Affaire n° : IT-04-84-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Hans Henrik Brydensholt
M. le Juge Albin Eser

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
12 octobre 2005

LE PROCUREUR

c/

RAMUSH HARADINAJ
IDRIZ BALAJ
LAHI BRAHIMAJ

________________________________________________

DECISION RELATIVE A LA DEMANDE DE LA DEFENSE TENDANT AU REEXAMEN DES CONDITIONS DE LA MISE EN LIBERTE PROVISOIRE ACCORDEE A RAMUSH HARADINAJ LE 6 JUIN  2005

________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Marks Moore
M. Gilles Dutertre

Les Accusés et les Conseils des Accusés :

Ramush Haradinaj

M. Ben Emmerson
M. Rodney Dixon
M. Conor Gearty
M. Michael O’Reilly

Idriz Balaj

M. Gregor Guy-Smith

Lahi Brahimaj

M. Richard Harvey

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal  »),

VU la Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire de Ramush Haradinaj du 6 juin 2005, dans laquelle la Chambre de première instance ordonne à Ramush Haradinaj (« l’Accusé ») de respecter les conditions suivantes :

« [...]

3. L’Accusé restera sur le territoire du Kosovo pendant toute la durée de la mise en liberté provisoire et, plus précisément, dans les limites des municipalités de Pristina/Prishtinë ou de Glodjane/Gllogjan, et il communiquera son adresse à ces deux endroits à la MINUK et au Greffier du Tribunal avant sa mise en liberté provisoire  ;

[...]

5. Durant la première période de quatre-vingt-dix (90) jours, l’Accusé ne sera pas autorisé à faire d’apparitions en public ou à participer d’aucune manière à des activités politiques publiques. L’Accusé sera néanmoins autorisé à reprendre des activités administratives ou organisationnelles à titre de président de l’Alliance pour l’Avenir du Kosovo, sous réserve que ces activités ne rentrent pas en conflit avec les autres conditions fixées dans la présente Décision. Passé cette période de quatre-vingt-dix (90) jours et si la Défense en fait la demande, la Chambre de première instance réexaminera cette condition à la lumière de l’expérience acquise et après audition de l’Accusation et de la MINUK.

6. Pendant la période de liberté provisoire, l’Accusée observera les conditions suivantes, que la MINUK veillera à faire respecter :

a) il restera sur le territoire des municipalités de Pristina/Prishtinë ou de Glodjane /Gllogjan ;

b) il informera la MINUK au moins 24 heures à l’avance de ses déplacements entre Pristina /Prishtinë et Glodjane/Gllogjan et de la durée envisagée de ses séjours dans l’une et l’autre de ces deux municipalités ;

[...] »

VU la requête aux fins de réexamen des conditions de la mise en liberté provisoire accordée à Ramush Haradinaj le 6 juin 2005 (Defence Motion on Behalf of Ramush Haradinaj to Request Re-Assessment of Conditions of Provisional Release Granted 6 June 2005) (la « Requête »), déposée le 15 août 2005 par le conseil de l’Accusé (la « Défense »), dans laquelle la Défense demande :

1. que soit levée l’interdiction faite à l’Accusé d’apparaître en public et de participer à des activités politiques publiques, sous réserve que l’Accusé n’occupe pas de fonction au sein du gouvernement ni d’autre fonction élective publique au Kosovo , qu’il n’intervienne pas au nom du Gouvernement du Kosovo, qu’il ne parle pas de son procès et ne participe pas à des activités incompatibles avec les autres conditions fixées dans la Décision relative à la mise en liberté provisoire (la « Première demande »)1,

2. que l’Accusé soit libre de circuler sur l’ensemble du territoire du Kosovo, sous réserve que la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (la « MINUK ») soit informée 24 heures à l’avance ; à défaut, que l’Accusé soit autorisé à se rendre dans douze villes précises ; ou, à titre de pis aller, que l’Accusé soit autorisé à se rendre dans les municipalités visées dans l’acte d’accusation et qu’il soit libéré de l’obligation d’informer 24 heures à l’avance la MINUK de ses déplacements au sein des municipalités de Pristina/Prishtinë ou de Glodjane/ Gllogjan (la « Deuxième demande »)2,

VU la Réponse du Procureur à la demande de modification des conditions de la liberté provisoire accordée à Ramush Haradinaj le 6 juin 2005 (la « Réponse »), déposée le 15 septembre 2005 à titre confidentiel par le Bureau du Procureur (l’ « Accusation »), dans laquelle l’Accusation demande le rejet de la Requête dans sa totalité3 et prie la Chambre de prononcer un sursis à statuer pour une période de trois mois, le temps d’achever plusieurs enquêtes en cours qui, selon l’Accusation, sont de nature à influer sur la présente décision de la Chambre de première instance4,

VU la lettre adressée le 1er septembre 2005 par la MINUK au Greffier du Tribunal , dans laquelle elle fait part de ses observations sur les deux demandes de la Défense ,

VU les arguments avancés par la Défense, l’Accusation et un représentant de la MINUK à l’audience tenue le 16 septembre 20055,

ATTENDU qu’à l’appui de sa Requête la Défense fait valoir : i) que l’expérience acquise jusqu’à présent durant la libération provisoire se révèle extrêmement positive , étant donné que l’Accusé a pleinement respecté toutes les conditions de la mise en liberté provisoire6 ; ii) que l’Accusé jouera un rôle constructif et stabilisateur pour la vie politique au Kosovo si l’interdiction qui lui est faite d’apparaître en public et de participer à des activités politiques publiques est levée7 ; iii) que les restrictions géographiques imposées aux déplacements de l’Accusé devraient être modifiées pour lui permettre de circuler sur l’ensemble du territoire du Kosovo et de s’acquitter ainsi de ses fonctions de président de l’Alliance pour l’avenir du Kosovo ; subsidiairement, que l’Accusé devrait être libre de se rendre dans les douze municipalités où les principaux bureaux de l’Alliance pour l’avenir du Kosovo sont implantés et, à titre de pis aller, que l’Accusé soit autorisé à circuler entre et dans les municipalités visées dans l’acte d’accusation pour pouvoir bien préparer sa défense8,

ATTENDU qu’à titre préalable l’Accusation sollicite un sursis à statuer pour une période d’au moins un mois, pendant laquelle elle entend présenter à la Chambre de première instance, à titre ex parte, des éléments confidentiels de nature à influer sur la suite à donner à la Requête9,

ATTENDU qu’à l’appui de sa Réponse, l’Accusation soutient que la Requête devrait être écartée aux motifs i) s’agissant des activités politiques publiques exercées par l’Accusé, qu’un assouplissement aurait pour effet de vider les autres conditions de la liberté provisoire de leurs effets ou d’en compliquer l’application , et que, en tout état de cause, les apparitions en public de l’Accusé produiraient un effet d’intimidation sur les victimes et les témoins10  et ii) s’agissant des restrictions géographiques imposées aux mouvements de l’Accusé , que cette condition n’est pas susceptible d’un réexamen par la Chambre de première instance, qu’il n’est pas nécessaire d’apporter des changements pour tenir compte des fonctions qu’exerce l’Accusé en qualité de président de l’Alliance pour l’avenir du Kosovo et que, par ailleurs, il n’est pas indispensable à la préparation de sa défense qu’il se rende dans les municipalités visées dans l’acte d’accusation11,

ATTENDU que la période de quatre-vingt-dix jours (90), prévue dans la Décision de la Chambre de première instance relative à la mise en liberté provisoire, pendant laquelle l’Accusé n’était pas autorisé à faire d’apparitions en public et à participer à des activités politiques publiques, a désormais expiré,

ATTENDU que nul ne conteste que l’Accusé a pleinement respecté les conditions de la mise en liberté provisoire12,

ATTENDU que, selon la MINUK, la participation de l’Accusé à des activités politiques publiques « jouerait sans nul doute un rôle constructif pour la stabilisation de la situation politique et de la sécurité au Kosovo13  »,

ATTENDU en outre que la MINUK ne voit « pas d’objection à ce que soient assouplies , comme le demande la Défense, les conditions de la mise en liberté provisoire pour permettre à Ramush Haradinaj de se déplacer librement sur l’ensemble du Kosovo », mais préférerait que soit maintenue l’obligation d’informer 24 heures à l’avance 14, et ATTENDU également que la MINUK a confirmé être en mesure de surveiller les déplacements de l’Accusé s’il est fait droit à l’une des demandes d’assouplissement des conditions imposées à sa liberté de mouvement15,

ATTENDU qu’à ce stade l’Accusation n’a pas remis d’éléments d’information de nature à justifier que la Chambre de première instance reporte sa décision relative à la Requête,

ATTENDU, s’agissant de la Première demande, que si l’expérience acquise jusqu’à présent durant la période de mise en liberté provisoire de l’Accusé se révèle positive , il n’en demeure pas moins que la Chambre de première instance ne juge pas, pour le moment, qu’il soit dans l’intérêt de la justice de permettre, sans aucune restriction , à l’Accusé d’apparaître en public et de participer à des activités politiques,

ATTENDU cependant que, au vu des circonstances exceptionnelles de l’espèce et notamment de l’argument avancé par la MINUK qui affirme que la participation de l’Accusé à la vie politique publique ainsi qu’aux négociations qui vont s’ouvrir prochainement sur le statut final du Kosovo devrait avoir des répercussions positives , l’Accusé devrait se voir donner la possibilité, dans une certaine mesure, de participer à des activités politiques publiques et auxdites négociations,

ATTENDU, au regard notamment de la présomption d’innocence, que la gravité des crimes retenus contre un accusé ne suffit pas en soi à justifier le refus de sa mise en liberté provisoire et ne constitue que l’un des facteurs dont il faut tenir compte pour apprécier le risque de sa non-comparution16, et ce que ce facteur n’est lui-même que le premier des deux critères prévus à l’article  65 B) du Règlement pour déterminer si une mise en liberté provisoire doit ou non être accordée, le second étant le risque de mise en danger d’une victime, d’un témoin ou de toute autre personne,

ATTENDU que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider s’il convient de modifier les conditions imposées à l’Accusé durant sa libération provisoire, la Chambre de première instance estime, à la majorité, être guidée par les deux mêmes critères de l’article 65 B) du Règlement pour déterminer s’il y a lieu d’accorder ou non la mise en liberté provisoire, conformément aux dispositions de l’article 65 C) du Règlement, et que, à ce titre, la gravité des crimes ne milite pas a priori contre un assouplissement des conditions de la mise en liberté provisoire imposées à l’Accusé,

ATTENDU que la Chambre de première instance estime, à la majorité, qu’il y a lieu, en raison du caractère sensible d’une telle d’activité, d’habiliter la MINUK, sans l’obliger à demander l’accord préalable de la Chambre de première instance , à accorder ou à rejeter, le cas échéant, toute demande d’autorisation d’apparaître en public ou de participer à certaines activités politiques publiques présentée par l’Accusé, pour autant que la MINUK juge que, dans les circonstances données, ces activités favoriseraient la stabilisation de la situation politique et de la sécurité au Kosovo. Toute décision de cette nature devra figurer dans les rapports remis toutes les deux semaines à la Chambre de première instance, en application du paragraphe 54 d) de la Décision relative à la mise en liberté provisoire, dans lesquels la MINUK fera également état de toutes les activités futures que l’Accusé entend exercer, pour autant que ce dernier ait introduit une demande à cet effet ,

ATTENDU que la Chambre de première instance juge, à la majorité, que la MINUK est la mieux placée pour savoir ce qui est dans l’intérêt de la paix et de la réconciliation au Kosovo, sachant que rien ne permet de croire que l’octroi à la MINUK du pouvoir d’autoriser pareille activité aurait pour effet, ou serait interprété comme ayant pour effet, de réhabiliter de fait l’Accusé dans son ancienne fonction de dirigeant politique au Kosovo ou de porter atteinte à l’autorité judiciaire du Tribunal,

ATTENDU que la Chambre de première instance constate, à la majorité, qu’elle conserve la faculté de trancher en dernier ressort sur la conduite publique de l’Accusé et que, à partir des rapports qui lui seront remis par la MINUK, elle entend surveiller de près toutes ces activités, donner des instructions à la MINUK, le cas échéant , et prendre les mesures nécessaires (y compris la révocation des privilèges) si elle est d’avis que lesdites activités sont de nature à compromettre la comparution de l’Accusé à son procès, à mettre en danger une personne ou à porter atteinte de quelque manière que ce soit à l’autorité judiciaire du Tribunal,

ATTENDU, s’agissant de la Deuxième demande, que le réexamen des restrictions géographiques imposées aux déplacements de l’Accusé n’est ni nécessaire pour réaliser l’objet de la modification des conditions qui sera accordée, ni dans l’intérêt de la justice,

EN APPLICATION des articles 54 et 65 du Règlement,

DÉCIDE

1. à la majorité de ses membres, d’autoriser l’Accusé, nonobstant toutes les autres conditions fixées dans la Décision relative à la mise en liberté provisoire, à faire des apparitions en public et à participer à des activités politiques publiques, dans la mesure où la MINUK est d’avis que ces dernières peuvent favoriser la stabilisation de la situation politique et de la sécurité au Kosovo et sous réserve que celle- ci donne son autorisation préalable après que l’Accusé en aura fait la demande pour chacune d’elles.

2. à la majorité de ses membres, de demander à la MINUK d’assumer la responsabilité d’autoriser ou d’interdire, au cas par cas, les activités précitées et d’en faire état dans les rapports qu’elle doit remettre toutes les deux semaines à la Chambre de première instance en application de la Décision relative à la mise en liberté provisoire. Il est également demandé à la MINUK d’indiquer dans ces rapports toutes les activités futures que l’Accusé entend exercer, pour autant que l’Accusé ait introduit une demande à cet effet.

3. à l’unanimité de ses membres, de rejeter la demande de réexamen des restrictions géographiques applicables aux déplacements de l’Accusé.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 12 octobre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_______________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


OPINION DISSIDENTE DU JUGE CARMEL AGIUS

Ce n’est qu’en raison de la position adoptée par la MINUK que je conviens avec la majorité qu’il y a lieu d’autoriser l’Accusé, dans une certaine mesure et dans des conditions bien définies, à participer à des activités politiques publiques et aux négociations si la MINUK juge parfois cette participation nécessaire ou à tout le moins favorable à l’aboutissement des négociations sur le statut final du Kosovo , étant toutefois entendu que c’est au Tribunal et non à la MINUK qu’il appartient de décider en dernier ressort.

En effet, contrairement à la majorité, je suis fermement opposé à la décision de déléguer à la MINUK des responsabilités et des moyens de contrôle qui sont, à mon avis, du ressort exclusif de la Chambre de première instance et du Tribunal. Naturellement , je comprends le souci pratique qui, sans nul doute, a inspiré la majorité. Il n’en demeure pas moins que la décision de déléguer à la MINUK d’importants pouvoirs et responsabilités inhérents aux Chambres est selon moi sans précédent et revient , à tort et non sans danger, à faire renoncer les Chambres de première instance à leur responsabilité d’exercer en permanence un droit de regard sur toutes les questions touchant à la liberté d’action et de mouvement d’un accusé. À mon avis , cette responsabilité ne saurait faire l’objet d’une délégation et s’exerce mieux après avoir donné à l’Accusation, et pas seulement à la MINUK, la possibilité d’être entendue.

En outre, je considère que laisser entièrement à la MINUK le soin d’apprécier la portée d’une activité politique, en se réservant uniquement le droit de recevoir des rapports à intervalles réguliers (même si, en application de la décision prise à la majorité, la MINUK doit désormais faire état des activités futures annoncées et prévues par l’Accusé), non seulement constitue une erreur de principe fondamentale , mais surtout risque fort de donner à l’opinion publique au Kosovo, mais aussi ailleurs en ex-Yougoslavie, l’impression que l’Accusé, alors même qu’il a été mis en accusation et placé en détention par le présent Tribunal, se retrouve progressivement réhabilité de facto parmi les dirigeants politiques clés du Kosovo. Une telle situation risque selon moi de véhiculer l’idée regrettable que l’Accusé, au lieu d’être soumis en tant qu’accusé à des contraintes, reprend au contraire sa place dans les sphères du pouvoir. Les questions soulevées dans la décision prise à la majorité, à savoir celles de la présomption d’innocence et de la gravité des crimes reprochés à l’Accusé, et l’argument selon lequel celles-ci ne s’opposent pas a priori à un assouplissement des conditions de la mise en liberté provisoire imposées à ce dernier n’ont, selon moi et sans vouloir remettre en cause la décision de la majorité, rien à voir avec le principe, central et primordial à mes yeux, selon lequel la Chambre de première instance ne doit jamais déléguer ses pouvoirs et ses responsabilités à des tiers. Je suis fermement convaincu que transmettre à la MINUK le droit de décider dans quelle mesure l’Accusé peut participer à des activités politiques publiques non seulement constitue une erreur de principe et un précédent dangereux, mais en outre envoie le mauvais message à l’opinion publique du Kosovo et d’ailleurs, et ce d’autant plus que l’Accusé n’est pas la seule personnalité politique de ce territoire de l’ex-Yougoslavie à être mise en cause devant le présent Tribunal.

Je crois fermement que la Chambre de première instance a, dans l’exercice de son pouvoir général d’appréciation quant à l’assouplissement des conditions relatives aux activités de l’Accusé, la responsabilité d’agir de telle sorte que rien ne laisse entendre que l’Accusé soit réhabilité de facto sur la scène politique et dans la vie politique du Kosovo ou ne donne à penser que le procès de l’Accusé soit en quelque sorte différent ou moins grave que celui des autres personnes également mises en accusation par le Tribunal. De fait, au regard du droit, l’Accusé est et reste accusé de crimes de guerre même s’il va sans dire qu’il jouit de la présomption d’innocence à l’instar des autres accusés devant le Tribunal.

En conséquence, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accorder à l’Accusé l’autorisation générale de participer à toutes les autres activités publiques, quand bien même cette autorisation serait subordonnée à l’aval de la MINUK. En dépit des réserves désormais formulées dans la décision prise à la majorité, qui prévoient que la MINUK devra rendre compte, dans les rapports qu’elle remettra toutes les deux semaines au Tribunal, de toute activité future dont l’informe l’Accusé à l’avance, je ne suis pas du tout convaincu que la décision de la majorité réponde au principe que j’ai qualifié de fondamental plus haut. Outre le fait qu’elle permet à l’Accusé de choisir le moment du dépôt de ses demandes d’autorisation de façon à éviter que le Tribunal en soit informé avant que la MINUK ne les examine effectivement, cette obligation supplémentaire vise, selon la décision, à aider la Chambre de première instance à déterminer non pas si l’autorisation doit être accordée sur la base d’une justification de fond, mais si les activités futures que prévoit l’Accusé sont de nature à compromettre la présence de l’Accusé à son procès, à mettre en danger une personne ou à fragiliser de quelque manière que ce soit l’autorité judiciaire du Tribunal. Pour ma part, j’y vois plutôt la confirmation que la majorité a totalement tort de déléguer à la MINUK lesdits pouvoirs de la Chambre de première instance  : c’est la preuve évidente que la majorité n’ignore pas et concède même qu’octroyer l’autorisation à l’Accusé de participer à certaines activités politiques publiques peut provoquer les dangers qu’on cherche justement à éviter et que, pour cette raison , il devrait être suffisamment clair que le précédent que la décision de la majorité vise à établir est dangereux. Il ressort clairement de la décision prise à la majorité que l’octroi à l’Accusé de l’autorisation de participer à certaines activités politiques publiques peut donner lieu à des considérations allant bien au-delà des questions sur lesquelles, selon la majorité, la MINUK est la mieux à même de se prononcer. Je suis par ailleurs en complet désaccord avec l’idée, soutenue semble-t-il par la majorité, « que la Chambre de première instance conserve la faculté de trancher en dernier ressort sur la conduite publique de l’Accusé et que, à partir des rapports qui lui seront remis par la MINUK, elle entend surveiller de près toutes ces activités , donner instruction à la MINUK, le cas échéant, et prendre les mesures nécessaires (y compris la révocation des privilèges) ». Selon moi, les modalités de la délégation des pouvoirs et responsabilités à la MINUK, telles qu’elles sont définies dans la décision rendue par la majorité, supposent à l’évidence une intervention a posteriori de la Chambre de première instance qui risque d’arriver trop tard. La décision prise par la majorité revient à dire que la décision de la MINUK, quelle qu’elle soit, restera valable parce que la MINUK a toujours raison. Je ne partage pas du tout cette analyse. Dans chaque cas, c’est à la Chambre de première instance qu’il devrait appartenir de trancher en dernier ressort et non à la MINUK, dont les responsabilités et les préoccupations ne sont pas les mêmes. Je suis également d’avis que la Chambre de première instance devrait toujours, avant de prendre une décision, donner à l’Accusation la possibilité de se faire entendre.

Je suis également en désaccord parce que, à mon avis, la Chambre de première instance se doit d’être jalouse du rôle et de la tâche qui lui incombent et devrait veiller à rester à tout moment en mesure d’exercer son pouvoir d’appréciation pleinement et conformément aux responsabilités et préoccupations qui sont les siennes. J’estime par conséquent que, si l’on veut que soit assouplie, dans une certaine mesure et dans des conditions bien définies, l’interdiction faite à l’Accusé de participer à des activités politiques publiques, cet assouplissement ne devrait pouvoir se faire que si la Chambre de première instance a été informée suffisamment à l’avance par l’Accusé de la nature de l’activité publique à laquelle il entend participer et a reçu une attestation de la MINUK confirmant que cette participation favorisera , à son avis, la stabilisation de la situation politique et de la sécurité au Kosovo . La demande et la certification seront alors examinées, en suivant la procédure normale, par la Chambre de première instance, et ce après avoir donné à l’Accusation la possibilité de se faire entendre sur la question et de faire valoir ses arguments .

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 12 octobre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, par. 9.
2 - Requête, par. 21, 24 à 27.
3 - Réponse, par. 14 à 58.
4 - Réponse, par. 13.
5 - Compte rendu (CR.), p. 109 à 135.
6 - Requête, par. 7 et 8 ; CR., p. 112 et 113.
7 - Requête, par. 12 à 14 ; CR., p. 114.
8 - Requête, par. 23 et 24 ; CR., p. 118 et 119.
9 - CR., p. 119 à 125.
10 - Réponse, par. 14 à 41 ; CR., p. 126.
11 - Réponse, par. 42 à 54.
12 - CR., p. 128.
13 - Lettre du 1er septembre, p. 1 ; CR., p. 130 et 131.
14 - Lettre du 1er septembre, p. 2.
15 - CR., p. 128 et 129.
16 - Voir Le Procureur C/ Stanisic, affaire n° IT-03-69-PT, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 28 juillet 2004, par. 22, cité dans la Décision relative à la mise en liberté provisoire de Ramush Haradinaj, rendue le 6 juin 2005 par la Chambre de première instance, par. 24. Voir également Le Procureur c/ Prlic et consorts, affaire N° IT-04-74-PT, Ordonnance relative à la demande de mise en liberté provisoire de Jadranko Prlic, 30 juillet 2004, par. 29.