instance devant
les tribunaux du Kosovo ;
i) il n’exercera pas de fonctions au sein du Gouvernement
du Kosovo, à quelque niveau
que ce soit ;
j) s’il accepte un emploi ou exerce une activité, il
en informera le Greffier du Tribunal dans les trois
jours de son entrée en fonctions et lui communiquera
le nom et l’adresse
de l’employeur ;
k) il se pliera rigoureusement à toutes les conditions
posées par toute personne relevant
de la MINUK nécessaires à l’exécution des obligations
et des garanties qui incombent
à cette dernière en vertu du présent dispositif ;
l) il se représentera devant le Tribunal à la date
et à l’heure
que la Chambre de première
instance fixera par ordonnance ;
m) il se conformera rigoureusement à toute nouvelle
ordonnance de la Chambre de première
instance qui modifierait les conditions de la mise
en liberté provisoire ou y mettrait
un terme.
- La Chambre de première instance DEMANDE,
en outre, que la MINUK s’engage, en confirmant à la Chambre de première instance sa
capacité d’agir ainsi :
a) à designer un représentant à la garde duquel l’Accusé sera
provisoirement confié
et qui accompagnera celui-ci d’un aéroport des Pays-Bas à son
lieu de résidence
à Pristina/Prishtinë ou Glodjane/Gllogjan, et à informer
dès que possible la Chambre
de première instance et le Greffier du Tribunal de
l’identité dudit représentant
;
b) à prendre toutes les mesures raisonnables pour assurer
la protection et la sécurité
de l’Accusé pendant la mise en liberté provisoire,
et à informer sans délai le Greffier
du Tribunal de toute préoccupation à cet égard ;
c) à faciliter, à la demande de la Chambre de première
instance ou des parties, la coopération et la communication
entre les parties et à en garantir la confidentialité
;
d) à vérifier régulièrement la présence de l’Accusé sur
son lieu de résidence à Pristina
/Prishtinë ou Glodjane/Gllogjan et à présenter à la
Chambre de première instance
toutes les deux semaines un rapport écrit sur le respect
par l’Accusé des conditions
énoncées dans le présent dispositif ;
e) à procéder immédiatement à l’arrestation et à l’incarcération
de l’Accusé au cas
où il ne respecterait pas l’une des conditions énoncées
dans le présent dispositif
et à en informer sans délai la Chambre de première
instance ;
f) à informer sans délai la Chambre de première instance
de toute modification du mandat de la MINUK qui influerait
sur sa capacité d’assumer les responsabilités mentionnées
dans la présente Décision.
- La Chambre de première instance DONNE INSTRUCTION au
Greffier du Tribunal de consulter le Ministère de
la justice des Pays-Bas quant aux modalités pratiques
de la mise en liberté de l’Accusé et de garder celui-ci
en détention au Quartier
pénitentiaire des Nations Unies à La Haye jusqu’à ce
que la Chambre de première
instance et le Greffier aient reçu notification de
l’identité du représentant désigné
de la MINUK, à la garde duquel l’Accusé doit être confié,
et DEMANDE aux
autorités de tous les États que traversera l’Accusé :
a) d’assurer la garde de l’Accusé pendant toute la
durée
de son transit à l’aéroport,
b) de procéder à l’arrestation et à l’incarcération
de l’Accusé dans l’attente de son
transfert au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La
Haye au cas où il tenterait
de fuir.
- Enfin, la Chambre de première instance fait droit à la
demande de l’Accusation
et ORDONNE qu’il soit sursis à l’exécution de
la décision de mettre en liberté
provisoire l’Accusé en attendant qu’il soit statué sur
l’appel que l’Accusation
entend interjeter en application de l’article 65 D), E),
F) et G) du Règlement.
Fait en anglais et en français, la version en anglais
faisant foi.